Catégories
Voyage

Center Park troisiĂšme et derniĂšre partie

 

 

 

 

Center Parcs 3Ăšme et derniĂšre partie

 

 

L’eau du robinet est Ă©tonnamment bonne Ă  Center parcs.

 

Hier soir, par curiosité, lors de notre promenade, je suis allé vérifier combien de personnes se trouvaient dans le centre aquatique : 900 !

Nous avons rencontrĂ© une copine de l’école de notre fille. Elle Ă©tait avec ses parents et ses deux sƓurs. J’ai reconnu le pĂšre que je salue quelques fois Ă  la sortie de l’école. Souriant et sympathique, celui-ci m’a dit : « ça change d’Argenteuil, hein ? ». J’ai acquiescĂ© poliment.

Ce matin, record absolu : un peu moins de 400 personnes Ă  notre arrivĂ©e. Comme les autres fois, nous commençons Ă  peine Ă  enlever nos chaussures Ă  l’entrĂ©e qu’une vingtaine de personnes nous rejoint.

Lors de notre premier jour, j’avais entendu un employĂ© du Center Parcs dire qu’il y’avait plein de casiers hors services. Nous en faisons l’expĂ©rience ce matin. Ma compagne a beau apposer son badge sur une dizaine de vestiaires diffĂ©rents: Cela ne marche pas.

 

Nous rĂ©ussissons Ă  trouver une employĂ©e. Elle repart avec notre badge pour le tester. A son retour quelques minutes plus tard, elle me rĂ©pond que notre badge est toujours actif. Mais elle constate –aussi- qu’elle n’arrive pas Ă  fermer un quelconque casier avec celui-ci. Elle me propose de fermer notre casier avec son badge et de revenir la voir lorsque nous partirons. Elle termine son service Ă  midi m’apprend t’elle. Il est alors onze heures. Je lui explique que nous resterons au centre aquatique bien aprĂšs midi. Elle me propose alors de solliciter ses autres collĂšgues qui prendront sa suite. L’idĂ©e de devoir solliciter ses collĂšgues et de dĂ©pendre de la confiance qu’ils voudront ou pourront bien m’accorder est pour moi Ă  Ă©viter. Je dĂ©cline cordialement et dĂ©cide de caser les affaires de ma compagne et de ma fille dans mon casier que je rĂ©ussis Ă  ouvrir et Ă  fermer de nouveau.

Ce matin, notre rĂ©gularitĂ© au centre aquatique est rĂ©compensĂ©e. Notre fille a moins peur. Et elle dĂ©couvre avec plaisir les joies des toboggans : Black Slide, Wide Slide, Jet Slide pour les enfants de son Ăąge. D’abord avec moi. Puis, seule. Ensuite, nous allons tenter l’expĂ©rience de toboggans oĂč, pour les enfants de son Ăąge, la compagnie d’un adulte lors de la descente du toboggan est obligatoire.

Lorsque nous sortons vers 13h30, je revois le Mac Do postĂ© stratĂ©giquement devant le centre aquatique. Des parents y dĂ©jeunent avec leurs enfants. D’autres personnes y commandent leur repas sur une des bornes prĂ©vues Ă  cet effet. Nous n’en faisons pas partie. Il y’a d’autres restaurants dans ce Center Parcs. Mais le Mac Do est le plus proche du centre aquatique. Plus proche que la boulangerie oĂč je me dirige pour acheter nos deux baguettes quotidiennes. Le Mac Do est aussi plus proche du centre aquatique que le supermarchĂ© Proxy qui jouxte la boulangerie. Devant moi ce matin, une clientĂšle allemande. Mais il m’a semblĂ© que la clientĂšle de ce Center Parcs Ă©tait majoritairement française. Du moins celle que nous avons pu croiser et entendre parler.

Aujourd’hui, ma compagne et moi faisons rapidement notre bilan comptable. Vu que nous sommes venus avec quelques provisions, nous aurons peu dĂ©pensĂ© lors de nos quatre jours à Center Parcs : 30 euros grosso modo. Si l’on excepte les 30 euros d’essence Ă  l’aller pour faire le plein qui sera suffisant pour rentrer.

Nous aurions sans doute dĂ©pensĂ© davantage s’il avait fait plus beau. En raison du ciel gris et de la pluie, nous nous sommes concentrĂ©s sur le centre aquatique -compris dans le forfait- et sur une petite promenade Ă  pied l’aprĂšs-midi avant de rentrer. Pas de passage dans l’un des magasins. Pas de commande de repas ou de restaurant. Pas de Mac Do. Et la tĂ©lĂ© est restĂ©e muette. Une radio aurait Ă©tĂ© bienvenue. Je m’en avise ce jeudi soir en mettant de la musique. Seul journal d’information : Le Canard EnchaĂźnĂ©. J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© hier lorsque ma compagne m’a appris que Le Canard EnchaĂźnĂ© Ă©tait en vente dans le rayon presse du supermarchĂ© Proxy.

L’expĂ©rience Center Parcs se terminera demain matin. J’en retire que cela peut ĂȘtre bien de retourner Ă  l’Aquaboulevard avec ma fille. Et que cela peut ĂȘtre agrĂ©able et reposant Ă  condition d’y rester quelques jours comme nous et ensuite de repartir ailleurs.

 

Depuis, nous sommes rentrĂ©s de Center Parcs. Et en discutant avec d’autres parents de l’école oĂč se rend ma fille, j’ai dĂ©couvert que plusieurs d’entre eux s’étaient rendus ou allaient se rendre au mĂȘme Center Parcs. Ces parents faisaient l’éloge de Center Parcs :

« Il a fait beau » ; « Nous avons louĂ© des vĂ©los et nous avons pu faire des balades » ; « Nous avons fait du mini-golf » ; « Il y’a plein de choses Ă  faire ! ». Devant eux, je me suis Ă  chaque fois Ă©crasĂ© et les ai Ă©coutĂ©s poliment. PlutĂŽt qu’hypocrite, mon attitude avait Ă  voir avec une sorte de pĂ©nitence : A Center Parcs, il est indĂ©niable que la majoritĂ© des parents que nous avons croisĂ©s tenaient Ă  transmettre le meilleur Ă  leurs enfants. C’est ce que je me suis rappelĂ© en dĂ©couvrant l’enthousiasme de ces parents Ă  me parler de Center Parcs. Et je me suis aussi rappelĂ© que moi, si j’ai acceptĂ© de me rendre Ă  Center Parcs, c’est parce-que je fais dĂ©sormais partie de cette catĂ©gorie de parents.

Franck Unimon, ce lundi 25 mars 2019, « loin » de Center Parcs. Enfin, c’est ce que je crois.

Catégories
Echos Statiques

L’Ă©cole Robespierre 3Ăšme et derniĂšre partie

 

 

L’école Robespierre 3Ăšme et derniĂšre partie

 

« Nous sommes comme une petite famille et tout le monde nous dĂ©teste. Et, en mĂȘme temps, cela met du piment dans ma vie. Tout ce que font mes anciens amis me semble terne et sans intĂ©rĂȘt ».

Dans le documentaire Exit-La Vie aprĂšs la haine, la rĂ©alisatrice Karen Winther retrouve le professeur Tore Bjorgo (professeur et directeur en NorvĂšge d’un centre de recherche sur les ExtrĂ©mismes) qu’elle avait rencontrĂ© alors qu’elle Ă©tait encore dans la mouvance fasciste. Celui-ci avait pris des notes.

Guro Sibeko, l’amie alors militante de gauche, qui a aidĂ© Karen Winther Ă  sortir du fanatisme en l’hĂ©bergeant durant quelques temps lui dit dans le documentaire :

« Tu Ă©tais triste et frustrĂ©e. Et tu ne captais rien. Tu voulais qu’on te dise quoi faire et quoi penser. C’est comme si tu attendais de nouvelles personnes qui auraient rĂ©flĂ©chi Ă  ta place ». Avec un sourire figĂ©, Karen Winther regarde Guro Sibeko tandis que celle-ci se remĂ©more la Karen qu’elle Ă©tait alors. Guro Sibeko est une Madame. Ainsi qu’une rĂ©sistante. Qui la connaĂźt ? J’ignore, si, Ă  la place de Guro Sibeko, j’aurais eu le courage ou l’envie de recevoir chez moi une Karen Winther passĂ©e par l’extrĂȘme droite. Karen Winther fut-elle une de mes anciennes amies ou connaissances. En effet, il arrive que l’on craigne que l’amie ou la connaissance « Ă©garĂ©e » et dĂ©semparĂ©e que l’on recueille afin de l’aider se rĂ©vĂšle une menace qui, finalement, empoigne notre foyer.

Il y a plusieurs annĂ©es, Ă  Paris, lors d’une soirĂ©e, j’avais croisĂ© une personne persuadĂ©e que lors de la Seconde Guerre Mondiale, elle aurait fait partie de la rĂ©sistance. Nous Ă©tions plusieurs autour de lui lorsque cet homme avait affirmĂ© :

« Lorsque je rencontre quelqu’un, je me demande toujours si cette personne aurait fait partie de la rĂ©sistance ».

J’avais jalousĂ© l’assurance de cet homme. Je l’avais aussi trouvĂ© trĂšs prĂ©tentieux. Je n’étais pas allĂ© jusqu’à me demander si cet homme lisait Ă  travers moi mieux que je ne me dĂ©cryptais moi-mĂȘme. Des personnes que je considĂšre trĂšs intelligentes, trĂšs cultivĂ©es et trĂšs sĂ»res d’elles-mĂȘmes parmi mes connaissances et rencontres, ou dont je lis et « vois » les engagements, dĂ©fendent des valeurs que j’estime proches des miennes. Cela me fait du bien mĂȘme si, paradoxalement, partager des valeurs communes est insuffisant pour ĂȘtre proche d’une autre personne. NĂ©anmoins, parfois, je me demande ce qui retient ces personnes de penser et de rĂ©agir tout Ă  fait diffĂ©remment : comme des personnes d’extrĂȘme droite, des fanatiques ou n’importe quel terroriste. Je me demande quels sont leurs « gardes fous ». Je me demande ce qui empĂȘche les super hĂ©ros Superman, Black Panther, Wonder Woman et Ororo, celles et ceux qui, dans la vraie vie, Ă  mes yeux, leur ressemblent, d’ĂȘtre du cĂŽtĂ© des sadiques et des fascistes.

On aimerait que la bravoure morale qui diffĂ©rencierait les hĂ©ros des salopards soit aussi nette, lorsqu’elle s’exprime, que la lame de la baĂŻonnette ou du rasoir. Mais je sais que l’ĂȘtre humain reste insaisissable. Et aussi que toute personne a ses limites. Un film comme Apocalypse Now de Coppola nous a montrĂ© ça. Mais aussi Stalker de Tarkovski.

Une erreur d’apprĂ©ciation frĂ©quente consiste Ă  considĂ©rer comme « cons » ou « idiots » toutes celles et tous ceux qui dĂ©fendent des valeurs contraires aux nĂŽtres. A mon avis, Spike Lee, dans son dernier film BlacKkKlansman( film rĂ©cemment oscarisĂ© et dont je parle dans la rubrique CinĂ©ma de ce blog) fait cette erreur. Dans son film, la majoritĂ© des racistes et adhĂ©rents du KuKLuxKlan sont des abrutis. Des trĂšs dangereux abrutis mais des abrutis quand mĂȘme.

Un tĂ©lĂ©film en deux parties, Alias Caracalla, au CƓur de la RĂ©sistance rĂ©alisĂ© par Alain Tasma en 2013 est inspirĂ© du livre Alias Caracalla, Ă©crit en 2009 par Daniel Cordier, ancien secrĂ©taire de Jean Moulin. Ce livre de Daniel Cordier est depuis sa parution devenu une rĂ©fĂ©rence et un exemple sur l’Histoire de la rĂ©sistance en France lors de la Seconde Guerre Mondiale. Daniel Cordier, comme d’autres rĂ©sistants connus ou anonymes, est un Monsieur. Pourtant, au dĂ©but de son engagement dans la rĂ©sistance, si j’ai bien compris, Cordier, bien que trĂšs cultivĂ©, Ă©tait plutĂŽt antisĂ©mite. Vu que je n’ai pas encore pris le temps de lire intĂ©gralement son ouvrage, j’ignore encore ce qui lui a permis de changer d’opinion intellectuelle et morale et de cesser d’ĂȘtre antisĂ©mite.

Pour expliquer la complaisance de certaines et certains dans leur rĂŽle de bourreaux et d’extrĂ©mistes envers leurs victimes et boucs Ă©missaires, certains « spĂ©cialistes » souligneraient peut-ĂȘtre davantage le manque d’intelligence Ă©motionnelle et d’empathie, ou un certain mĂ©pris pour ces facultĂ©s. Pour certaines et certains , l’intelligence Ă©motionnelle et l’empathie, une certaine forme de sentimentalisme, sont des marques de faiblesse. Etre « dur » au mal, inflexible et tranchant est valorisĂ©. On peut retrouver ces valeurs dans le corps militaire, en politique, dans un certain rapport au sport, dans le monde du travail, dans certaines relations familiales, amicales, ombilicales et amoureuses ou l’on se montre « dur comme le cuir » ou « dur Ă  cuire ». Les « hĂ©roĂŻnes » et les « hĂ©ros » qui incarnent ces valeurs avec « rĂ©ussite » sont montrĂ©s en exemple et courtisĂ©s. Celles et ceux que ces modĂšles bousillent sont relĂ©guĂ©s dans les divisions de l’oubli ou on leur fournit un mandat de dĂ©placement avec aller simple pour une destination si possible inconnue de tous et Ă©loignĂ©e de tout. Nous voulons des winners. We Shall overcome ! Si Nou Moli Nou Mo ! (Si on se ramollit, on crĂšve !).

On peut souhaiter critiquer cette mentalitĂ© quelque peu « bourrine » et assassine et prĂ©fĂ©rer louer tout ce qui a trait Ă  « l’émotionnel », Ă  la poĂ©sie, au sentimentalisme, Ă  la sensibilitĂ© et Ă  la « communication ». Mais ce serait manquer de rĂ©alisme. Ce serait oublier que bien des entreprises humaines ont eu besoin et ont besoin de l’engagement de la force brute et de l’expĂ©rience de personnes dures au mal afin de survivre et de rĂ©ussir. Le film Green Book de Peter Farrely a lors des derniers Oscars (ce dimanche 24 fĂ©vrier 2019) Ă©tĂ© diversement apprĂ©ciĂ© par certaines personnalitĂ©s et journalistes. J’ai prĂ©vu de donner mon avis sur ce film dans ce blog. En attendant, dans le film Green Book, je constate que lorsque le Dr Shirley dĂ©cide de se rendre dans les Etats Unis racistes, il choisit Tony Lip comme homme Ă  tout faire. Et qui est Tony Lip ? PlutĂŽt un bourrin et un homme dur au mal. Pas du tout un esthĂšte et un intellectuel. En cela, le film me semble « juste » :

il est quelques circonstances dans la vie oĂč se contenter d’observer et de pratiquer les maniĂšres polies nous rĂ©duit au statut de proie et de victime.

En outre, Tony Lip est néanmoins un homme dont certains des principes et valeurs rejoignent ceux du Dr Shirley.

Dans le documentaire Exit-La vie aprĂšs la haine, David Vallat, ex-jihadiste au sein du GIA, auteur du livre Terreur de jeunesse, affirme :

« Lorsque vous ĂȘtes Jihadiste, vous n’avez pas peur de mourir. Vous souhaitez mourir ».

Alors qu’il est en prison, David Vallat lit deux livres par jour. Il dĂ©couvre que la vie est faite de nuances dĂšs son arrestation oĂč, durant quatre jours, on le traite correctement. Il s’attendait Ă  ĂȘtre brutalisĂ©. Il comprend que la doctrine jihadiste lui a menti. Il explique aussi avoir vĂ©cu une « Ă©norme dĂ©pression » et ressenti une « angoisse terrible » en sortant de prison. Car il Ă©tait alors isolĂ© et complĂštement dĂ©connectĂ©. Et il se demandait par quoi il pourrait bien remplacer le vide idĂ©ologique laissĂ© par l’abandon du jihadisme. Il dit l’avoir remplacĂ© par une histoire d’amour et par le travail.

Au cours du documentaire, Angela King rĂ©vĂšle, en entendant une autre extrĂ©miste repentie, qu’avant de devenir extrĂ©miste, elle aussi s’était faite violer et qu’elle en avait conçu une grande colĂšre. Plusieurs de ces anciens extrĂ©mistes racontent la difficultĂ© Ă  quitter leur milieu activiste : eux comme leurs familles sont menacĂ©s et l’ont Ă©tĂ©. Ils sont obligĂ©s de se cacher, de changer de rĂ©gion ou de pays. De cercle relationnel.

On cite souvent le film American History X (1998) de Tony Kaye pour parler de l’extrĂ©misme contemporain. Il est d’autres films qui en parlent- aussi- trĂšs « bien » et, voire, jusqu’au terrorisme : L’attentat de Ziad Doueri, Le Ciel attendra de Marie-Castille Mention Schaar, Un Français de DiastĂšme , Incendies de Denis Villeneuve ou Nocturama de Bertrand Bonello en font partie.

D’aprĂšs le documentaire Exit-La Vie aprĂšs la Haine, il ressort que le fanatisme, l’extrĂ©misme et le terrorisme deviennent les Ă©quivalents d’une addiction. D’une passion. D’une transe au cours de laquelle on se sent supĂ©rieur Ă  celles et ceux qui sont extĂ©rieurs Ă  notre groupe ; d’une identitĂ© sociale ; d’une forme de pensĂ©e automatique qui prend le dessus sur une certaine aptitude au discernement et Ă  l’autocritique.

L’autocritique, l’autocensure, la capacitĂ© Ă  prendre l’initiative d’une dĂ©cision contradictoire et/ou bienveillante comme ces deux codĂ©tenus turcs qui ont secouru Manuel Bauer, ces dĂ©tenues noires qui ont protĂ©gĂ© Angela King, le journaliste qui a rencontrĂ© et fait douter Ingo Hasselbach, Guro Sibeko et son petit ami d’alors qui avaient recueilli Karen Winther sont des actes de rĂ©sistance. Des actes de rĂ©sistance rĂ©alisĂ©s par des Mesdames et des Messieurs et toutes celles et ceux qui leur ressemblent, connus ou inconnus. Et Manuel Bauer, Ingo Hasselbach, Angela King, Karen Winther, David Vallat, mĂȘme si leurs actions passĂ©es sont repoussantes sont aussi d’une façon ou d’une autre des Mesdames, des Messieurs et des rĂ©sistants : dans ce documentaire, ils ne nous parlent pas de celles et ceux qu’ils ont pu cĂŽtoyer et dont ils ont pu ĂȘtre proches alors qu’ils Ă©taient fascistes, terroristes ou nĂ©o-nazis et qui ont prĂ©fĂ©rĂ© rester dans le « mouvement » mĂȘme s’ils avaient, eux aussi, des doutes. Par conformisme ou par peur des reprĂ©sailles.

 

A l’école Robespierre oĂč j’ai commencĂ© ma scolaritĂ© puis ensuite ailleurs au collĂšge, au lycĂ©e et dans ma citĂ© oĂč j’ai grandi, j’ignore dans quelle proportion celles et ceux que j’ai croisĂ©s sont devenus extrĂ©mistes, nĂ©onazis, fascistes ou rĂ©sistants. Mais je sais , qu’elles et ils se fassent un jour connaĂźtre ou non, qu’il en est bien quelques unes et quelques uns parmi eux qui quelque part ou en ce moment sont des Mesdames et des Messieurs qui rejettent « l’ensaignement ».

Ces immeubles que l’on aperçoit font partie de la citĂ© ou de l’allĂ©e Fernand LĂ©ger oĂč j’ai habitĂ© de mes 4 ans Ă  mes 17 ans. Notre immeuble se trouve hors-champ, sur la droite. A notre « époque », jusqu’en 1985, les immeubles Ă©taient plutĂŽt de couleur gris/marron. Sur la gauche, au sein du bĂątiment un peu allongĂ©, il y avait le supermarchĂ© Sodim ensuite remplacĂ© par un FĂ©lix Potin. Les photos pour cet article ont Ă©tĂ© prises quelques jours avant sa rĂ©daction.

 

Ces immeubles au premier plan n’existaient pas Ă  mon « époque ». A leur place, il y avait sans doute un terrain vague. Les grandes tours que l’on aperçoit tout au fond, en revanche, Ă©taient bien lĂ  dans les annĂ©es 80. On les appelait les « Tours rondes ».

 

Nous sommes ici non loin du stade d’athlĂ©tisme Jean Guimier que j’ai frĂ©quentĂ©. Ainsi que sa piste en tartan de 400 mĂštres qui a remplacĂ© la piste en cendrĂ©e de 350 mĂštres oĂč j’avais dĂ©butĂ© l’athlĂ©tisme et qui se trouvait juste Ă  cĂŽtĂ© du lycĂ©e Joliot Curie, de la mairie mais aussi de la bibliothĂšque de Nanterre. Le stade Jean Guimier, lui, se trouve plus prĂšs du grand parc de Nanterre ( dont j’ai toujours eu du mal Ă  retenir le nom officiel), du collĂšge Evariste Gallois oĂč je suis ensuite allĂ©….et du quartier de la DĂ©fense qui se trouve Ă  dix Ă  quinze minutes Ă  pied.

 

Le grand immeuble qui tranche tout au fond, c’est, si je ne me trompe l’immeuble appelĂ©  » DĂ©fense 2000″. C’est dĂ©ja le quartier de la DĂ©fense. Et une toute autre population que celle que je « connaissais » et cĂŽtoyais au quotidien. Un autre monde. La seule fois oĂč je suis entrĂ© dans cette immeuble, c’Ă©tait pour essayer de faire « fortune » en faisant du porte Ă  porte avec mon meilleur ami, son frĂšre et un autre ami. J’ai oubliĂ© ce que nous avions essayĂ© de vendre. Mais, de toute façon, cela n’a pas marchĂ©.

 

Le stade Jean Guimier oĂč j’ai effectuĂ© un certain nombre de sĂ©ances d’athlĂ©tisme et aussi d’oĂč nous partions pour aller courir au parc se trouve, hors champ, sur la gauche Ă  moins de cent mĂštres.

 

Les Fontenelles.

 

Une adresse bien connue de moi ( mon meilleur ami y a vécu avec ses parents, ses frÚres et ses soeurs) qui se trouve prÚs du collÚge Evariste Gallois.

 

Des collĂ©giens devant le collĂšge Evariste Gallois, destinĂ© Ă  ĂȘtre fermĂ© : Ce collĂšge est devenu un Ă©chec pĂ©dagogique. A mon Ă©poque (au dĂ©but des annĂ©es 80) ce n’Ă©tait pas le cas.

 

Cette dame et « son » enfant marchent dans la citĂ© Fernand LĂ©ger. J’ai souvent pris ce chemin pour aller faire des courses au Sodim ou au FĂ©lix Potin. Sauf que, comme la plupart des enfants de mon Ăąge, je coupais en marchant sur la pelouse sur la gauche.

 

 

La Tour 17. LĂ  oĂč j’ai vĂ©cu de mes 4 ans Ă  mes 17 ans. Jusqu’en 1985. Face au groupe scolaire Robespierre, situĂ© sur la droite. Il n’y avait qu’Ă  traverser la rue pour aller Ă  l’Ă©cole primaire.

 

 

Le Groupe scolaire Robespierre, oĂč je suis allĂ© Ă  la maternelle, situĂ©e sur la droite. Puis, Ă  l’Ă©cole primaire, du CP au CM2, pour moi, au fond, Ă  gauche.

 

DerriĂšre cette dame Ă  l’horizon, il y avait une sorte de terrain de foot sans herbe. Que de la pierre, avec des buts. Nous jouions, lĂ . L’immeuble que l’on voit derriĂšre cette dame est soit la tour 13 ou la tour 14. Ma « fiancĂ©e » de l’Ă©cole primaire, Malika, habitait lĂ  avec sa famille, sa soeur Fatima, ses frĂšres Hassan et Lionel. Sur la droite, et dans le prolongement, derriĂšre l’immeuble, il y avait l’usine CitroĂ«n, toujours en activitĂ©. Pour moi, elle faisait juste partie du dĂ©cor. Car mes parents et aucune des personnes que je « connaissais », n’y travaillait.

 

Ce panneau n’existait pas Ă  notre « époque ».
A notre arrivĂ©e, la citĂ© Fernand LĂ©ger Ă©tait pratiquement « fermĂ©e » : une route la ceinturait de l’intĂ©rieur et on ne pouvait la prendre- et en sortir- qu’Ă  un seul endroit qui se trouvait, je crois, avant le supermarchĂ©. Puis, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de « l’ouvrir ». NĂ©anmoins, Ă  notre « époque », ce rond-point, pour moi, n’existait pas.

 

 

 

PrĂšs des berges de la Seine, Ă  Colombes, non loin du parc de l’Ăźle « marrante » derriĂšre nous. Parc oĂč se trouvent la patinoire, la piscine etc…..

Franck Unimon, ce lundi 18 mars 2019. L’école Robespierre, 3Ăšme et derniĂšre partie.

Catégories
Voyage

Center Park 2Ăšme partie

 

 

 

                                                    Center Park 2Úme Partie.

 

« Tu as l’air de t’ennuyer ? » me demande gentiment ma compagne alors que nous sommes dans l’eau. J’élude poliment. Hier soir, aprĂšs avoir dĂ©posĂ© notre voiture au parking Ă  l’entrĂ©e de Center Park comme le veut le rĂšglement, j’avais fait un peu de repĂ©rage. Un peu plus de quatre cents personnes se trouvaient alors au centre aquatique Aquamundo. Il Ă©tait un peu plus de 19h. Ce chiffre m’avait semblĂ© Ă©levĂ©. Comme hier, le temps sera couvert et pluvieux durant notre sĂ©jour. Et assez frais. Il faisait environ 6 degrĂ©s hier soir.

Nous sommes un peu plus de six cents ce matin dans le centre aquatique. Dans le bassin oĂč nous nous trouvons, j’ai l’impression de me trouver Ă  Calcutta, dans le Gange, parmi des milliers d’Indiens. L’environnement me fait la mĂȘme impression que l’Aquaboulevard plusieurs dĂ©cennies plus tĂŽt et je subis un vĂ©ritable ippon mental. Les endroits sont des robots qui se dĂ©placent et se mettent dans les dispositions qu’on leur demande.

En plus de cela, l’eau, plus ou moins propre, est froide. J’ai du mal Ă  me faire Ă  cet Ă©cart entre cette apparence de climat et de dĂ©cor tropical et cette sensation de douche froide. Pour arriver jusqu’au bassin, nous avons dĂ» fouler plusieurs dalles humides dont l’état me convainc qu’elles transforment les pieds en pieds Ă  verrues. Autour de moi, les gens sont contents. Tout le monde est content. J’agrĂ©mente mon retour Ă  l’Aquaboulevard, car je persiste Ă  penser que nous sommes bien Ă  l’Aquaboulevard, de regards circulaires. Ces regards circulaires me permettent d’enregistrer les donnĂ©es correspondant Ă  notre prĂ©sence ici. Le toit rappelle le dĂŽme du film Hunger Games. Dans l’eau, immergĂ©e jusqu’au nombril, une employĂ©e de Center Park, en bermuda noir et tee-shirt rouge, prend des gens en photo. Service payant. Je me demande depuis combien de temps elle patauge dans l’eau. Un MaĂźtre-nageur, blasĂ©, assis sur son siĂšge un peu surĂ©levĂ©, porte des embouts en caoutchouc dans les deux oreilles. Quelques minutes plus tĂŽt, alors qu’elle Ă©tait Ă  moins de cinquante centimĂštres de moi, ma compagne a dĂ» forcer la voix pour que je comprenne ce qu’elle me disait. Bien que nous soyons un certain nombre Ă  nous cĂŽtoyer dans l’eau, chacun est dans sa bulle avec son prochain, sa progĂ©niture ou sa famille. Dans une sorte de voisinage cordial et tout autant indiffĂ©rent.

Lorsque je me dĂ©cide Ă  dĂ©couvrir un peu plus le centre acoustique, pardon, le centre aquatique, je croise un autre maĂźtre-nageur puis un suivant. Quelle que soit l’action qu’il est alors en train d’entreprendre, dĂ©ambuler, ĂȘtre assis ou rester immobile et surveiller, chacun semble avoir, depuis trĂšs longtemps, renoncĂ© Ă  prendre la peine de saluer les usagers. Il y’a tellement de monde. Tellement de bruit. Tellement d’agitation.

A « l’écart », dans un bassin privatisĂ©, trois personnes font de l’aquagym au son d’une musique choisie. Un homme a l’air d’ĂȘtre le moniteur face Ă  deux femmes. Ils sont tous les trois sĂ©rieux, silencieux et concentrĂ©s. Cela fait marrer deux adolescents qui passent par lĂ  et regardent ça de haut. Puis, les deux adolescents s’éloignent, sĂ»rement en direction d’un toboggan ou de la riviĂšre sauvage. Les panneaux prĂ©conisent de rester assis ou de se mettre sur le dos et interdisent de porter des lunettes de natation. Mais plusieurs personnes, dont des mineurs, portent lunettes de natation et/ou se lancent allĂ©grement tĂȘte la premiĂšre en se mettant sur le ventre.

 

AprĂšs environ une heure trente dans le centre aquatique, nous partons. Les bons cĂŽtĂ©s sont que nous reviendrons. L’accĂšs au centre aquatique est compris dans le forfait. Cette rĂ©gularitĂ© permet de mieux se familiariser avec les Ă©lĂ©ments. Notre fille s’est plutĂŽt bien amusĂ©e. Je referai du toboggan et de la riviĂšre sauvage. Alors que nous sortons, je regarde le compteur afin de voir si en venant plus tard, nous aurions Ă©tĂ© plus Ă  l’aise : 602 personnes. Donc, pas de regret. Autres bons cĂŽtĂ©s : le pain vendu est bon et Ă  un tarif acceptable. 1 euro 20 la baguette. 1,95 euro, la Florentine faite avec de la farine de levain. J’apprĂ©hendais la miche de pain industrielle. Et j’étais prĂȘt Ă  sortir de l’Aquaboulevard, pardon, du Center Park, pour en acheter s’il le fallait. Enfin, lorsque j’allume mon tĂ©lĂ©phone portable pour la premiĂšre fois de la journĂ©e, il est un peu plus de 14h.

 

Franck Unimon Ă  Center Park, fin de la 2Ăšme partie.

Catégories
Voyage

Center Park 1Ăšre partie

 

 

                                                    Center Park 1Úre Partie

 

Center Park est une pensĂ©e. Je me suis rĂ©veillĂ© ce matin avec cette idĂ©e dans la tĂȘte aprĂšs notre premiĂšre nuit de sĂ©jour. Il en reste trois autres Ă  venir.

En bas de « notre » cottage, ma compagne et notre fille sont dĂ©jĂ  debout. Notre fille est joyeuse. Cela s’entend. Lors de ces vacances scolaires, j’ai acceptĂ© de faire un sĂ©jour dans une pensĂ©e. Pour des raisons pratiques :

« Ce n’est pas loin en voiture. Ça change. En plus, il y’a tout sur place et il y’a plein de choses Ă  faire » ; « Et puis, pour les enfants, il y’a de l’espace. Ils sont contents ! ».

Il a Ă©tĂ© rĂ©pondu Ă  ma compagne qu’en dehors de Center Park, la premiĂšre ville accessible est assez loin et sans intĂ©rĂȘt.

Mais il y’a d’autres avantages Ă  partir en vacances Ă  Center Park : « Ce n’est pas trop cher ». MĂȘme si tout y est conçu pour que la note se rallonge. Une fondue savoyarde livrĂ©e coĂ»te prĂšs de vingt euros pour une personne sachant que seules les commandes Ă  partir de deux fondues sont acceptĂ©es. L’accĂšs Ă  la Wifi est payant.

Cependant, pour des raisons sociales et de bonne intelligence, l’absence de Wifi et les conditions du sĂ©jour- le cĂŽtĂ© isolĂ© de Central Park- sont un bienfait : Le tĂ©moignage – trĂšs enthousiaste- de ma sƓur le soir de notre arrivĂ©e coĂŻncidait avec leur retour d’un autre Center Park. Quelques heures plus tĂŽt, son enthousiasme avait failli ĂȘtre Ă©crasĂ© par l’arbre de cinq mĂštres tombĂ© sur le pare-brise de leur vĂ©hicule alors qu’ils quittaient le Center Park. Le vent soufflait encore assez fort hier (jusqu’à cent kilomĂštres heures et plus) et l’état d’alerte orange Ă©tait encore en cours lorsqu’ils avaient dĂ» partir « avant dix heures » de leur Center Park. Heureusement, personne n’a Ă©tĂ© blessĂ© dans la voiture.

Mais cela ne doit pas nous détourner des arguments en faveur de Center Park.

Et puis : « Toi qui dis que les gens sont trop connectĂ©s et passent trop de temps sur internet et sur leur tĂ©lĂ©phone portable » ; « Si tu n’es pas content, organise-nous un voyage et paie le nous
si tu as de l’argent ». « Organiser tout ça m’a demandĂ© du temps
 ».

J’en rajoute un peu.

Notre dĂ©part pour Center Park s’est passĂ© diffĂ©remment et de façon plus dĂ©tendue. Mais il est vrai qu’organiser un sĂ©jour quelque part, cela demande du travail. Depuis plusieurs semaines, je savais que nous allions quelque part. J’ai appris quelques heures avant de prendre la voiture oĂč nous allions. J’avais un petit peu supposĂ© que cela pouvait ĂȘtre Central Park. J’espĂ©rais me tromper. Je l’ai acceptĂ© car c’est une expĂ©rience Ă  vivre. Et aussi parce-que, avant les lieux, il Ă©tait pour moi plus important de partir avec ma compagne et notre fille.

Ceci Ă©tant dit, Center Park et l’Aquaboulevard, pour moi, sont le mĂȘme genre d’endroit. Et, cela, depuis des dĂ©cennies. Au moins depuis ce jour oĂč j’avais acceptĂ© d’accompagner une amie parisienne toute contente de dĂ©couvrir avec moi l’Aquaboulevard, mĂ©tro Balard. Soit pratiquement au bout opposĂ© de mon lieu de domicile. J’habitais alors Cergy-Pontoise. A peine arrivĂ©s dans l’enceinte de l’Aquaboulevard, j’avais Ă©tĂ© dĂ©concertĂ©. D’abord, il avait fallu payer l’entrĂ©e. J’en avais Ă©tĂ© informĂ©. Citadin de naissance, je suis familier avec la frĂ©quentation des piscines. Ce qui fera sourire et grimacer les puristes ou les pratiquants des riviĂšres, des lacs et des mers. Mais j’étais aussi un Antillais de France. J’étais peut-ĂȘtre un « faux » antillais (oui, car il est supposĂ© exister des « vrais » et des « faux » antillais ou des « bounty » si l’on prĂ©fĂšre : noirs dehors et blancs Ă  l’extĂ©rieur ) cependant, j’avais dĂ©jĂ  mis les pieds plusieurs mois, plusieurs fois, en Guadeloupe. Et je savais qu’en dehors de la pensĂ©e de l’Aquaboulevard qui entendait rivaliser (ou faire oublier) avec la nature tropicale originale, il y’avait beaucoup mieux. Je l’avais dĂ©jĂ  vu et vĂ©cu plusieurs fois sans payer. Et lĂ , je me retrouvais entourĂ© de plein de gens heureux Ă  qui l’Aquaboulevard donnait Ă  vivre du merveilleux. Un peu comme si on vendait trois Ă  quatre fois plus cher Ă  une clientĂšle nombreuse la mauvaise copie d’un mets original. Un peu comme si on convainquait des milliers de personnes que le Reggae de Pierpoljak ou de Yannick Noah est deux cent fois supĂ©rieur Ă  celui de Bob Marley ou de Black Uhuru de l’époque de MichaĂ«l Rose et de la paire Sly Dunbar& Robbie Shakespeare.

A l’Aquaboulevard, j’avais fait au mieux pour mettre mes rĂ©serves en veilleuse devant mon amie Gavroche. Car, lĂ  aussi, le plus important pour moi Ă©tait d’ĂȘtre avec elle. Etant donnĂ© sa grande perspicacitĂ©, il est possible qu’elle m’ait nĂ©anmoins dĂ©masquĂ©. Pourtant, je crois aussi, et c’est en principe une des grandes leçons de notre enfance, qu’il en faut peu pour se distraire. Avec cette amie et d’autres comparses, quelques annĂ©es plus tĂŽt, Ă  son initiative je pense aprĂšs avoir vu d’autres enfants le faire, nous avions bien passĂ© une aprĂšs-midi Ă  nous amuser Ă  glisser sur des planches en carton depuis le haut d’une colline d’Edimbourg, en Ecosse. Nous avions entre 19 et 23 ans. Et, aujourd’hui encore, parmi tous les loisirs et les moyens de distraction que nous utilisons, gratuits ou payants, sportifs ou non, je m’étonne par moments, qu’une fois adultes, nous ayons Ă  ce point pu avoir rejetĂ© un jeu comme celui de la balle au prisonnier. Bien entendu, je n’en parle pas Ă  mon entourage, professionnel comme personnel car il est dĂ©sormais Ă©vident pour tout le monde que nous avons d’autres envies- telles que faire les courses et les magasins- ainsi que tant d’autres prioritĂ©s.

Toutefois, quelle surprise avec Center Park, des annĂ©es plus tard, de revenir Ă  ce qui ressemble Ă  un mĂȘme point de dĂ©part mais cette fois-ci avec femme et enfant. Et d’ĂȘtre lĂ  plus par devoir, par esprit de conciliation et de bon sens que parce-que cela correspond Ă  un de mes projets.

 

Franck Unimon Ă  Center Park. Fin de la 1Ăšre Partie.

Catégories
Puissants Fonds/ Livres

Noire N’Est Pas Mon MĂ©tier

 

Noire n’est pas mon mĂ©tier

 

16 actrices noires tĂ©moignent d’aprĂšs une idĂ©e d’AĂŻssa MaĂŻga

 

« Le noir, ça va avec tout ». On a dĂ©jĂ  entendu ça quelque part. DĂšs qu’il s’agit de se mettre Ă  son avantage, de se donner du volume et une bonne image de soi. VĂȘtement, maillot de bain, paire de chaussures, cosmĂ©tique, voiture, vernis Ă  ongle, lunettes de soleil. MĂȘme le pĂ©trole, qui permet Ă  l’industrie automobile et Ă  d’autres industries de faire de gros chiffres d’affaires, est noir.

Il est plein de circonstances oĂč la couleur noire, sĂ»rement l’une des plus employĂ©es de par le monde, est pratique. FrĂ©quentable. Estimable. On veut ĂȘtre pris au sĂ©rieux dans ses fonctions, susciter un air de dignitĂ© ? On optera pour un peu de noir voire pour une intĂ©gralitĂ© de noir. Un peu de trouble et de mystĂšre ? Optons pour du mascara.

Ce serait une erreur de considĂ©rer le noir comme la couleur attitrĂ©e du deuil et du malheur. D’abord, dans certaines cultures, ce serait plutĂŽt le blanc qui remplira cet office. Ensuite, il faudrait dire Ă  tous les rockeurs et Hard Rockeurs- vivants et enterrĂ©s- d’aller se rhabiller et de remplacer le noir de leurs vĂȘtements et de leur musique par du blanc ou du vert par exemple. Il est alors probable qu’ils nous regarderaient de travers et ne comprendraient pas ce qu’on leur baragouine.

RĂ©cemment, Karl Lagerfeld est mort. On sait nous parler de sa disparation et de ce qu’il a apportĂ© au monde de la culture et de l’art. Je suis bien moins expert que beaucoup d’autres pour en parler. Je le deviendrais peut-ĂȘtre un jour. Cependant, en tant que grand couturier, Karl Lagerfeld, et celles et ceux qui l’ont prĂ©cĂ©dĂ©, regardĂ©, ainsi que celles et ceux qui lui ont survĂ©cu ou se rĂ©clameront de lui, en a conçu des vĂȘtements classieux tout en noir. Et, lui-mĂȘme, comment s’habillait-il ? Les photos les plus connues de lui le montrent souvent portant du noir. Et c’est beau. C’est racĂ©. C’est Ă©lĂ©gant. RacĂ© ? Oui, racĂ©. Quelle classe ! Personne ne compare Karl Lagerfeld Ă  une guenon ou Ă  Cheetah, l’amie de Tarzan que celui-ci a rencontrĂ© un jour sur les rĂ©seaux sociaux de la jungle.

Etonnamment, dĂšs que la couleur noire s’anime et devient la particularitĂ© d’une personne faite de tissus cutanĂ©s, le temps se gĂąte. Un abĂźme s’avance. Et, dans certains milieux autorisĂ©s, on commence Ă  converger, inexorablement, vers un traquenard fait de miroirs dĂ©formants, d’extrapolations, de rumeurs et de superstitions. Un certain racisme se dĂ©chaine. Le racisme ressemble Ă  un organe. Il est possible qu’aprĂšs avoir Ă©tĂ© longtemps couvĂ©, qu’il devienne autonome, Ă©chappe Ă  son crĂ©ateur, et soit capable de se dupliquer sans fin en se diversifiant, lui qui refuse Ă  d’autres d’ĂȘtre diffĂ©rent de lui.

Le racisme, c’est peut-ĂȘtre l’histoire de Blanche Neige jalousĂ©e par sa belle-mĂšre. Entre les deux, un miroir sert de frontiĂšre et les dĂ©partage. D’un cĂŽtĂ©, une belle mĂšre droguĂ©e Ă  sa propre image qui se rĂȘve parfaite. D’un autre cĂŽtĂ©, la jeunesse insouciante qui ignore que son rayonnement est l’annonce du flĂ©trissement, inĂ©vitable de toute façon, de la belle-mĂšre. Il est des personnes, dĂšs qu’elles avancent en Ăąge, qui prennent le parti de l’accepter, de s’allier Ă  la jeunesse, d’apprendre d’elle, de lui transmettre le meilleur et de s’effacer. Il en est d’autres qui veulent continuer Ă  rĂ©gner et sont prĂȘtes Ă  tout emporter avec elles dans le gouffre plutĂŽt que de concevoir que le monde puisse leur survivre.

Tant que la couleur noire qualifie un objet, ça va. L’organe raciste se met en veille. DĂšs que la couleur noire prend forme humaine avec une personnalitĂ© propre, l’organe raciste se rĂ©veille et se met en alerte car le « danger » approche. Et ça peut dĂ©raper Ă  n’importe quel moment :

« Pour une Noire, vous ĂȘtes vraiment intelligente, vous auriez mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre blanche ! ».

Dans le milieu du cinĂ©ma, l’actrice NadĂšge Beausson-Diagne a eu la primeur de cette photosensible rĂ©flexion qui l’a mise sur le cĂŽtĂ©. Elle et quinze autres actrices françaises tĂ©moignent dans le livre Noire n’est pas mon mĂ©tier de ce que le racisme a pu leur faire au cours de leur carriĂšre. Car leur particularitĂ© la plus flagrante est d’ĂȘtre noires.

« Oh, la chance d’avoir des fesses comme ça, vous devez ĂȘtre chaude au lit, non ?».

L’actrice NadĂšge Beausson-Diagne, encore elle, a reçu ce « compliment ». Elle ne nous dit pas- « la coquine ! »- si c’était le 14 fĂ©vrier, jour de la St Valentin.

Mata Gabin, MaĂŻmouna Gueye, Eye HaĂŻdara, Rachel Khan, AĂŻssa MaĂŻga, Sara Martins, Marie-PhilomĂšne NGA, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja TourĂ© et France Zobda sont avec NadĂšge Beausson-Diagne les 16 actrices noires françaises qui tĂ©moignent dans ce livre. Et vu que nous sommes encore aujourd’hui le 8 Mars 2019, soit le jour « officiel » de la Femme, les nommer ce jour-lĂ  permet doublement de les honorer, elles et celles et ceux qui leur ressemblent qu’ils soient noirs ou pas d’ailleurs. Mais ici, le thĂšme du livre est d’abord la peau de couleur noire.

« Parce-que, pendant des siĂšcles, cette couleur de peau Ă©tait aussi celle des esclaves, des colonisĂ©s, parce qu’elle reste un fantasme exotique ou qu’elle renvoie Ă  une classe sociale pauvre, il faudrait qu’elle raconte encore et toujours cela au cinĂ©ma » ( l’actrice Rachel Kahn).

L’hĂ©ritage du passĂ© colonial de la France est pour quelque chose dans ce regard sur les Noires et Noirs de France. En Ă©tant un tout petit peu excessif, il doit bien se trouver aujourd’hui en France quelques personnes qui estiment – en toute bonne foi- que c’est dĂ©jĂ  trĂšs bien que les femmes et les hommes noirs soient acceptĂ©s dans les transports en commun, dans les Ă©coles et dans les lieux de soins. Deux cents ans plus tĂŽt, il en aurait Ă©tĂ© tout autrement :

C’est donc bien la « preuve » que la France est un pays Ă©voluĂ© et trĂšs tolĂ©rant. Et « notre » cher et charismatique GĂ©nĂ©ral de Gaulle parfois surnommĂ© « Papa de Gaulle », lors du dĂ©filĂ© de la Victoire sur les Champs ElysĂ©es Ă  la fin de la Seconde Guerre Mondiale en 1945 a aussi envoyĂ© un message trĂšs fort en expurgeant des troupes victorieuses les Arabes et les Noirs- pourtant français- qui avaient aussi contribuĂ© Ă  libĂ©rer la France.

La France rĂ©publicaine, dĂ©mocratique et exemplaire, a attendu 2007 pour qu’un PrĂ©sident de Droite nomme une Française d’origine arabe au poste prestigieux de Ministre de la Justice. Et il a fallu attendre 2012 pour qu’un PrĂ©sident socialiste- le parti socialiste Ă©tant censĂ© ĂȘtre plus progressiste qu’un parti de Droite- nomme une Française d’origine guyanaise – donc, noire- au mĂȘme poste prestigieux de Ministre de la Justice. Peu importe que, pour des raisons diffĂ©rentes, Rachida Dati, pour la premiĂšre, et Christiane Taubira, pour la seconde, aient quittĂ© leurs fonctions avant la fin du quinquennat prĂ©sidentiel. Le symbole est lĂ  : la France politique a dĂ» attendre le 21Ăšme siĂšcle pour s’ouvrir Ă  un dĂ©but de rĂ©elle diversitĂ© en nommant des Français « d’origine » Ă  des fonctions prestigieuses. Avant cela, bien-sĂ»r, il y’avait eu quelqu’un comme Roger Bambuck- Un Noir qui courait vite lorsqu’il Ă©tait athlĂšte de haut niveau-  au poste de SecrĂ©taire de la Jeunesse et des Sports.

Mon pĂšre, encouragĂ© par l’Etat Français, comme d’autres milliers d’Antillais Ă  venir travailler dans l’Hexagone- au dĂ©triment du dĂ©veloppement Ă©conomique de sa Guadeloupe natale- dans les annĂ©es 60 affirmait il y’a plus de vingt ans : « Je vois plus facilement un Noir ĂȘtre Ă©lu PrĂ©sident aux Etats-Unis qu’en France ! ». Pour mon pĂšre, la France est un pays de Blancs. Racistes. Pour lui, je n’ai rien Ă  faire en France depuis que je suis diplĂŽmĂ©. Je devrais vivre en Guadeloupe ou mĂȘme Ă  l’Etranger. Mais pas en France. En 1999, en acceptant une mutation professionnelle, mon pĂšre est retournĂ© vivre dans sa Guadeloupe natale quelques annĂ©es avant de prendre sa retraite. Il avait 22 ans lorsqu’il Ă©tait arrivĂ© en France en 1966. Ma mĂšre en avait 19 en 1967 lorsqu’elle avait quittĂ© sa Guadeloupe natale comme mon pĂšre afin d’y trouver du travail.

Barack Obama a donnĂ© en partie raison Ă  mon pĂšre en devenant le Premier Noir PrĂ©sident des Etats-Unis de 2009 Ă  2017. Il faudra un jour que je prenne le temps d’en discuter avec Barack. D’autant que son Ă©lection n’a pas fait de lui ou des Etats-Unis un PrĂ©sident et une Nation irrĂ©prochables. Barack Obama, c’est aussi celui qui, lors de son premier discours d’investiture a pu dire : « Nous n’allons pas nous excuser pour notre mode de vie ! ». Ce qui signifiait qu’il entendait poursuivre avec le mĂȘme panache et le mĂȘme aplomb bien des actions de la politique amĂ©ricaine en matiĂšre d’ingĂ©rence militaire comme en termes de non respect de l’écologie par exemple. En outre, aprĂšs lui, l’élection de Donald Trump en 2017 fait penser Ă  la revanche d’une certaine AmĂ©rique raciste. Et aussi encore plus libĂ©rale et individualiste. Donc, nous pondĂ©rerons notre enthousiasme envers Obama et certains exemples qui nous viennent des Etats-Unis. Si je cite Obama ici, c’est pour le symbole. Et pour cette forme d’ Espoir qu’il a pu un moment et certaines fois reprĂ©senter en faveur d’un Monde plus ouvert et moins raciste. Parler des Etats-Unis, c’est aussi parler de cinĂ©ma d’une certaine façon. Il existe lĂ -bas un certain « Savoir-faire » dans le domaine.

Noire n’est pas mon mĂ©tier est paru en France 2018. Ces 16 actrices françaises qui tĂ©moignent tournent sur les planches ou au cinĂ©ma depuis le dĂ©but des annĂ©es 80 pour les plus expĂ©rimentĂ©es. J’ai beau ĂȘtre assez cinĂ©phile et sensible au sujet de la prĂ©sence des Noirs dans le cinĂ©ma français, je connaissais de visage et de nom seulement cinq de ces seize actrices : AĂŻssa MaĂŻga, Firmine Richard, Sara Martins, Sonia Rolland et Shirley Souagnon. Le hasard veut que Shirley Souagnon soit actuellement sans doute la plus connue de toutes. Or, Shirley Souagnon fait partie des trois absentes sur les deux photos du livre avec Eye HaĂŻdara et Magaajyia Silberfeld. MĂȘme si elle est actrice, Shirley Souagnon est aussi-principalement- l’humoriste du groupe, une humoriste engagĂ©e et consciente. Par choix. Pour avoir regardĂ© certains des sketches de Shirley Souagnon, je sais qu’elle ne mĂ©nage pas son public : elle est loin d’ĂȘtre la petite rigolote noire que l’on a envie d’inviter Ă  son anniversaire pour qu’elle nous fasse passer un bon moment. Je lui trouve une certaine agressivitĂ© et elle ne me fait pas rire pour l’instant. Mais elle n’a sans doute pas d’autre choix : d’une part parce qu’elle est homo dans un monde hĂ©tĂ©ro activement homophobe y compris parmi les Noirs. D’autre part parce qu’elle sait que le fait d’ĂȘtre Noir (e) et comique expose Ă  ĂȘtre considĂ©rĂ© comme une gentille irresponsable. D’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale, Ă  moins d’user de l’ironie ou de l’humour noir, le comique (peu importe sa couleur de peau, son genre ou sa prĂ©fĂ©rence sexuelle) reste d’abord souvent considĂ©rĂ© comme une espĂšce de farfelu pour qui la lĂ©gĂšretĂ© et la sĂ©rĂ©nitĂ© sont des Ă©vidences. Et, pour beaucoup, c’est une surprise rĂ©guliĂšrement renouvelĂ©e de constater au travers d’un rĂŽle dramatique ou d’une confession touchante que le comique peut ĂȘtre plus endolori et plus grave qu’il ne le montre. Pour le moment, je prĂ©fĂšre largement Shirley Souagnon dans le rĂŽle qu’elle a tenu dans la sĂ©rie Engrenages Ă  ce que j’ai vu- et entendu d’elle- en tant qu’humoriste.

Je connaissais France Zobda de nom mais j’aurais Ă©tĂ© incapable de citer un film lui correspondant en tant qu’actrice. MĂȘme si j’avais dĂ©jĂ  entendu parler du film Adieu Foulards rĂ©alisĂ© en 1983 par Christian Lara et vu, en dĂ©calĂ©, le Black Mic-Mac rĂ©alisĂ© en 1985 par Thomas Gilou. Je n’ai toujours pas vu Les Caprices d’un fleuve rĂ©alisĂ© en 1996 par Bernard Giraudeau et jouĂ© Ă©galement par lui-mĂȘme et d’autres acteurs français plutĂŽt confirmĂ©s.

« Dans ma ville, Paris, les Noirs sont partout. Dans les films, nulle part ». (L’actrice AĂŻssa MaĂŻga).

Les noms et les visages d’Assa Sylla et de Karidja TourĂ© auraient pu peut-ĂȘtre me dire quelque chose. Mais je n’ai pas vu le film de CĂ©line Sciamma qui les a fait connaĂźtre : Bandes de filles, rĂ©alisĂ© en 2014. MĂȘme si je me rappelle de ce film et de sa campagne d’affichage.

Karidja TourĂ© s’interroge : « Pourquoi est-ce qu’on n’a pas fait la couverture d’un grand magazine comme Elle ? Avec nos visages d’actrices noires en Une ? ».

J’ai envie de rĂ©pondre Ă  Karidja TourĂ© :

Parce-que je doute que le magazine Elle mette en couverture des personnalitĂ©s comme BĂ©atrice Dalle ou Brigitte Fontaine qui sont des femmes blanches. Alors, mettre en couverture de Elle quatre jeunes actrices noires qui veulent conquĂ©rir le cinĂ©ma français, c’est lui demander l’impossible.

( Photo ci-dessous prise ce jeudi 11 avril 2019 au matin et ajoutĂ©e ce jour-mĂȘme. Karidja TourĂ© est la deuxiĂšme en partant de la droite, Assa Sylla, la premiĂšre)

 

D’autant qu’un peu plus tĂŽt, Karidja TourĂ© avait aussi fait ce constat :

« Ce n’est qu’aprĂšs que j’ai compris qu’il n’y’avait pas de Noires dans les Ă©coles de théùtres ou trĂšs peu. On n’existe pas, on y est introuvables ».

Je peux peut-ĂȘtre le confirmer. C’est uniquement en reprenant des cours de théùtre-plus poussĂ©s- au conservatoire d’Argenteuil que j’ai rencontrĂ© deux autres Noires parmi mes partenaires. J’avais 45 ans. Et je me rappelle aussi de deux autres jeunes noires , qui se connaissaient, et qui devaient ĂȘtre lycĂ©ennes. Elles avaient participĂ© Ă  deux ou trois cours. Elles me paraissaient capables. Elles ont pourtant trĂšs vite arrĂȘtĂ© de venir. Sur mes deux autres partenaires noires, l’une, lycĂ©enne, aprĂšs le Bac, s’est dirigĂ©e vers Sciences Po. Elle me paraissait trĂšs capable. Je situerais mon autre partenaire, un peu plus ĂągĂ©e mais bien plus jeune que moi, Ă©galement trĂšs capable, dans un entre-deux. Elle a dans un premier temps pris un poste Ă  responsabilitĂ©s dans un milieu professionnel extĂ©rieur au théùtre et au cinĂ©ma. Depuis, je ne sais pas ce qu’elle devient. Quant Ă  moi, je suis trĂšs ambivalent. Et j’ai compris depuis peu, depuis la tenue de ce blog, qu’il me faudrait une sorte de « cause » Ă  servir pour me dĂ©cider Ă  vĂ©ritablement m’impliquer professionnellement dans le cinĂ©ma et dans le théùtre en tant que comĂ©dien :

Bien des personnes choisissent de devenir comĂ©dien et de vivre de ce mĂ©tier par plaisir. J’en ai dĂ©jĂ  croisĂ© un certain nombre. La majoritĂ©. Il me semble que je n’ai pas ce droit-lĂ . Ou que je ne l’ai jamais eu. Cela m’est trĂšs difficile de raisonner de cette façon. Je crois que je n’ai pas les moyens de m’offrir cette insouciance. Ne serait-ce que d’un point de vue Ă©conomique et cela depuis le dĂ©but. Bien-sĂ»r, ce verrou Ă©conomique dĂ©pend de certaines prioritĂ©s qui nous viennent de notre Ă©ducation, de cette conscience acĂ©rĂ©e que nous avons de nous-mĂȘmes, de nos chances de rĂ©ussite, et de notre place dans le monde. Ça me rappelle cette anecdote du DJ français Laurent Garnier dans son livre Electrochoc qu’il avait Ă©crit en 2003 ( depuis, une deuxiĂšme version augmentĂ©e d’Electrochoc est parue mais je ne l’ai pas lue) avec David Brun-Lambert et que j’avais lu avec plaisir :

Il racontait avoir rencontrĂ© au cours de sa carriĂšre un certain nombre de DJs qui faisaient rĂ©fĂ©rence et dont il avait pu ĂȘtre un admirateur avant de devenir lui-mĂȘme DJ professionnel tout comme eux. Parmi eux, un DJ noir amĂ©ricain dont j’ai oubliĂ© le nom et qui devait ĂȘtre de Detroit. NaĂŻvement, Laurent Garnier, lors d’une discussion avec ce DJ noir, avait dit faire de la musique « Pour le Fun
. ». ( « Pour s’amuser, pour le plaisir »). Le DJ noir lui avait alors rĂ©pondu : « Pour le Fun ?! On ne fait pas de la musique pour le Fun ! ». J’ai dĂ» lire ce livre et cette anecdote il y’a plus de quinze ans. C’est seulement en lisant Noire n’est pas mon mĂ©tier cette semaine que je peux faire un peu plus le parallĂšle avec moi et mes rapports ambivalents envers le mĂ©tier de comĂ©dien.

Pour certains mĂ©dia français, parler des Noirs, c’est sans doute vendeur lorsqu’il s’agit de montrer des Ă©meutes dans les banlieues. Le sous-texte Ă©tant :

« Pourvu que tous ces Noirs restent dans les cages de leurs immeubles de banlieue et tout ira pour le mieux ».

Mais c’est aussi peut-ĂȘtre vendeur lorsqu’il s’agit de montrer deux Rappeurs – et leurs partisans- qui se bagarrent dans un aĂ©roport. Le sous-texte Ă©tant peut-ĂȘtre alors :

« EspĂ©rons que ces noirs, aprĂšs s’ĂȘtre battus, vont prendre l’avion pour rentrer dĂ©finitivement « chez » eux » dans leur pays de macaques ».

Pour certains esprits qu’un ouvrage comme Noire N’est pas Mon MĂ©tier dĂ©range, tout irait bien aussi si les actrices qui y tĂ©moignent  acceptaient de rester des corps aussi dociles qu’imbĂ©ciles. Ce livre de tĂ©moignages pourrait ainsi ĂȘtre le tombeau en mĂȘme temps que le sacrement dĂ©finitif du scĂ©nario fictif de leur intelligence. Mais ces seize actrices sont perspicaces. Elles sont loin de raisonner comme des manches Ă  balai :

« Je commence Ă  ĂȘtre spĂ©cialiste de la pute maintenant
 » (l’actrice Rachel Khan).

« Les rares fois oĂč on recherche une femme noire, c’est pour raconter une migration tragique, la prĂ©caritĂ© ou la banlieue dĂ©linquante. Les films d’époque aussi nous sont interdits, parce-que encore une fois, l’Inconscient collectif ne peut se reprĂ©senter une prĂ©sence noire sur le territoire français avant les annĂ©es 1980. A moins que ce ne soit une prostituĂ©e. C’est le seul genre de rĂŽle oĂč ĂȘtre noire est recommandĂ© ! » (l’actrice Sara Martins).

« Je joue toutes les dĂ©clinaisons possibles de la mama et de la putain africaines ; des personnages hauts en couleur sans capital intellectuel ou Ă©conomique. Si je n’acceptais pas ces personnages, concrĂštement, je ne travaillerais pas en tant que comĂ©dienne » (l’actrice Sabine Pakora).

Et lorsque l’on lit le CV de plusieurs d’entre elles, tant intellectuel qu’artistique, ainsi que leur tĂ©moignage, on comprend trĂšs vite qu’elles sont surqualifiĂ©es pour ce qu’on leur demande de jouer. A titre personnel, je me souviens avoir Ă©tĂ© contactĂ© en 2014 ou en 2015 pour « jouer » une silhouette d’homme de mĂ©nage. J’avais alors repris mes cours de théùtre au conservatoire et comptais dĂ©jĂ  plusieurs annĂ©es d’expĂ©riences théùtrales auparavant. La personne qui m’avait contactĂ© ne pensait visiblement pas Ă  mal et j’avais perçu son embarras lorsque je lui avais fait comprendre que je refusais ce genre de proposition. Je n’ai plus Ă©tĂ© rappelĂ©.

 

Si le racisme anti-noir oblitĂšre les carriĂšres en France (et AĂŻssa MaĂŻga en donne un tĂ©moignage marquant) je crois aussi que certaines personnes dĂ©cisionnaires sont nommĂ©es Ă  leur poste de dĂ©cision parce-que l’on « sait » qu’elles se conformeront aux directives qui leur seront donnĂ©es sans chercher Ă  innover. Cela existe dans toutes les entreprises. Cela devrait ĂȘtre moins le cas dans une entreprise cinĂ©matographique car on est supposĂ© ĂȘtre ici dans un univers crĂ©atif et artistique donc plutĂŽt ouvert sur le monde et son Ă©volution. Mais mĂȘme l’univers crĂ©atif et artistique a ses dirigeants conservateurs et nostalgiques. Le cinĂ©ma permet de recrĂ©er artificiellement des souvenirs et de les façonner de maniĂšre Ă  les faire se rapprocher du mythe. Mythe « recréé » devant lequel il sera possible ensuite de se prosterner et d’amener d’autres Ă  le faire avec nous. Si le fantasme absolu d’un producteur est de voir des actrices qui lui rappellent Ava Gardner ou Marilyn Monroe parce que celles-ci l’ont tant fait rĂȘver plus jeune, il aura beaucoup de mal Ă  accepter qu’AĂŻssa MaĂŻga ou une autre vienne remplacer Ava Gardner ou Marilyn Monroe dans un film qu’il produit. Comment, en regardant par exemple une Scarlett Johansson aujourd’hui, ne pas voir, d’une façon ou d’une autre, un zeste de Marilyn Monroe ? Comment ne pas trouver un air de Demi Moore Ă  la Jennifer Connelly que l’on voit dans le Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez sorti derniĂšrement au cinĂ©ma ? Comment ne pas trouver chez Laetitia Casta un quelque chose de Brigitte Bardot ?

Par ailleurs, on peut ĂȘtre trĂšs cultivĂ© et raciste. On peut mĂȘme ĂȘtre une femme ou un homme politique -ou mĂ©decin- occuper un poste Ă  haute responsabilitĂ© et ĂȘtre raciste.

Mes remarques, ici, peuvent sembler fatalistes. Je suis pourtant de l’avis d’Aïssa Maïga lorsqu’elle dit :

« Mon territoire n’est pas limitĂ© Ă  la couleur de ma peau(
.) ».

Je suis aussi d’accord avec elle lorsqu’elle dit :

« Ce public au nom duquel on efface de l’histoire les acteurs Ă  la peau sombre est celui que je croise dans le mĂ©tro, dans la rue, dans les cafĂ©s. Si les gens ne s’enfuient pas en courant en me voyant, alors pourquoi le feraient-ils en m’apercevant sur une affiche de cinĂ©ma ? Je ne comprends toujours pas pourquoi le « public », prĂȘt Ă  se dĂ©placer au cinĂ©ma pour Will Smith ou Denzel Washington, ne pourrait souffrir de voir Mata, NadĂšge, Eriq ( Ebouaney), Alex ( Descas), AĂŻssa, Edouard ( Montoute), Firmine, Sonia (
.) tous noirs ou mĂ©tisses
.mais Français ? De quelle nature est la diffĂ©rence entre un Noir des Etats-Unis et un Noir venu d’Afrique, d’Outremer ou encore nĂ© ici ? Sommes-nous finalement trop Français pour des Noirs ? ».

 

Je crois ici que les Etats-Unis, en tant que PremiĂšre Puissance Mondiale, continuent d’exercer en France et ailleurs une forte et une folle fascination : beaucoup de gens ont encore envie de s’identifier aux AmĂ©ricains. Le fait que le Basket soit devenu en France un sport aussi prisĂ© est pour moi une preuve supplĂ©mentaire de cette fascination pour les Etats-Unis. Pareil pour le Rap. Imaginons le Tony Parker d’aujourd’hui en  1984. A Ă  l’époque oĂč Platini, Giresse, Tigana, Luis Fernandez et les autres Ă©taient devenus champions d’Europe de Football. En 1984, Tony Parker aurait eu beaucoup moins de couverture mĂ©diatique qu’aujourd’hui. A cette « Ă©poque », le Basket en particulier amĂ©ricain, Ă©tait moins populaire en France.

Un Noir AmĂ©ricain, c’est tellement plus « stylĂ© ». Plus « affirmĂ© ». C’est plus « cool ». C’est aussi plus « exotique ». En plus, en sport, les noirs amĂ©ricains restent devant. C’est aussi cela, la persistance du RĂȘve amĂ©ricain pour beaucoup de Français. En outre, culturellement, il y’a un Savoir-faire amĂ©ricain et un sens du spectacle rĂŽdĂ©, puissant, qui est sĂ©duisant. Si l’on prend par exemple un animateur tĂ©lĂ© comme Jimmy Fallon, il a tout de mĂȘme plus d’envergure qu’un Thierry Ardisson, un Cyril Hanouna ou un Nagui. Et on remarquera que Jimmy Fallon est un homme blanc. Mais tout autant AmĂ©ricain.

Si l’on devait comparer une des prestations de Billy Cristal lorsqu’il avait animĂ© la cĂ©rĂ©monie des Oscars et celle de Kad Merad lors des derniers CĂ©sars, je suis d’avis que ce serait l’AmĂ©ricain Billy Cristal qui l’emporterait.

Pareil pour certains humoristes qui sont les références de plusieurs de nos humoristes français adeptes du Stand-Up : qui sont ces modÚles ? Des Américains.

Je suis peu connaisseur de BeyoncĂ©, Lady Gaga et de celles qui les concurrencent ou les dĂ©passeront. Mais leur succĂšs mondial fait d’elles des modĂšles. Et, elles sont aussi amĂ©ricaines. Et lorsque certaines vedettes ne sont pas amĂ©ricaines, elles font en sorte de s’y rendre ou de s’y Ă©tablir. Car c’est lĂ -bas que « ça se passe ».

Et puis, il faut rappeler que pour beaucoup de Français, le cinĂ©ma français est synonyme de mauvais cinĂ©ma. C’est un prĂ©jugĂ© assez tenace. Je l’ai dĂ©jĂ  constatĂ© plusieurs fois en proposant d’aller voir un film français. Pour un certain nombre de personnes en France, cinĂ©ma français rime encore avec tĂ©lĂ©film, mauvaise sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e, film intello pour nĂ©vrosĂ©s ou film d’humour gras. Je ne suis pas sĂ»r que le cinĂ©ma d’auteur français d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale soit autant apprĂ©ciĂ© Ă  sa juste valeur qu’il le devrait en France. Je crois qu’il existe en France un public «Pop-Corn », jeune et familial assez peu curieux du cinĂ©ma.

Lorsque je repense au remake amĂ©ricain True Lies du film français La Totale– qui est une comĂ©die rĂ©alisĂ©e en 1991 par Claude Zidi- autant l’aspect comĂ©die Ă©tait ratĂ© dans la version amĂ©ricaine rĂ©alisĂ©e par James Cameron, autant, dans la partie action, la version originale française Ă©tait ridiculisĂ©e. Il y’a une efficacitĂ©- ainsi qu’une rentabilitĂ© Ă©conomique- dans le cinĂ©ma amĂ©ricain qui captive encore beaucoup de spectateurs et plus encore un certain nombre de producteurs français, qui leur donnent la sensation d’assister de nouveau au dĂ©barquement du D-Day sauf que cela se passe sur grand Ă©cran. Et Will Smith comme Denzel Washington, mĂȘme s’ils sont noirs, font partie des GI’S qui dĂ©barquent sur les Ă©crans français.

C’est sĂ»rement parce qu’un rĂ©alisateur-producteur-scĂ©nariste comme Luc Besson ( Un Français, donc) a empruntĂ© les mĂȘmes recettes que ses films d’action marchent auprĂšs d’un certain public, plutĂŽt nombreux en France. Voire aux Etats-Unis. Ou dans le monde.

Il n’y’a pas de hĂ©ros noir dans la sĂ©rie GOT (Game of Thrones), une sĂ©rie amĂ©ricaine Ă  succĂšs de plus que j’aime beaucoup. S’il s’était trouvĂ© un hĂ©ros noir dans GOT, au vu du succĂšs de la sĂ©rie, dont la 8Ăšme et derniĂšre saison commence Ă  ĂȘtre annoncĂ©e pour ĂȘtre vĂ©ritablement lancĂ©e Ă  partir du 14 avril prochain sur la chaine HBO, l’acteur qui l’aurait interprĂ©tĂ© aurait aujourd’hui une cĂŽte autrement supĂ©rieure Ă  nos actrices et acteurs noirs français. Surtout lorsque l’on voit comme le fait de participer Ă  cette sĂ©rie a particuliĂšrement « boostĂ© » la carriĂšre de plusieurs des actrices et acteurs engagĂ©s. A un point qui est peut-ĂȘtre exagĂ©rĂ© compte tenu du fait que certaines et certains des comĂ©diens ont plus de jeu que d’autres. Mais le cinĂ©ma, ce puissant dĂ©terminant social, est plus un vecteur d’exagĂ©ration que de modĂ©ration.

NĂ©anmoins, plus prĂšs de nous, il y’a encore quelques annĂ©es, un Bilal Hassani, « Arabe et Queer » n’aurait pas pu reprĂ©senter la France Ă  l’Eurovision ce 26 avril prochain. Et, il est vraisemblable que la dirigeante du RN ( ex-Front National), d’autres dirigeants d’autres partis politiques ainsi que certaines personnalitĂ©s ou intellectuels français soient particuliĂšrement irritĂ©s de savoir que Bilal Hassani reprĂ©sentera la France Ă  l’Eurovision. Parler de « l’effet » Bilal Hassani aprĂšs avoir Ă©voquĂ© « l’effet » GOT a sans doute un cĂŽtĂ© comique. Mais c’est pour souligner qu’il y’a quelques ouvertures malgrĂ© tout en France. Et que pour avoir regardĂ© la phase finale de la sĂ©lection française avec quelques ados dans mon service, j’ai pu percevoir comme Bilal Hassani Ă©tait un modĂšle pour ces jeunes car il a eu la force et le courage de prendre le risque de s’affirmer tel qu’il est.

Mais cela prendra encore du temps avant que cela Ă©volue vĂ©ritablement en France quant Ă  la visibilitĂ© des Noirs dans le cinĂ©ma. Noire n’est pas mon mĂ©tier aurait pu s’appeler Noire n’est pas mon pays mais aussi Noire est mon mĂ©tier Ă  tisser. Pour que le changement soit incontestable, cela nĂ©cessitera d’avoir la persĂ©vĂ©rance et la patience – symbolique et concrĂšte- de plusieurs PĂ©nĂ©lope.

Pour l’actrice Marie-PhilomĂšne Nga, la solution passe aussi par des projets dont elle est l’initiatrice et qu’elle dirige en France et Ă  l’étranger :

« C’est ainsi que, vivant Ă  Paris dorĂ©navant, je me retrouve conceptrice, organisatrice de projets entre l’Afrique, la France et l’Inde ».

L’actrice Magaajyia Silberfeld et France Zobda sont aussi dans le mĂȘme Ă©tat d’esprit.

« (
.) Quelques jours aprĂšs, je suis repartie Ă  Los Angeles, Ă  l’occasion de la premiĂšre de mon court-mĂ©trage Vagabonds et pour ĂȘtre lĂ  au moment des Oscar. LĂ -bas, si on travaille, on peut y arriver. LĂ -bas, on rencontre quelqu’un qui vous fait rencontrer quelqu’un d’autre, etc. Tout est possible
On pourra me repĂ©rer, qui sait ! ». (l’actrice Magaajvia Silberfeld).

Grande aptitude Ă  la « rĂ©silience », « entourage de qualitĂ© supĂ©rieure » et autodĂ©rision font partie des « armes » de ces Mesdames. (voir la premiĂšre partie mon article L’école Robespierre concernant le titre de « Madame » et « Monsieur »).

Certaines personnes souhaiteraient que le cinĂ©ma français adopte des quotas comme aux Etats-Unis pour assurer une certaine reprĂ©sentation de la diversitĂ© dans le cinĂ©ma français. J’étais plutĂŽt contre. Je trouvais ce moyen « artificiel » et assez facile Ă  contourner : Je considĂ©rais qu’il suffirait de mettre un Arabe ou un Noir Ă  l’arriĂšre-plan ou dans un rĂŽle sans intĂ©rĂȘt pour considĂ©rer avoir rempli son quota. Je considĂ©rais que des quotas, seuls, seraient insuffisants pour inverser la tendance. Mais, finalement, si on fait une comparaison avec le code de la route, on s’aperçoit qu’il a bien fallu Ă©tablir des rĂšgles de conduite et verbaliser certaines infractions pour rĂ©guler certains comportements et faire diminuer certains risques d’accidents ainsi que la mortalitĂ© sur la route. Dans le milieu du cinĂ©ma et du théùtre, c’est un peu pareil. Cela peut d’abord paraĂźtre dĂ©placĂ© de parler de « mortalitĂ© » pour des comĂ©diens exclus ou Ă©cartĂ©s du fait de leur couleur de peau dans un milieu de toute façon trĂšs sĂ©lectif que l’on soit noir ou blanc. Mais un comĂ©dien privĂ© de rĂŽles est comme tout employĂ© privĂ© d’emploi rĂ©munĂ©rĂ© : Il est Ă©conomiquement condamnĂ©. L’éventualitĂ© de sa mortalitĂ© sociale et morale se fait alors plus concrĂšte. Il faudrait donc peut-ĂȘtre pĂ©naliser certains projets théùtraux et cinĂ©matographiques qui choisissent leurs comĂ©diens au faciĂšs ou rĂ©servent toujours les mĂȘmes rĂŽles dĂ©gradants aux mĂȘmes comĂ©diens comme on pĂ©nalise les excĂšs de vitesse ou l’abus d’alcool au volant. Pour cela, il faudrait d’abord une rĂ©elle volontĂ© politique, culturelle et sociale en vue de permettre une certaine Ă©quitĂ©. EquitĂ© qui serait toujours imparfaite car l’ĂȘtre humain est imparfait. Ensuite, il faudrait que cette volontĂ© politique puisse imposer ces codes ou ces lois Ă  des producteurs et Ă  des distributeurs. Ce qui serait dĂ©jĂ  beaucoup plus difficile : malgrĂ© les limitations de vitesse de plus en plus strictes, les constructeurs automobiles continuent de vendre des voitures trĂšs puissantes afin de les rendre attractives. Et ces voitures trouvent acquĂ©reurs. Ce sont les acquĂ©reurs qui Ă©copent des amendes, de la perte de points et du retrait de permis. Pas les constructeurs automobiles ni les concessionnaires automobiles. Les premiers continuent de « construire ». Et les seconds Ă  vendre.

Le changement viendra sans doute du public qui plĂ©biscitera de plus en plus un certain type de cinĂ©ma oĂč une certaine diversitĂ© sera montrĂ©e. Parce-que cela correspondra Ă  un besoin qu’il essaiera de satisfaire comme cela a Ă©tĂ© le cas pour le RAP qui, de musique marginale il y’a trente ans, est devenue aujourd’hui un genre musical que n’importe quel jeune, blanc ou noir, de classe sociale modeste ou bourgeoise, Ă©coute.

Pour cela, il faut des artistes chefs de file qui proposent des Ɠuvres qui vont remplir un vide que certains producteurs actuels, accrochĂ©s Ă  leurs rĂ©fĂ©rences et Ă  leur passĂ©, sont incapables de percevoir. AprĂšs tout, il est bien des chefs d’entreprise qui, alors qu’ils auraient pu ĂȘtre des pionniers, ont trĂšs mal anticipĂ© le dĂ©veloppement de l’Ă©conomie numĂ©rique par exemple. Ou de certaines innovations technologiques telles que le smartphone.

Tout Ă  l’heure, j’ai Ă©tĂ© un peu sarcastique envers Kad Merad en tant que Maitre de cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars cette annĂ©e. Mais cette annĂ©e, Kad Merad est peut-ĂȘtre pour quelque chose dans le fait que l’artiste Eddy de Pretto soit venu interprĂ©ter un titre de Charles Aznavour :

J’me voyais dĂ©jĂ . MĂȘme si l’interprĂ©tation d’Eddy de Pretto ne m’a pas convaincu et que j’ai du mal pour l’instant Ă  ĂȘtre emballĂ© par sa prĂ©sence scĂ©nique, je vois dans sa participation aux derniers CĂ©sars le signe d’un changement. Il y’a dix ou quinze ans, un artiste comme Eddy De Pretto (Artiste hybride entre le chant et le RAP et homo affirmĂ©) n’aurait pas Ă©tĂ© conviĂ© Ă  la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars en France.

« Dans cette clartĂ© Ă©blouissante oĂč rĂšgnent nos absences, je regarde ma fille qui danse dans la cuisine » (l’actrice Rachel Kahn).

Ma fille, pour l’instant, se croit blanche. Comme beaucoup d’enfants, elle a entonnĂ© les paroles de La Reine Des Neiges : « DĂ©livrĂ©eéééééééééé ! Je ne serai plus jamais la mĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘĂȘ-me ! ». Comme beaucoup d’autres enfants avant et aprĂšs elle, ma fille aime porter une robe de Blanche Neige. Dans son Ă©cole, les enfants viennent de partout. Juifs, musulmans, Arabes, Blancs, Noirs sont ensemble. MalgrĂ© quelques mĂšres en tenue musulmane traditionnelle. MalgrĂ©, dĂ©jĂ , cette course vers l’école privĂ©e. Ma fille, comme la plupart des enfants de son Ăąge, est encore loin de savoir le mĂ©tier qu’elle souhaitera faire plus tard. Ou elle n’en parle pas pour l’instant. Avec sa mĂšre, je parle de ce monde en noir et blanc et je veille Ă  ce que, Ă  la maison, elle entende toutes sortes de musiques. Et regarde d’autres dessins animĂ©s que ceux ou, invariablement, les protagonistes sont uniformĂ©ment blancs. En sa prĂ©sence, je discute avec des personnes de diffĂ©rentes origines et diffĂ©rentes cultures. Je ne vois pas pourquoi je devrais dĂ©ja lui farcir la tĂȘte avec l’esclavage et le racisme. Je ne peux pas prĂ©voir ses rencontres et ce qu’elles ( lui) donneront. De temps Ă  autre, je lui parle de la RĂ©union et de la Guadeloupe.

Je sais que l’on peut ĂȘtre noir et raciste. Je sais que le racisme est multiforme. Et qu’il s’exerce aussi contre d’autres sur d’autres critĂšres que la couleur de peau. Je sais que j’ai des prĂ©jugĂ©s. Mais, moi, je n’empĂȘche personne de devenir acteur parce qu’il est blanc. Et je n’ai jamais refusĂ© de jouer sur scĂšne ou dans un court-mĂ©trage avec une partenaire blanche ou un partenaire blanc. MĂȘme si cela pourrait ĂȘtre le thĂšme d’un sketch ou d’un court mĂ©trage humoristique.

Cependant, je devrai ĂȘtre prĂȘt le jour oĂč quelqu’un voudra dĂ©cider Ă  la place de ma fille de la personne qu’elle est parce qu’elle est noire.

Franck Unimon, ce vendredi 8 mars 2019.

Catégories
Cinéma

Le Chant du Loup

 

Le Chant du Loup un film d’Antonin Baudry

Sorti en salles ce 20 février 2019

 

RĂ©cemment, un candidat de la version française de l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e The Voice a dĂ©clarĂ© qu’il prĂ©fĂ©rait rester lui-mĂȘme plutĂŽt que de chanter de façon contraire et voir les quatre jurĂ©s se retourner pour le choisir. Ce candidat Ă©tait peut-ĂȘtre plus libre qu’Antonin Baudry lorsque celui-ci a rĂ©alisĂ© Le Chant du Loup. Car dans Le Chant du Loup, on « apprend » par exemple qu’une femme amoureuse est nĂ©cessairement une infirmiĂšre dĂ©vouĂ©e Ă  qui, Ă  la vitesse d’un coup de foudre, on peut confier des secrets d’Etat. D’autant que, Ă©tant donnĂ© qu’elle est libraire, elle saura lire entre les lignes.

 

L’affiche du film Ă©tait trop belle : Un sous-marin, un plongeur et François Civil, Omar Sy, Reda Kateb, Matthieu Kassovitz pour les tĂȘtes d’affiches. Soit le croisement d’acteurs Ă©prouvĂ©s, estimĂ©s, que l’on aime regarder jouer.

Le film commence bien. MĂȘme si, assez vite, du cĂŽtĂ© de nos acteurs « connus », ça sonne Ă  cĂŽtĂ©. Soit leur prĂ©sence est insuffisamment raccord avec le climat du film. Soit on leur a dĂ©jĂ  vu cette expression-lĂ  quelque part. Mais c’était sur Terre, dans un autre film ou dans une sĂ©rie tĂ©lĂ©visĂ©e. Le Chant du Loup avait pourtant de beaux atouts. Parmi eux, de la culture :

« Les vivants, les morts et ceux qui sont en mer ». Cette citation d’Aristote ouvre le film.

On y attrape quelques bouts de cette connaissance inhérente à chaque univers mystérieux et celui de la mer et de la marine nationale en sont :

« Un sous-marin bien conduit, ça fait moins de bruit que la mer ».

Chanteraide, surnommĂ© « Chaussette », interprĂ©tĂ© par François Civil, nous Ă©pate bien-sĂ»r par ses dons d’audition comme par son Ă©rudition acoustique qui font de lui un mutant qui pourrait postuler en vue de participer Ă  la version française des X-Men.

Les cartes de la gĂ©opolitique ont Ă©tĂ© actualisĂ©es. Tout cela est vraisemblable. Mais le film reste entre deux. Il pourrait ĂȘtre ratĂ©. Il pourrait ĂȘtre rĂ©ussi. « Nos » acteurs de premier plan font ici ce qu’ils ont dĂ©jĂ  fait. Alors que le but de ce film est quand mĂȘme de nous emmener dans d’autres ailleurs que ceux proposĂ©s gĂ©nĂ©ralement par les productions françaises :

Comédies ou « drames ».

Matthieu Kassovitz s’en sort le mieux. MĂȘme si son jeu peut ressembler Ă  une extension de son personnage de Malotru dans Le Bureau des LĂ©gendes, il lui donne quelques nuances supplĂ©mentaires et restitue bien le peu d’humour Ă©crit.

Le Chant du Loup accumule peu Ă  peu certains « dĂ©fauts » que l’on va d’autant plus lui reprocher que l’on a cru en lui : Vouloir faire ou donner l’impression de vouloir faire « comme » les productions amĂ©ricaines mais en moins bien. MĂȘme si, Ă  ce que j’ai lu, ces films ne seraient pas les rĂ©fĂ©rences principales du rĂ©alisateur, j’ai trouvĂ© Le Chant du Loup  « moins » bien que A La Poursuite d’Octobre Rouge rĂ©alisĂ© en 1990 par John Mc Tiernan et que le K-19 : Le PiĂšge des profondeurs rĂ©alisĂ© en 2002 par Kathryn Bigelow.

La rĂ©fĂ©rence cinĂ©matographique principale  serait  Le Bateau ( Das Boot) rĂ©alisĂ© en 1981 par Wolfgang Petersen. Film dont j’avais entendu parler durant mes annĂ©es de collĂšge mais que je n’ai toujours pas vu. Wolfgang Petersen a aussi, entre-autres, rĂ©alisé Dans la ligne de mire ( 1993) ainsi que Troie ( 2004) pour citer deux autres de ses films connus.

 

Le Chant du Loup est peut-ĂȘtre un film de jeunesse. Avec ce que l’on attribue de façon idĂ©alisĂ©e Ă  la jeunesse : Fougue, audace, crĂ©ativitĂ© et force de travail. Il en fallait indiscutablement pour tenter ce genre de film, en France, et en l’écrivant avec ces quatre acteurs principaux aux caractĂšres et aux carriĂšres diffĂ©rentes et qui jouaient peut-ĂȘtre ensemble pour la premiĂšre fois dans un long mĂ©trage.

Matthieu Kassovitz, a Ă©tĂ© en France l’un des rĂ©alisateurs-acteurs chouchous des annĂ©es 90-2000 (La Haine rĂ©alisĂ© par lui, Regarde les Hommes tomber rĂ©alisĂ© par Jacques Audiard pour rĂ©sumer grossiĂšrement sa pĂ©riode 90-2000). Depuis, dans les mĂ©dia, il apparaĂźt comme un personnage plutĂŽt offensif ou contrariĂ© en mĂȘme temps qu’un rĂ©alisateur/producteur/ acteur qui continue de bĂ©tonner son CV. Pour le plaisir, je vais Ă  nouveau citer la sĂ©rie Le Bureau des LĂ©gendes. En 2008, il a Ă©tĂ© l’un des producteurs- en mĂȘme tant qu’acteur- pour le film Louise Michel rĂ©alisĂ© par Gustave Kervern et BenoĂźt DelĂ©pine. Mais il Ă©tait trĂšs Ă©tonnant de le trouver par exemple dans PiĂ©gĂ©e (2012) de Steven Soderbergh. Comment fait-il ?

Reda Kateb a commencĂ© Ă  se faire connaĂźtre par les deux ou trois premiĂšres saisons de la sĂ©rie française Engrenages. Une sĂ©rie policiĂšre française trĂšs mĂ©connue en France pour des raisons aussi trĂšs mĂ©connues. Reda Kateb a dĂ©jĂ  une belle carriĂšre. Un ProphĂšte de Jacques Audiard ; Qu’un seul Tienne et les autres suivront de LĂ©a Fehner ; Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow ; Qui Vive de Marianne Tardieux ; FrĂšres Ennemis de David Oelhoffen. Et bien d’autres films.

Ensuite, parler d’ Omar Sy, c’est parler de sa pĂ©riode Omar et Fred puis d’Intouchables, bien-sĂ»r mais aussi de Nos Jours Heureux rĂ©alisĂ© par les mĂȘmes Toledano et Nakache ; X-Men : Days of Future Past rĂ©alisé par Bryan Singer ; Yao (2018) rĂ©alisĂ© par Philippe Godeau. Et d’autres films.

François Civil qui a le rĂŽle principal dans Le Chant du Loup est, comme dans le film, le « petit » jeune (François Civil est nĂ© en 1990). Celui dont la carriĂšre militaire/cinĂ©matographique prend son essor. J’ai dĂ©couvert l’acteur François Civil seulement avec la sĂ©rie Dix pour cent (Ă  partir de 2015). Il joue trĂšs bien Ă©galement, voire encore mieux, dans Made in France (2016) de Nicolas Boukhrief.

Souvent, l’acteur principal est l’alter ego du rĂ©alisateur. Antonin Baudry est un ancien diplomate français nĂ© en 1975, auteur (avec l’illustrateur Christophe Blain) sous le pseudonyme Abel Lanzac de la bande dessinĂ©e Le Quai d’Orsay. Antonin Baudry a participĂ© Ă  l’écriture du scĂ©nario de la version cinĂ©matographique de Le Quai d’Orsay, rĂ©alisĂ©e par Bertrand Tavernier en 2012.

Le Chant du Loup ( 2018) est le premier film d’Antonin Baudry en tant que rĂ©alisateur et scĂ©nariste exclusif. Souhaitons lui une autre suite dans le cinĂ©ma que ce qui arrive au personnage de Chaussette Ă  la fin de Le Chant du Loup. Car son film, en rĂ©unissant ces quatre acteurs, ces quatre visages et entitĂ©s, dans l’univers sonore et visuel encore assez clos du cinĂ©ma français, est peut-ĂȘtre la mĂ©taphore d’une France qu’il voudrait plus ouverte. Et sans doute l’amorce d’une filmographie rĂ©ussie.

Franck Unimon, ce lundi 4 mars 2019.

Catégories
Echos Statiques

L’Ă©cole Robespierre 2Ăšme partie

 

 

                                            L’école Robespierre 2Ăšme partie

 

« Fé-Lix Potin, On y revient ! ».

 

A l’école Robespierre, je suis sorti des toilettes. Le grand Philippe C m’attendait. Surpris, je me suis arrĂȘtĂ©. Il a tirĂ© sur son Ă©lastique et me l’a envoyĂ© dans l’oeil. Il est reparti hilare.

En temps ordinaire, je n’aurais pas caftĂ©. Philippe C, avec Cyril T, son grand frĂšre et Enzo B Ă©taient des durs de la rue ou de la citĂ© Creuse (on disait « Greuse »). Une petite citĂ© HLM un peu Ă  l’écart, faite de bĂątiments de trois ou quatre Ă©tages, situĂ©e entre le théùtre des Amandiers et la citĂ© oĂč j’habitais faite de tours de 18 Ă©tages.

Mais la douleur, la surprise et la peur m’ont fait pleurer. C’est Mr Lambert, je crois, qui, devant toute la cour, a engueulĂ© Philippe C. Celui-ci s’est fait tout petit. Cela a Ă©tĂ© la premiĂšre et derniĂšre fois oĂč il s’en est pris Ă  moi.

Certains garçons avaient la rĂ©putation d’ĂȘtre de trĂšs bons bagarreurs. Amar B frimait parce qu’il avait des grands frĂšres qui se battaient bien et pouvaient le dĂ©fendre. « Mais, en vrai », il n’était pas fort. C’est ce qui a pu se raconter.

Jacky W, qui Ă©tait un bon bagarreur, a fait pleurer Amar un jour. Lors de l’unique bagarre – nous Ă©tions plutĂŽt copains- que j’ai eue avec Jacky W (pour une raison que j’ai oubliĂ©e) j’ai trĂšs vite donnĂ© un coup de sabot. Ce jour-lĂ , je portais des sabots. Jacky W s’est arrĂȘtĂ©. Il est parti s’asseoir quelques minutes Ă  quelques mĂštres. J’ai attendu, debout et prĂȘt, les poings serrĂ©s, pieds nus dans mes sabots noirs. Jacky s’est relevĂ© puis a fait la paix avec moi. J’ai acceptĂ©. Je suis reparti de mon cĂŽtĂ©. Je n’étais pas un bagarreur. Je n’avais rien Ă  me prouver de ce cĂŽtĂ©-lĂ .

William P avait combattu de façon hĂ©roĂŻque face Ă  Cyril T devant la cour de l’école. Cyril T l’avait provoquĂ©. Peut-ĂȘtre parce qu’arrivĂ© en CE2 ou en CM1, William P Ă©tait nouveau dans l’école. Et, devant ses copains Philippe C, Enzo B, et son grand-frĂšre, Cyril T a dĂ» aller jusqu’au bout.

William P s’est trĂšs bien dĂ©fendu. On m’a racontĂ©. C’est peut-ĂȘtre William P lui-mĂȘme qui me l’a racontĂ© car on s’entendait bien. AprĂšs la bagarre, William a portĂ© un bandage Ă  la main  mais il a Ă©tĂ© respectĂ© et admirĂ©. Cyril T l’a peut-ĂȘtre menacĂ© mais c’était surtout pour ne pas perdre la face.

Dans l’autre Ă©cole primaire de Robespierre, j’ai entendu parler d’un garçon d’origine vietnamienne, Teduc de V
. D’aprĂšs la description, dĂšs qu’il s’énervait lors d’une bagarre, il Ă©tait terrifiant. Je ne l’ai jamais rencontrĂ©.

Lorsque j’Ă©tais en CM2, j’ai Ă©tĂ© atterrĂ© d’entendre des petites et des petits prononcer dĂšs le CP des gros mots tels que « Ta mĂšre la pute ! ».

AprĂšs ĂȘtre entrĂ© en 6Ăšme, au collĂšge Evariste Gallois, un tout petit peu en dehors de ma citĂ©, je suis revenu deux ou trois fois dire bonjour Ă  Mr Pambrun. Il m’a Ă  chaque fois Ă©coutĂ© durant quelques minutes. Lorsque je lui ai dit que, moi, au collĂšge, je ne faisais pas de bĂȘtises, il a rĂ©pĂ©tĂ© mes propos en me souriant. Il a peu insistĂ©. Mais j’ai compris qu’il n’en croyait pas un mot.

Comme d’autres copains, avec Jean-Marc T, en particulier, un Antillais d’origine martiniquaise nĂ© en France comme moi, rencontrĂ© en 6Ăšme, j’ai commencĂ© Ă  voler dans le supermarchĂ© FĂ©lix Potin. Anciennement Sodim. Je volais n’importe quoi. J’en remplissais mes poches et n’en faisais rien. C’était d’autant plus idiot que le supermarchĂ© FĂ©lix Potin, le supermarchĂ© le plus proche de ma citĂ©, Ă©tait le supermarchĂ© oĂč mes parents m’envoyaient faire des courses. Autrement, il y’avait le supermarchĂ© Suma situĂ© du cĂŽtĂ© du collĂšge Evariste Gallois. En face de FĂ©lix Potin, de l’autre cĂŽtĂ© de la route, peut-ĂȘtre avant la construction du grand parc de Nanterre, il y’avait un terrain vague. C’est lĂ  que Gilles S, qui habitait aux Canibouts, prĂšs des PĂąquerettes et de l’hĂŽpital de Nanterre oĂč travaillait ma mĂšre, a tenu Ă  faire un concours avec Jean-Marc et moi. Pour savoir qui de nous trois avait la plus grande ou la plus grosse bite. Gilles S avait beaucoup de bagout. Il s’est soudainement retournĂ© vers nous en pressant son zizi dans sa main pour nous montrer. J’ai refusĂ© de participer. Je savais que les gros en avaient une petite.

Sur ce terrain vague, aussi, avec Jean-Marc, j’ai commencĂ© Ă  crapoter. J’ai vite arrĂȘtĂ©. Aucun plaisir. En plus, cela prenait beaucoup de temps pour terminer une cigarette. Lorsque Francine B, rencontrĂ©e au collĂšge, m’a dit plus tard que cela la calmait de fumer des cigarettes, cela m’a paru trĂšs abstrait.

C’est sur la route entre ce terrain vague (ou le parc de Nanterre) et FĂ©lix Potin, qu’un jour, des gardiens du parc ont poursuivi des jeunes de la rue Creuse qui avaient traversĂ© le parc en mobylette. C’était interdit. Nous les avions regardĂ©s faire. Les deux jeunes, dont le grand frĂšre de Cyril T je crois, dĂ©boulaient tĂȘte nue sur leur mobylette chaudron au moteur dĂ©bridĂ©. Ils Ă©taient suivis environ cinquante mĂštres ou cent mĂštres plus loin par les deux gardiens du parc assis sur leur deux roues de fonction, vĂȘtus comme des gendarmes avec leur kĂ©pi sur la tĂȘte. Au compteur, il devait bien y avoir trente Ă  quarante kilomĂštres heures d’Ă©cart entre les vĂ©lomoteurs rĂ©glementaires et de petite cylindrĂ©e des gardiens. Et ceux du grand frĂšre de Cyril T et de son copain.

Nous Ă©tions plusieurs jeunes (uniquement des garçons sans doute) Ă  regarder ça un peu comme s’il s’agissait du Tour de France. Nous encouragions Ă©videmment les deux jeunes. Vu que les deux gardiens avaient le sens du devoir, cela a durĂ© un moment. Sans suspense.

 

Non loin de lĂ  et Ă  l’entrĂ©e du parc, la chapelle St Joseph oĂč je suis allĂ© au catĂ©chisme. Lors des dĂ©bats, le pĂšre AndrĂ© me donnait souvent l’impression que j’étais vraiment intelligent. Lorsque le groupe Police a commencĂ© Ă  ĂȘtre connu, avec d’autres jeunes, j’ai Ă©coutĂ© et réécoutĂ© le titre Do Do Do Da Da Da. Au catĂ©chisme, j’ai retrouvĂ© un camarade de collĂšge avec lequel j’ai davantage sympathisĂ©- presque fraternisĂ© la religion aidant- Roberto C, d’origine italienne.

 

Au collĂšge Evariste Gallois, la derniĂšre fois que j’ai vu Enzo B, il Ă©tait entourĂ© de policiers. Nous Ă©tions assez nombreux dans la cour du collĂšge Ă  assister Ă  son arrestation. Le petit Enzo B (Enzo Ă©tait de petite taille) avec lequel mes quelques Ă©changes Ă©taient sympathiques tout comme avec Cyril T et son grand frĂšre, se tenait fiĂšrement. Enzo est montĂ© dans le camion de police. Je crois ne l’avoir jamais revu. Pas plus que je n’ai revu le grand Philippe C, Cyril T et son grand frĂšre. Ou alors, je les ai revus et ne les ai pas reconnus.

 

Je ne sais comment. Un jour, j’ai su qu’il Ă©tait possible de renifler la colle qui sert Ă  poser des rustines lorsque l’on rĂ©pare les chambres Ă  air de nos vĂ©los. Je ne l’ai pas fait. Je ne voyais pas ce que cela pouvait m’apporter.

Gilles P, un voisin de notre tour qui habitait avec ses parents quelques Ă©tages en dessous de notre appartement, mon aĂźnĂ© d’un ou deux ans, serait mort d’une overdose Ă  l’hĂ©roĂŻne. Je le croisais quelques fois en bas de notre tour, en attendant l’ascenseur, ou au collĂšge. Son pĂšre Ă©tait policier, je crois. Une des derniĂšres images que j’ai de Gilles P, c’est lui, portant un maillot de foot vert et se battant avec une fille dans la cour du collĂšge. Il avait dĂ» la provoquer. Elle se battait trĂšs bien. Sa jambe allait haut. Gilles avait beau jouer la dĂ©contraction en reculant tel un boxeur pour Ă©viter les coups, il n’avait pas gagnĂ© et avait plutĂŽt Ă©tĂ© intimidĂ©.

Une autre image me montre Gilles P un peu plus tard et portant un blouson de cuir noir, un Jean foncĂ© prĂšs du corps et des baskets Adidas Ă  trois bandes. Les groupes AC/DC et Trust Ă©taient devenus des rĂ©fĂ©rences musicales pour certains jeunes. Gilles P et moi nous sommes plus croisĂ©s que parlĂ©s. Deux ans d’écart, lorsque l’on est jeune, c’est beaucoup.

En 4Ăšme, Patrice L m’a proposĂ© un jour d’aller coucher avec une fille. Patrice a ajoutĂ© :

« Par contre, ramĂšne l’eau de javel parce-qu’elle se lave pas
 ». J’ai refusĂ©.

Une autre fois, j’ai croisĂ© Patrice alors qu’il s’amusait avec ses copains. Il m’a proposĂ© de faire de la mobylette avec eux. J’ai refusĂ© poliment et ai commencĂ© Ă  m’éloigner. Peu aprĂšs, un camion de police est venu les embarquer.

En 3Úme, Mme Epstein, notre prof de Français et professeur principal, petite femme au fort caractÚre et grande fumeuse, étonnée, nous demandait réguliÚrement :

« Pourquoi vous Ă©crivez toujours des histoires qui se passent aux Etats-Unis ? Racontez des histoires d’endroits que vous connaissez
 ». J’ai quelques fois essayĂ© de rĂ©flĂ©chir pendant quelques secondes. Je n’y arrivais pas.

 

J’ai aimĂ© ma citĂ©. Les reprĂ©sentants entraient comme ils voulaient dans notre tour. Lorsqu’ils s’arrĂȘtaient devant la porte d’un appartement, ils faisaient vriller les tympans avec la sonnette. Puis, sans attendre la moindre rĂ©action, ils passaient Ă  une autre porte d’appartement et ainsi de suite dans les Ă©tages. 18 Ă©tages.

Sur notre palier, parmi nos voisins, figuraient les M. Ils claquaient la porte lorsqu’ils entraient. Ils la claquaient lorsqu’ils partaient. Je suis allĂ© plusieurs fois chez eux. Christophe M, le fils, et moi Ă©tions assez copains. Il avait une voix assez aigĂŒe Ă  l’époque. Corinne, sa grande sƓur aĂźnĂ©e, avait beaucoup aimĂ© le tube de Patrick Juvet : « OĂč sont les femmes ? ». A notre Ă©tage, on l’avait entendu et rĂ©entendu, plus qu’à la radio, ce tube.

Lorsque des gens se disputaient chez eux, on entendait tout. Pareil lorsque quelqu’un se dĂ©cidait Ă  attaquer un des murs de son appartement Ă  la chignole. Quand un jeune dĂ©cidait de roder sa mobylette, on Ă©tait avec lui alors qu’il passait et repassait dans la citĂ©, augmentant petit Ă  petit la vitesse de son engin.

Le terrain de foot en cailloux situĂ© entre ma tour, la tour 13 et la tour 14 avait ses pĂ©riodes de grande frĂ©quentation. J’y ai connu certains de mes petits matches de foot.

La création du centre commercial Les Quatre Temps à la Défense nous a apporté un renouvellement de notre environnement. Auchan et le Mac Donald.

Avec Jean-Marc, principalement, les premiĂšres fois, je suis aussi allĂ© voler dans quelques magasins des Quatre Temps. MĂȘme si je m’étais dĂ©jĂ  fait prendre une fois. A Suma. L’attrait Ă©tait trop fort.

CollĂ©gien, je suis bien plus de fois entrĂ© dans le centre commercial les Quatre Temps qu’au théùtre des Amandiers devant lequel, pourtant, j’Ă©tais dĂ©ja passĂ© quantitĂ© de fois depuis l’enfance. Le théùtre des Amandiers fait pratiquement face Ă  la piscine Maurice Thorez. Le théùtre des Amandiers Ă©tait un endroit qui ne me parlait pas. Les personnes qui faisaient la queue, jusque dans la rue, pour y entrer, nous empĂȘchaient parfois de passer. Ces personnes ne nous parlaient pas, ne nous ressemblaient pas, Ă  mes copains et moi.

Mme Epstein, notre prof de Français de 3Ăšme, nous a emmenĂ© voir Combat de NĂšgres et de chiens au théùtre des Amandiers. Ensuite, elle en a dĂ©battu avec nous. Malheureusement, contrairement Ă  l’expĂ©rience de la bibliothĂšque en CE2 avec Mr Pambrun, cette fois-ci, je n’ai pas eu envie d’y retourner. Pourtant, le théùtre des Amandiers Ă©tait bien plus proche de notre tour que la bibliothĂšque et le centre commercial des Quatre Temps. J’ignorais ce que le théùtre pouvait m’apprendre et me donner mais aussi ce que j’aurais pu, tout autant, lui donner. Il est vrai, aussi, que l’accĂšs au théùtre Ă©tait payant. On ne paie jamais pour entrer dans un centre commercial.

Au collĂšge, ce qui me parlait, c’était la tĂ©lĂ©, le Foot, l’AthlĂ©tisme, Bruce Lee, Mohamed Ali, le Tennis, le Cyclisme, les acteurs amĂ©ricains, la musique noire amĂ©ricaine, les Etats-Unis rĂ©sumĂ©s Ă  New-York, le Reggae, la lecture.

Au collĂšge, ce qui me parlait c’était la ceinture de mon pĂšre, son soutien scolaire, le crĂ©ole, la Guadeloupe, la musique antillaise, la mĂ©moire de l’esclavage, avoir des bonnes notes Ă  l’école. Ma mĂšre. Ma petite sƓur et mon petit frĂšre. Mon cousin Christophe qui habitait aux PĂąquerettes prĂšs de l’hĂŽpital de Nanterre. Et les copains.

Parmi ces quelques jeunes citĂ©s, et certains de leurs proches, femmes et hommes, il doit malheureusement s’en trouver plusieurs Ă  qui la haine a su parler.

Franck Unimon, ce samedi 2 mars 2019. Fin de la 2Ăšme partie de l’école Robespierre.

Catégories
Cinéma

Jusqu’Ă  la garde

 

Jusqu’à la Garde un film de Xavier Legrand

 

 

« J’ai changé  ». Antoine vient de boire un grand verre d’eau. Il se met Ă  pleurer face Ă  « sa » femme, Miriam, devant leur fils Julien (l’acteur Thomas Gioria) ĂągĂ© de 11 ans.

Oui, il a changé.

Avant de boire ce grand verre d’eau dans la cuisine et de donner cette Ă©trange « confession », de sa masse imposante, il est venu prendre possession. Des lieux. D’une intimitĂ©. Il n’est pas chez lui. Il est chez son ex-femme, Miriam.

Quelques annĂ©es plus tĂŽt, lointain horizon, lui, ce responsable sĂ©curitĂ© (interprĂ©tĂ© par l’acteur Denis MĂ©nochet) d’un centre commercial, Ă©tait peut-ĂȘtre un homme et un port aimants et rassurants pour la frĂȘle Miriam (l’actrice LĂ©a Drucker) et leurs deux enfants. Au cƓur d’un couple et d’une famille, la sĂ©curitĂ©, toutes les sĂ©curitĂ©s, sont ce que l’on peut attendre de l’autre. A la fin du film Mystic River – rĂ©alisĂ© par Clint Eatswood- alors qu’il doute, un pĂšre (interprĂ©tĂ© par Sean Penn) est rĂ©armĂ© moralement par sa propre femme et mĂšre de leur fille disparue. Oui, lui et ses hommes ont tuĂ©, Ă  tort, un de ses anciens amis d’enfance (victime lui-mĂȘme d’un viol dans son enfance) qu’il a cru  responsable du viol et du meurtre de leur fille. Mais il a fait ce qui est attendu d’un homme qui protĂšge sa famille (sa tribu) lui assure sa femme ! Et, devant le perron de leur maison, ce pĂšre interprĂ©tĂ© par Sean Penn, et sa femme, se montrent pleins d’assurance alors qu’ils assistent Ă  un dĂ©filĂ© et que l’on voit un moment passer, abattu moralement, le fils de l’ami d’enfance rendu responsable – Ă  tort- d’un crime qu’il avait lui-mĂȘme subi plus jeune car personne ne l’avait dĂ©fendu.

Dans Jusqu’à la garde, Antoine, semblable Ă  un ogre, est devenu une menace pour son couple et sa famille dont il Ă©tait supposĂ©, originellement, assurer la protection.

Oui, il a changé.

Ou Miriam a peut-ĂȘtre toujours rĂȘvĂ© l’homme qu’il Ă©tait comme on peut parfois rĂȘver celle ou celui que l’on aime.

Lors de la comparution devant le juge, l’ogre ou « L’Autre », comme Miriam et leurs enfants le nomment en son absence, se comporte en homme qui sait se tenir. Son avocate met en doute la cohĂ©rence comme l’honnĂȘtetĂ© morales de Miriam :

« On part en week-end » ; « Comme le prĂ©tend Madame
 ». L’avocate d’Antoine se retient presque d’exprimer des rĂ©serves quant aux capacitĂ©s de Miriam en matiĂšre d’éducation et de soins pour ses deux enfants. Les parents d’Antoine, ses collĂšgues ainsi que ses amis chasseurs tĂ©moignent en faveur de son exemplaritĂ©.

De son cÎté, aprÚs avoir écouté le témoignage de leur fils Julien, lu par la juge, Antoine déclare calmement :

« J’aimerais bien comprendre. Je ne sais pas ce qu’on lui met dans la tĂȘte ». « On », c’est bien-sĂ»r Miriam, assise juste Ă  cĂŽtĂ© de lui. Devant les tĂ©moignages contradictoires, qui se doivent de rester calmes et intelligibles malgrĂ© l’extrĂȘme tension Ă©motionnelle, la juge (la comĂ©dienne Saadia BentaĂŻeb, trĂšs bien) a du mal Ă  trancher.

Jusqu’à la garde (2018) est la suite du court-mĂ©trage (30 mn) Avant que de tout perdre ( 2013) que Xavier Legrand avait rĂ©alisĂ© sur le mĂȘme thĂšme et avec les mĂȘmes comĂ©diens principaux. En 2013, j’avais dĂ©couvert Avant que de tout perdre alors que j’étais encore rĂ©dacteur pour le site Format Court et que j’y co-animais les soirĂ©es dĂ©bats mensuelles. Une fois par mois, en plus d’autres Ă©vĂ©nements, le site Format Court continue de proposer des soirĂ©es dĂ©bat au cinĂ©ma des Ursulines Ă  quelques minutes du jardin du Luxembourg.

Xavier Legrand était venu participer au débat. Avant que de tout perdre nous avait « bien » plu :

Devant des sujets particuliĂšrement sensibles, ici celui des violences conjugales, lorsqu’un film est bien ou trĂšs bien rĂ©alisĂ©, Ă©crit et interprĂ©tĂ©, il me semble toujours un peu dĂ©placĂ© de dire ou d’écrire qu’il m’a « bien » ou « beaucoup » plu. Car c’est rarement pour notre confort personnel que l’on participe Ă  un projet pareil. Et, c’est Ă©galement rarement pour notre plaisir personnel que l’on se dĂ©cide Ă  voir un film comme celui-ci.

Lors de la derniĂšre remise des CĂ©sar (ce vendredi 24 fĂ©vrier 2019 : il y’a une semaine) Jusqu’à la garde a rĂ©coltĂ© plusieurs prix dont celui du meilleur film de l’annĂ©e et de la meilleure actrice pour LĂ©a Drucker. Je suis allĂ© le voir hier. Pour ses deux films, Xavier Legrand s’est documentĂ©. Il a aussi rencontrĂ© un certain nombre de personnes et d’organisations Ă  mĂȘme de l’aiguiller. Dans le gĂ©nĂ©rique de fin de Jusqu’à la garde, il remercie par exemple la FNCAV :

FĂ©dĂ©ration Nationale Des Associations et des Centres de Prise en Charge d’Auteurs de Violences Conjugales et Familiales.

Jusqu’à la garde est un film trĂšs ambitieux. Il y’a beaucoup Ă  dire sur les violences conjugales et Xavier Legrand rĂ©ussit trĂšs bien Ă  concilier Ɠuvre de fiction et Ɠuvre pĂ©dagogique. Pour cela, il est aussi rĂ©ussi que le Holy Lola (rĂ©alisĂ© en 2003
comme Mystic River !) de Bertrand Tavernier, consacrĂ©, lui, Ă  l’adoption.

Un film comme Ne Dis Rien rĂ©alisĂ© en 2004 par Iciar Bollain sur le thĂšme des violences conjugales m’était aussi restĂ©. Mais la violence brute dĂ©robĂ©e par moments Ă  Antoine/ Denis MĂ©nochet me rappelle aussi celle excavĂ©e par un Chris Penn ( feu le frĂšre de Sean Penn) dans Nos FunĂ©railles ( 1996) d’Abel Ferrara ou Ă©galement dans le Short Cuts rĂ©alisĂ© par Robert Altman en 1994. « Adoption », « funĂ©railles », il y’a au moins de ça dans les violences conjugales. Une adoption et des funĂ©railles ratĂ©s. On peut y ajouter, malheureusement, le viol.

Il n’y’a pas de scĂšne de viol physique dans Jusqu’à la garde. Mais la prestation de Denis MĂ©nochet me rappelle celle d’un Jo Prestia dans le IrrĂ©versible (2002) de Gaspar NoĂ© oĂč, lĂ , il est bien question d’un viol physique (psychologique et moral) filmĂ© de maniĂšre rĂ©aliste (ou crue selon les sensibilitĂ©s). J’avais appris plus tard qu’aprĂšs avoir interprĂ©tĂ© ce rĂŽle de violeur, le comĂ©dien Jo Prestia avait dĂ» suivre une thĂ©rapie. Lors de la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars de vendredi dernier, je me suis demandĂ© si Denis MĂ©nochet , qui porte ce rĂŽle d’homme et de pĂšre violent allait avoir, lui aussi, besoin de ce soutien psychothĂ©rapeutique Ă  un moment ou Ă  un autre. Car jouer ce genre de personnage nous enfouit dans des Ă©motions dont il peut ĂȘtre difficile de se dĂ©pĂȘtrer :

Je me rappelle de l’acteur Jean-Michel Martial nous expliquant au cours d’un dĂ©bat , que pendant un temps, il avait « dĂ©gagĂ© un truc » aprĂšs avoir jouĂ© son rĂŽle de militaire tortionnaire sous la dictature de Duvalier Ă  HaĂŻti dans le film L’Homme sur les quais (1992) de Raoul Peck.

« Tortionnaire », « dictature »,  » Ne dis rien« ,  Mystic River, Short Cuts,  aprĂšs les « adoption »,  » funĂ©railles » ratĂ©s, IrrĂ©versible et le viol : mes rĂ©miniscences cinĂ©matographiques, aprĂšs voir vu Jusqu’Ă  la garde parlent pour moi et bien mieux que moi, en quelques mots, de ce que j’ai « vu » hier.

A l’image de ce que peuvent ressentir bien des victimes (de violences conjugales mais aussi d’autres violences), Jusqu’à la garde nous enferme. Il pourrait donner Ă  certaines personnes un certain sentiment de claustrophobie. NĂ©anmoins, mĂȘme si Miriam et ses enfants s’installent peu Ă  peu dans un Ă©tat d’alerte quasi animal, Xavier Legrand prĂ©serve nĂ©anmoins des sas et des Ă©chappatoires :

Miriam et ses enfants sont entourĂ©s de proches recommandables et aussi capables de tenir tĂȘte Ă  « L’Autre ». Appuis dont un certain nombre de victimes sont privĂ©es (victimes de violences conjugales, de violences sectaires, de violences dans les Ă©glises ou de violences liĂ©es Ă  la prostitution ou Ă  la toxicomanie par exemple
).

D’un point de vue clinique, ma seule petite rĂ©serve concerne le physique de Denis MĂ©nochet : sa stature imposante peut laisser croire qu’un violent ou une violente conjugal(e ) est obligatoirement une personne au physique de vigile et au regard de faucille ( de « pervers », diront d’autres). Les auteurs de violence conjugale ont Ă  mon avis des physiques trĂšs variĂ©s.

Jusqu’à la garde est un film qui informe que mieux peut ĂȘtre ou doit ĂȘtre fait en faveur des victimes. C’est aussi un film qui peut rappeler Ă  celles et ceux qui dĂ©tiennent un pouvoir ou un ascendant sur d’autres (hiĂ©rarchique, financier, affectif, Ă©ducatif,
.) que dĂšs lors que l’on a ce pouvoir, nos Ă©changes avec les autres peuvent ĂȘtre assez facilement biaisĂ©s. Il importe donc, aussi, de savoir se mettre Ă  la hauteur des autres ainsi qu’à leur rĂ©elle Ă©coute si l’on aspire vĂ©ritablement Ă  avoir avec eux des relations oĂč « tout se passe bien ».

RĂ©pĂ©ter des « Mon cƓur » ou des ribambelles de phrases toutes faites tressĂ©es de mots-clĂ©s lorsque l’on dispose d’un pouvoir et que l’on s’adresse Ă  l’autre ne suffit pas.

NominĂ© pour le CĂ©sar du meilleur acteur, Denis MĂ©nochet n’a pas eu le prix. Si j’ai Ă©tĂ© content qu’Alex Lutz l’obtienne pour son rĂŽle dans le film qu’il a corĂ©alisĂ© et co-Ă©crit (Guy), je dĂ©plore qu’au cinĂ©ma, les rĂŽles de « mĂ©chant » soient si connotĂ©s moralement qu’ils privent gĂ©nĂ©ralement leur interprĂšte d’une quelconque distinction. Par exemple, pour moi, dans le film Django Unchained (2012) de Quentin Tarantino, Samuel Jackson et LĂ©onardo DiCaprio, dans leurs rĂŽles respectifs, auraient pu ou dĂ» avoir un Oscar d’autant plus qu’ils meurent dans le film. Je reverrais ce film avec plaisir juste pour eux. Jamie Foxx qui joue pourtant le rĂŽle du hĂ©ros, soit Django, et qui a pu me plaire dans d’autres films est dans Django Unchained complĂštement secondaire Ă  mes yeux. Pareil lorsque l’Oscar du meilleur acteur avait Ă©tĂ© donnĂ© Ă  Tommy Lee Jones pour son rĂŽle dans Trois Enterrements (2005). Sans l’acteur Barry Pepper (que tout le monde a dĂ©sormais oubliĂ© alors que la carriĂšre de Tommy Lee Jones Ă©tait dĂ©jĂ  bien Ă©tablie), qu’aurait donnĂ© le jeu de Tommy Lee Jones ?

Mais au cinĂ©ma, on prĂ©fĂšre rĂ©compenser les « gentilles » ou les « bons » personnages. Pour son rĂŽle dans Jusqu’à la garde, LĂ©a Drucker a donc Ă©tĂ© rĂ©compensĂ©e. J’aime le jeu de LĂ©a Drucker. DĂ©sormais, ma rĂ©fĂ©rence la concernant est plutĂŽt son rĂŽle dans la trĂšs bonne sĂ©rie Le Bureau des LĂ©gendes. J’ai Ă©tĂ© touchĂ© par son discours et son attitude Ă  la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars. Mais comme elle l’a dit elle-mĂȘme, en remerciant Denis MĂ©nochet, elle a d’autant mieux jouĂ© son rĂŽle de Miriam parce-que Denis MĂ©nochet le lui a permis en se plongeant dans son personnage d’homme Ă  la violence irradiante. Il faut d’autant plus une grande confiance mutuelle, une forte connivence et affection – en plus d’une certaine force morale- entre comĂ©diens et une Ă©quipe de tournage pour arriver Ă  un tel rĂ©sultat. Impossible de rĂ©aliser ça en restant chacun seul dans son coin.

Une pensĂ©e pour la chanteuse dĂ©cĂ©dĂ©e Edith Lefel (1963-2003) qui, dans son titre SomnifĂšre, abordait le sujet des violences faites aux femmes. Nous faire zouker sur une chanson qui parle- en crĂ©ole- de violences faites aux femmes, il faut le faire. J’ai du mal Ă  imaginer Johnny nous faire le mĂȘme effet avec le mĂȘme titre.

Franck Unimon, ce vendredi 1er mars 2019.

Catégories
Echos Statiques

L’Ă©cole Robespierre

L’école Robespierre 1Ăšre Partie

 

DĂšs qu’une personnalitĂ© ou un sportif aimĂ© du public et des mĂ©dia accomplit une performance ou bat un record, on lui donne du Madame ou du Monsieur. Ce qui finit par sous-entendre que tous les autres (la grande majoritĂ©) sont des rebuts de l’humanitĂ©.

A l’école Robespierre, dans mon ancienne citĂ© HLM, en CE2, je crois, Monsieur Pambrun, petit homme brun moustachu typĂ© Les Brigades du Tigre, et grand fumeur, nous avait emmenĂ©, seul, Ă  la bibliothĂšque municipale de Nanterre. Nous avions fait le trajet Ă  pied. Nous devions ĂȘtre une bonne vingtaine serpentant un moment le long de la piscine Maurice Thorez, alpinistes banlieusards horizontaux continuant d’effectuer malgrĂ© nous notre chemin de Compostelle. Pour le plus grand nombre, dont j’étais, nous rendre dans une bibliothĂšque Ă©tait une PremiĂšre.

En classe, Monsieur Pambrun Ă©tait un instituteur qui tirait parfois les oreilles et donnait quelques claques Ă  certains d’entre nous – dont j’étais- pour indiscipline. Ce jour-lĂ , pourtant, comme bien d’autres fois, et nous Ă©tions sĂ»rement plusieurs Ă  l’ignorer – en tout cas, moi, je l’ignorais- Monsieur Pambrun s’appliquait, Ă  la suite de toutes ses collĂšgues et collĂšgues prĂ©cĂ©dents, Ă  continuer d’esquisser un certain trajet vers la Culture et la Connaissance. Et Ă  nous le faire emprunter, ce trajet, en fendant les eaux et le sceau de notre ignorance. Le bĂ©nĂ©fice possible, pour nous tous, filles et garçons, Ă©tait d’ajouter d’autres Savoirs Ă  ceux de nos histoires et consciences personnelles. Pour cela, depuis l’école, nous avions probablement dĂ» marcher entre 20 et 30 minutes ce jour-lĂ  pour atteindre les lieux.

Depuis, et par la suite, je fis partie des petites tortues qui refirent le trajet rĂ©guliĂšrement jusqu’à la bibliothĂšque. Seul ou accompagnĂ© d’un camarade ou d’un copain. Aujourd’hui, rĂ©guliĂšrement, je continue de refaire ce trajet.

Chaque fois que je change de domicile, en plus des commerces et des lieux de soins, j’ai besoin de savoir oĂč se trouvent la gare, la piscine et la bibliothĂšque.

Enfants, aucun de nous n’avait choisi de venir dans cette Ă©cole publique et encore moins dans cette ville communiste. La majoritĂ© d’entre nous habitait soit dans la citĂ© ou Ă  ses cĂŽtĂ©s. L’usine CitroĂ«n, proche, Ă©tait encore en activitĂ©.

Sophie D, Sandrine El, Malika M, FrĂ©dĂ©ric B, Jacky W, Didier P, Myriam M, Corinne C, Laurent S, Jean-Christophe P, Sandrine et Karine R, Dany A, SaĂŻd, SmaĂŻl M, Florence T, William P, Isabelle R, Gilles O, Jocelyne B, Jean-Christophe B (qui au CP confondait le son « Vr » et le son « Fr »), Eric C, Anna-Paula M, Christophe B et Laurence A sont quelques uns de mes camarades de classe de l’école primaire du CP au CM2. Certains sont partis en province avec leurs parents avant le CM2. D’autres ont fait un passage d’un ou deux ans dans l’école. J’ai Ă©tĂ© dans la classe de la plupart d’entre eux mais il m’est arrivĂ© d’en croiser d’autres dans la cour. Plus ĂągĂ©s comme plus jeunes. Bien-sĂ»r, il y’avait aussi les bagarreurs qui faisaient peur ou qui inspiraient l’admiration.

Je me rappelle trĂšs peu du mĂ©tier qu’exerçaient les parents de celles et ceux que je cĂŽtoyais. Je me rappelle que le pĂšre de Sandrine El, un de mes premiers amours avec Malika M, Ă©tait supposĂ© ĂȘtre inspecteur de police. Et qu’elle et ses parents sont ensuite partis pour Toulouse.

Nous Ă©tions des Arabes- le premier mot arabe que j’ai retenu et appris signifie : « NĂ©gro! »-, des Juifs (mĂȘme si, pendant longtemps, je ne savais pas vraiment ce que signifiait ĂȘtre Juif)) des Blancs de France ou venant d’ailleurs (Pologne, Espagne, Portugal, Italie
.) une toute petite minoritĂ© de noirs antillais nĂ©s en France.

Quelques uns d’entre nous Ă©taient des enfants de parents divorcĂ©s ou d’une famille monoparentale. Nos parents Ă©taient majoritairement locataires de leur appartement. Seul, peut-ĂȘtre, parmi celles et ceux dont je me rappelle, Gilles O et son accent du sud, dĂ©rogeait Ă  la rĂšgle :

Dans leur maison de ville, il prenait des cours de piano Ă  domicile. De la musique « classique ». Et lorsque nous nous rendions ensemble lui et moi Ă  la bibliothĂšque, aprĂšs que je sois allĂ© le chercher, il me parlait souvent, intarissable, de sujets que je ne comprenais pas. Il me parlait Ă©conomie, politique. Du pĂ©trole. Je l’écoutais poliment et essayais de me mettre Ă  son niveau. Mais je n’ai aucun souvenir d’avoir amenĂ© ne serait-ce qu’une seule fois un argument ou un avis sensĂ© ou valable. Je me souviens de lui comme d’un garçon plutĂŽt isolĂ©, par moments chahutĂ©, trĂšs bon Ă©lĂšve et peu douĂ© pour le sport.

 

Au CP, nous avions eu Mme Chaponet, institutrice douce et grande fumeuse. Puis Mme Benyamin, bonne institutrice, grosse femme au physique de Bud Spencer qui dĂ©crochait quelques claques mĂȘme Ă  certaines filles de la classe. Un jour, le pĂšre de Malika Ă©tait venu l’engueuler pour cela. Et il avait fait pleurer Mme Benyamin. Puis il y’avait eu Mr Pambrun en CE2. Je ne l’ai jamais vu pleurer. Pas plus que Mr Lucas en CM1, le directeur de l’école, lequel nous parlait souvent du MusĂ©e du Louvre. Et Ă  nouveau Mr Pambrun. En CM2, Ă©galement skieur, Monsieur Pambrun nous emmena en classe de neige Ă  La Bourboule Ă  Clermont-Ferrand. Je me rappelle d’une partie de dames avec lui.

Je me rappelle aussi de Monsieur Lambert, instituteur auquel j’avais Ă©chappĂ© alors qu’il aurait dĂ» ĂȘtre notre Maitre en CM2. Il avait quittĂ© l’école, je crois. Mr Lambert Ă©tait un grand homme effrayant au physique de bĂ»cheron. Sa voix portait dans toute la cour lorsqu’il apostrophait un Ă©lĂšve. Et son grand pied vĂ©loce corrigeait par moments le postĂ©rieur d’un ou deux Ă©coliers turbulents. Pourtant, une de ses filles Ă©tait Ă©galement dans l’école et Ă  la voir avec lui, il apparaissait fort gentil. Et calme.

Je n’ai revu aucune de ces personnes depuis au moins vingt, trente ou quarante ans. Et, je me mĂ©fie beaucoup des retrouvailles. Aussi bien intentionnĂ©es soient-elles au dĂ©part, ce genre de retrouvailles peuvent trĂšs vite qualifier un certain malaise. Selon ce que nous sommes devenus et selon nos rapports au passĂ© et au prĂ©sent. A l’époque, nous coexistions ensemble au moins Ă  l’école. Nous n’avions pas le choix. Depuis, nous avons tous connu des bonheurs et des malheurs divers. Nos personnalitĂ©s et nos histoires se sont affirmĂ©es. Nous avons fait des choix et continuerons d’en faire en nous persuadant que ce sont les bons ou les moins mauvais. Mais nous n’avons plus cette obligation de coexister ensemble comme Ă  l’école primaire.

Dans son trĂšs bon documentaire, Exit- La Vie aprĂšs la haine, encore disponible sur Arte jusqu’au 27 fĂ©vrier 2019 (aujourd’hui !) Karen Winther se demande comment, de par le passĂ©, elle a pu devenir une activiste d’extrĂȘme droite. Pour essayer de le comprendre, elle est allĂ©e Ă  la rencontre d’autres personnes qui sont passĂ©es comme elle par certains extrĂȘmes. Mais aussi Ă  la rencontre d’une de ses anciennes amies, activiste de gauche Ă  l’époque, qui avait acceptĂ© de l’aider Ă  s’éloigner de son milieu fasciste.

Ingo Hasselbach ( qui a écrit un livre sur cette période, disponible en Allemand et en Anglais), le premier interviewé, a été décrit à une époque comme le « nouvel Hitler ». Dans le documentaire, il dit par exemple :

« Je voulais blesser les autres ».

Un journaliste, pour les besoins d’un reportage, l’avait rencontrĂ© pendant un an. Ce journaliste le contredisait point par point sur un certain nombre de sujets. Cela a commencĂ© Ă  faire douter Ingo Hasselbach. Ce journaliste est un Monsieur. J’ignore si j’aurais eu sa persĂ©vĂ©rance et son intelligence.

Manuel Bauer explique que ses amis Ă©tant d’extrĂȘme droite, il Ă©tait donc devenu comme eux. Lors d’une dĂ©tention en prison, alors qu’il Ă©tait en train de se faire agresser, ce sont deux codĂ©tenus turcs qui sont venus le sauver. Ce qui aurait provoquĂ© sa prise de conscience. Ces deux codĂ©tenus turcs, lorsqu’ils l’ont sauvĂ©, ont Ă©tĂ© des Messieurs. J’ignore si je serais venu au secours d’un Manuel Bauer, qui, lors de sa « splendeur » fasciste, avait pu flanquer un coup de pied dans le ventre d’une femme enceinte au prĂ©texte qu’elle Ă©tait Ă©trangĂšre. Et, ce, juste aprĂšs avoir agressĂ©- parce-qu’il Ă©tait Ă©tranger- le compagnon de cette femme.

Angela King, Tee-shirt de Bob Marley, ancienne suprématiste blanche, raconte :

« A l’époque, j’étais invisible. HarcelĂ©e » ; « J’ai pensĂ© que personne ne m’aimait ». Angela King explique qu’elle croyait vraiment Ă  l’existence d’un complot ainsi qu’à la supĂ©rioritĂ© de la race blanche. C’est un attentat meurtrier en 1995, commis dans l’Okhlahoma, par un homme qui pensait comme elle qui l’aurait fait se reprendre. En prison, ce sont des dĂ©tenues noires qui ont eu de la compassion pour elle et l’ont protĂ©gĂ©e, allant jusqu’à cacher son passĂ© de suprĂ©matiste blanche Ă  d’autres dĂ©tenues. Angela King dit : « Ces femmes m’ont rendu mon humanitĂ© ».

Ces dĂ©tenues noires, qui avaient peut-ĂȘtre tuĂ© auparavant, ont Ă©tĂ© des Mesdames en choisissant de protĂ©ger Angela King. J’aurais aimĂ© entendre ces dĂ©tenues noires expliquer, raconter, ce qui, en Angela King, leur avait donnĂ© envie de la protĂ©ger. Pourtant, Angela King l’affirme :

« Si les conditions sont rĂ©unies, tout le monde peut devenir extrĂ©miste ». Cette phrase peut ressembler Ă  une lapalissade. En regardant le dĂ©but d’une fiction telle que la sĂ©rie Walking Dead, on comprend pourtant que- si les conditions sont rĂ©unies- tout le monde peut devenir zombie.

Franck Unimon, ce mercredi 27 fĂ©vrier 2019. Fin de la PremiĂšre partie de L’école Robespierre.

Catégories
Cinéma

Under The Skin

 

                         Under The Skin un film de Jonathan Glazer

 

Lors de la réalisation de ce film en 2013, Scarlett Johansson était une actrice plus que retenue. Elle avait déjà tourné avec Sofia Coppola, les FrÚres Coen, Woody Allen. Elle avait aussi déja joué dans The Avengers.

Avec Charlize Theron, Jennifer Lawrence, Maggie Cheung Ă  une certaine Ă©poque, Halle Berry et Ellen Page dans une moindre mesure, Cate Blanchett, peut-ĂȘtre Amy Adams, Scarlett Johansson est l’une des rares actrices-vedettes actuelles que l’on nous montre aptes Ă  jouer autant dans des films d’action grand public que dans des films d’auteurs exigeants voire expĂ©rimentaux. Under The Skin en est une dĂ©monstration.

Il y’avait vraiment peu de monde dans la salle de cinĂ©ma lorsque je l’avais dĂ©couvert la premiĂšre fois. Il est du reste possible que j’aie Ă©tĂ© le seul spectateur Ă  la sĂ©ance oĂč je m’étais rendu. J’ai oubliĂ©.

Les premiĂšres minutes du film m’avaient rapidement renseignĂ© sur les raisons de cette salle dĂ©serte, sorte de Sahel pour cinĂ©phile. A la fin du film, j’étais sorti interloquĂ©. Evidemment, je ne m’attendais pas Ă  ça. Mais Under The Skin m’avait suffisamment intriguĂ© pour me donner envie de le revoir. Je viens de le revoir. Et cela doit maintenant faire quatre Ă  cinq fois que je le revois. Avec plaisir.

Si l’actrice Scarlett Johansson est l’appĂąt de cette affiche pour attirer le spectateur, elle l’est Ă©galement dans le film. Under The Skin est un film que l’on aimera voir si l’on l’accepte d’aller sous la surface voire sous la glace de ce personnage qu’elle interprĂšte. Elle est au dĂ©part une espĂšce de Terminator au fĂ©minin. Mais une Terminator dont les motivations sont floues, alternant entre un rĂŽle d’entomologiste et celui de prĂ©datrice ou de tueuse en sĂ©rie. Mais elle pourrait Ă©galement ĂȘtre une rabatteuse pour une secte, un groupe terroriste ou tout autre groupe extrĂ©miste. Et, ici, La comparaison avec Terminator s’effiloche car le rythme et la dramaturgie entre les deux Ɠuvres sont trĂšs diffĂ©rents.

Dans Terminator, on est trĂšs vite dans un film d’action fantastique. Dans Under The Skin, on est davantage dans une prospection, une introspection et une contemplation. En allant dans les clichĂ©s, on pourrait dire :

Dans Terminator, Schwarzenegger arrive sur Terre avec l’objectif bourrin de rentrer dans le tas pour remplir sa mission. Ce qui serait une composante trĂšs masculine. Ici, Scarlett Johansson, elle, fait plutĂŽt des cercles pour accomplir sa mission. Elle enveloppe et engloutit son sujet. C’est aussi une prĂ©datrice/ prospectrice assez conventionnelle : elle se sert de la palette d’atouts du sexe dit faible (la femme) pour approcher ses proies toutes masculines. Et elle a aussi besoin d’une escorte toute masculine que l’on voit rĂŽder par moments prĂšs d’elle sous la forme d’un motard tout en cuir et protections et quelque peu sĂ©vĂšre. Nous sommes ici dans un univers trĂšs hĂ©tĂ©ro-normĂ©. Et sĂ©duire un mĂąle hĂ©tĂ©ro occidental y est trĂšs facile pour Scarlett. Sourire.

Film sur l’identitĂ©, la naissance et l’humanisation d’une conscience, la solitude existentielle, le dĂ©sir comme pĂ©ril mais aussi comme tentative de remĂ©dier Ă  la solitude, voire sur l’immigration en ce sens que Scarlett Johansson y est aussi une immigrĂ©e sur Terre, Under The Skin nous observe et nous fait de l’Ɠil. Et ce qu’il voit peut ĂȘtre angoissant, dĂ©sespĂ©rant ou captivant. Tant Scarlett Johansson peut par moments nous aveugler au point de nous Ă©carter de toute raison et de toute prudence. C’est peut-ĂȘtre l’une des grandes particularitĂ©s du film : on y Ă©volue comme dans un rĂȘve pour peu que l’on accepte de se laisser faire. Et Scarlett Johansson semble elle-mĂȘme Ă©voluer dans le mĂȘme Ă©tat.

Le corps musical du film, l’accent Ă©cossais Ă©pais de plusieurs des protagonistes, les paysages de l’Ecosse contribuent tout autant Ă  nous faire quitter notre quotidien.

Sauf que le rĂȘve est Ă©troit. Le feu sera notre derniĂšre fuite.

Franck Unimon, ce lundi 25 février 2019.