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Vent d’âme

    

                                                   

  Vent d’âme

Selon les principes de la Commedia dell a’rte, nos masques sont nos vrais visages. Il est bien des cultures et bien des pratiques ignorées et disparues où l’on porte des masques en certaines circonstances. Et c’est un combat, parfois de toute une vie, que d’échapper à ces visages ou, au contraire, de les accepter.

 

Nos peurs sont sans doute aussi nos véritables visages ainsi que nos véritables voix. Aucun maquillage, aucune mise en scène et aucun angle mort ne sera suffisamment résistant et solide pour les obliger à se tenir dociles indéfiniment. Un jour ou l’autre, nos peurs défileront et parleront pour nous. Qu’on les y autorise ou non.

 

Nos peurs connaissent nos rêves et nos cauchemars. Nos peurs, nos rêves, nos cauchemars, nos voix et nos visages, voici ce qui nous définit tous à un moment ou à un autre.

Et l’épidémie, que ce soit celle aujourd’hui du coronavirus Covid-19 ou une autre  (la crise sanitaire actuelle me fait beaucoup penser à celle du Sida dans les années 80 pour cette ambiance de fin du monde et d’effondrement qui semble se refermer sur nous ) fait partie de ces expériences propres à permettre notre métamorphose :

 

Nous vivons plein d’expériences depuis notre naissance qui nous inclinent vers certaines métamorphoses. La plupart de ces expériences sont invisibles. Une épidémie, une grève – comme celle des transports il y a encore quelques mois en région parisienne afin de protester contre la réforme des retraites-  une guerre, une catastrophe ou un attentat terroriste font partie de ces expériences visualisables et indéniables qui nous obligent à nous transformer. Et notre transformation est notre façon de nous adapter à l’événement. On peut louer, regretter, reprocher ou pleurer cette adaptation :

Mourir est aussi une certaine forme d’adaptation. Même si selon certaines croyances et certaines valeurs, mais aussi selon nos peurs,  mourir est plutôt une adaptation qui a échoué et qui, en plus, peut être très douloureuse et très angoissante.

 

Mais même si nous nous aimons et nous côtoyons tous les jours, lorsque nous nous aimons et nous côtoyons, nous ne sommes pas – toujours- faits des mêmes rêves, des mêmes cauchemars et des mêmes peurs. Et nos choix comme nos rituels afin d’essayer de composer avec eux peuvent être très différents de ceux que l’on aimerait pour nous ou que l’on estime « faits » pour nous.

 

Mais je n’ai pas la science infuse pour parler de tout ça. Je raconte sans doute énormément de conneries comme à peu près tous les jours. J’ai peut-être attrapé froid en rentrant tout à l’heure, à vélo, du travail.  J’essaie d’attraper ce qui me reste de ces idées qui me sont venues après une nuit- tranquille – de travail dans le service de pédopsychiatrie où je suis en poste depuis quelques années.

 

Je suis partagé entre prendre toutes mes précautions pour ne pas m’enrhumer, rester disponible devant une éventuelle sollicitation sociale du téléphone portable, qu’il est un peu plus difficile d’éteindre au vu du contexte de l’épidémie -depuis le couvre-feu décidé hier par le gouvernement et qui deviendra effectif dès ce soir – et aller voir si je peux aller faire quelques courses alimentaires en espérant qu’il n’y aura pas trop de monde.

 

 

 

Hier soir, j’ai repris mon vélo pour aller au travail.  Lorsque j’ai entendu que, par précaution sanitaire, il y aurait moins de transports en commun et aussi que nous devrions respecter, autant que possible, une distance de un mètre entre chaque passager, je me suis dit que j’allais reprendre mon vélo autant que je le pourrais.

 

D’une part, parce-que j’avais déjà envie de le faire : s’enfermer dans le métro, subir régulièrement des contrôles de titre de transport, monter et descendre des escalators a quelque chose d’usant alors que faire du vélo permet d’éviter certains de ces désagréments en même temps que de rester à l’air libre. Et de faire un peu de sport en même temps que de découvrir son environnement autrement.

 

Hier soir,  j’ai ainsi découvert un nouvel itinéraire puisque notre service a déménagé il y a plusieurs semaines en raison de travaux dans notre service « originel ». Notre service a donc été provisoirement délocalisé. Le trajet est désormais plus long à vélo pour aller au travail. J’ai sûrement fait quelques petites erreurs de parcours. Et j’ai roulé prudemment. Sans chercher à remporter une épreuve contre-la-montre. Je pensais mettre 45 minutes. J’ai mis vingt minutes de plus. Soit j’ai beaucoup vieilli ces dernières semaines. Soit j’avais tout simplement surestimé mes capacités de rouleur. La seconde option est la plus vraisemblable. Mais la première va  aussi se vérifier un jour ou l’autre. C’est inéluctable.

 

Je suis passé devant le Louvre. Il y a pire comme itinéraire. Mais je ne pouvais pas m’arrêter pour prendre des photos. Ça, je l’ai fait ce matin. En rentrant du travail.

 

 

Je vois deux aspects face à une épidémie :

 

Les dispositions et les précautions sanitaires, logistiques incontournables ( se laver les mains, éviter les contacts, limiter ses déplacements, se protéger et protéger les autres etc…) que l’on s’applique à suivre de son mieux.

 

Et notre attitude vis-à-vis de l’épidémie. Nous sommes vraiment très différents les uns des autres.  Impossible d’échapper au sujet du Coronavirus Covid-19 depuis quelques jours. Et c’est d’autant plus impossible depuis l’allocution présidentielle d’hier soir d’Emmanuel Macron qui a parlé et reparlé de « Guerre Sanitaire » et a officialisé le couvre-feu à partir de 18h ce soir ou demain.

 

Hier soir, au travail, j’ai prévenu ma collègue que je n’allais pas passer la nuit à regarder et  à discuter de l’allocution du Président Macron concernant l’épidémie du Coronavirus Covid-19. Elle a acquiescé. J’avais réagi de la même manière lors des attentats du Bataclan. Une autre collègue- que j’aime aussi beaucoup- cette nuit-là, avait un moment voulu allumer la télé pour « voir » et pour « avoir plus d’infos ». Je lui avais répondu :

 

« Tu peux. Mais sans moi ! ». Ma collègue avait choisi de laisser la télé éteinte. Peut-être s’était-elle ensuite rattrapée chez elle.

Samedi matin, au travail, après que les jeunes hospitalisés se soient farcis plusieurs tours d’informations concernant le coronavirus Covid-19  sur BFM, je les ai obligés à changer de chaîne de télé. J’estime que c’est aussi notre rôle de personne responsable et de professionnel, que de limiter cette intoxication permanente que certaines informations anxiogènes répétées  nous impose.

Dans le service, les jeunes ont alors remis une chaine de clips musicaux. Puis, avec ma collègue, nous avons proposé une sortie que les jeunes ont acceptée. C’était il y a quelques jours. Et c’était déjà à une « autre époque ». J’en parle un peu dans l’article Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020.

 

 

Décider de me « calfeutrer » mentalement contre des informations sinistres et permanentes ne m’ empêche pas de regarder, d’écouter ou de lire ce qui se passe autour de moi. C’est ce que j’avais fait dans les transports dès le lendemain « des » attentats du Bataclan.  Cela  a été pareil ce matin alors que je rentrais à vélo.

 

Si je me suis concentré- avec mes photos- sur les bons moments de ce retour « cycliste », j’ai bien vu, devant le centre commercial So Ouest , à Levallois,  cet attroupement de personnes qui faisait la queue vers huit heures. Je m’en demandais la raison. Plusieurs centaines de mètres plus tard, après avoir vu un peu plus de gens portant des masques dans la rue et d’autres personnes faisant la queue devant des pharmacies encore fermées, j’en ai déduit que toutes ces personnes faisaient la queue sans doute pour acheter des masques de protection et peut-être aussi des solutions hydro-alcooliques. Plus tard, j’ai aussi aperçu des personnes qui attendaient l’ouverture de la Western Union.

 

 

Je pense aussi au Coronavirus Covid-19. Ne pas en parler, ne jamais y penser, revient à un moment donné à être dans le déni. Il m’est donc impossible d’éviter d’y penser. Mais tout est dans la façon de laisser ce sujet s’emparer de notre âme. Certaines personnes sont déjà à « bloc ». On en est au tout début des mesures les plus strictes et, déjà, un certain nombre de personnes n’ont que le Coronavirus comme perspective. Tout tourne autour de lui.  Concernant le Sida, il y avait une campagne qui disait, je crois :

 

« Le Sida, il ne passera pas par moi ! ».  Pour le Coronavirus Covid-19, j’aimerais bien-sûr affirmer la même chose. Mais je ne peux pas le confirmer. Peut-être que lorsque l’épidémie sera passée, que je ferai partie des maccabées nouveaux-nés. Peut-être que des proches ou des connaissances en feront partie aussi. Alors qu’aujourd’hui, pour moi, ces éventualités sont impensables. Mais il était impensable pour moi il y a encore deux semaines que l’épidémie du Coronavirus Covid-19 nous fasse autant de mal ou puisse nous faire autant de mal. Mon article Coronavirus posté il y a trois semaines ne fait pas vraiment un pronostic très alarmiste. Même si je parle en filigrane de cet affolement qui surviendrait en cas de rupture de stocks de masques FFP2, je parle aussi du « business » que la vente de ces masques va constituer pour certaines entreprises telles que les pharmacies. Car la mort rapporte beaucoup à certaines entreprises en terme de commerce. On peut même dire que la mort, comme toute «activité » humaine est un commerce ou une niche susceptible d’être un commerce pour certains hommes d’affaires ainsi que pour certains hommes politiques et militaires inspirés.   

 

 

Quoiqu’il en soit, au cours de l’épidémie,  je mourrai peut-être parce-que je me serai fait percuter à vélo par une voiture. Se faire renverser par une voiture lorsque l’on circule à vélo est  assez courant. Surtout au vu de la conduite de certains automobilistes qui vous serrent sur la route ou vous coincent entre la carrosserie de leur véhicule et le bitume du trottoir ou vous forcent à freiner quand ils tournent devant vous.

 

Mais aussi au vu de la conduite de certains cyclistes :

 

Ce matin, une jeune gazelle portant un sac à dos de marque Eastpak m’a laissé sur place. Le temps de l’entendre qui se rapprochait, elle m’avait mis une dizaine de mètres dans la vue. Bon, je ne suis pas là pour faire la course et une femme peut me doubler sur la route que ce soit à vélo ou en voiture. Mais à vélo, Mademoiselle, au feu rouge, on s’arrête ! Surtout lorsque l’on passe devant une sortie de périphérique et que l’on ne porte pas de casque sur la tête. Ça fait bien, lorsque le feu passe au vert sur votre droite et qu’une voiture commence à s’avancer, de dévier un peu sa trajectoire tout en continuant à pédaler. C’est adroit. Mais ça peut aussi faire passer l’âme à gauche. Ceci dit, je sais aussi que ce ne sont pas toujours les personnes les plus prudentes et les plus respectueuses des règles qui s’en sortent toujours le mieux dans la vie. Ce que je viens d’écrire est dur et ressemblera à un acte moralement irresponsable en période de Coronavirus Covid-19 ou de toute autre épidémie. Mais si on prend un peu le temps d’y penser, on s’apercevra que l’on a bien connu au moins une fois dans sa vie une personne qui a toujours été droite, toujours été dans le respect des règles, et qui, pourtant, a eu une vie et une mort très conne, injuste ou incompréhensible pendant que d’autres ont pu batifoler et vivre tout un tas d’excès, et, finalement, s’en sortir pas si mal que ça.

 

Donc, avoir des Devoirs, oui. Respecter les règles, oui. Mais il ne faut pas confondre faire montre de prudence et s’enfermer de soi-même en toutes circonstances dans un cercueil ou un bunker, ainsi que celles et ceux qui nous entourent comme si notre mort était assurée alors que l’épidémie vient à peine de commencer. Et que l’on s’entoure d’un certain nombre de précautions….et d’informations. Lesquelles informations nous apprennent que ce coronavirus Covid-19 est quand même moins mortel, par exemple, qu’une catastrophe nucléaire : Oui,  je pense aux effets d’ une catastrophe nucléaire similaire à celle de Tchernobyl  s’il s’en produisait une en France ! Pourtant, nous vivons plutôt bien grâce au nucléaire même s’il nous fait peur : c’est lui qui nous fournit la plus grosse partie de notre électricité domestique.

 

 

Quoiqu’il en soit, je crois qu’il résultera de cette épidémie et des transformations qui en découleront de nouvelles amitiés ou de nouvelles solidarités. Car on se révèle aussi à soi-même et aux autres dans ces moments-là. Et on a de bonnes et de mauvaises surprises. On peut soi-même être une mauvaise surprise pour certaines et certains qui nous plaçaient sur un piédestal ou sur un trône dont on n’a jamais voulu. C’est comme ça.

 

 

L’allocution du Président de la République, hier soir, m’a contrarié parce-que, même si les mesures sanitaires qu’il a officialisées sont justifiées, j’ai beaucoup trop vu en lui l’homme politique et de Pouvoir qui jouit de sa position de supériorité. J’ai trop vu en lui l’homme politique qui, en nous enfonçant dans la tête le concept de « Guerre sanitaire », en profite un peu plus pour nous dominer et nous gouverner à sa main. Et, je me demande ce que, en échange de notre salut sanitaire et civil, nous allons perdre en libertés et en droits divers,  pendant cette période d’épidémie mais aussi après elle. Parce qu’après l’épidémie, il sera encore possible de trouver  bien des raisons pour justifier d’un couvre-feu et d’un certain type de contrôles et d’interdits inédits jusqu’alors ou moins fréquents. Que deviendra le mouvement des gilets jaunes après l’épidémie ? La réforme des retraites ? Combien de temps réfléchirons-nous à ce genre de question après plusieurs jours, plusieurs semaines de couvre-feu, lorsque la peur de la mort sera devenue un peu plus la couleur de nos rues et de nos regards ?

 

Je sais pourquoi j’avais préféré voter pour lui au second tour des dernières élections présidentielles : pour être sûr d’éviter l’élection de celle que je refuse de nommer. Parce-que j’ai l’impression que le simple fait de la nommer contribue déja à lui donner un vote de plus ou plus d’aura. Elle qui, depuis des années, fait sa thérapie familiale voire sa thérapie de couple au travers de sa vie politique qu’elle a transformé en une scène publique et médiatique, comme son papa. Cela a été une grande surprise pour moi lorsque j’ai appris que de plus en plus de personnel infirmier votait pour cette candidate aux élections présidentielles. On peut vraiment dire qu’il s’agit d’un vote de colère.

 

J’ai écouté une petite partie de l’allocution du Président Emmanuel Macron lorsqu’il a annoncé le couvre-feu à venir, la  » Guerre sanitaire » etc…Mais en y repensant, je me suis dit que j’avais du mal à me faire à ce Général Macron qui, à mon avis, aurait eu beaucoup de mal, si en tant que soignant, on lui avait dit :

« On te laisse la dame de la chambre 8. C’est toi qui lui fera sa toilette complète. Pas plus de dix minutes.  Parce qu’il y a d’autres toilettes à faire et, après, il y a tous les médicaments à distribuer « .

Ou si on lui avait dit :  » On t’attend pour faire l’entretien avec ce patient qui est persuadé que tu couches avec sa femme et que tu lui bloques ses spermatozoïdes ».

 

Etre Président de la République est bien-sûr un métier difficile. Et chaque métier a ses difficultés. Mais disons qu’il s’intercale tellement d’intermédiaires entre un Président de la République et celles et ceux qui, à peu près tout en bas, doivent s’écraser et obéir coûte que coûte, que j’ai l’impression que cette « Guerre sanitaire » contre le Coronavirus Covid-19 fait des soignants des hôpitaux publics un peu les équivalents des liquidateurs qui, lors de la catastrophe de Tchernobyl, s’étaient plongés dans la fosse afin d’arrêter le réacteur nucléaire.

 

En rangeant mon vélo dans son local tout à l’heure, je me suis dit qu’après l’épidémie, si notre « cher » Président est véritablement si concerné par le personnel soignant, dont le personnel infirmier , il abrogera ce statut de soignant « sédentaire » et révisera ce qui concerne l’âge de départ à la retraite ainsi que le niveau du montant des pensions de retraite infirmières :

 

Il y a quelques années, les infirmiers ont été sommés de choisir entre une catégorie A, dite « Sédentaire » et une catégorie B dite « active ».

Depuis, tous les nouveaux infirmiers diplômés sont d’office considérés comme relevant de la catégorie A, dite « sédentaire » : ils sont supposés être mieux payés que ceux de la catégorie B dite « active » mais, aussi, avoir une carrière plus longue de cinq années que ces derniers.

Avec les décrets et toutes les démarches législatives effectués par les gouvernements successifs concernant la réforme des retraites, on en arrive à ce que les infirmiers de catégorie B qui pouvaient prendre leur retraite plus tôt ( avant leurs 60 ans) avec une pension de retraite convenable , à condition d’avoir effectué un certain nombre d’années de travail, sont désormais de plus en plus obligés de tabler sur un départ à la retraite au delà de 60 ans ( 62 ans semble pour l’instant l’âge moyen de départ à la retraite pour les infirmiers de catégorie B) s’ils veulent éviter une certaine précarité. 

 

 

Le Président de la République et ses Ministres préconisent le télétravail quand c’est possible lors de « notre » épidémie du Coronavirus Covid-19. Mais cela est impossible pour du personnel infirmier en période d’épidémie et de «  Guerre sanitaire ». Hier soir, un ami m’a demandé où nous allions choisir de rester « confinés » pendant les 45 jours à compter de demain. Et il a ajouté : «  On reste en contact ».  Je lui ai rappelé que, si « confinement » il peut y avoir pour nous, infirmières et infirmiers, ce sera peut-être dans un cercueil parmi des maccabées. Que l’on soit infirmier de catégorie A ou de catégorie B.

 

J’ai néanmoins tenu à assurer mon ami que nous resterions bien-sûr en contact même si je doutais un peu que, en cas de décès, ma toute nouvelle constitution l’incite à m’accueillir les bras grands ouverts.

 

 

Je crois que je survivrai à cette épidémie. Et je pratique bien évidemment l’humour noir, ce qui est une mes particularités qui m’a déjà desservi et qui peut encore me coûter certaines désaffections sociales. Mais je préfère l’humour noir à me carboniser la cervelle en bouffant en boucle la junk Food d’informations toxiques à la télé, sur les réseaux sociaux, dans d’autres média ainsi que, bien-sûr, dans la vie réelle. L’attention de cet ami ainsi que celle d’un autre m’a fait plaisir et aussi un peu étonné :

Je n’ai pas prévu de mourir maintenant. Je ne bombe pas le torse. C’est juste que j’estime que j’ai encore à vivre et à transmettre et que je suis encore assez loin de l’âge où je me dis que je pourrais mourir.

 

 

Hier matin , devant l’école de ma fille,  j’aurais aimé être capable d’humour  lorsque j’ai vu une « collègue » infirmière devoir rebrousser chemin avec ses trois enfants. La directrice de l’école maternelle, très accueillante par ailleurs, a expliqué avoir reçu des directives selon lesquelles,  pour que des enfants soient accueillis par l’école en période d’épidémie, que les deux parents se doivent d’être des professionnels du secteur hospitalier….

J’ai dit à cette directrice qu’une telle exigence ne pouvait pas tenir. Mais, une fois de plus, l’administratif a encore gagné. Et, une fois de plus, une infirmière a dû prendre sur elle. Tout en se montrant compréhensive, très polie et très disciplinée, cette « collègue » infirmière- que je rencontrais pour la première fois- a accepté de repartir avec ses trois enfants sans faire d’esclandre. C’était à elle qu’il incombait  de trouver une solution pour faire garder ses enfants mais aussi de se rendre disponible pour participer à «  La Guerre Sanitaire ». 

J’imagine qu’il s’agissait d’un couac. Le temps que la logistique et la société s’adaptent à l’épidémie qui, demain, pourrait être remplacée par l’effondrement dont parlent les collapsologues depuis quelques années. Lesquels collapsologues disent peut-être que la façon dont cette épidémie du coronavirus Covid-19 nous prend de court et nous met à nu révèle ce qu’il en sera en cas d’effondrement plus visible de notre civilisation. Mais, aussi, que cette épidémie du Coronavirus Covid-19 et ses conséquences sont une des manifestations, parmi d’autres, de l’effondrement dont ils parlent. 

 

En attendant, c’est la tête un peu baissée que je suis rentré chez moi à pied. Non par honte ou par abattement :

 

A force de prendre mon temps ce matin pour faire des photos sur mon trajet de retour, j’avais un peu attrapé froid. Mon nez coulait. Et je n’avais pas de mouchoir à portée de main. Je ne voulais pas inquiéter qui que ce soit dans la rue.

 

Quelques minutes plus tôt, après avoir parlé à ma compagne, j’avais eu  un peu eu ma fille au téléphone. Alors qu’elle allait passer la journée dans cette école qui recueille les enfants de personnel hospitalier.

Comme le sont souvent les enfants, alors que les adultes sont plus que préoccupés par un sujet donné, ma fille était contente de se rendre dans cette école où elle allait être avec d’autres enfants et sans doute s’amuser. Son attitude m’a rassuré : en tant qu’adultes et en tant que parents, nous ne l’avions pas trop contaminée avec nos inquiétudes concernant le Coronavirus Covid-19.

 

Hier, nous avions découvert avec elle cette nouvelle scolarité qui se passe à travers des vidéos et des cours envoyés par sa maitresse via internet. C’était une expérience assez insolite et assez drôle de voir la maitresse de notre fille donnant ses explications face caméra avant chaque exercice et de comprendre que tout cela était aussi très nouveau pour elle. Aujourd’hui, internet et la téléphonie mobile peuvent être des très bons moyens d’échapper à la dépression morale qu’amène l’épidémie du Coronavirus Covid-19 et toute autre catastrophe. A condition de s’en servir avec cette volonté-là. Et si internet et la téléphonie mobile flanchent ou nous en empêchent, il nous faudra être capables de savoir nous en passer pour continuer d’entendre le vent de notre âme. Beaucoup d’autres l’ont fait avant nous. Et un certain nombre d’entre eux avaient nos visages.

 

 

Franck Unimon, mardi 17 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020

 

 » Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante » peut-on lire sur le fronton du Panthéon. Jusqu’à tout à l’heure en rédigeant cet article et en le mettant en forme, j’avais ignoré cette phrase qui orne le Panthéon. 

Qu’est-ce qu’une Grande Femme ou un Grand Homme ? Qu’est-ce qu’une Patrie ? Qui peut en décider ?

Et quand ? Les dignitaires politiques officiels sont-ils toujours les plus légitimes et les plus sages pour en décider ?

Il est quantité de Grandes Femmes et de Grands Hommes qui appartiennent davantage à l’anonymat qu’à notre mémoire collective et médiatique.

Si l’on regarde « seulement » du côté des soignants, toutes professions confondues dans les établissements hospitaliers, que l’épidémie du coronavirus Covid-19 vient de placer en première ligne alors qu’une bonne partie de la population, pour des raisons fondées de prévention et de préservation sanitaire, est appelée à limiter autant que possible ses déplacements comme ses échanges interpersonnels, combien d’entre-eux ont figuré et figureront au Panthéon lorsque l’épidémie du coronavirus Covid-19 , après et avant d’autres, sera passée ?  Lesquels ?

Combien d’éboueuses et d’éboueurs, de femmes et d’hommes de ménage,  figureront-ils pour des raisons permanentes de prévention sanitaire au Panthéon de la Patrie reconnaissante ?

 

On pourrait multiplier les exemples avec d’autres professions et d’autres actions d’individus et de groupes d’individus qui effectuent une mission d’ordre et d’utilité publique dont on n’entendra pas parler contrairement à certaines « célébrités ».  

D’ailleurs, et  je me demande si c’est une vision biaisée de ma part, mais lorsque le Président Macron invite les soignants à se consacrer pleinement à l’effort sanitaire pour répondre à l’épidémie du coronavirus Covid-19 et aux frayeurs parasites qu’elle suscite, j’ai l’impression que seuls les soignants du service public sont appelés à répondre présents. Et non ceux du secteur privé. Pourtant, depuis des années, l’Etat Français, donc le gouvernement Macron-Philippe ainsi que les précédents, oblige les hôpitaux publics à ressembler de plus en plus aux établissements de soins privés. Ce qui consiste à adopter des modèles de gestion et de soins  indexés sur la mécanique du chiffre et de la rentabilité parfois à tombeau ouvert. Ce qui se traduit souvent au moins par  » une baisse des effectifs » en personnel soignant.

Concernant le personnel infirmier, on peut aussi mentionner l’allongement de la durée de carrière. Un « gel » des salaires. La diminution du nombre de jours de congés.  Un ralentissement de la montée d’échelon. Des difficultés renouvelées afin d’obtenir des formations professionnelles. La perte d’autres droits et avantages.  Selon moi, si on le souhaite,  on devrait avoir la possibilité de prendre sa retraite à cinquante ans un peu sur l’ancien modèle des militaires et bénéficier d’aides à la reconversion professionnelle. 

Pourquoi employer trois ou quatre infirmiers si deux parviennent à faire ce qu’on leur demande  ? Si le service est « calme » ?  Pourquoi en employer trois ou quatre si on peut mettre deux aides-soignants avec deux infirmières ? ça fait toujours quatre, non ? 

 

Je n’avais pas prévu de me poser ce type de questions et d’en arriver à ce genre de développement en prenant en passant cette photo et les autres autour du Panthéon.

Le Panthéon, je suis plusieurs fois passé à côté. Souvent dans un état d’esprit détendu.  J’en ai bien-sûr entendu parler à la faveur du « déménagement » de telle Personnalité dont les cendres y sont déposées ou susceptibles de l’être. Je ne l’ai jamais visité. Il y avait des années que je ne l’avais pas côtoyé d’aussi près. Et la bibliothèque Ste-Geneviève, je n’ai jamais pris le temps d’y entrer même si je possède une carte d’accès depuis des années.

 

 

Mais un jour seulement sépare ces photos prises près du Panthéon et la manifestation des gilets jaunes le lendemain, ce samedi 14 mars 2020 ( hier). Et, ce samedi 14 mars ( hier), je n’avais pas non plus prévu de me trouver face à cette manifestation en sortant du travail. Pas plus que je n’avais prévu d’écrire cet article lors du premier tour des élections municipales où, en raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19, il est probable que l’absentéisme électoral batte de nouveaux records. Puisqu’aujourd’hui nous en sommes au stade 3 de l’épidémie comme en en matière de mesures de prévention. Et qu’aujourd’hui, cinémas, piscines et d’autres lieux publics encore ouverts hier ont été fermés. 

 

 

Depuis que le mouvement des gilets jaunes a débuté il y a plus d’un an maintenant, je n’ai assisté ou participé à aucune manifestation des gilets jaunes. Et sans doute est-ce parce-que beaucoup de personnes agissent comme moi que des gouvernements en France et ailleurs conservent leur façon de gérer certaines échéances sociales, économiques et environnementales, modelant à leur image le monde dans lequel nous vivons. Lorsque l’on parle de personnes conservatrices, on désigne souvent d’autres personnes. Mais moi qui n’ai jamais pris part à une seule manifestation des gilets jaunes, je fais bien partie à un moment donné, que je le veuille ou non, des conservateurs. C’est comme pour le vote : est principalement pris en compte le nombre de votes. Et non le nombre de personnes qui s’est abstenu de voter et qui exprime pourtant quelque chose. 

 

Je me méfie beaucoup des effets de groupe. Je redoute l’aspect « troupeau » que l’on peut conditionner. Et qui peut aussi s’affoler ou s’emballer pour le pire comme pour le meilleur. Mais mon attitude vis-à-vis du groupe et de la foule a ses limites.

Bien-sûr, chacun ses limites et il importe de les connaître comme il existe différentes manières de manifester et de militer. Mais à se tenir prudemment, peureusement, hors du « troupeau », du groupe, de la masse ou de la foule, en toutes circonstances, on se retrouve un moment isolé. Certaines fois, cela peut être avantageux. D’autres fois, on devient une proie de choix. 

Et puis -quoiqu’on en dise- on appartient à un groupe ou, le plus souvent, à plusieurs groupes :

Au moins à un groupe familial. A un groupe social. A un groupe professionnel. A un groupe amical. Et chacun de ces groupes nous inspire et nous incite à suivre et à adopter certains comportements que ce soit par la contrainte, par intérêt, par stratégie, par mimétisme ou par choix. 

Dans son livre La Dernière étreinte, l’éthologue et primatologue Frans de Waal écrit page 33 :

 » La société des chimpanzés n’est pas faite pour les humbles et les faibles ». 

Page 36, il écrit aussi :

 » Les chimpanzés jouent constamment à prouver qu’ils sont plus forts, à tester les limites de leur pouvoir ou du vôtre ». 

Et, page 31, il avait affirmé :  » Ce sont les émotions qui orchestrent le comportement ». 

 

Hier après-midi, vers 14h30, en sortant du travail, mes premières réactions en découvrant la présence de cette manifestation, ont été celles de l’étonnement et de la curiosité. Quelques minutes plus tôt,  j’avais interrogé un collègue arrivant de l’extérieur. Il avait eu un peu de mal à me dire ce qui se passait.

Il n’était pas prévu que je travaille hier matin. Quelques heures plus tôt, avec ma collègue, nous avions fait une sortie agréable et tranquille avec les jeunes hospitalisés. Tout était calme.

Je finis ma journée de travail, je tombe sur une manif. J’ai d’abord pensé que c’était un événement festif. Le déni sans doute. Puis, j’ai pensé à une manifestation des avocats. J’ai lu que les avocats, en ce moment, protestaient contre les mauvaises conditions de travail qui sont les leurs. J’avais lu un article montrant une course dans la rue effectuée par des avocats en guise de protestation. Une fois plus près de la manifestation, j’ai rapidement compris que je m’étais trompé.

 

Quelques personnes scandaient avec provocation :  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! ». En regardant en contre-bas, j’ai aperçu des camions des forces de l’ordre sur la route. Un attroupement de personnes au carrefour. Cela faisait beaucoup de monde. Et, un peu plus haut, sur ma droite vers Place d’Italie, d’autres représentants des forces de l’ordre se tenaient immobiles, sur la route.

 

Même si cela se passait « bien » et qu’un certain nombre de personnes circulait librement, je me suis un peu senti pris en tenaille. J’ai un peu hésité. J’avais prévu de me rendre à la séance du film Kongo réalisé par Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav. Ce film sorti cette semaine passe dans une seule salle à Paris. Il passe aussi à Montreuil. Mais en tant que citoyen et en tant que créateur et rédacteur d’un blog qui s’appelle Balistique du quotidien, il m’était impossible de partir sans faire un minimum l’expérience de cette manifestation. 

 

 

J’ai regardé un peu. Quelques fumigènes ont été de sortie. Puis, en bas à droite,  j’ai aperçu plusieurs membres des forces de l’ordre attraper quelqu’un, une ou plusieurs personnes, et les emmener vers l’arrière de leurs camions. A ce moment-là, plusieurs des personnes qui figuraient du côté de celles et ceux qui scandaient  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! » sur ma gauche ont battu en retraite et ont reflué un peu dans ma direction comme si elles s’en allaient. Alors que j’écris, je me demande maintenant ce que l’on doit ressentir lorsque l’on se fait alpaguer par des forces de l’ordre :

Si on a juste manifesté et que l’on est innocent, on doit avoir beaucoup de mal à le vivre. Par contre, si on a recherché l’affrontement et le contact, on doit sans doute un peu jubiler comme certains peuvent jubiler de pouvoir dire qu’ils ont fait de la taule. Car cela signifie que l’on n’a pas peur d’aller au combat. Et sans doute aussi que, d’une certaine manière, même arrêté puis enfermé, que l’on  est  libre ou que l’on s’estime plus libre que d’autres. 

 

De ce point de vue et depuis d’autres points de vue, je ne suis pas libre. Mais il me fallait passer de l’autre côté de la manif pour ma séance ciné. Ce qui a permis ces photos. Pour illustrer cet article, j’ai d’abord voulu d’éviter autant que possible les photos en noir et blanc qui peuvent donner un aspect « reportage de guerre » ou qui pourraient laisser croire que nous sommes en Mai 68.

Mais certaines photos en noir et blanc, parmi celles que j’ai prises hier, m’ont semblé incontournables. Et puis, pour essayer d’éviter le plus possible de manipuler celles et ceux qui regarderont ces photos, je me suis dit qu’il fallait en mettre un certain nombre afin d’essayer de restituer au mieux l’ambiance assez générale  là où j’étais durant la manif.

 

Je suis resté à peu près une quinzaine de minutes. A voir la « tranquillité » des représentants des forces de l’ordre, je me suis dit qu’un certain nombre d’entre eux avaient l’expérience de ce genre de situation sociale. J’ai bien-sûr été intimidé par le nombre de leurs effectifs. Par moments,  j’avais l’impression que la terre tremblait sous mes pieds ou qu’elle aurait pu le faire si cela dégénérait.

Leur harnachement et leurs protections. Leur stature. Leur entraînement supposé aux confrontations dans la rue. Leur nombre. Leurs différentes positions stratégiques. Leur regroupement. Moi, je n’étais qu’une personne parmi d’autres qui passait par là. En cas d’assaut, impossible pour eux de le deviner si je me trouvais entre eux et des manifestants déterminés. Evidemment, mes émotions provenaient du fait que je découvrais ce que pouvait être une manif en présence d’autant de forces de l’ordre dans un contexte où un affrontement était possible.

Mais je ne me suis pas fait dessus non plus.  Pas plus que je n’ai inondé mes vêtements de couleurs suite à une trop forte stimulation de mes glandes sudoripares. 

 Je me suis aussi dit que nous étions encore dans une démocratie puisqu’une telle manifestation pouvait avoir lieu en présence d’autant de membres de forces de l’ordre qui, pour la plupart, se contentaient d’observer et de se déplacer en fonction de l’évolution et des déplacements de la manif. Même si, en raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19 et du risque de contagion multiplié par ce rassemblement de personnes, cette manifestation et les suivantes seront sans doute reprochées à leurs organisateurs.  

Hier, le rassemblement autorisé maximal de personnes sur un lieu public, du fait de l’épidémie du coronavirus, devait être de cinq cents ou de mille personnes, je crois. A vue d’oeil, je crois que l’on peut facilement estimer qu’il devait bien y avoir plus de mille personnes à cette manifestation hier. Etant donné qu’aujourd’hui, nous en sommes au stade 3 de l’épidémie, cela limite désormais encore plus le nombre de personnes qui souhaite se rassembler ainsi que les lieux accueillant du public ( médiathèques, cinémas, restaurants, piscines…).

Il est prévu qu’il y aura moins de transports en commun. Les personnes qui le pourront resteront chez elles afin d’effectuer du télétravail. 

Vu que nous sommes toujours sous le plan vigipirate concernant le terrorisme ( New-York 2011 ), toute personne ou tout groupe de personne ayant l’intention de manifester va sans doute se sentir lésé de plus en plus dans ses libertés et ses droits fondamentaux. Ce qui risque de durcir certains mouvements sociaux. Mais aussi d’exaspérer des personnes qui, jusque là, étaient restées conciliantes et dociles en termes de revendication sociale. 

A un moment, à quelques mètres de moi, j’ai entendu une femme crier  » Arrêtez de nous gazer ! On est en train de manger ! ( au restaurant ou dans un Fast-Food) ».  Je n’ai pas senti d’odeur incommodante.

J’ai entendu un couple se disputer parce-que monsieur et madame ne s’étaient pas compris lorsqu’ils s’étaient dit là où l’un et l’autre se trouverait dans la manif. 

J’ai vu des personnes  prendre des photos. 

 

J’ai vu un représentant de l’ordre laisser passer civilement un couple d’un certain âge après que celui-ci lui ait dit qu’il habitait non loin de là. C’est sans doute ce représentant de l’ordre qui a répondu à un autre homme :  » Vous êtes déja passé tout à l’heure ». 

A moi, ce même représentant de l’ordre, ou un autre, m’a répondu poliment que pour aller vers le Panthéon, il me fallait passer ailleurs en tournant ensuite sur la droite. Ce que j’ai fait.

 

Après à peine quelques minutes de marche, même si j’ai croisé d’autres véhicules de police qui arrivaient en renfort, j’ai à nouveau été étonné de voir comme il suffit de franchir quelques rues pour retrouver la quiétude mais aussi l’ignorance. Les personnes que j’ai croisées ensuite dans la rue, dans un restaurant, vaquaient comme si de rien n’était. 

 

Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite comme je n’ai pas vu d’images ou lu d’informations concernant ce qui s’était passé hier lors de la manifestation des gilets jaunes. Sans doute devrais-je le savoir. Sans doute que je ne suis pas un Grand Homme. 

 

Franck Unimon, dimanche 15 Mars 2020. 

Photos : Franck Unimon, le 13 et 14 Mars 2020. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma

Le discours de l’actrice Aïssa Maïga aux Césars 2020

 

 

Le discours de l’actrice Aïssa Maïga aux Césars de cette année 2020 :

 

J’ai suivi de très loin ce qui s’est passé aux Césars cette année. Je ne connais même pas le palmarès des récompenses avec précision.

J’avais lu que Terzian et son équipe avaient démissionné avant la cérémonie. Suite à une pétition de professionnels du cinéma lui adressant un certain nombre de reproches.

J’avais entendu parler et lu à propos de Polanski, du fait que la présence de son film J’accuse ainsi que sa nomination avaient été insupportables pour bien des personnes en raison de l’agression sexuelle dont il avait été l’auteur aux Etats-Unis il y a plusieurs années. Pays dont il a fui la justice.

J’ai lu en filigrane que cette cérémonie des Césars avait été considérée comme « insipide ». Et j’avais peut-être un peu entendu parler du discours d’Aïssa Maïga mais alors, vraiment, en sourdine. L’affaire Polanski, les réactions diverses qu’elle avait suscitées, le Coronavirus Covid 19 puis le 49.3 du gouvernement Philippe-Macron pour imposer la réforme des retraites avaient emporté le plus gros de mon attention en ce qui concerne les actualités en France. J’avais aussi appris que toute la rédaction des Cahiers du cinéma avait démissionné après que le journal ait été racheté par vingt hommes d’affaires ( dont Xavier Niel, PDG de Free, un des actionnaires du journal de Le Monde, et prétendant au rachat de France Antilles) dont le projet est de faire des Cahiers du cinémaun journal « chic » mais aussi de dire aux journalistes de quels films ils doivent parler.

 

Mais un très proche m’a adressé hier ou avant hier le lien vers la vidéo du discours d’Aïssa Maïga aux Césars cette année. Des liens vers des articles ou des vidéos, on en reçoit tous désormais à l’époque internet. Ça fuse. Certains articles et certaines vidéos sont drôles, parodiques, critiques, en colère, déprimants, faux (les « fameuses » Fake news). Et d’autres sont bien réels.

 

Aujourd’hui, tout le monde peut donner son avis sur tout et tout le temps très facilement. Trop facilement. Et cela peut aussi se retourner contre nous d’une part si nos propos déplaisent. Puisque tout le monde peut donner son avis sur tout, tout le temps et très facilement, une ou plusieurs personnes peuvent très bien être d’un avis contraire au nôtre et considérer que sa mission ou leur mission est de nous voir comme une cible à atteindre ou à détruire.

 

Et puis, d’autre part,  comme nous l’explique très bien un Edward Snowden dans son livre Mémoires vives, ( E. Snowden est quelqu’un qui s’y connaît très bien en informatique ainsi qu’en ce qui concerne toutes ces ingérences dans nos vies privées que nous permettons chaque fois que nous tâtons du numérique) tout ce que nous faisons sur internet laisse des traces quasi indélébiles. A moins, bien-sûr d’être un expert de l’informatique en particulier en matière de cryptage. Donc tenir ou écrire certains propos considérés comme « vulgaires » ou « indignes » sur le net peut nous suivre toute notre vie y compris après notre mort. Même en cas de catastrophe nucléaire nous apprend toujours Edward Snowden dans son livre.

 

Avec cet article, j’espère donc rester digne car je ne suis pas un expert en cryptage.

En cela, j’imite un petit peu Aïssa Maïga lorsqu’elle a prononcé son discours aux Césars en février, en clair, à visage découvert et sans cryptage. Pourquoi ?

 

J’ai lu que le discours d’Aïssa Maïga prononcé aux Césars dernièrement était un discours « racialiste» et « embarrassant ».

Maintenant que j’ai regardé la vidéo de ce discours deux fois,  j’ai le sentiment d’avoir au moins le devoir de m’exprimer à son propos. Et, j’écris bien « Devoir ». Parce-que ce qu’Aïssa Maïga dit dans son discours aux Césars concernant cette nécessité de plus de diversité dans le cinéma français, je l’ai moi-même écrit et dit. Et répété depuis des années. Dans des articles relatifs au cinéma. Dans la vie réelle. Donc, maintenant qu’Aïssa Maïga a pris le risque (oui, elle a pris un très gros risque personnel et professionnel en tenant ce discours à la cérémonie des Césars !), j’aurais l’impression de me défiler si je m’abstenais de prendre le temps d’écrire un article pour dire ce que je pense de son discours. Surtout un discours dans la sphère du cinéma alors que j’écris régulièrement des articles qui ont trait au cinéma. Donc, je ne peux pas faire comme si j’étais absent ou ignorant de l’événement maintenant que j’ai vu et pris connaissance de la vidéo et du contenu du discours d’Aïssa Maïga.

 

« Discours racialiste » et «  embarrassant » : j’ai lu ça à propos du discours d’Aïssa Maïga aux Césars. Je m’en suis tenu à ces deux mots. Je n’ai pas envie de m’amarrer indéfiniment à ce sujet.

 

Tout d’abord, j’aimerais que les personnes qui voient comme principaux défauts au discours d’Aïssa Maïga le fait d’être un « discours racialiste » et «  embarrassant » prennent, un jour,  la parole à visage découvert comme l’a fait Aïssa Maïga et dans les conditions dans lesquelles elle a pris cette parole.

 

C’est à dire en prenant le risque que cette prise de parole se retourne contre eux personnellement et professionnellement. Car je rappelle qu’elle est seule sur scène lorsqu’elle se lance dans ce discours. Seule face à plein de caméras et une salle pleine de regards tournés vers elle. Plus de mille personnes comme elle le dit à un moment donné. Donc, déjà, il faut s’imaginer pouvoir s’avancer en pleine lumière, face à plein de gens et plein de caméras qui vont disséquer et diffuser ensuite vos dires et vos gestes ainsi que votre anatomie, sous toutes les coutures.

 

Alors, on dira : C’est une comédienne. Elle est rôdée à ça. Oui. Mais une comédienne, ça a aussi le trac. Et, en outre, cette fois-ci, la comédienne vient pour dire un texte personnel avec sa propre voix. Il n y a pas de maquillage. Il n y a pas de possibilité de faire de nouvelles prises si ce qu’elle dit et donne à ce moment là est raté. Il n y aura pas d’entracte ou de page de pub si elle se loupe.

Et, en plus, cette « comédienne » qui est aussi une personne, vient pour aborder des sujets polémiques.

 

Donc, on peut dire qu’elle entre dans l’arène ou dans la fosse. Les personnes face à elle qui sont embarrassées que ce soit dans la salle ou devant leur écran prennent beaucoup moins de risques qu’elle. Puisque c’est elle qui met sur la table le sujet qui fâche. Le sujet ou les sujets qui sont tus généralement depuis des années. Il y a eu l’affaire Polanski lors de la soirée avant ou après son intervention. Et d’autres affaires proches. Aïssa Maïga arrive avec d’autres sujets sociétaux. Il est évident que pour bien se faire voir, en tant que comédien ou comédienne, à la cérémonie des Césars ou lors d’un casting, mieux vaut être sympathique,  charmant, élégant, drôle et plein de gratitude. Ça passe et ça passera souvent mieux. L’une des grandes aptitudes de bien des comédiennes et comédiens consiste à savoir séduire et à plaire à la bonne personne au bon moment. Ça peut transformer une carrière.  Aïssa Maïga, avec son discours, fait tout le contraire. On pourrait presque se demander si elle va bien. Ou si elle est suicidaire d’un point de vue professionnel et personnel alors qu’elle se jette dans son discours.

 

« Racialiste », le discours d’Aïssa Maïga ? C’est vrai.

 

Mais avant qu’Aïssa Maïga, prononce ce discours « racialiste », il faudrait peut-être déjà se rappeler qu’elle l’a subi pendant des années ce discours mais aussi cette attitude racialiste. Et les personnes qui ont du mal à digérer son discours aux Césars, où étaient-elles à ce moment-là ? Aux Césars ?

 

En plein tournage ?

 

 

Avant de voir et de vouloir poser Aïssa Maïga sur le trône de la femme raciste ( car c’est de ça qu’on parle en disant que son discours a été « racialiste » et «  embarrassant »), il faut déjà voir qu’elle, comme tant d’autres dans la société française, et qu’elle « cite », ont été victimes, sont victimes et seront victimes d’un certain racisme inhérent au cinéma français mais aussi…à la société française.

 

Il faudra aussi se rappeler que contrairement à un ancien président de la République comme Nicolas Sarkozy avec son discours de Dakar ou à Feu « Chichi » avec son « Le bruit et l’odeur » -qui sont des monuments de propos et de discours racialistes- , une Aïssa Maïga ne bénéficie pas d’une immunité présidentielle ou diplomatique ou médiatique lorsqu’elle s’exprime aux Césars.

 

 

« Embarrassant », son discours ? Bien-sûr qu’il est embarrassant.

 

Aïssa Maïga rappelle à celles et ceux qui l’oublient ou qui l’ignorent que si le cinéma est une industrie de divertissement, elle est aussi, en passant, un puissant moyen de propagande et aussi une usine à modèles. Des modèles auxquels on s’identifie. Ce qui nous donne envie d’aller au cinéma, c’est de pouvoir nous reconnaître dans les personnages et les situations que nous voyons au cinéma, comme dans les chansons des interprètes que nous écoutons ou des livres des auteurs que nous lisons. Et, il est très étonnant que l’on puisse accepter en France le caractère universel d’une œuvre lorsqu’elle est interprétée à l’écran par des acteurs majoritairement blancs mais, par contre que cette universalité soit si difficile à intégrer si dans l’histoire que l’on voit à l’écran, il y a plus d’acteurs arabes, asiatiques, noirs, handicapés, homos ou trans. Comme s’il y avait des sous-catégories de femmes, d’hommes, d’espèces ou d’organes pour susciter de l’émotion ou une identification chez les spectateurs. Et les « autres », l’élite des femmes et des hommes -qui serait supposément toujours ou souvent blanche- afin que les spectateurs comprennent mieux une histoire et s’identifient mieux aux enjeux et aux thèmes de cette histoire.

 

C’est ce qu’Aïssa Maïga dit selon moi dans son discours. Et, elle le dit de manière frontale et intelligible :

 

Il est impossible en l’écoutant de se dire que l’on n’a pas compris ce qu’elle a voulu dire à très peu de passages près. Cette « frontalité » ou cette franchise  a sûrement sincèrement agressé certaines personnes pourtant bien intentionnées en matière de diversité. Et c’est là où j’en arrive à cette question :

 

Aïssa Maïga avait-elle le choix ? Pouvait-elle s’exprimer avec plus d’humour, plus de douceur et plus de gentillesse ?

 

D’abord, je tiens à rappeler qu’Aïssa Maïga parle. Si elle persifle par moments voire peut se montrer insolente, elle ne fait pas exploser de bombe. Elle ne séquestre personne qu’elle aurait décidé de torturer seulement lors des nuits de pleine lune. Elle n’a cassé aucun meuble. Elle arrive les mains vides sans seringue contenant le coronavirus covid 19 ou covid 2628 541 880. Et elle s’adresse à des adultes, à des personnes responsables ainsi qu’à des décideuses et des décideurs valides. Elle ne s’adresse donc pas à des personnes faibles ou diminuées, respirant difficilement ou se déplaçant au moyen de déambulateurs ou de défibrillateurs. Contrairement à certains producteurs, réalisateurs, directeurs de casting, chefs d’entreprise (hommes ou femmes) qui ont abusé de leur pouvoir pour faire céder certaines personnes en état de vulnérabilité. Donc, je crois que cela limite beaucoup quand même les éventuels « dégâts » moraux ou psychologiques de ses propos.

 

Ensuite, ces personnes adultes auxquelles Aïsa Maïga s’adresse sont supposées être déjà plus qu’au courant  de ce qu’elle dénonce. Puisque cela dure depuis des « décennies ». Pas uniquement lors de la cérémonie des Césars. Parlez-en avec un Saïd Taghmaoui ou voire peut-être avec un Hubert Koundé, les autres « héros » du fim La Haine de Kassovitz dont on a beaucoup parlé lors de la sortie du film Les Misérables de Ladj Ly, sorti l’année dernière, primé au festival de Cannes ainsi qu’à ces derniers Césars si je ne me trompe.

 

Le film La Haine, prenons-le donc comme exemple, date, je crois, de 1995. Au lieu de se dépêcher de faire des reproches à Aïssa Maïga pour son discours aux Césars, il faudrait se demander ce qui l’oblige, en tant que professionnelle et en tant que personne, à prendre de tels risques en faisant un tel discours en 2020, soit 25 ans après le film La Haine.

 

Rappelons que La Haine qui avait été primé à l’époque au moins à Cannes, n’est pas un film comique alors qu’il décrit une certaine partie de la société française. Ce qui signifie quand même un peu, que sur certains points, depuis le film La Haine, la société française a plutôt régressé. Certaines personnes ont la possibilité et la faculté de l’ignorer parce qu’elles peuvent se permettre d’être dans le déni ou tout simplement parce qu’hormis quelques minutes de prise de conscience, en regardant un film par exemple, elles ignorent régulièrement qu’existe une certaine France ou d’autres France à côté de celle dans laquelle elles évoluent régulièrement.

 

Aïssa Maïga n’avait donc pas d’autre choix que d’essayer de secouer le cocotier avec un discours comme le sien pour tenter de sortir un peu de leurs facilités de pensée et de leurs habitudes certaines décideuses et certains décideurs. Ainsi que d’autres personnes.

 

Aïssa Maïga est aussi une femme. Ce détail là a aussi son importance. Dans son discours, je vois aussi une femme qui s’exprime là où la société française préfère sans doute encore des femmes qui se taisent. Lorsque l’on regarde par exemple Pénélope Fillon, la femme de l’ancien premier Ministre François Fillon et ex-futur potentiel Président de la République, actuellement jugé, on est assez loin de se dire que l’on est là face à une femme de décision. Même si, évidemment, les apparences peuvent être trompeuses et l’attitude de Pénélope Fillon devant la caméra peut aussi résulter d’une stratégie.  

 

Aïssa Maïga ressemble néanmoins davantage à ces femmes qui ont décidé de prendre la parole et non de se contenter de réciter- avec les éléments de langage qui leur ont été attribués- ce qu’elle est censée dire ou penser. Comme ont pu s’exprimer des femmes qui ont été victimes de viol, d’attouchement ou de harcèlement dans le milieu du cinéma ou dans la société, dans le sport de haut niveau par exemple.

 

Mais en Aïssa Maïga,  je vois aussi une femme qui s’exprime dans la mouvance des femen. Donc, avant de vouloir lui coller l’étiquette d’une « femme noire » qui se serait prise pour une Angela Davis ou une Toni Morrisson ( même si ces deux femmes peuvent aussi faire partie de ses modèles) il faut déjà la voir comme une femme qui est complètement raccord avec son époque. L’époque d’une Virginie despentes. D’une Béatrice Dalle. D’une Brigitte Fontaine. D’une Casey. D’une Angèle. D’une Aya Nakamura. D’une Nicole Ferroni. D’une Blanche Gardin. D’une Shirley Souagnon et d’autres….

 

Une époque où des femmes expriment assez radicalement leur point de vue et aspirent à cesser d’être souvent victimes du bon vouloir des hommes car elles n’ont pas d’autre choix : c’est soit se montrer radicale ou être victime.

Une époque où le droit à l’IVG est de plus en plus menacé. Entendre ça remue peut-être assez peu certains hommes en 2020 mais sans doute que bien des femmes sont horrifiées devant cette menace qui concerne le droit à l’IVG.

 

 

Ai-je à peu près dit concernant le discours d’Aïssa Maïga ?  Pour toute la partie où je suis d’accord avec son discours, je crois.

 

Puis, viennent mes réserves. Evidemment, ce qui donnera pleinement raison ou non à Aïssa Maïga, quelles que soient mes réserves, ce sera l’avenir. Pour elle. Mais aussi pour les autres.

 

« Racialiser » son discours était selon moi inévitable :

 

Car cela permet d’appeler un chat, un chat. D’éviter les «  Je ne savais pas » ; «  Je n’étais pas au courant » ; « Ah, bon, ça se passe comme ça en France avec les minorités ? ». «  Mais dans quel monde vit-on ? En France ? ».

 

On peut même se dire que parmi celles et ceux qui reprochent à son discours d’être « racialisé », se trouvent sans doute quelques personnes de mauvaise foi qui, ni vues, ni connues, aimeraient bien continuer (vont continuer) de perpétuer leurs pratiques.

 

Or, le discours d’Aïssa Maïga intervient comme un gros coup de projecteur inattendu qui viendrait déranger leur « trafic ». Et on peut voir dans ce « trafic » une sorte de « trafic d’influence » puisque le cinéma et aussi le théâtre, comme bien des arts médiatisés en général, génèrent une influence ainsi que des modèles pour les autres :

Acteurs, créateurs, producteurs comme spectateurs.

 

Et le discours d’Aïssa Maïga est bien équivalent à celui d’un sportif de haut niveau qui déciderait de dire que dans le milieu sportif où il évolue, beaucoup de sportifs se dopent. Et que pratiquement tout le monde dans le milieu le sait. Donc, évidemment, ça passe mal auprès de certaines personnes,  sportifs de haut niveau ou dans les instances dirigeantes, qui ont intérêt, pour des raisons économiques et personnelles, à ce que le système reste comme il est.

 

C’est pour cette raison qu’Aïssa Maïga a pris de gros risques avec ce discours. On peut s’attendre à ce que quelques peaux de bananes soient jetées sur son parcours personnel et professionnel désormais. Et ce sera fait hors caméra. Et il se peut qu’elle soit seule pour encaisser ces peaux de bananes malgré la « sympathie » et le « soutien » qui lui seront témoignés. Bien-sûr, je choisis sciemment d’employer le terme « peaux de bananes » pour dire que certaines personnes voudront certainement la peau d’Aïssa Maïga après ce discours :

 

Parce qu’elle n’est pas restée à sa place de femme soumise voire de femme noire soumise ou d’actrice soumise. On choisira les termes que l’on préfère selon ce que l’on pensera.

 

Il est possible qu’avant même ce discours aux Césars, Aïssa Maïga ait déjà eu à faire avec un certain nombre de peaux de bananes sur son parcours. Elle en parle avec d’autres actrices dans son livre Noire N’Est Pas Mon Métier  que j’ai lu et sur lequel j’ai écrit un article. Je ne serais pas surpris d’apprendre que peu de personnes, parmi toutes les personnes présentes lors de la cérémonie des Césars, ont lu ce livre. Ce qui, à nouveau, démontre que la radicalité du discours d’Aïssa Maïga était nécessaire et inévitable. Dans Noire n’est pas mon métier, fait de témoignages de plusieurs actrices noires, Aïssa Maïga, lors de son témoignage raconte par exemple avoir été retirée de l’affiche d’un film dont elle avait le premier rôle avec un acteur blanc. L’acteur blanc, lui, est resté sur l’affiche pour annoncer la sortie du film aux spectateurs. Ce coup de sécateur dans l’image, que j’ignorais jusqu’à ce que je lise ce livre de témoignages, me semble un exemple de racialisation bien plus grave que son discours. Et en écrivant ça, je donne un nouvel argument en faveur de son discours aux Césars.

 

Cependant, il y a un « Mais ». La radicalité, ça peut heurter aussi des personnes bien intentionnées. Personnellement, je sais avoir encore un peu honte lorsque je repense à ces moments où j’ai pu, dans mes propos, me montrer à peu près aussi radical qu’une Aïssa Maïga lors de cette cérémonie des Césars, devant certains de mes amis…blancs qui, en toute bonne foi, m’acceptaient et m’acceptent en tant que personne. Et sans préjugé.

 

Avec ces deux amis auxquels je pense en particulier ( une femme et un homme qui ne se connaissent pas), je crois avoir eu la chance d’avoir connu beaucoup plus de moments agréables que de moments de tension raciale. Mais peut-être, et sans doute, qu’il se trouve d’autres personnes, dans ma vie quotidienne ou, qui, en lisant certains de mes articles, se sont senti injustement agressés et visés chaque fois que je parle de « Blancs » et de «  Noirs ».  

 

Lors de cette soirée des Césars, il est vraisemblable que parmi ces plus de 1500 personnes qui l’ont écoutée et regardée, qu’ Aïssa Maïga, de par son discours, ait heurté  des personnes et des professionnels sincèrement ouverts à la diversité. Je me rappelle encore pour ma part des propos de cet ami aujourd’hui décédé mais qui était resté mon ami :

 

« Je n’ai pas aimé du tout être racisé ! ». 

 

Certaines personnes diront que pour bien comprendre ce que certaines minorités vivent comme injustice, qu’il est sans doute « bon » et « nécessaire » que les tenants de la majorité fassent aussi l’expérience, quelques fois et provisoirement, d’être racisés ou ostracisés. Ce genre de raisonnement me laisse perplexe : car si l’on réclame une certaine justice et une certaine équité pour soi-même, je crois qu’il faut aussi la souhaiter pour autrui. Avec son discours radical, Aïssa Maïga a sans doute été injuste envers certaines personnes même si j’écris que sa radicalité était inévitable et nécessaire.

 

Et, d’une autre façon, commencer son discours en disant « nous » ou « on », fait d’elle une porte-parole. J’espère donc qu’avant son discours dont elle avait peut-être prévenu certaines personnes, qu’il y a bien plusieurs personnes qui ont approuvé son discours au préalable voire qui l’ont aidée à l’écrire. Autrement, dire « nous » ou « on » si elle a parlé uniquement en son nom pourrait se retourner contre elle. Mais il est vraisemblable après son livre Noire n’est pas mon métier qu’elle ait été soutenue par plusieurs personnes pour son discours même si elle est seule sur scène.  Et qu’elle surprend visiblement certaines personnes dans la salle avec son discours. Ce qui m’amène à mon autre réserve :

 

A voir la réaction de Ladj Ly et de Vincent Cassel lorsqu’elle les nomme, les deux hommes ont une attitude assez différente. Ladj Ly acquiesce en opinant de la tête. Vincent Cassel est surpris et ne comprend pas ce qu’Aïssa Maïga sous-entend. Le sous-entendu dans la direction de Vincent Cassel est plus difficile à recevoir pour celui-ci je trouve même s’il s’en est sûrement remis très vite. Mais ce qui me dérange avec ces deux « interpellations », de Ladj Ly et de Vincent Cassel, c’est qu’elle les contraint à quelque sorte à se mettre dans la lumière.  Elle les a «  outé » comme on dit. Alors qu’ils n’ont rien demandé. Je crois qu’il aurait mieux valu laissé à l’un et l’autre le choix de s’exprimer par eux-mêmes sur les sujets qu’Aïssa Maïga aborde. Alors que là, elle les confronte un peu à cette violence qu’elle dénonce. Pourtant, de mon point de vue, l’un comme l’autre sont plutôt favorables à une certaine diversité dans le cinéma français. Bien-sûr, en reparlant de La Haine, on sait que du trio Cassel-Taghmaoui-Koundé (il y avait aussi Yvan Attal entre-autres dans un rôle secondaire) seul Cassel a ensuite eu une carrière honorable en France. Taghmaoui a dû s’exiler. Mais Vincent Cassel ne fait pas figure pour moi d’arriviste dans le cinéma français.

 

Mon autre réserve va sembler paradoxale et elle l’est sûrement :

 

Etre radical et critique, oui. Mais se faire enfermer ou s’enfermer dans cette case est un piège. D’un côté, on finit par tourner en boucle et à devenir aveugle et sourd même lorsque « les choses avancent». Lors d’une interview effectuée Place D’Italie, il y a quelques années, un acteur d’origine arabe particulièrement reconnu aujourd’hui, m’avait à peu près répondu simplement :

« Je crois que ça change quand même…. ». Bien avant cette interview, sa carrière d’acteur et de comédien donnait déja raison à ses propos d’alors. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui au vu de sa carrière.  

On pourrait bien-sûr dire, comme j’en suis arrivé à  le penser depuis peu, qu’un Arabe, ça passe visiblement  un peu mieux à l’écran qu’un Noir. Au moins en France. Puisque dans une fiction, on peut faire « passer » un Arabe pour un Italien ou un Chilien ou voire pour un Juif. Alors qu’un Noir, c’est irréductible,  ça ressemble toujours à un Noir. ça semble rester une couleur diabolique dans le cinéma français. Un peu comme si à chaque fois on envoyait un pavé dans une vitrine ou que le Mal allait se répandre instantanément à l’état brut dans l’âme de celle ou de celui qui le regarde. Mais si c’est le cas, il faut que les films d’horreur français, quand il y en a, exploitent ce filon fictif ! ça changera de Fillon et de ses emplois fictifs.

 

D’un autre côté, le piège de la radicalité, pour Aïssa Maïga, c’est peut-être qu’elle se retrouve obligée de choisir, à un moment donné, entre sa carrière d’actrice ou de militante. Mais peut-être a-t’elle déjà choisi.

 

Ce sont mes principales réserves concernant le discours d’Aïssa Maïga aux Césars cette année. Autrement, je crois que son discours était nécessaire et que, plutôt que de se sentir embarrassé, elle devrait être remerciée. Lorsque l’on est adulte et responsable, on sait aussi remercier celle ou celui qui sait nous dire ce qui ne va pas. Et qui argumente. Cela est bien plus profitable que celles et ceux qui sont toutes en louanges et qui nous assurent que tout est pour le mieux alors que dans les arrières-cabines, ça coince.

 

Aïssa Maïga a fait ça sans crier. Sans cracher. Sans jeter des tessons de bouteille, des cocktails molotov ou des réfrigérateurs au visage. Sans monopoliser les plateaux de télés avec des discours de promotion en faveur de la  haine, de la suspicion et de la vengeance. Elle le dit vers la fin de son discours :  » Je suis optimiste ». Même s’il y a de l’ironie et du doute dans ses propos, au moins parle-t’elle d’optimisme. On n’y pense pas forcément en voyant cette vidéo où Aïssa Maïga fait en sorte que son assurance domine, mais j’imagine qu’elle a plutôt été lessivée- même fière- après ce discours que triomphante.

 

Aïssa Maïga a donc fait un cadeau au cinéma français mais aussi à la société française. Même si ce cadeau a sûrement pu être difficile à transporter jusqu’à chez soi.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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New-York 2011

 

 

Le Président américain Donald Trump envisagerait de fermer les frontières des Etats-Unis pendant une trentaine de jours en vue de tenter d’attraper le Coronavirus Covid 19 par la chatte. J’ai un petit peu modifié ce qu’une collègue m’a appris ce matin. Mais l’idée de fermeture des frontières des Etats-Unis était bien là. S’il m’a été pour l’instant impossible de vérifier le caractère officiel de cette information, un rapide passage sur le net m’a rappelé que la fermeture des frontières, pour compenser peut-être une trop grande ouverture de la braguette et de la bouche, fait partie des leitmotiv du président américain. En France, récemment, l’épidémie du coronavirus Covid 19 et toute l’attention qu’elle captive a permis de faire passer la réforme des retraites en poussant avec le 49.3.

 

Aux Etats-Unis, peut-être que la peur du Coronavirus Covid 19 permet à Donald Trump de pratiquer au passage une certaine forme de protectionnisme économique envers la Chine et le reste du monde. Devant ce genre de pensée et le climat actuel envers le coronavirus Covid 19,  on se croirait un peu dans le film Les fils de l’homme (Children of men) d’Alfonson Cuaron, un film beaucoup trop ignoré que le réalisateur mexicain avait réalisé en 2006 plusieurs années avant Gravity ( 2013).  

 

Oui, préciser la nationalité d’Alfonson Cuaron a son importance au même titre que celle d’Alejandro Inarritu ( également mexicain) ou encore de Robert Rodriguez ( Américain d’origine mexicaine) qui a entre-autres réalisé récemment Alita : Battle Angel ( 2019) inspiré du manga Gunnm créé par le Japonais Yukito Kishiro au début des années 1990.

 

Cuaron, Inarritu et Rodriguez ont au moins en commun de partager des origines mexicaines mais aussi de prescrire un cinéma qui fait beaucoup de bien à l’Art ainsi qu’à l’économie américaine. Pourtant,  selon la logique d’un Donald Trump et d’autres décideurs et décideuses, ils auraient dû rester confinés dans « leur » pays ou y être renvoyés Coronavirus ou non, car le Mexique, c’est le pays de la Drogue et des cartels qui est frontalier avec les Etats-Unis. Et le Mexique est aussi l’un des pays de celles et ceux qui entrent clandestinement aux Etats-Unis afin d’essayer d’y trouver une meilleure vie. Le film Brooklyn Secret  qui sort ce 18 mars au cinéma parle aussi de ça.

 

C’est étonnant ( effrayant) comme une épidémie peut très vite permettre l’expansion de pensées et d’idées racistes. Ce qui se passe en ce moment vis-à-vis du Coronavirus Covid 19 et des « Chinois » comme de celles et ceux que l’on estime susceptibles d’être « sales », « impurs » ou tout simplement porteurs du virus me rappelle ce qui se disait lors de l’épidémie du Sida dans les années 80 :

Les homosexuels, les Haïtiens, les prostituées et les toxicomanes étaient alors perçus comme responsables ( plutôt que victimes) de l’épidémie et aussi comme celles et ceux qui étaient ainsi « punis » pour leurs vices ou leurs péchés.  On peut croire ces idées limitées par des barrages. Mais non.

Il y a à peu près un mois maintenant, près du Val de Grâce, dans la rue,  j’avais aperçu un SDF qui avait sollicité une femme d’origine asiatique afin qu’elle lui donne une pièce. Celle-ci avait refusé. L’instant d’après, le même SDF insultait la même femme, l’intimant à rentrer chez elle avec son Coronavirus !

Hier soir, une de mes collègues a vu des passagers déserter la voiture du métro où elle se trouvait. Elle est ainsi restée seule…avec des passagers d’origine asiatique. La peur et l’angoisse font surgir des états de folie sociale qui devient une norme beaucoup plus puissante que les services de psychiatrie qui sont souvent jugés pour leurs travers plus que pour leurs  habilités. Peut-être parce-que la folie sociale est mobile, variable, et peut très facilement devenir indétectable après ses crimes et ses excès. Sauf si l’on décide d’une enquête  après coup et même de cette façon il n’est pas toujours certain d’en retrouver les principaux acteurs afin de les confronter à leurs agissements. Alors que la psychiatrie, elle, reste localisable et identifiable de par ses murs et son statut à peu près immuables ainsi que par ses intervenants, ses victimes et ses témoins.

 

Qu’il soit réélu ou que son mandat de président s’arrête bientôt, Donald Trump passera dans l’Histoire. Et, malgré ses erreurs, ses fautes et ses coups de folie, il finira vraisemblablement sa vie en restant libre et dans le confort comme celles et ceux qui lui ressemblent. Contrairement à la majorité des femmes et des hommes de cette terre, que ceux-ci soient chinois, mexicains, clandestins ou autres.

 

Je n’avais pas prévu une introduction aussi longue avant de  « raconter » ce séjour que ma compagne et moi avions effectué à New-York en 2011.

 

Je ne crois pas que ce soit toujours « mieux avant ». Par contre, je crois que ça peut faire du bien de revoir ce qui a pu être vécu et qu’on peut aussi le voir « mieux » qu’avant.

 

Je crois surtout que reparler de ce voyage d’après les notes que j’avais alors prises est une bonne façon de retourner dans ce pays que le président Donald Trump veut de plus en plus fermer dans un monde qui semble de plus en plus en train de se fermer :

Ce matin, en prenant cette photo à la gare de Paris St-Lazare, je voulais surtout capter cette discordance qui est déjà notre ordinaire- et notre imaginaire- où, d’un côté, une pub en hauteur représentant l’actrice Julia Roberts nous affirme en souriant que la vie est belle. Donc, que nous aussi, femmes et hommes inclus, nous devons nous élever, sourire et nous persuader que nos vies sont des triomphes parfumés. Tandis que d’un autre côté, un panneau, comme il y en a tant désormais, nous rappelle les consignes d’hygiène à suivre en raison de l’épidémie du Coronavirus Covid 19. Et comment nous devons régulièrement parfumer nos mains avec du savon ou une solution hydro-alcoolique que nous pouvons bien-sûr nous procurer ( acheter) en magasin ou dans des pharmacies. 

Et, ce n’est qu’en rentrant chez moi et en découvrant les photos sur mon écran d’ordinateur que je me suis aperçu que ce panneau nous incitait aussi à la prudence et nous rappelait que nous étions toujours sous le plan Vigipirate. Entre l’épidémie du Coronavirus Covid 19 et la peur du terrorisme, je me suis dit que nous étions de plus en plus cernés. Et que nous nous y sommes déjà accoutumés. Je me suis aussi dit que, pourtant, nous sommes sûrement aujourd’hui plus libres que demain. Mais, évidemment, ce qui peut faire la différence autant voire plus que les événements que nous vivons, c’est souvent notre regard et notre attitude vis-à-vis d’eux. 

Franck Unimon, ce jeudi 12 mars 2020.

 

 

 

Dimanche 8 octobre 2011, New-York.

 

 

Save you Money !

 

Nous sommes dans notre chambre d’hôtel lorsque les femmes de ménage arrivent.

Une Noire qui a à peu près 60 ans. Une Blanche originaire de Montenegro, qui a vécu en Italie, et qui vit maintenant à New-York depuis 16 ans. Elle et moi discutons alors qu’elle travaille seule dans notre chambre. Voici ce qu’elle me dit :

Le quartier où se trouve l’hôtel est un quartier de riches.  Plus on descend, plus c’est riche. Elle m’enjoint à aller à Harlem afin que je vois à quoi ressemble la vie de mes semblables. Elle m’assure que je n’y aurai aucun problème.

Elle ne me parle pas du Bronx, me recommande, si je prends le train, de taire le fait que je suis Français.

Macy’s ? Trop cher. Aller plutôt dans le centre commercial près de l’ancien emplacement des tours du World Trade Center.  En semaine. Central Park est accessible à pied depuis l’hôtel. « Save your money ! ».

 

Vers 17h30, nous sommes à la gare Grand Central. Est-ce là qu’a eu lieu une scène du film X-Men ?

La foule palpite dans la gare. Le flic que je viens d’interpeller me répond, goguenard, que le pont de Brooklyn a un début. De quel côté veux-je le traverser ?

 

Dans le métro vers Brooklyn, la foule est subitement dopée par la représentation numérique des Noirs. Une petite femme noire d’environ 1m50 , boulotte, à peine la trentaine, s’accroche avec un jeune blanc d’une vingtaine d’années du type étudiant. Celui-ci est avec deux copains.  Le compagnon (noir) de la jeune femme, visiblement, se lève très vite et commence à apostropher «l’étudiant ». Lequel se défend en disant :

« Ce n’est pas d’elle dont je parlais…. ». 

Cela nous donne un aperçu d’une certaine tension raciale ou de ce que l’hystérie peut provoquer :

Je me suis imaginé qu’avant cet incident, le couple noir s’était disputé d’où la distance entre la jeune femme noire et son compagnon. Avant « l’accrochage » avec le jeune étudiant blanc, La femme était debout, près de la porte d’entrée du métro, presqu’à gêner le passage. Tandis que L’homme (son compagnon) assis un ou deux mètres plus loin, était alors occupé à jouer sur son téléphone portable avec leur enfant assis à ses côtés.

 

 

 

Dimanche 9 octobre. 7h30, heure locale. Hôtel intercontinental, The Barclay. New-York.

 

Do you want cold water ?

 

On fait toute une histoire de New-York. Mais je ne sens nulle transformation. Je suis un touriste. Un consommateur.  Une carte bancaire. Des billets en banque.

Je suis celui, hier, qui a perdu 5 dollars en achetant deux billets de métro utilisables une seule fois alors que j’aurais déjà pu acheter une Metrocard Unlimited pour une semaine pour 29 dollars. Ce qui me permettrait de prendre bus et métros de façon illimitée….

C’est ce que nous a réexpliqué hier soir une agent du métro, derrière son guichet, alors que nous revenions de Brooklyn.

La femme, noire, la quarantaine, était sympathique.

A New-York, je suis aveugle et sourd. Comme d’habitude. Mais, ici, je m’en rends davantage compte. Je passe devant des bâtiments dont j’ignore la réelle fonction :

Tribunal ? Université ? Bibliothèque ? Vu que la plupart des bâtiments sont imposants, on a l’impression que tout bâtiment est important. Et vu qu’il y’a beaucoup de voitures de police, vides ou occupées par des policiers qui attendent, on a l’impression que beaucoup d’endroits sont prestigieux.

 

Hier soir, près de la gare de Brooklyn Bridge City Hall, en pleine nuit, c’est avec un peu d’inquiétude que je me suis décidé à pisser dans un coin. Après le passage d’un flic noir. A quelques mètres de deux mecs qui discutaient. Ma compagne s’est éloignée. Elle avait tenté de me dissuader, préoccupée à l’idée que je me retrouve en prison.

Moi, sûr de mon fait et vidant ma vessie, je repensais à cette phrase lue dans le métro à propos de tout paquet abandonné suspect :

« If you see something say something ». Allais-je être dénoncé ? Mais je n’en pouvais plus.

 

Ici, Ma compagne et moi sommes deux touristes dans une sorte de supermarché au toc un peu clinquant où d’autres touristes débarquent et claquent du fric. Où, hier, une employée derrière son guichet m’a répondu que l’accès à internet est effectivement gratuit. En Wifi avec son ordinateur personnel. Sinon, moyennant 8 dollars et quelques débits de notre carte bancaire, j’aurai droit…à 15 minutes d’internet.

Dans la même idée, dans cet hôtel, une omelette avec trois œufs (avec libre choix des condiments ?) coûte 22 dollars.

Pour moins de 20 dollars hier soir, à Chinatown, au 67 Bayard Street, au restaurant Xi’an Famous Foods, Ma compagne et moi avons eu un plat chacun :

 

Concubine’s chicken noodles ( 6 dollars).

Spicy cumin Lamb noodles ( 7 dollars) + 1 chrysanthème tea ( 1,50 dollar) + 1 sour tea (1,50 dollar).

 

 

Hier soir, en sortant du métro, le pont de Brooklyn était indiqué. Mais, aussi, dans une direction opposée :

 

Chinatown et Little Italy.

 

Nous avons suivi la procession le long du pont. Nous avons croisé la foule, plus importante, qui revenait du pont. Près du pont, une voiture de police. De part et d’autre du pont, une circulation routière, fluide, et assez rapide. Et nous sur le pont. Sur le pont, donc, du monde. Le coucher de soleil était passé. Quelques coureuses et coureurs. Plusieurs personnes à vélo se signalant aux piétons, lesquels ne tenaient pas toujours compte du sens aller et retour indiqué au sol.

Deux couples en séance de photo dans leur tenue de mariage. D’autres personnes

(familles, couples) se photographiant ou se faisant photographier. Des photographes, plein de photographes, avec des compacts, des reflex ou autres. Au loin, la Tour Eiffel ?

Non, la statue de la Liberté.

 

 

Un peu de marche dans Brooklyn. Plus calme. Près de Montaigue Street. Réapparition de jeunes couples noirs. Nous restons peu de temps. Nous voulons aller à Chinatown et à Little Italy. Métro où nous croisons cette employée noire qui m’explique que ces billets que nous avons achetés 2, 50 dollars l’unité sont bons pour la poubelle : car ils sont valables une seule fois et deux heures maximum après leur achat.

 

Arrêt à Brooklyn Bridge City Hall de nouveau. J’ai plusieurs fois entendu parler de l’aspect délabré du métro de New-York. Mais je suis plus marqué par le fait qu’il fasse chaud dans les couloirs et sur les quais des métros de New-York. Par contre, le métro est climatisé. Trop. Mais les New-Yorkais semblent s’en accommoder.

 

A la gare de Brooklyn Bridge, je demande notre chemin à une jeune. 18 ans maximum. Elle est avec deux de ses copines. Elle n’est pas trop sûre d’elle. Elle me recommande néanmoins un itinéraire. Peu après, j’interpelle un flic, la trentaine : il suffit de descendre tout droit à l’entendre.

 

Cent mètres plus loin, je redemande à un homme d’une cinquantaine d’années apparemment avec sa femme ou sa maitresse :

Descendre jusqu’à Canal Street puis tourner à droite.

A Canal Street, j’interroge un jeune chinois qui se promène avec deux copains. Il me répond :

« This is Chinatown ».

 

 

Bien qu’il parle Américain, il a un accent cantonais. Un restaurant ? Il m’indique un point visuel. C’est de cette façon qu’après être passés devant plusieurs restaurants asiatiques, nous nous arrêtons au Xi’ an Famous Foods tenu visiblement par un jeune homme d’environ 25 ans, très commerçant et très sûr de lui. Sûrement un bon parti.

Dans le restaurant, nous sommes d’abord les seules personnes de couleur noire. Clientèle assez jeune. 30 ans de moyenne d’âge. Un grand blanc (entre 1m90 et 2mètres) semble y avoir ses habitudes. Il mange une salade, une soupe puis passe une autre commande. Je l’imagine Australien. Devant lui, une feuille. Manifestement du travail. Chercheur ?

Les plats sont très bons. Très bonnes pâtes fraîches. Mais un peu trop épicées. Voire un peu trop salées. Mais c’est bon.

En quittant le restaurant, nous avisons un marchant ambulant de fruits : bananes, mangues…celui-ci parle à peine Anglais. Son accent est sur « coussin » cantonais. Mais il sait parler argent. Il est peu aimable. Celle qui le remplace aussi. Je crois qu’il part avec sa radio, laquelle diffuse un programme en Cantonais ou en Mandarin.

Je m’y perds un peu avec ces petites pièces de monnaie : quarter dollar, dime. Impossible de savoir si je me fais voler de 5 ou 10 centimes. Mais les prix sont abordables. Moins de 2 dollars un kilo de bananes. 1 dollar 25, la mangue.

Non loin de là, toujours dans Bayard Street, nous tombons sur le Colombus Park Pavillion. Des Asiatiques semblent y pratiquer des arts martiaux. Nous nous rapprochons et nous tombons sur des femmes et des hommes asiatiques attablés dans le parc :

Ils jouent aux cartes, au GO peut-être ou au Mah Jong. Il y’ a plus d’hommes que de femmes. Les femmes d’un côté. Les hommes de l’autre.

Celles et ceux qui jouent sont parfois entourés de spectateurs. Tout se passe, quand nous passons, en silence. A priori, personne ne nous remarque. Mais c’est sans doute trompeur.

A une table de jeu, deux jeunes dénotent. Ils ont à peine 30 ans, sont plutôt grands, entre 1m80 et 1m90, sont vêtus de manière assez disco, assez branchée voire transsexuelle : Leur chemise, leurs bottes, la couleur de leurs cheveux, les pommettes hautes. L’un des deux jeunes joue, l’autre regarde. Les autres joueurs et les autres spectateurs ont une bonne soixantaine d’années, portent des vestes et pantalons gris, plutôt fripés.

 

 

Nos combattants sont finalement des amateurs. Ils sont une dizaine. 5 ou 6 filles. 4 ou 5 hommes. Un homme, apparemment SDF ou égaré, les filme avec son téléphone portable. En se marrant. Est-il ivre ? Il fait quelques commentaires. La bonne cinquantaine, en costume lui aussi, sa présence semble peu déranger nos pratiquants d’arts martiaux.

Les filles sont des débutantes. Elles ont la vingtaine. Celui qui semble faire autorité leur enseigne des gestes. Les filles ne sont pas douées.

Deux binômes de garçons s’entraînent. Un des « profs » me remarque. La séance se poursuit. Celui-ci s’occupe d’un jeune qui doit avoir environ 25 ans. Le jeune, torse nu, a un tatouage dans le dos. Bas de survêtement noir, baskets noires (des Nike apparemment) il semble très disposé à donner des crochets dans les gants de celui qui l’entraîne. Mais il est moins concentré pour retenir les enchainements demandés. Celui qui l’entraîne, assez gros, apparaît particulièrement raide des hanches.

Le prof envisage de montrer un nouvel exercice à un des garçons. Il lance un coup de pied bas, se fait un claquage ou une crampe. Il active sa jambe, essaie de s’étirer. Cela ne passe pas. Cela lui fait tellement mal qu’il doit partir s’asseoir. J’entends une des filles lui demander :

 

« Do you want cold water ? ».

En tout et pour tout, nous avons dû rester environ dix minutes. A aucun moment, je n’ai eu l’impression que nous avons ou que nous aurions pu faire partie d’eux :

Depuis notre arrivée à New-York, j’ai déjà croisé des couples mixtes. Mais les communautés présentes à New-York semblent assez peu perméables entre elles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Voyage

Entre le Pont-Neuf et le Louvre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photos : Franck Unimon, ce lundi 9 mars 2020.  

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Voyage

Aux alentours du Louvre

 

 

 

Ce matin, au lieu de prendre le métro, j’ai eu envie de prendre le bus. Il faisait froid et beau. Peu de monde dans les rues. En nous approchant du Louvre, j’ai aperçu ce soleil. J’ai très vite appuyé sur le bouton pour arrêter le bus. Le coronavirus Covid-19, le 49.3 employé la semaine dernière pour imposer la réforme des retraites, la dernière cérémonie des Césars. Les inquiétudes comme les désagréments  futurs et proches ont disparu alors que j’ai commencé à appuyer sur le bouton de cet appareil photo. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon/ Balistique du quotidien, samedi 7 mars 2020. 

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Cinéma

Des Hommes

 

 

 

 

 

 

 

On ne part pas tous du même mur. On ne part pas tous  avec le même Savoir, la même imagination. Les mêmes errances et les mêmes protections. Ni avec les mêmes crédits et les mêmes créances.

 

Ce n’est pas une question d’intelligence. Ça a plutôt à voir avec le fait d’intégrer certaines «fraternités », de faire partie de certaines familles. De prendre de plus ou moins bonnes décisions et de se livrer à certaines actions et transactions que l’on estime justifiées et qui se révèlent être les mauvaises incantations.

 

« Quand j’étais dehors, ça partait en couilles, sa mère ! ». « Tu vois les gens, ils ont des sous. Tu as envie de te refaire… ». « 19 ans ? T’es jeune. C’est ma quatrième peine, frère ».

 

 

 

Cuisine, monastère, hôpital, salle de sport ou de correction, lieu de conversion et de trafics, une prison est tout cela et davantage en une seule journée comme en quelques secondes.

 

 «  Je me suis détaché de l’extérieur, en fait. J’ai décidé de me repentir. Je me suis converti à l’Islam. Je ne voulais plus ressembler à ce que j’étais avant (….). ( avec) La religion, vous vous appuyez sur des fondations assez solides ».

 

  « La prison, c’est la cuisine du diable. Soit tu es la fourchette, soit tu es le couteau. Il faut pas être entre les deux ».

 

 

« Tous les détenus savent fabriquer un couteau surtout ici, aux Baumettes ».

 

 

«  Tu parles Français ? ».

 

 

Ce dimanche matin, pour cette première séance de 9h, nous sommes étonnamment nombreux. Une bonne quarantaine de personnes dont une dizaine de femmes. La petite salle de cinéma de ce multiplexe est presque pleine. Le public, entre 40 à 50 ans de moyenne d’âge, est particulièrement concentré voire austère lorsque je le rejoins.

 

Le  documentaire Des Hommes, réalisé par Alice Odiot et Jean-Robert Viallet vient de commencer. Il est sorti dans les salles ce 19 février 2020.

 

Nous sommes informés qu’il s’est passé trois années avant que leur demande (en 2013) à pouvoir filmer dans la prison des Baumettes, une maison d’arrêt et centre de semi-liberté, où des hommes sont en majorité incarcérés, ne soit acceptée.

 

 

Je ne sais pas ce qui a poussé l’administration pénitentiaire à accepter ce projet et ce qui nous permet à nous,  ainsi qu’aux précédents et futurs spectateurs, « d’entrer » dans la prison historique des Baumettes en regardant ce documentaire. Peut-être le fait que cette prison des Baumettes que nous voyons , créé dans les années 30, vétuste, insalubre et surpeuplée – jusqu’à trois détenus dans 9 mètres carrés- fermée en 2018 (donc deux ans après le documentaire)  est destinée à être détruite en 2020.

 

En acceptant ce tournage, il y avait donc sans doute une volonté officielle de faire comprendre que cette prison que nous voyons dans Des Hommes appartient au passé. Même s’il ne suffit pas de raser des murs pour sortir du passé :

 

Une extension de la prison des Baumettes, Baumettes 2, a été construite. Elle a ouvert en 2017.

Les visites gratuites organisées fin 2019 dans certaines parties de la prison historique des Baumettes où se déroule ce documentaire ont affiché complet.

 

 

Des Hommes résulte de 25 jours en immersion dans le « passé ». L’expérience se passe sans voyeurisme.

 

 

Des Hommes me fait penser à un croisement entre le film Beau Travail ( 1999)  de Claire Denis, Un Prophète ( 2009)  de Jacques Audiard et 10ème chambre, Instants d’audience ( 2003) de Raymond Depardon.    

 

 

Pour expliquer leur présence ou leur retour aux Baumettes, certains disent avoir fait une « connerie ». D’autres sont dans le déni ou séduisent. Du moins essaient-ils.

 

«  Ma maman a peur de moi, je sais pas pourquoi ». « Je n’ai rien à faire ici ».

 

 

Déni ou séduction font peut-être partie des recettes qu’ils ont souvent appliquées dehors et cela leur a sûrement réussi comme cela réussit à  beaucoup d’autres hors de prison. On ignore la raison de leur incarcération comme on ignore ce qu’ont été leurs vies et leurs leviers dès leurs premiers pas. C’est tant mieux comme ça. Ce n’est pas parce-que l’on est en prison que l’on doit se livrer. Chacun ses secrets. Eux, les leurs et nous, les nôtres :

 

Parce qu’à force de regarder ces hommes (et ça aurait été pareil si les détenus de ce documentaire avaient été des femmes ou des mineurs), si l’on a ce courage, on finit un peu par se regarder soi-même.

 

Je me suis déjà demandé celui que je deviendrais si j’étais incarcéré quelle qu’en soit la raison. Et combien de temps je  tiendrais avant de me transformer. Je ne suis pas pressé de vérifier. Mais je me suis déjà suffisamment regardé pour savoir que, tous les jours peut-être, j’entretiens certaines apparences qui me sont depuis des accoutumances, en maintenant derrière mes propres barreaux certaines vérités bonnes et mauvaises sur moi.

Ce qui m’a sauvé pour l’instant, c’est d’avoir pu disposer du Savoir, de l’imagination, de certaines protections adéquates et de suffisamment de chance afin de me mettre « bien » avec la Loi et la justice. Et, aussi le fait, ne nous faisons aucune illusion,  que je me suis jusqu’à maintenant toujours montré suffisamment convenable et raisonnable en étant docile et peureux à point. Juste comme il faut.  

 

Voilà pour une rapide mise en relation entre les détenus que l’on voit dans le documentaire Des hommes et moi, un spectateur lambda.

 

Et puis,  dans ce documentaire, il y a également des intermédiaires que l’on voit aussi en plein échange avec les détenus:

 

Le personnel pénitentiaire (matons, personnel soignant, directrice, assistante sociale) et judiciaire.

 

Il y a de tout comme partout ailleurs mais comme l’endroit est occlusif  les effets y sont hypertrophiés. Il y a à la fois de l’asymétrie, de gros cafouillages dans les relations et de l’empathie :

 

 

«  Non…c’est pas deux mois. C’est deux ans en plus » (après avoir, dans un premier temps, informé le détenu que sa peine était rallongée de deux mois).

 

«  Vous êtes une personne vulnérable ? ». Réponse de l’intéressé : «  ça veut dire quoi ? ».

La directrice de la prison reprend : «  Enfin, vous n’êtes pas un enfant de chœur, non plus… ».

 

 

Il est évidemment beaucoup plus facile pour moi d’écrire un article sur ce documentaire- même si ça m’ennuierait beaucoup de mal le servir- que pour cette directrice d’administrer cette prison et ces hommes. Mais entre les Lois entre dominants et dominés qui ordonnent les relations entre détenus et celles de la Prison et de la Justice, je me dis qu’il peut devenir très difficile de concilier les deux. Entre se prendre une branlée ou un coup de couteau- ou pire- parce-que l’on a refusé de rendre un « service » ou être un détenu modèle, il doit être bien des fois très difficile de (bien) choisir. Et cette directrice ainsi que son personnel sont exemptés de ce genre de bizutage ou de menace.

 

 

« Depuis que je suis aux Baumettes, il y a eu trois morts ».

 

 

Il y a aussi le personnel qui essaie de comprendre telle cette assistante sociale ou son équivalent. Et qui semble avoir une bonne relation avec les détenus. Lorsqu’elle s’entretient avec deux d’entre eux après qu’ils aient participé à un passage à tabac sur un autre détenu, elle essaie de les sensibiliser au  fait qu’ils ont été les auteurs d’une extrême violence.  Elle a vu les images vidéos de l’agression. Devant la caméra des deux réalisateurs Des Hommes, les deux détenus  se montrent « ouverts » à la discussion et polis. D’accord, ils ont peut-être frappé fort juste pour une insulte. Mais l’un des deux souligne qu’il a jeté de l’eau sur la victime pour la ranimer, ce qui, pour lui,  correspondait à un geste d’assistance et de secourisme. Si une certaine satisfaction et une certaine appétence pour la violence semble évidente chez ces deux hommes, on peut aussi se demander combien de temps et combien de fois ils avaient eux-mêmes été témoins ou victimes de violences en prison et dehors. Et combien de fois ils avaient aussi dû prendre sur eux et se retenir devant des violences, avant de commencer à se lâcher sur ce détenu et sur d’autres avant et après lui. On ne le saura pas comme eux-mêmes ne s’en souviendront peut-être pas, puisqu’il s’agit de vivre au jour le jour,  ou alors lorsqu’il sera trop tard.  Pour eux comme pour leurs victimes. Leurs victimes pouvant aussi être leurs propres enfants s’ils en ont ou certains membres de leurs familles qui subiront aussi directement ou indirectement les conséquences de leurs actions violentes. Mais j’extrapole car Des Hommes s’attache au quotidien de ces prisonniers aux Baumettes.

 

 

 

Il y a aussi une violente asymétrie lorsque l’on voit ce détenu jugé par visioconférence. Dans ce passage du documentaire, on assiste d’abord à la pauvreté des moyens de la Justice et des prisons (au moins en personnel). Alors, on recourt à la technologie pour truquer les manques. Pour juger à distance. On peut se dire qu’il vaut mieux ça que pas de jugement. Premier constat.

 

Mais on peut aussi se dire qu’en jugeant de cette façon, à distance, que la Justice et la Loi considèrent ce détenu comme la malaria avant le vaccin : il ne mérite pas le déplacement. Qu’il reste en prison.

 

Enfin, je reste marqué par cette médiocre qualité du son lors des échanges entre ce détenu et la cour qui le juge. Ce qui donne l’image d’une justice véritablement « cheap » ou bas de gamme. Alors que le vocabulaire- et ,vraisemblablement, le niveau de vie- employé par les représentants de la Loi et de la Justice  est,  lui , plutôt haut de gamme et aux antipodes de celui du jugé :

 

 

D’un côté, des personnes éduquées qui ont de toute évidence bénéficié d’un très haut niveau d’études, qui viennent sans doute d’un milieu social plutôt favorisé. D’un autre côté, un jugé qui s’est plutôt fait avec sa famille et son milieu et qui possède les codes de la rue et de la débrouille. On peut bien-sûr être issu d’un très bon milieu social, avoir fait de très bonnes études et très bien servir la Justice et l’équité. 

 

Mais on a l’impression lors de cette séquence d’assister à un cliché de justice datant presque de l’époque de Molière. Et, malgré le sourire, en forme d’aumône plutôt sympathique,  de la juge à la fin de la comparution, apprendre en même temps que le détenu que la décision du jugement lui sera signifiée prochainement par le greffe de la maison d’arrêt des Baumettes nous donne l’impression qu’il sera de toute façon le cocu de l’histoire.

 

 

On parle beaucoup de la tendance à la destruction et à l’autodestruction de celles et ceux qui récidivent en prison. On parle moins de cet esprit de compétition vis-à-vis de soi-même et des autres qui en est souvent l’un des principaux ingrédients. Celui qui pousse sans cesse à vouloir sortir du lot. Mais aussi à manquer d’indulgence pour soi-même et les autres. Le but suprême, et volatile, est alors de réaliser rapidement  certains profits et d’accomplir certains exploits même si, pour cela, il faut dilacérer autour de soi à peu près tout ce qui peut constituer un refus ou un ralentissement.

 

Beaucoup de ces hommes peuvent donc être vus comme des entrepreneurs et des conquérants qui ont échoué. Ou comme les sosies égarés des mannequins, des VRP, des célébrités et des comédiens que sont certaines et certains de ces dirigeants pour lesquels nous sommes quelques fois appelés à voter.   

 

«  Je suis de retour en prison. Je suis égaré ».

 

 

 

Franck Unimon / blog balistique du quotidien, ce dimanche 1er mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Nouvelle épreuve olympique

 

 

 

 

 

                                                    Nouvelle épreuve olympique

 

 

On devrait inscrire le déni au tableau des épreuves olympiques. On assisterait à des  performances éblouissantes. Tous les jours, des records mondiaux seraient battus. Et tout cela sans le moindre microgramme de dopage. Enfants, adolescents, femmes, hommes. Beaucoup d’entre eux ridiculiseraient par leur très haut niveau de compétence nos champions habituels.

 

Cette nuit, j’ai essayé de démontrer à une de mes collègues comment, en tant qu’infirmiers, nous sommes arrimés à notre planning. Tout est parti d’une discussion à propos de la gentillesse. Lorsque l’on est trop gentil, on se fait marcher dessus. C’est ce que j’ai affirmé à nouveau devant elle. Elle s’est presque mise en colère :

 

Les gens trop gentils, ça n’existe pas ! Pour elle, on parlait plutôt de personnes « faibles » lorsque l’on parle de personnes qui se font marcher dessus !  

 

J’en suis arrivé à parler de cette violence qui peut nous être infligée à travers le planning.

 

On parle souvent de la pénibilité du travail infirmier. Sa charge émotionnelle. Ses responsabilités. Ses horaires en dents de scie et possibles tous les jours de l’année. Sa dévaluation constante, année après année. Ce nombre de jours de congés qui nous ont été supprimés. Ces primes de service bradées. Cette exigence de flexibilité («  Vous êtes titulaire mais pas titulaire de votre poste dans un service »). Ses effectifs diminués. Cette carrière rallongée de plusieurs années pour un métier désormais défini comme « sédentaire ». « Sédentaire » comme pépère. Des pépères qui, s’ils ont atteint leur nombre maximal de trimestres, pourront s’orienter vers une retraite à taux plein à peu près lorsqu’ils auront 64 ou 65 ans, on verra bien d’ici là. Où on en sera du côté des assurances privées.

 

Dans cet organigramme des tours de vis que subit la profession infirmière- comme dans d’autres professions- presque de façon programmée, le planning occupe une place particulière dans nos cœurs et dans nos artères. Car il est notre horoscope intime. Tantôt abîme, tantôt délivrance, c’est avec le stéthoscope fébrile et concentré que, souvent, on se penche au dessus de lui pour l’ausculter afin de savoir si notre avenir continue de luire entre les étoiles où s’il est devenu posthume. Pourrons-nous avoir la vie que nous souhaitons avoir en dehors de nos heures de travail ou serons-nous à nouveau contraints à faire plus d’efforts ? Pour « nécessités de service ». Pour les patients. Par solidarité. Par conscience professionnelle. Pour l’éthique.

 

Comme beaucoup, je connais tout cela. Ainsi que les arrangements de planning entre collègues. Je connais aussi les hiérarchies compétentes, engagées et compréhensives. Néanmoins, à moins de passer toute sa vie professionnelle dans un bunker, toute infirmière et tout infirmier connaîtra le supplice du planning. Le tour de piste des collègues, malades, non remplacés, de mauvaise foi ou récalcitrants à remplacer. Les hiérarchies qui vous placeront une kimura entre votre dimanche et votre lundi ; qui réinterprèteront votre planning- votre horoscope- autrement ou vous contacteront durant vos vacances.  

Si vous avez  encore un petit peu de chance et de l’argumentation, cela sera fait avec correction et vous trouverez des arrangements. Autrement, il vous faudra composer. N’oubliez pas en outre, qu’aujourd’hui, et c’est une règle pour l’instant implicite mais déjà active, avec le téléphone portable et la boite mail, tout le monde est supposé pouvoir être joint pratiquement vingt quatre heures sur vingt quatre.

 

On supporte et on accepte mieux certaines conditions de travail et sa communication selon ce que l’on a besoin de prouver ou de sauver.  Selon ce que l’on a besoin d’apprendre. Selon son âge et sa situation personnelle, aussi.

 

Comme la majorité, j’ai participé et continue de participer à l’effort de guerre. Je l’ai fait et le fais encore volontairement. Mais on peut très bien consentir à certains efforts ou sacrifices et palper encore un peu de lucidité :

 

Si  dans le service, quelqu’un manque à l’appel et à l’appui sur la chaine de montage du soin, tout le reste s’effondre nous fait-on comprendre. Même si on sait aussi, au besoin, laisser filtrer dans notre cervelle que toute infirmière ou infirmier est interchangeable.

 

 

J’ai essayé de faire comprendre à ma collègue que dans la Santé, d’autres professions collègues sont plus libres que nous par rapport au planning. Rien à faire. A quelques voix de la retraite, celle-ci a considéré qu’il était beaucoup trop facile de s’en prendre aux hiérarchies ! Qu’elle avait toujours travaillé en toute solidarité avec ses collègues ! J’ai loué et je loue ça. Pourtant, à part ça, le planning de l’infirmière et de l’infirmier est tout de même bien des fois un crucifix, non ? Hé bien, pour elle, non ! Nous nous sommes presque fâchés.  J’ai fini par lui dire :

 

«  Tant mieux pour toi ! ». «  Tu as de la chance ! ».

 

 

Avant de quitter notre service, un message vocal de ma compagne. Notre fille ayant encore fait de la fièvre cette nuit (otite ? Angine ? ), elle me demandait si je pouvais rentrer plus tôt afin qu’elle puisse partir au travail. Autrement, il allait manquer du personnel dans le service ce matin (oui, ma compagne est aussi infirmière). Dans son message, ma compagne se proposait de rentrer en début d’après-midi afin d’emmener notre fille chez le médecin. Je l’ai appelée. Je n’avais pas vu tous les messages. Entretemps, elle avait décidé de prendre une journée « enfant malade ». 

 

 

Après ça, je suis parti à la pharmacie. Afin de me faire rembourser les masques FFP2 dont j’ai parlé dans Coronavirus. D’un commun accord, ma compagne et moi avons opté pour nous procurer des masques à un tarif plus fréquentable. Elle savait comment. Un des articles de Le Canard Enchaîné  de ce mercredi 26 février 2020 (Coronavirus : les prix des masques s’envolent en France  puis Le ( corona) virus du commerce ! ) m’a depuis malheureusement conforté dans ce que j’avais compris :

 

 

«  (….) Car, dans les hôpitaux, les factures grimpent déjà à une vitesse vertigineuse. Exemple : entre le 20 janvier et le 4 février, le tarif facturé par un distributeur français, Paredes, a quasi triplé ».

 

« (….) Sur internet, des petits malins ont aussi flairé l’épidémie des bonnes affaires. Le dimanche 23 février, un lot de 20 masques FFP2 était en vente sur le site eBay au prix de 16 euros. Le lendemain matin, alors que l’Italie avait franchi un nouveau cap, le même lot était affiché à….32 euros ! ».

 

Mais avant cela, toujours dans le même article signé J.C, page 3, ce passage :

 

« Le Ministère de la Santé a fait ses calculs : pour équiper les soignants, les flics et les pompiers face à l’épidémie de coronavirus, «  il faudra 200 millions de masques FFP2 sur les trois prochains mois » confie une huile du ministère. Ces masques qui empêchent d’être contaminé ont une « durée de vie » de trois heures seulement…. ».

 

 

Une « durée de vie de trois heures seulement ». Le pharmacien m’avait dit « huit heures ». Je me suis vraiment fait couillonner il y a un ou deux jours avec l’achat de ces masques. Ce qui s’est vérifié sur place en retournant à la pharmacie :

 

Impossible de les restituer pour des « conditions d’étanchéité ». Impossible d’obtenir un bon d’achat en contrepartie. C’est comme pour les médicaments m’a-t’on expliqué de façon aimable et intraitable : une fois vendus, on ne les reprend pas.   

 

J’ai donc payé à nouveau de ma poche pour les autres articles que j’avais prévus d’acheter en revenant dans cette pharmacie. Je vois ces trois masques que j’ai donc gardés comme des préservatifs un peu chers. Ce sont peut-être eux qui nous sauveront la vie puisqu’une seule fois suffit. Et cela me permettra peut-être un jour de lire El Watan.

 

 

J’avais quitté la pharmacie depuis plusieurs minutes et me dirigeais vers la ligne 14 lorsque j’ai croisé un homme et peut-être son fils, adolescent. Ils portaient tous les deux un masque et, la nouveauté, c’est qu’il s’agissait là de deux européens. Je me suis dit que ça commençait. Bientôt, on va voir de plus en plus de personnes portant un masque FFP2 au moins dans les rues de Paris ou dans dans ses transports en commun.

 

 

Mais cet article n’est pas encore terminé.

 

 

Je me suis enfourné dans le métro de la ligne 14. Un homme d’une trentaine d’années m’a accueilli presque bras ouverts. Le métro était bondé. Normal aux heures de pointe. Ce qui a été inhabituel, cela a été les traits d’humour de cet homme qui s’est mis à me parler. Des autres passagers plutôt maussades. Du fait de partir au travail. Je lui ai dit que je venais de terminer. Son visage s’est éclairé. Le travail de nuit, c’est bien, m’a-t’il dit. Même si ce n’est pas très bon pour l’organisme a-t’il continué. J’ai acquiescé et ajouté sans développer :

 

«  Pour la vie sociale, aussi ». Il a haussé un peu les épaules. La vie sociale, ce n’était pas important. Il a évoqué son projet d’obtenir de faire du télétravail trois jours par semaine. Il m’a assuré que si ses employeurs refusaient qu’il partirait. Il a ajouté :

 

«  De toute façon, je n’ai formé personne. Ils ont besoin de moi ».

 

A le voir habillé en Jeans, basket, portant la veste, décontracté et me parlant télétravail comme si son absence dans son service n’aurait aucune incidence, je me suis dit qu’il devait être informaticien. Ce que je lui ai demandé. Celui-ci m’a répondu :

 

« Dans l’informatique et la finance ». Et sans que je lui en demande davantage, voilà qu’il a commencé à me dire que, «  dans la finance », on était créatif pour utiliser des « produits toxiques » de façon illégale. Ou en jouant avec la loi. Bien-sûr, en entendant ça il me restait un fond de Jérome Kerviel dans la tête.  Mais il m’a fallu rechercher son prénom et son nom sur le net pour la rédaction de cet article. Car je les avais plus ou moins oubliés : Jérome Kerviel était un trader de 31 ans en 2008 lors de « l’affaire » de la Société Générale. A cette époque, je ne connaissais même pas ma compagne et je travaillais ailleurs. On ne parlait pas de réforme de retraite. Il n y avait pas de gilets jaunes. Pas de coronavirus.

 

 

Avant que les portes du métro de la ligne 14 ne s’ouvrent à St Lazare, j’ai informé mon interlocuteur que j’allais me dépêcher. Il m’a souhaité une bonne journée. J’aurais pu rester discuter avec lui. Mais je n’aime pas piétiner dans la foule dans les escalators, dans les escaliers et dans les transports en commun. Je ne voulais pas non plus que notre conversation dure trop longtemps. Mais je crois qu’il était bien dans l’informatique et dans la finance. Contrairement au livreur maussade qui est venu tout à l’heure alors que j’étais encore dans cet article. La dernière fois, ce livreur m’avait obligé à venir chercher notre commande dans la rue affirmant :

 

«  On n’a pas le droit de monter. C’est interdit ».

 

Aujourd’hui, il a dû monter. Avec une certaine colère en sourdine, devant moi,  le livreur m’a demandé : « Vous avez un stylo ? ». Oui, j’avais un stylo. Studieusement, je suis parti chercher un stylo. Il m’a indiqué avec autorité :

 

« Vous marquez votre nom là et vous signez ». J’ai marqué mon nom et j’ai signé. Il est ensuite parti, remonté. A la prochaine livraison, il me descendra peut-être.

 

Franck Unimon, ce jeudi 27 février 2020.

 

 

 

 

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Cinéma

Scandale

                                                       

 

                                                                    Scandale

 

 

On a pu entendre dire que les Américains des Etats-Unis sont des grands enfants. Savoir qu’un centre d’attractions comme Disneyland a les faveurs de millions d’Américains me laisse encore assez perplexe même si j’ai aimé et aimerais encore les équivalents de ce genre de lieux d’attractions en France. Les Etats-Unis sont aussi vus comme le pays de la malbouffe avec Mac Do, coca-cola et une certaine explosion de l’obésité.

 

J’ai lu un jour  que les Etats-Unis d’Amérique sont la plus grande démocratie du monde. 

 

Et l’on sait aussi assez combien les Etats-Unis continuent de diriger le Monde même si des Nations comme la Chine et la Russie, et certains de leurs alliés, peuvent s’opposer assez régulièrement à ce leadership. Commercialement et économiquement pour la Chine. Au travers par exemple de l’histoire du téléphone portable de marque Huawei et de la 5 G, auquel se refuse le président américain Donald Trump. Car, officiellement, cette technologie permettrait aux Chinois d’espionner au moins les Américains qui nous le rendent bien depuis le président Barack Obama- et sans doute avant- avec leur surveillance de masse organisée avec la complicité des grandes entreprises telles que Google, Amazon, Facebook, Apple et d’autres en compagnie d’autres pays à l’aise avec cette surveillance ( Australie, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni…. voir l’affaire Snowden).

 

La Russie de Poutine représente quant à elle un danger militaire, technologique et politique au moins pour les Etats-Unis : un article dans Le New York Times de ce 22 et 23 février 2020 informe que la Russie a l’intention d’influencer le résultat des primaires des démocrates en février 2020 ainsi que celui des élections présidentielles  ( «  (…) including that Russia intended to interfere with the 2020 Democratic primaries as well as the general election », article Lawmakers are warned of Russia interference).

 

 

Très avancé dans bien des domaines, les Etats-Unis sont aussi le pays qui peut se montrer très conservateur ou très arriéré selon nos modèles et nos valeurs.

 

Le film Scandale est fait de tous ces paradoxes. Dans mon article A Voir absolument  écrit hier, je m’exprimais spontanément devant l’affiche du film. Dans un certain jargon, on dira que j’ai projeté sur cette affiche certaines de mes pensées et certains de mes sentiments en la voyant. Et j’en ai profité pour pousser la caricature et l’autodérision sans connaître le sujet du film.  

 

Puis arrive, si on peut se l’accorder, le temps de l’expérience et l’étape de la contradiction. Mais aussi, dans le meilleur des cas, celui de la construction ou de la contribution. Ces trois temps, j’ai tenu à me les accorder ce matin vraisemblablement du fait de la présence de Charlize Theron et de Nicole Kidman dans le film. Actrices à propos desquelles j’ai écrit le bien que j’en pensais.  Du fait du titre du film. Et parce-que j’ai côtoyé quelques bouts d’une interview de l’actrice Margot Robbie qui parlait entre-autres de son admiration pour les deux premières.

 J’écrirai peut-être plus tard sur les à-côtés de cette séance cinéma car ils me semblent rajouter quelque chose à mon regard sur le film. Mais, en attendant, maintenant que je viens de voir le film Scandale, je peux passer derrière cette vitrine et cette affiche que nous offre constamment les Etats-Unis de New-York. Puisque j’ai déjà entendu dire que New-York, c’est une certaine partie des Etats-Unis. Une partie des Etats-Unis qui est peut-être la plus médiatisée. La plus donnée en exemple. Celle qui a aussi été terrorisée et agressée en 2001.

 

Cette vitrine new-yorkaise est faite de personnes travailleuses, ultra-compétentes, affutées, bien dans leur corps et à l’aise avec leurs hormones. Invulnérables. Friquées.  Leurs sourires permanents ont la solidité d’un pare-chocs de quatre-quatre. Lorsque le Monde a peur, le visage des Etats-Unis, au moins à New-York et dans ses environs, est celui de celle ou celui qui peut vous répondre s’il le souhaite :

 

«  Relax ! On va y arriver ! Je suis l’adversaire de la peur. Vous allez voir, je vais vous monter un bon dossier avec des super-héros, un scénario fantastique, une très bonne médecine, de bons journalistes et de très bons avocats et, croyez-moi, la mort va reculer car nous allons lui donner une bonne raclée et elle s’en souviendra. Nous sommes en Amérique, ici !  ».

 

L’histoire du film Scandale est inspirée d’événements qui se sont déroulés en 2015-2016 au sein de la chaine d’informations Fox News qui appartient à Rupert Murdoch, «  32 ème personne la plus puissante du monde/ 76 ème fortune mondiale » nous dit wikipédia et soutien de Donald Trump lorsque celui-ci s’est présenté aux élections présidentielles en 2015-2016. Cette dernière information est dans le film. 

 

J’ai peut-être entendu parler de l’affaire « Roger Ailes » à l’époque mais je ne m’en souviens pas.

 

Efficace et pédagogique, le film de Jay Roach nous fait entrer dans un monde de la presse très conservateur, partial et démagogique, car voué à satisfaire son public et son parti, tous deux conservateurs, et où pratiquement toutes les femmes employées, de la journaliste lambda à la journaliste vedette se donnent aux règles phallocrates des hommes qui les dominent. Car elles se dévouent à un « métier visuel » où on les recrute souvent parce-qu’elles sont de jolies crevettes.

 

Côté vitrine et affiche, ce sont des femmes éloquentes, incisives et indépendantes qui ont Fox News dans la peau, gagnent bien leur vie et ont une très bonne carrière. Hors caméra, elles obéissent à l’audience et, pour la plupart, elles acceptent en silence le commandement supérieur  des volontés sexuelles de leurs boss masculins : tenues vestimentaires types, sexe oral et autres types de rapport imposés selon les agendas de ces hommes à bosse proéminente au milieu du pantalon. On appelle ça, faire preuve de loyauté. On comprend un peu mieux en regardant ce film dans quel contexte Donald Trump a pu devenir président des Etats-Unis. Ainsi que les raisons pour lesquelles ses antécédents de harcèlement sexuel et un certain nombre de ses propos ont peu entamé son accession à la présidence des Etats-Unis. 

 

«  J’ai fait gagner un milliard de dollars aux Murdoch » dira Roger Ailes dans le film. Cette rentabilité explique aussi le maintien de certains à leur poste de responsables.  

De gauche à droite, Megyn Kelly ( l’actrice Charlize Theron), Gretchen Carlson ( l’actrice Nicole Kidman) et Kayla Pospili ( Margot Robbie)

 Scandale raconte la réaction de deux femmes journalistes vedettes, Megyn Kelly (interprétée par Charlize Theron) et Gretchen Carlson (interprétée par Nicole Kidman) qui décident à un moment donné d’attaquer en justice Roger Ailes (interprété par John Lithgow), le président de Fox News, pour harcèlement sexuel. Il s’agit d’un biopic. A ce que j’ai lu, le personnage de Megyn Kelly, dans la vraie vie, est moralement moins sympathique si l’on habite certaines valeurs.

 

 

Megan Kelly ( l’actrice Charlize Theron) et Roger Ailes ( l’acteur John Lithgow)

 

 

Cependant, « L’affaire » Roger Ailes rappelle évidemment, dans le milieu du cinéma, « l’affaire » du producteur Harvey Weinstein qui se produira un ou deux ans plus tard. Ainsi que « l’affaire » DSK quelques années plus tôt.  En France, on pensera à d’autres affaires du même genre. Actuellement,  en France, on parle par exemple de l’affaire de l’écrivain Gabriel Maztneff  (Prix Renaudot en 2013, connu pour ses œuvres où il parle de ses expériences pédophiles)  suite à la parution en 2019 de l’ouvrage Le Consentement  de Vanessa Springora  où elle raconte sa relation avec celui-ci alors qu’elle avait 14 ans et lui, 49.

En France toujours, on parle aussi de l’affaire du réalisateur Christophe Rugia accusé de «harcèlement » et « d’attouchements » par l’actrice Adèle Haenel alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans. On reparle aussi du réalisateur Roman Polanski.

 

A chaque fois, les hommes incriminés sont installés au Pouvoir depuis des années, sont nettement plus  âgés que leurs victimes et sont « coutumiers des faits qui leur sont reprochés ». Ce sont aussi, lorsque l’on parle d’Harvey Weinstein et Roger Ailes, des hommes d’une « autre » époque et d’une  société qui était antérieure à la société que nous connaissons désormais à travers internet et les réseaux sociaux :

Soit que l’époque d’où ils viennent était celle d’une société plus permissive, plus passive ou plus servile concernant leurs agissements. Soit que leurs alliés et protecteurs d’alors étaient plus nombreux et/ou plus puissants. Et que les victimes, elles, alors, étaient davantage livrées à elles-mêmes. Lorsque je regarde Roger Ailes dans le film, il me fait penser à Hoover qui avait régné sur le FBI pendant des années ( 42) tel un monarque absolu. Même si leurs domaines d’action étaient différents,  je crois que les certitudes avec lesquelles ils gouvernaient étaient assez jumelles.  

 

 

Roger Ailes avait un peu plus de 70 ans lorsque la journaliste Gretchen Carlson a porté plainte contre lui. Harvey Weinstein, un peu plus de 60 ans lorsque son affaire a été rendue publique en 2017.  Un à deux ans sépare les deux affaires. 

 

Le rôle tenu par l’actrice Margot Robbie ( Kayla Pospili) a , lui, été inspiré de témoignages. Bien-sûr, on pense au mouvement #Metoo et balance ton porc. Mais je crois que le film Scandale  aborde aussi d’autres sujets :

 

La presse, décrite comme le quatrième Pouvoir, passe de plus en plus comme un Pouvoir en déclin pour défendre certaines causes « justes ». Car elle s’est faite annexer et museler. Dans Scandale, la presse se révèle asphyxiante car  Fox News  semble être en situation de monopole en tant qu’organe de presse. A moins que ce soit une façon pour le réalisateur de montrer comme les personnes victimes de harcèlement, et, à travers elles, toutes les personnes lanceuses d’alerte dans quelque domaine que ce soit, sont souvent d’abord isolées. Parce qu’elles évoluent, malgré les sourires à tous les étages, dans un monde professionnel extrêmement concurrentiel où le chacun pour soi, la peur de perdre son job, sa réputation – ainsi que sa position sociale avantageuse- et la toxicité de certaines pratiques sont une somme que la majorité regarde et engloutit dans le déni.

 

Dans Scandale, arrive un point où l’on se demande si le pire provient de tous ces hommes de Pouvoir et qui en abusent ou de tous ces employés – femmes et hommes inclus- qui deviennent spontanément solidaires pour se taire et aussi pour dénigrer, discréditer voire harceler à leur tour celles qui lancent l’alerte. Si l’on est bien au pays de Walt Disney, le parc d’attraction de Fox News devient ici un parc de destruction où plus que Blanche Neige et le petit Chaperon Rouge, les sorcières et les loups restent les grands vainqueurs de l’animation. Même si certains des loups succombent à leur disgrâce lorsque celle-ci arrive ( Roger Ailes est décédé en 2017 soit un ou deux ans après « l’affaire »).  

 

L’aplomb de Charlize Theron et de Nicole Kidman dans le film est proche de celui du personnage interprété par l’actrice Jessica Chastain dans Miss Sloane réalisé par John Madden en 2016. Mais en grattant bien, je trouve que le rôle de Nicole Kidman dans Scandale a une petite parenté avec celui qu’était le sien dans le Dogville de Lars Von Trier ( 2003) . Et  je repense aussi maintenant à l’humiliation vécue par le personnage interprété par Jennifer Anniston dans The Good Girl réalisé en 2002 par Miguel Arteta. Même si, côté humiliation , le personnage de Charlize Theron dans Monster ( 2003) avait fait le plein. On peut du reste relever, que comme par un besoin de compensation, Patty Jenkins,  la réalisatrice de Monster a ensuite réalisé Wonder Woman en 2017 ainsi que Wonder Woman 1984 prévu en salles en 2020. 

 

 

On peut voir le film Scandale comme un film « féministe » militant à juste titre pour plus d’égalité entre les femmes et les hommes. Ce qui encouragera et réconfortera sûrement des personnes.  

 

Mais  je crois qu’il faut se rappeler que cette affaire est aussi contemporaine des affaires Snowden comme de Wikileaks, Chelsea/Bradley Manning, Katharine Gun, où, là aussi, des individus, ont pris la décision, pour diverses raisons, de refuser certaines pratiques privées et dictées afin de les rendre publiques et démocratiques dans l’espoir de sauver ce qui peut encore l’être de nos droits, de nos vies et de nos libertés.

 

Je crois aussi qu’il faut aussi relier cette affaire au mouvement Occupy Wall Street. Aux initiatives qui sont prises par certaines personnes afin de vivre dans un monde plus écologique.  Aux collapsologues qui nous parlent de l’effondrement. Aux démarches judiciaires engagées par d’autres contre Monsanto et le Glyphosate mais aussi dans l’affaire du Médiator et du scandale du silicone industriel dans les prothèses mammaires PIP.

 

Toutes ces prises de conscience et ces actions sociales, politiques et judiciaires sont souvent concomitantes. Les regarder comme de simples coïncidences éloignées et séparées dans un monde immuable est peut-être une forme de déni comme celui qui a meublé les existences de plusieurs des personnages aux avant postes dans le film Scandale. Et aussi ailleurs.

 

Dans le film, alors qu’elle est seule et en plein doute Gretchen Carlson ( interprétée par Nicole Kidman) dit à ses avocats qu’elle s’est jetée du haut de la falaise en s’attaquant à Roger Ailes. La suite la confortera dans sa très grande prise de risques. Néanmoins, ce film plutôt optimiste semble bien illustrer le titre d’une des chansons de Jimmy Cliff qui date de 1972 :

 

 » Many rivers to cross ». 

 

Franck Unimon, mardi 25 février 2020.

 

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Coronavirus

 

 

Coronavirus : un petit sursis pour l’homme, un grand profit pour les pharmacies.

 

 

Je me trouvais du côté de la Gare du Nord. Je me suis dit que j’allais essayer de me procurer un numéro d’El Watan. Depuis que dans le 8ème arrondissement de Paris, j’ai croisé un journaliste d’El Watan, je me suis mis en tête de le lire. C’était avant d’interviewer le réalisateur Abdel Raouf Dafri dont j’ai déjà reparlé récemment. ( A Voir absolument ).

 

A entendre ce journaliste, il était facile de l’acheter dans un kiosque à journaux. C’était il y a plusieurs semaines. Toujours dans le 8 ème arrondissement, j’ai recroisé ce journaliste il y a quelques jours alors que je me rendais à la projection de presse du film Brooklyn Secret (Brooklyn Secret.) Mais avant que je puisse lui exposer mes difficultés pour trouver à la vente ce journal qui le rémunérait, il avait disparu.

 

Dans un point presse bien pourvu du 13ème arrondissement où on ne le vend plus depuis une dizaine d’années, on m’avait suggéré que j’avais mes chances à Barbès. C’est là que des anciens clients de ce point presse se rendraient désormais pour acheter El Watan.

 

Je me suis imaginé que j’avais mes chances à la Gare du Nord. Puisque c’est proche de Barbès. Je me suis trompé. A la place, le vendeur a fait de l’humour. El Watan ? L’Algérie ? J’ai commencé moi aussi à faire de l’humour :

« Vous savez que l’Algérie existe ? ». Il m’a répondu sans détour :

« Je sais que l’armée existe…je suis algérien ».

Il m’a confirmé qu’il était probable que El Watan soit en vente à Barbès. Mais je ne me voyais pas aller jusqu’à Barbès. Je me suis contenté du New York Time  et de El Pais.

 

Par paresse, je lis très peu de presse étrangère. C’est un tort. C’est un tort de se contenter du minimum de ce que l’on sait et de ce que l’on a pu apprendre ou commencé à apprendre à l’école ou ailleurs. De rester dans son confort. C’est comme ça qu’ensuite, avec l’habitude, le quotidien, notre regard sur nous-mêmes et sur notre environnement se rétrécit et qu’après on pleure sur soi-même parce-que notre vie est pourrie. Qu’il ne s’y passe jamais rien ou pas suffisamment selon nous.

Mais, là, j’ai acheté The New York Times  et El Pais. Même si je savais que je les lirais très partiellement, cela me permettrait déjà de partir ailleurs.

J’ai plus feuilleté le New York Times car mon manque de pratique de l’Espagnol m’handicapait avec El Pais.

 

Dans le train du retour, je me suis assis à quelques mètres d’un SDF bouffi par l’alcool que je connais de vue. Je crois qu’il réside dans ma ville. Une dame venait de lui donner de l’argent. Mais dès qu’il m’a aperçu près de lui, il m’a sollicité et en a redemandé. A défaut d’argent, il m’a d’abord demandé l’heure car il ne pouvait pas voir. Puis, il a fini par me demander de lui donner un journal. Pour lire. Pour s’informer. Il avait manifestement envie de parler à quelqu’un. Lorsque je lui ai dit que les journaux étaient en Anglais et en Espagnol, il a renoncé. Par contre, lorsque quelques minutes plus tard, un autre homme est venu faire la manche dans le même wagon en passant parmi les voyageurs, il l’a aussitôt menacé et lui a dit de se casser. L’autre homme a poursuivi son œuvre avec le sourire.

 

Ce matin, je suis passé à la pharmacie. Je savais que je n’y trouverais pas El Watan. Aussi me suis-je abstenu de le demander. J’étais là pour acheter une lotion capillaire pour ma compagne. J’ai déjà fait « pire » :

Je devais avoir à peine une vingtaine d’années lorsque ma mère m’avait demandé de lui acheter une paire de collants. Cela ne m’avait pas dérangé. Depuis le temps que ma mère m’envoyait faire des courses. J’étais ressorti du supermarché et, dans les rues de Pointe-à-Pitre, j’avais rapidement compris que certaines personnes qui m’avaient croisé avaient des yeux de drones leur permettant de voir parfaitement à travers le sac en plastique transparent que je portais en toute décontraction.

 

Ce matin, pas de collant parmi mes achats. J’étais à la caisse quand j’ai entendu un homme plus jeune que moi demander à une autre caisse un masque FFP2. J’ai aussitôt fait le rapprochement avec le coronavirus Covid-19 bien que, sans cet homme, j’aurais été incapable de savoir le définir de cette façon.

Devant moi, le pharmacien qui me servait m’a répondu qu’il allait voir s’il en restait. Il m’a d’abord dit qu’un masque coûtait 2,99 euros, l’unité. Puis, revenant avec trois masques, il m’a présenté ses excuses : un masque coûtait 3,99 euros. Je les ai néanmoins pris tous les trois.

 

Le pharmacien m’a confirmé que, oui, c’était bien les masques préventifs pour le coronavirus. Il m’a dit qu’il espérait que cela allait s’arranger. Il m’a répondu qu’ils n’en n’avaient pas toujours mais qu’il y avait en ce moment une certaine demande surtout des touristes. Il se trouve que les seuls touristes « reconnaissables » que j’ai pu voir dans cette pharmacie parisienne sont asiatiques. Peut-être chinois. Peut-être japonais.

 

Jusqu’à maintenant, j’ai entendu parler du coronavirus Covid-19 sans m’en inquiéter plus que ça. Mais, ce matin, je me suis dit que cela pouvait être bien de « s’équiper ». En sachant que, selon les dires de ce pharmacien un masque a une durée d’efficacité de 8 heures. Il serait donc convenable si l’épidémie du coronavirus arrive en France qu’elle soit très rapide. Ou d’avoir de quoi acheter un nombre plutôt conséquent de masques. Mais je me suis dit ça après avoir quitté la pharmacie et après avoir payé les trois masques. Parce qu’en reprenant le métro, j’ai pris le temps de lire le journal gratuit distribué devant la pharmacie. J’ai jeté ce journal depuis. Mais je me souviens qu’après un match laborieux, le PSG, hier, a battu Bordeaux 4-3 au parc des Princes. Que El Matador « Cavani » a marqué son 200ème but avec le PSG toutes compétitions confondues. Que Neymar a trouvé le moyen d’écoper d’un second carton jaune et de se faire exclure. Il sera donc absent pour le prochain match face à Dijon. Qu’au début du match, des supporters avaient montré une pancarte demandant à M’bappé, Neymar et Marquinhos de « porter leurs couilles ».

A part ça, l’équipe de France de Rugby, en battant le Pays de Galles, confirmait qu’elle était une très belle équipe. Et puis, tout au début du journal, le coronavirus en Italie. L’inquiétude en Europe. Deux morts.

En rentrant, j’ai regardé à nouveau Le New York Times et El Pais. Hier, dans Le New York Times, j’avais pris le temps de lire l’article consacré à l’acteur, scénariste et réalisateur américain Ben Affleck qui parlait de son addiction à l’alcool. Au fait que son propre père était devenu sobre alors qu’il avait 19 ans. L’alcoolisme de son frère Casey, que l’on n’a plus vu depuis quelques temps sur les écrans, était aussi mentionné.

 

 

C’est sur El Pais que j’ai vu l’article dont s’est sans doute inspiré le journal gratuit d’aujourd’hui concernant le coronavirus. Entre-temps, les près de 4 euros par masque avaient commencé à me peser. Lorsque j’en ai discuté avec ma compagne, j’ai été obligé de me rendre compte que je m’étais fait arnaquer. Comme d’autres. Près de 4 euros pour un masque qui ressemble à un petit slip jetable pour bébé et dont le coût à la fabrication doit se compter en centimes et peut-être même en micro-centimes. Pour un slip jetable qui est peut-être fabriqué en Chine, ce qui serait comique en plus.

 

L’anxiété et l’esprit de prévention avaient encore frappé. Lorsque ce n’est pas sous forme de pub sur le net, dans la boite à lettres, à la télé, au cinéma, à la radio, dans la rue, dans les transports en commun, sur le téléphone portable, la tablette ou à la banque, c’est sous forme de terrorisme, d’extrémisme politique, de catastrophe, de meurtres ou d’épidémie sanitaire qu’ils s’infiltrent. Avant que le moindre virus n’ait eu le temps de visiter nos poumons, nous sommes déjà contaminés par l’anxiété et l’achat de prévention qui sont une forme de crachat civil réservé à ces êtres civilisés et socialisés que nous sommes. Jusqu’à ce qu’une rupture de stock apparaisse….

 

Mais je crois encore que je réussirai à me rendre à Barbès afin d’y trouver El Watan avant que le coronavirus ne trouve l’adresse de mon organisme.  

 

Franck Unimon, lundi 24 février 2020.