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Des Hommes

 

 

 

 

 

 

 

On ne part pas tous du même mur. On ne part pas tous  avec le même Savoir, la même imagination. Les mêmes errances et les mêmes protections. Ni avec les mêmes crédits et les mêmes créances.

 

Ce n’est pas une question d’intelligence. Ça a plutôt à voir avec le fait d’intégrer certaines «fraternités », de faire partie de certaines familles. De prendre de plus ou moins bonnes décisions et de se livrer à certaines actions et transactions que l’on estime justifiées et qui se révèlent être les mauvaises incantations.

 

« Quand j’étais dehors, ça partait en couilles, sa mère ! ». « Tu vois les gens, ils ont des sous. Tu as envie de te refaire… ». « 19 ans ? T’es jeune. C’est ma quatrième peine, frère ».

 

 

 

Cuisine, monastère, hôpital, salle de sport ou de correction, lieu de conversion et de trafics, une prison est tout cela et davantage en une seule journée comme en quelques secondes.

 

 «  Je me suis détaché de l’extérieur, en fait. J’ai décidé de me repentir. Je me suis converti à l’Islam. Je ne voulais plus ressembler à ce que j’étais avant (….). ( avec) La religion, vous vous appuyez sur des fondations assez solides ».

 

  « La prison, c’est la cuisine du diable. Soit tu es la fourchette, soit tu es le couteau. Il faut pas être entre les deux ».

 

 

« Tous les détenus savent fabriquer un couteau surtout ici, aux Baumettes ».

 

 

«  Tu parles Français ? ».

 

 

Ce dimanche matin, pour cette première séance de 9h, nous sommes étonnamment nombreux. Une bonne quarantaine de personnes dont une dizaine de femmes. La petite salle de cinéma de ce multiplexe est presque pleine. Le public, entre 40 à 50 ans de moyenne d’âge, est particulièrement concentré voire austère lorsque je le rejoins.

 

Le  documentaire Des Hommes, réalisé par Alice Odiot et Jean-Robert Viallet vient de commencer. Il est sorti dans les salles ce 19 février 2020.

 

Nous sommes informés qu’il s’est passé trois années avant que leur demande (en 2013) à pouvoir filmer dans la prison des Baumettes, une maison d’arrêt et centre de semi-liberté, où des hommes sont en majorité incarcérés, ne soit acceptée.

 

 

Je ne sais pas ce qui a poussé l’administration pénitentiaire à accepter ce projet et ce qui nous permet à nous,  ainsi qu’aux précédents et futurs spectateurs, « d’entrer » dans la prison historique des Baumettes en regardant ce documentaire. Peut-être le fait que cette prison des Baumettes que nous voyons , créé dans les années 30, vétuste, insalubre et surpeuplée – jusqu’à trois détenus dans 9 mètres carrés- fermée en 2018 (donc deux ans après le documentaire)  est destinée à être détruite en 2020.

 

En acceptant ce tournage, il y avait donc sans doute une volonté officielle de faire comprendre que cette prison que nous voyons dans Des Hommes appartient au passé. Même s’il ne suffit pas de raser des murs pour sortir du passé :

 

Une extension de la prison des Baumettes, Baumettes 2, a été construite. Elle a ouvert en 2017.

Les visites gratuites organisées fin 2019 dans certaines parties de la prison historique des Baumettes où se déroule ce documentaire ont affiché complet.

 

 

Des Hommes résulte de 25 jours en immersion dans le « passé ». L’expérience se passe sans voyeurisme.

 

 

Des Hommes me fait penser à un croisement entre le film Beau Travail ( 1999)  de Claire Denis, Un Prophète ( 2009)  de Jacques Audiard et 10ème chambre, Instants d’audience ( 2003) de Raymond Depardon.    

 

 

Pour expliquer leur présence ou leur retour aux Baumettes, certains disent avoir fait une « connerie ». D’autres sont dans le déni ou séduisent. Du moins essaient-ils.

 

«  Ma maman a peur de moi, je sais pas pourquoi ». « Je n’ai rien à faire ici ».

 

 

Déni ou séduction font peut-être partie des recettes qu’ils ont souvent appliquées dehors et cela leur a sûrement réussi comme cela réussit à  beaucoup d’autres hors de prison. On ignore la raison de leur incarcération comme on ignore ce qu’ont été leurs vies et leurs leviers dès leurs premiers pas. C’est tant mieux comme ça. Ce n’est pas parce-que l’on est en prison que l’on doit se livrer. Chacun ses secrets. Eux, les leurs et nous, les nôtres :

 

Parce qu’à force de regarder ces hommes (et ça aurait été pareil si les détenus de ce documentaire avaient été des femmes ou des mineurs), si l’on a ce courage, on finit un peu par se regarder soi-même.

 

Je me suis déjà demandé celui que je deviendrais si j’étais incarcéré quelle qu’en soit la raison. Et combien de temps je  tiendrais avant de me transformer. Je ne suis pas pressé de vérifier. Mais je me suis déjà suffisamment regardé pour savoir que, tous les jours peut-être, j’entretiens certaines apparences qui me sont depuis des accoutumances, en maintenant derrière mes propres barreaux certaines vérités bonnes et mauvaises sur moi.

Ce qui m’a sauvé pour l’instant, c’est d’avoir pu disposer du Savoir, de l’imagination, de certaines protections adéquates et de suffisamment de chance afin de me mettre « bien » avec la Loi et la justice. Et, aussi le fait, ne nous faisons aucune illusion,  que je me suis jusqu’à maintenant toujours montré suffisamment convenable et raisonnable en étant docile et peureux à point. Juste comme il faut.  

 

Voilà pour une rapide mise en relation entre les détenus que l’on voit dans le documentaire Des hommes et moi, un spectateur lambda.

 

Et puis,  dans ce documentaire, il y a également des intermédiaires que l’on voit aussi en plein échange avec les détenus:

 

Le personnel pénitentiaire (matons, personnel soignant, directrice, assistante sociale) et judiciaire.

 

Il y a de tout comme partout ailleurs mais comme l’endroit est occlusif  les effets y sont hypertrophiés. Il y a à la fois de l’asymétrie, de gros cafouillages dans les relations et de l’empathie :

 

 

«  Non…c’est pas deux mois. C’est deux ans en plus » (après avoir, dans un premier temps, informé le détenu que sa peine était rallongée de deux mois).

 

«  Vous êtes une personne vulnérable ? ». Réponse de l’intéressé : «  ça veut dire quoi ? ».

La directrice de la prison reprend : «  Enfin, vous n’êtes pas un enfant de chœur, non plus… ».

 

 

Il est évidemment beaucoup plus facile pour moi d’écrire un article sur ce documentaire- même si ça m’ennuierait beaucoup de mal le servir- que pour cette directrice d’administrer cette prison et ces hommes. Mais entre les Lois entre dominants et dominés qui ordonnent les relations entre détenus et celles de la Prison et de la Justice, je me dis qu’il peut devenir très difficile de concilier les deux. Entre se prendre une branlée ou un coup de couteau- ou pire- parce-que l’on a refusé de rendre un « service » ou être un détenu modèle, il doit être bien des fois très difficile de (bien) choisir. Et cette directrice ainsi que son personnel sont exemptés de ce genre de bizutage ou de menace.

 

 

« Depuis que je suis aux Baumettes, il y a eu trois morts ».

 

 

Il y a aussi le personnel qui essaie de comprendre telle cette assistante sociale ou son équivalent. Et qui semble avoir une bonne relation avec les détenus. Lorsqu’elle s’entretient avec deux d’entre eux après qu’ils aient participé à un passage à tabac sur un autre détenu, elle essaie de les sensibiliser au  fait qu’ils ont été les auteurs d’une extrême violence.  Elle a vu les images vidéos de l’agression. Devant la caméra des deux réalisateurs Des Hommes, les deux détenus  se montrent « ouverts » à la discussion et polis. D’accord, ils ont peut-être frappé fort juste pour une insulte. Mais l’un des deux souligne qu’il a jeté de l’eau sur la victime pour la ranimer, ce qui, pour lui,  correspondait à un geste d’assistance et de secourisme. Si une certaine satisfaction et une certaine appétence pour la violence semble évidente chez ces deux hommes, on peut aussi se demander combien de temps et combien de fois ils avaient eux-mêmes été témoins ou victimes de violences en prison et dehors. Et combien de fois ils avaient aussi dû prendre sur eux et se retenir devant des violences, avant de commencer à se lâcher sur ce détenu et sur d’autres avant et après lui. On ne le saura pas comme eux-mêmes ne s’en souviendront peut-être pas, puisqu’il s’agit de vivre au jour le jour,  ou alors lorsqu’il sera trop tard.  Pour eux comme pour leurs victimes. Leurs victimes pouvant aussi être leurs propres enfants s’ils en ont ou certains membres de leurs familles qui subiront aussi directement ou indirectement les conséquences de leurs actions violentes. Mais j’extrapole car Des Hommes s’attache au quotidien de ces prisonniers aux Baumettes.

 

 

 

Il y a aussi une violente asymétrie lorsque l’on voit ce détenu jugé par visioconférence. Dans ce passage du documentaire, on assiste d’abord à la pauvreté des moyens de la Justice et des prisons (au moins en personnel). Alors, on recourt à la technologie pour truquer les manques. Pour juger à distance. On peut se dire qu’il vaut mieux ça que pas de jugement. Premier constat.

 

Mais on peut aussi se dire qu’en jugeant de cette façon, à distance, que la Justice et la Loi considèrent ce détenu comme la malaria avant le vaccin : il ne mérite pas le déplacement. Qu’il reste en prison.

 

Enfin, je reste marqué par cette médiocre qualité du son lors des échanges entre ce détenu et la cour qui le juge. Ce qui donne l’image d’une justice véritablement « cheap » ou bas de gamme. Alors que le vocabulaire- et ,vraisemblablement, le niveau de vie- employé par les représentants de la Loi et de la Justice  est,  lui , plutôt haut de gamme et aux antipodes de celui du jugé :

 

 

D’un côté, des personnes éduquées qui ont de toute évidence bénéficié d’un très haut niveau d’études, qui viennent sans doute d’un milieu social plutôt favorisé. D’un autre côté, un jugé qui s’est plutôt fait avec sa famille et son milieu et qui possède les codes de la rue et de la débrouille. On peut bien-sûr être issu d’un très bon milieu social, avoir fait de très bonnes études et très bien servir la Justice et l’équité. 

 

Mais on a l’impression lors de cette séquence d’assister à un cliché de justice datant presque de l’époque de Molière. Et, malgré le sourire, en forme d’aumône plutôt sympathique,  de la juge à la fin de la comparution, apprendre en même temps que le détenu que la décision du jugement lui sera signifiée prochainement par le greffe de la maison d’arrêt des Baumettes nous donne l’impression qu’il sera de toute façon le cocu de l’histoire.

 

 

On parle beaucoup de la tendance à la destruction et à l’autodestruction de celles et ceux qui récidivent en prison. On parle moins de cet esprit de compétition vis-à-vis de soi-même et des autres qui en est souvent l’un des principaux ingrédients. Celui qui pousse sans cesse à vouloir sortir du lot. Mais aussi à manquer d’indulgence pour soi-même et les autres. Le but suprême, et volatile, est alors de réaliser rapidement  certains profits et d’accomplir certains exploits même si, pour cela, il faut dilacérer autour de soi à peu près tout ce qui peut constituer un refus ou un ralentissement.

 

Beaucoup de ces hommes peuvent donc être vus comme des entrepreneurs et des conquérants qui ont échoué. Ou comme les sosies égarés des mannequins, des VRP, des célébrités et des comédiens que sont certaines et certains de ces dirigeants pour lesquels nous sommes quelques fois appelés à voter.   

 

«  Je suis de retour en prison. Je suis égaré ».

 

 

 

Franck Unimon / blog balistique du quotidien, ce dimanche 1er mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Nouvelle épreuve olympique

 

 

 

 

 

                                                    Nouvelle épreuve olympique

 

 

On devrait inscrire le déni au tableau des épreuves olympiques. On assisterait à des  performances éblouissantes. Tous les jours, des records mondiaux seraient battus. Et tout cela sans le moindre microgramme de dopage. Enfants, adolescents, femmes, hommes. Beaucoup d’entre eux ridiculiseraient par leur très haut niveau de compétence nos champions habituels.

 

Cette nuit, j’ai essayé de démontrer à une de mes collègues comment, en tant qu’infirmiers, nous sommes arrimés à notre planning. Tout est parti d’une discussion à propos de la gentillesse. Lorsque l’on est trop gentil, on se fait marcher dessus. C’est ce que j’ai affirmé à nouveau devant elle. Elle s’est presque mise en colère :

 

Les gens trop gentils, ça n’existe pas ! Pour elle, on parlait plutôt de personnes « faibles » lorsque l’on parle de personnes qui se font marcher dessus !  

 

J’en suis arrivé à parler de cette violence qui peut nous être infligée à travers le planning.

 

On parle souvent de la pénibilité du travail infirmier. Sa charge émotionnelle. Ses responsabilités. Ses horaires en dents de scie et possibles tous les jours de l’année. Sa dévaluation constante, année après année. Ce nombre de jours de congés qui nous ont été supprimés. Ces primes de service bradées. Cette exigence de flexibilité («  Vous êtes titulaire mais pas titulaire de votre poste dans un service »). Ses effectifs diminués. Cette carrière rallongée de plusieurs années pour un métier désormais défini comme « sédentaire ». « Sédentaire » comme pépère. Des pépères qui, s’ils ont atteint leur nombre maximal de trimestres, pourront s’orienter vers une retraite à taux plein à peu près lorsqu’ils auront 64 ou 65 ans, on verra bien d’ici là. Où on en sera du côté des assurances privées.

 

Dans cet organigramme des tours de vis que subit la profession infirmière- comme dans d’autres professions- presque de façon programmée, le planning occupe une place particulière dans nos cœurs et dans nos artères. Car il est notre horoscope intime. Tantôt abîme, tantôt délivrance, c’est avec le stéthoscope fébrile et concentré que, souvent, on se penche au dessus de lui pour l’ausculter afin de savoir si notre avenir continue de luire entre les étoiles où s’il est devenu posthume. Pourrons-nous avoir la vie que nous souhaitons avoir en dehors de nos heures de travail ou serons-nous à nouveau contraints à faire plus d’efforts ? Pour « nécessités de service ». Pour les patients. Par solidarité. Par conscience professionnelle. Pour l’éthique.

 

Comme beaucoup, je connais tout cela. Ainsi que les arrangements de planning entre collègues. Je connais aussi les hiérarchies compétentes, engagées et compréhensives. Néanmoins, à moins de passer toute sa vie professionnelle dans un bunker, toute infirmière et tout infirmier connaîtra le supplice du planning. Le tour de piste des collègues, malades, non remplacés, de mauvaise foi ou récalcitrants à remplacer. Les hiérarchies qui vous placeront une kimura entre votre dimanche et votre lundi ; qui réinterprèteront votre planning- votre horoscope- autrement ou vous contacteront durant vos vacances.  

Si vous avez  encore un petit peu de chance et de l’argumentation, cela sera fait avec correction et vous trouverez des arrangements. Autrement, il vous faudra composer. N’oubliez pas en outre, qu’aujourd’hui, et c’est une règle pour l’instant implicite mais déjà active, avec le téléphone portable et la boite mail, tout le monde est supposé pouvoir être joint pratiquement vingt quatre heures sur vingt quatre.

 

On supporte et on accepte mieux certaines conditions de travail et sa communication selon ce que l’on a besoin de prouver ou de sauver.  Selon ce que l’on a besoin d’apprendre. Selon son âge et sa situation personnelle, aussi.

 

Comme la majorité, j’ai participé et continue de participer à l’effort de guerre. Je l’ai fait et le fais encore volontairement. Mais on peut très bien consentir à certains efforts ou sacrifices et palper encore un peu de lucidité :

 

Si  dans le service, quelqu’un manque à l’appel et à l’appui sur la chaine de montage du soin, tout le reste s’effondre nous fait-on comprendre. Même si on sait aussi, au besoin, laisser filtrer dans notre cervelle que toute infirmière ou infirmier est interchangeable.

 

 

J’ai essayé de faire comprendre à ma collègue que dans la Santé, d’autres professions collègues sont plus libres que nous par rapport au planning. Rien à faire. A quelques voix de la retraite, celle-ci a considéré qu’il était beaucoup trop facile de s’en prendre aux hiérarchies ! Qu’elle avait toujours travaillé en toute solidarité avec ses collègues ! J’ai loué et je loue ça. Pourtant, à part ça, le planning de l’infirmière et de l’infirmier est tout de même bien des fois un crucifix, non ? Hé bien, pour elle, non ! Nous nous sommes presque fâchés.  J’ai fini par lui dire :

 

«  Tant mieux pour toi ! ». «  Tu as de la chance ! ».

 

 

Avant de quitter notre service, un message vocal de ma compagne. Notre fille ayant encore fait de la fièvre cette nuit (otite ? Angine ? ), elle me demandait si je pouvais rentrer plus tôt afin qu’elle puisse partir au travail. Autrement, il allait manquer du personnel dans le service ce matin (oui, ma compagne est aussi infirmière). Dans son message, ma compagne se proposait de rentrer en début d’après-midi afin d’emmener notre fille chez le médecin. Je l’ai appelée. Je n’avais pas vu tous les messages. Entretemps, elle avait décidé de prendre une journée « enfant malade ». 

 

 

Après ça, je suis parti à la pharmacie. Afin de me faire rembourser les masques FFP2 dont j’ai parlé dans Coronavirus. D’un commun accord, ma compagne et moi avons opté pour nous procurer des masques à un tarif plus fréquentable. Elle savait comment. Un des articles de Le Canard Enchaîné  de ce mercredi 26 février 2020 (Coronavirus : les prix des masques s’envolent en France  puis Le ( corona) virus du commerce ! ) m’a depuis malheureusement conforté dans ce que j’avais compris :

 

 

«  (….) Car, dans les hôpitaux, les factures grimpent déjà à une vitesse vertigineuse. Exemple : entre le 20 janvier et le 4 février, le tarif facturé par un distributeur français, Paredes, a quasi triplé ».

 

« (….) Sur internet, des petits malins ont aussi flairé l’épidémie des bonnes affaires. Le dimanche 23 février, un lot de 20 masques FFP2 était en vente sur le site eBay au prix de 16 euros. Le lendemain matin, alors que l’Italie avait franchi un nouveau cap, le même lot était affiché à….32 euros ! ».

 

Mais avant cela, toujours dans le même article signé J.C, page 3, ce passage :

 

« Le Ministère de la Santé a fait ses calculs : pour équiper les soignants, les flics et les pompiers face à l’épidémie de coronavirus, «  il faudra 200 millions de masques FFP2 sur les trois prochains mois » confie une huile du ministère. Ces masques qui empêchent d’être contaminé ont une « durée de vie » de trois heures seulement…. ».

 

 

Une « durée de vie de trois heures seulement ». Le pharmacien m’avait dit « huit heures ». Je me suis vraiment fait couillonner il y a un ou deux jours avec l’achat de ces masques. Ce qui s’est vérifié sur place en retournant à la pharmacie :

 

Impossible de les restituer pour des « conditions d’étanchéité ». Impossible d’obtenir un bon d’achat en contrepartie. C’est comme pour les médicaments m’a-t’on expliqué de façon aimable et intraitable : une fois vendus, on ne les reprend pas.   

 

J’ai donc payé à nouveau de ma poche pour les autres articles que j’avais prévus d’acheter en revenant dans cette pharmacie. Je vois ces trois masques que j’ai donc gardés comme des préservatifs un peu chers. Ce sont peut-être eux qui nous sauveront la vie puisqu’une seule fois suffit. Et cela me permettra peut-être un jour de lire El Watan.

 

 

J’avais quitté la pharmacie depuis plusieurs minutes et me dirigeais vers la ligne 14 lorsque j’ai croisé un homme et peut-être son fils, adolescent. Ils portaient tous les deux un masque et, la nouveauté, c’est qu’il s’agissait là de deux européens. Je me suis dit que ça commençait. Bientôt, on va voir de plus en plus de personnes portant un masque FFP2 au moins dans les rues de Paris ou dans dans ses transports en commun.

 

 

Mais cet article n’est pas encore terminé.

 

 

Je me suis enfourné dans le métro de la ligne 14. Un homme d’une trentaine d’années m’a accueilli presque bras ouverts. Le métro était bondé. Normal aux heures de pointe. Ce qui a été inhabituel, cela a été les traits d’humour de cet homme qui s’est mis à me parler. Des autres passagers plutôt maussades. Du fait de partir au travail. Je lui ai dit que je venais de terminer. Son visage s’est éclairé. Le travail de nuit, c’est bien, m’a-t’il dit. Même si ce n’est pas très bon pour l’organisme a-t’il continué. J’ai acquiescé et ajouté sans développer :

 

«  Pour la vie sociale, aussi ». Il a haussé un peu les épaules. La vie sociale, ce n’était pas important. Il a évoqué son projet d’obtenir de faire du télétravail trois jours par semaine. Il m’a assuré que si ses employeurs refusaient qu’il partirait. Il a ajouté :

 

«  De toute façon, je n’ai formé personne. Ils ont besoin de moi ».

 

A le voir habillé en Jeans, basket, portant la veste, décontracté et me parlant télétravail comme si son absence dans son service n’aurait aucune incidence, je me suis dit qu’il devait être informaticien. Ce que je lui ai demandé. Celui-ci m’a répondu :

 

« Dans l’informatique et la finance ». Et sans que je lui en demande davantage, voilà qu’il a commencé à me dire que, «  dans la finance », on était créatif pour utiliser des « produits toxiques » de façon illégale. Ou en jouant avec la loi. Bien-sûr, en entendant ça il me restait un fond de Jérome Kerviel dans la tête.  Mais il m’a fallu rechercher son prénom et son nom sur le net pour la rédaction de cet article. Car je les avais plus ou moins oubliés : Jérome Kerviel était un trader de 31 ans en 2008 lors de « l’affaire » de la Société Générale. A cette époque, je ne connaissais même pas ma compagne et je travaillais ailleurs. On ne parlait pas de réforme de retraite. Il n y avait pas de gilets jaunes. Pas de coronavirus.

 

 

Avant que les portes du métro de la ligne 14 ne s’ouvrent à St Lazare, j’ai informé mon interlocuteur que j’allais me dépêcher. Il m’a souhaité une bonne journée. J’aurais pu rester discuter avec lui. Mais je n’aime pas piétiner dans la foule dans les escalators, dans les escaliers et dans les transports en commun. Je ne voulais pas non plus que notre conversation dure trop longtemps. Mais je crois qu’il était bien dans l’informatique et dans la finance. Contrairement au livreur maussade qui est venu tout à l’heure alors que j’étais encore dans cet article. La dernière fois, ce livreur m’avait obligé à venir chercher notre commande dans la rue affirmant :

 

«  On n’a pas le droit de monter. C’est interdit ».

 

Aujourd’hui, il a dû monter. Avec une certaine colère en sourdine, devant moi,  le livreur m’a demandé : « Vous avez un stylo ? ». Oui, j’avais un stylo. Studieusement, je suis parti chercher un stylo. Il m’a indiqué avec autorité :

 

« Vous marquez votre nom là et vous signez ». J’ai marqué mon nom et j’ai signé. Il est ensuite parti, remonté. A la prochaine livraison, il me descendra peut-être.

 

Franck Unimon, ce jeudi 27 février 2020.

 

 

 

 

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Scandale

                                                       

 

                                                                    Scandale

 

 

On a pu entendre dire que les Américains des Etats-Unis sont des grands enfants. Savoir qu’un centre d’attractions comme Disneyland a les faveurs de millions d’Américains me laisse encore assez perplexe même si j’ai aimé et aimerais encore les équivalents de ce genre de lieux d’attractions en France. Les Etats-Unis sont aussi vus comme le pays de la malbouffe avec Mac Do, coca-cola et une certaine explosion de l’obésité.

 

J’ai lu un jour  que les Etats-Unis d’Amérique sont la plus grande démocratie du monde. 

 

Et l’on sait aussi assez combien les Etats-Unis continuent de diriger le Monde même si des Nations comme la Chine et la Russie, et certains de leurs alliés, peuvent s’opposer assez régulièrement à ce leadership. Commercialement et économiquement pour la Chine. Au travers par exemple de l’histoire du téléphone portable de marque Huawei et de la 5 G, auquel se refuse le président américain Donald Trump. Car, officiellement, cette technologie permettrait aux Chinois d’espionner au moins les Américains qui nous le rendent bien depuis le président Barack Obama- et sans doute avant- avec leur surveillance de masse organisée avec la complicité des grandes entreprises telles que Google, Amazon, Facebook, Apple et d’autres en compagnie d’autres pays à l’aise avec cette surveillance ( Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni…. voir l’affaire Snowden).

 

La Russie de Poutine représente quant à elle un danger militaire, technologique et politique au moins pour les Etats-Unis : un article dans Le New York Times de ce 22 et 23 février 2020 informe que la Russie a l’intention d’influencer le résultat des primaires des démocrates en février 2020 ainsi que celui des élections présidentielles  ( «  (…) including that Russia intended to interfere with the 2020 Democratic primaries as well as the general election », article Lawmakers are warned of Russia interference).

 

 

Très avancé dans bien des domaines, les Etats-Unis sont aussi le pays qui peut se montrer très conservateur ou très arriéré selon nos modèles et nos valeurs.

 

Le film Scandale est fait de tous ces paradoxes. Dans mon article A Voir absolument  écrit hier, je m’exprimais spontanément devant l’affiche du film. Dans un certain jargon, on dira que j’ai projeté sur cette affiche certaines de mes pensées et certains de mes sentiments en la voyant. Et j’en ai profité pour pousser la caricature et l’autodérision sans connaître le sujet du film.  

 

Puis arrive, si on peut se l’accorder, le temps de l’expérience et l’étape de la contradiction. Mais aussi, dans le meilleur des cas, celui de la construction ou de la contribution. Ces trois temps, j’ai tenu à me les accorder ce matin vraisemblablement du fait de la présence de Charlize Theron et de Nicole Kidman dans le film. Actrices à propos desquelles j’ai écrit le bien que j’en pensais.  Du fait du titre du film. Et parce-que j’ai côtoyé quelques bouts d’une interview de l’actrice Margot Robbie qui parlait entre-autres de son admiration pour les deux premières.

 J’écrirai peut-être plus tard sur les à-côtés de cette séance cinéma car ils me semblent rajouter quelque chose à mon regard sur le film. Mais, en attendant, maintenant que je viens de voir le film Scandale, je peux passer derrière cette vitrine et cette affiche que nous offre constamment les Etats-Unis de New-York. Puisque j’ai déjà entendu dire que New-York, c’est une certaine partie des Etats-Unis. Une partie des Etats-Unis qui est peut-être la plus médiatisée. La plus donnée en exemple. Celle qui a aussi été terrorisée et agressée en 2001.

 

Cette vitrine new-yorkaise est faite de personnes travailleuses, ultra-compétentes, affutées, bien dans leur corps et à l’aise avec leurs hormones. Invulnérables. Friquées.  Leurs sourires permanents ont la solidité d’un pare-chocs de quatre-quatre. Lorsque le Monde a peur, le visage des Etats-Unis, au moins à New-York et dans ses environs, est celui de celle ou celui qui peut vous répondre s’il le souhaite :

 

«  Relax ! On va y arriver ! Je suis l’adversaire de la peur. Vous allez voir, je vais vous monter un bon dossier avec des super-héros, un scénario fantastique, une très bonne médecine, de bons journalistes et de très bons avocats et, croyez-moi, la mort va reculer car nous allons lui donner une bonne raclée et elle s’en souviendra. Nous sommes en Amérique, ici !  ».

 

L’histoire du film Scandale est inspirée d’événements qui se sont déroulés en 2015-2016 au sein de la chaine d’informations Fox News qui appartient à Rupert Murdoch, «  32 ème personne la plus puissante du monde/ 76 ème fortune mondiale » nous dit wikipédia et soutien de Donald Trump lorsque celui-ci s’est présenté aux élections présidentielles en 2015-2016. Cette dernière information est dans le film. 

 

J’ai peut-être entendu parler de l’affaire « Roger Ailes » à l’époque mais je ne m’en souviens pas.

 

Efficace et pédagogique, le film de Jay Roach nous fait entrer dans un monde de la presse très conservateur, partial et démagogique, car voué à satisfaire son public et son parti, tous deux conservateurs, et où pratiquement toutes les femmes employées, de la journaliste lambda à la journaliste vedette se donnent aux règles phallocrates des hommes qui les dominent. Car elles se dévouent à un « métier visuel » où on les recrute souvent parce-qu’elles sont de jolies crevettes.

 

Côté vitrine et affiche, ce sont des femmes éloquentes, incisives et indépendantes qui ont Fox News dans la peau, gagnent bien leur vie et ont une très bonne carrière. Hors caméra, elles obéissent à l’audience et, pour la plupart, elles acceptent en silence le commandement supérieur  des volontés sexuelles de leurs boss masculins : tenues vestimentaires types, sexe oral et autres types de rapport imposés selon les agendas de ces hommes à bosse proéminente au milieu du pantalon. On appelle ça, faire preuve de loyauté. On comprend un peu mieux en regardant ce film dans quel contexte Donald Trump a pu devenir président des Etats-Unis. Ainsi que les raisons pour lesquelles ses antécédents de harcèlement sexuel et un certain nombre de ses propos ont peu entamé son accession à la présidence des Etats-Unis. 

 

«  J’ai fait gagner un milliard de dollars aux Murdoch » dira Roger Ailes dans le film. Cette rentabilité explique aussi le maintien de certains à leur poste de responsables.  

De gauche à droite, Megyn Kelly ( l’actrice Charlize Theron), Gretchen Carlson ( l’actrice Nicole Kidman) et Kayla Pospili ( Margot Robbie)

 Scandale raconte la réaction de deux femmes journalistes vedettes, Megyn Kelly (interprétée par Charlize Theron) et Gretchen Carlson (interprétée par Nicole Kidman) qui décident à un moment donné d’attaquer en justice Roger Ailes (interprété par John Lithgow), le président de Fox News, pour harcèlement sexuel. Il s’agit d’un biopic. A ce que j’ai lu, le personnage de Megyn Kelly, dans la vraie vie, est moralement moins sympathique si l’on habite certaines valeurs.

 

 

Megan Kelly ( l’actrice Charlize Theron) et Roger Ailes ( l’acteur John Lithgow)

 

 

Cependant, « L’affaire » Roger Ailes rappelle évidemment, dans le milieu du cinéma, « l’affaire » du producteur Harvey Weinstein qui se produira un ou deux ans plus tard. Ainsi que « l’affaire » DSK quelques années plus tôt.  En France, on pensera à d’autres affaires du même genre. Actuellement,  en France, on parle par exemple de l’affaire de l’écrivain Gabriel Maztneff  (Prix Renaudot en 2013, connu pour ses œuvres où il parle de ses expériences pédophiles)  suite à la parution en 2019 de l’ouvrage Le Consentement  de Vanessa Springora  où elle raconte sa relation avec celui-ci alors qu’elle avait 14 ans et lui, 49.

En France toujours, on parle aussi de l’affaire du réalisateur Christophe Rugia accusé de «harcèlement » et « d’attouchements » par l’actrice Adèle Haenel alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans. On reparle aussi du réalisateur Roman Polanski.

 

A chaque fois, les hommes incriminés sont installés au Pouvoir depuis des années, sont nettement plus  âgés que leurs victimes et sont « coutumiers des faits qui leur sont reprochés ». Ce sont aussi, lorsque l’on parle d’Harvey Weinstein et Roger Ailes, des hommes d’une « autre » époque et d’une  société qui était antérieure à la société que nous connaissons désormais à travers internet et les réseaux sociaux :

Soit que l’époque d’où ils viennent était celle d’une société plus permissive, plus passive ou plus servile concernant leurs agissements. Soit que leurs alliés et protecteurs d’alors étaient plus nombreux et/ou plus puissants. Et que les victimes, elles, alors, étaient davantage livrées à elles-mêmes. Lorsque je regarde Roger Ailes dans le film, il me fait penser à Hoover qui avait régné sur le FBI pendant des années ( 42) tel un monarque absolu. Même si leurs domaines d’action étaient différents,  je crois que les certitudes avec lesquelles ils gouvernaient étaient assez jumelles.  

 

 

Roger Ailes avait un peu plus de 70 ans lorsque la journaliste Gretchen Carlson a porté plainte contre lui. Harvey Weinstein, un peu plus de 60 ans lorsque son affaire a été rendue publique en 2017.  Un à deux ans sépare les deux affaires. 

 

Le rôle tenu par l’actrice Margot Robbie ( Kayla Pospili) a , lui, été inspiré de témoignages. Bien-sûr, on pense au mouvement #Metoo et balance ton porc. Mais je crois que le film Scandale  aborde aussi d’autres sujets :

 

La presse, décrite comme le quatrième Pouvoir, passe de plus en plus comme un Pouvoir en déclin pour défendre certaines causes « justes ». Car elle s’est faite annexer et museler. Dans Scandale, la presse se révèle asphyxiante car  Fox News  semble être en situation de monopole en tant qu’organe de presse. A moins que ce soit une façon pour le réalisateur de montrer comme les personnes victimes de harcèlement, et, à travers elles, toutes les personnes lanceuses d’alerte dans quelque domaine que ce soit, sont souvent d’abord isolées. Parce qu’elles évoluent, malgré les sourires à tous les étages, dans un monde professionnel extrêmement concurrentiel où le chacun pour soi, la peur de perdre son job, sa réputation – ainsi que sa position sociale avantageuse- et la toxicité de certaines pratiques sont une somme que la majorité regarde et engloutit dans le déni.

 

Dans Scandale, arrive un point où l’on se demande si le pire provient de tous ces hommes de Pouvoir et qui en abusent ou de tous ces employés – femmes et hommes inclus- qui deviennent spontanément solidaires pour se taire et aussi pour dénigrer, discréditer voire harceler à leur tour celles qui lancent l’alerte. Si l’on est bien au pays de Walt Disney, le parc d’attraction de Fox News devient ici un parc de destruction où plus que Blanche Neige et le petit Chaperon Rouge, les sorcières et les loups restent les grands vainqueurs de l’animation. Même si certains des loups succombent à leur disgrâce lorsque celle-ci arrive ( Roger Ailes est décédé en 2017 soit un ou deux ans après « l’affaire »).  

 

L’aplomb de Charlize Theron et de Nicole Kidman dans le film est proche de celui du personnage interprété par l’actrice Jessica Chastain dans Miss Sloane réalisé par John Madden en 2016. Mais en grattant bien, je trouve que le rôle de Nicole Kidman dans Scandale a une petite parenté avec celui qu’était le sien dans le Dogville de Lars Von Trier ( 2003) . Et  je repense aussi maintenant à l’humiliation vécue par le personnage interprété par Jennifer Anniston dans The Good Girl réalisé en 2002 par Miguel Arteta. Même si, côté humiliation , le personnage de Charlize Theron dans Monster ( 2003) avait fait le plein. On peut du reste relever, que comme par un besoin de compensation, Patty Jenkins,  la réalisatrice de Monster a ensuite réalisé Wonder Woman en 2017 ainsi que Wonder Woman 1984 prévu en salles en 2020. 

 

 

On peut voir le film Scandale comme un film « féministe » militant à juste titre pour plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Ce qui encouragera et réconfortera sûrement des personnes.  

 

Mais  je crois qu’il faut se rappeler que cette affaire est aussi contemporaine des affaires Snowden comme de Wikileaks, Chelsea/Bradley Manning, Katharine Gun, où, là aussi, des individus, ont pris la décision, pour diverses raisons, de refuser certaines pratiques privées et dictées afin de les rendre publiques et démocratiques dans l’espoir de sauver ce qui peut encore l’être de nos droits, de nos vies et de nos libertés.

 

Je crois aussi qu’il faut aussi relier cette affaire au mouvement Occupy Wall Street. Aux initiatives qui sont prises par certaines personnes afin de vivre dans un monde plus écologique.  Aux collapsologues qui nous parlent de l’effondrement. Aux démarches judiciaires engagées par d’autres contre Monsanto et le Glyphosate mais aussi dans l’affaire du Médiator et du scandale du silicone industriel dans les prothèses mammaires PIP.

 

Toutes ces prises de conscience et ces actions sociales, politiques et judiciaires sont souvent concomitantes. Les regarder comme de simples coïncidences éloignées et séparées dans un monde immuable est peut-être une forme de déni comme celui qui a meublé les existences de plusieurs des personnages aux avant postes dans le film Scandale. Et aussi ailleurs.

 

Dans le film, alors qu’elle est seule et en plein doute Gretchen Carlson ( interprétée par Nicole Kidman) dit à ses avocats qu’elle s’est jetée du haut de la falaise en s’attaquant à Roger Ailes. La suite la confortera dans sa très grande prise de risques. Néanmoins, ce film plutôt optimiste semble bien illustrer le titre d’une des chansons de Jimmy Cliff qui date de 1972 :

 

 » Many rivers to cross ». 

 

Franck Unimon, mardi 25 février 2020.

 

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Coronavirus

 

 

Coronavirus : un petit sursis pour l’homme, un grand profit pour les pharmacies.

 

 

Je me trouvais du côté de la Gare du Nord. Je me suis dit que j’allais essayer de me procurer un numéro d’El Watan. Depuis que dans le 8ème arrondissement de Paris, j’ai croisé un journaliste d’El Watan, je me suis mis en tête de le lire. C’était avant d’interviewer le réalisateur Abdel Raouf Dafri dont j’ai déjà reparlé récemment. ( A Voir absolument ).

 

A entendre ce journaliste, il était facile de l’acheter dans un kiosque à journaux. C’était il y a plusieurs semaines. Toujours dans le 8 ème arrondissement, j’ai recroisé ce journaliste il y a quelques jours alors que je me rendais à la projection de presse du film Brooklyn Secret (Brooklyn Secret.) Mais avant que je puisse lui exposer mes difficultés pour trouver à la vente ce journal qui le rémunérait, il avait disparu.

 

Dans un point presse bien pourvu du 13ème arrondissement où on ne le vend plus depuis une dizaine d’années, on m’avait suggéré que j’avais mes chances à Barbès. C’est là que des anciens clients de ce point presse se rendraient désormais pour acheter El Watan.

 

Je me suis imaginé que j’avais mes chances à la Gare du Nord. Puisque c’est proche de Barbès. Je me suis trompé. A la place, le vendeur a fait de l’humour. El Watan ? L’Algérie ? J’ai commencé moi aussi à faire de l’humour :

« Vous savez que l’Algérie existe ? ». Il m’a répondu sans détour :

« Je sais que l’armée existe…je suis algérien ».

Il m’a confirmé qu’il était probable que El Watan soit en vente à Barbès. Mais je ne me voyais pas aller jusqu’à Barbès. Je me suis contenté du New York Time  et de El Pais.

 

Par paresse, je lis très peu de presse étrangère. C’est un tort. C’est un tort de se contenter du minimum de ce que l’on sait et de ce que l’on a pu apprendre ou commencé à apprendre à l’école ou ailleurs. De rester dans son confort. C’est comme ça qu’ensuite, avec l’habitude, le quotidien, notre regard sur nous-mêmes et sur notre environnement se rétrécit et qu’après on pleure sur soi-même parce-que notre vie est pourrie. Qu’il ne s’y passe jamais rien ou pas suffisamment selon nous.

Mais, là, j’ai acheté The New York Times  et El Pais. Même si je savais que je les lirais très partiellement, cela me permettrait déjà de partir ailleurs.

J’ai plus feuilleté le New York Times car mon manque de pratique de l’Espagnol m’handicapait avec El Pais.

 

Dans le train du retour, je me suis assis à quelques mètres d’un SDF bouffi par l’alcool que je connais de vue. Je crois qu’il réside dans ma ville. Une dame venait de lui donner de l’argent. Mais dès qu’il m’a aperçu près de lui, il m’a sollicité et en a redemandé. A défaut d’argent, il m’a d’abord demandé l’heure car il ne pouvait pas voir. Puis, il a fini par me demander de lui donner un journal. Pour lire. Pour s’informer. Il avait manifestement envie de parler à quelqu’un. Lorsque je lui ai dit que les journaux étaient en Anglais et en Espagnol, il a renoncé. Par contre, lorsque quelques minutes plus tard, un autre homme est venu faire la manche dans le même wagon en passant parmi les voyageurs, il l’a aussitôt menacé et lui a dit de se casser. L’autre homme a poursuivi son œuvre avec le sourire.

 

Ce matin, je suis passé à la pharmacie. Je savais que je n’y trouverais pas El Watan. Aussi me suis-je abstenu de le demander. J’étais là pour acheter une lotion capillaire pour ma compagne. J’ai déjà fait « pire » :

Je devais avoir à peine une vingtaine d’années lorsque ma mère m’avait demandé de lui acheter une paire de collants. Cela ne m’avait pas dérangé. Depuis le temps que ma mère m’envoyait faire des courses. J’étais ressorti du supermarché et, dans les rues de Pointe-à-Pitre, j’avais rapidement compris que certaines personnes qui m’avaient croisé avaient des yeux de drones leur permettant de voir parfaitement à travers le sac en plastique transparent que je portais en toute décontraction.

 

Ce matin, pas de collant parmi mes achats. J’étais à la caisse quand j’ai entendu un homme plus jeune que moi demander à une autre caisse un masque FFP2. J’ai aussitôt fait le rapprochement avec le coronavirus Covid-19 bien que, sans cet homme, j’aurais été incapable de savoir le définir de cette façon.

Devant moi, le pharmacien qui me servait m’a répondu qu’il allait voir s’il en restait. Il m’a d’abord dit qu’un masque coûtait 2,99 euros, l’unité. Puis, revenant avec trois masques, il m’a présenté ses excuses : un masque coûtait 3,99 euros. Je les ai néanmoins pris tous les trois.

 

Le pharmacien m’a confirmé que, oui, c’était bien les masques préventifs pour le coronavirus. Il m’a dit qu’il espérait que cela allait s’arranger. Il m’a répondu qu’ils n’en n’avaient pas toujours mais qu’il y avait en ce moment une certaine demande surtout des touristes. Il se trouve que les seuls touristes « reconnaissables » que j’ai pu voir dans cette pharmacie parisienne sont asiatiques. Peut-être chinois. Peut-être japonais.

 

Jusqu’à maintenant, j’ai entendu parler du coronavirus Covid-19 sans m’en inquiéter plus que ça. Mais, ce matin, je me suis dit que cela pouvait être bien de « s’équiper ». En sachant que, selon les dires de ce pharmacien un masque a une durée d’efficacité de 8 heures. Il serait donc convenable si l’épidémie du coronavirus arrive en France qu’elle soit très rapide. Ou d’avoir de quoi acheter un nombre plutôt conséquent de masques. Mais je me suis dit ça après avoir quitté la pharmacie et après avoir payé les trois masques. Parce qu’en reprenant le métro, j’ai pris le temps de lire le journal gratuit distribué devant la pharmacie. J’ai jeté ce journal depuis. Mais je me souviens qu’après un match laborieux, le PSG, hier, a battu Bordeaux 4-3 au parc des Princes. Que El Matador « Cavani » a marqué son 200ème but avec le PSG toutes compétitions confondues. Que Neymar a trouvé le moyen d’écoper d’un second carton jaune et de se faire exclure. Il sera donc absent pour le prochain match face à Dijon. Qu’au début du match, des supporters avaient montré une pancarte demandant à M’bappé, Neymar et Marquinhos de « porter leurs couilles ».

A part ça, l’équipe de France de Rugby, en battant le Pays de Galles, confirmait qu’elle était une très belle équipe. Et puis, tout au début du journal, le coronavirus en Italie. L’inquiétude en Europe. Deux morts.

En rentrant, j’ai regardé à nouveau Le New York Times et El Pais. Hier, dans Le New York Times, j’avais pris le temps de lire l’article consacré à l’acteur, scénariste et réalisateur américain Ben Affleck qui parlait de son addiction à l’alcool. Au fait que son propre père était devenu sobre alors qu’il avait 19 ans. L’alcoolisme de son frère Casey, que l’on n’a plus vu depuis quelques temps sur les écrans, était aussi mentionné.

 

 

C’est sur El Pais que j’ai vu l’article dont s’est sans doute inspiré le journal gratuit d’aujourd’hui concernant le coronavirus. Entre-temps, les près de 4 euros par masque avaient commencé à me peser. Lorsque j’en ai discuté avec ma compagne, j’ai été obligé de me rendre compte que je m’étais fait arnaquer. Comme d’autres. Près de 4 euros pour un masque qui ressemble à un petit slip jetable pour bébé et dont le coût à la fabrication doit se compter en centimes et peut-être même en micro-centimes. Pour un slip jetable qui est peut-être fabriqué en Chine, ce qui serait comique en plus.

 

L’anxiété et l’esprit de prévention avaient encore frappé. Lorsque ce n’est pas sous forme de pub sur le net, dans la boite à lettres, à la télé, au cinéma, à la radio, dans la rue, dans les transports en commun, sur le téléphone portable, la tablette ou à la banque, c’est sous forme de terrorisme, d’extrémisme politique, de catastrophe, de meurtres ou d’épidémie sanitaire qu’ils s’infiltrent. Avant que le moindre virus n’ait eu le temps de visiter nos poumons, nous sommes déjà contaminés par l’anxiété et l’achat de prévention qui sont une forme de crachat civil réservé à ces êtres civilisés et socialisés que nous sommes. Jusqu’à ce qu’une rupture de stock apparaisse….

 

Mais je crois encore que je réussirai à me rendre à Barbès afin d’y trouver El Watan avant que le coronavirus ne trouve l’adresse de mon organisme.  

 

Franck Unimon, lundi 24 février 2020.

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Cinéma

A Voir absolument

 

 

 

                                                     A voir absolument

La norme, chez l’être humain, c’est l’extrême. Je le réapprends de temps en temps avec du  retard. Je t’aime et je t’adore aujourd’hui mais aussitôt que je serai suffisamment intime avec toi, je deviendrai parfaitement libre de te maudire et de vouloir modifier ta race et ta constitution pour plusieurs générations. De leur faire subir toutes les interruptions de grossesse – même si tu es un homme- et toutes les perturbations endocriniennes disponibles et accessibles à  mes connaissances. Oui, j’ai du chien ! Même si tu l’oublies alors que je te souris et que je suis cool avec toi. Tu as intérêt à bien te tenir. C’est aussi simple que ça.

 

La mauvaise foi est bien-sûr un fantastique adjuvant en même temps qu’un puissant conducteur. C’est également un excellent liant. Et, certaines fois, aussi, un très bon facilitateur de l’appareil reproducteur. Car si la norme chez l’être humain, c’est l’extrême, la contradiction et l’opposition font partie de ses meilleurs aphrodisiaques.

 

Je n’avais pas prévu ce préliminaire pour commencer à parler de cette affiche. C’est venu tout seul il y a quelques minutes après avoir relu mon texte écrit rapidement il y a plusieurs semaines.

 

 

Cela fait plusieurs jours, que je vois l’affiche de ce film :

 

A voir absolument. Il est un peu plus de 8 heures ce matin. Je suis dans le bus 21 qui traîne du côté des Halles. Dans moins d’une heure trente, je vais interviewer Abdel Raouf Dafri pour son premier film en tant que réalisateur : Qu’un sang impur. ( Interview en apnée avec Abdel Raouf Dafri)

 

Mais parlons de ce film, Scandale, qu’il faut voir absolument tandis que je suis assis à côté d’une femme sur une place prioritaire. Imitant en cela une autre femme sur ma gauche.

Quelques minutes plus tôt, j’avais bien vu que la femme à côté de qui je me suis décidé à m’asseoir m’avait en quelque sorte fait une petite place. Mais j’avais résisté.

Je suis d’abord resté debout comme un soldat avec mon sac.

 

Depuis des mois ou des années, je me suis aperçu que, désormais, dans les transports, j’ai tout un tas de scrupules à m’asseoir à côté d’une femme inconnue. Parce qu’en tant qu’homme, je suis suspect. Et si je suis embarrassé, c’est évidemment parce que j’ai des reproches à me faire.

 

Assis à côté de cette femme inconnue dans ce bus 21, je m’attends à ce que la brigade des mœurs monte bientôt afin de venir me menotter. En attendant, je poursuis  mon parcours de délinquant sexuel potentiel et passif. Un de ces jours, on instaurera des transports en commun ou des quotas séparant les femmes des hommes. Et les contrôles porteront aussi sur notre genre sexuel. Les transgenres deviendront alors encore plus les nouveaux Arabes et les nouveaux Nègres de la société. Pour celles et ceux qui ne m’ont jamais vu : J’informe que je suis noir de peau de naissance et le resterai jusqu’à ma mort sauf événement imprévu et indépendant de ma volonté.

 

 

Non, Madame ! Ce n’est pas de ma faute si le bus 21 s’arrête à la station Palais Royal au lieu de St-Ouen ! Même si je l’apprends en même temps que vous. Comme vient de vous le dire le chauffeur de bus, il fallait regarder l’affiche !

 

Mais c’est peut-être de ma faute si les trois actrices principales du film Scandale, qu’il faut absolument aller voir, sont, à nouveau, trois blondes. Même si, vous, Madame, vous n’êtes pas du tout blonde. Pourtant, toutes les femmes sont blondes. Toutes les femmes hautement désirables depuis au moins un demi-siècle au cinéma sont automatiquement et majoritairement blondes. Et, ça, il faut le voir absolument. Bien-sûr, il y a des exceptions, Madame.  Jennifer Connelly, présente dans le film Alita, Battle Angel réalisé par Robert Rodriguez qui m’a bien plu,  ressemble de plus en plus à Demi Moore. Alden Ehrenreich- qui est un homme- rappelle James Dean.

Dans le milieu du cinéma, on est très loin d’être conservateur. On est vraiment dans le renouvellement et dans l’évolution des modèles et des visages.

 

Je dois voir ce film. C’est bon pour ma rééducation et ma conscientisation.

 

J’irai aussi le voir parce qu’avant l’affaire Weinstein – j’ai malheureusement raté le documentaire qui lui a été consacré. Mais c’est sûrement du fait de ma complicité inconsciente avec lui même si le documentaire est resté peu de temps dans quelques salles – avant l’affaire DSK et d’autres affaires de viol et de harcèlement, j’aimais déjà le jeu d’actrices de Nicole Kidman et de Charlize Theron. Mais ça, j’aurais dû absolument le passer sous silence. Puisque je suis un homme, je suis sûrement allé voir ces femmes au cinéma pour des motifs dépravés.

 

PS : c’est comme avec cette stagiaire à qui j’ai fait la bise ce matin. Finalement, elle ne m’avait rien demandé. J’y repense seulement maintenant. Elle ne m’avait pas demandé de l’inclure dans cette ronde des bises matinales. Elle et moi, nous n’avons pas gardé les cochons ensemble. Et même si nous l’avions fait, un de ces jours, elle pourra me reprocher de l’avoir forcée, moi qui pourrais être son père, et qui étais en situation de supériorité de par mon grade et ma fonction. J’aurais dû lui demander la permission. Et non pas la mettre devant le fait accompli en présence de tout le monde (une grande majorité de collègues femmes).

 

Il va falloir que je me reprenne. Et que je sache me tenir. Comme avant, lorsque j’étais puceau, que j’écrivais des poèmes à une jeune de mon âge pour lui déclarer mes sentiments et que, le plus souvent, je me prenais des râteaux.  J’aurais dû écrire un poème à cette étudiante afin de lui demander si je pouvais lui faire la bise. Ou établir une demande en bonne et due forme. Faire parvenir cette demande à la responsable de son centre de formation voire peut-être à ses parents voire à sa compagne ou à son compagnon – que je ne connais pas- même si elle était majeure.

 

Mais je raconte n’importe quoi. Je fais du mauvais humour pour masquer le fait que, là, je me suis mis dans une très très mauvaise situation. En plus, je suis marié et j’ai une fille. Non seulement je donne un très mauvais exemple. Et, en plus, je banalise le viol et toutes les offenses faites aux femmes par les hommes depuis des millénaires. Le scandale. C’est une attitude complètement irresponsable. Méprisable. Indéfendable. Et ça a l’air de beaucoup m’amuser, en plus.

 

Ça commence par une bise pour dire bonjour à une stagiaire présente dans le service depuis plusieurs semaines. Et, ensuite, on sait tous que ça se transforme en autre chose de beaucoup plus grave. Oui, mais maintenant que j’ai commencé, si j’arrête de lui faire la bise alors que je vais continuer d’embrasser mes collègues femmes – que j’ai vues lui faire la bise- pour les saluer, que va t elle penser ? Que je suis bizarre ? Et si je la regarde plus de cinq secondes ?

 

Lorsque je passe devant l’affiche, je le vois bien, que sans rien dire, avant même d’aller  voir le film,  que Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie me jugent déja. C’est la norme.

 

Franck Unimon, ce lundi 24 février 2020.

 

 

 

 

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Cinéma

Tu mourras à 20 ans

 

 

                                                Tu mourras à 20 ans

Ce film, réalisé par le Soudanais Amjad Abu Alala, est inspiré d’une nouvelle de l’auteur soudanais Hammour Ziada. Lequel vit aujourd’hui en Egypte après avoir été banni de son pays. Le tournage s’est effectué au Soudan dans le village du père du réalisateur, Amjad Abu Alala. A l’origine, l’histoire se déroulait en Egypte si j’ai bien compris.

 

Tu mourras à 20 ans est la 8ème réalisation  du Soudan dans l’Histoire du cinéma.  Il s’agit d’une coproduction internationale ( Soudan, France, Egypte, Norvège, Allemagne, Qatar).

 

Paris compte 87 ou 88 cinémas selon les sources ( Les Echos, Le Figaro…) pour un peu plus de 400 salles. 38 de ces cinémas parisiens sont des cinémas d’art & d’essai qui essaient de résister aux multiplexes. Parmi ces cinémas d’art & d’essai, on trouve le cinéma des Ursulines qui est aussi le plus ancien des cinémas parisiens en activité ( créé en 1926).

 

Un parisien va en moyenne 11 à 12 fois  par an au cinéma soit trois à quatre fois plus qu’en province. A Paris, chaque semaine, 500 films sont à l’affiche. Dans ces conditions, il est selon moi nécessaire, quand j’arrive à m’extraire de l’attraction des multiplexes, d’aller voir en priorité des films comme Tu mourras à 20 ans qui est sorti dans seulement trois cinémas à Paris ce 12 février 2020. Il est encore possible d’aller le voir dans ces mêmes cinémas ainsi que dans un cinéma à Créteil et à Montreuil. A ce que je viens de voir, ce film avait été projeté ce 5 février 2020 à l’Institut du Monde Arabe.

 

Quelques cinémas projettent également Tu mourras à 20 ans en province. A Rennes, par exemple.

 

Muzamil ( une fois adulte, l’acteur Mustafa Shehata) nait dans la province d’Aljazira, au Soudan, entre le Nil blanc et le Nil Bleu avant que les deux branches du fleuve, en se rejoignant, forgent le Nil qui part ensuite vers l’Egypte.

On peut donc déjà dire que, sans forcément le savoir, Muzamil naît entre le jour et la nuit ou entre la vie et la mort. Car lorsque sa mère Sakina ( l’actrice Islam Mubarak), accompagnée de son père, fait le trajet pour le faire baptiser selon un rituel soufi, l’un des derviches tombe , alors que la bénédiction est en cours, et prononce  la « condamnation » :

 

Muzamil est destiné à mourir à 20 ans et ce que Dieu a scellé, personne ne peut le défaire. Muzamil est le seul enfant du couple. Et les deux parents ne sont pas si jeunes que ça. Sakina a bien une bonne trentaine d’années. Peut-être doit-on comprendre qu’il leur a été difficile de concevoir cet enfant. Et qu’il leur est peut-être impossible d’en avoir un autre.

 

La déclaration provoque la séparation des deux parents de Muzamil, encore bébé. Le père, contrairement à Sakina, ne se sent pas les épaules pour rester et opte pour partir travailler au loin. Et, pendant des années, il adressera régulièrement de l’argent et des courriers à Sakina.

Muzamil, lui, grandit à l’écart des autres. Sakina doit donc faire avec deux bannis : le père et le fils. L’un, par honte et impuissance. L’autre, par innocence.

On est très vite tenté de faire des analogies avec le film Va, vis et deviens réalisé par Radu Mihaileanu en 2005. Que cette comparaison plaise ou non ( puisque dans Va, vis et deviens, l’histoire se déroule en Israël ), dans Tu Mourras à 20 ans, on est à la fois dans le Sacré et dans la mythologie. Et aussi dans le conte et dans le blues. Dans des mythes fondateurs tant africains qu’européens.

 

Le Sacré : Il n’ est pas encore fait  allusion dans cet article à l’église du Sacré-Cœur, située dans le 18èmearrondissement de Paris.

Par contre, à parler de l’Egypte et du Nil, il est difficile d’éviter certaines références au Sacré. Que l’on parle de l’Egypte du temps des Pharaons et, déjà, de la fuite des Juifs ou de toute histoire que chacune et chacun raccordera à ce qui a pu lui être transmis dans son héritage familial à propos de l’Egypte et du Nil.

 

Et puis, ce fils qui est sacrifié par la volonté de Dieu, cela rappelle une autre Histoire.

 

La mythologie :  On retrouve au moins la silhouette d’Ulysse dans Tu mourras à 20 ans.

 

L’acteur Gary Cadenat ( José) face à l’acteur Douta Seck ( Medouze) dans le film  » Rue Cases Nègres ».

 

Le conte : En regardant Tu Mourras à 20 ans, j’ai très vite pensé à un conte originaire de la Louisiane où il est question de l’esclavage, d’un petit garçon, Boy, à qui le vieil esclave Jason ( un autre prénom bien connoté question sacré et mythologie), le soir, apprend à jouer de l’harmonica et lui conseille d’aller vers le Nord, en suivant la voie ferrée, afin de devenir libre. Le vieux Jason est bien l’équivalent du vieux Medouze du film Rue Cases Nègres réalisé en 1983 par Euzhan Palcy d’après le roman du Martiniquais Joseph Zobel. Et le personnage de Sulaiman ( Mahmoud Elsaraj) dans Tu mourras à 20 ans est bien leur alter-ego ainsi que,  sans discussion possible, la figure du Bluesman. Soit l’homme qui voyage ou qui a voyagé, qui a enduré et vécu y compris de façon hors-la-loi selon la morale.

 

 

Muzamil, sa mère Sakina et son père vivent scrupuleusement selon la Loi et lorsque l’on voit le résultat, on se demande quel crime horrible ils ont pu faire pour avoir ces vies de plaie. Mais si l’on regarde en Europe, avec un film comme Raining Stones ( 1993), un cinéaste comme Ken Loach a aussi pu parler de cette souffrance infligée injustement au nom de la religion.

 

L’actrice Emily Watson dans  » Breaking the waves ».

On retrouve cette même souffrance dans Breaking the Waves ( 1996) de Lars Von Trier.  

 

 

 

 

Et si l’on insiste et que l’on tient vraiment à parler de fondamentalisme religieux parce-que l’on trouve ces films encore trop légers et trop sautillants, on peut se mater le documentaire Jesus camp, réalisé en 2006 par Heidi Ewing et Rachel Grady. Ça se passe au Dakota du Nord et dans le Missouri, dans les Etats-Unis du 21ème siècle, Première Puissance Mondiale, dont une bonne partie des immigrés de l’époque de la « colonisation » venait d’Europe.

 

Le Blues :  que l’on parle du Nil ou du Delta du Mississipi, on entre dans la poussière du Blues. Le défunt musicien malien, Ali Farka Touré, n’est pas loin, et avec lui se trouvent celles et ceux qui l’ont précédé et celles et ceux qui l’ont suivi. Dans les environs du Rap et de tant d’autres genres musicaux.  Trop de voix et de notes pour les faire porter par des mots.  Parce-que le Blues, c’est franchir des frontières, aller au devant d’un voisinage, d’un langage et d’un espoir, les raconter et les réinventer, plutôt que de continuer de faire tapisserie et de toujours- devoir- subir et accepter les règles des impasses jusqu’à la dernière d’entre elles, celle où tout se joue. Celle qui peut tout voir et tout entendre.    

 

Pour ces quelques horizons, Tu mourras à 20 ans vaut plus que le coup d’œil. Ensuite, tout est question d’interprétation. On peut, comme certains des personnages dans le film, s’anesthésier avec des récitations que l’on répète ad libitum sans bien les comprendre. Que l’on parle de religion ou de toute sorte d’enseignement, de mode de vie, et de protocole à l’école, dans la vie ou au travail.

 

Ou on peut se dire qu’à 20 ans, et après 20 ans d’interdits et d’épreuves, Muzamil va peut-être abandonner celui qu’il a été et devenir un autre. Comme le fleuve qui va se jeter dans la mer.  Comme Boy, l’enfant esclave, qui, dans le conte, alors que le contremaitre l’emmène pour le vendre, décide subitement de s’enfuir. Comme le bluesman Robert Johnson qui passait de train en train sans doute pour échapper au train-train quotidien. Comme le Bluesman John Lee Hooker, qui, dans son adolescence, a commencé à fuguer pour se diriger vers le Nord.

Comme toute personne qui, lorsqu’elle aspire à grandir, un jour, se décide à quitter sa routine quitte à revenir sur ses traces plusieurs années plus tard.

Comme les migrants de toutes sortes qui quittent leur pays, leur région, voire, pour certains, leurs familles,  leur langue, leur religion, leur profession,  pour des raisons climatiques, économiques, militaires ou différentes mais toujours pour des raisons de vie ou de mort. Que l’on s’en souvienne ou non.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 21 février 2020.

 

 

 

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Cinéma

Brooklyn Secret

 

 

 

Lorsque l’on arrête de courir après son passé, on tombe sur un regard. Ce regard est notre secret. 

 

S’il faut souvent donner de soi pour se faire aimer, la générosité dans Brooklyn Secret est un des meilleurs moyens pour se faire trahir ou rejeter. Brooklyn Secret parle d’abord de la vie, aujourd’hui, aux Etats-Unis et de sa politique anti-immigration telle qu’elle continue d’être appliquée par le Président Donald Trump.

 

 Alex (l’acteur Eamon Farren), la trentaine, débarque ou revient à Brooklyn depuis l’Ohio  (759 kilomètres). Il vient habiter chez sa grand-mère russe ashkénaze, Olga (l’actrice, Lynn Cohen).

Alex est un élan des cœurs et aussi un jeune homme sans carrière. La dope et  l’alcool ont jusqu’alors été ses accessoires principaux. Ses conquêtes féminines ont été ses plus grands succès.  

 

Alex veut repartir du bon pied. Aux Etats-Unis, pays des Libertés, tout est possible pour celle ou celui qui est volontaire et travailleur.

Un de ses oncles, pour rendre service à sa mère, lui offre de travailler dans sa boucherie. Un emploi exigeant et dangereux : C’est un métier physique où on ne compte pas les heures. Un crochet de boucherie pèse 30 kilos et peut casser un pied.

 

Alex accepte aussi d’assister sa grand-mère Olga en complément d’Olivia (l’actrice, scénariste, monteuse et réalisatrice, Isabel Sandoval). Alex n’a jamais été aide-soignant ou aidant pour qui que ce soit. Il s’agit donc d’une première pour lui également de ce côté-là.

Autant Alex est assez friable et immature, autant Olivia est plus âgée et plus stable.

L’actrice, scénariste, monteuse et réalisatrice, Isabel Sandoval.

 

 

 

Olivia est originaire des Philippines. (Philippines/ Brooklyn : 13831, 50 kilomètres). C’est elle qui, au début du film, rassure Olga dans une scène assez drôle en lui disant qu’elle est bien chez elle. En lieu sûr. La générosité est aussi un des traits d’Olivia.

Mais les Etats-Unis  est ici  le pays où l’on fait passer l’Administration, le Dollar,  la roulette russe et la boucherie avant la générosité.

Et même si la réalisatrice Isabelle Sandoval n’en parle pas directement dans son film, les Etats-Unis est aussi le pays des armes : Le plus grand budget militaire du monde avec 685 milliards de dollars loin devant la Chine « du » Coronarovirus avec 181 milliards (Source : Le Canard Enchaîné numéro 5180 de ce mercredi 19 février). Les armes aussi passent avant la générosité.

 

Actress Isabel Sandoval with Actor Eamon Farren.

Aussi, lorsqu’Olivia et Alex s’envoient sur la Lune (distance entre la Terre et la Lune : entre 350 000 et 405 000 kilomètres), on pourrait donc d’abord se dire que leur vie va  décoller. Mais Brooklyn Secret, comme tout secret, est double et parfois triple.  

La solitude est le passeport de tous dans ce film. Car il est impossible d’être véritablement chez soi lorsque l’on est seul et sans protection. Olga ne sort pas de chez elle. Alex, à l’extérieur, est un  sans-abri devant une mauvaise expérience ou une mauvaise conduite. Et, Olivia, lorsqu’elle est dehors, est en sursis comme une patiente condamnée. On découvre d’ailleurs pendant son histoire « d’amour » avec Alex comme elle vit à l’étouffée. Plutôt que de la fortifier, cette histoire la fragmente entre son passé d’homme et sa présence de femme. L’orgasme qui la fait renaître et reprendre souffle aurait dû être une victoire. Mais il est aussi ce qui la diminue dans un corps d’immigrée que l’on peut sacrifier. Alors qu’elle est à la merci d’Alex, organiquement et administrativement, celui-ci reste conditionné par ses réflexes d’avant : ceux d’un joueur et d’un séducteur qui ne sait pas s’arrêter. Ceux d’un enfant provisoirement dominant qui croit pouvoir tout contrôler, tout se permettre et tout réparer de façon magique. Ce n’est pas un méchant garçon. Mais la mèche du temps qui guide Olivia a déjà opéré sa transition. Et Alex n’est pas le sauveur espéré.

 

J’ai beaucoup moins aimé le personnage d’Olivia, alors qu’il « flotte », et s’en remet à Alex.  Mais on comprend assez facilement qu’elle tente sa chance avec lui.  D’autant que l’église où elle se retrouve parfois avec sa sœur Trixia est une braise vide.

 

Peut-être aussi que, tout comme le personnage d’Alex, je suis également incapable de transformer ma pensée concernant le sujet et la question du genre.

 

Le sujet et la question du genre (puisqu’Isabel Sandoval s’appelait Vincent auparavant) hormis lors de quelques allusions, arrive au premier plan surtout à partir de l’histoire d’amour avec Alex. Avant cela, pour moi, Olivia était une femme et point final.  Et il est étonnant de voir comme,  selon l’angle de la caméra et aussi selon les émotions d’Olivia, lorsque l’étau se resserre concernant sa situation d’immigrée clandestine qui peut, à tout moment, se faire expulser, celle-ci peut avoir un visage plus masculin.  

Du fait de l’évocation des Philippines, Brooklyn Secret peut rappeler les films de Brillante de Mendoza. Mais il m’a d’abord rappelé Maria, pleine de grâce avant de me faire penser à Port Authority .

 

 

 

Brooklyn Secret sortira dans les salles le 18 Mars 2020

 

Franck Unimon

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma Ecologie

Système K

Photos pour cet article issues du site Allociné.

     

                                             

Produits de l’énergie du KO, ils sont les diadèmes éloignés de nos rêves bêta-bloqués. Celles et ceux qui sont là mais que l’on ne voit pas. Même s’ils étaient à notre portée, cela ne changerait pas :

Le regard de l’occident est toujours cet oxydant rayant de la carte leurs matières premières et leur laissant pour sacs à main des freins aux éclats toxiques. Et nous répétons cet accident car nous sommes cet occident.   

 

Plusieurs années après Staff Benda Bilili (Au delà des apparences) qui avait répandu de la vibration ondulante sur le festival de Cannes avec ses musiciens en chaise ambulante, Renaud Barret revient une nouvelle fois. On pouvait reprocher à l’entraînant Staff Benda Bilili qu’il avait coréalisé avec Florent de la Tullaye – que l’on retrouve dans le générique de son Système K –  de nous montrer «  en corps » des noirs musiciens au rythme et au membre plus roulants que la misère,  le désespoir et la violence.  Kate Moss s’en souvient peut-être. Il y manquait à peine Franck Vincent pour que la fête soit complète. Si on ne peut pas un peut s’amuser de temps en temps….

 

Pour sûr, Staff Benda Bilili était bien plus qu’une animation en caisson hyperbare réalisée pour le Club Med. Mais avec  Système K, où l’on aperçoit Kinshasa entre les barres, Renaud Barret signe un documentaire sincère et attachant. Nous ne sommes plus sur les Champs Elysées à la sortie d’un flacon d’eau de toilette luxueuse. Nous ne sommes plus en train de pleurer une Star du Basket disparue dans un accident d’hélicoptère, ou occupés à frissonner d’avance devant le grand débarquement présumé du coronavirus chinois qui viendra bientôt nous anéantir et nous diviser pour avoir espérer destituer le Président Américain Donald Trump qui a pu récupérer son double permis à tweet illimité.  Au lieu de choisir la marque Apple plutôt que Huawei.

 

Dans Système K, Nous sommes souvent dans la rue, entre le camion Iveco, le taxi moto sur lequel on monte à trois,  la vente d’une reproduction de la Joconde, de sacs en plastique remplis d’eau, dans le pays des quatre barrages où une grande partie de la population vit sans eau courante (100 francs le bidon d’eau) et sans électricité.

 

Censure, répression, superstitions et vénalité de l’église et de l’Etat sont  un programme permanent ainsi qu’une seule certitude : L’instant présent.

 

En face, Renaud Barret choisit de nous montrer la vitalité des performances de certains artistes, quelques moments de leur conscience et certaines de leurs rencontres avec la population qui les environne. «  Des artistes, ici à Kin ? » demande un homme.

 

On y croise d’abord Freddy Tsimba qui explique plus tard avoir eu la chance de percer «  le mur invisible » qui sépare l’artiste solitaire et pauvre de celui qui est reconnu internationalement et estime avoir la responsabilité de laisser la porte ouverte derrière lui.

On y voit Géraldine qui accepte de respirer des «  fumées toxiques » lorsqu’elle crée et qui a compris qu’elle était « liée à la fumée ».

Béni, orphelin de père belge et de mère congolaise quand il avait six ans, aimerait quitter ce pays de « merde » ( la RDC ) mais explique que les Belges et lui, «  On ne se comprend pas » et, aussi, qu’il s’est « synchronisé avec le plastique ». Suivent d’autres performances et d’autres artistes.

Devant Système K, on ne sait pas si l’on est devant notre futur ou devant le passé. Mais ce qui est sûr, c’est que ce système est déjà le présent de certaines et certains d’entre nous.

 

Je me demande ce qu’en a pensé la très bonne revue Awotélé consacrée aux cinémas d’Afrique.

Franck Unimon, ce jeudi 13 février 2020. 

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Cinéma

Selfie

Après Marche avec les loups   Selfie, donc. Plusieurs milliers d’années d’évolution- et de massacres- afin de pouvoir continuer à nous consacrer avec de plus en plus de moyens à nos plus grandes idoles:

 

Notre image et nos émotions.

 

Il y avait plus de monde dans la salle de cinéma, à la  séance de 9 heures du matin, pour venir voir Selfie que Marche avec les loups.

Nous étions à peu près quatre ou cinq pour Marche avec les loups dont un homme avec des bottes en caoutchouc. Et près d’une vingtaine ou plus, la veille à la même heure, pour Selfie.

 

Les deux œuvres sorties le 15 janvier 2020 ont des attraits différents. D’un côté, avec Selfie, nous avons une comédie avec des personnalités que l’on aime bien ou que l’on découvre : Voir Blanche Gardin dans la bande annonce m’a tout de suite donné envie d’aller voir ce film. Mais le film a d’autres cartes à jouer avec Elza Zylberstein, Maxence Tual, Max Boublil, Manu Payet, Fanny Sidney (découverte dans la série Dix pour cent), Estéban, Finnegan Oldfield, Haroun, Sam Karmann, Marc Fraize  et d’autres qui me reprocheront peut-être – mais j’espère qu’ils arriveront à me le pardonner- de les « oublier » dans cette liste.

D’un autre côté, dans Marche avec les loups, nous avons un film documentaire réalisé par Jean-Michel Bertrand, la soixantaine, pas sexy, peu connu,  sauf par quelques loups,  des écologistes, des adeptes des documentaires animaliers, dont son précédent, ou par les quelques unes et quelques uns qui ont envie de le tirer comme un pigeon. On aurait mis comme titre Mike Horn part se battre avec des loups ou Rocky avec les Loups, cela aurait sûrement plus donné envie de venir. Mais, là, une marche avec des loups alors que l’industrie des trottinettes électriques, des vélos pliables et des engins motorisés personnels est en pleine croissance… Bien des spectateurs ont sans doute préféré éviter cette aventure même si, à mon avis, le film Selfie et le documentaire de Jean-Michel Bertrand ont bien des points communs.

 

Pour le dire très grossièrement : les loups dont Jean-Michel Bertrand veut croiser le regard, au moins regardent-ils vraiment ce qui les environnent. Et ils sont aussi de moins implacables prédateurs que celles et ceux que nous engraissons et au devant desquels nous allons souvent volontairement en consommant. Peut-être parce-que consommer en tout genre- et payer pour cela- nous permet d’obtenir en échange un Savoir magique et une protection. Et comme les effets de ce Savoir et de cette protection ne durent pas, il nous faut consommer/acheter à nouveau ces éléments qui semblent nous permettre de les obtenir ou de nous en rapprocher. Ce besoin de Savoir et de protection et, aussi, de conquête, remonte bien chez l’être humain à l’époque des loups. A l’époque où l’être humain a dû apprendre à vivre et à survivre sur le territoire des loups ou d’un autre prédateur en chair et en os. Aujourd’hui, il existe par exemple des prédateurs numériques, économiques et industriels bien plus coriaces. Le documentaire de Jean-Michel Bertrand nous le dit dans une forme et un langage peut-être anciens qui ne parlent déjà plus à beaucoup d’entre nous. Mais la comédie Selfie nous le dit aussi d’une autre façon ainsi qu’avec une plus grande cruauté qu’on minimise comme à chaque fois que l’on rit et que l’on est capable de rire d’une tragédie. Parce-que tant que l’on peut rire, on a l’impression de garder encore un peu le contrôle sur ce qui nous échappe. Alors qu’il nous est tout de suite impossible de rire lorsque l’on rencontre un loup et d’ajouter :

 

«C’est bon, je contrôle ».

 

 

Ajoutons à cela, presque au milieu de ces deux séances de cinéma …la mort de Kobe Bryant. Du basketteur américain Kobe Bryant que, bien-sûr, tout le monde « connaît », dans l’accident de cet hélicoptère qu’il pilotait à première vue.

Cette mort,  alors que Kobe Bryant était âgé de 40 ans et accompagné de sa fille de 13 ans,  a connu et connaît un très grand « retentissement » médiatique. Même le Président américain Donald Trump, plus « vertueux » pour la haine et les tweets belliqueux à tout propos s’en est « ému ».

 

Comme beaucoup de monde s’est déjà exprimé à propos de votre mort, Monsieur Kobe Bryant, j’aimerais, à mon tour, m’exprimer :

Mourir à quarante ans, au départ, c’est très moche. Surtout aujourd’hui où l’on peut vivre jusqu’à 70 ou 80 ans si l’on sait éviter les selfies qui nous font le coup du lapin. A condition bien-sûr d’avoir la santé et une retraite décente afin d’éviter de devoir aller pointer à l’Armée du Salut ou de devoir partir pour aller faire la manche dans la rue où à  la sortie des magasins. Et, vous, Monsieur Kobe, après nous avoir tant fait rêver sur un parquet de basket, vous aviez tout ce qu’il fallait pour continuer d’avoir une vie de rêve. Une vie que nous aurions été nombreux à souhaiter avoir et que nous aurions consciencieusement peut-être fait connaître moyennant quelques selfies ou vidéos sur Youtube ou les réseaux sociaux à la façon de tant d’autres célébrités et personnalités que vous avez sûrement rencontrées et inspirées.

 

 Mais, je souhaiterais que vous reveniez dunker au moins une fois pour nous refaire la démonstration suivante et mettre tout le monde d’accord sur un point :

 

Vous êtes mort trop vite et c’est très triste. Et je ne pense pas à votre fille de 13 ans dont la mort est tout aussi triste. D’abord, je pense à ces autres passagers qui sont morts avec vous et dont personne, apparemment, n’a rien à faire. Pour votre fille et vous, j’ai vu l’image d’une jolie fresque géante et souriante qui honore déja votre souvenir en attendant d’autres nombreux témoignages de « notre » très grande affection pour vous. On peut s’attendre à ce que des pélérinages  aient lieu à certains endroits où seront disposés des éléments de votre mémoire.

Par contre, en dehors de votre fille, pour celles et ceux qui étaient dans l’hélicoptère avec vous, rien ! Leur fait le plus mémorable sera de s’être écrasés avec vous mais on ne retiendra ni leur nom, ni leur visage, ni leur âge et ni leur histoire. Parce-que nous sommes comme ça, Monsieur Kobe Bryant, vous le savez bien.  On vous retiendra vous et votre fille. En cela, nous respecterons fidèlement, sans doute, ce que vous avez toujours voulu. Marquer l’Histoire.

 

 

Ensuite, malheureusement, vous n’êtes ni le premier ni le dernier être humain  à mourir bêtement en dehors de votre domaine de prédilection où vous étiez un demi-dieu. Tel grand champion d’escalade à mains nues est ainsi mort en tombant dans les escaliers. Tel autre très grand alpiniste s’est tué lors d’une ascension « facile ». Les exemples sont nombreux. Vous pourrez en discuter avec ces personnes ainsi qu’avec quelques anonymes qui ont connu la même fin entre deux ou trois dunks que vous saurez, j’en suis sûr, faire admirer dans l’au-delà.

Dans Selfie, réalisé par cinq réalisateurs, le couple parental joué par Blanche Gardin et Maxence Tual est un corps perdu dans la recherche du nombre de vues. Il y a du Marina Foïs dans le personnage de Blanche Gardin. Je pense à la Marina Foïs du Le Grand Bain de Gilles Lellouche. Et au côté « limite » de leur jeu : elles peuvent toutes les deux dire et commettre des horreurs avec délicatesse, humour et innocence. Cela rappelle un peu le jeu de Marie Trintignant. Et l’affection que l’on peut avoir pour ces trois femmes et actrices.

Face à Blanche Gardin, Maxence Tual est extraordinaire dans sa version 3.0 du raté lambda qui se croit artiste du réel. Et leurs trois mômes font partie du gros lot de Selfie.

Cinq réalisateurs et autant de scénaristes, ça donne un film à sketches autour des réseaux sociaux et de l’omniprésence du numérique et de la technologie qui se sont substitués à notre pensée, nos connaissances et à nos intuitions. Les réseaux sociaux et les nouvelles technologies sont devenues les expériences ultimes. Celles pour lesquelles on est prêt à tout afin d’entrer dans leurs cases et critères. Pour en utiliser les pouvoirs et les Savoir magiques.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les nazis utilisaient de la pervitine pour être performants malgré le fait que les rats testés en laboratoire avec ce produit finissaient par se ronger les pattes ( article de Sorj Chalandon à propos du documentaire Hitler, blitzkrieg et drogues de Jason Sklaver ( Etats-Unis) dans Le Canard Enchaîné de ce mercredi 29 janvier). Dans Selfie, on bouffe de façon illimitée des réseaux sociaux et des nouvelles technologies jusqu’à en ronger tout notre environnement personnel et mental.

«  Je désire qui, putain ?! » finit par se demander Manu Payet qui s’en remet à l’algorithme qui lui fait régulièrement des suggestions d’achat personnalisées.

 

 

Dans selfie , le reste et les autres ne comptent plus vraiment. Ils font partie du décor.

«  Les gens, c’est pas important ». «  19 millions de vues, c’est plus Qu’intouchables ».

 

Le film a ses chutes de tension. Vers la fin, ça ressemble aussi à l’agitation de rats dans un laboratoire. Mais entre-temps, on aura vu du monde tirer un portrait juste- même dans ses caricatures- et très drôle de notre époque. Bien-sûr, il y a une bonne quantité « de scènes et de répliques potentiellement cultes »

 

Selfie n’est pas un chef d’œuvre mais je crois que face à lui,  il existera trois grosses catégories de personnes :

 

Celles et ceux qui regretteront d’avoir été absents de son casting. Celles et ceux qui l’ont vu. Et celles et ceux qui ne l’ont pas (encore) vu.

 

Même si je ne crois pas qu’il fera plus d’entrées Qu’intouchables.

 

Franck Unimon, ce vendredi 31 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

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Cinéma Ecologie

Marche avec les loups

Photo issue du site allociné comme les suivantes.

Pour cause de Selfie hier ( film réalisé par Thomas Bidegain et Marc Fitoussi), ce matin, je suis allé voir le documentaire Marche avec les loups de et avec Jean-Michel Bertrand. Avant qu’il disparaisse sans doute rapidement des écrans.

 

Afin d’avoir le droit d’obtenir ma place dans une salle de cinéma et voir marcher Jean-Michel Bertrand dans les Alpes et le Jura,  j’ai d’abord dû accepter d’entrer dans les transports en commun parisiens bondés aux heures de pointe.

Il y a plusieurs années, quelqu’un m’avait résumé de cette façon une « soirée qui craint » :

« C’est une soirée où tu payes dix balles l’entrée, où il n’ y a pas de meuf et où tu sais qu’à un moment donné, quelqu’un va s’embrouiller avec un autre ».

 

Ce matin, il n y a pas eu de torsion de vocabulaire ou d’action circulaire dans le train Bombardier. Mais il y a eu une promiscuité intermittente avec une certaine haleine testamentaire ou avec un abcès dentaire. Je n’ai pas cherché à en savoir plus.

En pleine inquiétude à propos de la Chine qui, en plus d’être de plus en présentée comme une menace fantôme et visible d’un point de vue économique et identitaire, nous « envoie » maintenant sa grippe mortuaire, il a fallu refaire connaissance avec la persistance. 

 

Au début de son documentaire réalisé en 2018, Jean-Michel Bertrand nous apprend être parti marcher dans les Alpes « pendant trois ans et avec une seule obsession : croiser le regard des loups». On le suit donc dans les Alpes et le Jura, plutôt en hiver,  jusqu’à moins dix neuf degrés. Son voyage ressemble au chemin de Compostelle vers la vie sauvage. Même si Jean-Michel Bertrand nous le dit :

 

«  La frontière entre le sauvage et ce qui ne l’est pas est illusoire ». Il est vrai que dans une soirée qui « craint » ou dans des transports en commun dégoulinant de monde, vouloir s’asseoir peut revenir à prendre le risque de s’exposer à un coup de rasoir. Mais on est très loin de tout ça dans le documentaire de Jean-Michel Bertrand. Alchimie de l’homme du « passé » et de l’homme  «connecté » avec son matériel de campeur de pointe,  ses caméras automatiques et son téléphone portable qui lui transmet des images et des vidéos en temps réel, Il nous guide dans un monde oublié parce-que nous l’avons fui et abandonné pour le profit total de la modernité. Et aussi parce-que nous sommes originaires d’autres cultures du monde.

 

 

 

Lorsque l’on regarde Jean-Michel Bertrand, on se dit que l’électricité rime aussi avec l’obscurité  d’un certain nombre de nos activités qui nous semblent si importantes. Alors que si l’on prenait vraiment le temps de faire le tri, on s’apercevrait que bien avant l’invention du GPS, d’internet et de nos applications mobiles, nous nous étions déjà perdus. La comédie Selfie  parle de ça d’une autre façon.

Jean-Michel Bertrand nous dit aussi :

 

« La force du loup, c’est le groupe ». On retrouve ça chez bien des groupes humains hostiles comme amicaux. Pourtant, on dit aussi que nous vivons de plus en plus dans une société individualiste où c’est « chacun pour soi ». Et, lors de mon trajet de quelques minutes dans mon train bondé de ce matin pour rejoindre Paris,  puis dans le métro, seules les personnes qui se connaissaient déjà sont restées ensemble. Toutes les autres, la majorité, ont juste composé les unes avec les autres comme elles le pouvaient, le temps du trajet, sans se rencontrer. Avant de rencontrer celles et ceux avec lesquels elles sont présumées être ensemble au travail, à la maison, dans un commerce ou dans une administration.  

 

Et c’est comme ça tous les jours depuis des années. On peut être hyper-connecté mais sans se calculer. Sauf pour s’insulter, s’épier ou pour se menacer.

 

 

Marche avec les loups, c’est le contraire de ça. Même si Jean-Michel Bertrand est le seul humain que l’on voit au premier plan. Il nous donne son avis sur cette haine pour le loup qui provient selon lui de croyances médiévales. Il nous parle du loup mais je me dis que d’autres défendent les requins et les ours comme lui, défend le loup. Et, bien-sûr, j’ai repensé au livre de Nastassja Martin, Croire aux fauves . Ainsi qu’au film The Ride de Stéphanie Gillard. Ce sont des œuvres-frontières entre le passé et le présent. Entre l’inhumain et l’humain. Entre l’innommable et l’inhumé. 

Jean-Michel Bertrand cite Robert Hainard, un écologiste oublié qui, devant la destruction de la nature, a pu dire ou écrire :

« On me tue mon infini ».

 

On peut voir ce documentaire de Jean-Michel Bertrand comme seulement fait de très belles images de la nature, de loups et d’autres animaux. On peut le voir comme un Into the Wild décaféiné et monastique. Comme un manifeste pro-loup, ce qui a beaucoup déplu à certaines personnes qui ont voulu empêcher sa sortie. ( Je crois que Jean-Michel Bertrand a aussi reçu des menaces de mort).

 

Mais on peut aussi voir Marche avec les loups comme une œuvre qui s’escrime à nous faire percevoir l’infini. Ce qui est quand même beaucoup mieux que d’attendre de retrouver le quai , dans un train ou dans un métro bondé, alors que celui-ci est arrêté sur la voie ferrée plutôt que sur la voie lactée.  

 

Franck Unimon, mardi 28 janvier 2020.