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Police-un film d’Anne Fontaine

De gauche à droite, Grégory Gadebois, Virginie Efira au centre, Omar Sy, au volant.

 

 

 

                                                Police un film d’Anne Fontaine.

Dans la France d’aujourd’hui, en région parisienne, un triumvirat composite  – une blonde, un grand Noir,  un gros blanc –  part en virée  afin d’emmener un individu «  d’un point A à un point B ». Plus qu’une démonstration de géométrie, ou un contrat, il s’agit de leur métier :

 

Virginie (Virginie Efira), Aristide (Omar Sy) et Erik (Grégory Gadebois) sont uniformément policiers. Et ça se passe la nuit. Pourquoi la nuit ? C’est peut-être plus pratique d’un point de vue scénaristique :

La nuit, on remise les apparences.  On déverrouille  nos  conduites intimes.  On peut mieux fuir ce qui nous dérange dans notre vie personnelle.  D’autant que l’on est  en effectifs réduits.  Cela nous rend plus vulnérables mais aussi plus autonomes.  Car la hiérarchie est alors « claire-semée ». Il est néanmoins indispensable d’être solidaires malgré nos insularités personnelles.

 

Police de Pialat, L627 de Bertrand Tavernier, Polisse de Maïwenn

Le soleil,  les lumières artificielles, la crème solaire, les muscles, le grand nombre et les sourires ne font pas une communauté ni une solidarité. Ce sont avant tout des décors. Des décors dentifrice qu’Anne Fontaine, comme dans le film Police de Pialat (1985), Le L627 de Bertrand Tavernier (1992) et le Polisse  de Maïwenn ( 2011) a crachés dans l’évier avant même le début du film.

 

J’ai vu ces trois films dont les deux derniers au cinéma, lors de leur sortie en salles. Et je voulais voir le Police d’Anne Fontaine, sorti ce mercredi 2 septembre 2020

 

Le titre Police de NTM

 

 A l’époque de sa diffusion, puisque je suis « vieux », J’avais aussi écouté et réécouté le titre Police du groupe NTM(1992 ou 1993). Groupe de Rap qui a fait connaître Joey Starr, un des acteurs préférés, en tant que flic, du film Polisse qui avait fait partie des films marquants du festival de Cannes de 2011. J’étais sur les lieux cette année-là.

 

Je me rappelle encore du titre de NTM qui s’était enclenché dans ma tête alors que je me trouvais dans un commissariat du Val d’Oise pour y faire une main courante. Heureusement que je n’étais pas touché par le syndrome de Gilles de la Tourette.

 

Je l’ai écrit et je vais le réécrire : Je n’aimerais pas être flic en 2020 en région parisienne dans certains endroits sensibles. La police est à la fois  «  la baïonnette et la marionnette de l’Etat ».

 

Pages de Pub et bandes annonces

 

 Plusieurs pages de pub et quelques bandes annonces nous accueillent avant le début du film.

 

La pub pour le téléphone portable Galaxy Flip Zip  de Samsung, les Podcast d’Arte Radio et les bandes annonces pour les films Mon Cousin de Jan Kounen et Antoinette dans les Cévennes de Carole Vignal (avec l’actrice Laure Calamy) ont retenu mon attention. Ainsi que la bande annonce de Adieu les cons de et avec Albert Dupontel….et Virginie Efira, devenue une actrice très visible.

 

Virginie/ Virginie Efira

 

Virginie Efira ( Virginie), derrière, l’acteur Payman Mardi (dans le rôle de Tohirov)

 

Dans le Police d’Anne Fontaine, on découvre en pleine nuit le personnage de Virginie dans son lit conjugal. Mariée, mère de famille, elle en est à son troisième réveil car son enfant se met à pleurer pour la troisième fois. Personne ne l’envie. Son mari, attaché et patient, la rejoint néanmoins dans la cuisine où elle a préparé un biberon et posé leur enfant sur une chaise haute. Et l’on apprend que Virginie est très peu avec son mari et leur enfant. Elle s’oublie dans son travail.

 

En quelques secondes, on comprend que l’ordinaire de Virginie, femme flic, est très éloigné du glamour de certaines productions. Qu’il s’agisse de séries télé ou de films. Il y a évidemment plusieurs ambiances de décalage entre le film et celle de Tenet réalisé par Christopher Nolan avec John David Washington, Robert Pattinson et Elizabeth Debicki et qui marche apparemment très bien commercialement en ce moment.

Le film Tenet nous montre des super policiers, descendants de James Bond, très à l’aise pour se faufiler dans les espaces temps. Le film d’Anne Fontaine nous montre de plus près des spécimens encartés dans la vie réelle. Des gens que l’on pourrait rencontrer ou connaître.

 

Virginie/Virginie Efira fait partie de ces innombrables soldats du peu dont l’activité professionnelle et personnelle est un si grand débarras qu’à voir leur façon de continuer de la servir  ils pourraient tout aussi bien être dans un couvent. On se demande où elle trouve le remontant- et comment- pour continuer de réussir à nager à contre courant.

 

Devant Police, du fait du personnage de Virginie, j’ai un moment pensé au très bon film Volontaire d’Hélène Fillières (2018).

Mais si Virginie est très volontaire, elle est aussi nettement moins  carriériste, et plus engagée – plus âgée aussi- dans sa vie de mère mariée, que le personnage de Laure (l’actrice Diane Rouxel) dans le film d’Hélène Fillières.

 

Comme souvent, Virginie Efira a l’allure d’un rade  (je l’ai peu vue dans son univers comique Sibyl  ). Ce qui est parfait pour son rôle de femme-flic. Et, comme souvent, aussi, cela la rend crédible pour jouer ces personnages qui s’accrochent à une vie qui leur échappe. Elle a encore ce pouvoir de laisse poindre le néant dans le regard et d’en faire un départ intermittent. Il est peut-être imminent. Mais c’est peut-être aussi une impression que l’on a trop exagérée.

 

Si l’on s’en tenait à sa seule présence, le personnage de Virginie suffirait. Mais Anne Fontaine a tenu à la doter de désirs alors que l’on est plutôt habitué à voir des femmes flics comme des êtres a-menstrués mais aussi très rarement désirables.

C’est à travers le personnage de Virginie, qu’Anne Fontaine passe pour exprimer sa sensation que l’expulsion d’un ( corps) étranger, cela revient à avorter. 

Aristide/ Omar Sy

Il est un peu « étonnant » qu’Anne Fontaine ait choisi Omar Sy, plutôt que Grégory Gadebois, pour développer la voie sentimentale du personnage de Virginie/Virginie Efira. Je fais bien-sûr un peu d’humour. Car dans d’autres films, Grégory Gadebois a aussi connu de très belles histoires d’amour. (Je repense à Angèle et Tony, réalisé en 2011 par Alix Delaporte).

 

Depuis le succès d’Intouchables, Omar Sy est un peu l’équivalent d’un  boxeur devenu champion du monde poids-lourds par K.O et par accident. Sa carrière n’est plus la même depuis. Son nom, aussi, qui apparaît en premier sur l’affiche du film.

 

Omar Sy a fait d’autres films depuis Intouchables. Et je ne les ai pas tous vus. J’avais bien aimé Yao

Yao).

 

Mais j’ai tendance à attendre de lui qu’il se « salisse » dans ses rôles. Qu’il soit moins ce boxeur qui danse avec les angles et qu’il se transforme – parfois- en cogneur. Bien-sûr, rien ne l’y oblige, que ce soit pour des raisons personnelles ou morales. Ou, simplement, quant à sa façon de gérer sa carrière. Je ne suis pas son agent. Et il sait bien mieux que moi comment choisir ses rôles. Et, heureusement, aussi, qu’il n’a pas compté sur moi pour toutes les décisions lui important le plus. D’autant qu’il y a un certain nombre d’acteurs qui restent toujours du « bon » côté lorsqu’ils choisissent leurs rôles.

 

Si je ne me trompe, Patrick Bruel avait refusé le premier rôle que Cyril Collard lui avait proposé dans son film Les Nuits fauves (1992) réalisé d’après son propre livre. Un film qui avait finalement créé la polémique ( Collard est mort du Sida quelques jours avant la cérémonie des Césars. Son film avait obtenu plusieurs prix) mais aussi eu beaucoup de succès :

Dans le film, Collard – alors que nous étions en pleine épidémie du sida- y révélait avoir eu des relations sexuelles multiples sans se prémunir du risque de contamination mais aussi en exposant ses partenaires.

  Le succès du film avait néanmoins plutôt contribué à bien lancer la carrière  l’actrice Romane Bohringer.

Même si cette anecdote date de l’âge de la poussière, il y a plein d’histoires plus récentes où des acteurs, pour soigner leur image ou afin d’éviter une éventuelle polémique, refusent des rôles. Le réalisateur et scénariste Abdel Raouf Dafri avait par exemple expliqué que l’acteur qu’il avait au départ sollicité pour le premier rôle de son premier film, Qu’un sang impur ( sorti le 22 janvier 2020) et qui relate la Guerre d’Algérie, avait préféré décliner l’offre. Par crainte de la polémique….

Qu’un sang impur…   Interview en apnée avec Abdel Raouf Dafri )

 

Par ailleurs, pour avoir croisé Omar Sy quelques secondes par hasard alors que je me rendais à une projection de presse qui n’avait rien à voir avec lui, je peux témoigner que celui-ci émet une simplicité et une telle sympathie immédiates (   )que je me sens un peu déplacé de parler de lui comme je viens de le faire. Mais je parle ici de l’acteur et de cinéma. Pas de l’être humain. Et je parle en tant que personne qui est allé voir un film et qui avait des exigences en allant voir ce film et les comédiens que sont Efira, Sy et Gadebois.

 

Omar Sy, « cogneur ».

 

Dans Police, il y a un moment où l’on entrevoit ce que ça pourrait donner, un Omar Sy, « cogneur ». Appelons, ce moment ou cette scène Je l’aime, moi, mon fils. Peut-être que lorsque Sy acceptera de se séparer un peu plus de sa pudeur et de sa prudence dans un film, qu’il nous donnera un peu plus, en tant qu’acteur noir (j’ai bien écrit « acteur noir ») de cette violence à l’écran.

Samuel Jackson, depuis des années (oui, je mets la barre très très haute en parlant de Samuel Jackson) nous donne de la violence sur les écrans depuis des années. Et on en redemande. En tout cas, moi, j’en redemande. Pour moi, les deux meilleurs acteurs du Django Unchained de Tarantino (2012) sont de loin Samuel Jackson et Léonardo Dicaprio. Deux ordures dans le film, chacun à leur manière.

 

Dominique Blanc (je fais évidemment exprès de choisir cette actrice aussi au vu de son nom) avait pu dire dans une interview, à propos de Patrice Chéreau :

 

« J’aime sa violence…. ».

 

On parle évidemment d’une violence acceptée, endossable et comprise par des acteurs et des actrices. Et non d’une violence subie. L’athlète ou le pianiste qui répète ses enchaînements pendant des heures accepte une certaine violence afin d’être affûté pour la performance.  Lorsque l’athlète Marie-José Pérec, l’ancienne sprinteuse française, plusieurs fois championne olympique, faisait 1500 abdominaux par jour, c’était son choix. Parce qu’elle savait qu’elle devait aussi en passer par ça pour être dans une forme physique (ainsi que mentale) optimale.

 

C’est de cette violence-là dont je parle dans le jeu d’acteur d’Omar Sy. Mais j’en demande peut-être trop. Et peut-être que, finalement, c’est seulement à moi que je parle en parlant, ici, d’Omar Sy. Car, dans Police, il fait tout de même beaucoup.

 

 Omar Sy  prend beaucoup de risques dans Police :

Je l’ai réécrit : Je n’aimerais pas être flic en 2020. Or, tout le monde à peu près en France sait où  Omar Sy a grandi. En banlieue parisienne, à Trappes. Une ville connue depuis des années plutôt pour sa mauvaise réputation : délinquance, islamisme, drogues….

Même si des personnalités comme Jamel Debbouze  (qu’il connaît) ou le footballeur Anelka ont émergé de cet endroit, Trappes, ce n’est pas St-Germain en Laye, Le Vésinet ou La Celle Saint Cloud. Même si ces trois dernières villes se trouvent également dans les Yvelines.

 

Dans certaines banlieues et dans certains milieux, pas seulement populaires, être flic ou être copain des flics, c’est une tâche.

 

Question bavures policières, au faciès ou non, en tant que personne noire ayant grandi à Trappes, dans un milieu social plutôt modeste ou moyen, j’imagine facilement qu’Omar Sy, même s’il a le sourire, a dû « voir » ou entendre des choses qui mettent peu la police à son avantage. Et,  si je ne me trompe pas, il s’est plutôt engagé aux côtés d’Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré

 

On pourrait me dire que dans « l’Affaire Traoré », ce sont des gendarmes qui sont suspectés d’avoir fait une bavure. Et non des flics. D’accord.  Mais on parle de représentants de forces de l’ordre. Pour celles et ceux qui sont « anti-flics », flics et gendarmes, c’est souvent pareil.

 

Un rôle de Maturité et de nuances :

Or, Omar Sy accepte de jouer le rôle d’un flic comme il aurait sans doute pu accepter de jouer le rôle d’un gendarme.

Joey Starr a joué un flic dans Polisse. Sy, jeune de « la » banlieue, joue un rôle de flic. Et c’est un flic qui bénéficie de la délicatesse d’Omar Sy. De son élan vital et de son acuité mentale. Un flic, qui, au passage, en toute décontraction, combat les préjugés racistes. Ou, je devrais plutôt écrire :

 

« Qui continue de combattre les préjugés racistes ». Car Omar Sy n’a pas attendu ce rôle dans le film d’Anne Fontaine pour essayer de désamorcer bien des préjugés ( j’avais commencé à écrire des «conflits » au lieu de « préjugés ») racistes.

 

Dans les deux situations, que l’on parle de Joey Starr dans Polisse ou d’Omar Sy dans Police (il est temps que je rappelle qu’Anne Fontaine s’est inspiré du livre d’Hugo Boris pour son film), deux Personnalités différentes de tempérament,  de comportement, comme par leur style contribuent à donner une image plutôt favorable et nuancée de la police.

Et ces deux personnalités sont deux hommes noirs. Lesquels ont la quarantaine lorsqu’ils jouent un rôle de flic.  44 ans pour Joey Starr dans Polisse.  42 ans  pour Omar Sy lors de la sortie de Police.   

 

A cet âge, Joey Starr, comme Omar Sy, se sont insérés socialement. On pourrait même dire qu’ils ont plutôt (très) bien réussi socialement. Même si une carrière d’artiste reste aléatoire et que, mal gérée, celle-ci peut très mal et très vite s’achever.

 

Ce sont aussi deux personnes qui sont sûrement devenues pères. Et qui se sont peut-être ou sûrement faites plus nuancées : il arrive fréquemment que l’on raisonne un peu différemment lorsque l’on a quarante ans et que l’on est devenu père comparativement à l’époque ou on avait entre 15 et 25 ans et que l’on était sans enfant. Certaines expériences de la vie et certaines rencontres sont passées par là entre-temps.

 

Réussir

 

Jusqu’à un certain point, on a le choix :

 

Rester dans une description permanente de la destruction.  Tout sur-interpréter de ce qui vient des autres comme une menace. Etre obsédé par les autres. Participer à la destruction des autres et de soi, d’une part.

 

Ou, à un moment,  accepter de vivre, s’accepter un peu plus et accepter un peu plus les autres.

 

Je crois que Joey Starr et Omar Sy ont réussi parce qu’à un moment donné de leur vie, voire à plusieurs moments de leur vie, ils ont accepté de sortir de ce qu’ils connaissaient par cœur. Et qu’ils l’ont fait avec des personnes de confiance et au bon moment pour eux. Et pour leur époque.

 

Mais pour certaines sensibilités, réussir en s’éloignant de ce que l’on a connu, c’est s’embourgeoiser. C’est oublier ce que l’on a connu. C’est renier le passé. Son passé. Je crois que c’est plutôt le contraire. Même si on s’éloigne, on reste attaché à son passé et on s’en inspire pour aller plus loin. Comme une fusée qui décolle pour aller sur la lune.

 

Il est une question qu’Aristide/ Omar Sy pose à deux ou trois reprises : 

 » Mais, sur le terrain, je suis un bon flic ou pas ?! ». 

Peut-être que certains compatriotes verront dans cette question une tendance « banania » d’Omar Sy. Comme si Omar Sy se « prend pour un blanc ». Ce n’est pas du tout ce que je vois dans cette question. Dans cette question, je vois Omar Sy qui se pose cette question, même en tant qu’acteur :

 » Suis-je un bon acteur ?! » ( puisque je suis un autodidacte….).

Ma réponse, en tant que spectateur, est oui ! Même si la première et la dernière personne la plus compétente pour y répondre, c’est d’abord Omar Sy/ Aristide. Sur le terrain.

 

Ce qui nous amène à l’autre symbole auquel touche Omar Sy dans le film.

 

 

La Femme blanche

Dans Police, Omar Sy touche à la femme blanche. Or, il n’y a pas plus femme blanche, en couleur de peau, face à un homme noir….qu’une femme blonde.   Cette remarque pourra paraître banale pour certaines personnes. Mais je continue de penser qu’en 2020, les relations mixtes, multiculturelles, ou multiconfessionnelles et multiraciales (appelons ça comme on le veut) restent très difficiles à adopter pour bien des personnes en France. Sans parler des relations multi-genres. Et pas uniquement au sein des électrices et des électeurs du Rassemblement National, ex Front National. J’invite à voir ou à revoir le film Un Français réalisé par Diastème en 2014 pour se faire une idée d’un certain état d’esprit au sein des tenants de l’Extrême droite. Je reste encore étonné par le niveau de connaissance de son film concernant une certaine extrême droite.

 

Omar Sy traverse donc plusieurs murs à travers son rôle de flic. D’une certaine façon, avec sa tenue de flic, il réalise plusieurs infractions à certains codes comme à une certaine « morale » :

 Il réhabilite le flic. Le flic attentif à son prochain. Et il rencontre la femme blanche. Une femme mariée et mère de famille.

 

Il ne la rencontre pas façon «  Vas- y Francky, c’est bon ! » cliché qui sous-entend que tous les hommes noirs ont le sang chaud et le sexe dans la peau au même titre que la musique. Ce qui serait bien commode pour entretenir le cliché de l’homme noir chaud lapin et monté «  pour ça ».

 

 Aristide/ Omar Sy rencontre la femme blanche comme cela peut arriver pour n’importe qui sans aucune discrimination de couleur, de religion ou de classe sociale ou de sexe. Comme dans la vraie vie.  Au travail, lieu de rencontre parmi d’autres. Cela va peut-être changer avec le développement du télétravail depuis la pandémie du Covid-19 et la priorité qui a été redonnée à l’économie et à la rentabilité, mais, pour l’instant, le travail reste un lieu de rencontres et de variables humaines.  Comme l’école, le club de sport, le cercle d’amis, les voyages, les associations ou les sites de rencontres.

 

Et l’on comprend dans le film que, même si Virginie et Aristide sont deux opposés sur bien des plans, qu’ils peuvent se rejoindre sur certaines valeurs communes d’autant que la Terre est ronde. Et si A part d’un endroit opposé à B sur la Terre, A et B peuvent néanmoins finir par se rejoindre. Sourire.

 

Moralement, dans la vie réelle, beaucoup de personnes, en France, et ailleurs, ne sont pas libres par rapport à ce que Police montre à ce sujet.  D’ailleurs, ce rapprochement de corps ( A et B)  que l’on voit dans le film entre Virginie Efira et Omar Sy reste rare dans le cinéma français encore en 2020. Et au théâtre comme en danse classique, c’est encore pire. Pourtant, nous sommes dans le pays dont la capitale est surnommée « La Ville lumière ».

Pour parodier un vieux sketch de Philippe Noiret (où il incarnait Louis XIV) face à  Jean-Pierre Darras, à voir les résistances robustes et assez artificielles devant le métissage dans bien des réalisations culturelles françaises, on a de quoi trouver ces résistances « Lu-gubres ! ».

 

 

EriK/ Grégory Gadebois :

Si Aristide/ Omar Sy et Virginie/ Virginie Efira déversent la folie et la lumière sur la toile du film, Erik/ Grégory Gadebois, lui, est le lugubre de l’histoire. Mais c’est un lugubre à la Gadebois. C’est à dire, un flic qui, au départ, a beaucoup contre lui. Obèse, hyper-rigide. Une tête de cerbère plus que de complice. Autoritaire. Sans humour.

En plus, c’est l’alcoolique refoulé du trio. Refoulé par qui et par quoi ? On ne sait pas. Mais personne ne lui volera sa femme.

Erik est aussi un homme de Devoir et droit. Comme Aristide et Virginie. S’il devait avoir une religion, Erik serait peut-être protestant. On n’est pas là pour rigoler.

 

Gadebois ne fait rien de très nouveau dans ce film. Mais un peu comme Jean-Pierre Bacri, si on aime son amertume vigilante, on aura à nouveau de quoi faire le plein dans Police.

 

 

Le réalisme du film

 

 

Le film est-il réaliste ? Il est quand même bien renseigné sur le quotidien des policiers. Certains commentaires et certaines anecdotes concernant les conditions de travail des policiers ne viennent pas de nul part. Et c’est pareil pour leurs trucs et leurs astuces pour décompresser en rentrant du travail.

 

Tohirov, l’acteur Payman Maadi, et Virginie ( Virginie Efira).

 

Tohirov/ Payman Maadi d’un point A à un Point B

Tohirov, «  l’étranger » originaire du Tadjikistan que Virginie, Erik et Aristide sont chargés de transporter d’un « point A à un point B » est interprété par l’acteur Payman Maadi.

L’acteur Payman Maadi rend très  bien la peur de son personnage. Et si ses comportements sembleront peut-être « débiles » ou invraisemblables, il est sûrement le personnage le plus réaliste du film à mon avis vu ce qu’il a vécu dans son pays. La torture.

 

 

En parlant de réalisme, je profite de cette partie de l’article pour (re)faire la promotion de la très bonne série française Engrenages qui va bientôt se terminer. Et dont « l’impopularité », en France, m’a toujours étonné chaque fois que j’ai parlé de cette série policière.

 

J’en profite à nouveau pour écrire qu’avant Engrenages, citée de manière légitime comme une très bonne série par bien des critiques, il y avait eu la série Police District  (2000-2003) crééé par Hugues Pagan, ancien flic et très bon auteur de polars.  Police District est une série encore plus oubliée qu’Engrenages, alors qu’elle bénéficie, aussi, d’une bonne charge de réalisme de l’époque où elle avait été réalisée. Ainsi que de bons acteurs. Dont Oliver Marchal, Francis Renaud, Rachid Djaïdani, Sara Martins….

 

La série Braquo, plus connue, doit beaucoup au moins à la série Police District.

 

Ensuite, pour conclure à propos du film d’Anne Fontaine, il y a bien-sûr une certaine part romanesque.   Optimiste. Et plaisante. 

 

Cet article est le 200ème que j’écris pour mon blog balistiqueduquotidien.com. J’espère qu’il vous a plu.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 11 septembre 2020.

 

 

 

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Le Bonheur

 

                                                                 Le Bonheur

Je suis un père exigeant. Très exigeant. Sûrement psychorigide par certains côtés. A grande tendance obsessionnelle. Mais on peut faire confiance en ma mémoire concernant  mes travers :

Je suis aussi exigeant avec moi-même. Si je connais et vis des périodes de répit, il est bien des moments où mon esprit me poursuit de ses morsures et de ses critiques à propos de ce que j’ai mal fait. De ce que j’aurais pu mieux faire. Ou de celui que je ne suis pas assez. Ou de celui que je ne suis que trop.

 

Et puis, il y a des trêves comme en ce moment. Les trêves ne durent pas. C’est le principe des trêves.

 

Les mômes ont la particularité de régulièrement nous faire sortir du passage clouté de nos programmes et de nos pensées. Ils nous font aussi sortir de nos gonds. Soit de par leurs initiatives. Ou de par leurs demandes.

 

Alors que j’écris, ma fille et moi sommes en plein bonheur depuis plusieurs minutes. Elle, dans la cabane qu’elle s’est construite (sous une table) et moi qui ai fini de prendre mon petit-déjeuner.

 

Ce bonheur a une musique : l’album MBO LOZA de l’artiste malgache D’Gary. Un album de plus emprunté à la médiathèque il  y a plusieurs semaines et que j’ai découvert seulement ce matin. Je l’ai mis tout à l’heure après que ma fille ait commencé à jouer, après son petit-déjeuner. Il y avait pourtant eu un peu de tension entre elle et moi après son petit-déjeuner :

 

Elle, assise par terre : « Je n’ai pas bien compris ce que tu m’as dit… ».

Moi : «  Ce n’est pas grave car il n y a rien de nouveau ».

Elle, réfléchissant quelques secondes puis :

« Je n’aime pas me brosser les dents ! ».

Moi : « ça apporte quelque chose, ce que tu viens de dire ?! ».

Elle : « Non…. ».

 

Hier après-midi, pour la première fois depuis la rentrée, je suis allé la chercher à la sortie de l’école. Devant l’école, c’était un carnaval de masques anti-Covid attendant leurs enfants à la sortie de l’école maternelle et de l’école primaire.  Une Première pour une rentrée scolaire.

 

Evidemment, la distance de un mètre entre nous était impossible.

 

Parmi les personnes qui patientaient, il en était une minorité bravant les nouvelles normes sanitaires :

Deux ou trois personnes s’affirmaient à visage découvert sans masque. Dont le gardien de l’école, un jeune homme plutôt sympathique qui m’avait, quelques mois plus tôt alors que je l’avais rencontré dans la rue, exprimé son scepticisme quant à la nécessité de se protéger.

 

Enfin, quelques personnes persistaient à baisser leur masque sous leur nez. J’imagine que ces personnes avaient selon elles une bonne raison : du mal à respirer ; il fait chaud ; cela empêche de bien se faire comprendre lorsque l’on parle….

 

La veille, pourtant,  le footballeur Kylian M’Bappé, un des joueurs vedettes en France mais aussi dans le Monde, avait été déclaré forfait pour le prochain match de l’équipe de France car positif au Covid. Un sportif de haut niveau – très médiatisé- de plus touché par le Covid.

 

Face aux récalcitrants du masque, celles et ceux qui n’en portent pas, qui le portent mal ou gardent le même plusieurs jours de suite, j’adopte une attitude passive et spectatrice. Et, quand je peux, je m’en éloigne physiquement. Je n’ai pas beaucoup le choix. Les autres, aussi, nous font sortir du passage clouté de nos programmes et de nos pensées. Pour le pire comme pour le meilleur. Et sortir de nos gonds, dans ces moments-là, n’est pas forcément ce que nous avons de mieux à faire :

 

L’année scolaire vient de reprendre et je serai appelé à retourner chercher ma fille à la sortie de l’école encore un certain nombre de jours. Ailleurs, on a déjà entendu parler de personnes se faisant tabasser ou poignarder parce qu’elles avaient « osé » reprocher ou essayé de raisonner des personnes qui ne portaient pas de masque de prévention anti-Covid. J’estime qu’à moins d’avoir une personne qui me postillonne dessus, cela ne vaut pas la peine de prendre de tels risques. Comme on le voit, le bonheur est fragile. On attend son môme à la sortie de l’école. Parce qu’à côté de nous, l’attitude d’une personne n’est pas conforme, on pénètre dans son univers. Ce faisant, on la dérange comme un intrus. On la renforce dans son sentiment, déjà préétabli, que le Monde entier lui en veut personnellement. Il ou elle s’était déjà retenu(e) et avait pris sur elle ou sur lui mais, cette fois, avec vous, c’est la fois ou le jour de trop. Quelques minutes plus tard, au lieu d’avoir votre enfant dans les bras, vous vous retrouvez dans ceux du coma.

 

Certaines personnes pensent qu’il faut de la répression et tout ira mieux dans notre Monde. D’accord. Mais face à des personnes qui sont, déjà,  constamment, dans la dépression, la revendication, la destruction, la surinterprétation et dans l’obsession qu’il y a toujours quelqu’un, quelque part, qui leur en veut ( et leur entourage proche pense généralement comme eux), la répression peut se transformer en wagons de poudrière.

 

 

J’écris ça aujourd’hui. Mais peut-être que dans quelques jours, ou dans quelques semaines, j’aborderai une personne près de moi parce qu’elle porte mal son masque ou qu’elle n’en n’a pas sur elle.

 

 

Alors que ma fille joue dans son coin, je sais l’importance qu’il y a à pouvoir générer son propre monde et à s’y pelotonner. Parce-que je me rappelle de ces moments-là, enfant, et qu’adulte, j’en vis encore. Ce sont des moments auxquels on tient. Sans doute sacrés. Et qu’il convient de protéger ou de ne pas déranger. Ces personnes qui, comme moi, attendent leurs enfants à la sortie de l’école, ont leur propre conception du bonheur. C’était déjà comme ça avant les masques anti-Covid. Le Covid, tout ce qui l’entoure, lui ressemble ou en découle, rajoute plus de colère et d’inquiétude quant à la possibilité  d’être privé de bonheur comme d’en être déjà tenu éloigné alors que l’année scolaire vient seulement de commencer.

 

Franck Unimon, ce mercredi 9 septembre 2020.

 

 

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Apnée Ecologie Interview

Interview des apnéistes Julie Gautier et Guillaume Néry en 2016

Cette interview de Julie Gautier et Guillaume Néry a été réalisée le 17 Mai 2016 lors d’un stage d’apnée. Je faisais partie des stagiaires et c’était mon second stage d’apnée ( le premier avait été animé par Umberto Pelizzari). C’était aussi avant que je ne m’inscrive dans un club d’apnée.

L’interview a été réalisée pendant la pause-déjeuner. Nous avions eu de la chance car nous avions obtenu assez peu de temps avant le début du stage l’accord de Julie Gautier et de Guillaume Néry (après avoir obtenu l’accord préalable de Fabrice Rolland qui supervise les lieux) pour cette interview.

Je m’y étais pris un peu à la dernière minute pour envisager cette interview. Quelques jours avant le début du stage, j’avais exprimé à Eddy ( Eddy Brière) mon envie de la faire. Eddy, qui avait déja rencontré le couple, m’avait encouragé à la faire.

 Eddy, beaucoup plus calé que moi pour tout ce qui concerne l’image, la réalisation et le montage, s’était occupé de toute la partie technique de l’interview. Je suis crédité à la réalisation et au montage parce-que j’ai participé et que j’étais à l’initiative du projet mais c’est vraiment par gentillesse de la part d’Eddy. 

En Mai 2016, mon blog, balistiqueduquotidien.com n’existait pas. Ce soir, je me suis dit que ce serait bien d’y « rapatrier » cette interview et de la faire redécouvrir. Car je suis très content de ce que nous avions réalisé.

Franck Unimon, ce lundi 7 septembre 2020. 

 

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Croisements/ Interviews

Chercher son chemin

                                                Chercher son chemin

Chercher son chemin, cela arrive à tout le monde. Dans le métro. Sur la route. Dans un magasin. Sur le net. Dans une administration.

 

Je demande facilement mon chemin aux gens. Je préfère encore ça à une application. Lorsque je suis piéton.

 

Je renseigne aussi assez facilement les autres lorsque je le peux.

 

Il y a quelques semaines, alors que je reviens de la boulangerie près de chez moi, un homme m’aborde. La quarantaine ou la cinquantaine, il s’exprime difficilement en Français. Il me montre son téléphone portable. Sur l’écran, je vois une adresse. Le nom de la rue me dit quelque chose. Mais je ne suis pas sûr. Machinalement, je lis en bas de l’écran :

 

« 100 euros pour 30 minutes. Fellation, massage, cunni…. ». C’est tout ce que j’ai retenu.

 

Lorsque je relève la tête, je reste bien-sûr maitre de moi-même. Face à moi, l’homme est resté  impassible. Il ne me fait pas penser à un rabatteur. Ni à un adepte des plans à trois. Et encore moins à un humoriste.

 

Il me fait penser à un travailleur loin de son pays qui a trouvé ce « plan » pour s’évader de son ordinaire. Un ordinaire, ici, qui doit être très éloigné de ce qui peut faire rêver dans le pays de la «ville-lumière ».

 

J’essaie de faire comprendre à cet homme que je suis désolé. Je ne suis pas certain de savoir où se trouve cette rue. L’homme me remercie et continue. Il a sans doute montré son téléphone portable à d’autres personnes sur son chemin.

 

Quelques jours plus tard

 

Quelques jours plus tard, je consulte un médecin du sport. Je lui demande s’il connaît un bon médecin acupuncteur. Oui. Il me remet la carte de quelqu’un qu’il connaît. Je prends la carte.

 

Plus tard, je vais sur le site de ce médecin acupuncteur. Seule façon de prendre rendez-vous avec elle. Il y a aussi une photo d’elle. C’est plutôt une jolie femme sur la photo. C’est son droit.

 

Mais le tarif est le même : 100 euros pour 30 minutes.

 

Franck Unimon, lundi 7 septembre 2020.

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Crédibilité Croisements/ Interviews

Conocido y conocido

 

                                              Conocido y  conocido

Beaucoup voudraient changer de vie. Puis, ils se figent.

 

Lui, il avait pris les choses en main. Il avait quitté son pays. Interpellé à Paris, sans papiers, inoffensif, il avait été relâché. Il n’avait pas démérité. Il était parti retrouver son père en Allemagne.

Détecté alors qu’il marchait le long de la voie ferrée dans le Val d’Oise, il avait été emmené à l’hôpital puis dans le service où je travaillais alors.

 

L’ambassade de son pays avait été contactée. Un de ses représentants s’était déplacé.

 

Au début, plusieurs collègues voulaient l’accompagner pour le rapatrier dans son pays, du côté de Séville. Mais, par moments, même si assez peu de collègues parlaient sa langue natale, elles comprenaient à sa façon de « cracher » les mots qu’il pouvait tenir des propos orduriers. Et qu’il pouvait, aussi, avoir un comportement inélégant.

 

J’avais donc pu l’accompagner en prenant l’avion avec lui.  Même si, au préalable, à l’aéroport, la fantaisie des réservations ou de l’administration m’avait révélé qu’il était  prévu de nous séparer. Moi en première classe et lui en seconde. Ou le contraire.

 

Après quelques explications, on avait bien voulu nous mettre ensemble. En Première.

 

Lorsque l’on nous avait proposé du champagne, il avait tenté sa chance en m’interrogeant poliment du regard. J’avais refusé. L’alcool et certains traitements sont antagonistes. Il avait accepté.

 

Le vol, de deux ou trois heures, s’était bien déroulé. A notre arrivée, l’infirmier en soins psychiatriques et lui s’étaient aussitôt reconnus. Auprès de lui, il avait alors arboré la mine de l’animal domestique tout content de retrouver une connaissance familière.

 

Interrogé, l’infirmier m’avait répondu en Espagnol :

 

« Conocido y  conocido ». Connu comme le loup blanc. A ses côtés, le patient avait approuvé par un petit sourire tendre de connivence.

 

J’avais ensuite passé deux ou trois jours délicieux à Séville.

 

C’est avec cette histoire en tête que j’ai été volontaire récemment  pour accompagner une patiente à l’aéroport afin qu’elle s’en retourne chez elle, en Corée….

 

Franck Unimon, lundi 7 septembre 2020.

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Puissants Fonds/ Livres

Dany Laferrière-Tout bouge autour de moi

 

                            Dany Laferrière – Tout bouge autour de moi  

« Une secousse de magnitude 7.3 n’est pas si terrible. On peut encore courir. C’est le béton qui a tué. Les gens ont fait une orgie de béton ces cinquante dernières années. De petites forteresses. Les maisons en bois et en tôle, plus souples, ont résisté. Dans les chambres d’hôtel souvent exigües, l’ennemi c’est le téléviseur. On se met toujours en face de lui. Il a foncé droit sur nous. Beaucoup de gens l’ont reçu sur la tête » (chapitre Les projectiles, page 14 de Tout bouge autour de moi, paru en 2011).

 

Passer sa vie en mer

 

Passer sa vie en mer, c’est passer une certaine partie de son temps à voir des empires se former, s’écrouler et recommencer. Naviguer, c’est être l’aiguille qui peut être amenée à devoir passer au travers du tamis de ces empires. Mais avant même d’arriver jusqu’à la mer, nos histoires personnelles seront nos premiers empires. Nous y passerons tous et ce sera à nous de trouver de multiples façons et de multiples prises afin de passer au travers de leurs rouleaux en évitant le Ippon fatal qui nous laissera à terre.

La lecture du livre Le Monde comme il me parle d’Olivier de Kersauson est encore là. Je vous en ai parlé il y a quelques jours ( Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle). Sa lecture a été après celle du livre de Dany Laferrière. Mais les deux livres se retrouvent. Laferrière et Kersauson ont des univers communs. Et, moi, je suis ici l’aiguille qui va essayer de coudre ces univers ensemble. Et en plus court que je ne l’ai fait pour le livre de Kersauson.

 

L’écrivain Dany Laferrière

 

Dany Laferrière, Haïtien né à Haïti, obligé de s’exiler pour raisons politiques, a vécu des années (où il vit peut être encore) au Québec. Au Québec, il a lu tous les auteurs québecois en activité. Membre de l’Académie Française- depuis décembre 2013- écrivain reconnu et adapté plusieurs fois au cinéma ( Comment faire l’Amour avec un Nègre sans se fatiguer (1989) avec Isaac de Bankolé, Vers le Sud  réalisé en 2005 par Laurent Cantet avec Charlotte Rampling), Prix Médicis en 2009, Dany Laferrière était dans un restaurant à Haïti quand la Terre y a tremblé le 12 janvier 2010.

 

Une histoire personnelle de tremblement

 

C’est l’histoire personnelle de ce tremblement qu’il nous raconte, par des chapitres courts, dans Tout bouge autour de moi où il navigue à travers ce qu’il voit et reste d’Haïti comme parmi ses souvenirs.  Fils du pays, comme cela peut être bien décrit dans son L’Enfant du pays ( très bien restitué par Arthur H et Nicolas Repacdans l’album L’Or Noir ) il sillonne les états de sa famille de ses amis intellectuels ( dont Frankétienne…) et d’inconnus. Ainsi que le traitement humanitaire et médiatique du séisme. Page 60 :

« (….). Le photographe Ivanoh Demers la talonne. Lui semble plutôt gêné. (….) Ses photos ont été reprises dans les journaux du monde entier. Et son émouvante photo du jeune garçon qui tourne son regard vers nous, avec un mélange de douleur et de gravité, restera longtemps dans notre mémoire. La lumière douce qui éclaire son visage fait penser à la peinture flamande. Pourtant, le photographe semble déchiré entre cette soudaine célébrité et la ville détruite- l’un n’allant pas sans l’autre. Il n’a pas à se sentir mal. Sa photo du jeune garçon au regard si doux restera ».

 

A une autre extrémité de la célébrité

Dans ce paragraphe, nous sommes aux antipodes de cette quête de « célébrité » de tous les instants sur les réseaux sociaux, à la télé ainsi que dans ses dérivés ( Ma vie en réalité). Néanmoins, derrière chaque célébrité que nous « suivons » ou regardons, il y a peut-être aussi l’équivalent d’une ville qui se forme, se détruit et se remonte indéfiniment. Le tout est de ne pas faire partie des décombres et des encombrants.

 

Cadavres et atelier de digestion

 

Il y a quelques cadavres dans le livre de Dany Laferrière. Et ce ne sont ni des bouteilles d’alcool, ni des merveilles d’alcôve.

Son chapitre Les projectiles décrit assez techniquement un tremblement de terre. Mais le chiffre de la magnitude pourrait correspondre au calibre d’une balle et nous pourrions très bien être dans le début d’un polar. Cadavres et viscères font partie des quelques points communs- et vitaux- qu’il peut y avoir entre le récit que Laferrière nous fait de ce tremblement et un polar.

 

D’ailleurs, Tout bouge autour de moi débute dans un restaurant, page 11, extrait du chapitre La minute :

 

« Me voilà au restaurant de l’hôtel Karibe avec mon ami Rodney Saint-Eloi, éditeur de Mémoire d’encrier, qui vient d’arriver de Montréal. Au pied de la table, deux grosses valises remplies de ses dernières parutions. J’attendais cette langouste ( sur la carte, c’était écrit homard) et Saint-Eloi, un poisson gros sel. J’avais déjà entamé le pain quand j’ai entendu une terrible explosion. Au début j’ai cru percevoir le bruit d’une mitrailleuse (certains diront un train), juste dans mon dos. En voyant  passer les cuisiniers en trombe, j’ai pensé qu’une chaudière venait d’exploser. Tout cela a duré moins d’une minute. On a eu huit à dix secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit ou rester (….) ».  

 

 

Après la nourriture, le plus souvent, commence la partition de la digestion.  La digestion peut faire penser à un tremblement sauf que celui-ci est routinier et imperceptible. On s’en préoccupe généralement lorsque ça ne passe pas. Lorsque ça ne pousse pas. Quand notre digestion est montée sur ressort hydraulique et nous désopercule de manière incontrôlée par le haut ou par le bas.

 

Cet ouvrage de Laferrière ressemble à un atelier de digestion de l’événement. Comme tout événement. Mais celui-ci se matérialise et s’impose plus que d’autres comme une  expérience hypertonique de tremblement intime, page 43, extrait du chapitre Le Court métrage :

 

« Si je repasse souvent dans ma tête ces minutes qui précèdent l’explosion c’est parce qu’il est impossible de revivre l’événement lui-même. Il nous habite trop intimement. (….)C’est un moment éternellement présent. On se rappelle l’instant d’avant dans les moindres détails. (….) A partir de 16h53, notre mémoire tremble ».

 

Une expérience traumatique et traumatisante

 

Le tremblement de terre d’Haïti peut faire passer à toute expérience traumatique et traumatisante : attentat, assassinat, viol, accident, décès soudain d’un proche, confinement.

Mais  le tremblement de terre peut aussi faire penser à un soulèvement populaire. Comme celui des gilets jaunes. Ou dans les cités. Le titre du livre me rappelle aussi le court métrage Ce Chemin devant moi réalisé- en 2012- par Hamé et Ekoué ( du groupe de Rap La Rumeur) avec l’acteur Reda Kateb dans le rôle principal. L’acteur Slimane Dazi fait aussi partie du casting.

 

 

C’est aussi pour ces quelques raisons que Tout bouge autour de moi peut nous parler de manière rapprochée. Et aussi nous guider.

 

 

A un moment, Laferrière nous raconte que le tremblement ne passe pas. Lors d’une scène, quelques jours plus tard, où il croit que le tremblement reprend. Alors que tout va « bien » et que ce sont seulement  ses jambes, qui portent encore la mémoire, lourde, du tremblement, qui se mettent soudainement à flageoler.

 

Les Choses :

 

Son court paragraphe sur Les Choses, page 19, vaut aussi davantage que sa lecture :

 

« L’ennemi n’est pas le temps mais toutes ces choses qu’on a accumulées au fil des jours. Dès qu’on ramasse une chose on ne peut plus s’arrêter. Car chaque chose appelle une autre. C’est la cohérence d’une vie. On retrouvera des corps près de la porte. Une valise à côté d’eux ».

 

Parmi les décombres, les attraits du livre

 

 

Parmi ses attraits, le livre est simple à lire. Dans son quotidien. Et il est bâti sur la vie sans éluder certaines tragédies.

 

Je suis étonné, que parmi les intellectuels qu’il connaît et qu’il cite, le réalisateur haïtien engagé, Raoul Peck, ne soit jamais mentionné vu qu’ils doivent être à peu près du même âge. Mais Haïti a sans doute beaucoup plus d’histoires et de personnes à nommer qu’elle ne compte de kilomètres carrés. Laferrière souligne la très grande créativité de la culture haïtienne dont je suis un témoin mémoriel au travers de la musique Konpa qui a rythmé une partie de mon enfance mais aussi de certaines de mes vacances en Guadeloupe.

 

Avec le Brésil, Haïti fait partie de ces deux destinations dont j’ai eu envie depuis des années mais où je n’ai jamais osé aller. Par appréhension de la violence. Le livre de Laferrière m’a beaucoup donné envie d’aller à Haïti. Malgré ce tremblement de terre. Alors que nous sommes encore en pleine période de Covid. Et je ne vois dans cette envie aucune parenté avec la folie. C’est peut-être le plus étonnant. Mais je sais aussi que, parfois, ou souvent, seuls les gens fous survivent voire vivent véritablement en passant au travers des empires qui s’écroulent.

 

Franck Unimon, ce lundi 7 septembre 2020.

 

 

 

 

                     

 

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Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

 

                    Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

« Le plaisir est ma seule ambition ».

 

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson, Le Monde comme il me parle,  c’est presque se dévouer à sa propre perdition. C’est comme faire la description de notre dentition de lait en décidant que cela pourrait captiver. Pour beaucoup, ça manquera de sel et d’exotisme. Je m’aperçois que son nom parlera spontanément aux personnes d’une cinquantaine d’années comme à celles en âge d’être en EHPAD.

 

Kersauson est sûrement assez peu connu voire inconnu du grand public d’aujourd’hui. Celui que j’aimerais concerner en priorité avec cet article. Je parle du public compris grosso modo entre 10 et 35 ans. Puisque internet et les réseaux sociaux ont contribué à abaisser l’âge moyen du public lambda. Kersauson n’est ni Booba, ni Soprano, ni Kenji Girac. Il n’est même pas le journaliste animateur Pascal Praud, tentative de croisement tête à claques entre Donald Trump et Bernard Pivot, martelant sur la chaine de télé Cnews ses certitudes de privilégié. Et à qui il manque un nez de clown pour compléter le maquillage.

 

Le Mérite

 

Or, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus guidés par et pour la dictature de l’audience et du like. Il est plus rentable de faire de l’audience que d’essayer de se faire une conscience.  

 

Que l’on ne me parle pas du mérite, héritage incertain qui peut permettre à d’autres de profiter indéfiniment de notre crédulité comme de notre « générosité » ! Je me rappelle toujours de cette citation que m’avait professée Spock, un de mes anciens collègues :

 

« Il nous arrive non pas ce que l’on mérite mais ce qui nous ressemble ».

Une phrase implacable que je n’ai jamais essayé de détourner ou de contredire.

 

Passer des heures sur une entreprise ou sur une action qui nous vaut peu de manifestations d’intérêt ou pas d’argent revient à se masturber ou à échouer. 

Cela équivaut à demeurer  une personne indésirable.

Si, un jour, mes articles comptent plusieurs milliers de lectrices et de lecteurs, je deviendrai une personne de « valeur ».  Surtout si ça rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent. Quelles que soient l’originalité ou les vertus de ce que je produis.

 

Mais j’ai beaucoup de mal à croire à cet avenir. Mes écrits manquent par trop de poitrine, de potins, d’images ad hoc, de sex-tapes, de silicone et de oups ! Et ce n’est pas en parlant de Kersauson aujourd’hui que cela va s’améliorer. Kersauson n’a même pas fait le nécessaire pour intégrer  l’émission de téléréalité Les Marseillais !

 

Rien en commun

 

Mais j’ai plaisir à écrire cet article.

 

Kersauson et moi n’avons a priori rien à voir ensemble. Il a l’âge de mon père, est issu de la bourgeoisie catholique bretonne. Mais il n’a ni l’histoire ni le corps social (et autre) de mon père et de ma mère. Même si, tous les deux, ont eu une éducation catholique tendance campagnarde et traditionnelle. Ma grand-mère maternelle, originaire des Saintes, connaissait ses prières en latin.  

 

Kersauson a mis le pied sur un bateau de pêche à l’âge de quatre ans et s’en souvient encore. Il a appris « tôt » à nager, sans doute dans la mer, comme ses frères et soeurs.

Je devais avoir entre 6 et 9 ans lorsque je suis allé sur mon premier bateau. C’était dans le bac à sable à côté de l’immeuble HLM où nous habitions en banlieue parisienne. A quelques minutes du quartier de la Défense à vol d’oiseau.

 

J’ai appris à nager vers mes dix ans dans une piscine. Le sel et la mer pour lui, le chlore et le béton pour moi comme principaux décors d’enfance.

 

Moniteur de voile à 13 ans, Kersauson enseignait le bateau à des parisiens (sûrement assez aisés) de 35 à 40 ans. Moi, c’est plutôt vers mes 18-20 ans que j’ai commencé à m’occuper de personnes plus âgées que moi : c’était des patients  dans les hôpitaux et les cliniques. Changer leurs couches, vider leur  bassin, faire leur toilette, prendre soin d’eux….

 

J’ai pourtant connu la mer plus tôt que certains citadins. Vers 7 ans, lors de mon premier séjour en Guadeloupe. Mais si, très tôt, Kersauson est devenu marin, moi, je suis un ultramarin. Lui et moi, ne sommes pas nés du même côté de la mer ni pour les mêmes raisons.

La mer a sûrement eu pour lui, assez tôt, des attraits qui ont mis bien plus de temps  à me parvenir.  Je ne vais pas en rajouter sur le sujet. J’en ai déjà parlé et reparlé. Et lui, comme d’autres, n’y sont pour rien.

 

Kersauson est né après guerre, en 1944, a grandi dans cette ambiance (la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam) et n’a eu de cesse de lui échapper.

Je suis né en 1968. J’ai entendu parler des guerres. J’ai vu des images. J’ai entendu parler de l’esclavage. J’ai vu des images. J’ai plus connu la crise, la peur du chômage, la peur du racisme, l’épidémie du Sida, la peur d’une guerre nucléaire, les attentats. Et, aujourd’hui, le réchauffement climatique, les attentats, les serres d’internet, l’effondrement, le Covid.

 

Kersauson, et moi, c’est un peu la matière et l’antimatière.

 

En cherchant un peu dans la vase

 

Pourtant, si je cherche un peu dans la vase, je nous trouve quand même un petit peu de limon en commun.

L’ancien collègue Spock que j’ai connu, contrairement à celui de la série Star Trek, est Breton.

C’est pendant qu’il fait son service militaire que Kersauson, Breton, rencontre Eric Tabarly, un autre Breton.

 

C’est pendant mon service militaire que j’entends parler pour la première fois de Kersauson. Par un étudiant en psychologie qui me parle régulièrement de Brautigan, de Desproges et de Manchette sûrement. Et qui me parle de la culture de Kersauson lorsque celui-ci passe aux Grosses Têtes de Bouvard. Une émission radiophonique dont j’ai plus entendu parler que je n’ai pris le temps de l’écouter.

 

Je crois que Kersauson a bien dû priser l’univers d’au moins une de ces personnes :

Desproges, Manchette, Brautigan.

 

Pierre Desproges et Jean-Patrick Manchette m’ont fait beaucoup de bien à une certaine période de ma vie. Humour noir et polar, je ne m’en défais pas.

 

C’est un Breton que je rencontre une seule fois (l’ami de Chrystèle, une copine bretonne de l’école d’infirmière)  qui m’expliquera calmement, alors que je suis en colère contre la France, que, bien que noir, je suis Français. J’ai alors entre 20 et 21 ans. Et je suis persuadé, jusqu’à cette rencontre, qu’il faut être blanc pour être Français. Ce Breton, dont j’ai oublié le prénom, un peu plus âgé que moi, conducteur de train pour la SNCF, me remettra sur les rails en me disant simplement :

« Mais…tu es Français ! ».

C’était à la fin des années 80. On n’entendait pas du tout  parler d’un Eric Zemmour ou d’autres. Il avait beaucoup moins d’audience que depuis quelques années. Lequel Eric Zemmour, aujourd’hui, a son trône sur la chaine Cnews et est la pierre philosophale de la Pensée selon un Pascal Praud. Eric Zemmour qui se considère fréquemment comme l’une des personnes les plus légitimes pour dire qui peut être Français ou non. Et à quelles conditions. Un de ses vœux est peut-être d’être le Montesquieu de la question de l’immigration en France.

 

Dans son livre, Le Monde comme il me parle, Kersauson redit son attachement à la Polynésie française. Mais je sais que, comme lui, le navigateur Moitessier y était tout autant attaché. Ainsi qu’Alain Colas. Deux personnes qu’il a connues. Je sais aussi que Tabarly, longtemps célibataire et sans autre idée fixe que la mer, s’était quand même  acheté une maison et marié avec une Martiniquaise avec laquelle il a eu une fille. Même s’il a fini sa vie en mer. Avant d’être repêché.

 

Ce paragraphe vaut-il à lui tout seul la rédaction et la lecture de cet article ? Toujours est-il que Kersauson est un inconnu des réseaux sociaux.

 

Inconnu des réseaux sociaux :

 

 

 

Je n’ai pas vérifié mais j’ai du mal à concevoir Kersauson sur Instagram, faisant des selfies ou téléchargeant des photos dénudées de lui sur OnlyFans. Et il ne fait pas non plus partie du décor du jeu The Last of us dont le deuxième volet, sorti cet été,  une des exclusivités pour la console de jeu playstation, est un succès avec plusieurs millions de vente.

 

Finalement, mes articles sont peut-être trop hardcore pour pouvoir attirer beaucoup plus de public. Ils sont peut-être aussi un peu trop « mystiques ». J’ai eu cette intuition- indirecte- en demandant à un jeune récemment ce qu’il écoutait comme artistes de Rap. Il m’a d’abord cité un ou deux noms que je ne connaissais pas. Il m’avait prévenu. Puis, il a mentionné Dinos. Je n’ai rien écouté de Dinos mais j’ai entendu parler de lui. J’ai alors évoqué Damso dont j’ai écouté et réécouté l’album Lithopédion (sorti en 2018) et mis plusieurs de ses titres sur mon baladeur.  Le jeune m’a alors fait comprendre que les textes de Damso étaient en quelque sorte trop hermétiques pour lui.

Mais au moins Damso a-t’il des milliers voire des millions de vues sur Youtube. Alors que Kersauson…. je n’ai pas fouillé non plus- ce n’est pas le plus grave- mais je ne vois pas Kersauson avoir des milliers de vues ou lancer sa chaine youtube. Afin de nous vendre des méduses (les sandales en plastique pour la plage) signées Balenciaga ou une crème solaire bio de la marque Leclerc.

 

J’espère au moins que « Kersau », mon Bernard Lavilliers des océans, est encore vivant. Internet, google et wikipédia m’affirment que « oui ». Kersauson a au moins une page wikipédia. Il a peut-être plus que ça sur le net. En écrivant cet article, je me fie beaucoup à mon regard sur lui ainsi que sur le livre dont je parle. Comme d’un autre de ses livres que j’avais lu  il y a quelques années, bien avant l’effet « Covid».

 

L’effet « Covid »

 

Pourvu, aussi, que Kersauson se préserve du Covid.  Il a 76 ans cette année. Car, alors que la rentrée (entre-autre, scolaire)  a eu lieu hier et que bien des personnes rechignent à continuer de porter un masque (dont le très inspiré journaliste Pascal Praud sur Cnews), deux de mes collègues infirmières sont actuellement en arrêt de travail pour suspicion de covid. La première collègue a une soixantaine d’années. La seconde, une trentaine d’années. Praud en a 54 si j’ai bien entendu. Ou 56.

Un article du journal  » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 2 septembre 2020.

 

Depuis la pandémie du Covid-19, aussi appelé de plus en plus « la Covid », la vente de livres a augmenté. Jeff Bezos, le PDG du site Amazon, premier site de ventes en ligne, (aujourd’hui, homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 200 milliards de dollars selon le magazine Forbes US  cité dans le journal Le Canard Enchaîné de ce mercredi 2 septembre 2020) n’est donc pas le seul à avoir bénéficié de la pandémie du Covid qui a par ailleurs mis en faillite d’autres économies.

 

Donc, Kersauson, et son livre, Le Monde comme il me parle, auraient pu profiter de « l’effet Covid ». Mais ce livre, celui dont j’ai prévu de vous parler, est paru en 2013.

 

Il y a sept ans.  C’est à dire, il y a très très longtemps pour beaucoup à l’époque.

 

Mon but, aujourd’hui, est de vous parler d’un homme de 76 ans pratiquement inconnu selon les critères de notoriété et de réussite sociale typiques d’aujourd’hui. Un homme qui a fait publier un livre en 2013.

Nous sommes le mercredi 2 septembre 2020, jour du début du procès des attentats de Charlie Hebdo et de L’Hyper Cacher.

 

 

Mais nous sommes aussi le jour de la sortie du film Police d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois. Un film que j’aimerais voir. Un film dont je devrais plutôt vous parler. Au même titre que le film Tenet de Christopher Nolan, sorti la semaine dernière. Un des films très attendus de l’été, destiné à relancer la fréquentation des salles de cinéma après leur fermeture due au Covid. Un film d’autant plus désiré que Christopher Nolan est un réalisateur reconnu et que l’autre grosse sortie espérée, le film Mulan , produit par Disney, ne sortira pas comme prévu dans les salles de cinéma. Le PDG de Disney préférant obliger les gens à s’abonner à Disney+ (29, 99 dollars l’abonnement aux Etats-Unis ou 25 euros environ en Europe) pour avoir le droit de voir le film. Au prix fort, une place de cinéma à Paris peut coûter entre 10 et 12 euros.

 

 

Tenet, qui dure près de 2h30,  m’a contrarié. Je suis allé le voir la semaine dernière. Tenet est selon moi la bande annonce des films précédents et futurs de Christopher Nolan dont j’avais aimé les films avant cela. Un film de James Bond sans James Bond. On apprend dans Tenet qu’il suffit de poser sa main sur la pédale de frein d’une voiture qui file à toute allure pour qu’elle s’arrête au bout de cinq mètres. J’aurais dû m’arrêter de la même façon avant de choisir d’aller le regarder. Heureusement qu’il y a Robert Pattinson dans le film ainsi que Elizabeth Debicki que j’avais beaucoup aimée dans Les Veuves réalisé en 2018 par Steve McQueen.

 

Distorsions temporelles

 

Nolan affectionne les distorsions temporelles dans ses films. Je le fais aussi dans mes articles :

 

 

En 2013, lorsqu’est paru Le Monde comme il me parle de Kersauson, Omar Sy, un des acteurs du film Police, sorti aujourd’hui,  était déjà devenu un « grand acteur ».

Grâce à la grande audience qu’avait connue le film Intouchables réalisé en…2011 par Olivier Nakache et Eric Toledano. Près de vingt millions d’entrées dans les salles de cinéma seulement en France. Un film qui a permis à Omar Sy de jouer dans une grosse production américaine. Sans le succès d’Intouchables, nous n’aurions pas vu Omar Sy dans le rôle de Bishop dans un film de X-Men (X-Men : Days of future past réalisé en 2014 par Bryan Singer).

 

J’ai de la sympathie pour Omar Sy. Et cela, bien avant Intouchables. Mais ce n’est pas un acteur qui m’a particulièrement épaté pour son jeu pour l’instant. A la différence de Virginie Efira et de Grégory Gadebois.

Virginie Efira, d’abord animatrice de télévision pendant une dizaine d’années, est plus reconnue aujourd’hui qu’en 2013, année de sortie du livre de Kersauson.

J’aime beaucoup le jeu d’actrice de Virginie Efira et ce que je crois percevoir d’elle. Son visage et ses personnages ont une allure plutôt fade au premier regard : ils sont souvent le contraire.

Grégory Gadebois, passé par la comédie Française, m’a « eu » lorsque je l’ai vu dans le Angèle et Tony réalisé par Alix Delaporte en 2011. Je ne me souviens pas de lui dans Go Fast réalisé en 2008 par Olivier Van Hoofstadt.

 

Je ne me défile pas en parlant de ces trois acteurs.

 

Je continue de parler du livre de Kersauson. Je parle seulement, à ma façon, un petit peu du monde dans lequel était sorti son livre, précisément.

 

Kersauson est évidemment un éminent pratiquant des distorsions temporelles. Et, grâce à lui, j’ai sans doute compris la raison pour laquelle, sur une des plages du Gosier, en Guadeloupe, j’avais pu être captivé par les vagues. En étant néanmoins incapable de l’expliquer à un copain, Eguz, qui m’avait surpris. Pour lui, mon attitude était plus suspecte que d’ignorer le corps d’une femme nue. Il y en avait peut-être une, d’ailleurs, dans les environs.

 

Page 12 de Le Monde comme il me parle :

 

« Le chant de la mer, c’est l’éternité dans l’oreille. Dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie, j’entends des vagues qui ont des milliers d’années. C’est frappant. Ce sont des vagues qui brisent au milieu du plus grand océan du monde. Il n y  a pas de marée ici, alors ces vagues tapent toujours au même endroit ».

 

Tabarly

 

A une époque, adolescent, Kersauson lisait un livre par jour. Il le dit dans Le Monde comme il me parle.

 

J’imagine qu’il est assez peu allé au cinéma. Page 50 :

 

« (….) Quand je suis démobilisé, je reste avec lui ( Eric Tabarly). Evidemment. Je tombe sur un mec dont le seul programme est de naviguer. Il est certain que je n’allais pas laisser passer ça ».

 

Page 51 :

 

«  Tabarly avait, pour moi, toutes les clés du monde que je voulais connaître. C’était un immense marin et, en mer, un homme délicieux à vivre ».

 

Page 54 :

« C’est le temps en mer qui comptait. Et, avec Eric, je passais neuf mois de l’année en mer ».

 

A cette époque, à la fin des années 60, Kersauson avait 23 ou 24 ans. Les virées entre « potes » ou entre « amies » que l’on peut connaître dans les soirées ou lors de certains séjours de vacances, se sont déroulées autour du monde et sur la mer pour lui. Avec Eric Tabarly, référence mondiale de la voile.

 

Page 51 :

 

« (…..) Il faut se rendre compte qu’à l’époque, le monde industriel français se demande comment aider Eric Tabarly- tant il est créatif, ingénieux. Il suscite la passion. C’est le bureau d’études de chez Dassault qui règle nos problèmes techniques ! ».

 

 

Le moment des bilans

 

 

Il est facile de comprendre que croiser un mentor comme Tabarly à 24 ans laisse une trace. Mais Kersauson était déjà un ténor lorsqu’ils se sont rencontrés. Il avait déja un aplomb là ou d’autres avaient des implants. Et, aujourd’hui, en plus, on a besoin de tout un tas d’applis, de consignes et de protections pour aller de l’avant.

J’avais lu Mémoires du large, paru en Mai 1998 (dont la rédaction est attribuée à Eric Tabarly) quelques années après sa mort. Tabarly est mort en mer en juin 1998.

 Tabarly était aussi intraitable que Kersauson dans son rapport à la vie. Kersauson écrit dans Le Monde comme il me parle, page 83 :

«  Ce qui m’a toujours sidéré, chez l’être humain, c’est le manque de cohérence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait (…). J’ai toujours tenté de vivre comme je le pensais. Et je m’aperçois que nous ne sommes pas si nombreux dans cette entreprise ».

 

Tabarly avait la même vision de la vie. Il  l’exprimait avec d’autres mots.

 

Que ce soit en lisant Kersauson ou en lisant Tabarly, je me considère comme faisant partie du lot des ruminants. Et c’est peut-être aussi pour cela que je tiens autant à cet article. Il me donne sans doute l’impression d’être un petit peu moins mouton même si mon intrépidité sera un souvenir avant même la fin de la rédaction de cet article.

 

« Différence entre la technologie et l’esclavage. Les esclaves ont pleinement conscience qu’ils ne sont pas libres » affirme Nicholas Nassim Taleb dont les propos sont cités par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving ( Pourquoi on devient accro et comment se libérer), page 65.

 

Un peu plus loin, le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction, terme qui n’a été employé par aucun des intervenants, hier, lors du « débat » animé par Pascal Praud sur Cnews à propos de la consommation de Cannabis. Comme à propos des amendes qui seront désormais infligées automatiquement à toute personne surprise en flagrant délit de consommation de cannabis :

D’abord 135 euros d’amende. Ou 200 euros ?

En écoutant Pascal Praud sur Cnews hier ( il a au moins eu la sincérité de confesser qu’il n’avait jamais fumé un pétard de sa vie)  la solution à la consommation de cannabis passe par des amendes dissuasives, donc par la répression, et par l’autorité parentale.

 

Le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction (page 68 de son livre) :

 

«  Un usage répété malgré les conséquences négatives ». 

 

Donc, réprimer ne suffira pas à endiguer les addictions au cannabis par exemple. Réprimer par le porte-monnaie provoquera une augmentation des agressions sur la voie publique. Puisqu’il faudra que les personnes addict ou dépendantes se procurent l’argent pour acheter leur substance. J’ai rencontré au moins un médecin addictologue qui nous a dit en formation qu’il lui arrivait de faire des prescriptions de produits de substitution pour éviter qu’une personne addict n’agresse des personnes sur la voie publique afin de leur soutirer de l’argent en vue de s’acheter sa dose. On ne parlait pas d’une addiction au cannabis. Mais, selon moi, les conséquences peuvent être les mêmes pour certains usagers de cannabis.

 

Le point commun entre une addiction (avec ou sans substance) et cette « incohérence » par rapport à la vie que pointe un Kersauson ainsi qu’un Tabarly avant lui, c’est que nous sommes très nombreux à maintenir des habitudes de vie qui ont sur nous des « conséquences négatives ». Par manque d’imagination. Par manque de modèle. Par manque de courage ou d’estomac. Par manque d’accompagnement. Par manque d’estime de soi. Par Devoir. Oui, par Devoir. Et Par peur.

 

La Peur

On peut bien-sûr penser à la peur du changement. Comme à la peur partir à l’aventure.

 

Kersauson affirme dans son livre qu’il n’a peur de rien. C’est là où je lui trouve un côté Bernard Lavilliers des océans. Pour sa façon de rouler des mécaniques. Je ne lui conteste pas son courage en mer ou sur la terre. Je crois à son autorité, à sa détermination comme ses très hautes capacités d’intimidation et de commandement.

 

Mais avoir peur de rien, ça n’existe pas. Tout le monde a peur de quelque chose, à un moment ou à un autre. Certaines personnes sont fortes pour transcender leur peur. Pour  s’en servir pour accomplir des actions que peu de personnes pourraient réaliser. Mais on a tous peur de quelque chose.

 

Kersauson a peut-être oublié. Ou, sûrement qu’il a peur plus tardivement que la majorité. Mais je ne crois pas à une personne dépourvue totalement de peur. Même Tabarly, en mer, a pu avoir peur. Je l’ai lu ou entendu. Sauf que Tabarly, comme Kersauson certainement, et comme quelques autres, une minorité, font partie des personnes (femmes comme hommes, mais aussi enfants) qui ont une aptitude à se reprendre en main et à fendre leur peur.

 

Je pourrais peut-être ajouter que la personne qui parvient à se reprendre alors qu’elle a des moments de peur est plus grande, et sans doute plus forte, que celle qui ignore complètement ce qu’est la peur. Pour moi, la personne qui ignore la peur s’aperçoit beaucoup trop tard qu’elle a peur. Lorsqu’elle s’en rend compte, elle est déjà bien trop engagée dans un dénouement qui dépasse sa volonté.

 

Cette remarque mise à part, je trouve à Kersauson, comme à Tabarly et à celles et ceux qui leur ressemblent une parenté évidente avec l’esprit chevaleresque ou l’esprit du sabre propre aux Samouraï et à certains aventuriers. Cela n’a rien d’étonnant.

 

L’esprit du samouraï

 

Dans une vidéo postée sur Youtube le 13 décembre 2019, GregMMA, ancien combattant de MMA, rencontre Léo Tamaki, fondateur de l’école Kishinkai Aikido.

 

GregMMA a rencontré d’autres combattants d’autres disciplines martiales ou en rapport avec le Combat. La particularité de cette vidéo (qui compte 310 070 vues alors que j’écris l’article) est l’érudition de Léo Tamaki que j’avais entrevue dans une revue. Erudition à laquelle GregMMA se montre heureusement réceptif. L’un des attraits du MMA depuis quelques années, c’est d’offrir une palette aussi complète que possible de techniques pour se défendre comme pour survivre en cas d’agression. C’est La discipline de combat du moment. Même si le Krav Maga a aussi une bonne cote.  Mais, comme souvent, des comparaisons se font entre tel ou telle discipline martiale, de Self-Défense ou de combat en termes d’efficacité dans des conditions réelles.

 

Je ne donne aucun scoop en écrivant que le MMA attire sûrement plus d’adhérents aujourd’hui que l’Aïkido qui a souvent l’ image d’un art martial dont les postures sont difficiles à assimiler, qui peut faire penser «  à de la danse » et dont l’efficacité dans la vie réelle peut être mise en doute  :

 

On ne connaît pas de grand champion actuel dans les sports de combats, ou dans les arts martiaux, qui soit Aïkidoka. Steven Seagal, c’est au cinéma et ça date des années 1990-2000. Dans les combats UFC, on ne parle pas d’Aïkidoka même si les combattants UFC sont souvent polyvalents ou ont généralement cumulé différentes expériences de techniques et de distances de combat.

 

Lors de cet échange avec GregMMA, Léo Tamaki confirme que le niveau des pratiquants en Aïkido a baissé. Ce qui explique aussi en partie le discrédit qui touche l’Aïkido. Il explique la raison de la baisse de niveau :

 

Les derniers grands Maitres d’Aïkido avaient connu la Guerre. Ils l’avaient soit vécue soit en étaient encore imprégnés. A partir de là, pour eux, pratiquer l’Aïkido, même si, comme souvent, ils avaient pu pratiquer d’autres disciplines martiales auparavant, devait leur permettre d’assurer leur survie. C’était immédiat et très concret. Cela est très différent de la démarche qui consiste à aller pratiquer un sport de combat ou un art martial afin de faire « du sport », pour perdre du poids ou pour se remettre en forme.

 

Lorsque Kersauson explique au début de son livre qu’il a voulu à tout prix faire de sa vie ce qu’il souhaitait, c’était en réponse à la Guerre qui était pour lui une expérience très concrète. Et qui aurait pu lui prendre sa vie.

Lorsque je suis parti faire mon service militaire, qui était encore obligatoire à mon « époque », la guerre était déjà une probabilité éloignée. Bien plus éloignée que pour un Kersauson et les personnes de son âge. Même s’il a vécu dans un milieu privilégié, il avait 18 ans en 1962 lorsque l’Algérie est devenue indépendante. D’ailleurs, je crois qu’un de ses frères est parti faire la Guerre d’Algérie.

 

On retrouve chez lui comme chez certains adeptes d’arts martiaux , de self-défense ou de sport de combat, cet instinct de survie et de liberté qui l’a poussé, lui, à prendre le large. Quitte à perdre sa vie, autant la perdre en  choisissant de faire quelque chose que l’on aime faire. Surtout qu’autour de lui, il s’aperçoit que les aînés et les anciens qui devraient être à même de l’orienter ont dégusté (Page 43) :

« Bon, l’ancien monde est mort. S’ouvre à moi une période favorable (….). J’ai 20 ans, j’ai beaucoup lu et je me dis qu’il y a un loup dans la combine :

Je m’aperçois que les vieux se taisent, ne parlent pas. Et comme ils ont fait le trajet avant, ils devraient nous donner le mode d’emploi pour l’avenir, mais rien ! Ils sont vaincus. Alors, je sens qu’il ne faut surtout pas s’adapter à ce qui existe mais créer ce qui vous convient ».

 

Nous ne vivons pas dans un pays en guerre.

 

Jusqu’à maintenant, si l’on excepte le chômage,  certains attentats et les faits divers, nous avons obtenu une certaine sécurité. Nous ne vivons pas dans un pays en guerre. Même si, régulièrement, on nous parle « d’embrasement » des banlieues, « d’insécurité » et «  d’ensauvagement » de la France. En tant que citoyens, nous n’avons pas à fournir un effort de guerre en dehors du territoire ou à donner notre vie dans une armée. En contrepartie, nous sommes une majorité à avoir accepté et à accepter  certaines conditions de vie et de travail. Plusieurs de ces conditions de vie et de travail sont discutables voire insupportables.

Face à cela, certaines personnes développent un instinct de survie légal ou illégal. D’autres s’auto-détruisent ( par les addictions par exemple mais aussi par les accidents du travail, les maladies professionnelles ou les troubles psychosomatiques). D’autres prennent sur eux et se musèlent par Devoir….jusqu’à ce que cela devienne impossible de prendre sur soi. Que ce soit dans les banlieues. Dans certaines catégories socio-professionnelles. Ou au travers des gilets jaunes.  

 

Et, on en revient à la toute première phrase du livre de Kersauson.

 

Le plaisir est ma seule ambition

 

J’ai encore du mal à admettre que cette première phrase est/soit peut-être la plus importante du livre. Sans doute parce-que je reste moins libre que Kersauson, et d’autres, question plaisir.

 

Plus loin, Kersauson explicite aussi la nécessité de l’engagement et du Devoir. Car c’est aussi un homme d’engagement et de Devoir.

 

Mais mettre le plaisir au premier plan, ça délimite les Mondes, les êtres, leur fonction et leur rôle.

 

Parce- qu’il y a celles et ceux qui s’en remettent au mérite – comme certaines religions, certaines éducations et certaines institutions nous y entraînent et nous habituent- et qui sont prêts à accepter bien des sacrifices. Sacrifices qui peuvent se révéler vains. Parce que l’on peut être persévérant (e ) et méritant ( e) et se faire arnaquer. Moralement. Physiquement. Economiquement. Affectivement. C’est l’histoire assez répétée, encore toute récente, par exemple, des soignants comme on l’a vu pendant l’épidémie du Covid. Ainsi que l’histoire d’autres professions et de bien des gens qui endurent. Qui prennent sur eux. Qui croient en une Justice divine, étatique ou politique qui va les récompenser à la hauteur de leurs efforts et de leurs espoirs.

 

Mais c’est aussi l’histoire répétée de ces spectateurs chevronnés que nous sommes tous plus ou moins de notre propre vie. Une vie que nous recherchons par écrans interposés ou à travers celle des autres. Au lieu d’agir. Il faut se rappeler que nous sommes dans une société de loisirs. Le loisir, c’est différent du plaisir.

 

Le loisir, c’est différent du plaisir

 

 

Le loisir, ça peut être la pause-pipi, la pause-cigarette ou le jour de formation qui sont accordés parce-que ça permet ensuite à l’employé de continuer d’accepter des conditions de travail inacceptables.

 

Ça peut aussi consister à laisser le conjoint ou la conjointe sortir avec ses amis ou ses amies pour pouvoir mieux continuer de lui imposer notre passivité et notre mauvaise humeur résiduelle.

 

C’est les congés payés que l’on donne pour que les citoyens se changent les idées avant la rentrée où ils vont se faire imposer, imploser et contrôler plus durement. Bien des personnes qui se prendront une amende pour consommation de cannabis seront aussi des personnes adultes et responsables au casier judiciaire vierge, insérées socialement, payant leurs impôts et effectuant leur travail correctement. Se contenter de les matraquer à coups d’amende en cas de consommation de cannabis ne va pas les inciter à arrêter d’en consommer. Ou alors, elles se reporteront peut-être sur d’autres addictions plus autorisées et plus légales (alcool et médicaments par exemple….).

 

Le plaisir, c’est l’intégralité d’un moment, d’une expérience comme d’une rencontre. Cela a à voir avec le libre-arbitre. Et non avec sa version fantasmée, rabotée, autorisée ou diluée.

 

Il faut des moments de loisirs, bien-sûr. On envoie bien nos enfants au centre de loisirs. Et on peut y connaître des plaisirs.

 

Mais dire et affirmer «  Le plaisir est ma seule ambition », cela signifie qu’à un moment donné, on est une personne libre. On dépend alors très peu d’un gouvernement, d’un parti politique, d’une religion, d’une éducation, d’un supérieur hiérarchique. Il n’y a, alors, pas grand monde au dessus de nous. Il s’agit alors de s’adresser à nous en conséquence. Faute de quoi, notre histoire se terminera. Et chacun partira de son côté dans le meilleur des cas.

 

Page 121 :

 

« Je suis indifférent aux félicitations. C’est une force ».

 

Page 124 :

 

« Nos contemporains n’ont plus le temps de penser (….) Ils se sont inventé des vies monstrueuses dont ils sont responsables-partiellement ». Olivier de Kersauson.

 

 

Article de Franck Unimon, mercredi 2 septembre 2020.

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Echos Statiques

Refaire le match

 

Refaire le match

 

Le match et son enjeu sportif me sont totalement passés au dessus de la tête. J’étais au travail lorsqu’il a eu lieu. Mais j’aurais néanmoins pu en voir des images. Aujourd’hui, nous avons tout ce qu’il faut à notre disposition pour faire le plein d’images. Il n’y a rien de plus facile que de trouver un réservoir à images en accès libre et illimité.

 

Lorsque mon collègue médecin a eu fini de regarder le match, je n’ai même pas pensé à lui en parler. J’étais concentré sur ma lecture du livre de Kersauson, Le Monde comme il me parle. Tout en me postant à un endroit stratégique pour repérer l’adolescent qui viendrait éventuellement se présenter devant la porte de la chambre de sa dulcinée.

 

On peut avoir des idées suicidaires,  des pensées et des humeurs incertaines entre la psychose et la névrose, un trauma personnel, se scarifier quelques fois et avoir une libido en bonne et due forme. Comme connaître des moments d’appartenance à l’adolescence la plus frondeuse et la plus insouciante. C’est la vie.

 

Mais c’est aussi notre responsabilité d’adultes et de soignants de nous assurer que le service ne se confonde pas avec un foyer où se pratiquerait la fécondation in vivo. Nous pourrions être bien embarrassés si, un jour, une adolescente quittait le service en étant enceinte de quelques semaines ou de plusieurs jours.

 

Ce serait dommage d’attraper un torticolis

 

J’ai vu les images du résultat du match le lendemain matin. Du match de Foot Bayern de Munich contre le PSG de Neymar et M’Bappé. Je ne parle pas ici du match sportif qui oppose spermatozoïdes et ovocytes. 

 

C’était pendant ma séance de kiné.

Mon kiné a vu que j’étais happé par les images qui ont suivi le résultat du match ainsi que par les commentaires sur Cnews.  Il m’a alors proposé de m’installer en face de la télé. Il m’a dit :

« Ce serait dommage que vous attrapiez un torticolis. Et que je vous soigne ensuite pour un torticolis».

Le sensationnel et le répétitif

 

Je pense beaucoup de mal de cette télé allumée en permanence dans cette grande salle de rééducation Open space. D’autant qu’elle est braquée sur la chaine Cnews qui fait beaucoup dans le sensationnel et le répétitif. Le sensationnel angoissant. Même s’il sort de ce que je vois de cette chaîne de télé une certaine vérité, elle prend les événements d’une telle façon que son traitement de l’info agit comme un tord-boyaux :

 

Diarrhée et pensées suspectes vous encombrent après l’avoir regardée. Parce-que vous avez peur ou êtes en colère.

Beaucoup est fait sur cette chaine pour avoir peur ou être en colère. Pour donner la part belle à tout ce qui peut faire peur ou mettre en colère.

 

Une chaine de télé commotionnelle

 

«  La peur fait vendre » ai-je lu récemment. Il suffit de regarder Cnews pour en avoir une idée. On dira que je la considère comme une chaine commotionnelle.

 

C’est plutôt particulier, dans un cabinet de kiné où l’on s’occupe de rééducation, d’avoir choisi de planter Cnews , chaine commotionnelle, presque constamment.

 

Cependant, Cnews m’a permis ce matin-là de découvrir des images que, sans doute, la majorité des autres patients, soit chez eux, soit sur leur téléphone portable toujours allumé pendant leur séance, avaient déjà vues.

 

Je n’ai pas la télé. Et si je l’avais, je ne regarderais pas les « informations ».

Après avoir regardé les « informations » chez mes parents pendant des années, j’en suis arrivé à me convaincre que le but des « informations » est souvent de faire peur, d’inquiéter ou de mettre en colère. Il se trouve très peu de recul et de perspective dans le journal des « informations ». La priorité semble être de fournir régulièrement des « nouvelles » qui créent un malaise, un suspense, du sensationnel. Pas de faire évoluer les mentalités. Pas d’apprendre aux gens à relativiser, à nuancer ou à mieux comprendre les événements exposés.

 

Les journaux d’informations ne préparent pas à la vie

 

 On a compris : pour moi, bien des journaux d’informations ne préparent pas à la vie. Ils préparent plutôt aux anxiolytiques et aux antidépresseurs, aux guerres et à l’armement (toutes sortes d’armements et toutes sortes de guerres) comme à la méfiance voire au racisme envers ses contemporains. Et je regarderais donc des journaux d’informations, certains journaux d’informations, (et d’intimidation) pour ça ?!

Des images de casse près des Champs Elysées

 

J’ai donc « vu » ces images de casse près des Champs Elysées. J’ai entendu certaines réactions. De Michel Onfray, le philosophe médiatique, qui constate que le gouvernement passe à tabac les gilets jaunes lorsque ceux-ci manifestent. Mais qu’il laisse faire lorsque des délinquants cassent. Parce-que le gouvernement a «  peur ». Et, de ce fait, la situation empire.

 

Sur le plateau de télé de CNews, j’ai perçu le même élan et les mêmes remontrances, en général, envers le gouvernement. Celui-ci est trop mou et trop complaisant envers «  la racaille ». D’autres parlent « d’ensauvagement ». De « sauvageons ». Une autre personne a parlé, aussi, de certains jeunes « issus de l’immigration ». Une autre personne encore, qui représentait- évidemment- le Rassemblement National ( ex- Front National) a mis cette violence sur le compte d’une immigration trop importante et mal contrôlée.

 

Les images montrées et remontrées de jeunes qui cassent des voitures. De jeunes qui se filment. De jeunes qui, fièrement, se montrent défiant l’Autorité et, sans doute, la République française, sont éloquentes.

 

Plainte pour « non assistance à personnes en danger »

 

Les témoignages de victimes (voitures cassées, vitrines de magasins brisées), sont tout autant incontestables. De même que leur grand sentiment de vulnérabilité, de colère et d’impuissance. Dans le 8ème arrondissement de Paris, je crois, plainte a été déposée contre l’Etat pour « non assistance à personnes en danger ».

 

Débat sur Cnews

 

Sur CNews, une certaine majorité des intervenants, le journaliste animateur en tête, estime qu’il faut réprimer. Qu’il faut une tolérance zéro. Qu’il n’y a qu’en France qu’on laisse faire ça ! Qu’il existe un sentiment d’impunité chez ces « racailles ». l’Etat  français est responsable de ce sentiment d’impunité des « racailles ». l’Etat français ne fait rien parce-qu’il a « peur » ! Peur d’une bavure policière.  l’Etat français veut ou croit acheter la « paix sociale » en laissant faire ces « casseurs » !

 

Tout en faisant ma rééducation, j’ai écouté et regardé ça, en veillant à ne pas me faire mal. A bien expirer lors de l’effort. A bien respirer. Je n’ai eu, alors, aucun avis particulier en prime abord. Cela fait des années que nous assistons à des scènes de violence en France. Cela fait des années que l’on parle de « racailles » et de « sauvageons ». Il y a des saisons où on en parle davantage. Ainsi que des événements qui forcent le passage vers la première place des sujets traités dans les média.

 

Désolé pour les victimes

Je suis évidemment désolé pour toutes les victimes directes ou indirectes de ces accès de violence.  Je ne vais pas non plus « excuser » toute cette casse. Mais lorsque je dis ça, je redis ce qui a déjà été dit depuis des années. Et ce que certains média se sont presque déja engagés à répéter lors des siècles suivants. Avant cela, dans 50 ans, devant certaines manifestations de violence, des média et des citoyens réclameront aussi encore plus de répression.

Plus de répression :

Certaines personnes considèrent qu’il faudrait plus de répression pour réduire ou éteindre ces accès de violence comme ceux qui ont suivi le match de Foot Bayern de Munich/ Le PSG.

 

Il faut bien-sûr une certaine répression. Si une personne casse, agresse, tue ou vole, la Loi doit pouvoir le freiner. Pour commencer. Ce qui signifie quand même répondre à la violence par une autre violence. La violence de l’Etat supposée être « bonne », « équitable »…et démocratique. Ce qui peut déjà faire un peu ricaner car on peut être un citoyen honnête au casier judiciaire vierge et irréprochable. Et avoir des doutes sur l’Etat français « bon », « équitable » et « démocratique ». Mais on s’en accommode assez facilement parce-que l’on sait aussi que dans d’autres pays, c’est pire. Ou que  ça peut être pire.

 

Il y a des Etats bien plus limités que l’Etat français lorsque l’on parle de « bonté », « d’équité » et de «démocratie ».

Je préfère vivre en France qu’en Afrique du Sud par exemple. Et je me rappelle encore d’un camarade de fac qui m’avait fait comprendre que lors d’un séjour aux Etats-Unis, autant, lui, pourrait passer facilement dans certains Etats parce qu’il était blanc. Autant, pour moi, ça pourrait se gâter parce-que je suis noir. Or, la police des Etats-Unis est selon moi plus frontale et bien plus agressive que la police française. Même sans homicide.

Une de mes copines de Fac, une belle eurasienne plutôt tranquille, m’avait raconté l’interpellation qu’elle et son copain (blanc) avaient connus aux Etats-Unis. Alors qu’ils visitaient en voiture….un parc national. Ils avaient eu droit à l’interpellation comme «  dans les films ». Mains sur le capot etc….Tout ça juste pour un contrôle de papiers.

Il y a quelques mois, un ami a fait un périple en voiture aux Etats-Unis avec un de ses fils. Il a pris la route du Blues. Un très beau séjour de plusieurs mois au cours duquel il a pu prendre de très belles photos. Cela a été plus fort que moi pendant son périple. Je me suis demandé si, moi, homme noir, j’aurais pu faire le même périple aux Etats-Unis. Sans connaître certains désagréments « causés » par ma seule couleur de peau. Je reste persuadé que j’aurais connu quelques difficultés à certains endroits.

L’Aveuglement

 

Ce qui m’ennuie avec la répression réclamée par ces personnes si sûres d’elles qu’elles se contentent de s’exprimer sur un plateau de télé ou à travers des média, c’est que la répression est aveugle. A l’aveuglement de ces personnes qui réclament plus de répression, correspond l’aveuglement de la répression.

 

Lorsque l’on devient une machine à répression, on ne fait plus dans le détail. Tout ce qui dépasse ou n’est pas dans les cases ou dans le protocole est bon pour la matraque, le clé de bras, les gaz lacrymogènes, le plaquage au sol ou le cercueil.

 

On tape d’abord. On réfléchit peut-être ensuite.

 

Il y a des fois où c’est bien-sûr comme ça qu’il faut agir. Et d’autres fois où ça sera inadéquat de réprimer pour réprimer.

 

 

Réprimer pour faire respecter la Loi dans l’instant, Oui. Tu casses une voiture, un endroit ou une personne, il est normal qu’on t’arrête. Si tu veux casser selon les règles, tu t’en prends à quelqu’un qui est prévenu, qui est d’accord pour te combattre, et, éventuellement, pour te casser aussi. Parce qu’il sait et peut se défendre. Si tu t’en prends à ton égal en matière de violence, cela peut être acceptable. Par contre, dans le cas de figure, où, en société, tu t’en prends à plus vulnérable que toi, il est normal que la Loi te reprenne. Parce-que nous sommes dans une démocratie. Et d’autres ajouteraient : Parce-que nous sommes dans une république et entre personnes civilisées.

 

Donc, au départ, réprimer des casseurs est justifié. Sauf qu’au sein des casseurs, les profils sont différents.

 

D’abord, il faudrait parler de l’effet de groupe.

 

L’effet de groupe

 

On peut parler de « racailles », de « sauvageons » et « d’ensauvagement » si on veut. Mais c’est selon moi très insuffisant. Il faut parler de l’effet de groupe. Je serais très curieux de savoir comment se comportent ces casseurs que nous avons aperçus à la télé dans la vie de tous les jours. Et lorsqu’ils sont seuls. On ne le saura jamais avec exactitude. Mais je m’attends à certaines surprises.

 

D’abord, on va parler des casseurs pour lesquels il est déjà « trop tard » pour espérer les réinsérer. Qu’ils soient meneurs dans la casse ou suiveurs.

 

Je vais rappeler ce que l’on sait déjà et qui, pourtant, est souvent oublié dans certains média depuis des dizaines d’années. Vous allez voir le scoop !

 

On ne naît pas casseur. On ne naît pas racaille. Et on ne naît pas violent sur la place publique. Je ne crois pas que beaucoup de parents aient dit de leur enfant délinquant :

« Dès sa naissance, déjà, il cassait tout dans son berceau  ! ».

 

Lorsque Simone de Beauvoir écrit «  On ne naît pas femme, on le devient », encore aujourd’hui, on trouve ça très sensé. Et on opine plutôt facilement de la tête. Mais, étonnamment, on n’applique pas ce raisonnement pour la « racaille » et les « casseurs ».

 

Les casseurs « endurcis »

 

Ceci pour dire que cela prend un certain temps pour devenir un « casseur » et une « racaille ». Quelques années. Et lors de ces manifestations de violence comme ce week-end, certains de ces casseurs sont déjà beaucoup trop engagés dans la violence.  Et leurs capacités d’insertion dans la société sont devenues proportionnellement si restreintes que les réprimer aura pour effet de les stopper provisoirement. Puis, de contribuer, comme une sorte de retour de flammes, à les radicaliser et à les enrager davantage contre la société.

 

Ces casseurs  » endurcis » ne sont pas seulement engagés dans la violence. Leur réputation au sein du groupe auquel ils se réfèrent et auquel ils appartiennent est aussi engagée. Avoir une réputation de «dur » au sein de certains groupes, c’est beaucoup plus valorisant et porteur que d’être celui ou celui sur qui tout le monde peut pisser et cracher. Et c’est aussi plus valorisant et porteur d’avoir une réputation de dur que d’aller pointer à Pole Emploi si l’on est sans travail. Ou si l’on a du mal à en trouver.

 

Ça peut aussi être plus valorisant et plus porteur d’avoir un CV de « dur » que d’accepter un emploi où l’on est en bas de l’échelle sociale et que l’on vous donne des ordres. C’est également plus valorisant d’être connu comme étant «  un dur »  que d’accepter de faire un travail où l’on s’ennuie.

 

Dans la vie de tous les jours, celles et ceux qui sont Rock and roll attirent les regards et le désir même s’ils s’attirent aussi des ennuis avec la justice et la santé. A côté, celles et ceux qui respectent toutes les lois, qui sont toujours « gentils » et « polis », apparaissent souvent fades. On les « aime bien » mais on ne recherche pas auprès d’eux le grand frisson….

 

 

Ces casseurs « endurcis » voire « émérites », au pire, seront des futurs candidats pour toutes sortes de délinquances, le grand banditisme ou le terrorisme. Au « mieux », ce seront des futurs dépressifs, des futurs alcooliques, des futurs toxicomanes (s’ils ne le sont pas déjà) ou de futurs suicidés.  Quand leur violence, qui leur sert  de bouclier et d’élan vital, s’effritera en se frottant de trop près à l’impuissance.

 

Quelques uns de ces casseurs « endurcis » peuvent s’en tirer, faire repentance et monter l’échelle sociale. Par exemple dans le milieu artistique et culturel. Ou peut-être en montant un commerce qui marche bien.  En se convertissant à une religion. En trouvant un emploi pérenne. Et ils peuvent être cités en exemple. Comme susciter beaucoup d’attirance au sein du « système » car ils ou elles sont hors norme. Ils ou elles sont si « spéciaux ». Ils sont revenus de tout. 

 

Mais pour des exceptions comme eux, combien de futurs braqueurs ? De futurs terroristes ? De futurs dépressifs ? De futurs macchabées  après une overdose, à la suite d’un accident de la route ou un règlement de comptes qui a mal tourné ?

 Ces chiffres-là, si on les connaît, on n’en veut pas sur la place publique. Parce-que l’on a « besoin » de « racailles », de « sauvageons » et « d’ensauvagement » pour s’enivrer de sensationnel. C’est presque aussi bon que la cocaïne et c’est légal.

 

C’est aussi pratique d’avoir des « sauvageons » et de la « racaille » pour pratiquer une certaine politique. Sur le plateau de Cnews, mais il n’était pas le seul, le représentant du Rassemblement National a été particulièrement bon élève pour réciter ses éléments de langage. Il avait très bien assimilé ses fiches mémo-techniques.   

 

Un effet paradoxal :

 

 

Réprimer et seulement réprimer ces casseurs « endurcis » a un effet paradoxal. Il faut bien-sûr les réprimer et les arrêter. Mais seulement et toujours les réprimer aura pour effet de les renforcer dans leurs accès de violence.

 

 C’est un travail très difficile d’accrocher humainement avec une personne violente. De croire en elle et de lui proposer des perspectives qui pourront, peut-être, après plusieurs années, lui permettre de préférer la vie en société à la violence. Il faut prendre le temps d’apprendre à la connaître. Avoir suffisamment de patience, d’empathie voire de sympathie pour elle malgré ce qu’elle a pu faire. Malgré ses limites, ses impatiences et ses moments de violence.

 

Il est sûrement beaucoup plus facile, et plus rapide, par contre, de parler sur un plateau de télé, ou ailleurs, et d’affirmer qu’il faut plus de répression. De la même façon qu’il y a des endurcis et des récidivistes de la « casse » et de la « violence », en face, il y a aussi des endurcis et des récidivistes qui exigent constamment « plus de répression ».

 

On voit la suite : l’escalade de part et d’autre. Plus de violence d’un côté et plus de répression de l’autre.

 

Mais il est vrai que certains casseurs endurcis sont sans doute déjà perdus pour la vie « normale » quoiqu’on puisse leur proposer. Parce-que c’est trop tard. Lorsqu’ils faisaient moins de bruit, moins de dégâts, et qu’ils étaient encore « récupérables », c’était là qu’il aurait fallu tenter de les aider à sortir d’une certaine violence.

 

Vorace :

 

 

Je le rappelle : je suis pour une certaine répression. Mais pas pour une répression totale comme semblent le réclamer et le fantasmer certaines personnes qui, à mon avis, déchanteraient si elles avaient à vivre dans la dictature qu’elles demandent à demi mot. Parce-que la répression que ces personnes exigent est vorace. Elle s’étendrait, aussi, à un moment ou à un autre, à des honnêtes citoyens. Car après l’avoir utilisée contre les « sauvageons » et les «  racailles », certaines de ses pratiques ayant fait leurs « preuves », il se trouverait et se trouveront des sensibilités et un certain Pouvoir pour les appliquer à une nouvelle catégorie de personnes. Mais avant d’en arriver là, il faudra d’abord en « finir » avec les casseurs.

 

 

Les casseurs « opportunistes » ou de passage :

 

Ce paragraphe me sera sûrement reproché. Car on aura peut-être –encore- le sentiment ou la conviction, en le lisant, que je cautionne les manifestations violentes récentes. Alors que je condamne ces violences. Mais voici ce que je crois :

On dit bien, « il faut que jeunesse se passe ». Ou «  Il faut que jeunesse se fasse ». On pourrait ironiser en écrivant :

 

«  Il faut plutôt que certaines jeunesses se cassent » ou « Il faut que certaines jeunesses se tassent ».

 

Il y a sûrement des personnes d’un âge adulte assez avancé (25-30 ans) parmi ces casseurs que l’on a aperçus dans ces quelques images montrées sur Cnews et ailleurs.

 

Mais je crois plutôt à des jeunes dont l’âge moyen se situe autour des 25 ans au maximum. Contrairement à la moyenne d’âge des gilets jaunes probablement plus élevée. Cependant, je n’ai pas de preuves. Je n’étais pas avec ces jeunes au moment des faits. Je ne les connais pas. Et je n’en n’ai rencontré aucun.

 

Mais j’ai été jeune. Je travaille avec des jeunes. Cela ne fait bien-sûr pas du tout  de moi la personne la plus efficiente. Cela ne fait pas non plus de moi un modèle d’ouverture et de sagesse.  Je peux être très rigide. Je ne suis pas toujours la personne la mieux inspirée au travail comme avec ma propre fille pour commencer.

 

Mais me rappeler encore un peu de ma jeunesse et travailler avec des jeunes me permet ou « m’aide» à revoir certaines particularités de cette période de vie comprise entre, disons, 14 et 25 ans. Parce que la rencontre, dans mon travail,  de jeunes différents, filles comme garçons, de milieux sociaux et de cultures variées, aux comportements divers, dans un certain nombre de circonstances me donne aussi des indices. Et entretient peut-être une certaine mémoire.

 

Une certaine mémoire d’une certaine « jeunesse »

 

Je « sais » ou me souviens que dans cette fourchette d’âge comprise entre 14 et 25 ans, pour schématiser, alors que se rapproche l’âge adulte, on  a peur.

 

Individuellement, on a peur de ne pas être à la hauteur de certaines responsabilités qui nous attendent. Quel que soit le profil que l’on a. Que l’on soit d’un bon milieu social ou non. Que l’on soit un bon élève ou non. Et notre norme de pensée de référence, c’est plutôt celle du groupe. Celle des copines et des copains de notre âge. Pas celle des adultes. Puisque l’on est adolescent ou jeune adulte. A moins, bien-sûr, d’avoir un adulte de référence, parent, éducateur ou autre. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et cet adulte de référence n’est pas toujours présent. Et on ne lui dit pas tout non plus. Lorsque vous étiez plus jeunes (je m’adresse principalement aux adultes de plus de trente ans qui liront cet article) vous avez raconté, vous, à un adulte ? :

 

« Aujourd’hui, j’ai commencé à me masturber ». « Hier, j’ai fumé un joint ». « J’ai couché avec untel ».

« L’autre jour, je suis allé voler dans un supermarché. Personne ne m’a attrapé ».

 

On fait des conneries. Certaines plus graves que d’autres. Et, en groupe, cela s’amplifie. Cela est d’ailleurs vrai même pour les adultes. Même s’il s’agit d’autres sortes de conneries moins visibles sur la place publique qu’une casse de voitures dans une rue près des Champs Elysées.

 

Parmi les jeunes casseurs « opportunistes » ou de « passage », il doit bien s’en trouver quelques uns qui ont cassé ce week-end pour faire comme les copains.

Pour être avec les copains.  Pour kiffer. Pour se sentir très forts. Sans réfléchir aux conséquences. Et le reste du temps, ces mêmes jeunes casseurs « opportunistes » ou de « passage »  sont plutôt tranquilles. Ce sont peut-être des jeunes bien élevés et de « bonne famille ». Qui sont bons à l’école ou en sport. Ou qui pourraient être bons.

 Il ne s’agit pas d’une attitude réfléchie de leur part. Je ne pense pas que ces jeunes, casseurs opportunistes ou de passage, se soient dit :

« Je suis un bon élève en classe. Mon casier judiciaire est vierge. Je suis un jeune sans problèmes. Tout le monde me connaît et j’ai une bonne cote. C’est bon, j’ai une très bonne couverture. Je peux aller casser quelques voitures et quelques vitrines de magasins avec les copains. On ne pourra pas me retrouver. Il ne m’arrivera rien ».

Quelques uns de ces jeunes «  bien sous tous rapports » ont peut-être eu ce raisonnement très calculateur mais ils sont à mon avis une minorité.

 

Le piège du tout répressif

 

Le « piège », avec ce tout répressif demandé par certaines personnes est qu’il suffit que ces jeunes casseurs opportunistes ou de passage assistent à une bavure ou soient victimes d’une bavure pour que cela se passe très mal ensuite. On dira :

« Ils n’avaient pas  à être là à tout casser. Tant pis pour eux ! Et les victimes de leurs comportements, vous pensez aux victimes de leurs comportements ?! ».

 

Oui, je pense aux victimes de leurs comportements. A celles et ceux qui n’ont rien demandé et qui se sont trouvées sur leur passage. Des personnes, d’ailleurs,  ( les victimes) qui pourraient autant faire partie des patients que mes collègues et moi rencontrons…. comme certains de ces jeunes casseurs ou agresseurs.

Un casseur de passage ou opportuniste qui est le témoin direct d’une bavure ou qui en est victime du fait d’une répression jusque-boutiste peut se radicaliser. Et il peut devenir un violent d’un autre type. Du type plus persistant. Du genre politisé tendance extrémiste ou terroriste. 

 

A l’inverse, un casseur de passage ou opportuniste, peut, aussi, passée une certaine période, de lui-même, ou après avoir été interpellé, se retirer de ce genre de manifestation violente. Parce qu’il a compris la « leçon » et la sanction. Parce qu’il a compris de lui-même que la violence était allée trop loin du côté de ses copains.

Parce qu’il a d’autres projets et d’autres intérêts dans l’existence. Et qu’il a les moyens de les réaliser.

 

Cependant, il y a aussi parmi ces casseurs, endurcis ou de passage, des personnes qui sont soit des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal à se déterminer d’un point de vue identitaire.

 

Des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal à se déterminer d’un point de vue identitaire

 

Sur CNews et ailleurs, il y a eu un fait qui s’est à nouveau répété et qui se répète depuis des années voire depuis plusieurs générations sur les plateaux de télé et dans certains média. Je ne sais pas si je suis obsédé par cette observation.  Sûrement. Mais je crois que ce fait  change, aussi, un peu, la façon de voir les événements. Parce-que, je peux être très satisfait de mon analyse et me tromper totalement. Mais si mon analyse est juste, je n’ai aucun mérite. Parce-que j’écris, je crois, des évidences qui sont pourtant souvent absentes de certains plateaux télé comme de certains média lorsque l’on parle de certains faits de violence dus à des jeunes ou à certains jeunes « issus de l’immigration ».

 

Sur le plateau de Cnews, lors du « débat » concernant les faits de violence de la veille, une majorité de blancs, femmes comme hommes. Bien-sûr, on peut être blanc et être très ouvert à l’autre. Comme on peut être noir et être raciste et très étroit d’esprit.

 

Alors, je continue : je me demande lesquels, parmi ces intervenants lors de ce débat sur Cnews, et dans quelles proportions, étaient issus d’un milieu social modeste ou défavorisé ? Ou, tout simplement:

Lesquels,  parmi ces intervenantes et intervenants, et dans quelles proportions, et combien de temps, avaient grandi dans une cité ou un quartier équivalent où la réputation d’être « un dur » (ou « une dure ») est plus gratifiant que d’avoir de bonnes notes à l’école ou d’être calme et sans histoires ?

 

Je me répète : je n’approuve pas ces actes de violence qui ont suivi le match Bayern de Munich/ Le PSG. Et, plus jeune, je n’aurais pas fait partie des casseurs parce qu’à cette heure-là, j’aurais été chez mes parents. Soit couché. Soit en train de faire mes devoirs ou en train de lire. Quoiqu’il en soit, mes parents ne m’auraient pas permis, même à 18 ans, d’aller sur les Champs Elysées après la fin d’un match de Foot. On pourra dire que j’ai eu une bonne éducation. Je ne suis pourtant pas persuadé qu’avoir une éducation très sécuritaire, et parfois très enfermée, comme celle que j’ai pu avoir, ait toujours été une éducation appropriée me préparant toujours au mieux pour ma vie d’adulte. Mais ce qui est certain, c’est qu’en pratique, en étant chez mes parents à « l’heure des poules », je n’aurais pas pu faire partie des casseurs de ce dimanche soir. Il y a pourtant sûrement eu un certain nombre de jeunes sortis dimanche soir, et d’autres soirs, « issus de l’immigration » ou non, qui n’ont rien cassé du tout. Mais, comme souvent, on parle, on parlera et on reparlera de celles et ceux qui cassent et agressent.

 

Je suppose que ceux qui ont cassé dimanche soir, pour les plus actifs et les plus meneurs, sont ordinairement des individus de « seconde zone ». Des individus que l’on ne voit pas. Ou, en tout cas, que l’on ne voit pas lorsqu’ils sortent de chez eux : lorsqu’ils sortent de leur quartier. Lorsque l’on y regarde bien, il y a aussi quelque chose de très triste et d’assez pathétique dans cette jeunesse qui a cassé ce dimanche soir :

 

Pour s’illustrer et se faire remarquer (j’ai aperçu quelques jeunes filmant l’action avec leur téléphone portable) ils en sont réduits à tout casser. Si les dégâts qu’ils ont causés sont bien sûr un  grave préjudice pour leurs victimes, ils s’occasionnent au passage un préjudice dont ils ignorent sûrement certaines conséquences. Ils se coupent un peu plus de la société. Et, s’ils ont été victimes eux-mêmes ou se sentent victimes, de façon légitime ou non, de la société française, on les enferme et on les enfermera uniquement désormais dans la case des « sauvageons » et de «  la racaille ».

 

 Avant de les enfermer en prison.

 

 

Une prison identitaire

 

Surtout qu’il y a sûrement une prison dans laquelle se trouve en partie, ou beaucoup, certains de ces jeunes casseurs de ce dimanche soir et d’autres fois. La prison identitaire.

 

Lorsque l’on est enclavé entre deux directions identitaires apparemment incompatibles, l’une française et l’autre étrangère, entre l’enfance et l’âge adulte, entre la réussite personnelle et sociale et le sentiment d’échec ou d’errance, on peut soit déprimer et s’effondrer. Soit parvenir à se maintenir la tête hors de l’eau par différents moyens. Soit exploser. Et casser.

 

Et, face à cela, certains affirment qu’il faut…. plus de répression. Répression. Ce mot là les fait rêver. On dirait que ce mot est tout pour eux. On va « juste » réprimer et tout va aller mieux ensuite.

 

D’un autre côté, être jeune et être déjà prisonnier d’une réputation de « sauvageon » et de « racaille», c’est quand même plus décourageant et plus handicapant que d’être perçu comme « un espoir » ou un « prodige ». Même si les jeunes qualifiés de « racailles » et de « sauvageons » vont affirmer fièrement, devant les copains, qu’ils s’en battent les couilles ou se marrer.

Parce qu’une fois que l’on a fini de tout casser, avec les copains, que l’on s’est bien défoulé, ou amusé à le faire, et que l’on a remporté quelques trophées, l’ordinaire du quotidien nous reprend. Et casser plus de voitures et de vitrines de magasins ne changera rien, au fond, à la vie qui nous effraie et qui nous frustre. Même en volant quantité d’objets. Même en suscitant l’admiration ou la crainte dans notre entourage direct. On finira bien par s’en apercevoir un jour ou l’autre. Qu’il y ait la répression de la police et de la justice ou non.

 

Une casse d’autant plus mal perçue d’un point de vue moral

 

Mais ce qu’une partie des citoyens « veut », c’est des résultats immédiats. Je le comprends : je n’aurais pas aimé retrouver  la vitrine de mon magasin éclatée en mille morceaux. Je n’aurais pas aimé être agressé physiquement par plusieurs personnes.

 

En plus, les conséquences économiques du Covid-19, que l’on appelle de plus en plus « La » Covid, comme si ce virus était hermaphrodite ( on va bientôt apprendre que ce virus a été finalement transmis par des escargots) ont rendu toute cette casse d’autant plus « sensible » d’un point de vue moral :

 

On considère sûrement ces jeunes casseurs comme d’autant plus irresponsables alors que l’on « sait» que la pandémie du Covid-19 a mis des gens au chômage ; va en mettre d’autres au chômage ; Et avoir d’autres effets catastrophiques à court et à moyen terme sur l’ensemble de la société.

 

Ces jeunes casseurs ne se sentent pas concernés a priori par tout ça du fait, en partie, de leur insouciance (ça va avec leur âge). Mais peut-être aussi parce qu’ils n’ont rien à perdre. Ou parce qu’à peine adultes, ils ont déjà tout perdu ou à peu près tout perdu. Ou qu’ils se considèrent déjà comme exclus de la société française et de la société des adultes travailleurs.

 

Mais ce genre de considérations est secondaire pour les adeptes de la répression car l’urgence est à l’ordre. Et, pour que la répression soit active, il faut d’abord que la police intervienne et ait les moyens d’intervenir au lieu de laisser faire «  la racaille » et «  les sauvageons ».

 

La police

 

Je n’aimerais pas être agent de la paix en 2020 dans les zones urbaines où des affrontements fréquents ont lieu entre certains jeunes et les forces de l’ordre.

 

Résumer la police à une meute de racistes et d’incapables revient au même, pour moi, que résumer des jeunes « issus de l’immigration » à des sauvageons et à de la racaille.

 

Il y a des racistes, des incapables ainsi que des casseurs dans la police. De même qu’il y a des erreurs médicales à l’hôpital. Ou des erreurs de jugement. Cela ne signifie pas que tous les policiers sont des incapables, des casseurs et des racistes. Et qu’il n y a que des erreurs médicales et du personnel médical et paramédical incompétent et des juges dilettantes.

 

 

Je n’aimerais pas être agent de la paix en 2020 parce-que si certains jeunes sont entravés entre deux directions de vie apparemment inconciliables, bien des policiers se sentent  sûrement certaines fois en contradiction avec certaines de leurs valeurs lorsqu’ils doivent exécuter certaines directives.

 

Faire peur :

 

On répète que la police ne fait plus peur. Qu’elle puisse et sache se faire respecter, c’est nécessaire. Mais je trouve ça étonnant que l’on attende avant tout de la police qu’elle fasse principalement peur. Voire qu’elle ne puisse faire que ça. Inspirer de la peur. 

 

Si la police n’inspirait que de la peur, nous vivrions sous  un autre régime politique. Même le citoyen lambda et innocent la fuirait. Croiser une voiture de police sur la route alors que l’on conduit en respectant scrupuleusement le code de la route nous donnerait des palpitations.  Il suffirait qu’un policier ou une policière nous regarde pour avoir aussitôt le sentiment d’être indigne d’exister.  En nous rendant à un commissariat pour déclarer que la vitre avant de notre voiture a été cassée et le vol de certains objets, nous n’aurions qu’à acquiescer sans reprendre ou contredire l’agent de police si celui-ci a mal compris nos propos.

 

Une police qui fait peur est aussi une police qui compterait plus d’agents qui pourraient se permettre à peu près n’importe quoi.

 

Avoir du Pouvoir, en particulier celui d’intimider et de commander, inspire quand même à quelques personnes une certaine ivresse des grandeurs.  Ainsi qu’ une certaine paresse de la réflexion et de l’autocritique. Cela peut venir très rapidement lorsque l’on voit certaines femmes et hommes politiques dès qu’ils accèdent au Pouvoir. Ou, plus simplement, certaines personnes qui deviennent cadres au sein d’une entreprise tandis que leurs collègues sont restés de « simples » employés.

Alors, un agent de police qui ferait exclusivement peur, serait d’autant plus effrayant qu’il porte sur lui  une arme létale que le citoyen « normal » n’a pas le droit d’avoir sur lui.

Un citoyen « normal » qui peut être menotté, immobilisé et qui peut être contraint de rendre des comptes sans s’opposer ni résister. Qu’il soit à pied ou dans un véhicule.  Qu’il se rende à son travail ou chez le médecin. Qu’il ait une urgence personnelle ou non. Qu’il soit seul ou avec sa femme et ses enfants.

 

Selon certains syndicats policiers, l’impunité dont jouissent certains délinquants récidivistes met à mal leur travail et leur crédibilité. Je les comprends. Mais ce qui me dérange aussi, c’est que la police soit à la fois la baïonnette et  la marionnette dont l’Etat se sert contre certains mouvements sociaux (gilets jaunes et autres). Alors que ces mouvements sociaux proviennent, aussi, comme pour les jeunes casseurs,  mais pour d’autres raisons peut-être, de dégradations de conditions de vie répétées sur plusieurs années.

 

 

Les parents des « sauvageons » et de la « racaille » :

Assez fréquemment, on « aime » bien aussi taper sur les parents des « sauvageons » et de la «racaille ». Ces parents sont souvent considérés comme des irresponsables responsables des exactions de leurs enfants. C’est vrai qu’il y a un héritage. Mais il faut voir de quel héritage on parle. On « sait » que l’on peut être pauvre, défavorisé, noir, arabe, chinois, musulman, juif, « issu de l’immigration » et être en règle avec la Loi. Lorsqu’il a été nommé dernièrement Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a cru judicieux de faire savoir qu’il était petit fils « d’immigré » ou qu’il avait des origines immigrées. J’ai trouvé ça très hypocrite ou très fayot de sa part. Même si, évidemment, c’était sa façon de dire que l’on peut être d’origine immigrée en France et y réussir socialement.

Mais j’ai trouvé ça très hypocrite  et très calculé de sa part car je crois qu’il faut être très hypocrite ou vraiment très ignorant pour passer sur le fait que la couleur de peau importe presque autant, voire plus, que les origines personnelles pour accéder à une certaine réussite sociale en France. Et il en est de même pour les prénoms que l’on porte : ça passe mieux de s’appeler Mathilde ou Sandrine que de s’appeler Aïcha ou Aya si l’on aspire à certaines (bonnes) écoles.  Même si on peut certainement trouver des Aïcha et des Aya dans les bonnes écoles.

 

Dans le monde du travail, s’appeler Mouloud ou Gérald ne produit pas le même effet sur un CV selon l’endroit où l’on postule en France. Si l’on postule en tant que balayeur, on peut s’appeler Mouloud. Aucun problème. On peut même s’appeler Mamadou. Cela ne sera pas un handicap. Par contre, si l’on postule en tant que consultant ou en tant qu’ingénieur, s’appeler Gérald sera en France plutôt un bon début. Même si Mouloud pourra malgré tout obtenir le poste finalement. Car il y a de bonnes surprises aussi en France.

 

Mais on « sait » aussi que si l’on a des parents pauvres, dépressifs, au chômage, alcooliques, exploités, largués, humiliés, épuisés moralement et physiquement, qui ont des têtes et des vies de vaincus plutôt que des têtes et des vies de vainqueurs, que cela joue un peu quand même quant au modèle à suivre lorsque l’on est enfant. Que ces parents soient blancs, jaunes, arabes, noirs ou jupitériens.

 

Et ces parents largués et dépossédés d’eux-mêmes ne sont pas tous des parents parasites ou haineux envers la France et la société. Ce peut être des parents qui ont véritablement donné de leur personne et qui se sont entamés pour obtenir une vie courante qui fait difficilement rêver. Et, selon l’environnement où ils habitent et vivent avec leurs enfants, il peut y avoir plus de débouchés et d’exemples immédiats dans la délinquance que dans les études et l’emploi.

 

Dans mon collège, j’ai pu être marqué par certains élèves qui faisaient partie de la section haut niveau de natation de la ville. Dans la cour de l’école, ils  dénotaient. Les cheveux assez souvent décolorés par le chlore, ils se regroupaient souvent ensemble. J’en ai connu deux dans une de mes classes. Ils étaient  plutôt bons élèves. La mère de l’un des deux m’a  gracieusement donné des cours de maths en 4ème ou en 3ème. Mais malgré mon assiduité à ces cours particuliers, j’étais déjà une cause perdue pour les maths où son fils, par contre, mon camarade de classe, était bon. Un de ses frères aînés détenait un record de France en athlétisme. Leur père était médecin et avait son cabinet. Et ils vivaient dans une maison individuelle. Dans la même ville, à Nanterre, je vivais quant à moi au 6ème étage dans un appartement, en location, avec mes parents, dans un immeuble HLM de 18 étages. C’était un petit peu le jour et la nuit, quand même, non ?

 

Ces collégiens qui appartenaient à la section haut niveau de natation faisaient partie des bons éléments du collège. Ils se singularisaient en tout cas plus de cette façon que comme des collégiens bagarreurs ou à problèmes. On retrouve à nouveau le phénomène de groupe et aussi d’identification à un groupe dans lequel ils se sentaient vraisemblablement valorisés mais aussi entraînés. Sauf que, là, il s’agissait d’un groupe vertueux et modèle. Et non d’un groupe de casseurs ou de bagarreurs. La bagarre et la casse ne faisaient pas partie des valeurs premières de ce groupe de jeunes nageurs de haut niveau. Cela n’empêche pas et n’a sans doute pas empêché qu’ensuite, certains « membres » de ce groupe de natation de haut niveau aient pu mal « tourner » à partir de la fin du collège et des années de lycée. Ou ensuite. Néanmoins, la « photo » que je garde de ce groupe de nageurs de haut niveau lorsque je repense à cette époque, est celle de jeunes qui avaient la réputation de faire des vagues seulement dans un bassin de natation. Certainement que par la suite, il en a été tout autrement pour quelques unes ou quelques uns de ces nageurs. Mais, en attendant, plusieurs de nos « casseurs » de ce week-end, à la même période de leur vie, celle du collège, faisaient sûrement déjà des vagues autour d’eux.

 

Une autre sorte de prison

 

Lâcher- en apparence- la bride aux jeunes casseurs et « tabasser » les gilets jaunes via la police est peut-être un acte de lâcheté de l’Etat. Mais c’est peut-être, aussi, une décision choisie. Et stratégique. Cela permet de laisser pourrir un certain climat social.

Et d’obtenir l’accord voire la bénédiction de la population pour plus de police. Pour plus de contrôles. Moins de libertés individuelles. Pour plus de répression. Pour plus de « sécurité ». Pour plus de justice expéditive et punitive. Pour plus de prisons. Pendant le débat sur Cnews, il a aussi pu être affirmé qu’il fallait plus de prisons !

 

Il faut sûrement plus de prisons comme il faut aussi de la répression face à la casse. D’accord. Mais il faut voir ce qui se passe ensuite dans les prisons. Ce qu’on y fait. Et pour qui. Si c’est pour créer, au travers de nouvelles prisons, de nouvelles pépinières de radicalisation et d’inadaptations sociales, il est difficile de se contenter de ces seules solutions. Parce qu’un certain nombre des détenus sortent un jour de prison. Et s’ils sont encore plus inadaptés à la sortie qu’à l’arrivée, ils retourneront à ce qu’ils savent faire et iront retrouver les seuls qui les accepteront. Leurs proches et celles et ceux qui leur ressemblent…..

 

Avec la pandémie du Covid-19, et le plan Vigie Pirate en raison du risque terroriste, sans omettre la façon dont nous sommes pistés sur internet chaque fois que nous nous connectons ou effectuons un achat ou une recherche, nos libertés individuelles ont déjà perdu une certaine amplitude. Nous avons appris à nous en accommoder. Or, tout ce que l’on nous promet pour cette rentrée à venir et pour les deux ou trois prochaines années, c’est plus d’efforts à produire, donc plus d’enfermement d’une façon ou d’une autre.

 

Finalement, j’ai l’impression que ces débats répétés et millimétrés, autour de la « racaille » et des «sauvageons » qui n’ont pas évolué tant que ça depuis des années, sont aussi une autre sorte de prison. Et que nous sommes encore (très) loin être sortis de ce type de prison. Parce-que la principale finalité de cette prison- mentale- est de s’auto-régénérer indéfiniment. Seuls les visages et les noms de ses représentants et de ses gardiens changent.

 

Une chaine comme Cnews ou tout autre média identique qui tourne en boucle nous hypnotise avec du vide. Le vide de l’angoisse, de la peur, du sensationnel et de l’amnésie. Le plus ironique serait d’apprendre qu’un certain nombre des casseurs de ce week-end, lorsqu’ils sont devant la télé,  perçoivent Cnews comme une des chaines de référence. Comme l’une des chaines télé qu’il convient de regarder régulièrement.

 

Franck Unimon, mercredi 26 aout 2020.

 

 

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La Route du Tiep

 

 

                                              La Route du Tiep

Qu’est-ce qu’un igname ?

 

«  Qu’est-ce qu’un igname ? ». Lors d’un atelier d’écriture, un homme d’une soixantaine d’années m’avait un jour posé cette question. On découvre aussi le monde par ses légumes, ses plantes et sa cuisine.

 

J’avais bien sûr expliqué ce qu’est un igname.  Bien que né en  France, mon éducation et mes vacances familiales en Guadeloupe m’avaient fait connaître le zouk, le kompa, l’igname, le fruit à pain (et non le fruit à peines), le piment, les donbrés et d’autres spécialités culinaires antillaises.

 

 

Je dois à mon amie Béa, d’origine martiniquaise, de quelques années mon aînée, d’avoir découvert le Tiep ( «  riz au poisson »), les pastels et le M’Balax. J’avais 21 ou 22 ans. Olivier de Kersauson, le navigateur, avait 23 ou 24 ans lorsqu’il a fait la rencontre d’Eric Tabarly (son livre Le Monde comme il me parle, dont j’ai débuté la lecture). Moi, à 23 ou 24 ans, j’entrais davantage de plain pied dans la fonderie des hôpitaux. J’avais fait la connaissance de Béa pendant ma formation.

 

Elle était déja en couple avec C… un Cap verdien, de plusieurs années son aîné.

Et c’est au cours d’une grande fête avec eux, dans le Val D’oise, je crois, du côté de Jouy le Moutier, que j’avais découvert :

 

 Tiep, pastels et M’Balax.

 

Le Tiep n’est pas le nom d’un vent ou d’un microclimat proche de la ville de Dieppe. Il n’a pas de lien de parenté à avec la pitié. Et il n’a pas été recensé sur le continent  du Tchip que les Antilles se partagent très bien avec l’Afrique. Le Tiep ou Thiéboudiene  est le plat national du Sénégal.

 

Avec Béa, indirectement, moi qui ne suis, à ce jour, toujours pas allé en Afrique, j’ai découvert des bouts du Sénégal. Du Wolof et du Cap Vert. Avant que Césaria Evora ne (re) devienne populaire et que le chanteur Stromaé, beaucoup plus tard, n’en parle dans une de ses chansons. Avant que Youssou N’Dour ne lâche son tube 7 secondsavec Neneh Cherry. Hit que j’ai toujours eu beaucoup de mal à supporter. Si éloigné de son M’Balax que j’ai, finalement, pu voir, aimer et écouter sur scène trente ans plus tard : l’année dernière à la (dernière ?) fête de l’Huma.

 

 

Par hasard

 

J’ai retrouvé la route du Tiep il y a quelques mois. Par hasard. J’avais rendez-vous près de la gare du Val de Fontenay pour acheter une lampe de poche. Entre le moment où j’ai découvert le Tiep et les pastels et cette transaction, il s’est passé environ trente ans. J’avais bien-sûr mangé à nouveau du Tiep entre-temps. Mais cela était occasionnel. En me rendant sur certains marchés.

 

Le Val de Fontenay n’est pas mon coin. Je n’y habite pas. J’y étais allé à une « époque », ou, durant une année, j’y avais été…entraîneur de basket. Mais je parlerai de cette expérience dans un autre article. Ce matin, je m’applique à me mettre au régime :

 

Pour faire court

 

J’essaie de faire des phrases courtes. Et d’écrire un article court. C’est Yoast qui l’affirme : Certaines de mes phrases durent plus de vingt mois . Je sais que c’est vrai.

 

Mes articles manquent de titres. Si je décode bien Yoast, je fais beaucoup de victimes parmi mes lectrices et lecteurs. Et je pourrais mieux faire. Je n’écoute pas toujours Yoast.

 

En revenant de ma « transaction », il y a quelques mois, je suis donc retourné à la gare du Val de Fontenay. Et j’ai oublié si j’avais aperçu ce traiteur à l’aller mais je m’y suis pointé avant de reprendre le RER. J’y suis retourné plusieurs fois depuis. Ainsi que ce week-end puisque nous avions prévu de faire un repas au travail.

 

 

 

 

Au Thiep Délices d’Afrique Keur Baye Niass

 

La nouveauté, c’est que je suis allé deux jours de suite au Thiep Délices d’Afrique Keur Baye Niass. Le vendredi, c’est le jour du Tiep au poisson. Les autres jours, on y trouve, entre-autres, du Tiep à la viande qui me plait bien. Mais je voulais goûter son Tiep au poisson. J’ai donc appelé suffisamment tôt pour passer commande. Puis, une fois, sur place, j’ai vu qu’il ne restait plus de pastels. La cuisinière m’a confirmé qu’il n’y en n’avait plus. ça m’a frustré mais c’était de ma faute. J’aurais dû en commander en même temps que le Tiep. Donc, le lendemain, j’ai rappelé assez tôt et j’ai commandé des pastels au poisson. Et quelques uns à la viande. Pour goûter.

 

 

Avec nos masques sur le visage : de cœur à coeur

 

Avec nos masques sur le visage, nous sommes encore plus indistincts que « d’habitude ». C’est peut-être aussi pour cette raison que j’ai tenu à donner mon prénom, la veille. Puis que, lorsque j’y suis retourné, que j’ai fait ce que je fais quelques fois : parler avec les gens. Leur demander de me parler d’eux. Un peu de cœur à cœur. Je fais ça avec les personnes avec lesquelles je me sens bien. Avec lesquelles je ne discute pas du prix de ce qu’elles me vendent. On pourrait dire que cette dame qui me dépasse d’une bonne dizaine de centimètres, et qui a sans doute presque l’âge de ma mère, est peut-être un équivalent maternel pour moi. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison.

 

Un mal pour un bien 

 

J’avais déjà appris, qu’auparavant, elle travaillait avec ses collègues du côté de Créteil. Mais qu’elle avait dû quitter les lieux que la RATP avait mis à sa disposition. J’ai appris qu’avant de faire la cuisine, elle faisait dans le prêt- à- porter. Elle avait trouvé des fournisseurs en Italie et ça avait marché très vite. «  Je vendais de la bonne came ! » me dit-elle sans qu’il soit question de quoique ce soit d’autre que de prêt-  à- porter. J’avais déjà entendu parler de la qualité italienne en matière de vêtements et de chaussures.

 

Le prêt à porter a été fructueux de 2004 jusqu’à environ 2015. Et puis, la concurrence chinoise…. 

« Les gens regardaient plus leur porte-monnaie….mais la qualité n’était pas du tout la même… ». Elle a alors dû rendre ses locaux à la RATP. Locaux dans lesquels elle avait effectués des travaux. Travaux pour lesquels la RATP ne l’a jamais dédommagée. A la place, la RATP a fini par lui proposer cet endroit à la gare du Val de Fontenay où c’est « dix fois mieux » m’explique-t’elle :

« Il y a plus de passage. Avec les bureaux. Et on est près de la gare. Là, il y a le RER A. Il y a le RER E».

 

Prendre la vie par le bon bout

 

En l’écoutant, je prends à nouveau la mesure du fait que, quelles que soient les circonstances et le contexte qui nous préoccupent, qu’il y a des personnes comme cette dame et ses collègues qui travaillent. Et qui prennent la vie par le bon bout.  La cuisine, elle en avait toujours fait. Et après le prêt- à- porter, l’idée lui est donc venue rapidement. Je ne connais pas son niveau d’études. Et je présume qu’elle est née au Sénégal et y a vécu sûrement ses vingt premières années. Comme mes propres parents ont vécu leurs vingt premières années sur leur île natale, la Guadeloupe.

 

Je n’ai pas insisté pour savoir, comment, venant du Sénégal et de la France, on fait pour trouver des fournisseurs de prêt- à -porter en Italie. Mais cela implique au moins de quitter son quartier. De passer la frontière. D’avoir un réseau de connaissances. Ou de savoir aller rencontrer des gens, y compris à l’étranger. De les démarcher et de leur inspirer confiance. De savoir s’exprimer un minimum dans leur langue. D’être fiable dans son travail. Ce qui est facilité lorsque l’on  aime le faire ( son travail).

 

« L’argent n’est souvent qu’une conséquence »

 

J’ai relevé ces phrases  dans un livre emprunté récemment dans la médiathèque de ma ville, à Argenteuil. Un ouvrage dont j’ai lu, pour l’instant, les dernières pages et que je chroniquerai peut-être.

 

Changer de vie professionnelle ( C’est possible en milieu de carrière) de Mireille Garolla, aux éditions Eyrolles. Les propos sont les suivants, en bas de la page 147 :

« Ce n’est pas parce-que vous allez faire quelque chose qui vous plaît que vous n’arriverez pas à en tirer un bénéfice.

L’équation n’est pas toujours aussi simpliste que : je rentre dans un système capitaliste, donc, je gagne de l’argent, quitte à souffrir tous les jours jusqu’à l’âge de la retraite, et un autre système qui consisterait à faire des choses qui vous plaisent réellement mais qui ne devraient donner lieu qu’à des rémunérations symboliques.

(……) l’argent n’est souvent qu’une conséquence du fait que vous faites quelque chose qui vous plaît et que vous le faites correctement ».

 

 

Cette femme et ses collègues font partie des personnes qui rendent ces phrases concrètes. De 11h à 22h tous les jours de la semaine.

 

Je me suis senti tenu de lui parler un peu de moi. C’était un minimum. Le métier que je faisais. Dans quelle ville j’habitais. Elle m’a écouté avec attention. 

 

Il y a un stade où ce n’est plus l’argent qui fait le monde

 

Alors que je restais discuter avec elle, pendant que son collègue préparait mes plats, j’ai commandé quelques pastels supplémentaires. Vu, que cette fois, il en restait quelques uns. J’ai aussi commandé deux canettes de jus. Il s’agissait, aussi, d’en rapporter un peu à la maison. Elle m’a fait cadeau des deux canettes comme des pastels supplémentaires. Evidemment, je les aurais payés sans négocier.

 

Après avoir payé, j’étais sur le départ lorsqu’ouvrant le réfrigérateur, elle m’a tendu une petite bouteille de jus de gingembre. Il y a un stade de la relation dans la vie, où même entre inconnus, ce n’est plus l’argent qui fait le monde. L’argent (re)devient un masque ou un accessoire. Et il vaut alors beaucoup moins que ce qu’une personne nous donne volontairement. 

 

Ce soir-là, sur la route du Tiep

 

Lorsqu’elle m’a fait cadeau de ces pastels et de ces deux canettes, je n’ai pas vu une commerçante habile qui tient à fidéliser un client qui lui était sympathique. Même s’il faut aussi, lorsque l’on tient un commerce, et quand on tient à une relation, savoir chouchouter celles et ceux que l’on veut garder. Et je ne doute pas qu’elle sait très bien faire ça.

Mais ce que j’ai vu, c’est surtout une personne qui « sait » que l’on se parle et que l’on se voit maintenant, mais que l’on ne sait pas lorsque l’on se reverra.

Et si l’on se reverra.

Alors, avant de se séparer, on « arme » comme on peut celle ou celui que l’on a croisé pour la suite du trajet. 

Certaines personnes font des enfants pour conjurer ça. Mais, moi, ce soir-là et sur la route du Tiep qui m’avait ramené à nouveau jusqu’à elle, et pendant quelques minutes,  j’ai été sans doute , un peu, un de ses enfants.

C’était ce week-end.

 

Franck Unimon, ce lundi 24 aout 2020.

 

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Addictions Puissants Fonds/ Livres

Ma vie en réalité

 

                                                     Ma vie en réalité

Magali Berdah est la créatrice et dirigeante de Shauna Events :

 

« La plus importante agence de média-influenceurs de France ».  Nabilla, Jessica Thivenin, Julien Tanti et Ayem Nour font partie de ses « protégés ».

 

Un livre publié en 2018

 

Dans ce livre publié en 2018 (il y a deux ans), Magali Berdah raconte son histoire jusqu’à sa réussite professionnelle, économique et personnelle dans l’univers de la téléréalité et de la télé. Pourtant, Il y a encore à peu près cinq ans, Magali Berdah ne connaissait rien à la téléréalité comme au monde de la télé. Elle ne faisait pas partie du sérail. Son histoire est donc celle d’une personne qui, partie de peu, s’est sortie des ronces. C’est sûrement ça et le fait qu’elle nous parle de la télé et de la téléréalité qui m’a donné envie d’emprunter son livre à la médiathèque de ma ville. En même temps que des livres comme Le Craving Pourquoi on devient accro du Dr Judson Brewer ; Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere; Développement (im)personnel de Julia De Funès.

 

 

Un homme du vingtième siècle

 

Je me la pète sûrement avec ces titres parce-que je suis un homme du 20ème siècle. J’ai été initié à l’âge de 9 ans aux bénéfices de  ce que peut apporter une médiathèque :

 

Ouverture sur le monde, culture, lien social, tranquillité, recueillement. Des vertus que l’on peut retrouver ailleurs et que Magali Berdah, dans son enfance, comme elle le raconte, a connues par à-coups.

 

Une femme du vingtième siècle

 

Magali Berdah, née en 1981, est aussi une femme du 20ème siècle.

 

Son enfance, c’est celle du divorce, du deuil et de plusieurs séparations. D’un père plus maltraitant que sécurisant ; d’une mère qui a été absente pendant des années puis qui est réapparue. C’est aussi une enfance dans le sud, sur la Côte d’azur, du côté de Nice et de St Tropez où elle a pu vivre plus à l’air libre, au bord de la nature. Loin de certains pavés HLM, stalactites immobilières et langagières qui  semblent figer bien des fuseaux horaires.

 

Les éclaircies qu’elle a pu connaître, elle les doit en grande partie à ses grands-parents maternels, tenants d’un petit commerce. Mais aussi à ses aptitudes scolaires et personnelles. Son sens de la débrouille et son implication s’étalonnent sur ses premiers jobs d’été qu’elle décroche alors qu’elle a à peine dix huit ans. Fêtarde la nuit et travailleuse le jour, elle apprend auprès d’aînés et de professionnels qu’elle s’est choisie. Cela l’emmènera à devenir une très bonne commerciale, très bien payée, dans les assurances et les mutuelles. C’est sûrement une jolie fille, aussi, qui présente bien, qui a du culot et qui a le contact social facile. Mais retenons que c’est une bosseuse. Elle nous le rappelle d’ailleurs après chacun de ses accouchements (trois, sans compter son avortement) où elle a repris le travail très vite. Elle nous parle aussi de journées au cours desquelles elle travaille 16 heures par jour. Et quand elle rentre chez elle, son mari et ses enfants l’attendent.

 

 

Le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une résiliente

 

 

Si l’on s’en tient à ce résumé, Magali Berdah a le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une résiliente. Mais elle officie désormais dans le pot au feu de la téléréalité, de la télé, et est proche de personnalités comme Cyril Hanouna. On est donc très loin ou assez loin de ce que l’on appelle la culture « noble » ou « propre sur elle ». Et Magali Berdah critique l’attitude et le regard méprisants portés généralement sur la téléréalité et une certaine télé.

 

 

Le début de la téléréalité

 

 

La téléréalité, pour moi, en France, ça commence avec le « Loft » : Loana, Steevy, Jean-Edouard….

 

J’avais complètement oublié que ça s’était passé en 2001, l’année du 11 septembre, de l’attentat des «  Twin Towers » et de l’émergence médiatique de Ben Laden, et, avec lui, des attentats islamistes. Dans son livre, Magali Berdah nous le rappelle. A cette époque, elle avait 20 ans et commençait à s’assumer professionnellement et économiquement ou s’assumait déjà très bien.

 

Un monde en train de changer

 

 

En 2001, je vivais déjà chez moi et je n’avais pas de télé, par choix. Mais dans le service de pédopsychiatrie où je travaillais alors, il y avait la télé. J’ai des souvenirs d’avoir regardé Loft Story dans le service ainsi que des images, quelques mois plus tard, de l’attentat du 11 septembre. Et d’en avoir discuté sans doute avec des jeunes mais, surtout, avec mes collègues de l’époque. On était en train de changer de monde d’une façon comme une autre avec le Loft et les attentats du 11 septembre. Comme, depuis plusieurs mois, nous sommes en train de changer de monde avec le Covid-19.

 

Une image

 

Une image, ça vous prend dans les bras. La téléréalité est pleine d’images. Il y a quelques jours, j’ai tâté le terrain en parlant de Magali Berdah et de  Julien Tanti à deux jeunes du service où je travaille. Cela leur disait vaguement quelque chose. Puis l’une des deux a déclaré :

 

« Quand je me sens bête, je regarde. Ça me permet de me vider la tête ». L’autre jeune présente a abondé dans son sens. J’ai fini par comprendre que cela leur servait de défouloir moral. Que cela leur remontait le moral de voir à la télé des personnes qu’elles considéraient comme plus « bêtes » qu’elles.

Pour l’avoir vu, je sais que des adultes peuvent aussi regarder des émissions de téléréalité. Ça m’a fait drôle de voir des Nigérians musulmans d’une trentaine d’année, en banlieue parisienne, regarder Les Marseillais. Mais pour eux, venus travailler en France, une émission comme Les Marseillais offre peut-être quelque chose d’exotique et d’osé. Et puis, ce que l’on voit dans cette émission est facile à suivre et à comprendre pour toute personne qui a envie de se distraire et qui est dépourvue de prétentions intellectuelles ou culturelles apparentes.

 

 

Magali Berdah défend ses protégés

 

 

Lorsque l’on lit Magali Berdah, celle-ci défend ses « protégés ». On pourrait se dire :

 

«  Evidemment, elle les défend car ils sont un peu ses poules aux œufs d’or. Ils lui permettent de très bien gagner sa vie. Les millions de followers sur les réseaux sociaux de plusieurs de ses « poulains » permettent bien des placements de produits et lui assurent aussi une très forte visibilité sociale dans un monde où, pour réussir économiquement, il est indispensable d’être très connu ».

 

Mais quand on a lu le début de son livre, on perçoit une sincère identification de Magali Berdah envers ses « protégés » :

 

Le destin de la plupart des candidats du Loft de 2001 mais aussi de bien d’autres candidats d’autres émissions de télé-réalité ou similaires telles The Voice ou autres, c’est de retourner ensuite au « vide », « à l’abandon », et  à l’anonymat de leur existence de départ. Et ça se retrouvait déja dans le monde du cinéma, de la chanson ou du théâtre même avant l’arrivée du Covid.

 

Dominique Besnehard, ancien agent d’acteurs et créateur de la série Dix pour cent,  parlait un peu dans son livre Casino d’hiver de ces actrices et acteurs, qui, faute de s’être reposés uniquement sur leur physique et sur leur jolie frimousse avaient fini par disparaître du milieu du cinéma. Et je me rappelle être tombé un jour sur un des anciens acteurs du film L’Esquive d’Abdelatif Kechiche. D’accord, cet acteur avait un rôle très secondaire dans L’Esquive mais ça m’avait mis assez mal à l’aise de le retrouver, quelques années plus tard, à faire le caissier à la Fnac de St Lazare, dans l’indifférence la plus totale. Il était un caissier parmi d’autres.

 

 

Un certain nombre d’acteurs et d’humoristes que l’on aime « bien », avaient un autre métier avant de s’engager professionnellement et de percer dans le milieu du cinéma, du stand up, du théâtre, de l’art et de la culture en général. Si je me rappelle bien, Mickaël Youn était commercial.

 

Etre à leur place

 

Si on peut se bidonner ou se navrer devant les comportements et les raisonnements de beaucoup de candidats de téléréalité, qui sont souvent jeunes, il faut aussi se rappeler que tant d’autres personnes, parmi nous, secrètement, honteusement ou non, aimeraient être à leur place. Et gagner, comme certains d’entre eux, les plus célèbres, cinquante mille euros par mois. Magali Berdah fournit ce chiffre dans son livre.

 

C’est un peu comme l’histoire du dopage dans le sport : le dopage persistera dans le sport et ailleurs car certaines personnes resteront prêtes à tout tenter pour « réussir ». Surtout si elles sont convaincues que leur existence est une décharge publique. Et que le dopage est un moyen comme un autre qui peut leur permettre de se sortir de ce sentiment d’être une décharge publique.

 

Pour d’autres, le sexe aura la même fonction que le dopage. Même en pleine époque de Me Too et de Balance ton porc, je crois que certaines personnes (femmes comme hommes) seront prêtes à coucher si elles sont convaincues que cela peut leur permettre de réussir.  Et de réussir vite et bien. Quel que soit le milieu professionnel, ces personnes se feront seulement un peu plus discrètes et un peu plus prudentes.

 

 

Concernant Loft Story et l’intérêt que la première saison avait suscité, mais aussi les sarcasmes, je me souviens que l’acteur Daniel Auteuil, dont la carrière d’acteur était alors bien plantée, avait dit qu’il aurait fait Le Loft ou tenté d’y participer s’il avait été un jeune acteur qui cherchait à se lancer et à se faire connaître.

 

 

Compromettre son image

 

Lorsque l’on est optimiste, raisonnable, raisonné, patient mais aussi fataliste, docile et obéissant, on refuse le dopage ainsi que certaines conduites à risques.  Comme on peut refuser de  prendre le risque de « compromettre » son image en participant à une émission de téléréalité ou à une autre émission.

 

Mais lorsque l’on recherche l’immédiateté, l’action, le résultat et que l’on tient à sortir du lot, on peut bifurquer vers la téléréalité, une certaine télé et une certaine célébrité. Il y aura d’une part des producteurs, des vendeurs de rêves (proxénètes ou non) et d’autre part un public qui sera demandeur.

 

Magali Berdah, à la lire, s’intercale entre les deux parties : c’est elle qui a permis aux vedettes de téléréalité de tirer le meilleur parti financièrement de leur exposition médiatique. Et lorsqu’on la lit, on se dit « qu’avant elle », les vedettes de téléréalité étaient vraiment traitées un peu comme ces belles filles que l’on voit sur le podium du Tour de France avec leur bouquet de fleurs à remettre au vainqueur.

 

L’évolution du statut financier des vedettes de téléréalité

 

 

L’évolution du statut financier des vedettes de téléréalité fait penser à celle qu’ont pu connaître des sportifs professionnels ou des artistes par exemple. Avant l’athlète américain Carl Lewis, un sprinter de haut niveau gagnait moins bien sa vie. Usain Bolt et bien d’autres athlètes de haut niveau peuvent « remercier » un Carl Lewis pour l’augmentation de leur train de vie. On peut sans doute faire le même rapprochement pour le Rap ainsi que pour la techno. Ou pour certains photographes ou peintres. Entre ce qu’ils peuvent toucher aujourd’hui et il y a vingt ou trente ans. Certains diront sans doute qu’ils gagnent nettement moins d’argent aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans avec le même genre de travail. Mais d’autres gagnent sûrement plus d’argent aujourd’hui que s’ils s’étaient faits connaître il y a vingt ou trente ans. Pour les vedettes de téléréalité, il est manifeste que d’un point de vue salarial il vaut mieux être connu aujourd’hui qu’à l’époque de Loft story en 2001.

 

 

Une motivation aussi très personnelle

 

Cependant, la motivation de Magali Berdah est aussi très personnelle. Disponible pratiquement en permanence via son téléphone portable, malgré ses trois enfants et son mari, elle reçoit aussi chez elle plusieurs de ses « protégés », les week-end.  C’est bien-sûr une très bonne façon d’apprendre à connaître ses clients et de créer avec eux un lien très personnel.

 

Toutefois, dans mon métier, en pédopsychiatrie, on crierait au manque de distance relationnelle et affective. On parlerait d’un mélange des genres, vie privée/vie publique. On évoquerait un cocktail émotionnel addictif. On parlerait aussi des conséquences qu’une telle proximité – voire une telle fusion- peut causer ou cause. Parmi elles, une forte dépendance affective qui peut déboucher sur des événements plus qu’indésirables lorsque la relation se termine ou doit s’espacer ou se terminer pour une raison ou une autre. Que ce soit la relation à la célébrité et à l’exposition médiatique constante. Ou une relation à une personne à laquelle on s’est beaucoup trop attachée affectivement.

 

Il y a donc du pour et du contre dans ma façon de voir ce type de relation que peut avoir Magali Berdah avec ses « protégés ».

 

«  Pour » : une relation affective n’est pas une science exacte. Bien des personnes sont consentantes, quoiqu’elles disent, pour une relation de dépendance affective réciproque. Que ce soit envers un public ou avec des personnes. Et on peut avoir plus besoin de quelqu’un à même de savoir nous prendre dans les bras et nous réconforter régulièrement, comme un bébé, que de quelqu’un qui nous « raisonne ». Même si, Magali Berdah, visiblement, donne les deux : elle réconforte et raisonne ses « poulains ».

 

Loyauté et vertu morale

 

En lisant Ma vie en réalité , je crois aussi au fait que l’on peut faire une carrière dans des programmes télé auxquels, a priori, je ne souscris pas, et, pourtant être une personne véritablement loyale dans la vie.

Je ne crois pas que les participants, les producteurs et les animateurs d’émissions de télé, de théâtre ou de cinéma plus « nobles » soient toujours des modèles de vertu morale. Surtout qu’ils peuvent également être « ambidextres » et parfaitement évoluer dans les différents univers.

 

Le Tsadik

 

J’ai beaucoup aimé ce passage dans son livre, ou, alors surendettée, et déprimée, et avant de travailler dans la téléréalité, elle va rencontrer un rabbin sur les conseils d’une amie.

Juive par ses grands-parents maternels, Magali Berdah apprend par le Rabbin qu’elle est sous la protection d’un Tsadik, un de ses ancêtres.

Dans le hassidisme, le Tsadik est un « homme juste », un «  Saint », un «  maître spirituel » qui n’est pas récompensé de son vivant mais qui peut donner sa protection à un de ses descendants.

J’ai aimé ce passage car il me plait d’imaginer- même si je ne suis pas juif ou alors, je l’ignore- qu’un de mes ancêtres puisse me protéger. Mais aussi que les soignants (je suis soignant) sont sans doute des équivalents d’un Tsadik et que s’ils en bavent, aujourd’hui, que plus tard, ils pourront peut-être assurer la protection d’un de leurs descendants. Ça peut faire marrer de me voir croire en ce genre de « chose ». Mais je préfère aussi croire à ça plutôt que croire à un complot, faire confiance à un dirigeant opportuniste ou à un dealer.

 

J’ai d’abord cru que Magali Berdah était juive non-pratiquante. Mais sa rencontre avec le rabbin et sa façon de tomber enceinte « coup sur coup » me fait quand même penser à l’attitude d’une croyante qui «laisse » le destin décider. Je parle de ça sans jugement. J’ai connu une catholique pratiquante qui avait la même attitude avec le fait d’enfanter. Je souligne ce rapport à la croyance parce qu’il est important pour Magali Berdah. Et que sa « foi » lui a sûrement permis de tenir moralement à plusieurs moments de sa vie.

 

Je précise également que, pour moi, cette protection d’un Tsadik peut se transposer dans n’importe quelle autre religion ainsi que dans bien d’autres cultures.

 

Incapable d’une telle proximité affective

 

«  Contre » : Je m’estime et me sens incapable d’une telle proximité affective à l’image d’une Magali Berdah avec ses «  vedettes ». Donc celle qu’elle instaure avec ses protégés m’inquiète.  Une des vedettes de téléréalité dont elle s’occupe l’appelle «  Maman ». Même si je comprends l’attitude de Magali Berdah au vu de son histoire personnelle, je m’interroge quant aux retombées de relations personnelles aussi étroites :

 

Il est impossible de sauver quelqu’un malgré lui. Et ça demande aussi beaucoup de présence et d’énergie. Une telle implication peut être destructrice pour soi-même ou pour son entourage. Donc, croire, vouloir ou penser que l’on peut, tout( e)   seul (e), sauver ou soutenir quelqu’un, c’est prendre de grands risques. Mais peut-être que Magali Berdah prend-t’elle plus de précautions qu’elle ne le dit pour elle et sa famille. Il est vrai que le fait qu’elle soit mariée et mère lui impose aussi des limites.  Il lui est donc impossible, si elle était tentée de le faire, de se dévouer exclusivement à ses « protégés ».

La Norme :

 

Néanmoins, au milieu de ce « pour » et de ce « contre, je comprends que ce « support » affectif est la Norme dans le milieu de la télé et des célébrités en général. Et ce qui est peut-être plus effrayant encore, c’est d’apprendre en lisant son livre que lorsque la « mode » des influenceurs est apparue en France (il y a environ cinq ans), que, subitement, ses « protégés » sont devenus attractifs économiquement. Et  des producteurs se sont manifestés pour venir placer leurs billes. Les vedettes de téléréalité avaient peut-être la tête « vide » mais s’il y avait- beaucoup- de fric à se faire avec eux maintenant qu’ils étaient devenus des influenceuses et des influenceurs. Grâce à leurs placements de produits via les réseaux sociaux avec leurs millions de followers, on voulait bien en profiter. Magali Berdah n’en parle pas comme je le fais  avec une certaine ironie. Car cet intérêt des producteurs pour les vedettes de téléréalité a permis à sa carrière et à sa notoriété de prendre l’ascenseur.

 

Le Buzz ou le mur du son de la Notoriété

 

En 2001, à l’époque du Loft et des attentats de Ben Laden, on était très loin de tout ça. Les réseaux sociaux n’en n’étaient pas du tout à ce niveau et on ne parlait pas du tout de « followers ». Je me rappelle d’un des candidats du Loft à qui, après l’émission, on avait proposé de travailler…dans un cirque. Il avait fait la gueule.

 

En 2020, à l’époque du Covid-19, on est en plein dans l’ère des followers et des réseaux sociaux. Et on peut penser que la téléréalité et le pouvoir des réseaux sociaux va continuer de s’amplifier. Sans forcément simplifier le climat social et général :

Parmi toutes les rumeurs, toutes les certitudes absolues, tous les emballements médiatiques et toutes les peurs qui sont semées de manière illimitée, j’ai un tout « petit peu  » de mal à croire que l’époque des followers et des réseaux sociaux soit une époque où l’on court totalement et librement vers l’apaisement et la nuance. 

 

 D’autres empires, aujourd’hui timides voire modérés, vont sûrement s’imposer d’ici quelques années. Ça me rappelle les premiers tubes du groupe Indochine et de Mylène Farmer dans les années 80. Vous les trouvez peut-être ringards. Pourtant, à l’époque de leurs tubes Bob Morane et Maman a tort, j’aurais été incapable de les imaginer devenir les « icones » qu’ils sont devenus. Et puis, il y a sans doute pire comme dictature et comme intégrisme que celle et celui d’un monde où nous devrions tous chanter et danser à des heures imposées sur  Bob Morane et sur Maman a tort. Même si ces deux titres sont loin d’être mes titres de chevet.

 

Se rendre incontournable

 

Il est très difficile de pouvoir dire avec exactitude qui, devenu un peu connu ou encore inconnu aujourd’hui, sera une sommité dans une vingtaine d’années. Les candidates et les candidats du Loft, et les suivants, étaient souvent perçus comme ringards. Dès qu’un marché se crée, et que l’on en est la cause ou que l’on est présent dès l’origine, et que l’on sait se rendre incontournable, la donne change et l’on devient désirable et fréquentable. C’est le principe du buzz. Principe qui existait déjà avant les réseaux sociaux et la téléréalité mais qui s’est accéléré et démultiplié. On peut dire que le buzz, c’est le mur du son de la notoriété. Faire le buzz cela revient à vivre à Mach 1 ou à Mach 2 ou 3. Ça peut faire vibrer. Mais ça fait aussi trembler. Après avoir lu le livre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi,  dans lequel il raconte le tremblement de terre à Haïti le 12 janvier 2010 ( il y était), on comprend qu’un tremblement, ça change aussi un monde et des personnes. ça ne fait pas que les tuer et les détruire. 

 

Une histoire déjà vue

 

L’histoire que nous raconte Magali Berdah est une histoire qui s’est déjà vue et qui se verra encore : une personne crée un concept. Peu importe qui est cette personne et si ce concept est moralement acceptable ou non. Il suffit que ce concept soit porteur économiquement et tout un tas de commerciaux s’en emparent pour le faire connaître – et monnayer-par le plus grand nombre, ce qui génère un intérêt et un chiffre d’affaires grandissant. Ce faisant, ces commerciaux et celles et ceux qui sont proches d’eux prennent du galon socialement et s’enrichissent économiquement.

 

A La recherche du scoop et du popotin du potin

 

J’ai aimé lire Ma vie en réalité pour ces quelques raisons. Il se lit très facilement. Et vite. Si à la fin de son livre, Magali Berdah parle bien-sûr de plusieurs de « ses » vedettes, la lectrice ou le lecteur qui serait à la recherche du scoop et du popotin du potin à propos d’Adixia, Anaïs Camizuli, Anthony Matéo, Astrid, Aurélie Dotremont, Jessica Errero, Nikola Lozina, Manon Marsault, Paga, Ricardo, Jaja, Ayem Nour, Nabilla, Milla Jasmine et d’autres sera mieux inspiré(e) de concentrer ses recherches ailleurs. De mon côté, j’ai découvert la plupart de ces prénoms et de ces noms en lisant ce livre.

 

Franck Unimon, vendredi 21 août 2020.