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Pusher III : Journée de merde pour papa-poule

 

 

 Pusher III : L’Ange de la Mort :   Journée de merde pour papa-poule.

 

 

Certains ont la gueule de bois après une nuit presque blanche passée à la rougir avec du vin ou à essayer de la filtrer auprès d’alcools et de substances. Moi, parfois, je regarde des images. Une image entraîne l’autre. Il y a toujours une nouvelle et bonne raison pour continuer d’autant que, sur le net, le bar ne ferme jamais. Le bar de ma mémoire, aussi, ne ferme pratiquement jamais. Et, certaines fois, il est même plus ouvert que d’habitude.

 

Lorsque ces deux bars entament en même temps leur happy hour, débute alors une compétition entre les deux et je ne sais pas lequel va prendre l’avantage sur l’autre. 

 

 

Les salles de cinéma sont aujourd’hui fermées depuis plus d’un mois. L’industrie du cinéma va sans doute peiner à s’en remettre comme une bonne partie de l’économie. Dans le Monde, des personnes ont à nouveau perdu leur emploi ou vont le perdre. D’autres ont perdu leur vie. D’autres encore font désormais la queue à la soupe populaire pour manger. Ou cherchent où se loger.

 

Nous connaissons suffisamment l’origine officielle et directe de cette nouvelle grave crise économique : une crise sanitaire mondiale (très) mal anticipée par une bonne partie des gouvernements encastrés depuis des années dans un certain régime économique et politique.  Des gouvernements- des entrepreneurs, des financiers mais aussi des économistes et des penseurs- lovés dans un certain régime de pensée qu’ils entendent continuer de servir coûte que coûte.

 

Certains pays s’en sont mieux sortis que d’autres : Taïwan, Singapour, la Corée du Sud. L’Afrique, finalement, ne s’en sortirait pas trop mal mais va souffrir de la faim. Et sans doute de guerres, aussi.

 

En Europe, l’Allemagne est à nouveau citée en exemple. En Scandinavie, cela se passerait plutôt « bien Â», aussi.

 

Grâce à ce qui reste de son système de santé et de sécurité sociale qu’elle s’est pourtant attachée à démanteler depuis une vingtaine d’années, la France fait mieux que les Etats-Unis et sans doute mieux que la Russie ou l’Arabie Saoudite. Mais l’inexpérience française de ce type de situation – contrairement à certains pays asiatiques qui ont déjà connu des épidémies assez « voisines Â»- ajoutée à des approximations politiques inspirent vraisemblablement des proches et fortes contestations sociales.

 

 

Pusher III ou L’Ange de la Mort de Nicholas Winding Refn se déroule au Danemark, à Copenhague, principalement. Normal, Nicholas Winding Refn est Danois.

 

Plusieurs années avant de se faire connaître avec son film Drive ( réalisé en 2011 avec l’acteur Ryan Gosling), Nicholas Winding Refn avait entre-autres réalisé sa trilogie Pusher dont le premier volet date de 1996. Pusher III ou L’Ange de la mort ( le dernier volet) a été réalisé en 2005.

J’ai eu le plaisir d’aller découvrir cette trilogie au cinéma à Paris vers 2006 ou 2007. Elle avait eu de bonnes critiques et un succès public plutôt confidentiel.

 

Dans mes souvenirs, à Paris,  la trilogie Pusher a été projetée plusieurs semaines dans deux salles ( peut-être trois). Je me rappelle d’un Complexe UGC et du cinéma Le Publicis où j’étais allé voir chacun des films de cette trilogie, plusieurs fois. Au moins deux fois chacun, je crois. Puis, dès que je l’ai pu, j’ai acheté les films en dvds.

 

 

Pour l’anecdote, une fois, plusieurs années plus tard, je me suis retrouvé assis à côté de Nicholas Winding Refn. C’était après Drive, sans doute, au forum des Images, pour une Master Class dont il était l’invité. Le temps de descendre «  sur scène Â», Nicholas Winding Refn s’était assis sur ma droite.

Et j’ai eu l’occasion d’interviewer l’acteur Mads Mikkelsen pour son rôle dans Le Guerrier silencieux, réalisé par Nicholas Winding Refn en 2009.

Mads Mikkelsen ( qui s’est fait connaître pour son rôle du Chiffre  dans le très bon Casino Royale réalisé en 2006 par Martin Campbell) est présent dans deux des films de la trilogie Pusher ( mais pas dans L’Ange de la mort) ainsi qu’au moins dans un autre des premiers films de Nicholas Winding Refn. Dans un autre article, je pourrai parler un peu mieux de cette rencontre avec l’acteur Mads Mikkelsen. Car la grande vedette de Pusher III ou L’Ange de la Mort, c’est Milo, l’acteur Zlatko Buric’ d’origine serbe.

 

Milo, l’acteur Zlatko Buric’.

 

 

Dans Pusher III, Milo, l’impitoyable mafieux du premier volet de la trilogie décide donc de devenir clean et fréquente les N.A de Copenhague. C’est la scène d’ouverture du film.

A « l’époque Â», lorsque j’avais vu le film la première fois, j’avais cru à une esbroufe de la part de Milo.  Je m’étais d’abord dit que c’était une ruse pour faire bonne figure et endormir la police s’il était sous surveillance. Et j’avais beaucoup rigolé en entendant Milo prendre la parole au sein des Narcotiques Anonymes et déclarer qu’il était « clean Â» depuis cinq jours.

 

Mais, je me trompais.

 

Lorsque débute l’histoire, sa fille Milena ( l’actrice Marinela Dekic) – que l’on voit pour la première fois- fête son 25ème anniversaire ce jour-là. Et, Milo, en « papa poule Â»  s’est engagé à cuisiner pour les 45 personnes présentes à cet anniversaire. Cela se complique assez vite puisque Milo évolue dans un milieu où l’on boit de l’embrouille au goulot. Et, aussi, parce-que l’on s’aperçoit que sa fille chérie Milena ( infirmière nouvellement diplômée : on appréciera le clin d’œil involontaire à la crise sanitaire actuelle due au Covid-19) se révèle impeccable dans le rôle de la jeune femme autoritaire, capricieuse et méprisante. Et tout se réunit pour que ce qui devait être une très belle journée se transforme en journée de merde pour papa poule.

 

Ce qui m’avait beaucoup plu dans cette trilogie et que Nicholas Winding Refn a perdu en tournant désormais à Hollywood, qui plus est en langue anglaise, c’était évidemment cette patte danoise que je découvrais. Cette langue, ces accents, ces ethnies, ces lieux, ces physiques ( turcs, serbes, albanais, danois…). L’humour et le réalisme des situations ( la très grande connaissance ethnologique et culturelle de Winding Refn est étonnante).  Cette aspiration à s’intégrer dans la société danoise et à rêver en grand souvent pathétique et comique alors même que l’on est une ordure dans ce pays si « clean Â» et si riche que peut être, en apparence mais aussi pour l’exemple, le Danemark.

 

https://youtu.be/LSxSzB_btKg

 

J’ai oublié ce qui m’a donné l’idée, en ce mois d’avril 2020, de sortir la trilogie Pusher de mes étagères. Peut-être le fait de prêter un de mes deux coffrets à un collègue cinéphile qui m’a sollicité afin que je lui fasse découvrir des films. Et après Noi Albinoi ( 2002, Dagur Kari) et Sicario (2015, Denis Villeneuve) mais aussi Ultravixens ( 1979, Russ Meyer), j’ai pensé à la trilogie Pusher.

 

Sur la jaquette du coffret de la trilogie de Winding Refn, il est fait référence à Scorsese. Pourquoi pas. Sauf que Scorsese n’a pas tourné de films au Danemark. Et je ne crois pas qu’il y ait vécu non plus. Ceci pour dire que l’on peut regarder Pusher sans appréhender de voir la tête de Scorsese apparaître dans chaque plan.

 

Avant hier, j’ai aimé revoir Pusher III et je reverrai peut-être les deux autres volets.

Néanmoins, une scène en particulier dans Pusher III m’a donné envie de revoir ce volet. Et j’ai revu cette scène plusieurs fois, ai repensé à elle ensuite avant de revoir ce troisième volet intégralement avant hier :

 

La scène dure un peu plus de cinq minutes. Elle débute aux environs de la 34 ème minute et quarante secondes et s’achève à peu près à la 39 ème minute et 59 secondes.

 

Avant que la scène ne démarre, Milo, aux Narcotiques Anonymes a confié :

 

« Ma vie est vraiment chaotique Â» ; « Des collègues à moi me causent beaucoup de stress Â». Et Milo de reconnaître qu’il s’est déjà dit que s’il reprenait un peu d’héroïne, que cela irait mieux.

 

Ce que Milo cache aux Narcotiques Anonymes, c’est que, s’il est effectivement, tel un homme d’affaires sous pression, c’est parce-que, d’un côté, le jeune Muhammad, auto-proclamé «  King of Copenhague Â» (d’origine turque) lui a lancé «  Faudra te faire à la génération nouvelle ! » et qu’il a dû s’en remettre à lui pour revendre de l’ectasy, produit qu’il ne connaît pas. Parce-que ses hommes de main et de confiance sont tous malades, intoxiqués vraisemblablement par les sarmas qu’il a lui-même cuisinés. Et aussi parce-que les « Albanais Â», ses fournisseurs habituels d’héroïne pour lesquels il a accepté de revendre l’ectasy, en profitent pour tenter de prendre l’ascendant sur lui. Au milieu de tout ça, Milo peut compter sur les exigences entêtantes de sa chère fille Milena qui semble avoir délaissé les  conjugaisons  de l’empathie dès ses premières couches culottes pour leur préférer les additions de la télépathie et du cash.  Car, comme le dit Mike, le petit ami de Milena qui «  n’a pas inventé la poudre Â» ( dixit Milena à Milo) :

 

« Milena a des goûts de luxe Â».

 

Et c’est là que débarque Kurt le con ( l’acteur Kurt Nielsen) à la 35 ème minute. Cette scène est magistrale. Milo est alors dans un restaurant tenu par des Asiatiques. Assis le cul entre plusieurs problèmes, d’un côté Milena et son anniversaire, de l’autre Muhammad qui ne répond pas à ses appels et les « Albanais Â» qui le font chier, Milo essaie de s’appliquer à ce que tout se passe bien pour l’anniversaire de Milena, qui, évidemment, ne sait rien de ses emmerdes.

 

Au départ, une simple vitre sépare Kurt le con de Milo. Kurt le con, on l’a vu dans le deuxième volet de Pusher. C’est à la fois un dealer mais aussi un très grand consommateur. Un personnage assez beauf, un peu bébête, plutôt en bas de l’échelle sociale du trafiquant de drogue alors que Milo est bien au dessus. Mais Kurt le con a ses combines bien à lui. Il sait aussi retomber sur ses pattes. Et, là, il nous donne une leçon de perspicacité beauf. Le peu qu’il sait du genre humain tendance accroc, il  la met sur la table dans cette scène où il se montre aussi hilarant, inoffensif qu’impitoyable. Pour moi, c’est un modèle de jeu d’acteur. Un chef-d’œuvre en moins de cinq minutes. Je vais essayer d’expliquer pourquoi.

 

D’abord cette vitre, cloison de séparation fragile entre un intérieur et l’extérieur.

 

A l’intérieur,  Milo, goûte à la fois un peu au calme mais est de plus en plus à bout. Et lorsque c’est comme ça, le temps passe lentement. Très lentement. Trop lentement.

L’extérieur, à ce moment-là, c’est la rue, plutôt calme. Mais aussi la nuit. Il doit y avoir deux clients dans le restaurant. La plupart des honnêtes gens dorment ou sont chez eux ou chez leur amant ou chez leur maitresse. Milo, lui, attend sa commande de poissons frits. Pour l’anniversaire de sa fille. Pour remplacer les sarmas qu’il a décidé de jeter avant que des invités n’en mangent et ne tombent malades. D’un naturel très sûr de lui, du genre psychorigide, mais aussi très méfiant, il a fallu plusieurs heures à Milo pour admettre que, finalement, ses sarmas sont peut-être bien responsables de l’intoxication alimentaire qui a donné la diarrhée à ses hommes.

 

Et dans toute cette chiasse, le seul génie qui sort de la nuit : Kurt le con qui tape soudainement à la vitre. D’abord pour saluer.

 

Kurt le con fait beauf. Mais il a aussi une dégaine de clodo. Il pourrait tout aussi bien sortir de l’hôpital psychiatrique dans le sens péjoratif du terme. Ceci pour dire que c’est le profil du mec qui a plutôt raté sa vie. Mais qui est amusant. Il pourrait briguer le poste de fou «  de la ville Â» ou du « village Â». Alors, Milo le laisse s’approcher. Ils se connaissent si bien l’un et l’autre ( leur monde est un microcosme). Ils se sont tant de fois reniflés.  Et, ils sont en bons termes même s’ils ont pu avoir des désaccords pour des histoires de deal ( Pusher II).

C’est comme ça que Kurt le con devient Grand en s’asseyant à la même table que Milo et face à lui après que celui-ci, pour une fois, lui serre la main. Milo n’a rien à craindre de Kurt le con qu’il voit principalement comme un grand bouffon. Au pire, cela lui permettra de faire passer un peu le temps se dit sûrement Milo en le voyant s’approcher.

 

Après une blague dont Kurt le con a le secret ( je vous laisse la découvrir) celui-ci entretient Milo à propos du seul sujet qu’il connaisse, du seul sujet qui vaille pour lui :

 

La dope.

 

Et Milo, qui est en « rehab Â», décline la proposition de Kurt le con qui sait très bien ce qu’il aime. L’héroïne. Le fait de prononcer le nom de la substance magique, c’est déjà prendre un peu du souffle de Milo. Et Kurt le con a l’œil. Lorsqu’il dit à Milo :

 

« C’est vrai, tu es devenu un Saint, maintenant …. Â». On sent encore toute cette différence de classe sociale entre Milo qui serait supérieur ou regarderait les gens de haut et Kurt le con qui sait qu’il est en tout bas. Et qui remet un peu en cause cet ordre mais sans animosité et, officiellement, sans rancune. Il est difficile de lire profondément en Kurt le con.

 

Puis, vient la question de Kurt le con à Milo : «  T’es clean ? Â». Là, ce passage devient extatique. Parce-que dans ce «  T’es clean ? Â», Kurt le con semble poser une question abstraite. Dire qu’on est clean, c’est comme parler de l’Au-delà. C’est une aspiration que l’on peut avoir lorsque l’on est addict mais qui reste de l’ordre de l’extraordinaire. De l’impossible. Donc, c’est comme si Milo avait affirmé qu’il était extra-terrestre. Ou qu’il était mort et ressuscité. Que de droitier, il était devenu gaucher en cinq leçons.

 

 Etre « clean Â», quand on écoute et regarde Kurt le con, on comprend que c’est peut-être, à ce qu’on dit, aussi bon que de prendre de la drogue, mais ça reste à voir. C’est comme l’histoire du paradis. Il semblerait que ça existe.

 

Foncièrement, Kurt le con ne connaît pas grand monde qui soit véritablement clean ou qui le soit resté suffisamment longtemps pour pouvoir le vérifier. Et, Kurt le con est le genre de personne très pragmatique qui ne croit que ce qu’il voit. Et, il voit très bien que Milo «  transpire Â» même si celui-ci vient de répondre que «  tout va bien Â». Nous, spectateurs, nous savons pour quelles raisons, et on le comprend, Milo peut transpirer depuis le début du film. Kurt le con, pas si con que ça donc, rien qu’en observant Milo ainsi que par intuition et par expérience, détecte, lui, le mensonge dans les propos et dans le comportement de Milo. Et c’est un des autres nombreux gros points forts du film :

 

A l’anniversaire de sa fille, Milo donne le change et personne (à part peut-être, Mike, le copain de Milena) ne remarque qu’il joue la comédie en souriant et en rigolant.

Il suffit de moins de cinq minutes ( la rencontre dure à peine une minute) à Kurt le con pour « dépister Â» Milo et voir qu’il est tendu. Et en manque….

 

Qui sont nos vrais proches ? Qui nous connaît le plus intimement ? Celles et ceux avec lesquels nous choisissons d’avoir une vie sociale, légale, rangée et normale ? Ou tous les autres ? Celles et ceux qui nous ont vus foncer à travers les lois et les règles. Et qui étaient parfois ou souvent nos complices, nos témoins ou nos adversaires lorsque nous étions hors-la-loi et/ou sans masque. En moins de cinq minutes, la scène avec Kurt le con claque ce genre de domino sur la table. 

 

Tout, dans cette scène, est à prendre. Depuis l’irruption de Kurt le con jusqu’à l’interruption de la scène et la sortie de Kurt le con. Et, évidemment, cette rencontre entraîne d’autres réactions de Milo jusqu’au dénouement du film.

 

Des films et des séries, nous en voyons et pouvons en voir et en regarder beaucoup même si actuellement les salles de cinéma sont confinées. Peut-être que beaucoup de salles de cinéma vont fermer à court ou à moyen terme du fait des conséquences économiques de l’épidémie. Et que le cinéma sera, alors, encore plus diffusé par VOD.

Ceci pour dire que nous avons aujourd’hui de toute façon un accès à une quantité énorme d’images. Mais certaines images et certains films restent plus que d’autres. Et on regarde beaucoup d’images de façon automatique, par convention, par gentillesse et aussi par politesse.

 

Malgré notre esprit critique, la surabondance d’images fait que l’on s’habitue à prendre le temps de regarder et  à en voir comme on peut s’habituer à manger des légumes et des fruits qui n’ont pas de goût parmi d’autres plats, fruits et légumes, qui, eux, nous marqueront pour leurs attraits.   

 

Cette scène entre Milo et Kurt le con m’a rappelé ce que ça peut faire de regarder un film qui a du goût. Ou ce que je peux à peu près rechercher dans un film. J’ai l’impression que je l’avais oublié. Bien-sûr, on ne peut pas toujours voir des chefs-d’œuvre. On n’est pas toujours suffisamment bien disposé soi-même d’ailleurs pour s’apercevoir que l’on a un chef-d’œuvre devant soi, qu’il s’agisse d’un film, d’un livre, d’un moment ou d’une rencontre. Mais qu’est-ce que ça fait du bien de le voir ! Le cinéma, aussi, peut jouer ce rôle-là. Nous rappeler qu’il suffit parfois d’une scène, d’un moment, de quelques secondes ou de quelques minutes, pour que nous puissions revenir à ce que nous aimons, à ce que nous sommes, à ce que nous savons faire :

 

Le vrai message de Pusher III ou L’Ange de la mort, pour moi, n’est pas que Milo aime l’héroïne et la défonce et que c’est un psychopathe et un  mafieux. Mais qu’il refuse d’être la pute ou l’esclave de qui que ce soit et qu’il fera tout son possible, comme il  se l’est promis à la mort de sa femme, pour offrir à sa fille tout ce qu’elle voudra. En cela, Milo est bien d’une certaine façon l’équivalent du personnage interprété par l’acteur Michael Shannon dans Take Shelter de Jeff Nichols ( 2011). Dans L’Ange de la mort comme dans Take Shelter, le héros principal étant le double- idéalisé- du réalisateur. Et c’est, à chaque fois, un héros qui se retrouve seul face à certaines décisions importantes et qui finit par trancher en prenant des risques.  

 

Franck Unimon, ce mardi 28 avril 2020.

 

 

 

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Lettre-Type

 

 

Photo prise en me rendant au travail ou en en revenant, mars-avril 2020.

                  Lettre-Type

 

En rentrant des courses tout à l’heure, j’ai croisé un de nos voisins avec sa compagne. Celui-ci et sa compagne m’ont témoigné leur reconnaissance pour ma compagne et moi. Le voisin savait que ma compagne travaillait dans le paramédical (comment a-t’il su ?) mais pas pour moi. Je n’ai pas pensé à lui demander dans quel métier il me voyait. Je réfléchis encore à mon orientation professionnelle. 

 

Un peu plus tôt, sur un réseau social, un ami-combattant que je connais dans la vraie vie, m’avait exprimé sa fierté de me connaître en cette période de pandémie et de confinement qui dure maintenant depuis un peu plus de cinq semaines. A cet ami comme à nos voisins, j’ai dit :

 

 Â«  Je  suis moins en première ligne que nos collègues de réanimation et des urgences ( j’ai oublié de citer nos collègues des Ehpad). Même, si, oui, en psychiatrie et en pédopsychiatrie, nous prenons des risques d’attraper le virus en prenant les transports en commun. Mais aussi dans nos services. Mais je ne me sens pas du tout un héros Â».

 

Dans les escaliers de notre immeuble, à un bon mètre de distance de moi, sa compagne derrière lui, le voisin était plus remonté que moi. Tous deux portaient un masque. Elle, en tissu, sûrement confectionné par elle-même. Lui, un masque de chantier jetable. Et, moi, un masque chirurgical jetable avec lequel j’avais quitté mon service lors de ma dernière nuit.

 

Le voisin m’a parlé de ce qui est désormais encore plus sur la place publique maintenant que l’épidémie est devenue une émission aussi névralgique que centrale dans nos vies. Et, cela, à un niveau mondial : le manque de reconnaissance depuis « trente ans Â» pour les personnels soignants. Il espérait que ça changerait après la période de confinement. Et que les gens sortiraient pour manifester avec les personnels soignants. Je l’ai un peu arrêté pour lui dire :

 

«  A mon avis, il y aura beaucoup de contestation sociale après le confinement. Pas uniquement les personnels soignants. Jusque là, les gilets jaunes étaient devenus assez isolés (Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020) . Mais, là, ils ne seront plus seuls Â».

 

 

 

La pandémie va t’elle changer le monde ? Peut-être pas cette fois. Mais elle y contribuera un peu plus. Ne serait-ce que d’un  point de vue personnel.

 

En attendant, pandémie ou pas, fin de confinement ou pas, l’être humain reste identique concernant certains traits de caractères. Et, en rentrant chez moi, après avoir quitté ces voisins reconnaissants, je n’ai pu m’empêcher de penser à ces collègues soignants en France et ailleurs qui ont été menacés, d’une façon ou d’une autre, par leurs voisins, afin qu’ils quittent leur immeuble ou partent travailler ailleurs car, en raison de leur profession, ils étaient susceptibles de transmettre le virus.

 

La profession soignante, dans son ensemble, a donc une aura mouvante. Tant on projette sur elle, de nouveau, tant de peurs et tant de défaites monstrueuses.

A quand un génocide des soignants en France et ailleurs ? Puisque, pour certains, nous sommes si monstrueux. 

Les soignants sont ces êtres impossibles à définir et dont les actes restent si difficiles à verrouiller dans le chiffre. Et on dirait même qu’ils le font exprès. Ils ne pourraient pas se contenter d’être des Saints et des Anges, une bonne fois pour toutes ?!

 

Hé non, les soignants ne peuvent pas être des Saints et des Anges. Même si, sans aucun doute, bien des soignants, à un moment ou à un autre de leur vie et de leur carrière, l’ont cru et le croient.

 

Alors, j’ai repensé à cette attestation dérogatoire de déplacement que nous devons tous, désormais, remplir chaque fois  que nous sortons de chez nous, en cette période de pandémie et de confinement, afin de nous justifier en cas de contrôle policier quant au bien fondé de la rupture, provisoire, de notre confinement. Pour aller au travail, comme mes collègues, j’ai une dérogation permanente valable un mois, qui doit être renouvelée, qui m’a été fournie par mon employeur via le service de la DRH.

Et, je me suis dit que, peut-être que je devrais dès maintenant, sur le même modèle, préparer une lettre type au cas où, ma compagne et moi, recevrions, un jour, une jolie lettre de menace d’une de nos voisines, ou d’un de nos voisins, compte-tenu de notre métier de soignant. Car si je crois en l’être humain pour de bon, je crois aussi en lui pour le pire. Cela est peut-être le résultat de ma déformation professionnelle ou personnelle. Peut-être aussi, parce-que je me connais un peu mieux moi-même.

 

Voici cette lettre-type que je m’imagine afficher bien en évidence en bas de mon immeuble si, une de mes voisines ou un de mes voisins déposait dans notre boite à lettres une lettre- que j’imagine anonyme- nous gratifiant d’insultes ou de menaces en raison de notre profession :

 

 » Chère voisine ou cher voisin,

 

J’ai accusé bonne réception de ce courrier que tu as déposé dans notre boite à lettres. Au vu du caractère très contagieux du virus qui court et qui nous obsède tous depuis plusieurs semaines, j’espère que tu as pris les précautions nécessaires en te risquant jusqu’à notre boite à lettres. Je n’aimerais pas avoir à apprendre que tu as attrapé le virus en sortant de chez toi.

 

Tu as donc appris que ma compagne et moi sommes des soignants. Et, dans ton courrier, tu nous enjoins à dégager. Je résume ta pensée.

Nous sommes en effet soignants, ma compagne et moi. Officiellement, même si cette appellation me fait un drôle d’effet, nous ferions partie des « héros de la Nation Â». Mais je comprends que, pour  toi, nous sommes plutôt des zéros de la Nation. Et qu’il faudrait plutôt nous rayer du voisinage.

 

Dans notre métier, nous nous occupons de tout le monde :

 

Des personnes déprimées. Des fous. Des personnes dangereuses. Mais aussi des lâches.

 

Tu te reconnaîtras peut-être un peu dans l’une de ces catégories de personnes. Et, si tu en trouves une autre, sache, que, dans notre métier, nous nous occupons aussi de ces personnes. «  Tout le monde Â», c’est vraiment «  Tout le monde Â».

 

Alors, faisons simple et rapide. Nous sommes soignants, ma compagne et moi. Mais nous lisons aussi les journaux et nous connaissons aussi la Loi. La Loi est très claire concernant le courrier que tu nous as adressé :

 

Ton courrier est interdit par la Loi. Donc, dès que je le pourrai, je me rendrai avec ton courrier au commissariat de notre ville qui, comme tu le sais, se trouve à peine à cinq minutes à pied de chez nous, et je verrai, là, si je fais une main courante ou si je porte plainte contre X. X, c’est toi. Moi, tu sais déja comment je m’appelle.

Je choisis de publier ce courrier en bas de notre immeuble bien en évidence afin que chacune et chacun sache à quoi s’en tenir nous concernant. Mais aussi par rapport à la Loi.

 

Et, je choisis aussi de publier ce courrier- au minimum- en bas de notre immeuble afin que le plus de personnes sachent quel genre de courrier tu t’es permis de nous adresser. Afin que, s’il nous arrive quoique ce soit dans les temps futurs, qu’il soit possible de te retrouver et de t’interroger quant à ton éventuelle responsabilité.

 

 

Franck Unimon.

Ps : de manière plus apaisante, et je l’espère, plus optimiste, il est possible de voir ou de revoir Panorama 18 mars-19 avril 2020

 

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Panorama 18 mars-19 avril 2020

Paris, 9 mars 2020.

 

Toutes les photos prises dans le diaporama qui suit ont été prises en me rendant au travail ou en en revenant. Exception faite bien-sûr des coupures de presse qui, elles, ont été effectuées à domicile. 

Franck Unimon

 

Musique : Dub Rastaquouere ( Serge Gainsbourg). 

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La série Warrior : L’Or du commun.

 

 

La série Warrior :   L’or du commun.

 

Lorsque tu apparais dans la lucarne en provenance de nulle part, l’endroit est myope et sourd.  Personne ne t’attend. Personne ne te connaît. Ta tête est un ballon. Et il y a plein d’autres ballons autour de toi qui viennent aussi de débarquer.

Question études, tu as peut-être été plus ou moins bon. Tu as sûrement des capacités que tu ignores dans un domaine ou un autre. Parfois, tu es même le seul à t’en rappeler.

Tu as aussi raté quelques cours. Quelques fois, plusieurs dans un même jour. Mais on ne va pas en faire une jaunisse. Tu as surtout manqué de concentration en classe et à la maison au moment de faire tes devoirs. Sauf pour te bagarrer. Pour ça, aucun problème de concentration. Tu faisais plutôt partie des premiers à te présenter. Et puis, le temps est passé.

 

Qu’il n’y’ait aucun malentendu, Ah Sahm : Tu as appris à lire et écrire. Tu sais compter. Tu sais faire d’autres choses. Tu pourrais en apprendre plein d’autres.

 

Mais tu n’as pas la bonne peau, le bon prénom, le bon accent, le bon sexe, le bon voisinage, la bonne famille, la bonne taille, le bon poids, la bonne blague. Le bon timing.  Et tu comprends vite – car tu es vif et intelligent-  qu’il y a plein de gens comme toi ;  que la vie est un marché sur lequel il faut savoir se démarquer et où le temps (une bonne occasion) ne passe à peu près qu’une seule fois.

 

Tu as ta fierté mais on te fait assez rapidement comprendre que ce que tu penses ou ressens ne fait pas partie de la discussion. On ne demande pas à un article disponible à la vente ce qu’il pense ou ressent. Et puis, tu es bien gentil mais on a déjà quelqu’un pour penser et planifier. Quelqu’un de formé, qui a fait ses preuves et qui aura toujours quelque chose de plus que toi :

 

 Le niveau d’études, le rang social, la nationalité, la peau, encore la peau, Ah Sahm. 

 

Quelqu’un dont le travail -et l’accent- est de prévoir l’arrivée de gens comme toi et de les gérer. De faire le tri.

 

Tout cela, tu l’as bien intégré. Lorsque nous commençons à faire ta connaissance, Ah Sahm, cela fait déjà sûrement un moment que tu as l’impression que tu es un raté, que tu as raté quelque chose et que tu as quelque chose à racheter. Pour cela, tu es prêt à prendre à peu près tous les risques. Naïvement, tu crois encore que tu peux sauver la mise.

 

Mais comme, de toute façon, on ne t’emploiera pas pour ton intelligence, ton humour ou ton allure, tu laisses les grandes idées aux autres pour accepter un emploi qui consiste à se bagarrer. Ça te convient parce-que tu veux te battre. Tu es triste et en colère et, pour cela, ton corps est à ta disposition. Tu pourrais le mutiler, le court-circuiter par la défonce. Ce n’est pas ton genre. Ton genre, c’est d’atteindre d’autres corps dont les forces et l’allure ne te reviennent pas parce-que leurs murmures se ressemblent :

Chaque jour, n’importe lequel de ces corps que tu croises peut vouloir te voler quelque chose. Alors, tu les corriges comme de la mauvaise graisse.

 

La justice du pauvre, c’est celle du corps. C’est avec son corps que le pauvre démontre ce qu’il vaut et ce qu’il ne vaut pas. Tu es plutôt pauvre, Ah Sahm.  Mais après avoir tourné en rond et t’être beaucoup entraîné, tu as développé des capacités  pugilistiques particulières. Ton corps, désormais, tranche avec ton passé où tu te faisais souvent dominer. Parce-que tu étais vulnérable. Pas assez malin. Trop impulsif. Il y avait toujours quelqu’un pour venir te cogner et te ridiculiser. Tu essayais de résister mais tu ne faisais pas le poids.

 

 

Je l’écris pour toi car, toi, tu vis dans l’instant présent. Tu dois être en train de fumer une cigarette ou de passer du temps avec tes potes. Mais, demain, maintenant, pour toi, ça ne change rien. La seule chose qui tangue pour toi, c’est qu’on t’a pris ton passé. Pourtant, si tu avais été une femme, selon le pays et l’époque, tu aurais peut-être dû te prostituer pour te défendre. En argot, lorsque l’on dit d’une femme qu’elle « se défend pour quelqu’un Â», ça veut dire «  qu’elle se prostitue pour quelqu’un Â». ça n’est pas un jugement. Je ne tiens pas particulièrement à ce que tu viennes me casser la tronche. Mais pense-y :

 

Lorsque l’on se défend pour quelqu’un, le tout est de savoir pour quoi et pour qui l’on se prostitue. Comment il nous protège. De qui.  Et de quoi. Regarde ta sÅ“ur, Mai Ling ! Il faut être un Fong Hai, descendant de Genghis Khan, pour oser insinuer qu’elle a moins d’importance qu’une pute et la défier.

Regarde ton amie et alliée Ah Toy, qui tient un bordel. Personne n’oserait dire qu’elle est incapable de se protéger et de se défendre.

Regarde aussi Pénélope Blake, la femme du maire, celle dont tu deviens l’amant.

 

Par ailleurs, Ah Sahm,  Ã  notre époque, certaines femmes deviennent de redoutables combattantes pour éviter d’avoir à se prostituer afin de gagner leur vie et aussi pour faire vivre leur famille. On peut préférer être sur un ring, en sueurs, prendre des coups plein la figure, et en donner, plutôt que d’attendre avec un string sur le bitume ou dans une camionnette que n’importe qui, à n’importe quelle heure, puisse venir se permettre de nous mettre des coups qu’il nous sera interdit de lui rendre au prétexte que le client est roi et que notre fierté doit trainer sa croix.

 

On peut aussi avoir un métier tout ce qu’il y a plus de légal, rémunéré et honorable, et avoir l’impression d’avoir un statut de pute ou de faire un travail de pute. Où, là aussi, on se doit de trainer sa croix et de faire ce que l’on nous demande. De s’exécuter.

 

On n’a pas beaucoup le choix si l’on veut échapper à une sanction disciplinaire, au chômage, à la pauvreté, rembourser une dette, essayer de nourrir sa famille. Parce que l’on sait aussi que si l’on refuse, il y en a beaucoup d’autres qui accepteront ce que l’on refuse. Et qu’au dessus de nous, existe un Pouvoir bureaucratique tout puissant qui s’y connaît en méthodes fantômes afin de nous faire payer notre comportement d’indiscipline ou de « révolte Â».

 

Pourtant, malgré certaines concessions ou compromissions, ça ne suffit pas toujours pour rester dans la partie. Pour être reconnu ou récompensé comme on l’aurait voulu.

 

 

La série Warrior est faite de ça. De l’or commun de ces gens qui ont quitté leur pays ou leur région pour aller vivre aux Etats-Unis du côté de San Francisco à la fin du 19ème siècle afin d’essayer d’éclaircir leur existence. On peut avoir trouvé très crue et racoleuse ma façon d’entrer dans le sujet. Ou caricaturale. Et ce sera sûrement vrai qu’il y a de la crudité, du racolage et de la caricature dans cet article. A-t’on déjà vu par exemple de la prostitution, sous n’importe quelle forme que ce soit, sans racolage ?

 

 

On apercevra pourtant dans le début de cet article une continuité avec ce que j’ai écrit dans Cités Numériques.

 

Entre les Canibouts, Nanterre, d’autres endroits en France, à San Francisco, ou ailleurs sur Terre,  je n’y peux pas grand chose si l’Histoire se répète. Je peux juste essayer de la raconter autrement comme elle nous arrive, de générations en générations,  en m’appliquant à faire en sorte qu’elle soit assez attrayante et aussi contemporaine que possible afin que le lecteur comprenne bien que ce qui s’est passé ailleurs et hier peut aussi se passer ici et aujourd’hui. Quelle que soit la fiction. Et c’est un peu ce qui se passe avec la série Warrior.

 

 

Le héros, Ah Sahm (l’acteur Andrew Koji, d’origine britannico-japonaise dans la vraie vie) débarque donc aux Etats-Unis, en provenance de Chine.

 

Si « Le Â» héros de Warrior est d’origine chinoise, c’est parce-que la série est inspirée des écrits de Bruce Lee. Et en partie de sa vie lorsque, débarquant aux Etats-Unis, avec des rêves de grandeur, il a connu le racisme en particulier. Bruce Lee, cette vedette internationale décédée en 1973 dont le souvenir reste impliqué dans bien des Å“uvres cinématographiques  a en effet connu le racisme aux Etats-Unis- y compris dans le milieu du cinéma. Ce qui a pu contrarier son trajet jusqu’à la célébrité. Mais depuis sa mort, on retient son charisme, parfois ses pensées et, bien-sûr, principalement certaines de ses attitudes martiales ou de ses tenues vestimentaires :

Que ce soit dans Kill Bill ou dans Once upon a time in Hollywood de Tarantino, Matrix des ex-frères Wachowski. On dira que deux de ces films datent maintenant. Mais ce serait oublier que des vedettes comme Jacky Chan et Jet Li, aussi bons soient-ils (et ils sont particulièrement bons) n’ont pu le faire oublier. Et que même après plusieurs Expendables ( avec Jet Li entre autres mais aussi avec Chuck Norris, covedette de La Fureur du dragon avec Bruce Lee) ou des films comme The Raid I  et II réalisés par Gareth Evans, dont les combats sont particulièrement réussis, la  marque  de Bruce Lee se maintient. On la trouve chez certains héritiers martiaux : Van Damme et Steven Seagal à une époque en occident, Jason Statham peut-être un peu aujourd’hui.

On avait pu l’espérer en Mark Dacascos  après Crying Freeman et Le Pacte des Loups de Christopher Gans. Mark Dacascos que l’on a eu plaisir à retrouver avec deux vedettes de The Raid dans le John Wick 3 : Parabellum  avec Keanu Reeves, converti depuis au Ju-Jitsu brésilien et qui « faisait Â» du Bruce Lee dans….Matrix.

 

Même le réalisateur Wong Kar-Wai fait une allusion à Bruce Lee à la fin de son film Grandmaster (2013).

 

D’ailleurs, parler de Ju-Jitsu brésilien aujourd’hui, revient à un moment ou à un autre à parler de MMA ne serait-ce que du fait, en grande partie au départ, des frères Gracie.

Le MMA a pour but d’être une sorte de « compilation Â» du meilleur de chaque discipline de combat, arts martiaux inclus.

 

Hé bien, on peut sans doute dire que Bruce Lee a sûrement contribué d’une façon ou d’une autre à l’émergence et à l’évolution du MMA dans sa recherche d’efficacité. Une scène, parmi d’autres, montre très bien l’exigence constante d’efficacité de Bruce Lee dans Opération Dragon (dernier film de son vivant) :  Alors que l’on voit des disciples de Han exécuter mécaniquement des katas, Bruce Lee, les regarde de loin avec un air de dédain. Plus tôt, au début du film, on l’a vu, en cours particulier, sermonner son jeune élève qui s’est mis à « penser Â» au lieu de « ressentir Â», à confondre « la colère Â» avec «  une parfaite tension émotionnelle Â». 

 

De la même manière que beaucoup d’apnéistes de haut niveau sont  encore capables aujourd’hui de citer le film Le Grand Bleu de Luc Besson parmi certaines de leurs références cinématographiques (tout en soulignant ses défauts concernant la pratique de l’apnée), Bruce Lee reste une des références pour beaucoup d’adeptes de sports de combats et d’Arts martiaux.

 

Question MMA, j’invite à voir ou revoir le film Piégée de Steven Soderbergh avec Gina Carano, ancienne championne de MMA.

 

https://youtu.be/9flxUdOWpu4

 

Cela dit, il y a bien-sûr eu et il y a bien sûr bien d’autres Maitres des Arts martiaux que ce soit en Chine ou ailleurs. Les adeptes du Kendo citeront le Japonais Miyamoto Musashi dont la vie – très romancée- est racontée par Eiji Yoshikawa dans La Pierre et le Sabre et dans sa suite, La Parfaite Lumière.

Et je ne sais même pas, d’ailleurs, si l’on peut dire de Bruce Lee qu’il était un Maitre absolu :

 

Un très grand artiste martial, oui. Un Professeur pour celles et ceux à qui il a enseigné, oui. Dont les acteurs américains  Steve Mac Queen et James Coburn.  Mais un Maitre ? Je ne sais pas. En Occident, oui.  

Mais en Asie ?  Même s’il a écrit. Je crois que ce doute existait déjà de son vivant en Asie. C’est uniquement pour cette raison que je le retranscris ici. Car je n’ai aucune compétence ou autorité personnelle pour répondre à cette question. Je me dis seulement  qu’un Maitre est synonyme de longévité et de sagesse. Or, Bruce Lee est mort à 33 ans et c’était aussi une vedette de cinéma. Il aspirait à cette célébrité. Ce qui dénote un peu pour un Maitre :

Soit on fait le show à Hollywood, soit on est un Maitre qui s’attèle à une certaine discipline qui consiste en particulier à contrôler son ego. Alors qu’on dirait que Bruce Lee a balancé entre les deux. Et c’est exactement ce qui se passe pour Ah Sahm dans Warrior.

L’acteur Andrew Koji dans le rôle d’Ah Sahm.

 

Ah Sahm (l’acteur Andrew Koji) est sensiblement prétentieux dès le début de la série. Etre bagarreur est une chose. Etre prétentieux en est une autre. On est avec Ah Sahm lorsqu’il refuse le mépris d’un représentant de l’ordre américain raciste à son arrivée aux Etats-Unis. On est plus critique à son égard lorsqu’il en rajoute dans la démonstration dans ses combats, ajoutant provocation  et suffisance.

 

Même si ce trait est un peu atténué chez Ah Sahm, Bruce Lee était originaire d’un milieu social plutôt aisé en Chine. Mais cette aisance sociale a été en partie transférée au personnage d’Ah Sahm dans le fait que contrairement à la majorité des Chinois qui débarquent en Amérique, Ah Sahm, lui, comprend et parle très bien Anglais. Ce qui lui donne un avantage supplémentaire certain, en plus de son expertise en art martial, sur ses compatriotes mais aussi sur les Américains qui regardent les Chinois de haut.

 

Et puis, le très haut niveau de pratique d’art martial d’Ah Sahm est un peu insuffisant pour expliquer le fait qu’il arrive presque en terrain conquis – même s’il lui arrive des déboires- dès le début de Warrior. On peut être quelqu’un de très sur de soi même en pays inconnu. Mais je me dis aussi que si l’on a toujours vécu à l’abri ou si l’on a toujours été protégé par quelqu’un depuis son enfance, que l’on peut se sentir comme Ah Sahm dès le début de Warrior : un peu tout puissant et très chien fou. Même s’il se fait acheter par les Hop Wei comme homme de main en raison de ses très bonnes aptitudes au combat.

 

 

Voici pour la présentation d’Ah Sahm. Il y a heureusement d’autres personnages dans Warrior qui donnent envie dont certains que j’ai déjà cités :

 

Jun Père, Mai Ling, Ah Toy, Buckley, Leary , Bill, Les Fong Hai, Pénélope Clarke…..

 

 

La série a des défauts. Je l’ai d’abord trouvée moyenne. Tant pour quelques tics- ou hommages- à la Bruce Lee. Que pour le fait que, par moments, la série Warrior donne l’impression d’essayer de faire aussi bien que Gangs of New York de Scorsese.

 

Mais, heureusement, son analyse sociale et culturelle s’élargit. On passe des Irlandais, aux Chinois en passant par le gars du Sud des Etats-Unis. La série a d’évidentes ambitions féministes.

Dans le 5ème épisode, sorte de mini-western, on a même une histoire d’amour avec une Amérindienne ( alors que les Amérindiens restent parmi les grands disparus de l’industrie cinématographique américaine)  et l’on voit même un des personnages de la série venir à « l’aide Â» de deux hommes noirs qui se sont risqués à venir prendre un verre dans un bar où on ne veut pas d’eux.

 

Au passage, on reçoit quelques enseignements martiaux : On apprend par exemple que pour gagner un combat, il faut avoir une cause à défendre.

 

Et puis, on voit que l’Amérique, celle des Etats-Unis, Première Puissance Mondiale actuelle, s’est construite sur le racisme, en prenant le meilleur de chaque communauté.

 

A ce racisme intérieur, Warrior essaie aussi de s’attaquer.

 

Je n’ai vu que la première saison. La deuxième saison est apparemment en cours de réalisation.

 

Pour conclure, Warrior a été crééé et produite par Jonathan Tropper,  co-créateur et producteur, entre-autres, de la série Banshee.

Justin Lin, réalisateur de Fast & Furious 6,  est un des réalisateurs de la série.  

 

Franck Unimon, mecredi 15 avril 2020.

 

 

 

 

 

 

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J’ai le moral. Je me sens bien. Et vous ?    

 

Depuis que j’ai regardé un documentaire sur le « quartier Â» des Canibouts, à Nanterre,  en 1981, grâce aux archives de L’INA, j’estime m’être plus déconditionné de l’épidémie du Coronavirus.   Initialement, après avoir lu une interview de Fary, j’avais d’abord cherché à regarder des prestations de l’humoriste Gaspard Proust. Puis, j’ai regardé Haroun. Thomas N’Gigol. Jérémy Ferrari (dont j’apprécie le gros travail de recherche et certaines réflexions mais qui ne me fait pas rire). Il y a longtemps que je me dis que ce serait bien de prendre le temps de regarder le travail fourni par des humoristes. Femmes et hommes. Je regrette de ne pas prendre ce temps. Puis ces archives de l’INA sur Les Canibouts sont restées là, à me faire de l’œil, sur la droite de l’écran. J’ai fini par cliquer dessus.   

 

 

 

Cinquante minutes durant, j’ai regardé ce documentaire. Même s’il est triste de se dire que pratiquement tous les problèmes rencontrés dans certaines banlieues et dans certaines cités aujourd’hui sont là, dans ce documentaire, qui date de 1981 :   Les jeunes originaires d’Algérie, nés en France, qui doivent choisir entre la Nationalité algérienne ou la Nationalité française. Et qui, s’ils ne choisissent pas, sont considérés comme « sans papiers Â» à 18 ans. Et, lorsqu’ils ont des papiers français sont défavorisés lors de leur recherche d’emploi : «  Quand on est Français, on ne s’appelle pas Saïd Â».  

 

La Drogue. LSD, cocaïne, Héroïne….  

 

La mauvaise cohabitation entre les jeunes, en « meutes Â», et les adultes travailleurs, retraités ou joueurs de boules. Une mixité sociale qui existait alors encore et qui, depuis, a éclaté et disparu, tels des couples et des familles qui, après plusieurs années de tentatives de vie commune, ont décidé de divorcer et de s’affronter.  

La BMW et la Golf, déjà, étaient les voitures de référence. Comme aujourd’hui, encore, pour certains, dans certaines banlieues et certaines cités.  

En regardant ce documentaire, je me suis dit que les élites de l’époque, en particulier politiques, ont soit continué leur Guerre d’Algérie, après la Guerre d’Algérie, sur le dos de milliers de jeunes originaires d’Algérie. Ou été proches, finalement, de certaines idées de l’Extrême Droite, dont on devine quelques futurs électeurs parmi ces adultes (tous d’origine européenne et blancs pour ceux que l’on voit) habitant aux Canibouts et excédés par les frasques des jeunes des Canibouts majoritairement d’origine maghrébine pour ceux que l’on voit.  

 

Plus jeune, je connaissais Les Canibouts de « réputation Â».  J’avais 13 ans en 1981 et je vivais à Nanterre où je suis né.  

La réputation des Canibouts était mauvaise.  

Au collège puis au lycée, j’ai connu quelques personnes qui en « venaient Â» ou y habitaient. Toutes ces personnes n’étaient pas des « mauvais Â» éléments. Bien des jeunes qui habitaient aux Canibouts ou près des Canibouts étaient de très bons élèves et se « tenaient bien Â». Mais ceux qui «dévissaient» le plus, eux, ont suffi à donner une mauvaise réputation. Et je ne les connaissais pas pas. C’étaient des personnages ténébreux.   

En repensant au documentaire hier soir ou ce matin, je me suis aperçu que les filles en sont absentes. On aurait dit qu’il y avait uniquement des garçons adolescents aux Canibouts. Où étaient les filles alors que l’on parle très peu de religion dans ce documentaire ? Et alors que l’on ne parlait pas, à l’époque, d’intégrisme religieux qu’il soit musulman ou catholique. On ne parlait pas non plus de barbu ou de femme voilée. Aucun des jeunes arabes que l’on voit  l’écran, en 1981,  dans ce documentaire, ne porte la barbe.  

 

Dans ce documentaire, je me rappelle aussi de cette mère, une des seules personnes de sexe féminin que l’on voit parmi les personnes originaires du Maghreb, qui s’exprime :   C’est la mère d’un des jeunes, Saïd, je crois.

Cette mère nous apprend qu’elle travaille de 6h du matin jusqu’à 21h. 15 heures de travail quotidien.  

ça me rappelle un peu le sketch de Pierre Desproges, Rachid, je crois, où il dit Ã  peu près :  

«  C’est drôle, comme, pour des fainéants, les Arabes sont des gens qui se couchent tard et se lèvent tôt Â».

Hé bien, la mère de Saïd est l’illustration concrète de cela. Peu de personnes accepteraient de trimer comme elle le fait.  Pour un travail qui consiste à faire des ménages.    

 

Dans le documentaire, cette mère finit par expliciter qu’elle n’a pas le courage d’aller voir deux de ses fils incarcérés à Fleury-Mérogis. Vaillante et lasse, elle explique qu’elle « comprend Â» que ses deux fils aient fait des bêtises qui les ont envoyés en prison car ils n’ont pas de travail. Ils n’arrivent pas à en trouver. Elle le dit sans colère et sans même souligner le fait que leurs origines maghrébines ont plombé leurs recherches d’emploi. On en a une démonstration lorsque Saïd, filmé, se déplace à l’ANPE ( l’ancien nom de Pole Emploi) de Nanterre-Université ( Au dessus de la gare de Nanterre-Université, anciennement appelée Nanterre-La-Folie et pas très loin de la Fac de Nanterre).  

Un peu plus tôt, il est mentionné que la cité des Canibouts est accolée à la Maison de Nanterre (L’hôpital de Nanterre) qui est « aussi un lieu d’exclus Â». Et que, peut-être que cette proximité avec la Maison de Nanterre, a-t’elle entraîné cette cité dans l’exclusion.   J’ai trouvé ce rapprochement un peu facile : car de la Maison de Nanterre comme des Canibouts, il est aussi sorti du bon. Et non loin des Canibouts, aux Pâquerettes par exemple, il y avait aussi des «problèmes Â». Mais il est vrai que Les Canibouts ont sans doute concentré les problèmes.

Il n’y a pas si longtemps, j’avais cru comprendre que les Canibouts, à Nanterre, avait la réputation d’être une plaque tournante de la drogue. Mais c’est sûrement aussi le cas dans certains coins d’Argenteuil où je vis. Et c’est sûrement aussi le cas dans d’autres endroits à Nanterre. Dans d’autres villes en France. En banlieue parisienne ou en province.  

 

Quoiqu’il en soit, en 1981, j’avais 13 ans. J’étais donc un peu plus jeune de 4 ou 5 ans que ces jeunes que l’on voit dans ce documentaire.  

1981, c’est l’année de l’élection historique de François Mitterrand. Il m’a fallu des années après sa mort (récemment) pour comprendre et apprendre que Mitterrand a souvent été un homme politique plus préoccupé par sa carrière politique et le Pouvoir que par la société française. C’est aussi, récemment, que j’ai découvert son rôle peu honorable d’homme d’Etat français pendant la Guerre d’Algérie. Et je me demande ce que son élection avait pu faire à certaines Algériennes et à certains Algériens qui avaient connu la Guerre d’Algérie (1954-1962).  

Je me rappelle encore des cris de joie de mes parents dans notre appartement de HLM, dans le salon, lors de l’élection de Mitterrand en 1981. Plusieurs des jeunes que nous voyons dans ce documentaire, pour ceux qui sont d’origine algérienne, sont sans doute des enfants de celles et ceux qui avaient connu la Guerre d’Algérie.  

 

A côté de ça, (1981, c’est aussi l’année de la mort de Bob Marley) en regardant ce documentaire, je me suis aussi dit que je m’en étais véritablement plutôt « bien Â» sorti compte-tenu de la cité où j’avais grandi à Nanterre.    

 

D’une part parce qu’à l’époque, ça ne s’était pas autant dégradé comme par la suite. Même si j’ai connu- de près ou de loin- quelques personnes  qui ont « mal tourné Â» à partir de l’adolescence, dans ma cité, ça allait « mieux Â» que dans d’autres cités et dans d’autres villes de banlieue hier et aujourd’hui.  

 

Je pense à la Seine Saint Denis dont sont originaires Kool Shen et Joey Starr du groupe de Rap NTM dont j’ai le même âge à un ou deux ans près. La Seine Saint Denis reste, je crois, le département le plus pauvre de France. Alors que le 92, où j’ai grandi (dans une tour HLM de 18 étages) est encore à ce jour, le plus riche de France. Mais comme on le voit dans ce documentaire sur les Canibouts, on peut vivre dans le 92 et être mal parti dans l’existence. On peut aussi venir du 92 ou y habiter (je n’ai pas vérifié) et être l’un des Rappeurs les plus populaires depuis des années : Booba.

De toute façon, question musique, on peut venir de partout. Si ce que l’on fait plait, celles et ceux qui écoutent ne nous demanderont pas nos papiers.  

 

D’autre part, je m’en suis sans doute bien sorti parce-que mes parents ont su me donner des limites. Parce-que j’ai été en mesure de les accepter.  Parce qu’ils ont été suffisamment solides mentalement dans la vie et qu’ils ont toujours eu un emploi qui leur a permis d’assurer les frais de la vie quotidienne. Mon père n’est pas alcoolique. Ma mère n’était pas dépressive. Mes parents ont continué de faire « couple Â» comme on dit, pour le pire et le meilleur. On peut s’en sortir sans ça mais c’est plus difficile.

 

J’ai aussi reçu de l’amour d’une façon ou d’une autre quand j’ai grandi. On peut aussi vivre sans amour, Romain Gary l’explique très bien, mais c’est aussi plus difficile.  

 

Je m’en suis également à peu près sorti parce que mes parents ont pu nous emmener ailleurs (colonies de vacances pour moi – c’était moins cher à l’époque- moments de retrouvailles avec d’autres membres de la famille,  fêtes foraines,  fêtes antillaises, séjours en Guadeloupe par le biais des congés bonifiés).   

Et aussi parce-que mon père m’a permis, avec des méthodes pédagogiques personnalisées datant de la bible,  Ã  la lumière flottante de la bougie et à coups de ceinture pénétrante, de raccrocher le wagon de la scolarité que j’avais commencé à laisser filer :

Je me sentais peu concerné par l’école en prime abord au CP, préférant rêver. Jouer. Et regarder la télé. Quelles drôles d’idées !

Grâce à mon père, je suis devenu performant à l’école. Et, lorsque j’écris un nouvel article, afin de m’encourager, je dépose toujours une petite ceinture à côté de moi. Et, j’allume une bougie. Quelques fois, quand ça ne marche pas comme je veux, je frappe l’écran de l’ordinateur à coups de ceinture. Après ça, je me sens mieux. Je vois mieux où j’en suis et je peux reprendre mon article.

Vous n’avez aucune idée du nombre de coups de ceinture que mon écran d’ordinateur a pu recevoir juste pour cet article.   

Puis, j’ai découvert le plaisir de la lecture et l’existence de la bibliothèque municipale, endroit magique, par le biais d’un de nos instituteurs de l’école primaire (publique).  

 

Dans ce documentaire sur les Canibouts, j’ai aimé entendre – sans doute pour la première fois- Yves Saudmont, l’ancien maire communiste de Nanterre, qui avait longtemps eu pour moi l’image du maire inamovible jusqu’à ce que sa suppléante, Jacqueline Fraysse-Casalis, ne prenne sa succession. Jusqu’aux années 2000 et la la tuerie qui avait eu lieu lors d’un conseil municipal présidé par Jacqueline Fraysse-Casalis.

J’avais entendu parler de la tuerie par les média ainsi que par un collègue qui avait aussi grandi à Nanterre.   

La mairie de Nanterre, où a eu lieu la tuerie, est proche de la bibliothèque de Nanterre. Un parvis les sépare. Mes parents s’y sont mariés en 1985. En 1985, après avoir été au collège Evariste Galois, après avoir été à l’école primaire Robespierre, j’étais au Lycée Joliot-Curie.

Une rue sépare le Lycée Joliot-Curie de la mairie comme de la bibliothèque. Environ cinq cents mètres.

La bibliothèque est en hauteur. A mon époque, la bibliothèque « surmontait » un supermarché Casino. Casino où j’ai rarement fait des achats ( biscuits ou autres friandises) : les prix de ce Casino m’ont toujours marqué par leur « hauteur ». Plus élevés que le supermarché Sodim, puis le Félix Potin, de ma cité. Plus élevés que le Suma près du collège Evariste Galois. Ce qui ne m’a pas empêché de voler dans leurs rayons. Et de finir par me faire attraper- pour un vol de crêpes bretonnes ( 5,25 francs les 10)-  par le « vigile » de Suma. Un homme d’origine asiatique.

 

Lorsque j’arrivais à la bibliothèque, toujours à pied, j’étais auparavant passé « devant » le théâtre des Amandiers. Théâtre où je suis, à ce jour, allé une seule fois dans ma vie. C’était avec notre prof de Français de 3ème, Mme Askolovitch/ Epstein, afin d’aller y voir Combats de Nègres et de chiens. Pièce de théâtre qui m’avait moins plu- que j’avais moins bien comprise- que le film E.T de Spielberg que nous étions aussi allés voir avec elle au cinéma de la Défense de l’époque. 

Après être passé « devant » le théâtre des Amandiers, je passais devant la piscine de Nanterre où j’étais allé à la piscine avec l’école et où mon père m’a appris à nager la brasse à sa façon avant de m’inscrire à des cours de natation auxquels je n’ai pas toujours été assidu.

Puis, suivait le stade de Foot avec sa piste d’athlétisme que j’ai connue en cendrée, avant celle en tartan du stade Jean Guimier construite plusieurs années plus tard, en bordure du parc de Nanterre.

Mes années Carl Lewis. Mes années Miles Davis, Jazz, Dub et Reggae.

Mes années « Conscience Noire » avec des modèles noirs principaux américains même si je connais Aimé Césaire et la Négritude de nom. Le Zouk de Kassav’, et, avant lui, d’autres tubes de groupes antillais- dont des groupes haïtiens, me parle aussi. J’ai aimé The Message de Grand Master Flash quelques années plus tôt. Mais j’ai aussi aimé Gaby, oh, Gaby de Bashung. Comme j’ai aimé écouter Love on the beat  de Gainsbourg, Everything wants to rule the world  de Tears For Fear, le Tainted Love de Soft Cell ou des tubes de Depeche Mode.

Par contre, je n’aime pas le Hard Rock. Je n’écoute pas la musique classique. Et je rejette la variété française que je vois comme de la crécelle. Je suis admiratif devant le Break Dance et tout ce qui concerne la danse Hip-Hop. Bien-sûr, James Brown et d’autres artistes noirs américains tirant dans le Funk et la Soul font partie de mes modèles. Dont Michaël Jackson. 

Mais je ne comprends rien à cet engouement ainsi qu’à tout ce tapage autour du groupe U2 avec l’album War

 

A l’extérieur de ce cirque aussi mental que musical, il est un autre endroit à cette époque où je fais beaucoup de cercles :

Je connais le parc de Nanterre beaucoup plus pour y avoir fait des footing et des entraînements d’athlétisme que pour m’y être promené. Avec mon club d’athlétisme, l’Entente Sportive de Nanterre, ou ESN, qui reste un des meilleurs exutoires de mon adolescence.

Le théâtre des Amandiers a le parc de Nanterre derrière lui. Le théâtre des Amandiers est à quelques centaines de mètres de l’arrêt de bus 304 qui permettait (qui permet?) en prenant la direction de Colombes, d’aller à la Préfecture, accessible à pied, à la gare de Nanterre-Université, mais aussi de se rendre à la Maison de Nanterre ( l’hôpital de Nanterre) proche des Canibouts.

Si l’on prenait ( si l’on prend ?) le bus 304 dans la direction de la place de la Boule, on arrive rapidement devant le Lycée Joliot-Curie, la bibliothèque et la mairie de Nanterre. 

 Lorsque je me rapprochais, enfant, puis collégien et lycéen, de l’entrée de la bibliothèque de Nanterre, on pouvait voir la mairie de Nanterre en contrebas, sur la droite.

 

  Je connaissais « le tueur » de la mairie de Nanterre.  Je l’avais connu au lycée Joliot-Curie de Nanterre. Je me souviens bien de lui ( Au Lycée). J’avais alors à peu près l’âge qu’ont ces jeunes des Canibouts dans le documentaire. L’une des seules personnes rencontrées dans ma jeunesse à Nanterre qui a pu faire parler de lui, médiatiquement, est un tueur. Une personne qui, après son acte, s’est suicidée en se jetant par la fenêtre du commissariat.   

 

Dans le documentaire sur les Canibouts, en 1981, en écoutant Yves Saudmont  j’ai pu m’apercevoir- et m’étonner- de son érudition et de sa grande aisance pour s’exprimer. Aisance supérieure pour ce que j’en ai vue à celle du Maire actuel d’Argenteuil, Georges Mothron.  

Mais, pour résumer, il suffit de regarder ce documentaire pour à la fois penser au film Le Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef. Pour penser à certaines émeutes dans « les Â» banlieues. Pour comprendre que l’avènement du Rap comme prise de parole d’une certaines jeunesse et d’une certaine catégorie de la population française (au départ plutôt défavorisée socialement, économiquement voire racialement) allait couler de source. Mais aussi que le FN, devenu RN, allait connaître une ascension constante. Ainsi que l’intégrisme religieux. Mais aussi le terrorisme. Comme certaines mouvances fascistes et néo-fascistes. Et certains groupes d’autodéfense. Et, évidemment, tant de mouvements de contestation sociale.  

 

Voir dans ce documentaire que le quartier de la Défense était devenu une sorte de « paradis Â» pour les jeunes des Canibouts (mais aussi pour bien d’autres jeunes, dont j’ai fait partie) avec la création du centre commercial Les Quatre Temps est tout un symbole :  

Le quartier de la Défense est un quartier d’affaires.  

 

Pendant que nous étions des milliers de jeunes à venir baver sur des vitrines et sur une richesse matérielle qui nous semblait le but principal à atteindre dans une vie au point d’être toujours volontaires pour dépenser un argent qui nous manquait tout le temps, quitte à chouraver dans les rayons, apprenant en cela notre future activité d’addicts et de consommateurs, d’autres, que nous ne voyions pratiquement jamais ou alors sur un écran ou dans un journal, faisaient de véritables affaires et voyaient beaucoup plus loin que nous dans l’espace et dans le temps.  A défaut de croire en nos capacités d’aller sur la lune un jour, nous voulions bien nous contenter de nous rendre dans un centre commercial. Ça compensait.  

 

La Défense, aperçue, au fond, avec la Grande Arche, depuis le parc de Nanterre.

Quarante ans plus tard, en 2020,  notre monde a évolué : En plus des boutiques physiques,  Internet et nos vies numériques se sont développées entre-temps et nous nous y sommes acculturés. Nous sommes contents de pouvoir baver en illimité, si nous le voulons, à n’importe quelle heure, sur quelque chose à mater, à chouraver, à consommer ou à acheter. On peut même l’écrire, le filmer ou le photographier et le mettre en ligne. Aux lignes de coke que l’on sniffe s’ajoutent désormais nos vies que nous mettons nous-mêmes en ligne et que d’autres peuvent sniffer, identifier ou détester.   

 

Aujourd’hui, nos cités sont aussi devenues numériques. Et nous avons parfois beaucoup de mal à en sortir. Peut-être réapprenons-nous en permanence à vider notre mémoire et à devenir amnésiques. Le pied !    

Franck Unimon, vendredi 10 avril 2020. ( Photos prises en Mars 2019).  

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Addictions en temps de pandémie

Confinés 1.

 

 

Addictions en temps de pandémie.

 

Sans doute faut-il être un petit peu formé aux thérapies familiales, avoir vu certains films tels Canine (réalisé en 2009 par Yorgos Lanthimos), lu certains ouvrages et articles sur le sujet.

 

Ou plus simplement :

 

Sans doute faut-il avoir été témoin- ou acteur- de certains événements pour savoir qu’il existe régulièrement une rupture entre la plus ou moins belle image qu’incarne une famille,  un couple ou un groupe et ce qui se passe à l’intérieur de cette famille, de ce couple ou de ce groupe derrière le grillage des agréables assurances et des sourires.

 

On peut multiplier les exemples de films sur ce sujet. On peut même citer Opération Dragon de Robert Clouse avec Bruce Lee. Mais aussi The Naked Kiss de Samuel Fuller, Get Out de Jordan Peele, L’Impasse de Brian de Palma,  John Wick ou Le Chant du Loup  d’Antonin Baudry ou Alien…. Tous ces films et bien d’autres parlent du confinement imposé au héros sous forme d’un destin le plus souvent imposé ou, quelques fois, choisi (Bruce Lee dans Opération Dragon par exemple, les héros du film Le Chant du Loup) que le héros essaie de surmonter et qui le révèle à lui-même dans ses échecs et fracas (le plus fréquemment) comme dans ses succès (plutôt rares) souvent obtenus au forceps.

 

On ne compte plus les héroïnes et les héros administrés par l’alcool ou une autre substance psychoactive que ce soit au cinéma ou dans les polars et romans et qui, pourtant, font sortir les «pourris Â» du circuit. On s’identifie à quelques unes et à quelques uns de ces héroïnes et de ces héros ainsi qu’à leurs adversaires qui sont souvent leur propre reflet. Ne serait-ce qu’en acceptant régulièrement d’aller se confiner dans une salle de cinéma (oui, ce temps reviendra) pour aller voir et vivre avec une certaine ambivalence toutes ces histoires sur grand écran. Et/ou en se livrant soi-même régulièrement ou de temps en temps à certaines de ces conduites addictives :

 

« Or, qu’il s’agisse de consommation de produits psychoactifs, de jeux vidéo ou de dépendance au travail, l’addiction n’a pas attendu le SARS CoV-2 pour affecter les salariés. L’étude Impact des pratiques addictives au travail, menée en septembre 2019 par GAE Conseil, indiquait que 44% des salariés jugent les pratiques addictives fréquentes dans leur milieu professionnel.

« Les expériences de la NASA ont démontré que le stress provoqué par le confinement pouvait conduire les personnes les mieux préparées à prendre de mauvaises décisions, rappelle Eric Goata, administrateur de la Fédération des intervenants en risques psychosociaux (Firps) Â».  C’est extrait de la chronique d’Anne Rodier dans le journal Le Monde du jeudi 26 mars 2020, partie Management, page 19. Titre de la chronique :

Le manageur face à la pandémie de Covid-19.

La chronique d’Anne Rodier se termine en répondant à la question suivante :

 Mais comment un manageur peut-il reconnaître les salariés à risque à distance ?

Eric Goata répond : « En repérant les alertes, une agitation verbale, un silence inhabituel, un comportement automatique de gestes routiniers sans utilité pour l’organisation sont autant de signaux faibles à prendre en considération Â».

 

Dans le film Planète Hurlante ( réalisé en 1995 par Christian Duguay) vu en dvd il y a plusieurs années, je me rappelle encore de cette scène où, sur une planète éloignée de la Terre, revenant d’une mission, un homme interpelle son collègue resté à la base.

Mais si le collègue lui répond d’abord « normalement Â», ensuite, il ne cesse de répéter la même phrase.  Jusqu’à ce que la porte de la base ne s’ouvre et qu’un cortège de robots hurleurs (plus effrayants que les robots chasseurs de Karaba la sorcière dans Kirikou) ne vienne à sa rencontre.

 

Bien-sûr, une personne « Ã  risque Â» du fait du télétravail et qui se rapprocherait du burn-out en période de confinement est à différencier d’un des robots hurleurs de Planète Hurlante où l’on devient assez rapidement l’un des meilleurs « amis Â» de la paranoïa. Car nous sommes dans l’univers de Philippe K.Dick. Mais aussi dans le nôtre :

 En cette période d’épidémie, une accalmie mentale peut être recherchée sous la forme d’un calumet un peu spécial. Ce peut être la nourriture. Cela peut être le sexe. Cela peut être des images. Mais cela peut aussi être ces substances psychoactives qui peuvent déboucher sur des addictions ou les entretenir.

 

« + 15% de ventes sur le rayon cave d’Auchan Â» ; «  On est passés de six réunions en visioconférence par semaine à une trentaine, qui s’étalent de 8 heures du matin à 23 heures du soir, nous confirme Laurent, membre des Alcooliques anonymes Â» ( Page 13, dans la rubrique Société/ Crise du Coronavirus du journal Le Parisien du jeudi 26 mars 2020. Titre de l’article : L’alcool, pour oublier).

Toujours dans cet article de Le Parisien, ce passage :

 

« En réalité, c’est la peur, l’anxiété, le fait de ne pas voir de fin à ce confinement qui augmente le stress et peut donc créer un besoin d’alcool et une surconsommation. Dans ce contexte, les personnes seules sont encore plus à risques, analyse la psychologue spécialisée. D’ailleurs, pour les personnes addictives, il y a un fort risque de majoration de la consommation Â».

Confinés 2.

 

Plus loin, page 15, toujours dans le même numéro de Le Parisien, ces propos du Général Jean-Philippe Lecouffe, gendarme, dans cet article intitulé :

« La gendarmerie est en alerte sur les trafics de chloroquine Â» .

 

Celui-ci alerte à propos de la cybercriminalité :

 

« Oui, il faut appeler les internautes à être encore plus prudents que d’habitude. (….)

Beaucoup de personnes travaillent sur des ordinateurs, parfois personnels, en télétravail, sans disposer des moyens de protection d’un service informatique d’entreprise. Nous observons des attaques par rançongiciels ou des hameçonnages avec vol de données. Par exemple, des envois d’e-mails livrant un point de situation détaillé sur le Covid-19, ou évoquant la chloroquine, avec une pièce jointe. Dès que celle-ci est ouverte, l’internaute se retrouve avec non pas le coronavirus….mais un logiciel espion. Nous surveillons aussi tout ce qui est manipulation de l’information sur les réseaux pour détecter les « fake new Â» sur le Covid-19 Â».

 

Concernant les trafics de drogue, voici la réponse, toujours, du général Jean-Philippe Lecouffe, toujours dans Le Parisien de ce jeudi 26 mars 2020, page 15 :

 

« Ce qu’on pressent, compte-tenu du confinement, c’est qu’une partie de la vente de la drogue se reporte sur le Darknet. Les consommateurs ne vont plus se déplacer, ils vont essayer de passer par des systèmes de livraison avec des dealers qui bénéficient d’autorisation de circulation. Il y aura une probable « ubérisation Â» du business Â».

 

A propos des violences conjugales, le même Jean-Philippe Lecouffe répond :

 

« Les violences faites aux femmes restent une priorité. Je veux être clair : même en période de confinement, nos unités continuent à intervenir quand elles reçoivent des appels d’urgence. (….) Je rappelle que la gendarmerie possède une brigade numérique que l’on peut contacter 24 heures sur 24 sur Internet Â».

 

Rencontrer ce patient dont je parle dans mon article Faire des images m’a sûrement inspiré ce sujet et rappelé le séminaire sur les addictions où j’étais allé en janvier et dont je compte rendre compte ensuite.

 

Franck Unimon, mercredi 8 avril 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Kongo : Délire antioxydant

 

 

Le 14 mars dernier, après avoir croisé une manifestation « des Â» gilets jaunes ( Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020  ) , j’étais allé voir le film Kongo dans la seule salle qui le projetait à Paris et peut-être en France. La petite salle de cinéma près du jardin du Luxembourg était pleine. Nous n’étions pas encore confinés. La « saison Â» du confinement allait s’ouvrir quelques jours plus tard. Et elle est encore en cours. Prendre le temps aujourd’hui, presqu’un mois plus tard, d’écrire sur ce film aura peut-être une résonance particulière dans notre contexte d’épidémie du coronavirus Covid-19.

 

 

Au début de Kongo, l’apôtre Médard, la cinquantaine, est assis. Il regarde la foule qui s’anime devant lui. Son strabisme et son statut de guérisseur, après en avoir obtenu la licence, lui font peut-être voir ce que peu voient lorsqu’il commente :

 

« C’est tout de même étrange, le Congo…. Â». Puis, il évoque les difficultés quotidiennes, pour la majorité des Congolais, à trouver de quoi s’en sortir. Et, il ajoute :

« En plus, les sorciers sont là pour nous bloquer Â».

 

Tout le long du film, on restera la majeure partie du temps avec l’apôtre Médard et ses disciples. L’apôtre Médard et ses consultations. Cela commencera par une séance d’exorcisme d’un jeune en présence de sa famille. A l’issue de la séance, le jeune affirmera qu’il va mieux. L’apôtre Médard dira aux parents :

 

« La prochaine fois, n’attendez pas avant de venir me voir Â».

 

Lorsque des membres de la famille du jeune demanderont à l’apôtre Médard de leur révéler l’identité de celui qui avait jeté un mauvais sort, « pour l’avertir Â», celui-ci répondra que ce n’est pas dans sa déontologie de donner ce genre d’informations. L’apôtre Médard peut alors passer pour un guérisseur attaché au secret professionnel ou pour un charlatan avisé.

 

Plus tard, un homme dont la jambe est douloureuse viendra le voir. L’apôtre Médard mordra la jambe de l’homme jusqu’au sang puis recrachera le sang qu’il examinera avant d’expliquer :

 

«  Tu vois, on t’avait tiré dessus Â».

 

Un peu plus tôt, on aura vu une de ses anciennes disciples retourner le voir après que ses deux fils se soient faits tuer d’un éclair dans la maison. Le père et époux sera le suspect numéro un et on assistera à un procès rituel. L’apôtre Médard sera convoqué comme témoin mais aussi comme accusé par le père et époux qui le considérera comme  responsable de tout.

 

 

Délire mystique collectif ? Peut-être. Mais le versant du monde que Kongo nous montre peut rappeler ce texte L’enfant du pays de Dany Laferrière  mis en musique par Arthur H et Nicolas Repac dans l’album L’Or Noir où il est question de Legba («  Le Dieu qui se tient à la frontière entre le monde visible et invisible Â») et que le sextant d’un esprit uniquement habité par Descartes et l’Occident ne saura ni situer ni évaluer à sa juste mesure préférant seulement y voir l’attribut d’un peuple d’arriérés.

 

 

 

Car c’est bien à notre Culture d’occidentaux  et à ses limites que Kongo nous confronte. Si le délire collectif au Congo nous saute aux yeux, le délire collectif qui siège en Occident peut aussi sauter  aux yeux des Congolais comme à d’autres Cultures du monde.

 

Parce-que par delà le délire collectif qui semble d’abord s’exposer sous nos yeux d’occidentaux serpentent ensuite quelques percées qui nous font voir que celles et ceux qui passent pour fous dans Kongo sont loin d’être aveugles :

 

«  Nos ancêtres sont nos vrais Dieux Â». « (…) Car les Chinois détruisent notre royaume. Depuis que les travaux ont commencé, les sirènes sont menacées Â».

« Dans le monde visible, les sorciers sont souvent des personnes d’apparence respectable Â». «Aujourd’hui, les jeunes ont tendance à oublier Â».

 

 

 

Si l’on retrouve dans Kongo l’opposition manichéenne entre la Culture traditionnelle estropiée, idéalisée ou disparue et la Culture occidentale blanche du colon historique,  l’emprise de plus en plus arachnéenne de la Chine en Afrique y est aussi montrée tandis qu’une élite africaine, plutôt invisible dans le film,  contribue encore,  d’une façon ou d’une autre, comme magnétisée, à cette « Ã©volution». Et,  à la fin du film, plutôt que ridicule dans ses vêtements rituels de guérisseur, l’apôtre Médard apparaît comme l’un des derniers résistants sur cet immense chantier de l’Afrique dont les Congolais, mais aussi bien des Africains dans d’autres pays, semblent les premiers absents. Comme si leurs corps vivaient en étant habités par d’autres.

 

Franck Unimon, mardi 7 avril 2020.

 

 

 

 

 

 

 

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Faire des images

 

 

                                                  Faire des images

 

L’économie est le canon d’une arme. Son barillet tourne aussi mécaniquement qu’une horloge dont chaque oscillation, répercutée contre nos tympans, est scrutée par des comptables qui désignent de nouveaux coupables à chaque retard de paiement.

 

Depuis Covid-19 (on aimerait l’appeler coït 19 mais ça ne sera pas pour aujourd’hui), colt viral qui a fait de notre présent son cheval, l’ombre de la note s’allonge. Pour certains, c’est celle de la mort, pour d’autres, la maladie ou le chômage. Pour d’autres encore, la musique d’un découragement et d’un dédoublement dont il est difficile de sortir.

 

Le dernier album de Brigitte Fontaine, Terre Neuve,  est depuis quelques jours celui que j’écoute. J’avais sûrement besoin de sa folie. L’album était chez moi depuis plusieurs semaines. Mais Manu Dibango avait alors toute mon attention. On va souhaiter à Brigitte (Fontaine) de tenir plus longtemps que Manu Dibango.

 

Le premier titre de Terre Neuve, «  Le Tout pour le Tout Â» qui parle de la vie et de la mort s’accorde bien avec le néon de nos préoccupations actuelles.

Il y a du Bashung dans sa façon de dire son texte. Plus loin dans son album, on pense à Gainsbourg, au groupe Portishead (le titre «  Ragilia Â») et à d’autres influences.

 

Mais Brigitte Fontaine est bien-sûr Brigitte Fontaine dans cet album plutôt rock.  Je l’avais découverte en concert à l’Olympia grâce à une amie il y a plus de vingt ans. Et je l’avais revue ensuite en concert dans la salle de concert de Cergy St-Christophe, l’Observatoire, où j’ai vu d’autres très bons concerts :

 

Les groupes Brain Damage (Dub), Improvisator Dub ( Manutension était encore vivant), High Tone, Daby Touré, Susheela Raman. J’y avais même vu Disiz La Peste qui, malgré l’incorrection facile de certains spectateurs, avait su tenir son micro et sa scène.

 

 

Après l’album de Brigitte Fontaine, l’EP d’Aloïse Sauvage, Jimy, attend son passage. Puis, il y aura l’album de Damso, Lithopédion. Et, si j’en ai vraiment le temps vu que ma fille est à « l’école Â» aujourd’hui, je mettrais l’album de La Rumeur, Du CÅ“ur à l’Outrage. Et j’extrairai à nouveau des titres de l’album The Downnward Spiral de Nine Inch Nails :

 

Au moins, les titres «  Mr Self Destruct Â», « Closer Â» que j’avais découverts à leur sortie grâce à un ancien collègue, Poupée, en 1994 ou 1995, et dont l’attrait, sur moi, persiste. Aujourd’hui, Poupée vit à la Réunion.

 

 

En parlant de Rap, j’aurais aimé pouvoir parler de l’album de Ausgang sorti il y a peu ou peut-être de celui d’Isha. Mais je n’ai pas encore eu la possibilité de les écouter. Ni la disponibilité.

 

 

Mais l’horloge de l’économie tourne et mes heures sont comptées. Qu’est-ce que je pourrais raconter, de pas trop long, et qui puisse intéresser un peu celles et ceux qui vont suivre ces lignes ?

 

J’ai connu ce week-end et ce matin mes premiers contrôles policiers en allant au travail et en revenant. A chaque fois à la gare St Lazare. Cela s’est très bien passé avec les policiers. Au point que, d’une façon un peu paradoxale et amusante, c’est même un ancien patient croisé par hasard hier matin près de la gare St Lazare en revenant du travail qui m’a assuré :

 

« Ã§a va, ils sont cool Â». Nous étions alors devant la gare St Lazare et pour le préserver d’un nouveau contrôle, je venais de lui proposer de nous en éloigner alors que deux cars de police se trouvaient à une dizaine de mètres de nous, sur le parvis de la gare.

 

J’ai fait la connaissance de ce patient dans un service spécialisé dans le traitement des addictions dans mon hôpital où il m’arrive de faire des remplacements. J’ai postulé trois fois dans ce service. Mon CV est bon m’a-t’on répondu. Et il est rassurant de me voir arriver lorsque je  me présente dans ce service.  Pour y effectuer des remplacements, payés en heures supplémentaires. Mais il y a toujours eu un « Mais Â» pour ne pas m’embaucher et embaucher quelqu’un d’autre à ma place lorsqu’un poste s’y est libèré. Au prétexte que je manque « d’expérience dans le domaine des addictions Â».

 

Cette inexpérience dans le domaine des addictions mais aussi dans le domaine relationnel, hier matin, je l’ai modérément sentie, en présence de ce patient.

 

Il était d’abord drôle de nous reconnaître l’un et l’autre dans la rue. Je portais un masque chirurgical et un bonnet quand même.

 

 

Pourtant, nous nous sommes facilement reconnus. J’avais bien-sûr un « avantage Â» sur lui. Je voyais son visage découvert. Mais cela ne l’a pas empêché de « savoir Â» qu’il me connaissait. Même s’il m’a demandé ensuite d’enlever mon bonnet après mon masque.

 

Sans doute est-il un spécialiste de l’observation en temps ordinaire. Pour frayer, en tant que consommateur, dans l’univers des substances addictives illégales, j’imagine qu’il en faut des capacités d’observation. Et d’adaptation. A son environnement. A ses interlocuteurs. Aux situations rencontrées. Et, là, il venait de passer la nuit dehors.

 

Après plusieurs semaines d’abstinence, il avait rechuté, devant ses neveux, chez une de ses sÅ“urs où il était en confinement. Sa sÅ“ur l’avait très mal pris. Dehors. Alors, il a pris le train pour venir sur Paris où il est allé chez un « ami Â» qui l’avait dépanné d’un bedo.

 

Quelques jours plus tôt, dans le service spécialisé dans le traitement des addictions où nous nous étions croisés, avait eu au téléphone le médecin qui le suit.

 

Il m’a ainsi appris que le service d’hospitalisation spécialisé dans les addictions où nous nous étions croisés allait bientôt rouvrir après avoir fermé pendant une dizaine de jours.

 

Il a ainsi répondu spontanément à une question que je m’étais posé ces derniers temps :

 

Les personnes sujettes aux addictions avec substance me semblent faire partie des personnes particulièrement exposées au Covid-19. Je pensais d’abord à l ‘affaiblissement  de leur organisme du fait de leur consommation. Mais, ce matin, je pense d’abord aux multiples contacts qui leur sont nécessaires pour se procurer leur substance, au milieu où ils se le procurent (coin de rue ou fêtes….), aux moyens employés ( la prostitution peut en faire partie) et au fait que respecter la distance sociale sera loin- pour certains- d’être leur première priorité.

 

D’ailleurs, pendant que je discute devant la gare St Lazare, avec ce patient, la distance sociale d’un mètre n’y est pas. Je le constate. Mais je ne peux rien dire. Au même titre que dans le service de pédopsychiatrie où je travaille, j’ai déjà plusieurs fois présenté mes excuses aux jeunes pour me présenter devant eux – comme mes collègues- avec un masque chirurgical sur le visage, avec ce patient, je constate à nouveau que l’une des bases de notre travail relationnel en psychiatrie, en pédopsychiatrie ou dans toute activité professionnelle psycho-sociale, c’est, avant tout de se montrer à visage découvert devant celle et celui que l’on « engage Â» à nous rencontrer.

 

C’est le minimum.

 

Dans une rencontre « directe Â», en vis-à-vis,  il est très difficile d’inspirer confiance à quelqu’un si cette personne voit à peine la couleur de nos yeux, ce qui s’y passe ainsi que ce qui se passe sur notre visage. C’est le ba-ba.

 

Et, avec ce patient qui vient de passer la nuit dehors, qui vit une période un peu délicate, qui me répond que son traitement neuroleptique d’un mois est resté chez sa sœur, je ne me vois pas trop insister sur la distance sociale.

 

Pourtant, je dois aussi penser à moi. A ma compagne et à ma fille qui sont chez moi pour commencer.

 

Alors, mon masque chirurgical toujours sur le visage, à côté de ce patient, j’essaie de trouver une petite distance corporelle qui puisse être un bon compromis entre la distance sociale amicale élémentaire et la distance sanitaire recommandée. Officiellement, elle est de un mètre. Mais, la veille, un collègue pédopsychiatre nous a appris que c’est vraiment le minimum. L’idéal, ce serait trois mètres de distance sociale durant cette période de pandémie.

 

Je dois être dans une distance comprise entre 30 centimètres et 50 centimètres avec ce patient qui est sur ma droite. Et, de temps à autre, je tourne ma tête vers le côté opposé tout en l’écoutant.

Il est très renseigné à propos de l’épidémie. Il pense que ça va durer comme ça tout le mois de Mai. Il n’est pas plus inquiet que ça en le disant. Même si, bien-sûr, il est inquiet me répond-t’il, à l’idée d’être contaminé. 

 

Lui et moi, nous discutons ainsi pendant quinze à vingt minutes devant la gare St-Lazare. Lorsque je lui dis que je dois y aller, il comprend et me remercie d’être resté un peu avec lui. Je vois bien à son sentiment de gratitude que ce moment a été pour lui l’équivalent d’un remontant. J’insiste pour qu’il aille se mettre au chaud. J’insiste encore pour qu’il aille récupérer son traitement neuroleptique chez sa sÅ“ur. Il acquiesce. Il ne me paraît pas trop déprimé, pas trop persécuté. Pas trop fatigué. Il a manifestement des perspectives. Il m’a parlé de son patron actuellement bloqué en Martinique. J’ai un moment regardé près de nous si un lieu de restauration rapide était ouvert. Mais cela l’a plutôt mis un peu sur le qui-vive :

 

« Qu’est-ce que tu regardes ?! Â».

 

Je lui ai expliqué. Mais tout était fermé. Lui donner un peu d’argent était selon moi à éviter alors je ne lui en ai pas parlé.  De son côté, il ne m’a rien demandé.

 

Après nous être séparés, j’ai essayé de joindre le service où lui et moi nous étions revus deux mois plus tôt. J’ai eu de la chance :

Le service était ouvert. Et le médecin de ce patient en particulier était présent m’a appris l’infirmier qui m’a répondu. Alors, j’ai pu lui raconter.

 

Ce contact direct, hors d’un bureau, voire d’un service, et de la paperasse,  me convient bien, je crois. Même si je l’ai assez peu vécu professionnellement (sauf si l’on pense à mes interviews de réalisateurs et d’acteurs en tant que journaliste cinéma) comparativement à mes années dans un service en tant qu’infirmier. Et que mon inquiétude, et celle de ma compagne, se concentre plutôt, dans ce genre de travail, dans le risque d’être exposé à certaines maladies ou infections.

 

J’ai eu cette inquiétude dernièrement pour une de nos collègues qui s’est portée volontaire pour aller travailler dans un des services de notre hôpital qui prend en charge les patients en psychiatrie adulte porteurs du Covid-19.

J’ai lu comme tout le monde que le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch, a réclamé dernièrement plus de respirateurs. Et aussi plus de personnel soignant, en particulier infirmier, pour faire face à la pandémie, soit sur la base du volontariat ou en réquisitionnant ce personnel.

 

La nécessité de personnel soignant présent et compétent ( dans les techniques d’urgence et de réanimation médicale ou chirurgicale) pour « répondre Â» à la pandémie, personne ne la contestera. Et si j’ai d’abord pensé que seuls les hôpitaux publics étaient sollicités pour « répondre Â» à la pandémie, j’ai depuis lu dans un journal que les établissements privés appuyaient l’effort sanitaire en vue de « répondre Â» à la pandémie (article d’Antoine Boudet Comment le leader de l’hospitalisation privée en France, Ramsay Santé, fait front  dans Les échos du mercredi 1er avril 2020, page 21). Donc, j’avais une vision biaisée concernant l’attitude des établissements de soins privés. Même si j’imagine qu’après la pandémie, cette « solidarité Â» du privé avec le public, aura un coût d’une façon ou d’une autre. Car il faut se rappeler que « l’économie Â» dirige nos vies et que nous avons à payer, d’une façon ou d’une autre, pour avoir le droit de vivre dans nos sociétés modernes.

 

Mais parler de « réquisitionner Â» au besoin du personnel soignant, en particulier infirmier, est un vocabulaire à mon avis assez suspect ou étrange :

 

Car, que ce soit par sa culpabilité, son sens du Devoir ou du fait des décisions imposées par sa hiérarchie, le personnel infirmier se fait souvent réquisitionner en temps ordinaire. Pour toutes sortes de raisons. «  Pour le bien du malade et de ses proches Â». « Pour l’éthique Â». « Pour les besoins du service Â».

 

Et, je n’ai même pas envie de redire- comme cela l’a déjà été fait à plusieurs reprises depuis cette pandémie- que cela fait des années (selon moi, depuis une génération) que le personnel soignant et les syndicats préviennent les différents gouvernements des effets délétères de la casse organisée des hôpitaux publics. Et avant son appel récent, Martin Hirsch a participé à cette casse organisée des hôpitaux publics. ( on peut lire l’article Crédibilité Ã©crit en novembre de l’année dernière bien que Martin Hirsch n’en n’ait pas été un des acteurs directs). 

 

Martin Hirsch et d’autres personnes décisionnaires ont des connaissances sur la pandémie et sur les besoins sanitaires pour y « répondre Â» que n’ai pas. Par contre, j’ai appris qu’il se trouve dans mon hôpital au moins deux services où 75% du personnel infirmier est en arrêt de travail.  Et je ne sais pas tout. Et cela fait « seulement Â» trois semaines que les mesures de confinement sont appliquées avec distance sociale etc….

 

Donc, réquisitionner du personnel infirmier en arrêt de travail ou porteur du Covid-19 paraît être une drôle de façon de penser : C’est une façon  de penser à court terme. Comme d’habitude. Comme s’il suffisait de débusquer du personnel infirmier caché sous des rochers. Un peu comme des coquillages que l’on ramasse sur la plage à marée basse. Qu’il suffit de venir avec ses bottes, sa pelle et son seau et de se servir.

 

 Ces 75 % de personnels en arrêt de travail, je ne les connais pas. Mais il y avait déjà du personnel infirmier en arrêt de travail avant la pandémie. Et c’est assez facile de comprendre que ce pourcentage d’infirmiers en arrêt de travail augmente avec la pandémie après avoir contracté le Covid-19 ou par anxiété afin d’éviter de le contracter. Oui, on peut être «  Une héroïne ou un héros de la Nation Â» et avoir peur de tomber malade ou de mourir.

 

Parce-que c’est très joli d’être surnommés «  les Héros de la Nation Â». Mais, concrètement, des héros de la Nation qui partent au combat sans armes (gants, masques FFP2, tenues de protection, avec moins de possibilités de jours de repos etc…), c’est plutôt des personnes suicidaires, sacrifiées ou inconscientes qui vont affronter pratiquement à mains nues, avec de l’eau et du savon, un virus plutôt inquiétant qui, lui, ne prend pas de jour de congé et se contrefiche de l’horloge de l’économie.

 

 

Ma collègue volontaire pour aller travailler dans une unité Covid en psychiatrie m’a répondu qu’elle estimait y être mieux protégée que dans notre propre service. Car dans l’unité Covid où elle va aller travailler, ils y portent des «  tenues de cosmonautes Â». Et, elle m’a retourné les préventions que j’avais pour elle :

 

«  Toi, aussi, fais attention à toi Â».

 

 

Ça et là, les avis divergent quant à la suite de la pandémie. On entend dire qu’un certain nombre de jours de vacances seront sucrés. Que pour une durée indéterminée, on renoncera aux 35 heures. Afin d’essayer de « rattraper Â» ce qui a été perdu en productivité. Car il est impératif de limiter le plus possible les répercussions économiques de la pandémie.

 

Un ancien Ministre de l’Education, spécialiste des croisières où il se fait bien payer pour ses conférences, et aussi grand philosophe qu’historien, dans un article, raille les collapsologues, les écologistes et Nicolas Hulot.

Pour lui, à l’évidence, après la pandémie, le business reprendra as usual.

(Chronique Les Vautours de Luc Ferry dans le Figaro du jeudi 26 mars 2020, page 25) :

 

«(….) La croissance libérale mondialisée repartira donc en flèche dès que la situation sera sous contrôle. Les revenus de nos concitoyens auront diminué, certes, mais ils auront aussi fait des économies et elles inonderont le marché dès la fin du confinement Â».

 

« (….) Pour le reste, ce sera reparti, non pas comme en 14, mais comme dans les périodes d’après-guerre. «  Business as usual Â» est l’hypothèse la plus probable, et du reste la plus raisonnable, n’en déplaise aux collapsologues. Je crains qu’Hulot, Cochet et leurs amis ne doivent patiemment attendre la prochaine crise pour se frotter à nouveau les mains Â».

 

Et, sans doute très content de son humour comme de son intelligence, Luc Ferry conclut sa chronique de cette façon :

 

« Ps : Pour ceux que ça intéresse, vous pouvez me retrouver chaque jour vers 15 heures sur Instagram, pour un cours sur les grands moments de l’histoire de la philosophie. C’est une histoire géniale et c’est gratuit ! Â».

 

 

Je crois en effet que les Puissants et les privilégiés dont fait partie Luc Ferry mais aussi la patronne du RN (même si celle-ci réussit à se faire passer pour une proche du « peuple Â» et des gens modestes) resteront à leur place de Puissants et de privilégiés si la pandémie les laisse indemnes économiquement, socialement et personnellement.

 

Et qu’ils continueront d’excréter leurs certitudes et leurs visions du monde, et de les imposer, car ce monde dans lequel nous vivons encore leur convient. Ils y ont leurs entrées, leurs connexions, leurs intermédiaires, leurs bénéfices, et leurs remparts. Ils peuvent s’y permettre d’y dire à peu près tout et n’importe quoi. Le temps que la Justice les rappelle à l’ordre, d’une part, lorsque cela arrivera, ils auront une somme symbolique- en guise de réparation- à payer à la société et, d’autre part, entre-temps, ils auront continué à assurer leur promotion personnelle, économique et sociale. Ils courent peu de risques à s’exprimer dans tous les sens. Leur plus grand risque est de passer inaperçus et d’être oubliés ou exclus de la scène publique.

 

 

Et, il faudra un grand désastre, que la pandémie dure suffisamment longtemps et détruise une bonne partie de ces entrées, de ces connexions, de ces intermédiaires et de ces remparts qui protègent les Puissants et les privilégiés qui prônent un monde à l’identique après la pandémie pour qu’ils commencent à se dire qu’il faut peut-être changer de modèle d’action, de vie et de pensée. Et apprendre, peut-être, à coopérer avec les autres plutôt que de continuer à les mépriser.

 

Mais, pour l’instant, comme le dit Luc Ferry dans sa chronique, les Puissants et les privilégiés – qui sont favorables au fait de rester dans notre monde libéral tel qu’il est- sont convaincus qu’à un moment ou à un autre, ils reprendront «  le contrôle de la situation Â». Que l’on parle de Luc Ferry, du Président Macron, de Donald Trump, Poutine, Bolsanaro et d’autres. Politiciens, Puissants hommes d’affaires etc….

 

 

Ce n’est pas étonnant de leur part : Un Puissant ou une Puissante, est une personne qui peut tenir une position, une volonté, en vue d’atteindre un but, un objectif, coûte que coûte et qui y parvient. C’est vrai pour un sportif de haut niveau. Mais c’est également vrai pour une femme ou un homme politique. Pour une PDG ou un PDG. Et celles et ceux qui nous gouvernent sont aux postes qu’ils occupent parce-que, en maintes occasions, elles ont su, ils ont su, tenir un cap, arriver là où ils le souhaitaient, malgré les difficultés rencontrées.

 

Pendant que le Président Macron parle des soignants comme des « Héros de la Nation Â», il livre ses propres combats dont il est convaincu qu’il sera, lui aussi, le Héros. Comme il a pu être le Héros des élections présidentielles. Et c’est pareil pour Trump, Poutine etc….

 

Donc, on peut leur faire « confiance Â» sur ce point :

 

Si, comme Luc Ferry l’avance, la pandémie s’arrête assez « vite Â», Macron, Poutine, Trump et toutes celles et ceux qui nous gouvernent, et celles et ceux qui les entourent, sauront s’attribuer les mérites de la grande victoire sur la pandémie du Covid-19. Et ils sauront s’affirmer comme les personnes les plus légitimes pour nous dicter encore plus de quelle façon notre monde et nos vies doivent tourner.

 

 

Le seul moyen pour que notre monde change véritablement est donc que nos Puissants actuels (hommes politiques, PDG etc….) se confrontent….à leur impuissance. Et ça, la pandémie peut aussi le décider. Par ses effets directs ou indirects qui touchent et toucheront quantité de gens avant de les atteindre, eux, les Puissants. Et nous n’en sommes pas là pour l’instant, je crois. Même si, déja, beaucoup de personnes souffrent depuis le début de l’épidémie.

 

C’est donc la raison pour laquelle on a un Luc Ferry qui peut crâner comme il le fait dans sa chronique du Figaro. Et c’est la raison pour laquelle, pour l’instant, on nous parle, après la pandémie, de « rattraper le temps perdu Â» etc…pour combler le déficit économique. Et, surtout, pour conserver exactement le même mode de vie mais en plus radical. En plus extrême.

 

Pour l’instant, nos Puissants et nos « penseurs Â» qui voient comme unique monde futur possible notre monde actuel à l’identique- mais en plus dur- me font penser au personnage de Cersei dans Games of Thrones  ( article Game of Thrones saison 8 ):

Jusqu’au bout, Cersei a cru au triomphe de sa vision. Et lorsqu’il lui a été impossible d’échapper à la défaite de sa vision, brûlée et détruite par la vision de Daenarys, une extrémiste plus puissante qu’elle, elle aurait pu se jeter dans le vide. A la place, elle s’effondre sous les pierres de son propre royaume avec son chéri.

 

A la fin de Games of Thrones, il est très difficile de réussir à trouver parmi les survivants une personne restée indemne de tout trauma. Il y a surtout des personnes qui s’en sortent un peu mieux que d’autres. Il y a beaucoup de victimes. Et une haine meurtrière éloignée et amadouée (Ver-Gris).

 

La refonte du système de santé dont parle le Président Macron à l’issue de la Pandémie ?

On va déjà essayer de tenir jusqu’à la fin de la pandémie. Parce-que, que l’on soit d’accord ou pas les uns avec les autres, on est au moins d’accord sur le fait qu’il faut continuer de serrer les fesses en vue de sortir de cette pandémie. Même si l’on devine que certains pays, certaines économies, certaines régions et certaines personnes s’en sortiront mieux que d’autres.

 

Mais ce qui, déjà, me fait une drôle d’impression, c’est le fait que l’on parle de prime pour les soignants à l’issue de la pandémie. Si l’on nous octroie une prime, je l’accepterais évidemment. Je ne vais pas la donner à Luc Ferry.

Mais j’ai l’impression que si l’on en reste uniquement à parler de « prime Â» pour les soignants, cela signifie que, d’une façon ou d’une autre, on veut acheter le silence des soignants tout en conservant le modèle sanitaire et social à peu près tel qu’il est. Et tel qu’il a exposé ses failles.

 

Et, comme l’ont dit d’autres personnes : à côté des soignants, il y a d’autres professionnels dont il faudra revaloriser et revoir l’évolution de carrière, le salaire, le statut social. Qu’il s’agisse des éboueurs, des caissières, des conducteurs de transports en commun ( surtout lorsqu’ils ont pu se montrer corrects voire avenants contrairement au chauffeur de bus d’hier soir) des pompiers, des policiers, des enseignants, des agriculteurs etc….enfin, toutes ces personnes qui sont soit au contact ou en première ligne de la population, ou à son service, au quotidien et qui, eux, ne bénéficient pas de remparts, de connexions, de raccourcis, d’intermédiaires, de trucs, de passe-droits lorsqu’il s’agit de mener un combat ou de tenir un contrat social garant de la bonne santé d’une société. Et dans le mot santé, je pense évidemment beaucoup au bien-être sous toutes ses formes.

 

 

Dans Le Figaro, toujours, de ce jeudi 26 mars 2020, page 24, donc une page avant celle où l’on trouve la chronique de Luc Ferry, il y a cette interview de Marcel Gauchet, historien et philosophe, que je ne connaissais pas (contrairement à Luc Ferry beaucoup plus médiatisé que Marcel Gauchet). Dans cette interview intitulée «  Si cette crise pouvait être l’occasion d’un vrai bilan et d’un réveil collectif Â»  réalisée par Alexandre Devecchio, il y a ces passages que je restitue :

 

Alexandre Devecchio demande : La crise du coronavirus a révélé les failles d’un système de santé que l’on croyait parmi les meilleurs du monde ainsi que notre extrême dépendance envers la Chine. Comment en est-on arrivé là ?

 

Réponse de Marcel Gauchet : « (….) Nous disposons d’établissements de pointe qui sont au meilleur niveau mondial. Mais cette brillante zone d’excellence (qui est celle que fréquentent nos élites) cache un tableau d’ensemble moins reluisant) Â».

 

A.D demande Pourquoi l’Europe est-elle devenue l’épicentre de la crise sanitaire, tandis que des pays théoriquement moins développés, comme la Corée du Sud, la surmontent avec de très faibles pertes humaines et sans confinement généralisé ?

 

« (….) C’est que la Corée est mieux développée que nous ne le pensions. Elle monte tandis que nous descendons. Nous payons en Europe le prix d’un sentiment de sécurité mal fondé et d’un sens exacerbé jusqu’à l’anarchie des libertés personnelles. La discipline confucéenne est meilleure conseillère en la circonstance. Ajoutons que la proximité avec la bombe biologique que constitue la Chine incite à l’anticipation et à la prudence Â».

 

Que révèle la crise sanitaire des fractures de notre pays ?

 

« (….) L’inégalité entre riches et pauvres n’est pas une découverte. Il est plus agréable de passer le confinement dans une grande maison avec jardin  à la campagne qu’entassé à plusieurs dans un appartement exigu.

(…..) Mais il y a une fracture que je n’avais pas perçue à ce point et que je trouve très inquiétante pour l’avenir, qui est la fracture générationnelle entre jeunes et vieux. Elle s’est manifestée en grand au travers des attitudes de défi, presque, vis-à-vis des règles de protection qu’on a observées dans un premier temps. Sans que rien ne soit dit ouvertement, il était visible qu’une population jeune se sentait peu concernée par le sort de la population âgée, victime prioritaire de la maladie pour le dire poliment. Les jeunes savent bien qu’ils seront vieux un jour. En attendant, ils voient un système social qui fonctionne massivement à l’avantage des seniors, sans qu’eux-mêmes soient assurés d’en bénéficier à l’avenir. Il y a là un décalage dans les perspectives existentielles qu’il va falloir prendre très au sérieux Â».

 

Certains observateurs vont jusqu’à vanter le « modèle chinois Â». La Chine peut-elle sortir gagnante de la crise ?

 

 » La force totalitaire a toujours eu et continue d’avoir ses admirateurs. (….) Et ne cédons pas bêtement au miracle de l’efficacité chinoise. Ne pas oublier que c’est à la volonté initiale d’escamoter le problème- caractéristique de ce genre de régimes- que nous devons la pandémie mondiale. Le point de départ est un Tchernobyl sanitaire qu’il a fallu ensuite compenser par des mesures policières extrêmes qui n’ont pas empêché la diffusion planétaire du virus. Les dirigeants chinois ont certainement l’intention de sortir gagnants de la crise. Ils le montrent déjà, en ne se privant pas de nous donner des leçons Â».

 

Quelles leçons pouvons-nous d’ores et déjà tirer de cette crise ?

 

« (….) Arrêtons une bonne fois avec les âneries sur le postnational. Les marchés ne font pas le travail. Seconde leçon qui découle de la première : la qualité de la vie dépend plus du niveau des équipements collectifs que des revenus individuels. Le système de santé et le système d’éducation sont ce que nous avons ensemble de plus précieux. C’est à eux que doit aller la priorité Â».

 

 

 

Depuis le début de cet article, l’album de Brigitte Fontaine, Terre Neuve, a été remplacé par l’EP d’Aloïse Sauvage. Si les deux titres, Présentement et Parfois Faut ont été plaisants à l’oreille, je ne peux pas dire que je les ai véritablement écoutés, concentré que j’étais sur l’écriture de cet article. Voyons ce que ça donne avec l’album Lithopédion  de Damso que j’avais écouté une première fois. Je me souviens avoir trouvé court son titre Silence avec Angèle : «  Ta vérité n’est pas la mienne Â». Et un peu trop de gros mots jonchaient son Rap qui peut et sait s’en passer.

 

Ce matin, en arrivant devant la gare St Lazare, j’ai vu « venir Â» mon premier contrôle policier avec file d’attente. J’ai été principalement contrarié en voyant que la distance sociale était peu respectée par deux personnes derrière moi. Cela m’a poussé à me rapprocher de la policière après l’avoir entendue répéter qu’elle demandait au personnel hospitalier d’avancer jusqu’à elle. J’ai donc dû dépasser quelques personnes devant moi et suis entré rapidement dans la gare St Lazare.

 

 

Dans le train, j’ai constaté ce que nous sommes déjà plusieurs à constater : Les gens refluent de plus en plus dans les transports en commun. Par nécessité économique sûrement.

 

Le titre Baltringue de Damso traîne des gros mots «  sales Â» mais la dynamique me plait bien. Il me semble qu’on y trouve du Booba. Je sais que les deux sont fâchés. Mais ce n’est pas une raison pour s’empêcher de le voir.

 

 

Devant la gare St Lazare tout à l’heure, deux personnes venaient de s’installer. «  Pour faire des images Â». J’ai demandé à l’homme pour quel média ils travaillaient. Il a différé pour parler dans son téléphone :

 

«  Je suis à St Lazare. On ma demandé de faire des images Â».

 

Je suis parti avant qu’il ne me réponde. La file d’attente m’a aspiré. Puis la policière. Puis l’escalator. Le train. Puis cet article.

 

 

 Hier soir, j’avais pris avec moi un livre court :

 

Une femme d’ici et d’ailleurs «  La liberté est son pays Â»  de Fadéla M’Rabet.

 

L’idée était de lire autre chose que du Coronavirus Covid-19 comme je le fais depuis plusieurs semaines. Même si ça va mieux. Et que je me crois moins obsédé par lui.

 

Sauf qu’il m’a fallu environ trois heures pour m’apercevoir que ma collègue d’hier soir, au travail, me parlait à plus de 90% uniquement de ça. Du Covid-19. Ce matin, quinze minutes avant que n’arrivent nos collègues de jour, rebelote. J’ai fini par lâcher la carte :

 

  • Tu arrives à penser à autre chose ?
  • Oui m’a-t’elle répondu. 

Puis, elle de me dire qu’il paraît qu’on pouvait désormais se procurer du CHA. Du CHA ? Oui, du gel Hydro-alcoolique. Et comment tu fais quand tu fais tes courses m’a-t’elle ensuite demandé ? Quand tu rentres chez toi ?

 

 

C’est seulement sur les dix minutes qui ont précédé l’arrivée de notre première collègue de jour, que nous avons pu véritablement parler d’autre chose. Cinéma.

 

Dans le train du retour chez moi, j’aurais pu ouvrir le livre de Fadéla M’Rabet. J’aurais aussi pu écouter de la musique via mon baladeur audiophile. Mais il y a ce besoin d’être vigilant fréquemment. Par rapport à la distance sociale.

 

Hier soir, j’ai appris que la jeune qui nous avait sollicité  mardi, toutes les 30 secondes, notre autre collègue de nuit et moi, à partir de 3 heures du matin, et avec qui la proximité physique était inévitable, avait été testée au Covid. Par la technique de l’écouvillon dont les résultats ont, comment dire, une marge d’erreur.

 

Les résultats sont revenus négatifs. Mais au vu de la fièvre de cette jeune et de sa perte d’odorat, « notre Â» médecin-chef a rappelé qu’il valait mieux la considérer comme « positive Â». D’autant que l’intensité et l’expression des symptômes peut varier d’une personne à une autre.

 

Je suis peut-être contaminé. Je l’étais déjà peut-être avant. Il me reste encore quelques jours avant de « savoir Â» si je ressens certains des symptômes courants :

Fièvre,  difficultés respiratoires, épuisement, perte d’odorat, de goût, courbatures ou autres. Mais peut-être que mon symptôme principal consistera-t’il à faire des images.

 

Ps : ces photos ont été prises soit en me rendant au travail soit en en revenant.

 

Franck Unimon, lundi 6 avril 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ce week-end, nous sommes passés à l’heure d’été. Comme chaque année, à cette période de l’année, nous avançons nos montres d’une heure.

 

Mais nous avons tellement de retard sur nos peurs et nos angoisses qu’il faudrait avancer nos horloges internes de plusieurs heures ou de plusieurs années  pour essayer de le combler. Et même comme ça, ce ne serait peut-être pas suffisant.

 

Notre planète sera un jour à court de certaines de ses richesses mais le réservoir de nos peurs et de nos angoisses est, lui, inépuisable. Inévitable. Nous sommes chacune et chacun des quantités astronomiques de ces peurs et de ces angoisses et nous sommes désormais des milliards sur Terre. Même s’il nous arrive régulièrement de penser que nous sommes seuls sur Terre.

 

J’ai lu dans ce numéro du journal Les Echos que je cite et récite, au point que l’on pourrait se demander si c’est la seule fois de ma vie que j’ouvre et lis un journal, qu’il a vraisemblablement fallu «  en gros, 250 millions d’années pour constituer les stocks de charbon de gaz et de pétrole qu’on est en train de griller, d’après les spécialistes, en seulement 250 ans ! Â» (Chronique de Xavier Fontanet, dans le journal Les Echos du jeudi 26 mars 2020, page 12).

 

Pour que nos peurs et nos angoisses soient des réservoirs à ce point inépuisables, je me demande combien de temps il a fallu à l’Humanité pour les constituer. Le jour où on le saura, sans doute parviendrons-nous, aussi, à entrer dans l’immortalité.

 

Sur ces peurs et sur ces angoisses, je n’ai pas plus de droits que les autres. Et j’ai peur ainsi que des angoisses comme tout le monde. Peut-être pas de façon aussi visible que d’autres. Peut-être pas toujours pour les mêmes raisons que d’autres. Mais cela ne change rien :

 

Les peurs et les angoisses ne sont pas destinées à des défilés de mode. Et je ne me perçois pas comme un couturier de mes peurs et de mes angoisses que j’exposerais plus que d’autres à travers des mannequins vivants. A travers des bouquins, peut-être. Si j’y arrive un jour.

 

En attendant, je me résume aussi à des articles comme celui-ci.

 

 

Mon meilleur ami s’inquiète pour moi. Il me l’a dit il y a quelques jours.  Ma mère et ma sÅ“ur, aussi. Un autre ami, également. Et encore un autre.  Et d’autres personnes encore.

 

Ces attentions me font plaisir. Je les reçois au coup par coup. Cette épidémie est une épreuve d’endurance. Et il n’y pas que le physique qui compte. Il y a aussi le mental, le moral. Comment on se repose. Comment on détruit ses mauvaises « morales Â». Oui, j’ai bien écrit « détruit Â». « Détruit Â» plutôt que « couver Â» ou «  nourrir Â». Détruire peut avoir du bon. Esquiver, aussi. Détruire l’invisible. Esquiver cette occupation invisible.

On est presque dans une expérience délirante (et dépersonnalisante ) : collectivement, et chacun à sa façon, nous essayons de détruire ou d’esquiver l’invisible.

 

Hors du contexte d’une épidémie, de cette épidémie,  qui est bien réelle, si on racontait ça à quelqu’un :

 

« J’essaie de détruire l’invisible. De l’esquiver Â». Elle ou il nous prendrait pour un fou.

 

 

L’inquiétude de mon meilleur ami pour moi est bien réelle. Ainsi que celles d’autres personnes. Pourtant, avant hier soir, sur le périphérique, au volant de ma voiture, mon inquiétude était concentrée sur un autre sujet :

 

Je m’étais montré « dur Â» avec ma fille à la maison. On peut, comme me l’a dit plus tard mon meilleur ami, se dire que le principal, c’est de s’en rendre compte. Mais lorsque l’on est lancé dans une certaine attitude assez extrême et qu’il nous est en quelque sorte impossible de nous détendre, tout, absolument tout, peut être prétexte à nous « déclencher Â». J’ai été comme ça avec ma fille pendant dix à quinze minutes avant hier.

 

A la fois, je percevais que j’étais trop dans le « dur Â». Mais c’était plus fort que moi. Une sorte de dépersonnalisation. Une forme de transe sans jouissance. Où ce qui reste, ensuite, c’est le souvenir précis, immédiat, de ce que l’on a « accompli Â» :

 

 Un acte de torture mental.

 

Ma fille s’est défendue.  Ce qui est bon signe. Elle m’a dit :

 

«  Mais qu’est-ce que tu peux être pipelette ! Â». Et, moi, pour moitié conscient et pour moitié incandescent, j’ai répondu :

 

« Parce-que je te répète des choses que tu es supposée savoir maintenant ! Â».

 

Lorsque je suis parti au travail, j’étais revenu à mon état « normal Â» et ma fille et moi avions de nouveau une relation agréable et affectueuse. Mais je n’ai pas aimé ça de moi.

 

 

Je ne sais pas si cela a joué dans le fait qu’ensuite, je me sois relâché au moment de partir prendre mon train pour aller au travail.

Une fois à la gare, le panneau indiquait que le prochain arrivait dans…58 minutes. Impossible de l’attendre. Cela m’aurait fait arriver à 22h ou 22h30 dans mon service au lieu de 21h, heure à laquelle je commence.

 

En temps ordinaire, 45 minutes me suffisent en transports en commun pour arriver à mon travail. Là, j’étais à la gare avec une heure d’avance. Insuffisant pour être à l’heure avec un train qui arrive dans 58 minutes.

 

Alors, j’ai dû prendre ma voiture pour aller au travail. Une Première pour moi depuis que je travaille sur Paris. En bientôt 11 ans. La roue de mon vélo était toujours crevée. Et une heure aurait été trop juste de toute façon pour être au travail à vélo. Le temps de me changer. De me rendre au local où je range mon vélo. Je suis une vraie mariée quand je prends mon vélo pour aller au travail. J’emporte tout mon trousseau : vêtements de rechanges, compléments alimentaires, mon livret de famille, mon carnet de vaccinations etc…

 

 

Lorsque mon meilleur ami m’a appelé sur mon téléphone portable, je n’ai pas répondu. J’étais sur le périphérique. Même si c’est contre mes principes de prendre ma voiture pour aller au travail, je me disais qu’au moins, en prenant ma voiture, je faisais de «  la distance sociale Â» et donc de la prévention sanitaire.

 

Le trajet s’est déroulé sans incident. Même si, au début de mon trajet, sur la A15, j’avais aperçu sur l’autre voie, en sens inverse, une personne sur un brancard en train de se faire transporter. Accident de la route. L’accidenté (un homme apparemment) était conscient. A moitié assis sur le brancard. Plusieurs véhicules de secours étaient arrêtés sur l’autoroute. Vu le peu de trafic routier, les secours avaient dû arriver assez « vite Â». A condition qu’ils ne soient pas trop surchargés et pas trop épuisés par les effets de l’épidémie qui se surajoutent aux interventions « courantes Â».

 

 

J’ai écouté le message de mon meilleur ami une fois au travail. Il souhaitait avoir de mes nouvelles.

 

La nuit a été calme jusqu’à 3h du matin.

 

 

A partir de 3h du matin, une jeune patiente, réhospitalisée la veille, a commencé à nous solliciter. Toutes les 30 secondes. «  Vous avez de l’eau gazeuse ? Â». « Vous avez une banane ? Â».

 

Il nous a fallu la maintenir dans sa chambre. Pour éviter qu’elle ne déambule dans le service, entre dans la chambre des autres patients ou adopte certains comportements que l’on qualifiera d’inadéquats et qu’elle a déployés en notre présence, dans sa chambre où, à tour de rôle, ma collègue et moi avons fini par nous relayer.

 

Mains dans la culotte et simulation de masturbation. Tentative pour sortir de sa chambre. Tentative de s’installer dans l’armoire de sa chambre. S’allonger par terre. Simulation de coït par terre. Aller se voir dans le miroir. Baisser son pantalon. Relever le store. Tenter d’ouvrir la fenêtre de sa chambre (située en hauteur). Impossible de détailler avec précision le nombre de demandes, le nombre de fois où nous nous sommes adressés à elle et avons essayé de la « raisonner Â» et de l’enjoindre à aller se recoucher sur son lit.  Où elle ne restait pas tranquille. Le nombre de fois où il lui était impossible de passer plus d’une minute sans nous solliciter. Sans nous « provoquer Â». Sans faire le contraire de ce qu’on lui disait de faire. Une conversation, un accord avec elle ? Impossible.

 

 

 

Comme ça, jusqu’à 7h10 environ. Heure à laquelle, une collègue du jour est venue me relever après que ma collègue de nuit ait fait les transmissions. Nous étions du même avis, cette collègue de jour et moi : il valait mieux que la jeune patiente descende avec nous.

 

Pourquoi n’avons-nous pas sollicité le médecin de garde ? Pour ma part, parce-que nous « connaissions Â» déjà cette patiente. Et que je me rappelle qu’il lui avait fallu plusieurs jours- et nuits- lors d’une de ses hospitalisations précédentes pour s’apaiser et « faire Â» ses nuits, le traitement aidant.

Qu’a t’elle comme diagnostic ou comme maladie ? Je ne le dirai pas. Je peux dire qu’elle « Ã©tait Â» hypomane : agitée, désinhibée, plus ou moins confuse. Mais je parlerai pas de son diagnostic car ce qui me préoccupe, plus qu’un tableau ou une étiquette, c’est comment essayer d’entrer en relation, comment faire au mieux pour y parvenir, malgré l’état et la situation.

Plutôt que d’appliquer un protocole de manière mathématique en se disant : devant tel tableau diagnostic, je fais ceci ou je fais cela.

 

Il faut apprendre à penser. Autant voire plus que d’apprendre à appliquer et à systématiser un type de réponse et de comportement de manière bornée et automatique.

 

Or, avec l’épidémie, nos peurs et nos angoisses sont devenues automatiques. En quelques jours. A moins qu’elles ne l’aient toujours été, ce qui est bien possible, et qu’une certaine cosmétique sociale nous masquait certaines de nos peurs et de nos angoisses.

 

Pour avoir un aperçu de la vitalité de nos peurs et de nos angoisses concernant l’épidémie, il suffit de faire un petit « voyage Â» sur les réseaux sociaux. Le voyage est « gratuit Â» et peut être illimité.

 

 

Réseaux sociaux ou non, je me suis fait prendre à tout ça. L’épidémie ceci, l’épidémie cela. Et moi, je pense ça, et moi, je pense ceci.

 

 

Puis, j’ai fini par me dire que ça suffisait. Enfin. Qu’il me fallait changer d’état d’esprit. Au bout d’une bonne dizaine de jours, ou plus. Depuis l’appel, pardon, depuis l’allocution présidentielle du 16 Mars 2020. Et tout ce qui s’en est ensuivi.

 

 J’approuve complètement tout ce qui est relatif aux gestes barrières, à la distance sociale, au confinement etc….

 

Mais c’est de cet état de vocifération et d’excitation anxieuse générale, dont j’estime qu’il faut savoir sortir. Car cet état de vocifération et d’excitation anxieuse généralisée est une autre forme de confinement. Et, il est pire, je crois, que le confinement destiné à limiter et à esquiver l’épidémie.

 

Bien-sûr, pour moi qui peux sortir prendre l’air pour aller au travail, et ainsi augmenter à chaque fois le risque d’attraper le virus, c’est facile de dire ça.

 

Hier soir, j’ai pu reprendre le train. Cette fois, je suis parti de chez moi avec plus d’une heure trente d’avance. J’ai attendu quinze minutes le train direct pour St Lazare.

 

J’en ai profité pour appeler mon meilleur ami. Je lui ai donné de mes nouvelles. Puis, il m’a donné de leurs nouvelles, de lui et de sa compagne. Pardon, de sa femme. Certaines personnes sont très susceptibles avec les usages sociaux. Et je voudrais m’éviter une descente de décibels dans les oreilles.

 

Donc,  en discutant hier soir avec mon meilleur ami,  j’ai ainsi appris que sa compagne avait contracté le virus la semaine dernière. Au travail. Elle n’est pas soignante. Mais elle côtoie des personnes en situation précaire. Et une de ses collègues avait contracté le virus auparavant.

 

Donc, la compagne de mon meilleur ami était confinée chez eux depuis quelques jours. D’abord de la fièvre, jusqu’à 38°5, courbatures, fatigue, difficultés respiratoires. Ça allait mieux du côté de la fièvre et des courbatures. Par contre, il semblait que chaque jour apportait un nouveau symptôme. Diarrhée. Mal aux oreilles. Nausées. J’ai découvert tout ça en écoutant mon meilleur ami. Comment ça se fait ? Parce-que depuis le début de l’épidémie, je m’en tiens aux gestes selon moi prioritaires :

 

Se laver les mains, distance sociale, port du masque quand c’est possible. Et, rester calme, autant que possible. Et respecter le confinement.

 

 

Il faut bien rester calme en arrivant à la gare St Lazare. Même s’il y a moins de monde que d’habitude. Le hall de la gare est devenu un atelier de « zombies Â». On y travaille sa vélocité comme à l’athlé. A petites foulées, il s’agit de slalomer entres les « zombies Â» :

 

Des êtres humains comme moi, qui, patiemment, attendent leur train en faisant semblant d’ignorer les embruns de l’urgence.

Certains portent des masques. D’autres pas. En masques, j’ai vu un peu de tout. Cela va du masque de chantier, au masque de couleur noir apparemment en tissu, en passant par le masque chirurgical (il y a beaucoup de chirurgiens désormais dans la rue) jusqu’à quelques masques FFP2. Il est certain qu’un marché des masques est en train de se créer et qu’après l’épidémie, il va y avoir toute une gamme de masques de prévention sanitaire qui va arriver. Même les grands couturiers vont s’en inspirer. Comme pour le voile.

 

 

Quelques heures plus tôt, le marchand de cycles qui m’a « dépanné Â», ne portait pas de masque. Pas plus que l’autre client avec lequel je l’ai trouvé. C’était déjà une très grande et très agréable surprise qu’il soit ouvert. D’abord, lundi, il m’avait rappelé alors que son magasin est fermé les lundis. Je ne suis pas certain qu’une enseigne comme Décathlon aurait fait ça. Ensuite, en fin de matinée ce mardi, il s’est en effet rapidement occupé de moi.

 

 

La veille, il m’avait appris avoir dépanné «  une infirmière Â» et « un cardiologue Â». Et m’avait affirmé, lorsque je lui avais appris être également infirmier :

 

« Je vous soutiens ! Â». Et quel soutien ! La première fois que j’étais venu dans son magasin de cycles, un des clients m’avait dit, content : « C’est un artisan, à l’ancienne ! Â».

 

Il est certain que la relation clientèle est très différente avec lui. Pédagogue, celui-ci ma expliqué d’où venait selon lui la cause de ma crevaison. La « roue Â» de ma jante était usée. Elle était d’origine. Plus de vingt ans.

Perfectionniste, une fois ma roue de jante et ma nouvelle chambre à air posée, Monsieur est allé jusqu’à tenter d’insérer le mieux possible le pneu. Il m’a expliqué qu’il pouvait y avoir un effet de rebond vu que mon pneu s’était relâché.

 

J’en ai profité pour acheter d’autres chambres à air, et encore ceci, et encore ça.  Ainsi qu’un nouveau carnet de vaccinations et une robe de mariée. Pour mon vélo.

 

Lorsqu’il m’a présenté l’addition, il m’a dit : «  ça monte vite ! Â». J’aurais peut-être payé moins cher à Décathlonmais ce que cet artisan m’a donné valait selon moi la somme qu’il m’a demandé.  Cet homme-là, pour moi, est un héros. Travailler dans ces conditions, sans masque. Le voir se pencher comme il l’a fait pour réparer ma roue de vélo. Sans plier les genoux. Sans s’asseoir.  Sans faire attention à son dos.

 

Je vois évidemment un grand parallèle entre l’attitude de cet artisan, entre le métier de soignant dans un hôpital public mais aussi de tout professionnel dans une institution publique et avec toutes ces personnes qui acceptent bien des contraintes inhérentes à leur travail et capables de donner plus que ce pour quoi on les paie ou les forme :

 

De la relation. Un réel conseil. Une attention véritable.  Et non pas des phrases toutes faites solubles dans des protocoles, des spots publicitaires, et des méthodes de pensée et d’action servant avant tout à se faire du fric et voir celle ou celui qui se présente principalement comme un mouton bon à tondre. J’ai tort de penser ça ?

 

 

On continue. Comme sur le chemin du retour, il y avait un Lidl. Je m’y suis arrêté pour faire quelques courses. Il y avait un peu de monde. Mais pas autant qu’il peut y en avoir dans un Lidl. C’était la première fois que je me rendais dans ce Lidl. Sur le parking, un homme d’une trentaine d’années, devant une voiture, côté passager, s’est allumé un pétard. Je croyais que lui et son copain partaient. Non. Ils venaient de se garer.

 

J’ai réussi à me garer plus loin. Et j’ai évidemment gardé mon masque chirurgical dans Lidl. Mais je n’étais pas très rassuré. J’ai fait quelques courses. Quelques personnes portaient un masque. D’autres, non. Puis j’ai patienté à une caisse. La caissière avait une double couche de masques. Un masque chirurgical sur un masque en tissu apparemment. Une protection plastifiée se trouvait devant elle. Les deux hommes que j’avais vu se garer étaient derrière moi. Ils n’ont pas toujours respecté la distance de un mètre. Et ils ne portaient pas de masque. J’ai fait avec en leur tournant le dos.

 

A la caisse, je n’avais même pas encore payé que le vigile, masqué, m’a demandé à voir l’intérieur de mon sac à dos. Je lui ai répondu :

 

« Je vais peut-être payer d’abord, et ensuite, je vous montre ? Â». Il a accepté. J’avais donc une tête de suspect ?

 

Après avoir payé, je lui ai montré l’intérieur de mon petit sac à dos. Il a jeté un coup d’œil. Ça lui a suffi.

 

De retour chez moi, j’ai bien dormi. Plus que ce que j’avais prévu. Ma compagne est rentrée avec notre fille plus tard que prévu. Je ne m’en suis pas aperçu tout de suite.

 

Le temps de reprendre une douche, j’ai dû rester dix minutes en tout avec ma compagne et ma fille. Puis, je suis reparti au travail. Par le train. Comme je l’ai déjà dit. Avant de partir au travail  hier soir, ma fille m’a dit : «  Je t’adore ! Â». J’ai beaucoup de chance. A son âge, on pardonne encore beaucoup à ses parents. Cela change à partir de l’adolescence.

Ou même avant.

 

Hier soir, en sortant de la gare St Lazare, il n’y avait plus les policiers des dernières fois. Ils ont disparu depuis plusieurs nuits. Peut-être l’effet du manque de masques que subissent aussi les policiers.

 

En m’éloignant de la gare St Lazare, j’ai aperçu une femme qui courait. Elle est venue sur ma droite. Elle courait sur la route. Comme on dit : «  Elle avançait bien Â». Allure régulière, décontractée. Elle devait être sur la fin de son footing. Elle était facile. Belle foulée. Elle m’a rapidement distancé, moi qui marchais, et dont le principal effort a consisté à traverser la route afin de me rapprocher d’une station de métro. Ou de l’arrêt d’un bus.

 

La veille, ma collègue de nuit m’avait dit avoir trouvé qu’il y avait plus de monde dans les transports en commun. Pour elle, cela tenait au fait que bien des personnes travaillent au noir pour s’en sortir financièrement. Et que le confinement se prolongeant, il leur faut le rompre afin de pouvoir s’y retrouver un minimum économiquement. Moi, je crois aussi que certaines personnes trouvent le temps long, confinées chez elles. Et comme l’occupation virale que nous vivons est invisible, elle paraît inexistante. On croit s’être habitué au danger. On croit que le plus dur est passé. S’ajoute à cela l’effet psychologique de l’heure d’été et le fait que les jours se rallongent.

 

On pense plus facilement à la mort lorsqu’il fait nuit plus vite, plus tôt et plus longtemps. Et qu’il fait sombre et gris dehors. Mais lorsque les jours se rallongent de plus en plus et qu’il fait jour de plus en plus tôt comme c’est désormais le cas…..

 

Alors que même si les températures restent fraîches (1 degré ou deux  encore ce matin, je crois) il fait beau. Il y a du soleil et les lumières du jour sont belles. D’autant plus parce qu’il y a moins de pollution atmosphérique puisqu’il y a moins de voitures qui circulent et sans doute aussi moins d’usines en activité. Et moins d’activité économique d’une manière générale.

 

 

Hier soir, une fois dans Paris, j’ai fait une partie du trajet jusqu’à mon travail en bus. L’autre partie à pied. Il y avait un peu plus de monde dans le bus que la dernière fois à la même heure.

 

Lorsqu’une femme est descendue du bus, deux hommes montés dans le bus en même temps que moi, se sont ni plus ni moins installés juste devant moi. Comme au « bon vieux temps Â». Bien que l’un porte un masque (chirurgical) et l’autre, une étoffe autour de son visage, Je leur ai dit :

 

« Messieurs, il n ‘y a pas un mètre, là ! Â».

 

L’un des deux, l’aîné visiblement, m’a répondu dans un sourire :

 

« On ne va pas rester debout, quand même…. Â».

 

Je me suis abstenu de faire du mauvais esprit et de dire :

 

« Lorsque vous serez mort, vous n’aurez plus besoin de vous asseoir Â».

 

A la place, je me suis levé et je me suis reculé. Mais voilà qu’arrive un autre homme, « tendance Â» SDF qui vient s’asseoir presque en vis-à-vis avec moi. Je me lève et m’éloigne encore. Cette fois, je me rapproche de l’avant du bus où je m’assieds à une distance de un mètre d’autres passagers déjà assis. Dont une dame, sur ma gauche, qui porte un masque et qui tricote ou regarde son téléphone portable.

 

 

Dix minutes passent à peine lorsque mon ex-voisin « tendance Â» SDF commence à se plaindre et à demander à ce que l’on appelle les pompiers !  Le chauffeur de bus l’interpelle, alors : «  Qu’est-ce qui se passe, monsieur ?! Â» tout en continuant de rouler. Et les deux hommes «  On ne va pas rester debout, quand même Â», qui sont désormais les plus proches de l’homme qui se plaint attendant manifestement que ça se passe. Aucun des deux ne réagit particulièrement.

 

 

Trente secondes plus tard, je suis dehors et je marche. Je laisse le bus repartir. Je tombe sur ce coucher de soleil que je prends en photo avec la Tour Eiffel en arrière plan.

 

 

Après une bonne demi-heure de marche, je me rapproche de mon service quand je tombe sur une jeune hospitalisée, dehors. Elle est en pleurs et en compagnie d’un homme qui m’explique qu’il allait appeler ses parents.

La jeune me répond qu’elle vient de fuguer du service. Elle me suit sans difficulté. L’homme, rassuré de savoir que je connais cette jeune, nous salue.

 

 

Tout en marchant vers le service, la jeune me répond qu’elle voulait revoir ses parents. Que ceux-ci lui manquent. Elle me montre par où elle a fugué. Sa fugue me rappelle une autre fugue il y a plus de quinze ans dans un autre service où j’avais travaillé.

Ce jour-là, après être allé au cinéma, j’avais opté pour aller faire un tour au magasin Virgin à la Défense. Magasin depuis remplacé par un Mark & Spencer si je ne me trompe.

 

Alors que j’allais entrer dans le Virgin, j’étais tombé sur une jeune du service. Puis, une seconde. Puis, une troisième. Puis, celle qui était peut-être l’instigatrice de la fugue.

Le temps de comprendre, une des quatre jeunes m’avait déposé dans la main la « sécurité Â» de la fenêtre par laquelle elles avaient fugué. Le service était situé en rez de jardin.

Ensuite, cela s’était passé très vite. « L’instigatrice Â» de la fugue (une fugueuse multirécidiviste. Dont une des fugues solitaires s’était mal terminée pour elle en ce sens que, recueillie par un homme, elle s’était faite violer par lui) avait donné le signal et les quatre jeunes s’étaient mises à courir dans la Défense, me laissant sur place. J’avais prévenu mes collègues d’alors qui se demandaient où ces jeunes avaient bien pu passer. Elles avaient tout « simplement Â» pris le RER en fraudant et s’étaient rendues à la Défense. Elles étaient finalement revenues d’elles-mêmes, saines et sauves, dans le service un peu plus tard. Sauf, peut-être, l’instigatrice de la fugue. J’ai un peu oublié.

 

 

Hier soir, la fugue de cette jeune a été plus brève. Cinq à dix minutes. Mais j’aurais pu ne pas la croiser.  Elle aussi a des « conduites à risques Â» : tentatives de suicide, rapports sexuels (non-protégés ?) avec des hommes….

 

Plus tard hier soir, au moment d’aller dans sa chambre, elle me remerciera en quelque sorte. Et m’expliquera que ma présence l’avait rassurée. Car l’homme avec lequel je l’avais trouvée, lui faisait « peur Â» car elle ne le connaissait pas. Comme m’a dit ma collègue de nuit : peut-être que cette jeune s’est fait peur.

 

Ma collègue de nuit hier soir a d’abord été une collègue de jour terminant sa journée à 21H.

Mais à 21h15, aucune de mes collègues de nuit n’était présente. J’ai donc un peu mieux regardé le planning. Erreur de planning : une collègue encore en arrêt de travail avait été marquée comme présente hier soir avec moi.

Ma collègue de nuit mobilisable me répond qu’il n’y a déjà plus de train pour venir.

 

Je pourrais joindre le cadre d’astreinte comme on dit. Mais celle-ci ou celui-ci est un cadre qui ne connaît pas le service et qui s’occupe de l’hôpital d’une manière générale. De tous les services. Je ne sais pas sur quel genre de cadre je vais tomber. Une ou un administratif ? Un cadre ou une cadre  qui va tenter de « m’envoyer Â» un ou une collègue d’ailleurs qui ne connaît rien au service ? Un cadre ou une cadre qui va m’apporter plus de contraintes que d’aide ? Un cadre ou une cadre incapable de penser par lui-même ou par elle-même et va qui appliquer des protocoles et me les imposer ?

 

J’opte pour essayer de joindre nos cadres. Notre faisant fonction de cadre ne répond pas tout de suite lorsque je l’appelle. Alors, je me souviens que nous pouvons joindre notre cadre de pôle ( ex-cadre sup) à toute heure en cette période d’épidémie. Nous avons encore cette chance de pouvoir joindre notre cadre de pôle à toute heure du jour et de la nuit sur son téléphone portable. Elle nous en a informés. Je la joins rapidement. Elle me donne rapidement son aval pour que ma collègue de jour fasse cette nuit en heures sup avec moi. En deux minutes, c’est réglé, contre beaucoup plus de temps si j’étais tombé sur une cadre ou un cadre d’astreinte « collé Â» au protocole.

 

 

La nuit se passe bien.

 

 

 

Cette nuit, vers 5h15, une jeune vient nous trouver. Elle a une boule dans le ventre. Une angoisse. L’un de nous reste un peu avec elle, l’écoute. Discute avec elle. Lui  donne un traitement prescrit pour ce genre de situation. Cela s’apaise vers 6h05.

 

 

Dans la journée d’hier, la jeune qui nous avait sollicité toutes les 30 secondes la nuit précédente avait été transférée dans un service de psychiatrie adulte. Sans doute dans une chambre d’isolement ou chambre de contention. En tout cas, dans un service plus fermé que le nôtre.

 

 

Ce matin,  j’ai eu l’idée de retourner dans cette pharmacie où, fin février, j’avais acheté trois masques FFP2 comme je l’ai écrit à la fin de mon article Coronavirus.

 

Un peu sur la défensive, une pharmacienne m’a répondu qu’ils n’avaient plus de masques. J’ai demandé :

 

« Donc, il n’y en n’aura plus ?! Â». Elle m’a répondu un peu sur le même ton, toujours sur la défensive:

 

« Ã§a ne veut pas dire qu’il n’y en n’aura plus ! Mais on ne sait pas quand il y en aura ! Â».

 

On sentait la femme qui avait été dû être agressée verbalement plus d’une fois par des clients angoissés et énervés. Mais on sentait aussi la personne apeurée par l’épidémie. Depuis mon passage dans cette pharmacie un mois plus tôt ( le 24 février), chaque caisse de cette pharmacie avait été protégée de manière éviter les contacts et….tous les personnels que j’ai croisés dans cette pharmacie, de la femme de ménage, en passant par les vigiles, ce matin, portaient un masque….FFP2. Soit, actuellement, la « Rolls Â» des masques préventifs en cette période d’épidémie.

 

Je me suis abstenu de dire à cette professionnelle que je « savais Â» que la France est en pénurie de masques. Que la Chine est aujourd’hui capable de produire 110 millions de masques par jour contre 1 million pour la France actuellement. Que je l’avais lu dans le journal Les échos que je cite, à nouveau, du jeudi 26 mars dernier. ( article de Frédéric Schaeffer, page 8 Comment la Chine est parvenue à produire 110 millions de masques par jour). ( Le sacrifice )

 

Je me suis abstenu de lui dire qu’en tant qu’infirmier dans un hôpital, j’étais un peu au courant de la pénurie de masques et de tenues préventives. Cette professionnelle et  personne subissait les événements comme tout le monde. Même si on pouvait supposer qu’elle, comme ses collègues, « bénéficiaient Â» sans doute d’un stock de masques FPP2. On pouvait se dire qu’elle comme ses collègues assuraient avant tout leurs arrières et que c’était chacun pour soi et le business comme d’habitude puisque la pharmacie restait ouverte et que j’imagine que son chiffre d’affaires devait être particulièrement attractif depuis l’épidémie, contrairement au chiffre d’affaires des kiosques à journaux. Et des hôpitaux publics.

 

A la place, j’ai préféré voir une certaine forme d’ironie dans ce genre de situation. Ainsi qu’un caractère comique dans ce revirement caricatural et extrême d’attitude :

 

Un mois plus tôt, le 24 février, un des collègues de cette pharmacienne me disait tranquillement qu’il espérait que « Ã§a allait bientôt se calmer Â», toute cette inquiétude autour de l’épidémie du coronavirus. Tout en me vendant trois ou quatre masques à 3,99 euros l’unité, soit un tarif déja exorbitant. Un mois plus tard, cette pharmacie, entreprise privée dont le chiffre d’affaires doit être plutôt bon, ne vend plus ces masques FPP2 mais tous les personnels de cette pharmacie en portent. Pendant ce temps-là, dans mon service, dans un hôpital public, plusieurs de mes collègues sont régulièrement en colère devant cette pénurie de matériel de protection, dont, nous, «  les héros de la nation Â», nous manquons.

 

Pendant qu’on est encore un peu du côté des « héros de la nation Â», nous, les soignants.

 

Afin de témoigner du quotidien en tant «  qu’agent hospitalier Â» en période d’épidémie du coronavirus, j’avais pensé à une amie et collègue de ma compagne. J’en parle dans un de mes derniers articles.

 

On se souvient que cette personne que je considérais comme légitime voire plus légitime que moi pour témoigner avait finalement décliné au motif qu’elle s’estimait…. Â« illégitime Â» pour témoigner.

Depuis, cette personne a contracté le Covid. Et, je ne l’ai pas relancée pour témoigner.

 

Il semblerait qu’après s’être portée volontaire pour aller s’occuper de patients atteints du virus, en psychiatrie adulte, qu’elle l’ait attrapée. Si c’est vraiment comme ça qu’elle l’a attrapée, il lui a donc « suffi Â» Â» de quelques heures d’exposition en utilisant des masques chirurgicaux au lieu de masques FFP2 (puisqu’il n’y avait pas de masques FFP2 à disposition). Je ne me moque pas d’elle. Mais il y a quand même un aspect ironique dans la situation : se sentir illégitime pour témoigner, et, à peine une semaine plus tard, attraper le virus. C’est quand même au moins ironique. Voire comique. Fort heureusement, elle se remet chez elle du virus.

 

Il y a quelques jours, j’ai essayé de « draguer Â» une  de  mes collègues de jour afin qu’elle témoigne. Après que celle-ci vienne de me raconter qu’en passant par la station Stalingrad, le matin, assez tôt, pour venir au travail, qu’elle avait peur. Car elle croisait une population de toxicomanes. Et que cette population restait imprévisible. Or, à l’heure où elle passait à Stalingrad, du fait du confinement, il y avait très peu d’autres personnes dans les métros.

Ma compagne, aussi, m’avait déjà raconté l’équivalent de ce genre « d’anecdote Â». En prenant le RER E, quasi-désert, en se rendant au travail.

Mais ma collègue « Stalingrad Â», lorsque je lui ai demandé :

« Voudrais-tu témoigner de ton quotidien durant l’épidémie ? Â» m’a alors répondu qu’elle ne comprenait pas ce que je lui demandais. Elle, qui venait de me dire que la prochaine fois qu’elle rencontrerait des policiers dans la rue, qu’elle leur dirait qu’il faudrait faire en sorte d’assurer la sécurité de certains endroits comme Stalingrad. Mais quand je lui ai proposé l’idée de témoigner, sous couvert d’anonymat, c’était comme si je lui avais parlé dans un métalangage.

 

Quelques nuits plus tôt, à une autre collègue, j’avais aussi fait la même proposition. Elle avait décliné, m’expliquant qu’elle avait trop de préoccupations personnelles en ce moment. Ce que je sais. Mais, aussi, sa méfiance. A quoi ce témoignage allait-il servir ? Pourquoi ? Pour qui ? Et, j’avais retrouvé certains des rouages de pensée et d’inquiétude que j’avais déjà connus il y a plusieurs années dès qu’il s’agit de demander à un infirmier de s’exprimer oralement ou par écrit. Publiquement.  Et de laisser une trace.

Laisser une trace de son expression personnelle, pour un infirmier, c’est comme laisser une empreinte sur une scène de crime.  On souffre peut-être particulièrement d’une forme de névrose de l’antiseptie, mais, cette fois, mentale : Tout doit rester propre et immaculé après notre passage. On ne doit pas pouvoir soupçonner ou suspecter que l’on a pu exister ou penser en dehors du groupe. Ou de la norme supposée du groupe dont on fait partie dans le corps médical et paramédical.

 

On peut aussi, par pudeur,  Ãªtre un soignant travaillant dans le public et, pourtant, concevoir notre expression et ce que l’on pense comme relevant uniquement du domaine privé.

 

 

Donc, je ne sais pas si je fais vraiment « bien Â» d’écrire ce que j’écris et comment je l’écris dans ce témoignage en période d’épidémie, d’insomnie, coronavirus Covid-19. Mais je sais que d’autres ne se priveront pas et ne se privent pas de s’exprimer qu’ils soient du milieu de la santé ou étrangers à ce milieu.

 

 

La polémique autour du professeur Raoult ? D’éventuels traitements qui seraient ou pourraient être efficaces ? Je ne m’en occupe pas. Je suis concentré sur ma vie de tous les jours. Les gestes barrières. Sur mes relations avec mes collègues et les patients. Mais aussi appeler certaines personnes. Ou répondre aux messages lorsque l’on m’en envoie. Sur ma vie avec ma compagne et ma fille. Sur, par exemple, le fait que j’avais prévu de passer moins de temps sur cet article. Beaucoup moins de temps. Et, voilà, je n’ai pas encore déjeuné. Je ne me suis pas encore reposé et je suis encore en train d’écrire. Heureusement, je ne travaille pas cette nuit ni demain soir. Ce sont mes repos hebdomadaires. Demain et après-demain, je resterai avec ma fille à la maison. J’espère évidemment faire mieux qu’avant hier soir.

 

Ces derniers temps, ma compagne et moi avons commencé à regarder une série qui s’appelle Warrior, produite, je crois par la fille de Bruce Lee, Shannon Lee d’après « The Writings of Bruce Lee Â» peut-on lire sur la jaquette du dvd. Un des dvds empruntés à la médiathèque de ma ville lorsque celle-ci était encore ouverte. Avec Sanjuro  de Kurosowa, Guy Jamet de et avec Alex Lutz.

 

La série Warrior est moyenne. Elle réplique beaucoup ce que l’on a pu voir ailleurs. Le « héros Â» est un peu trop prétentieux. Il y a beaucoup de tics en ce qui concerne plusieurs des personnages. Mais cette série a un autre mérite en plus de nous faire penser à autre chose que l’épidémie. Elle nous rappelle le racisme antichinois des Etats-Unis car nous sommes, je crois, au début du 20ème siècle, au début de cette série.

 

Cette série nous rappelle que les Etats-Unis sont un pays qui s’est construit sur le racisme. Sur différents racismes. Anti-Amérindien( Dans les trois premiers épisodes de la première saison, on  n’en voit aucun dans Warrior, c’est dire !)  Antichinois, anti-Irlandais, anti-noir etc….

 

Ce pays a «  pris Â» le meilleur de diverses cultures, de diverses communautés tout en délimitant en permanence ces diverses cultures et ces diverses communautés. En les minant de rivalités et de haines solides. Et le pays, les Etat-Unis, s’est construit sur ça.

 

Alors, aujourd’hui, on parle beaucoup de l’épidémie, de la menace économique chinoise. On parle moins, pour l’instant, du terrorisme ou d’une catastrophe nucléaire.

Tout cela constitue, avec d’autres évidemment, des expériences bien concrètes qui peuvent nous menacer ou nous inquiéter. Mais lorsque l’on regarde d’un peu plus près l’histoire intestine des Etats-Unis, on peut se dire que Chine ou pas, épidémie de Coronavirus ou pas, les Etats-Unis possèdent déjà en eux, depuis le début, tout ce qu’il faut pour s’autodétruire un jour ou l’autre.

 

Donc, peut-être que, plutôt que de s’obséder uniquement sur l’épidémie du coronavirus et de tout ce dont elle nous prive ou peut nous priver, faut-il, aussi, prendre le temps de l’introspection. Et essayer de construire. Et essayer de voir ce qui, en nous, peut nous permettre d’esquiver notre tendance- assez automatique- à l’autodestruction. Et au déni.

 

Franck Unimon, ce mercredi 1er avril 2020.