The Ride (La Chevauchée)
un film de Stéphanie Gillard
Enfant, je les ai dĂ©couverts Ă la tĂ©lĂ© un peu comme les colons europĂ©ens avaient « dĂ©couvert » lâAmĂ©rique. Dans ces westerns mal doublĂ©s en Français, souvent interprĂ©tĂ©s par des Blancs, ils Ă©taient souvent les mĂ©chants.
Dans la cour de rĂ©crĂ© de lâĂ©cole de la RĂ©publique â lâĂ©cole Robespierre, Ă Nanterre- oĂč jâĂ©tais scolarisĂ©, le lendemain, pour « en ĂȘtre », il fallait avoir vu le film extraordinaire de la veille. Il Ă©tait assez souvent amĂ©ricain. Quâest-ce quâils Ă©taient forts, ces AmĂ©ricains !
Trente ans aprĂšs la fin de la Seconde Guerre Mondiale que je nâavais pas connue, moi-mĂȘme, je mâen apercevais rĂ©guliĂšrement.
Les Westerns, les films policiers et Tarzan « lâhomme-singe », les feuilletons amĂ©ricains, avant les dessins animĂ©s japonais du genre Goldorak câĂ©taient mes Reines des Neiges, Ă moi. Avec les films de Bruce Lee. Et, quelque part dans un coin⊠le boxeur Muhammad Ali auquel le kebab Ali BoumayĂ© dans le film MisĂ©rables de Ladj Ly fait rĂ©fĂ©rence ( pour son combat au ZaĂŻre en 1974 face Ă Georges Foreman : voir le documentaire When we were kings. on peut aussi lire l’article Les misĂ©rables 2Ăšme partie )
A cet Ăąge oĂč je dĂ©couvrais les Westerns, celui de lâĂ©cole primaire, je ne connaissais pas encore la portĂ©e symbolique dâun James Brown ou dâun Bob Marley : plusieurs de leurs disques vinyles faisaient partie des attributs paternels. Ceux de Bob Marley passaient le plus souvent lorsque j’Ă©tais en Ăąge de me souvenir. L’album Rastaman Vibration, particuliĂšrement, Ă la fin des annĂ©es 70.
Et, câest plus tard, vers la prĂ©adolescence puis vers lâadolescence que jâai entendu parler puis dĂ©couvert des auteurs comme Richard Wright ( Black Boy), Chester Himes ( La Reine des pommes), James Baldwin et des militants comme Martin Luther King, Malcolm X, les Black Panthers , tous noirs ou nĂ©gro-amĂ©ricains. A part Nelson Mandela et Steve Biko. Je ne connaissais pas dâautre leader politique africain ou antillais. CĂŽtĂ© littĂ©rature et poĂ©sie, je connaissais « un peu », AimĂ© CĂ©saire, Frantz Fanon, la NĂ©gritude mais jâĂ©tais dĂ©jĂ lycĂ©en. Et les Etats-Unis dâAmĂ©rique Ă©taient encore pour moi un pays magnifique : La rĂ©fĂ©rence.
CâĂ©tait le Pays oĂč de grands hommes et de grandes femmes (dont Angela Davis) avaient combattu le racisme. C’Ă©taient aussi des athlĂštes noirs amĂ©ricains qui, lors des jeux olympiques de Mexico, en 1968, avaient levĂ© un poing noir gantĂ© lors de la remise des mĂ©dailles olympiques pour protester contre la sĂ©grĂ©gation raciale aux Etats-Unis. Tommie Smith, Lee Evans, John Freeman….
C’Ă©tait la PremiĂšre Puissance Mondiale.
A part dans les Westerns que je regarde beaucoup moins depuis des annĂ©es, les Indiens dâAmĂ©rique ne mâintĂ©ressaient pas plus que ça. MĂȘme s’il y a bien eu le cours d’Indian Studies Ă l’universitĂ© durant une annĂ©e. Mais c’Ă©tait il y a trente ans. Et je n’ai pas poussĂ© plus loin par la suite mĂȘme s’il m’en reste quand mĂȘme des souvenirs prĂ©cis quand j’y pense :
Notre professeur Nelcya D…, pourvue d’une autoritĂ© et d’une personnalitĂ© marquantes, avait organisĂ© une rencontre avec certains AmĂ©rindiens.
Je me rappelle d’un de ces artistes amĂ©rindiens Ă qui l’on demandait Ă nouveau s’il avait vu le film Danse avec les loups de et avec Kevin Costner ( je n’ai toujours pas vu le film). Celui-ci avait rĂ©pondu avec un peu d’ironie : ” It is the big question today !” ( ” C’est dĂ©cidĂ©ment la grande question du jour!”).
Mais aprĂšs avoir obtenu difficilement cette UV – face Ă la redoutable Nelcya D… qui, pour l’Ă©preuve orale de rattrapage, en me voyant arriver m’avait d’abord lancĂ© un : ” Vous ! Je vous fais la peau !” – je n’avais pas cherchĂ© plus loin dans ” l’Histoire” des Indiens d’AmĂ©rique. Ce n’est pas de la faute de mon ancienne prof d’universitĂ©, Nelcya D, qui, dans les faits, m’estimait et me reprochait Ă juste titre d’avoir travaillĂ© mes cours en dilettante :
Les Indiens dâAmĂ©rique ou les AmĂ©rindiens font un peu partie des Marcheurs blancs de lâHistoire humaine. Mais ce sont des marcheurs blancs, cĂŽtĂ© victimes et vaincus. Ils sont donc moins glamours sauf pour les clichĂ©s qu’ils nous permettent d’avoir Ă leur encontre. Et Ă©videmment pour cette peur et cette honte qu’ils suscitent et que l’on veut voir relĂ©guĂ© au plus loin. Comme tout Ă©tranger, tout migrant, tout SDF, tout dĂ©chet, tout marginal ou tout bĂątard de la sociĂ©tĂ© peut susciter honte et peur Ă celles et ceux qui sont dans une certaine norme et font partie d’une certaine classe, d’une certaine caste ou d’une certaine race dite “supĂ©rieure” qui a “rĂ©ussi” ou est en passe de ” rĂ©ussir”.
Via les Marcheurs blancs, je fais une allusion Ă la sĂ©rie Games of Thrones pour actualiser le propos en terme de fiction cinĂ©matographique car, dans les faits, les AmĂ©rindiens, eux, ont Ă©tĂ© rayĂ©s de leur propre Histoire et parquĂ©s au delĂ de murs et dans des rĂ©serves qui ne tombent pas. Ce sont plutĂŽt les AmĂ©rindiens qui, gĂ©nĂ©ration aprĂšs gĂ©nĂ©ration, depuis la derniĂšre victoire militaire indienne en 1876 de Sitting Bull et Crazy Horse contre le GĂ©nĂ©ral Custer pourrissent en quelque sorte sur place sur le sol de leurs ancĂȘtres.
Dans les bonus du dvd consacrĂ© Ă son « film » The Ride ( La ChevauchĂ©e) , la rĂ©alisatrice StĂ©phanie Gillard se dit en quelque sorte admirative devant la « rĂ©silience » et la « force » des Indiens. Elle sâĂ©tonne, aussi, devant leur absence de « colĂšre » aprĂšs avoir rappelĂ©, entre-autres, lâinterdiction qui a frappĂ© les Indiens de pratiquer leurs religions et leurs langues de 1890 Ă 1970.
Mais elle dit aussi avoir envie de pleurer ” toutes les deux minutes” lorsqu’elle se trouve dans une rĂ©serve indienne devant l’injustice imposĂ©e aux Indiens.
Dans The Ride, il est aussi fait mention de lâAllotment Act, loi par laquelle les colons europĂ©ens, ont dĂ©possĂ©dĂ© les Indiens de leurs terres.
EncerclĂ©s par la puissance militaire et des Lois destinĂ©es Ă favoriser lâappropriation des terres indiennes par les colons, les divers peuples indiens prĂ©sents sur le sol amĂ©ricain ont vu leur futur bandĂ© par lâexpansion et la « nĂ©e-cĂ©citĂ© » du rĂȘve dit amĂ©ricain. Et ce rĂȘve sâest aussi fait en violant des terres sacrĂ©es.
Dans les bonus du dvd, toujours, la rĂ©alisatrice StĂ©phanie Gillard explique quâelle a tenu Ă ĂȘtre autre chose quâune « Ă©niĂšme blanche qui vient filmer des Indiens ». Il est vrai que StĂ©phanie Gillard a pour particularitĂ© dâĂȘtre une femme blonde, ce qui aurait pu accentuer ce rapport de la « femme blanche qui vient filmer des Indiens ».
Pour conjurer ça, elle explique ĂȘtre venue rencontrer plusieurs fois au prĂ©alable- dâabord sans camĂ©ra- les sujets de son documentaire. Elle sâest appliquĂ©e Ă leur montrer des photos quâelle avait pu prendre dâeux. Son Ă©quipe- rĂ©duite Ă deux personnes en plus dâelle- et elle ont partagĂ© au mois de dĂ©cembre le quotidien de ces Indiens Lakota lors de leur itinĂ©raire en se reposant comme eux, par exemple, au moment des haltes, dans des gymnases.
Et, elle a fait le choix dâexclure les Historiens (souvent « blancs » prĂ©cise-tâelle Ă©galement dans les bonus) de son film pour laisser la parole aux Indiens mĂȘme sâils se trompent quelques fois en racontant leur Histoire.
LâĂ©dition Digibook Collector du dvd dĂ©bute par ces explications :
« En 1890, Ă la mort de Sitting Bull, le chef Big Foot et trois cents Sioux Lakotas fuient la cavalerie amĂ©ricaine avant dâĂȘtre tuĂ©s Ă Wounded Knee.
En 1986, Birgil Kills Straight faisait un rĂȘve rĂ©ccurent : des cavaliers dâaujourdâhui Ă©taient Ă cheval sur la piste empruntĂ©e par Big Foot dans le Dakota du Sud. Avec Curtis Kills Ree et dâautres membres de la communautĂ© Lakota, il dĂ©cide de faire cette chevauchĂ©e de Bridger Ă Wounded Knee, et crĂ©e le Sitanka Wokiksuye ( Big Foot Memorial Ride).
Dix neuf cavaliers et deux vĂ©hicules de soutien font ce premier voyage, et le groupe grandit chaque annĂ©e (âŠ.).
The Ride suit la commémoration de cette chevauchée à cheval effectuée en 1890.
« Le trajet dure deux semaines et se termine le 29 décembre, date anniversaire du massacre ».
Jâignore sâil faut y voir un signe particulier mais, alors que je dispose de ce dvd depuis plusieurs mois maintenant, câest hier, ce 29 dĂ©cembre 2019, un ou deux jours aprĂšs avoir vu avec elle la fin de la sĂ©rie Game of Thrones, que jâai proposĂ© Ă ma compagne de regarder The Ride avec moi. Je dĂ©couvre cette coĂŻncidence alors que je suis en train de rĂ©diger cet article pour mon blog balistiqueduquotidien.com.
Cette chevauchée des Indiens Lakota devait se terminer en 1990. Mais en 1990, « plus de 350 cavaliers viennent, dont certains avec leurs enfants ». Et, ceux-ci souhaitent que cette chevauchée se poursuive. « Cela est normalement impossible aprÚs une cérémonie de levée de deuil ».
Devant « lâinsistance » des cavaliers, lâĂ©vĂ©nement est « relancĂ© en 1992 sous le nom de OomakaTokatakiya ( Future Generation Ride). Le but de cette chevauchĂ©e est dĂ©sormais, en plus de continuer dâhonorer la mĂ©moire des Indiens massacrĂ©s Ă Wounded Knee par le 7Ăšme rĂ©giment de la cavalerie amĂ©ricaine, de redonner confiance aux jeunes Indiens et de les aider Ă rassembler leur identitĂ©.
En regardant The Ride, on comprend assez vite ce que cette chevauchée peut avoir de difficile en pratique :
« AmĂ©ricanisĂ©s » (bonnet de la marque Under Armor, baskets Nike, tĂ©lĂ©phone portable, passion pour la X-Box ouâŠle Basket), sĂ©dentarisĂ©s, plusieurs des participants montent sur un cheval pour la premiĂšre fois. Et puis, il peut faire trĂšs froid pendant cette chevauchĂ©e (jusquâĂ moins 30 ou moins 40 degrĂ©s selon les annĂ©es) qui consiste Ă parcourir un peu plus de 450 kilomĂštres dĂ©sormais. Il y a quelques chutes. Mais personne ne porte de bombe sur la tĂȘte.
Le titre Buffalo soldiers de Bob Marley mâest alors revenu en tĂȘte. Lorsque je lâĂ©coutais dans les annĂ©es 80, et lorsque plus tard jâai vu quelques images de sa vidĂ©o, je ne comprenais pas vraiment son sens. Aujourdâhui, je comprends mieux. On est plutĂŽt dans lâesprit du film Glory rĂ©alisĂ© par Edward Zwick avec, entre-autres, Denzel Washington. Un film dont le sacrifice « hĂ©roĂŻque » de soldats noirs pendant la guerre de sĂ©cession ne mâavait pas du tout donnĂ© envie de les imiter. Mais avaient-ils le choix ?
Par ailleurs, les Buffalo Soldiers auraient participĂ© au gĂ©nocide amĂ©rindien. Ce qui pourrait mâexpliquer cette sorte « dâindiffĂ©rence » ou de distance entre les militants (politiques ou Ă©crivains) noirs aux Etats-Unis avec les Indiens et « lâHistoire » indienne.
Donc on se retrouve comme Jon Snow avec Daenerys Ă la fin de Game of thrones. MĂȘme vivant, on ne sâen sort pas. On se sent maudit quoique lâon ait pu rĂ©aliser de « grand ». On peut donc chevaucher tel Jon Snow les neiges Ă©ternelles Ă la fin de Game of thrones ou comme certains de ces indiens dans The Ride, on continue nĂ©anmoins de tomber de trĂšs haut.
Dans les bonus, la rĂ©alisatrice sâĂ©tonne de lâabsence de colĂšre des Indiens. Peut-ĂȘtre parce quâils sont aussi pacifiques que lâocĂ©an du mĂȘme nom. Le navigateur Olivier de Kersauson parle aussi de cet ocĂ©an dans un de ses livres.
La colĂšre connaĂźt deux expressions principales : contre soi-mĂȘme ou contre les autres. Celle de Daenerys Ă la fin de Game of Thrones est malheureusement humaine. Je la condamne et la regrette depuis ma place assise et confortable de spectateur. MĂȘme si jâimagine que dâautres, au contraire, ont trouvĂ© Daenerys « rock and roll » ou « Punk », et approuvĂ© totalement son tempĂ©rament passionnĂ©, libre et entier et face Ă un Jon Snow qui a pu ĂȘtre considĂ©rĂ© comme falot et sans ambition. Il est vrai que pour lui-mĂȘme, il y a longtemps que lâon nâa plus vu Jon Snow se mettre en colĂšre dans la sĂ©rie Game of Thrones. Mais au moins peut-on le percevoir comme une personne sage mĂȘme si ce terme peut dĂ©plaire et rimer pour certaines personnes avec « couard » ou « irresponsable ».
A lâinverse, lâabsence totale de colĂšre de Guillaume Gallienne dans son Les Garçons et Guillaume, Ă table ! et lâextrĂȘme sympathie que cela a contribuĂ© Ă donner Ă son film mâa empĂȘchĂ©, Ă un moment donnĂ©, dâĂȘtre aussi enthousiaste que dâautres en le voyant. Je lui prĂ©fĂšre la colĂšre dâun Patrick Chesnais dans le Je ne suis pas lĂ pour ĂȘtre aimĂ© de StĂ©phane BrizĂ© ou dâun Luca Zingaretti dans Le jour du chien de Ricky Tognazzi. Mais on a beaucoup moins entendu parler de ces deux films. Et on prĂ©fĂšre ĂȘtre en compagnie de celles et ceux qui, lorsquâils souffrent, savent se tenir et rester propres.
Et on peut dire que les Indiens de The Ride, eux, savent se tenir. Je partage la plupart des sentiments de la rĂ©alisatrice de The Ride pour celles et ceux quâelle a rencontrĂ©s. Sauf que la colĂšre des Indiens a Ă©tĂ© mĂ©thodiquement dĂ©mantelĂ©e par les gouvernements amĂ©ricains successifs. Les Indiens sont aussi, aujourdâhui, en Ă©tat dâinfĂ©rioritĂ© numĂ©rique.
La rĂ©signation et la dĂ©pression, ça « aide » aussi Ă se tenir dans son coin. Pour pouvoir ĂȘtre en colĂšre, il faut pouvoir sâappuyer sur la terre. Mais lorsque lâon vit en permanence sur la pointe des pieds tout prĂšs du vide, ou carrĂ©ment dans le vide, notre colĂšre manque dâair pour s’agripper et sâexprimer.
Le film donne la prioritĂ© Ă la vertu thĂ©rapeutique de cette chevauchĂ©e. On n’y parle donc pas de l’alcoolisme, de l’usage d’autres drogues ou d’actes de violence ou d’abus condamnĂ©s par la Loi ( Ă part un pĂšre pour avoir fait brĂ»ler sa maison ). Mais dans les bonus du dvd, lors de son interview, la rĂ©alisatrice nous apprend que deux ou trois personnes prĂ©sentes dans le film se sont suicidĂ©es depuis. Parmi ces personnes, un des jeunes donnĂ© en exemple Ă la fin du film qui avait dĂ©ja participĂ© Ă plusieurs de ces chevauchĂ©es et qu’elle nous dĂ©crit comme Ă©tant pourtant quelqu’un de “joyeux”.
Lors de The Ride, nous voyons bien quelques hommes abimĂ©s ou obĂšses et l’on se doute que certains des jeunes que nous voyons font plutĂŽt partie, Ă lâĂ©cole, des derniers de la classe. Mais la tĂ©nacitĂ© et lâhumour veillent :
« Ils ont perdu Dieu et croient quâon lâa volĂ© ». « Tu sais pourquoi ils ont envoyĂ© lâhomme sur la lune ? Parce quâils ont cru que les Indiens y avaient des terres ».
Des Indiens ont engagĂ© des poursuites judiciaires contre les Etats-Unis. Cela a durĂ© des annĂ©es. La cour suprĂȘme a donnĂ© raison aux Indiens. En compensation, la Cour suprĂȘme a proposĂ© des indemnitĂ©s financiĂšres. Les Indiens, eux, rĂ©clamaient leurs terres et non de lâargent. Comme le dit lâun des protagonistes de The Ride :
« Ils nâont jamais pris le temps de nous Ă©couter ».
Franck Unimon, lundi 30 décembre 2019.