Noire nâest pas mon mĂ©tier
16 actrices noires tĂ©moignent dâaprĂšs une idĂ©e dâAĂŻssa MaĂŻga
« Le noir, ça va avec tout ». On a dĂ©jĂ entendu ça quelque part. DĂšs quâil sâagit de se mettre Ă son avantage, de se donner du volume et une bonne image de soi. VĂȘtement, maillot de bain, paire de chaussures, cosmĂ©tique, voiture, vernis Ă ongle, lunettes de soleil. MĂȘme le pĂ©trole, qui permet Ă lâindustrie automobile et Ă dâautres industries de faire de gros chiffres dâaffaires, est noir.
Il est plein de circonstances oĂč la couleur noire, sĂ»rement lâune des plus employĂ©es de par le monde, est pratique. FrĂ©quentable. Estimable. On veut ĂȘtre pris au sĂ©rieux dans ses fonctions, susciter un air de dignitĂ© ? On optera pour un peu de noir voire pour une intĂ©gralitĂ© de noir. Un peu de trouble et de mystĂšre ? Optons pour du mascara.
Ce serait une erreur de considĂ©rer le noir comme la couleur attitrĂ©e du deuil et du malheur. Dâabord, dans certaines cultures, ce serait plutĂŽt le blanc qui remplira cet office. Ensuite, il faudrait dire Ă tous les rockeurs et Hard Rockeurs- vivants et enterrĂ©s- dâaller se rhabiller et de remplacer le noir de leurs vĂȘtements et de leur musique par du blanc ou du vert par exemple. Il est alors probable quâils nous regarderaient de travers et ne comprendraient pas ce quâon leur baragouine.
RĂ©cemment, Karl Lagerfeld est mort. On sait nous parler de sa disparation et de ce quâil a apportĂ© au monde de la culture et de lâart. Je suis bien moins expert que beaucoup dâautres pour en parler. Je le deviendrais peut-ĂȘtre un jour. Cependant, en tant que grand couturier, Karl Lagerfeld, et celles et ceux qui lâont prĂ©cĂ©dĂ©, regardĂ©, ainsi que celles et ceux qui lui ont survĂ©cu ou se rĂ©clameront de lui, en a conçu des vĂȘtements classieux tout en noir. Et, lui-mĂȘme, comment sâhabillait-il ? Les photos les plus connues de lui le montrent souvent portant du noir. Et câest beau. Câest racĂ©. Câest Ă©lĂ©gant. RacĂ© ? Oui, racĂ©. Quelle classe ! Personne ne compare Karl Lagerfeld Ă une guenon ou Ă Cheetah, lâamie de Tarzan que celui-ci a rencontrĂ© un jour sur les rĂ©seaux sociaux de la jungle.
Etonnamment, dĂšs que la couleur noire sâanime et devient la particularitĂ© dâune personne faite de tissus cutanĂ©s, le temps se gĂąte. Un abĂźme sâavance. Et, dans certains milieux autorisĂ©s, on commence Ă converger, inexorablement, vers un traquenard fait de miroirs dĂ©formants, dâextrapolations, de rumeurs et de superstitions. Un certain racisme se dĂ©chaine. Le racisme ressemble Ă un organe. Il est possible quâaprĂšs avoir Ă©tĂ© longtemps couvĂ©, quâil devienne autonome, Ă©chappe Ă son crĂ©ateur, et soit capable de se dupliquer sans fin en se diversifiant, lui qui refuse Ă dâautres dâĂȘtre diffĂ©rent de lui.
Le racisme, câest peut-ĂȘtre lâhistoire de Blanche Neige jalousĂ©e par sa belle-mĂšre. Entre les deux, un miroir sert de frontiĂšre et les dĂ©partage. Dâun cĂŽtĂ©, une belle mĂšre droguĂ©e Ă sa propre image qui se rĂȘve parfaite. Dâun autre cĂŽtĂ©, la jeunesse insouciante qui ignore que son rayonnement est lâannonce du flĂ©trissement, inĂ©vitable de toute façon, de la belle-mĂšre. Il est des personnes, dĂšs quâelles avancent en Ăąge, qui prennent le parti de lâaccepter, de sâallier Ă la jeunesse, dâapprendre dâelle, de lui transmettre le meilleur et de s’effacer. Il en est dâautres qui veulent continuer Ă rĂ©gner et sont prĂȘtes Ă tout emporter avec elles dans le gouffre plutĂŽt que de concevoir que le monde puisse leur survivre.
Tant que la couleur noire qualifie un objet, ça va. Lâorgane raciste se met en veille. DĂšs que la couleur noire prend forme humaine avec une personnalitĂ© propre, lâorgane raciste se rĂ©veille et se met en alerte car le « danger » approche. Et ça peut dĂ©raper Ă nâimporte quel moment :
« Pour une Noire, vous ĂȘtes vraiment intelligente, vous auriez mĂ©ritĂ© dâĂȘtre blanche ! ».
Dans le milieu du cinĂ©ma, lâactrice NadĂšge Beausson-Diagne a eu la primeur de cette photosensible rĂ©flexion qui lâa mise sur le cĂŽtĂ©. Elle et quinze autres actrices françaises tĂ©moignent dans le livre Noire nâest pas mon mĂ©tier de ce que le racisme a pu leur faire au cours de leur carriĂšre. Car leur particularitĂ© la plus flagrante est dâĂȘtre noires.
« Oh, la chance dâavoir des fesses comme ça, vous devez ĂȘtre chaude au lit, non ?».
Lâactrice NadĂšge Beausson-Diagne, encore elle, a reçu ce « compliment ». Elle ne nous dit pas- « la coquine ! »- si câĂ©tait le 14 fĂ©vrier, jour de la St Valentin.
Mata Gabin, MaĂŻmouna Gueye, Eye HaĂŻdara, Rachel Khan, AĂŻssa MaĂŻga, Sara Martins, Marie-PhilomĂšne NGA, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja TourĂ© et France Zobda sont avec NadĂšge Beausson-Diagne les 16 actrices noires françaises qui tĂ©moignent dans ce livre. Et vu que nous sommes encore aujourdâhui le 8 Mars 2019, soit le jour « officiel » de la Femme, les nommer ce jour-lĂ permet doublement de les honorer, elles et celles et ceux qui leur ressemblent quâils soient noirs ou pas dâailleurs. Mais ici, le thĂšme du livre est dâabord la peau de couleur noire.
« Parce-que, pendant des siĂšcles, cette couleur de peau Ă©tait aussi celle des esclaves, des colonisĂ©s, parce quâelle reste un fantasme exotique ou quâelle renvoie Ă une classe sociale pauvre, il faudrait quâelle raconte encore et toujours cela au cinĂ©ma » ( lâactrice Rachel Kahn).
LâhĂ©ritage du passĂ© colonial de la France est pour quelque chose dans ce regard sur les Noires et Noirs de France. En Ă©tant un tout petit peu excessif, il doit bien se trouver aujourdâhui en France quelques personnes qui estiment â en toute bonne foi- que câest dĂ©jĂ trĂšs bien que les femmes et les hommes noirs soient acceptĂ©s dans les transports en commun, dans les Ă©coles et dans les lieux de soins. Deux cents ans plus tĂŽt, il en aurait Ă©tĂ© tout autrement :
Câest donc bien la « preuve » que la France est un pays Ă©voluĂ© et trĂšs tolĂ©rant. Et « notre » cher et charismatique GĂ©nĂ©ral de Gaulle parfois surnommĂ© « Papa de Gaulle », lors du dĂ©filĂ© de la Victoire sur les Champs ElysĂ©es Ă la fin de la Seconde Guerre Mondiale en 1945 a aussi envoyĂ© un message trĂšs fort en expurgeant des troupes victorieuses les Arabes et les Noirs- pourtant français- qui avaient aussi contribuĂ© Ă libĂ©rer la France.
La France rĂ©publicaine, dĂ©mocratique et exemplaire, a attendu 2007 pour quâun PrĂ©sident de Droite nomme une Française dâorigine arabe au poste prestigieux de Ministre de la Justice. Et il a fallu attendre 2012 pour quâun PrĂ©sident socialiste- le parti socialiste Ă©tant censĂ© ĂȘtre plus progressiste quâun parti de Droite- nomme une Française dâorigine guyanaise â donc, noire- au mĂȘme poste prestigieux de Ministre de la Justice. Peu importe que, pour des raisons diffĂ©rentes, Rachida Dati, pour la premiĂšre, et Christiane Taubira, pour la seconde, aient quittĂ© leurs fonctions avant la fin du quinquennat prĂ©sidentiel. Le symbole est lĂ : la France politique a dĂ» attendre le 21Ăšme siĂšcle pour sâouvrir Ă un dĂ©but de rĂ©elle diversitĂ© en nommant des Français « dâorigine » Ă des fonctions prestigieuses. Avant cela, bien-sĂ»r, il yâavait eu quelqu’un comme Roger Bambuck- Un Noir qui courait vite lorsqu’il Ă©tait athlĂšte de haut niveau-  au poste de SecrĂ©taire de la Jeunesse et des Sports.
Mon pĂšre, encouragĂ© par lâEtat Français, comme dâautres milliers dâAntillais Ă venir travailler dans lâHexagone- au dĂ©triment du dĂ©veloppement Ă©conomique de sa Guadeloupe natale- dans les annĂ©es 60 affirmait il yâa plus de vingt ans : « Je vois plus facilement un Noir ĂȘtre Ă©lu PrĂ©sident aux Etats-Unis quâen France ! ». Pour mon pĂšre, la France est un pays de Blancs. Racistes. Pour lui, je nâai rien Ă faire en France depuis que je suis diplĂŽmĂ©. Je devrais vivre en Guadeloupe ou mĂȘme Ă lâEtranger. Mais pas en France. En 1999, en acceptant une mutation professionnelle, mon pĂšre est retournĂ© vivre dans sa Guadeloupe natale quelques annĂ©es avant de prendre sa retraite. Il avait 22 ans lorsqu’il Ă©tait arrivĂ© en France en 1966. Ma mĂšre en avait 19 en 1967 lorsqu’elle avait quittĂ© sa Guadeloupe natale comme mon pĂšre afin d’y trouver du travail.
Barack Obama a donnĂ© en partie raison Ă mon pĂšre en devenant le Premier Noir PrĂ©sident des Etats-Unis de 2009 Ă 2017. Il faudra un jour que je prenne le temps dâen discuter avec Barack. Dâautant que son Ă©lection nâa pas fait de lui ou des Etats-Unis un PrĂ©sident et une Nation irrĂ©prochables. Barack Obama, câest aussi celui qui, lors de son premier discours dâinvestiture a pu dire : « Nous nâallons pas nous excuser pour notre mode de vie ! ». Ce qui signifiait quâil entendait poursuivre avec le mĂȘme panache et le mĂȘme aplomb bien des actions de la politique amĂ©ricaine en matiĂšre dâingĂ©rence militaire comme en termes de non respect de lâĂ©cologie par exemple. En outre, aprĂšs lui, lâĂ©lection de Donald Trump en 2017 fait penser Ă la revanche dâune certaine AmĂ©rique raciste. Et aussi encore plus libĂ©rale et individualiste. Donc, nous pondĂ©rerons notre enthousiasme envers Obama et certains exemples qui nous viennent des Etats-Unis. Si je cite Obama ici, câest pour le symbole. Et pour cette forme dâ Espoir quâil a pu un moment et certaines fois reprĂ©senter en faveur d’un Monde plus ouvert et moins raciste. Parler des Etats-Unis, câest aussi parler de cinĂ©ma dâune certaine façon. Il existe lĂ -bas un certain « Savoir-faire » dans le domaine.
Noire nâest pas mon mĂ©tier est paru en France 2018. Ces 16 actrices françaises qui tĂ©moignent tournent sur les planches ou au cinĂ©ma depuis le dĂ©but des annĂ©es 80 pour les plus expĂ©rimentĂ©es. Jâai beau ĂȘtre assez cinĂ©phile et sensible au sujet de la prĂ©sence des Noirs dans le cinĂ©ma français, je connaissais de visage et de nom seulement cinq de ces seize actrices : AĂŻssa MaĂŻga, Firmine Richard, Sara Martins, Sonia Rolland et Shirley Souagnon. Le hasard veut que Shirley Souagnon soit actuellement sans doute la plus connue de toutes. Or, Shirley Souagnon fait partie des trois absentes sur les deux photos du livre avec Eye HaĂŻdara et Magaajyia Silberfeld. MĂȘme si elle est actrice, Shirley Souagnon est aussi-principalement- lâhumoriste du groupe, une humoriste engagĂ©e et consciente. Par choix. Pour avoir regardĂ© certains des sketches de Shirley Souagnon, je sais quâelle ne mĂ©nage pas son public : elle est loin dâĂȘtre la petite rigolote noire que lâon a envie dâinviter Ă son anniversaire pour quâelle nous fasse passer un bon moment. Je lui trouve une certaine agressivitĂ© et elle ne me fait pas rire pour lâinstant. Mais elle nâa sans doute pas dâautre choix : dâune part parce quâelle est homo dans un monde hĂ©tĂ©ro activement homophobe y compris parmi les Noirs. Dâautre part parce quâelle sait que le fait dâĂȘtre Noir (e) et comique expose Ă ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une gentille irresponsable. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, Ă moins dâuser de lâironie ou de lâhumour noir, le comique (peu importe sa couleur de peau, son genre ou sa prĂ©fĂ©rence sexuelle) reste dâabord souvent considĂ©rĂ© comme une espĂšce de farfelu pour qui la lĂ©gĂšretĂ© et la sĂ©rĂ©nitĂ© sont des Ă©vidences. Et, pour beaucoup, câest une surprise rĂ©guliĂšrement renouvelĂ©e de constater au travers dâun rĂŽle dramatique ou dâune confession touchante que le comique peut ĂȘtre plus endolori et plus grave quâil ne le montre. Pour le moment, je prĂ©fĂšre largement Shirley Souagnon dans le rĂŽle quâelle a tenu dans la sĂ©rie Engrenages Ă ce que jâai vu- et entendu dâelle- en tant quâhumoriste.
Je connaissais France Zobda de nom mais jâaurais Ă©tĂ© incapable de citer un film lui correspondant en tant quâactrice. MĂȘme si jâavais dĂ©jĂ entendu parler du film Adieu Foulards rĂ©alisĂ© en 1983 par Christian Lara et vu, en dĂ©calĂ©, le Black Mic-Mac rĂ©alisĂ© en 1985 par Thomas Gilou. Je nâai toujours pas vu Les Caprices dâun fleuve rĂ©alisĂ© en 1996 par Bernard Giraudeau et jouĂ© Ă©galement par lui-mĂȘme et dâautres acteurs français plutĂŽt confirmĂ©s.
« Dans ma ville, Paris, les Noirs sont partout. Dans les films, nulle part ». (Lâactrice AĂŻssa MaĂŻga).
Les noms et les visages dâAssa Sylla et de Karidja TourĂ© auraient pu peut-ĂȘtre me dire quelque chose. Mais je nâai pas vu le film de CĂ©line Sciamma qui les a fait connaĂźtre : Bandes de filles, rĂ©alisĂ© en 2014. MĂȘme si je me rappelle de ce film et de sa campagne dâaffichage.
Karidja TourĂ© sâinterroge : « Pourquoi est-ce quâon nâa pas fait la couverture dâun grand magazine comme Elle ? Avec nos visages dâactrices noires en Une ? ».
Jâai envie de rĂ©pondre Ă Karidja TourĂ© :
Parce-que je doute que le magazine Elle mette en couverture des personnalitĂ©s comme BĂ©atrice Dalle ou Brigitte Fontaine qui sont des femmes blanches. Alors, mettre en couverture de Elle quatre jeunes actrices noires qui veulent conquĂ©rir le cinĂ©ma français, câest lui demander lâimpossible.
( Photo ci-dessous prise ce jeudi 11 avril 2019 au matin et ajoutĂ©e ce jour-mĂȘme. Karidja TourĂ© est la deuxiĂšme en partant de la droite, Assa Sylla, la premiĂšre)
Dâautant quâun peu plus tĂŽt, Karidja TourĂ© avait aussi fait ce constat :
« Ce nâest quâaprĂšs que jâai compris quâil nâyâavait pas de Noires dans les Ă©coles de théùtres ou trĂšs peu. On nâexiste pas, on y est introuvables ».
Je peux peut-ĂȘtre le confirmer. Câest uniquement en reprenant des cours de théùtre-plus poussĂ©s- au conservatoire dâArgenteuil que jâai rencontrĂ© deux autres Noires parmi mes partenaires. Jâavais 45 ans. Et je me rappelle aussi de deux autres jeunes noires , qui se connaissaient, et qui devaient ĂȘtre lycĂ©ennes. Elles avaient participĂ© Ă deux ou trois cours. Elles me paraissaient capables. Elles ont pourtant trĂšs vite arrĂȘtĂ© de venir. Sur mes deux autres partenaires noires, lâune, lycĂ©enne, aprĂšs le Bac, sâest dirigĂ©e vers Sciences Po. Elle me paraissait trĂšs capable. Je situerais mon autre partenaire, un peu plus ĂągĂ©e mais bien plus jeune que moi, Ă©galement trĂšs capable, dans un entre-deux. Elle a dans un premier temps pris un poste Ă responsabilitĂ©s dans un milieu professionnel extĂ©rieur au théùtre et au cinĂ©ma. Depuis, je ne sais pas ce quâelle devient. Quant Ă moi, je suis trĂšs ambivalent. Et jâai compris depuis peu, depuis la tenue de ce blog, quâil me faudrait une sorte de « cause » Ă servir pour me dĂ©cider Ă vĂ©ritablement mâimpliquer professionnellement dans le cinĂ©ma et dans le théùtre en tant que comĂ©dien :
Bien des personnes choisissent de devenir comĂ©dien et de vivre de ce mĂ©tier par plaisir. Jâen ai dĂ©jĂ croisĂ© un certain nombre. La majoritĂ©. Il me semble que je nâai pas ce droit-lĂ . Ou que je ne lâai jamais eu. Cela mâest trĂšs difficile de raisonner de cette façon. Je crois que je nâai pas les moyens de mâoffrir cette insouciance. Ne serait-ce que dâun point de vue Ă©conomique et cela depuis le dĂ©but. Bien-sĂ»r, ce verrou Ă©conomique dĂ©pend de certaines prioritĂ©s qui nous viennent de notre Ă©ducation, de cette conscience acĂ©rĂ©e que nous avons de nous-mĂȘmes, de nos chances de rĂ©ussite, et de notre place dans le monde. Ăa me rappelle cette anecdote du DJ français Laurent Garnier dans son livre Electrochoc quâil avait Ă©crit en 2003 ( depuis, une deuxiĂšme version augmentĂ©e d’Electrochoc est parue mais je ne l’ai pas lue) avec David Brun-Lambert et que jâavais lu avec plaisir :
Il racontait avoir rencontrĂ© au cours de sa carriĂšre un certain nombre de DJs qui faisaient rĂ©fĂ©rence et dont il avait pu ĂȘtre un admirateur avant de devenir lui-mĂȘme DJ professionnel tout comme eux. Parmi eux, un DJ noir amĂ©ricain dont jâai oubliĂ© le nom et qui devait ĂȘtre de Detroit. NaĂŻvement, Laurent Garnier, lors dâune discussion avec ce DJ noir, avait dit faire de la musique « Pour le FunâŠ. ». ( « Pour sâamuser, pour le plaisir »). Le DJ noir lui avait alors rĂ©pondu : « Pour le Fun ?! On ne fait pas de la musique pour le Fun ! ». Jâai dĂ» lire ce livre et cette anecdote il yâa plus de quinze ans. Câest seulement en lisant Noire nâest pas mon mĂ©tier cette semaine que je peux faire un peu plus le parallĂšle avec moi et mes rapports ambivalents envers le mĂ©tier de comĂ©dien.
Pour certains mĂ©dia français, parler des Noirs, câest sans doute vendeur lorsquâil sâagit de montrer des Ă©meutes dans les banlieues. Le sous-texte Ă©tant :
« Pourvu que tous ces Noirs restent dans les cages de leurs immeubles de banlieue et tout ira pour le mieux ».
Mais câest aussi peut-ĂȘtre vendeur lorsquâil sâagit de montrer deux Rappeurs â et leurs partisans- qui se bagarrent dans un aĂ©roport. Le sous-texte Ă©tant peut-ĂȘtre alors :
« EspĂ©rons que ces noirs, aprĂšs sâĂȘtre battus, vont prendre lâavion pour rentrer dĂ©finitivement « chez » eux » dans leur pays de macaques ».
Pour certains esprits qu’un ouvrage comme Noire N’est pas Mon MĂ©tier dĂ©range, tout irait bien aussi si les actrices qui y tĂ©moignent  acceptaient de rester des corps aussi dociles quâimbĂ©ciles. Ce livre de tĂ©moignages pourrait ainsi ĂȘtre le tombeau en mĂȘme temps que le sacrement dĂ©finitif du scĂ©nario fictif de leur intelligence. Mais ces seize actrices sont perspicaces. Elles sont loin de raisonner comme des manches Ă balai :
« Je commence Ă ĂȘtre spĂ©cialiste de la pute maintenant⊠» (lâactrice Rachel Khan).
« Les rares fois oĂč on recherche une femme noire, câest pour raconter une migration tragique, la prĂ©caritĂ© ou la banlieue dĂ©linquante. Les films dâĂ©poque aussi nous sont interdits, parce-que encore une fois, lâInconscient collectif ne peut se reprĂ©senter une prĂ©sence noire sur le territoire français avant les annĂ©es 1980. A moins que ce ne soit une prostituĂ©e. Câest le seul genre de rĂŽle oĂč ĂȘtre noire est recommandĂ© ! » (lâactrice Sara Martins).
« Je joue toutes les dĂ©clinaisons possibles de la mama et de la putain africaines ; des personnages hauts en couleur sans capital intellectuel ou Ă©conomique. Si je nâacceptais pas ces personnages, concrĂštement, je ne travaillerais pas en tant que comĂ©dienne » (lâactrice Sabine Pakora).
Et lorsque lâon lit le CV de plusieurs dâentre elles, tant intellectuel quâartistique, ainsi que leur tĂ©moignage, on comprend trĂšs vite quâelles sont surqualifiĂ©es pour ce quâon leur demande de jouer. A titre personnel, je me souviens avoir Ă©tĂ© contactĂ© en 2014 ou en 2015 pour « jouer » une silhouette dâhomme de mĂ©nage. Jâavais alors repris mes cours de théùtre au conservatoire et comptais dĂ©jĂ plusieurs annĂ©es dâexpĂ©riences théùtrales auparavant. La personne qui mâavait contactĂ© ne pensait visiblement pas Ă mal et jâavais perçu son embarras lorsque je lui avais fait comprendre que je refusais ce genre de proposition. Je nâai plus Ă©tĂ© rappelĂ©.
Si le racisme anti-noir oblitĂšre les carriĂšres en France (et AĂŻssa MaĂŻga en donne un tĂ©moignage marquant) je crois aussi que certaines personnes dĂ©cisionnaires sont nommĂ©es Ă leur poste de dĂ©cision parce-que lâon « sait » quâelles se conformeront aux directives qui leur seront donnĂ©es sans chercher Ă innover. Cela existe dans toutes les entreprises. Cela devrait ĂȘtre moins le cas dans une entreprise cinĂ©matographique car on est supposĂ© ĂȘtre ici dans un univers crĂ©atif et artistique donc plutĂŽt ouvert sur le monde et son Ă©volution. Mais mĂȘme lâunivers crĂ©atif et artistique a ses dirigeants conservateurs et nostalgiques. Le cinĂ©ma permet de recrĂ©er artificiellement des souvenirs et de les façonner de maniĂšre Ă les faire se rapprocher du mythe. Mythe « recréé » devant lequel il sera possible ensuite de se prosterner et dâamener dâautres Ă le faire avec nous. Si le fantasme absolu dâun producteur est de voir des actrices qui lui rappellent Ava Gardner ou Marilyn Monroe parce que celles-ci lâont tant fait rĂȘver plus jeune, il aura beaucoup de mal Ă accepter quâAĂŻssa MaĂŻga ou une autre vienne remplacer Ava Gardner ou Marilyn Monroe dans un film quâil produit. Comment, en regardant par exemple une Scarlett Johansson aujourdâhui, ne pas voir, dâune façon ou dâune autre, un zeste de Marilyn Monroe ? Comment ne pas trouver un air de Demi Moore Ă la Jennifer Connelly que lâon voit dans le Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez sorti derniĂšrement au cinĂ©ma ? Comment ne pas trouver chez Laetitia Casta un quelque chose de Brigitte Bardot ?
Par ailleurs, on peut ĂȘtre trĂšs cultivĂ© et raciste. On peut mĂȘme ĂȘtre une femme ou un homme politique -ou mĂ©decin- occuper un poste Ă haute responsabilitĂ© et ĂȘtre raciste.
Mes remarques, ici, peuvent sembler fatalistes. Je suis pourtant de lâavis dâAĂŻssa MaĂŻga lorsquâelle dit :
« Mon territoire nâest pas limitĂ© Ă la couleur de ma peau(âŠ.) ».
Je suis aussi dâaccord avec elle lorsquâelle dit :
« Ce public au nom duquel on efface de lâhistoire les acteurs Ă la peau sombre est celui que je croise dans le mĂ©tro, dans la rue, dans les cafĂ©s. Si les gens ne sâenfuient pas en courant en me voyant, alors pourquoi le feraient-ils en mâapercevant sur une affiche de cinĂ©ma ? Je ne comprends toujours pas pourquoi le « public », prĂȘt Ă se dĂ©placer au cinĂ©ma pour Will Smith ou Denzel Washington, ne pourrait souffrir de voir Mata, NadĂšge, Eriq ( Ebouaney), Alex ( Descas), AĂŻssa, Edouard ( Montoute), Firmine, Sonia (âŠ.) tous noirs ou mĂ©tissesâŠ.mais Français ? De quelle nature est la diffĂ©rence entre un Noir des Etats-Unis et un Noir venu dâAfrique, dâOutremer ou encore nĂ© ici ? Sommes-nous finalement trop Français pour des Noirs ? ».
Je crois ici que les Etats-Unis, en tant que PremiĂšre Puissance Mondiale, continuent dâexercer en France et ailleurs une forte et une folle fascination : beaucoup de gens ont encore envie de sâidentifier aux AmĂ©ricains. Le fait que le Basket soit devenu en France un sport aussi prisĂ© est pour moi une preuve supplĂ©mentaire de cette fascination pour les Etats-Unis. Pareil pour le Rap. Imaginons le Tony Parker dâaujourdâhui en  1984. A Ă lâĂ©poque oĂč Platini, Giresse, Tigana, Luis Fernandez et les autres Ă©taient devenus champions dâEurope de Football. En 1984, Tony Parker aurait eu beaucoup moins de couverture mĂ©diatique qu’aujourd’hui. A cette « Ă©poque », le Basket en particulier amĂ©ricain, Ă©tait moins populaire en France.
Un Noir AmĂ©ricain, câest tellement plus « stylĂ© ». Plus « affirmĂ© ». Câest plus « cool ». Câest aussi plus « exotique ». En plus, en sport, les noirs amĂ©ricains restent devant. Câest aussi cela, la persistance du RĂȘve amĂ©ricain pour beaucoup de Français. En outre, culturellement, il yâa un Savoir-faire amĂ©ricain et un sens du spectacle rĂŽdĂ©, puissant, qui est sĂ©duisant. Si lâon prend par exemple un animateur tĂ©lĂ© comme Jimmy Fallon, il a tout de mĂȘme plus dâenvergure quâun Thierry Ardisson, un Cyril Hanouna ou un Nagui. Et on remarquera que Jimmy Fallon est un homme blanc. Mais tout autant AmĂ©ricain.
Si lâon devait comparer une des prestations de Billy Cristal lorsquâil avait animĂ© la cĂ©rĂ©monie des Oscars et celle de Kad Merad lors des derniers CĂ©sars, je suis dâavis que ce serait lâAmĂ©ricain Billy Cristal qui lâemporterait.
Pareil pour certains humoristes qui sont les références de plusieurs de nos humoristes français adeptes du Stand-Up : qui sont ces modÚles ? Des Américains.
Je suis peu connaisseur de BeyoncĂ©, Lady Gaga et de celles qui les concurrencent ou les dĂ©passeront. Mais leur succĂšs mondial fait dâelles des modĂšles. Et, elles sont aussi amĂ©ricaines. Et lorsque certaines vedettes ne sont pas amĂ©ricaines, elles font en sorte de s’y rendre ou de s’y Ă©tablir. Car c’est lĂ -bas que « ça se passe ».
Et puis, il faut rappeler que pour beaucoup de Français, le cinĂ©ma français est synonyme de mauvais cinĂ©ma. Câest un prĂ©jugĂ© assez tenace. Je lâai dĂ©jĂ constatĂ© plusieurs fois en proposant dâaller voir un film français. Pour un certain nombre de personnes en France, cinĂ©ma français rime encore avec tĂ©lĂ©film, mauvaise sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e, film intello pour nĂ©vrosĂ©s ou film dâhumour gras. Je ne suis pas sĂ»r que le cinĂ©ma dâauteur français dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale soit autant apprĂ©ciĂ© Ă sa juste valeur quâil le devrait en France. Je crois quâil existe en France un public «Pop-Corn », jeune et familial assez peu curieux du cinĂ©ma.
Lorsque je repense au remake amĂ©ricain True Lies du film français La Totale– qui est une comĂ©die rĂ©alisĂ©e en 1991 par Claude Zidi- autant lâaspect comĂ©die Ă©tait ratĂ© dans la version amĂ©ricaine rĂ©alisĂ©e par James Cameron, autant, dans la partie action, la version originale française Ă©tait ridiculisĂ©e. Il yâa une efficacitĂ©- ainsi quâune rentabilitĂ© Ă©conomique- dans le cinĂ©ma amĂ©ricain qui captive encore beaucoup de spectateurs et plus encore un certain nombre de producteurs français, qui leur donnent la sensation dâassister de nouveau au dĂ©barquement du D-Day sauf que cela se passe sur grand Ă©cran. Et Will Smith comme Denzel Washington, mĂȘme s’ils sont noirs, font partie des GIâS qui dĂ©barquent sur les Ă©crans français.
Câest sĂ»rement parce quâun rĂ©alisateur-producteur-scĂ©nariste comme Luc Besson ( Un Français, donc) a empruntĂ© les mĂȘmes recettes que ses films dâaction marchent auprĂšs dâun certain public, plutĂŽt nombreux en France. Voire aux Etats-Unis. Ou dans le monde.
Il nâyâa pas de hĂ©ros noir dans la sĂ©rie GOT (Game of Thrones), une sĂ©rie amĂ©ricaine Ă succĂšs de plus que jâaime beaucoup. Sâil sâĂ©tait trouvĂ© un hĂ©ros noir dans GOT, au vu du succĂšs de la sĂ©rie, dont la 8Ăšme et derniĂšre saison commence Ă ĂȘtre annoncĂ©e pour ĂȘtre vĂ©ritablement lancĂ©e Ă partir du 14 avril prochain sur la chaine HBO, lâacteur qui lâaurait interprĂ©tĂ© aurait aujourdâhui une cĂŽte autrement supĂ©rieure Ă nos actrices et acteurs noirs français. Surtout lorsque lâon voit comme le fait de participer Ă cette sĂ©rie a particuliĂšrement « boostĂ© » la carriĂšre de plusieurs des actrices et acteurs engagĂ©s. A un point qui est peut-ĂȘtre exagĂ©rĂ© compte tenu du fait que certaines et certains des comĂ©diens ont plus de jeu que dâautres. Mais le cinĂ©ma, ce puissant dĂ©terminant social, est plus un vecteur dâexagĂ©ration que de modĂ©ration.
NĂ©anmoins, plus prĂšs de nous, il yâa encore quelques annĂ©es, un Bilal Hassani, « Arabe et Queer » nâaurait pas pu reprĂ©senter la France Ă lâEurovision ce 26 avril prochain. Et, il est vraisemblable que la dirigeante du RN ( ex-Front National), dâautres dirigeants dâautres partis politiques ainsi que certaines personnalitĂ©s ou intellectuels français soient particuliĂšrement irritĂ©s de savoir que Bilal Hassani reprĂ©sentera la France Ă lâEurovision. Parler de « lâeffet » Bilal Hassani aprĂšs avoir Ă©voquĂ© « lâeffet » GOT a sans doute un cĂŽtĂ© comique. Mais câest pour souligner quâil yâa quelques ouvertures malgrĂ© tout en France. Et que pour avoir regardĂ© la phase finale de la sĂ©lection française avec quelques ados dans mon service, jâai pu percevoir comme Bilal Hassani Ă©tait un modĂšle pour ces jeunes car il a eu la force et le courage de prendre le risque de sâaffirmer tel quâil est.
Mais cela prendra encore du temps avant que cela Ă©volue vĂ©ritablement en France quant Ă la visibilitĂ© des Noirs dans le cinĂ©ma. Noire nâest pas mon mĂ©tier aurait pu sâappeler Noire nâest pas mon pays mais aussi Noire est mon mĂ©tier Ă tisser. Pour que le changement soit incontestable, cela nĂ©cessitera dâavoir la persĂ©vĂ©rance et la patience â symbolique et concrĂšte- de plusieurs PĂ©nĂ©lope.
Pour lâactrice Marie-PhilomĂšne Nga, la solution passe aussi par des projets dont elle est lâinitiatrice et quâelle dirige en France et Ă lâĂ©tranger :
« Câest ainsi que, vivant Ă Paris dorĂ©navant, je me retrouve conceptrice, organisatrice de projets entre lâAfrique, la France et lâInde ».
Lâactrice Magaajyia Silberfeld et France Zobda sont aussi dans le mĂȘme Ă©tat dâesprit.
« (âŠ.) Quelques jours aprĂšs, je suis repartie Ă Los Angeles, Ă lâoccasion de la premiĂšre de mon court-mĂ©trage Vagabonds et pour ĂȘtre lĂ au moment des Oscar. LĂ -bas, si on travaille, on peut y arriver. LĂ -bas, on rencontre quelquâun qui vous fait rencontrer quelquâun dâautre, etc. Tout est possibleâŠOn pourra me repĂ©rer, qui sait ! ». (lâactrice Magaajvia Silberfeld).
Grande aptitude Ă la « rĂ©silience », « entourage de qualitĂ© supĂ©rieure » et autodĂ©rision font partie des « armes » de ces Mesdames. (voir la premiĂšre partie mon article LâĂ©cole Robespierre concernant le titre de « Madame » et « Monsieur »).
Certaines personnes souhaiteraient que le cinĂ©ma français adopte des quotas comme aux Etats-Unis pour assurer une certaine reprĂ©sentation de la diversitĂ© dans le cinĂ©ma français. JâĂ©tais plutĂŽt contre. Je trouvais ce moyen « artificiel » et assez facile Ă contourner : Je considĂ©rais quâil suffirait de mettre un Arabe ou un Noir Ă lâarriĂšre-plan ou dans un rĂŽle sans intĂ©rĂȘt pour considĂ©rer avoir rempli son quota. Je considĂ©rais que des quotas, seuls, seraient insuffisants pour inverser la tendance. Mais, finalement, si on fait une comparaison avec le code de la route, on sâaperçoit quâil a bien fallu Ă©tablir des rĂšgles de conduite et verbaliser certaines infractions pour rĂ©guler certains comportements et faire diminuer certains risques dâaccidents ainsi que la mortalitĂ© sur la route. Dans le milieu du cinĂ©ma et du théùtre, câest un peu pareil. Cela peut dâabord paraĂźtre dĂ©placĂ© de parler de « mortalitĂ© » pour des comĂ©diens exclus ou Ă©cartĂ©s du fait de leur couleur de peau dans un milieu de toute façon trĂšs sĂ©lectif que lâon soit noir ou blanc. Mais un comĂ©dien privĂ© de rĂŽles est comme tout employĂ© privĂ© dâemploi rĂ©munĂ©rĂ© : Il est Ă©conomiquement condamnĂ©. LâĂ©ventualitĂ© de sa mortalitĂ© sociale et morale se fait alors plus concrĂšte. Il faudrait donc peut-ĂȘtre pĂ©naliser certains projets théùtraux et cinĂ©matographiques qui choisissent leurs comĂ©diens au faciĂšs ou rĂ©servent toujours les mĂȘmes rĂŽles dĂ©gradants aux mĂȘmes comĂ©diens comme on pĂ©nalise les excĂšs de vitesse ou lâabus dâalcool au volant. Pour cela, il faudrait dâabord une rĂ©elle volontĂ© politique, culturelle et sociale en vue de permettre une certaine Ă©quitĂ©. EquitĂ© qui serait toujours imparfaite car lâĂȘtre humain est imparfait. Ensuite, il faudrait que cette volontĂ© politique puisse imposer ces codes ou ces lois Ă des producteurs et Ă des distributeurs. Ce qui serait dĂ©jĂ beaucoup plus difficile : malgrĂ© les limitations de vitesse de plus en plus strictes, les constructeurs automobiles continuent de vendre des voitures trĂšs puissantes afin de les rendre attractives. Et ces voitures trouvent acquĂ©reurs. Ce sont les acquĂ©reurs qui Ă©copent des amendes, de la perte de points et du retrait de permis. Pas les constructeurs automobiles ni les concessionnaires automobiles. Les premiers continuent de « construire ». Et les seconds Ă vendre.
Le changement viendra sans doute du public qui plĂ©biscitera de plus en plus un certain type de cinĂ©ma oĂč une certaine diversitĂ© sera montrĂ©e. Parce-que cela correspondra Ă un besoin quâil essaiera de satisfaire comme cela a Ă©tĂ© le cas pour le RAP qui, de musique marginale il yâa trente ans, est devenue aujourdâhui un genre musical que nâimporte quel jeune, blanc ou noir, de classe sociale modeste ou bourgeoise, Ă©coute.
Pour cela, il faut des artistes chefs de file qui proposent des Ćuvres qui vont remplir un vide que certains producteurs actuels, accrochĂ©s Ă leurs rĂ©fĂ©rences et Ă leur passĂ©, sont incapables de percevoir. AprĂšs tout, il est bien des chefs d’entreprise qui, alors qu’ils auraient pu ĂȘtre des pionniers, ont trĂšs mal anticipĂ© le dĂ©veloppement de l’Ă©conomie numĂ©rique par exemple. Ou de certaines innovations technologiques telles que le smartphone.
Tout Ă lâheure, jâai Ă©tĂ© un peu sarcastique envers Kad Merad en tant que Maitre de cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars cette annĂ©e. Mais cette annĂ©e, Kad Merad est peut-ĂȘtre pour quelque chose dans le fait que lâartiste Eddy de Pretto soit venu interprĂ©ter un titre de Charles Aznavour :
Jâme voyais dĂ©jĂ . MĂȘme si lâinterprĂ©tation dâEddy de Pretto ne mâa pas convaincu et que jâai du mal pour lâinstant Ă ĂȘtre emballĂ© par sa prĂ©sence scĂ©nique, je vois dans sa participation aux derniers CĂ©sars le signe dâun changement. Il yâa dix ou quinze ans, un artiste comme Eddy De Pretto (Artiste hybride entre le chant et le RAP et homo affirmĂ©) nâaurait pas Ă©tĂ© conviĂ© Ă la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars en France.
« Dans cette clartĂ© Ă©blouissante oĂč rĂšgnent nos absences, je regarde ma fille qui danse dans la cuisine » (lâactrice Rachel Kahn).
Ma fille, pour lâinstant, se croit blanche. Comme beaucoup dâenfants, elle a entonnĂ© les paroles de La Reine Des Neiges : « DĂ©livrĂ©eéééééééééé ! Je ne serai plus jamais la mĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘ-me ! ». Comme beaucoup dâautres enfants avant et aprĂšs elle, ma fille aime porter une robe de Blanche Neige. Dans son Ă©cole, les enfants viennent de partout. Juifs, musulmans, Arabes, Blancs, Noirs sont ensemble. MalgrĂ© quelques mĂšres en tenue musulmane traditionnelle. MalgrĂ©, dĂ©jĂ , cette course vers lâĂ©cole privĂ©e. Ma fille, comme la plupart des enfants de son Ăąge, est encore loin de savoir le mĂ©tier quâelle souhaitera faire plus tard. Ou elle nâen parle pas pour lâinstant. Avec sa mĂšre, je parle de ce monde en noir et blanc et je veille Ă ce que, Ă la maison, elle entende toutes sortes de musiques. Et regarde dâautres dessins animĂ©s que ceux ou, invariablement, les protagonistes sont uniformĂ©ment blancs. En sa prĂ©sence, je discute avec des personnes de diffĂ©rentes origines et diffĂ©rentes cultures. Je ne vois pas pourquoi je devrais dĂ©ja lui farcir la tĂȘte avec lâesclavage et le racisme. Je ne peux pas prĂ©voir ses rencontres et ce quâelles ( lui) donneront. De temps Ă autre, je lui parle de la RĂ©union et de la Guadeloupe.
Je sais que lâon peut ĂȘtre noir et raciste. Je sais que le racisme est multiforme. Et quâil sâexerce aussi contre dâautres sur dâautres critĂšres que la couleur de peau. Je sais que jâai des prĂ©jugĂ©s. Mais, moi, je nâempĂȘche personne de devenir acteur parce quâil est blanc. Et je nâai jamais refusĂ© de jouer sur scĂšne ou dans un court-mĂ©trage avec une partenaire blanche ou un partenaire blanc. MĂȘme si cela pourrait ĂȘtre le thĂšme dâun sketch ou dâun court mĂ©trage humoristique.
Cependant, je devrai ĂȘtre prĂȘt le jour oĂč quelquâun voudra dĂ©cider Ă la place de ma fille de la personne quâelle est parce quâelle est noire.
Franck Unimon, ce vendredi 8 mars 2019.