Catégories
Puissants Fonds/ Livres

Le petit fantôme bleu, Mona Chollet-Réinventer l’Amour

 Le petit fantôme bleu, Mona Chollet-Réinventer L’Amour

 

Cette nuit, j’ai retravaillé. Une de mes collègues m’a rendu la trilogie Pusher ( Pusher III : Journée de merde pour papa-poule ) de Nicholas Winding Refn que je lui avais prêtée. Trilogie qu’elle a bien aimé. Elle m’a même dit qu’elle s’attendait à « plus violent ». Qu’elle ne connaissait pas le cinéma danois.

 

Toujours disponible, avec son sourire, ma jeune collègue ne dit « rien » de plus au point que l’on peut croire que c’est à dessein. Car on peut percevoir comme elle est observatrice des autres. Se met-elle en colère ? C’est difficile à savoir.

 

C’est aussi cette nuit que, comme prévu ( Le couple de la Saint-Valentin/ La femme dans l’homme, ) elle m’a prêté son livre de Mona Chollet :

 

Réinventer l’Amour.

 

 

A la réflexion, et je le lui ai dit, j’ai trouvé ça assez « provocateur » qu’elle me prête ce livre dans un service aussi « testostéroné » que celui où nous travaillons. Elle a alors….souri et m’a répondu qu’elle me prêtait ce livre car je lui avais demandé ce qu’elle lisait en ce moment. Une réponse imparable.

 

Cette  nuit, entre 3 heures et 5 heures du matin, j’ai lu les cinquante premières pages de Réinventer l’Amour.  Avec d’autant plus d’intérêt que je savais que son contenu dénotait dans le service. Dans notre service, pour diverses raisons historiques mais aussi pour certaines nécessités concrètes, certaines valeurs et actions « viriles » ou dites « masculines » peuvent s’exprimer et prédominer. Mais aussi s’agripper à une certaine façon de penser. Moi, j’apparais sans aucun doute encore comme suspect selon certains de ces critères et pour certains collègues :

Je serais « trop gentil » ; « trop patient » ; « je discuterais trop » et manque, ou manquerais, vraisemblablement de « poigne ». Ou de réalisme. Tant physique que verbal.

Si j’ai d’abord dit à ma collègue que, dans le service, j’avais soigneusement dissimulé son livre sous des magazines plus virils consacrés à l’Aïkido et aux Arts Martiaux, je n’exclue plus de m’y montrer avec ce bouquin. Cela pourrait être drôle. 

 

Pourtant, alors que je lisais Réinventer l’Amour, je commençais à faire provision, aussi, de quelques réserves. Dont certaines se sont un peu confirmées chez moi.

 

Ce matin, en rentrant du travail, je rangeais mes affaires lorsque j’ai aperçu ma fille qui se cachait derrière la veste polaire bleue de ma compagne qui est aussi sa maman.

 

 Je l’ai vue pratiquement tout de suite. Je me suis dit que tant que ma fille continuerait de se cacher de cette façon lorsque je rentre, et à jouer à être découverte et recherchée, que ce serait bon signe. Mais aussi, peut-être, que tant que je remarquerais aussi vite en rentrant qu’elle se cache afin d’être vue.

 

Que je n’ai pas tout raté. Que je ne rate pas tout dans ma relation avec elle, au travers de l’éducation que je lui « donne » mais, aussi, lui impose.

 

Dans son livre, Réinventer L’Amour,  Mona Chollet cite deux exemples de couples « réussis » où l’Amour a tenu toute la vie.

 

Celui d’André Gorz et celui de Serge Rezvani dont je ne connais pas les œuvres.

 

Le sujet de Réinventer l’Amour porte sur L’Amour entre deux adultes consentants. Et non sur l’Amour filial.

 

Et, Mona Chollet, elle-même, relate sa joie à avoir réussi à garder une relation apaisée avec son ex-compagnon. Je peux l’envier. Je me suis déjà demandé comment faisaient les autres pour garder des relations apaisées avec leurs ex. A ce jour, je n’ai pas réussi.

 

Toutefois, je remarque qu’elle comme André Gorz et Serge Rezvani n’ont pas eu d’enfant.

 

Pas le moindre enfant. Par choix. Un choix que je peux comprendre. Si en tant que personne adulte, je considère le fait d’être père comme une expérience extraordinaire à vivre en tant qu’être humain, je comprends que d’autres puissent décider de s’abstenir de vivre cette expérience. Car pour extraordinaire que soit cette expérience, elle est aussi très personnelle.

 

Cependant, j’ai l’impression qu’il manque « quelque chose » dans Réinventer l’Amour, lorsque Chollet parle d’Amour dans le couple, alors qu’elle cite sa propre expérience et deux couples exemplaires en matière d’Amour. Sans aucun enfant à proximité de ces expériences de couple.

On peut raconter tout ce que l’on veut, de sensé, sur le couple et l’atteinte du couple par le patriarcat. Et de ce qu’il faudrait faire pour éviter la destruction de l’Amour dans le couple. Mais, pour l’instant, si je lis à la lettre son livre, je constate que pour  Chollet, les premiers couples dont l’histoire d’Amour a été aboutie qu’elle cite sont des couples sans enfants.

 

Même si je peux avoir des « choses » à corriger dans ma perception du couple et de la vie, le fait d’être parent change donc la donne dans la « durée d’action de l’Amour » au sein d’un couple.

 

Que l’on n’essaie pas de me convaincre qu’un couple avec enfant dispose exactement des mêmes atouts et de la même disponibilité pour l’autre, qu’un couple sans enfant.

 

Que l’on n’essaie pas.

 

 

Même si le fait d’avoir un enfant peut être un atout.

 

 

Je ne regrette pas, par exemple, malgré certains efforts, certaines difficultés et certains de mes doutes, d’être le père de ma fille. Même si je suis insatisfait assez régulièrement de « mes états de services » en tant que père. Même si je suis contrarié de constater mes  infirmités en tant que père et que je m’inquiète de leurs retombées sur ma fille. 

 

 

Pour ces quelques raisons, aussi, pour essayer de conjurer les éventuelles retombées de mes infirmités, je tenais, ce matin, à parler un peu de ce petit fantôme bleu qui m’attendait, ce matin, à la maison, en rentrant.

 

Petit fantôme bleu, qui, ensuite, m’a présenté/imposé le menu de son restaurant.

 

Comme je n’ai pas réagi tout de suite lorsqu’elle l’a déposé près de moi dans la salle de bain, alors que je récupérais mes affaires de piscine et d’apnée, ma fille a déplacé le dit menu et l’a rapproché de moi. J’ai compris qu’il fallait que je le voie. J’ai donc demandé à ma fille :

 

« C’est pour que je commande à manger ? ».

 

Près de moi, elle a alors acquiescé avec un sourire d’évidence.

 

On est adulte, contrarié, fatigué ou simplement concentré sur diverses pensées qui n’ont rien à voir avec notre enfant ou qui ont simplement à voir avec notre monde intérieur (penser à ranger telles affaires pour se préparer à notre nuit de travail suivante, penser à écrire tel article, ou telles idées d’articles, faire quelques étirements pour le dos car on a fait du vélo en rentrant du travail…).

 

Et votre enfant est là, immédiatement devant vous. Tel un génie dont vous avez rendu l’existence concrète. Car vous avez œuvré pour cela. Personne a priori ne vous a forcé à le faire venir. Et, désormais, pour quelques années, ce génie apparaît souvent. Vous regarde et vous écoute, sans que vous vous y attendiez toujours.

 

 

Et ce génie vous sollicite. Que votre enfant vous gratifie ou vous contrarie, votre enfant est un génie. Vous n’êtes peut-être pas – toujours-  au courant. Car ce génie s’exprime parfois ou souvent sans répit en dehors des heures ouvrables de votre tolérance et de…de votre imagination. Peu importe ce qui s’est passé la veille ou ce que vous venez de vivre. Vous avez travaillé douze heures, dehors en rentrant à vélo, il faisait 7 degrés. Tout cela n’existe pas, ne compte pas, pour lui. Il n’est pas au courant. Lui, il sait qu’il ne vous a pas vu depuis la veille, plus de 12 heures auparavant. Pour lui, c’est tout ce qui compte. Et, ça y ‘est, vous êtes là devant lui, en chair et en os. C’est le moment où jamais. Vous êtes donc disponible. Et cherche donc à renouer avec vous. Pour lui, c’est la normalité. L’anormalité pour lui, c’est d’avoir été séparé de vous. Entre adultes, il existe  parfois ce rituel préliminaire, ou, avant de vous solliciter, ce qui est de toute son intention prioritaire, l’autre vous demande :

 

« ça va ? Tu as passé une bonne journée ? ». Alors qu’en fait, l’autre n’attend qu’une chose. Vous solliciter ou vous parler d’un sujet précis qui, pour elle ou pour lui, nécessite votre pleine et immédiate attention et adhésion. L’enfant, lui, s’il va bien et se trouve dans un environnement familial où il se sent en confiance, s’épargne- et vous épargne- ce genre de salamalecs et de faux-semblant. Plus tard, peut-être, il apprendra à le faire.

 

 

Quoi de plus facile à comprendre. Pourtant, ça, vous qui êtes évolué, adulte, intégré, réfléchi, vous ne le comprenez pas tout le temps. Vous, pas forcément malheureux de votre nuit de travail, pas nécessairement rejetant, vous avez néanmoins besoin d’un certain sas entre le monde dont vous venez ; le monde, les humeurs, les diverses transhumances que vous portez en vous et dans lesquelles vous vagabondez encore. Et l’immédiateté de la demande spontanée de votre enfant que vous ne prévoyez pas. Que, malgré votre « expérience » de lui, une fois de plus, vous n’avez pas vu venir. Pour lui, ce sas dont vous avez peut-être besoin, est une abstraction ou une absurdité d’adulte.

 

Il (votre enfant, bien-sûr, nous ne parlons pas de celui des autres)  semble régulièrement croire que vous avez l’aptitude de lire l’avenir. Mais aussi à lire dans ses pensées.  Cette demande et cette croyance renouvelées sont à la fois bon signe. Et résultent aussi du fait et de l’évidence que vous faites partie de l’Histoire de votre enfant. Mais aussi que  votre enfant fait partie de la vôtre.  Et que c’est comme ça. Un cercle qui semble alors infini. Et cette Histoire, ce cercle en mouvement, durant quelques heures, vous vous en êtes extrait, vous l’avez en partie oublié. Alors que votre enfant, loyal, et toujours magnétisé par le cercle de cette Histoire, s’en souvient. Il vous en rappelle à la fois le conte, l’existence mais aussi la naissance. Votre naissance.

 

Donc, penser ou croire qu’un couple sans enfant et un couple avec enfant – qui a pourtant conçu cet enfant par amour- ont les mêmes aptitudes, ou les mêmes volontés, pour réinventer l’Amour est une erreur. Mais comme je n’en suis qu’aux cinquante premières pages du livre de Mona Chollet, il est trop tôt pour que j’affirme qu’elle laisse sous entendre ça.  Cet article aura bien-sûr une suite.

 

Franck Unimon, ce mercredi 9 mars 2022.

 

 

 

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.