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Barnay-Bambuck, athlètes engagés / un documentaire d’Aurélie Bambuck
C’était il y a un demi-siècle. Mais cela aurait pu être une demi-seconde.
Quand il s’agit de jeter nos forces dans une action, une demi seconde, en trop ou en moins, ça peut être pareil qu’un demi siècle.
Le temps, la pesanteur, que l’on soit danseur ou d’ailleurs, nous leur devons toujours des comptes.
La France, ex grande puissance coloniale, ne compte plus les victoires et les chronos qu’elle doit sur une piste d’athlétisme aux descendants de ses esclaves et de ses indigènes. Ghislaine Barnay et Roger Bambuck ont fait partie de ceux-là en saut en hauteur et en sprint.
Bambuck participait aux Jeux olympiques de Tokyo en 1964 et à ceux de Mexico en 1968. Barnay, à ceux de Mexico et de Munich en 1972. On ne parle pas d’Usain Bolt, là. Pas même de Carl Lewis pour celles et ceux qui s’en rappellent. Mais gagner des championnats de France et d’Europe, sauter jusqu’à 1m80 en ventral, courir le 100 mètres en 10 secondes 11 ne se fait pas en vapotant. Pour cela, il faut détaler. Pousser. Ouvrir en grand les fenêtres de son souffle.
Pour cela, il a aussi fallu quitter sa Martinique et sa Guadeloupe natale.
Des jeux de Tokyo, de Mexico et de Munich, j’ai le souvenir de l’Américain Bob Hayes sur 100 mètres. De Bambuck qui finit cinquième sur 100 mètres derrière Jim Hines, le vainqueur. Du poing noir ganté et levé de Tommie Smith, de Lee Evans et John Carlos. Des terroristes palestiniens.
Parce-que j’ai lu. Barnay et Bambuck l’ont vécu.
Je ne connaissais pas Ghislaine Barnay.
Elle et Bambuck, d’abord athlètes individuels, puis couple, ont concouru sur les pistes dans un monde en pleine décolonisation mais aussi en pleine mutation civique et politique.
Il y a l’engagement médiatique façon « poing levé » ou arme à la main. Et l’autre, qui consiste à rester présent là où l’on ne nous attend pas. C’est cet engagement-là, le second, que choisira le couple Barnay-Bambuck et que raconte leur fille, Aurélie, réalisatrice du documentaire.
Pour Barnay, ce sera, après sa retraite sportive, son travail d’éducatrice sportive. Pour Bambuck, après plusieurs tâtonnements, cela passera par un engagement en politique dans les années 80.
D’après le portrait qui est fait du couple, l’opportunisme ne fait pas partie de sa culture. Ni l’adoration du prestige passé.
Cela fait drôle de voir la famille Bambuck assister à la finale du cent mètres masculin aux jeux de Séoul en 1988. Lorsque Ben Johnson, l’astéroïde propulsé sous stéroïdes, sort d’abord le majestueux Carl Lewis de l’écrin de la première place. Je me rappelle de cette finale pour l’avoir regardée à la télé. C’était aussi l’année de « Flo-Jo Griffith », toujours détentrice du record du monde féminin sur 100 mètres, décédée avant que n’ait pu être prouvé son plus que probable dopage.
Le dopage ne se trouve pas non plus sur la planète Barnay-Bambuck. Discrétion, conscience morale et professionnelle ressortent comme les pointes- homologuées- avec lesquelles le couple s’est déplacé sur le tartan de la vie. On ne peut pas dire qu’ils aient toujours été suivis.
Avec ce documentaire, Aurélie Bambuck effectue un double tour d’histoire : Celui d’une partie de l’histoire de l’athlétisme français. Celui de l’histoire de ses parents. On peut les voir à l’image s’exprimant de nos jours. Ou entendre Laura Flessel, ancienne championne d’escrime mais aussi ancienne Ministre, expliquer que les Barnay-Bambuck ont pu l’inspirer.
Peu d’athlètes, même champions et recordmen du monde, bénéficieront d’un tel traitement un demi-siècle après la fin de leur carrière sportive.
Ps : Pour toute demande concernant un dvd ou un éventuel support visuel se rapportant au documentaire, contacter camille@enfantsauvage.eu.
Une fois que l’on aura dit – ou cité- que ce film a à voir avec Shakespeare et un pays d’Afrique noire (ici, la Côte d’Ivoire), il faudra pouvoir ensuite accepter, même sans bien les connaître, que la folie serve ici – comme ailleurs- de filtre et d’intermédiaire entre les deux.
Au début du film La Nuit des Rois de Philippe Lacôte, on survole d’abord le poumon vert d’une forêt en Afrique. Après un an de pandémie du Covid, et alors que nous sommes en France dans une période de « reconfinement » et d’impossibilité – sauf pour raisons impérieuses- de voyage à l’étranger, ces images sont d’abord agréables et dépaysent.
Sauf que près de cette forêt, se trouve une prison, la MACA d’Abidjan ( Maison d’Arrêt et de Correction d’Abidjan). La prison , surpeuplée, du pays. C’est là que nous « allons ».
Rappelons que malgré sa croissance économique – qui peut faire penser à un « miracle» avec le développement d’une certaine classe moyenne- quarante pour cent de la population de la Côte d’Ivoire, aujourd’hui, est pauvre.
« Roman » ( l’acteur Koné Bakary) le héros, à peine adulte, est menotté et transbahuté à l’arrière d’un quatre-quatre. Face au garde armé qui le fixe, il est difficile de s’en remettre à l’espoir en cas de tentative de fuite.
Si ce jeune homme faisait partie d’un groupe armé ou de résistance bien entraîné, on pourrait s’attendre à ce qu’une attaque surprise change son trajet. Mais à son air apeuré, on comprend qu’il est vraiment seul et désarmé. Et qu’il n’a rien à voir avec les membres de L’Armée des ombres de Melville. Un destin à la Tahar Rahim dans Un Prophète, alors ?
Autant demander à un grillon s’il peut terrasser le vent.
A la MACA d’Abidjan, il y a d’abord et surtout…. Barbe Noire, l’acteur Steve Tientcheu (Les Misérables, La Mort de Danton, Qu’un sang impur, Qui Vive….).
Barbe Noire ( l’acteur Steve Tientcheu)
Barbe Noire, incarcéré parmi les autres, est au dessus d’eux. Mais son règne expire. Malgré toute la chlorophylle environnante, il a du mal à respirer et il lui faut une bouteille d’oxygène à proximité en permanence. Son être peut se situer entre le Caïd de Daredevil et des traits de Marlon Brando dans Apocalypse Now. Mais s’il compose un danger repérable, ses mots, eux, en effritent le couperet. Car l’acteur Tientcheu a un peu trop la vulnérabilité du Lennie de Steinbeck. C’est donc dans une adaptation des Souris et des hommes que je crois qu’il pourrait davantage décoller.
Cependant, des souris et des hommes, il y en a dans La nuit des rois de Philippe Lacôte. Ainsi que des corps et des regards menaçants- plutôt hypnotiques- dont il est difficile de s’extraire :
« C’est pas en dansant qu’on a atterri ici ! ».
Pourtant, Roman est bien sous l’emprise d’une danse collective. Cette danse sourde, qui soude tous les autres, il ne l’a pas apprise. Car c’est celle de sa mort que tous ont décidée dès qu’il a reçu le titre de…Roman. Celui qui, lors d’une nuit de lune rouge, doit leur raconter une histoire et les étreindre avec.
Sa seule chance de survie lui est soufflée discrètement par le personnage… de Silence, le seul blanc du film – interprété par l’acteur Denis Lavant– dont on se demande ce qu’il fait, là.
Si tout est possible dans cet univers où les règles peuvent s’inverser ( « La seule prison au monde gouvernée par les détenus »), le blanc reste un souvenir colonial. Or, ici, il devient l’équivalent de l’ange gardien. Et son personnage est trop peu développé pour que l’on comprenne pourquoi il reste à part dans cette prison avec son coq ou son poulet sur son épaule où il va et vient tranquillement sans être inquiété. A moins que son personnage ne soit en fait « rêvé » par Roman ou le résultat d’une vision….
Il faut du souffle et du courage à Roman pour trouver quoi dire à tous ces hommes plus âpres et plus âgés que lui. Mais il n’a pas l’érudition ou le lyrisme du Ray-Joshua du film Slam de Sam Levin.
Si son histoire est la même que tous ses « guetteurs », qui connaissent aussi bien que lui le « quartier sans loi », il est par contre encore innocent. C’est d’ailleurs aussi pour ça que Barbe Noire, le premier, le condamne dès son arrivée :
« On ne change pas les sentiments. C’est ce qu’on ressent qui est réel…même si c’est injuste ».
Réplique de la vie politique récente du pays avec l’évocation de l’arrestation de l’ancien Président Laurent Gbagbo, cette Nuit des rois a aussi son cortège de prénoms distributeurs d’indices mais aussi de sortilèges :
Nivaquine ( L’acteur Issaka Sawadogo)
Nivaquine (l’acteur Issaka Sawadogo) fait penser à la nécessité d’un traitement pour contrer les convulsions d’un pays en perdition. On découvrira que le traitement est limité et sanglant.
Demi Fou (l’acteur Digbeu Jean Cyrille) et Lass (Abdoul Karim Konaté) en opposants politiques cherchant à succéder à Barbe Noire font bien penser à des dirigeants politiques qui préfèrent l’usage des forces ( tant mystiques que physiques) à celui de la raison.
La nuit des Rois de Philippe Lacôte est un monde à suivre et à voir. Il sortira au cinéma dès que ce sera possible au printemps ou en été 2021.
L’île de La Réunion est aussi le pays où se déroule une course de trail très dure mais aussi mondialement connue:
La diagonale des fous- ou le Grand Raid- qui perce l’île sur une distance de 164 kilomètres.
A première vue, Alix (Farouk Saïdi) et Marcellin (Aldo Dolphin) sont deux sportifs du coin qui reviennent d’un entraînement de trail. Ils ont la trentaine, ont un travail, se débrouillent et ont l’air plutôt cool. Nous sommes en 2020 ou en 2021. C’est aujourd’hui.
Le sport, dont la course à pied, fait partie des valeurs culturelles fortes et des attraits de l’île. La Réunion, c’est joli, avec ses paysages admirables. Les fées y ont les pieds dans l’eau. Maudit débute d’ailleurs avec la prestation de la belle et blonde Dorothée (Marie Lanfroy, membre et chanteuse dans la vie du groupe réunionnais Saodaj’) alors qu’elle est sur scène. La chanteuse aborde la transe lors d’un concert sans doute au moins de Maloya.
Une idylle s’ensuit entre l’artiste Dorothée et Marcellin, le tombeur, vainqueur de plusieurs courses. Tout cela se passe devant Alix qui assiste à ce nouveau succès de son meilleur ami.
Marcellin est le plus clair des deux hommes. Celui qui semble aussi être le mieux dans cette peau. Cette particularité « pigmentaire » est sans doute une petite coïncidence.
Ou l’indice d’une certaine forme de paranoïa.
Mais cette distinction pigmentaire est aussi une convention bien assimilée- et pratiquée- lors des critères de séduction et de sélection de son ou de sa partenaire :
Car c’est seulement en me réveillant ce matin, après avoir publié cet article hier ( le 19 février 2021) que je me suis rappelé de ces deux aspects qui différencient les deux amis.
Nous sommes pourtant sur l’île de la Réunion, une des régions les plus métissées au monde, souvent présentée comme un pays où la tolérance inter-ethnique, multiculturelle et religieuse serait vécue quotidiennement telle une évidence. Avec Maudit ! , subtilement, nous faisons une autre expérience de cette « croyance ». Ensuite, nous avons un choix à vivre :
Préférer à cette « croyance » toutes les beautés étalées et immédiatement accessibles de la Réunion. Ou essayer, aussi, comme le réalisateur, d’entrer dans ce que cette île a de moins supportable.
L’enivrement touche peut-être Emmanuel Parraud, qui, après Sac la Mort (2016), poursuit sa reconnaissance de la Réunion avec un nouveau tandem masculin d’acteurs non professionnels. Le personnage d’Alix lui sert ici d’avatar. Et, vers la fin du film, on apercevra l’acteur Patrice Planesse, son précédent avatar, un des protagonistes principaux de Sac la Mort.
Moins égal que celui-ci, Maudit ! est aussi plus ambitieux dans son traitement formel pour présenter « l’ire-rationnelle » que contient l’île et qui ne tient pas dans quelques bouteilles en verre. Au même titre que la violence subite qui part des coulées de terre de cette histoire que nous verse Parraud. Les bouteilles à la mer, si elles existaient du temps de l’esclavage, n’ont servi à rien.
Un film sur la Réunion loin des pistes touristiques, et, en Créole, c’est rare au cinéma. Alors, on en profite.
Alix et Marcellin ont grandi dans la même famille d’accueil. Orphelins, ils sont devenus inséparables comme les doigts de la main. Cela tient comme ça pendant des années. Puis, arrive la lueur de la femme blanche (Dorothée). On la croit l’éclaireuse magique vers une histoire qu’Alix et Marcellin, malgré leurs kilomètres parcourus en pleine nature, n’ont pas bouclée. Une histoire où la douleur et la colère, plutôt qu’absentes, s’activent parmi les plantes.
Car lorsque la femme libre- Dorothée- s’évapore, la dépression des deux amis, autrefois relayée, devient une discipline individuelle pour forcenés. Chacun retourne au bercail comme vers les poings… de son cyclone. Et ça cogne fort. Le rhum, sérum ou filtre, est utilisé bien-sûr. Mais c’est un miracle grossier qui, s’il racle et se raccroche à la gorge, rapproche aussi des traits et de l’acier de la folie.
Alix ( l’acteur Farouk Saïdi)
Parraud nous parle d’un pays plus mûr pour le fait divers que pour la parole qui libère. Car, selon lui, les beaux paysages, la joie de vivre officielle et les trophées sportifs se lézardent encore devant les fracas du passé.
(La sortie du film était prévue dans les salles au printemps 2021. Elle a finalement eu lieu ce mercredi 17 novembre 2021).
Le réalisateur Jacques Bral allait être incinéré au crématorium du cimetière du Père Lachaise. La cérémonie débutait à 10 heures. Au téléphone, ce matin- ce mardi 26 janvier 2021-, un peu avant 9 heures, Jamila Ouzahir, l’attachée de presse, m’a appris ça. Elle s’apprêtait à s’y rendre.
J’étais dans ma voiture dont je faisais tourner le moteur. Durant la nuit, il avait un peu gelé. Il faisait moins un degré.
J’avais appris la mort de Jacques Bral quelques jours plus tôt (le 17 janvier) et j’avais pensé à Jamila. Elle s’était occupée de la sortie du dernier film de Bral, Le Noir (te) vous va si bien en 2012.
Je n’aime pas cette vogue qui consiste à régulièrement nous allaiter avec la nouvelle du décès de quelqu’un. Cette montre funéraire semble destinée à régler promptement nos cadences sur cette terre. Comme si, sans elle, nous étions perdus et incapables de nous (é)mouvoir. Comme si nos vies comptaient moins que toutes ces morts.
Mais j’aime, dans les enterrements, le fait d’y déceler, même si c’est par des traits fugaces, une sincérité absente dans certains mariages. Et ce que m’inspirait Jacques Bral m’a donné envie de venir.
Pourtant, j’ai du mal à me rappeler si j’avais croisé Jacques Bral lors de la sortie de Le Noir (te) vous va si bien. Je crois que oui. Ce fut court et au moment des projections de presse. Par contre, j’avais écrit sur Le Noir (te) vous va si bien.
Un article sur un film ou sur tout autre sujet, ça n’a l’air rien. Ça peut ressembler à une formalité et à un assemblage de banalités. C’est sûrement ça, aussi. Sauf si l’on y a mis de soi.
Lorsqu’une défunte ou un défunt n’est plus là pour parler, ses œuvres, et celles et ceux qui restent prennent alors la parole pour le raconter.
Sur la carrière de réalisateur, de monteur, de producteur et de scénariste, de Jacques Bral, je ne sais rien de plus que ce qui a déjà été écrit ou que l’on trouvera ici ou là. Le peintre et le plasticien Bral, je l’ai aperçu seulement ce matin. Deux ou trois de ses œuvres entouraient sa photo posée sur le cercueil.
Par contre, j’étais présent, au crématorium, lorsque trois hommes ont parlé de lui. Un rabbin, un acteur et un monteur. Trois façons différentes de parler de la même personne. Il en existe sûrement tellement d’autres.
J’avais oublié que Bral venait d’Iran.
Après les propos du Rabbin, l’acteur Jean-François Balmer et le monteur Jean Dubreuil sont venus témoigner, chacun leur tour.
Balmer a raconté leur séjour – leur rencontre ?- au festival de cinéma de Mexico. C’était après la sortie de Extérieur, Nuit (1980). Bral et Balmer n’étaient pas d’accord sur tout. Bral a dit à Balmer :
« Tu es complètement con ! Tu ne sais pas lire les scénarii ». Devant nous, ce matin, Balmer a admis qu’il y avait eu une part de vrai dans ces propos.
Puis, Balmer nous a dit comment, pratiquement la veille pour le lendemain, Bral l’avait appelé afin qu’il prenne le rôle d’Eugène Tarpon dans son film Polar (1984) d’après l’œuvre Morgue Pleine de Jean-Patrick Manchette. Un film dont Balmer était très content. Film que je n’ai pas encore vu alors que Manchette fait partie des auteurs qui m’ont aidé à une certaine période de ma vie plutôt déprimante.
Balmer a aussi évoqué la « finesse et la délicatesse intérieure » de Bral, lesquelles pouvaient être quelques fois « murées et cadenassées ». Puis son rire, qui, lorsqu’il apparaissait, était une « récompense », emportant tout sur son passage et comme venant « du fond des âges ».
Jean Dubreuil, monteur des films de Bral pendant trois décennies, a appris avec lui « à ne jamais renoncer ». « Promets-moi de ne jamais oublier la petite montagne que nous avons soulevée » lui a demandé Bral.
Dubreuil nous a aussi parlé des visites qu’il rendait à Bral entre deux films. Il nous a décrit un réalisateur « à l’affût des innovations technologiques » ainsi qu’un homme qui a su garder son indépendance «quel qu’en soit le prix ! ».
Ce matin, encore, Bral « l’indépendant », avait aussi su garder l’affection de bien des personnes.
Reflets satellites d’une ville en faillite, ils ont l’énergie de centrifugeuses qui répètent les crimes et les délits. Car il vaut mieux ça que de se laisser débiter par l’ombre et l’immobilité.
On vit mal à Roubaix, « ville industrielle prospère il y a mille ans » qui a encore « le souvenir d’avoir compté ». Mais on peut s’y établir quand on a presque rien.
Dans cet ilot sans boulot où les billets ont été remplacés par le billot, l’acteur Roschdy Zem incarne un commissaire (Daoud) qui connaît bien les lieux pour y avoir grandi. C’est un petit pas vers Dieu : un prêtre qui se faufile entre les uns et les autres, flics ou misérables, qui, eux, sont poussifs ou récessifs.
« Trouve-toi une fille. Sans fille tu tiendras pas » disent ses collègues à Louis (l’acteur Antoine Reinartz) qui vient d’arriver dans la région. Mais ces collègues oublient ou ont oublié que la profession policière est très touchée par les séparations et les divorces. Et puis, le « patron », Daoud, lui, vit seul avec ses chats. Et dort peu sans que cela lui pèse. Louis semble léviter entre Daoud et les autres flics. Quelques fois, il prie et écrit à ses parents.
Desplechin s’est inspiré du documentaire Roubaix, commissariat central, affaires courantes (2008) du réalisateur Mosco Boucault pour ce nouveau film réalisé en 2019. Dans son documentaire porté par des témoignages face caméra, Boucault parlait d’un fait divers où une vieille dame avait été tuée. Je n’ai pas encore vu ce documentaire mais j’ai vu le film de Desplechin- dont j’aime généralement les films- ainsi que son interview d’une heure dans le bonus du dvd.
On y apprend que Desplechin a grandi à Roubaix en étant fermé à sa vie extérieure et qu’il le regrette : il était occupé à lire ou à partir patrouiller en cinéphile dans la ville de Lille puis dans celle de Paris. Soit une certaine façon de prier et de se recueillir. Desplechin se sent plus proche du personnage de Louis (l’acteur Antoine Reinartz), idéaliste mais aussi aveugle que pataud, que de Daoud qui a frayé corporellement avec la brique de Roubaix.
Louis ( l’acteur Antoine Reinartz) et Daoud ( Roschdy Zem).
Je suis passé à Roubaix il y a deux ou trois ans, en allant à Lille, mais aussi au musée de la piscine de Roubaix. En sortant du métro, j’avais été marqué par son atmosphère désolée. Ça m’avait fait penser au peu que j’ai lu de la ville de Detroit dans certaines proportions. Car il y aurait des coins privilégiés dans Roubaix.
Roubaix, une lumière a pu être présenté comme un polar. Mais il ne faut s’attendre ni à des courses-poursuites avec gyrophare et ni à des cascades. Par délicatesse sans doute, l’interviewer a évité de parler à Desplechin du film L’Humanité ( 1999) de Bruno Dumont comme du film Elle est des nôtres de Siegrid Alnoy ( 2003). Mais je suis un bourrin prétentieux.
Même si Desplechin et Roschdy Zem ont suffisamment de bagage pour créer par eux-mêmes, on pourra facilement trouver des sensibilités proches avec ces deux films dans Roubaix, une lumière.
Dans chacun de ces deux films cités, les inspecteurs de police (joués par Emmanuel Schotté et Carlo Brandt) lisent les êtres, ne les jugent pas et les accouchent patiemment d’eux-mêmes.
Cela fait des années que j’aime le jeu de l’acteur Roschdy Zem. Depuis la première fois que je l’avais vu dans N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, réalisé en 1995. Dans Roubaix, une lumière, je constate que lentement mais sûrement, Zem a fini par accéder au statut d’acteur principal d’un film. Et ce film de Desplechin stipule cette évolution avec, d’une part, son rôle de commissaire. Et, d’autre part, dans le film, l’oncle d’une jeune fugueuse en colère contre ses parents mais aussi en quête identitaire. Car l’oncle de cette jeune fugueuse ressemble à tous ces « chibanis » qui ont plus croisé le mépris que la reconnaissance lors de leur vie en France. Et qui ont tout fait pour se faire oublier au contraire d’une partie de leur descendance plus vindicative, acculée et également accusée.
Daoud-Zem, lui, a réussi et n’est ni vindicatif, ni acculé. Sauf que cette promotion sociale a un coût : son isolement affectif et social. Sauf au cours de son travail.
Du côté des autres vedettes du film, je continue d’avoir du mal avec l’image de Léa Seydoux. Je suis incapable de savoir si cela a quelque chose à voir avec son nom, son statut social d’origine de jeune privilégiée (même si je sais que cela n’est pas passible de la loi). Ou avec des propos qui lui avaient été attribués lors de la polémique avec le réalisateur Abdelatif Kechiche suite au tournage de La Vie d’Adèle (2013).
Le jeu de Léa Seydoux comme la lumière qu’elle dégagerait étourdirait bien des réalisateurs tels Yorgos Lanthimos pour le film Lobster dans lequel elle a joué ( 2015) et que j’avais bien aimé. J’ai néanmoins encore un peu de mal à la voir en fille paumée comme lorsque je la vois au début dans Roubaix, une lumière. Elle a un peu l’air de s’ennuyer ou c’est peut-être moi qui la trouve toc au début. J’ai par moments plus l’impression qu’elle « fait l’actrice » qu’elle ne l’est. Je la trouve aussi toujours aussi froide ou, d’une certaine façon, un peu trop cérébrale comme actrice.
A gauche, l’actrice Léa Seydoux, ici, plus à son avantage, que l’actrice Sara Forestier, à droite.
Tandis que l’actrice Sara Forestier, découverte par son rôle dans L’Esquive (2003) de Kechiche -et que j’ai revue ensuite dans plusieurs films- réussit à disparaître dans son rôle. Il y a bien-sûr le maquillage et le « travail » sur ses dents. Mais il y a aussi à mon avis une composition plus dense que du côté de Seydoux. J’aurais peut-être été plus conquis par Seydoux si elle avait eu le rôle de la dominée dans le tandem qu’elle forme avec Forestier dans Roubaix, une lumière. Evidemment, on m’expliquera que ce n’est pas elle qui a décidé toute seule de cette répartition des rôles.
Cependant, en voyant ce film, que j’ai aimé voir, j’ai à nouveau pensé à celles et ceux qui décident d’être flics aujourd’hui. Métier qui consiste à rester à la lisière d’une misère et d’une violence continues comme de les laisser se répercuter tels des marteaux sur la tôle. Daoud-Zem (Daoud comme le journaliste et écrivain Kamel Daoud ?), tout cela le frôle comme s’il s’agissait pour lui de simples jeux de rôles.
La Clinique de l’Amour ( version courte) : une émission de France Inter
« L’Amour, c’est deux solitudes qui s’accouplent pour créer un malentendu » avait écrit Pascal Bruckner dans son livre Lunes de Fiel. L’histoire avait ensuite été adaptée par Roman Polanski. Le film avait fait parler de lui. C’était en 1992.
Les films et les livres sur l’Amour défient l’horizon. Dans un film de Lelouch, je crois, l’acteur Jean-Pierre Marielle disait que l’Humanité, malgré tout ce qu’elle avait pu inventer, avait si peu évolué dans le domaine de l’Amour.
Mais, aujourd’hui, et au moins depuis le mouvement MeeToo, Polanski est très mal perçu. Alors, citons d’autres films où le couple et l’Amour sont mis à mal car il y a du « choix » dans le domaine. Je ne peux m’empêcher de citer le film de Maurice Pialat : » Nous ne vieillirons pas ensemble« .
Autre film que je peux citer dans l’amour vache, » Seul contre tous » de Gaspar Noé qui me permet a posteriori de rendre hommage à l’acteur Philippe Nahon, décédé il y a quelques mois. Je considère depuis longtemps » Seul contre tous » comme un chef-d’oeuvre.Au même titre que » Nous ne vieillirons pas ensemble ».
Mais il importe de donner un peu plus la parole aux femmes…
https://youtu.be/9FHve_JQvzM
J’ai choisi ces extraits de films mais, bien-sûr, on aurait pu en prendre bien d’autres.
La Clinique de l’Amour est une émission que l’on peut trouver en podcast. Elle a été proposée par France inter en février. Durant cinq à six épisodes d’une vingtaine de minutes, chacun, on « écoute » l’évolution de plusieurs couples qui font une thérapie.
L’émission m’a « plu ». Même si je lui reprocherais le fait que, par moments, pour moi, les thérapeutes sont trop intervenus. Le thérapeute masculin par exemple.
Il est certaines fois où, à mon avis, les deux thérapeutes auraient dû davantage « protéger » la parole de celle ou de celui qui s’exprime et le laisser parler. Au lieu de le laisser ou de la laisser se faire « pilonner » verbalement par l’autre.
Je crois que ça aurait été « bien » d’expliciter :
De dire par exemple à telle personne qu’elle semble très déçue ; qu’elle avait apparemment une très haute vision ou une vision différente de ce que son mari ou sa compagne allait être dans la vie de couple ou de famille.
Un des couples a trois enfants. Je crois que cela aurait été bien de demander pourquoi trois enfants ? Pourquoi pas deux ? Pourquoi pas un seul ?
Vu que j’ai compris que bien des couples font des enfants en pensant que faire des enfants rapproche et va aider le couple à se « soigner ».
Alors que je crois que cela peut être le contraire :
Lorsque l’on fait un enfant, nos tripes prennent facilement ou peuvent facilement prendre le dessus sur tout ce que l’on essaie d’être ou de faire de manière rationnelle. Et l’on peut alors s’apercevoir à quel point on est très différent de sa « moitié » voire opposé à elle. Même si on peut aussi devenir complémentaire.
J’ai aussi été à nouveau assez agacé par certaines phrases typiques du vocabulaire professionnel de « mes » collègues :
Ma remarque est sûrement très déplacée. Car le principal est bien-sûr que ces thérapeutes aient fourni leur présence, leur constance et leur empathie à ces couples. Mais je vois à nouveau dans ces tics de vocabulaire et de langage de mes « collègues » thérapeutes un certain manque de spontanéité : un trop haut degré d’intellectualisation ; une certaine carence affective. Comme s’ils s’en tenaient à un texte ou à un protocole appris par cœur qui les empêche d’improviser. Comme s’ils s’exprimaient de manière scolaire.
Hormis ces quelques remarques, j’ai bien aimé cette émission.
Vu que la longueur de mes articles peut défier l’horizon et statufier l’attention du lecteur, cet article est la version courte de celui que j’avais proposé en premier ( La Clinique de l’Amour-d’après un Podcast de France Inter). L’idée est quand même de vous donner envie d’écouter ces podcast de France Inter. Pas de vous donner envie de « haïr » l’auteur de l’article parce-que ses articles sont trop longs. Sourire.
Le lien pour le premier podcast se trouve ci-dessous.
( Rouge est sorti en salles ce 11 aout 2021. Voici ci-dessous, ce que j’écrivais à son propos le 16 octobre 2020 ).
Croire à la perfection, c’est vouloir opérer et boucler le Temps. Telle la gendarme de son Histoire, Nour (l’actrice Zita Hanrot) obéit à un devoir de perfection. Infirmière, elle voudrait agir sur le Temps et l’opérer. Mais le Temps se porte très bien. Il n’est pas malade. D’ailleurs, c’est lui qui nous brancarde. Le service d’urgences où Nour ( « Lumière » en Arabe) se déballe au début de Rouge ressemble à un dédale où l’on s’éloigne du jour. Plus qu’à un endroit où l’on soigne.
« Quel que soit ce à quoi une personne pense et réfléchit fréquemment, cela devient la tendance naturelle de son esprit » (extrait d’un des passages de la littérature pali cité par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving).
A part pour reconstituer – plus tard- les faits au cours desquels la patiente qu’elle brancardait a perdu la vie, Nour ne parle pas de ses pensées. Mais peut-être essaie-t’elle d’y verbaliser le Temps. Cependant, elle a quitté l’hôpital et les urgences pour un poste d’infirmière dans l’entreprise où son père Slimane ( l’acteur Sami Bouajila) travaille depuis 29 ans.
Nour connaît cette entreprise depuis son enfance. Son beau-frère (l’acteur Henri-Noël Tabary que l’on pourra aussi voir dans ADN de Maïwenn qui sort ce 28 octobre 2020) y tient un poste de cadre proche du grand patron ( l’acteur Olivier Gourmet).
Cette entreprise est celle des retrouvailles en même temps que celle qui accueille les évolutions sociales de la famille de Nour. Seule manque la mère, décédée quelques années plus tôt, à laquelle il est un peu fait allusion.
Nour ( Zita Hanrot) face à son père Slimane ( Sami Bouajila)
Lorsqu’elle revient dans la région et dans l’entreprise, la petite Nour a bien grandi. Slimane, son père, aussi. Au sein de l’entreprise, Slimane est devenu un meneur et un représentant syndical. Cela nous change de l’imagerie de l’immigré ou du Français d’origine immigrée soumis et incapable de s’exprimer. Ou obligé de faire rire pour s’intégrer.
Mais la joie de cette famille à nouveau réunie est si évidente que l’on devine qu’elle va sauter.
« Si nous avons un biais subjectif, si nous voyons le monde tel que nous voudrions qu’il soit, ces simulations ne fonctionnent pas si bien. Elles s’efforcent de parvenir à la « bonne solution » ou du moins à celles qui coïncident avec notre vision du Monde » nous explique encore le Dr Judson Brewer toujours dans son ouvrage Le Craving. Livre dans lequel il prône beaucoup la pratique de la méditation et de la pleine conscience.
Dans la famille de Nour, comme ailleurs, on est assez peu porté sur la méditation et la pleine conscience. A la rigueur, on veut bien prendre un thé ou un café et discuter ou se disputer. Mais on est plutôt doté pour l’action. Et l’on est aussi assez idéaliste. Le film Rouge, c’est au moins la rencontre de trois idéalistes :
Le syndicaliste (Sami Bouajila) ; L’infirmière, sa fille ( Zita Hanrot) ; La journaliste (Céline Sallette).
La journaliste indépendante ( Céline Sallette)
Chacun de ces trois idéalistes- comme tout idéaliste- essaie de se persuader de son indépendance et de sa lucidité et s’accroche à son biais subjectif. Mais les « autres » antagonistes, aussi. La sœur de Nour, son mari (Henri-Noël Tabary) et le patron (Olivier Gourmet) ont le cœur plus matérialiste ou plus cynique. Et le père de l’enfant de la journaliste (Céline Salette) est de son côté plus porté sur l’activisme.
Rouge raconte au moins que certaines fonctions et certaines institutions vigilantes et vitales ont perdu de leur aura ou n’ont pas la considération qu’elles devraient avoir en matière de santé publique dans notre société. On en a malheureusement une illustration récente plus que concrète avec la pandémie du covid-19 : les diverses manifestations des soignants depuis une trentaine d’années en France pour protester contre la dégradation de leurs conditions de travail faisaient déja état d’une pénurie de moyens et de personnels. Mais priorité a été donnée à la rentabilité….
Je ne suis pas sûr que l’acteur Sami Bouajila ait beaucoup joué des rôles de père face à une femme certes jeune mais d’âge mûr. Mais ses face à face avec Zita Hanrot font des étincelles. Etonnamment, cela se reproduit moins entre l’actrice Céline Sallette et lui. L’acteur Olivier Gourmet, quant à lui, mate son jeu avec sa précision de montre suisse habituelle. Sans rien montrer de nouveau mais avec tout ce qu’il faut.
L’acteur Olivier Gourmet.
Le film a quelques ratés. Mais son sujet est ambitieux et a de quoi ouvrir les yeux.
« Je t’ai pris quantité de livres sur les Arabes…. ».
Si la mémoire est un regard, dans ADN, celui de la réalisatrice, actrice et coscénariste Maïwenn ( avec Mathieu Demy) descend dans la Seine près de Notre Dame, se reprend à Marseille et remonte jusqu’à l’Algérie et au-delà.
Ce regard passe d’abord beaucoup par le regard perdu du grand-père maternel Emir Fellah (l’acteur Omar Marwan) ainsi que par celui, désenchanté, d’un de ses jeunes petits fils, Kevin (l’acteur Dylan Robert, né à Marseille, acteur principal du film Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin qui l’a fait connaître en 2018).
Kevin est de cette jeunesse qui rêve de Rap, de gros son, d’oseille, de joints, d’affection immédiate et qui entretient une relation passionnelle avec sa famille, sa ville ou son quartier. Et, sa ville, c’est Marseille.
Emir Fellah, le grand-père, est un ancien moudjahidine qui cachait des armes dans les cartables de ses enfants pendant la Guerre d’Algérie. Ensuite, il est venu vivre en France, et est devenu un grand admirateur d’Alain Delon…et de Ségolène Royal. Ou d’Hélène Melon et d’Alain Royal.
On découvre Emir Fellah dans une EHPAD, immergé dans la maladie d’Alzheimer, et néanmoins très entouré par ses filles et ses petits enfants dont Neige (Maïwenn qui s’est inspirée de son propre grand-père). Pourtant, autour de lui, bougie et salive fragile, la famille se tient dans cet EHPAD qui nous entretient dès le début du film. Ce qui tranche avec la solitude habituelle qui « irradie » celles et ceux qui sont porteurs d’une maladie lourde et invalidante. Somatique et/ou psychiatrique.
Néanmoins, comme assez souvent dans le cinéma de Maïwenn, la paroi entre ce que l’on voit et ce que l’on vit est viscérale, perméable. Et très fine. Sa précision de diamantaire perce son film à travers le documentaire, la vie personnelle que l’on préfèrerait laisser au repos et le paravent, ultime, de la fiction.
Alors, on se ramasse un peu au début du film. D’autant que c’était le jour de mon anniversaire lorsque j’ai vu ADN et que je suis soignant avant d’être devenu parallèlement d’abord journaliste cinéma puis blogueur.
Je n’étais pas venu pour me faire acculer.
Or, je « savais » que partie comme elle était partie dans son film, la « fantassine » Maïwenn n’allait pas laisser son sujet au dépôt. Et encore moins le lisser.
Je lis le moins possible sur le sujet de la plupart des films que je vais voir. Et j’ai aimé jusqu’alors tous ses films que j’ai pu voir auparavant au cinéma (Pardonnez-moi (2006), Le Bal des actrices ( 2009) Polisse -2011-).
Les pages de pub étant déjà passées ainsi que la visite aux toilettes, il ne restait plus qu’à rester « dans » l’EHPAD où commence le film, notre masque chirurgical anti-covid sur le visage avec, peut-être, un peu de buée pour compagnie sur nos lunettes de vue.
De gauche à droite : Caroline Chaniolleau ( Françoise); Henri-Noël Tabary ( Matteo); Fanny Ardant ( Caroline); Florent Lacger ( Ali); Louis Garrel ( François); Maïwenn ( Neige)
Regarder un film, c’est venir de sa propre mémoire pour aller vers une autre mémoire, fut-elle transformée. J’ai encore du mal à comprendre la raison pour laquelle, depuis quelques temps, l’Histoire de l’Algérie, ente 1954 et 1962, me parle autant. Un jour, j’irai peut-être en Algérie.
L’Emir Fellah (le grand-père maternel interprété par Omar Marwan) ne parle plus au début d’ADN. Et ses congénères de l’EHPAD vivent aussi dans un autre temps ainsi qu’avec une élocution et une pensée différentes de la nôtre pour tout bagage.
L’Algérie dont on parle dans ADN, c’est le paradis perdu. Le rêve qui a été quitté mais aussi trahi. A la fin du film, on apercevra une image ou deux d’Abane Ramdane, un des héros de la résistance algérienne assassiné par ses « frères » de mémoire et du FLN. Avant mais aussi après la Libération de l’Algérie. Assassinat ( Ramdane était pour une Algérie plutôt laïque, démocratique, avec une parité entre la femme et l’homme) qui symbolise à lui seul plusieurs de ces défaites qui secrètent encore l’Algérie d’aujourd’hui en 2020. Malgré la victoire sur l’armée française en 1962.
Si ADN parle de filiation, d’immigration, du fait d’être français, la famille que le film montre à travers trois générations est composite. Comme la famille d’acteurs sélectionnée cette fois par Maïwenn. De Fanny Ardant à Dylan Robert, en passant par LouisGarrel et Henri-Noël Tabary (que l’on reverra dans Rouge de Farid Bentoumi qui sortira le 25 novembre), Alain Françon ou les autres, on croise aussi bien le cinéma de François Truffaut que celui de réalisateurs actuels ou à venir.
Bien que l’Algérie et la France se soient séparées, plutôt que de continuer d’inhaler les mêmes amertumes et de porter la coutume militaire, ADN se veut une œuvre de deuil, d’hommage et d’espoir. On y parle donc aussi de ce que ces deux cultures ont de meilleur et ont pu s’apporter :
Kateb Yacine, Idir, Romain Gary ( son œuvre Le Caméléon). Cela fait certes plus de morts que de vivants. C’est là où la distribution- où la fédération- d’acteurs qui entoure Maïwenn est aussi faite d’air et fait raï(l) dans cette ambiance qui peut rappeler Ceux qui m’aiment prendront le train de Patrice Chéreau ( 1998).
D’ailleurs, histoire de parler un peu de l’ADN du film, lui-même, il m’a fallu le voir pour apercevoir une gémellité entre Maïwenn et Isabelle Adjani, Valéria Bruni-Tedeschi, Béatrice Dalle….Amy Winehouse ( une autre défunte). Mais aussi avec « la » Jean Grey qui incarne Phénix dans les comics. Ou Julie Delpy. Oserais-je écrire : ainsi qu’avec Catherine Breillat ?
Et peut-être devrais-je ajouter une partie de l’énergie du film Incendies de DenisVilleneuve (2010).
En regardant ADN, en musique, j’ai d’abord « entendu » le titre All Neons Like de BJörk . Tant les néons des émotions éclairaient le film. Puis Hate This Pain du dernier album de Tricky ( Fall To Pieces) a pris le relais. ( Hate This Pain un titre de Tricky).
Je sais bien que chaque artiste tient à sa particularité mais il faut bien que je parle à un moment donné de ce qui m’a tapé dans la pensée, buée ou non. Il en est ainsi de la silhouette réelle ou suggérée de Jacques Audiard dans ADN.
Au centre, Fanny Ardant ( Caroline), derrière elle, Caroline Chaniolleau ( Françoise), à droite, Henri-Noël Tabary ( Matteo).
On pourrait croire que je retire à Maïwenn toute aptitude propre. Ce serait une grosse erreur. Lorsque l’on a un certain héritage, il faut ensuite savoir le promouvoir. Ce que Maïwenn réussit très bien.
A mesure que l’érosion apparaît au sein de cette famille unie, le Savoir-faire de Maïwenn en tant que réalisatrice, actrice et coscénariste surgit. J’ai été plusieurs fois marqué par ses dons de caméléon : pour son aisance en tant qu’actrice qui est également la réalisatrice.
Si son regard tombe un moment dans la Seine et qu’elle amorce- évidemment- une descente dans la dépression, son regard dit aussi ce qu’il doit à ses ascendants. Son « explication » avec sa mère Caroline (jouée par Fanny Ardant) est mon sommet préféré dans le film. Dans les bonus du dvd du film Haute Tension, réalisé par AlexandreAja en 2003, Maïwenn expliquait qu’elle n’avait aucun problème pour pleurer face à une caméra.
Dans ADN, elle sait très bien manier les moments de tension. Nous faire rire par exemple lorsque l’on pourrait pleurer ou déprimer. La scène d’hommages au grand-père m’a ainsi beaucoup fait rire tant la réalisatrice maitrise ses très grands pouvoirs d’humour et de dérision.
Maïwenn ( Neige) et Marine Vacth ( Lilah).
Elle m’a aussi fait découvrir que l’acteur Louis Garrel pouvait être très drôle. J’ai aussi aimé le tandem de sœurs amiantées qu’elle forme avec Marine Vacth (Lilah, dans le film). Tandem que j’aurais aimé voir encore plus développé. Le père de Neige, Pierre, campé par Alain Françon, est succulent à voir jouer. Et cela nous donne un petit raccord avec Pardonnez-moi, quatorze ans plus tard. Sauf que dans ADN, l’attention est peut-être plus présente que l’agitation.
Dans Pardonnez-moi, il s’agissait de survivre. Dans ADN, il s’agit plutôt de réussir à transmettre un sourire. Ce qui est un sacré tour de force après ce film qui est le contraire d’une farce.
A gauche, Alain Delage ( l’acteur Grégoire Colin).
Si le vent tombe Un film de Nora Martirosyan
« L’armée aime la vitesse » dit un militaire à un jeune pompiste dans Si le vent tombe.
Cette phrase explique et immatricule peut-être la durée des guerres. Depuis des millénaires, chaque armée reste persuadée qu’elle va atteindre la première, à la vitesse de la lumière, et en solitaire, l’éther de la victoire.
Il faut huit heures de route, en taxi, au Français Alain Delage pour atteindre cet aéroport dont il est chargé d’évaluer la conformité. Il y a des parcours plus rapides. Alain, loin de chez lui, est ainsi convoyé dans une « petite république autoproclamée du Caucase » peu connue où la guerre a servi tout en passant inaperçue : Elle avait été éclipsée par la guerre en Yougoslavie.
Un comité d’accueil plutôt chaleureux attend Alain à l’aéroport. L’aéroport, ou la « cathédrale » en raison de sa réussite architecturale , est achevé et ressemble à ces programmes immobiliers en attente d’être livrés. Pour la plus grande partie de la population de ce petit pays, militaires inclus, cet aéroport permettrait de s’ éloigner de la guerre et du passé. De s’ouvrir au monde.
Alain Delage est interprété par l’acteur Grégoire Colin. Etonnamment, même s’il a continué de tourner depuis, j’ai l’impression que Grégoire Colin faisait davantage parler de lui en tant qu’acteur, durant les années qui ont coïncidé avec le conflit « yougoslave ». En particulier dans les années 90. Dans Si le vent tombe, désormais plus âgé et aussi un peu plus « épais », Grégoire Colin fait physiquement penser à la fois à l’acteur Benoit Magimel d’aujourd’hui (son aîné d’un an) mais aussi à l’acteur américain…Keanu Reeves. Son aîné de 11 ans.
Mais la réalisatrice Nora Martirosyan est originaire de l’Arménie où elle a vécu jusqu’à ses 23 ans. Et son film Si le vent tombe est bien entendu plus proche de la réalité géopolitique de l’Arménie, de la Turquie et de la Russie que de la série de films John Wick qui vaut à l’acteur Keanu Reeves de revenir au premier plan cinématographique depuis 2014 après son triple « pontage » médiatique réalisé avec Matrix dans les années 2000.
Rappelons que l’Arménie actuelle a obtenu son indépendance officielle en 1991 et qu’elle dispose aujourd’hui du dixième du territoire de l’Arménie historique ( d’après Wikipédia).
On ne sait rien et on n’apprendra rien de la vie personnelle d’Alain Delage. Homme pragmatique, missionné pour effectuer un audit, son seul rapport avec le monde extérieur se fera au travers de sa boite qu’il contacte avec son téléphone portable. De son côté, comme nous, Alain Delage ne sait rien de ce pays. Et ses habitants semblent vivre dans un autre temps que le nôtre, en France. La logique d’un Alain Delage, aussi précise qu’une montre suisse, se confronte à une vie un peu plouc, un peu infantile, un peu superstitieuse aussi. Mais c’est une vie néanmoins bien courante alors que le Alain Delage, lui, inspire assez peu de passion tel le fonctionnaire ou l’administratif lambda qui dépend de ses supérieurs et ses « process ».
Le film de Nora Martirosyan sent parfois la peinture fraîche et on devine la jeune cinéaste encore en friche, dans certaines scènes mais aussi pour le choix de certains acteurs. Cependant, à la fin de Si le vent tombe, comme Alain Delage, nos certitudes et notre ignorance d’homme occidental sont débusquées. On admire cette sagesse d’un pays qu’on avait d’abord pu penser rétrograde, pour ne pas dire arriéré, et qui nous tombe dessus comme un couperet alors qu’on va le quitter. On perçoit aussi, un peu, de la fougue et de la folie passées des réalisateurs Emir Kusturica et Fatih Akin. Alors, comme Nora Martirosyan et plusieurs de ses personnages, on y croit !
A gauche, Edgar ( l’acteur Hayk Bakhryan) avec Armen (l’acteur Vartan Petrossian)
Si le vent tombe devait sortir initialement dans les salles le18 novembre 2020. Du fait de la pandémie du coronavirus, il sortira finalement ce 26 Mai 2021. Ce film fait partie de la sélection officielle Cannes 2020 et de la sélection Acid Cannes 2020.
Le Français, le Karabatsi, l’Arménien, l’Anglais et le Russe sont les langues principalement parlées dans le film.
Acteurs principaux :
Alain Delage : Grégoire Colin
Edgar : Hayk Bakhryan
Seirane : Arman Navasardyan
Armen : Vartan Petrossian
Kariné : Narine Grigoryan
Franck Unimon, ce lundi 21 septembre 2020. ( réactualisé ce lundi 17 Mai 2021).
De gauche à droite, Grégory Gadebois, Virginie Efira au centre, Omar Sy, au volant.
Police un film d’Anne Fontaine.
Dans la France d’aujourd’hui, en région parisienne, un triumvirat composite – une blonde, un grand Noir, un gros blanc – part en virée afin d’emmener un individu « d’un point A à un point B ». Plus qu’une démonstration de géométrie, ou un contrat, il s’agit de leur métier :
Virginie (Virginie Efira), Aristide (Omar Sy) et Erik (Grégory Gadebois) sont uniformément policiers. Et ça se passe la nuit. Pourquoi la nuit ? C’est peut-être plus pratique d’un point de vue scénaristique :
La nuit, on remise les apparences. On déverrouille nos conduites intimes. On peut mieux fuir ce qui nous dérange dans notre vie personnelle. D’autant que l’on est en effectifs réduits. Cela nous rend plus vulnérables mais aussi plus autonomes. Car la hiérarchie est alors « claire-semée ». Il est néanmoins indispensable d’être solidaires malgré nos insularités personnelles.
Police de Pialat, L627 de Bertrand Tavernier, Polisse de Maïwenn
Le soleil, les lumières artificielles, la crème solaire, les muscles, le grand nombre et les sourires ne font pas une communauté ni une solidarité. Ce sont avant tout des décors. Des décors dentifrice qu’Anne Fontaine, comme dans le film Police de Pialat (1985), Le L627 de Bertrand Tavernier (1992) et le Polisse de Maïwenn ( 2011) a crachés dans l’évier avant même le début du film.
J’ai vu ces trois films dont les deux derniers au cinéma, lors de leur sortie en salles. Et je voulais voir le Police d’Anne Fontaine, sorti ce mercredi 2 septembre 2020.
Le titre Police de NTM
A l’époque de sa diffusion, puisque je suis « vieux », J’avais aussi écouté et réécouté le titre Police du groupe NTM(1992 ou 1993). Groupe de Rap qui a fait connaître Joey Starr, un des acteurs préférés, en tant que flic, du film Polissequi avait fait partie des films marquants du festival de Cannes de 2011. J’étais sur les lieux cette année-là.
Je me rappelle encore du titre de NTM qui s’était enclenché dans ma tête alors que je me trouvais dans un commissariat du Val d’Oise pour y faire une main courante. Heureusement que je n’étais pas touché par le syndrome de Gilles de la Tourette.
Je l’ai écrit et je vais le réécrire : Je n’aimerais pas être flic en 2020 en région parisienne dans certains endroits sensibles. La police est à la fois « la baïonnette et la marionnette de l’Etat ».
Pages de Pub et bandes annonces
Plusieurs pages de pub et quelques bandes annonces nous accueillent avant le début du film.
La pub pour le téléphone portable Galaxy Flip Zip de Samsung, les Podcast d’Arte Radio et les bandes annonces pour les films Mon Cousin de Jan Kounen et Antoinette dans les Cévennes de Carole Vignal (avec l’actrice Laure Calamy) ont retenu mon attention. Ainsi que la bande annonce de Adieu les cons de et avec Albert Dupontel….et Virginie Efira, devenue une actrice très visible.
Virginie/ Virginie Efira
Virginie Efira ( Virginie), derrière, l’acteur Payman Mardi (dans le rôle de Tohirov)
Dans le Police d’Anne Fontaine, on découvre en pleine nuit le personnage de Virginie dans son lit conjugal. Mariée, mère de famille, elle en est à son troisième réveil car son enfant se met à pleurer pour la troisième fois. Personne ne l’envie. Son mari, attaché et patient, la rejoint néanmoins dans la cuisine où elle a préparé un biberon et posé leur enfant sur une chaise haute. Et l’on apprend que Virginie est très peu avec son mari et leur enfant. Elle s’oublie dans son travail.
En quelques secondes, on comprend que l’ordinaire de Virginie, femme flic, est très éloigné du glamour de certaines productions. Qu’il s’agisse de séries télé ou de films. Il y a évidemment plusieurs ambiances de décalage entre le film et celle de Tenet réalisé par Christopher Nolan avec John David Washington, Robert Pattinson et ElizabethDebicki et qui marche apparemment très bien commercialement en ce moment.
Le film Tenet nous montre des super policiers, descendants de James Bond, très à l’aise pour se faufiler dans les espaces temps. Le film d’Anne Fontaine nous montre de plus près des spécimens encartés dans la vie réelle. Des gens que l’on pourrait rencontrer ou connaître.
Virginie/Virginie Efira fait partie de ces innombrables soldats du peu dont l’activité professionnelle et personnelle est un si grand débarras qu’à voir leur façon de continuer de la servir ils pourraient tout aussi bien être dans un couvent. On se demande où elle trouve le remontant- et comment- pour continuer de réussir à nager à contre courant.
Devant Police, du fait du personnage de Virginie, j’ai un moment pensé au très bon film Volontaire d’Hélène Fillières (2018).
Mais si Virginie est très volontaire, elle est aussi nettement moins carriériste, et plus engagée – plus âgée aussi- dans sa vie de mère mariée, que le personnage de Laure (l’actrice Diane Rouxel) dans le film d’Hélène Fillières.
Comme souvent, Virginie Efira a l’allure d’un rade (je l’ai peu vue dans son univers comique Sibyl ). Ce qui est parfait pour son rôle de femme-flic. Et, comme souvent, aussi, cela la rend crédible pour jouer ces personnages qui s’accrochent à une vie qui leur échappe. Elle a encore ce pouvoir de laisse poindre le néant dans le regard et d’en faire un départ intermittent. Il est peut-être imminent. Mais c’est peut-être aussi une impression que l’on a trop exagérée.
Si l’on s’en tenait à sa seule présence, le personnage de Virginie suffirait. Mais Anne Fontaine a tenu à la doter de désirs alors que l’on est plutôt habitué à voir des femmes flics comme des êtres a-menstrués mais aussi très rarement désirables.
C’est à travers le personnage de Virginie, qu’Anne Fontaine passe pour exprimer sa sensation que l’expulsion d’un ( corps) étranger, cela revient à avorter.
Aristide/ Omar Sy
Il est un peu « étonnant » qu’Anne Fontaine ait choisi Omar Sy, plutôt que Grégory Gadebois, pour développer la voie sentimentale du personnage de Virginie/Virginie Efira. Je fais bien-sûr un peu d’humour. Car dans d’autres films, Grégory Gadebois a aussi connu de très belles histoires d’amour. (Je repense à Angèle et Tony, réalisé en 2011 par Alix Delaporte).
Depuis le succès d’Intouchables, Omar Sy est un peu l’équivalent d’un boxeur devenu champion du monde poids-lourds par K.O et par accident. Sa carrière n’est plus la même depuis. Son nom, aussi, qui apparaît en premier sur l’affiche du film.
Omar Sy a fait d’autres films depuis Intouchables. Et je ne les ai pas tous vus. J’avais bien aimé Yao.
Mais j’ai tendance à attendre de lui qu’il se « salisse » dans ses rôles. Qu’il soit moins ce boxeur qui danse avec les angles et qu’il se transforme – parfois- en cogneur. Bien-sûr, rien ne l’y oblige, que ce soit pour des raisons personnelles ou morales. Ou, simplement, quant à sa façon de gérer sa carrière. Je ne suis pas son agent. Et il sait bien mieux que moi comment choisir ses rôles. Et, heureusement, aussi, qu’il n’a pas compté sur moi pour toutes les décisions lui important le plus. D’autant qu’il y a un certain nombre d’acteurs qui restent toujours du « bon » côté lorsqu’ils choisissent leurs rôles.
Si je ne me trompe, Patrick Bruel avait refusé le premier rôle que Cyril Collard lui avait proposé dans son film Les Nuits fauves (1992) réalisé d’après son propre livre. Un film qui avait finalement créé la polémique ( Collard est mort du Sida quelques jours avant la cérémonie des Césars. Son film avait obtenu plusieurs prix) mais aussi eu beaucoup de succès :
Dans le film, Collard – alors que nous étions en pleine épidémie du sida- y révélait avoir eu des relations sexuelles multiples sans se prémunir du risque de contamination mais aussi en exposant ses partenaires.
Le succès du film avait néanmoins plutôt contribué à bien lancer la carrière l’actrice Romane Bohringer.
Même si cette anecdote date de l’âge de la poussière, il y a plein d’histoires plus récentes où des acteurs, pour soigner leur image ou afin d’éviter une éventuelle polémique, refusent des rôles. Le réalisateur et scénariste Abdel Raouf Dafri avait par exemple expliqué que l’acteur qu’il avait au départ sollicité pour le premier rôle de son premier film, Qu’un sang impur ( sorti le 22 janvier 2020) et qui relate la Guerre d’Algérie, avait préféré décliner l’offre. Par crainte de la polémique….
Par ailleurs, pour avoir croisé Omar Sy quelques secondes par hasard alors que je me rendais à une projection de presse qui n’avait rien à voir avec lui, je peux témoigner que celui-ci émet une simplicité et une telle sympathie immédiates ( )que je me sens un peu déplacé de parler de lui comme je viens de le faire. Mais je parle ici de l’acteur et de cinéma. Pas de l’être humain. Et je parle en tant que personne qui est allé voir un film et qui avait des exigences en allant voir ce film et les comédiens que sont Efira, Sy et Gadebois.
Omar Sy, « cogneur ».
Dans Police, il y a un moment où l’on entrevoit ce que ça pourrait donner, un Omar Sy, « cogneur ». Appelons, ce moment ou cette scène Je l’aime, moi, mon fils. Peut-être que lorsque Sy acceptera de se séparer un peu plus de sa pudeur et de sa prudence dans un film, qu’il nous donnera un peu plus, en tant qu’acteur noir (j’ai bien écrit « acteur noir ») de cette violence à l’écran.
Samuel Jackson, depuis des années (oui, je mets la barre très très haute en parlant de Samuel Jackson) nous donne de la violence sur les écrans depuis des années. Et on en redemande. En tout cas, moi, j’en redemande. Pour moi, les deux meilleurs acteurs du Django Unchained de Tarantino (2012) sont de loin Samuel Jackson et Léonardo Dicaprio. Deux ordures dans le film, chacun à leur manière.
Dominique Blanc (je fais évidemment exprès de choisir cette actrice aussi au vu de son nom) avait pu dire dans une interview, à propos de Patrice Chéreau :
« J’aime sa violence…. ».
On parle évidemment d’une violence acceptée, endossable et comprise par des acteurs et des actrices. Et non d’une violence subie. L’athlète ou le pianiste qui répète ses enchaînements pendant des heures accepte une certaine violence afin d’être affûté pour la performance. Lorsque l’athlète Marie-José Pérec, l’ancienne sprinteuse française, plusieurs fois championne olympique, faisait 1500 abdominaux par jour, c’était son choix. Parce qu’elle savait qu’elle devait aussi en passer par ça pour être dans une forme physique (ainsi que mentale) optimale.
C’est de cette violence-là dont je parle dans le jeu d’acteur d’Omar Sy. Mais j’en demande peut-être trop. Et peut-être que, finalement, c’est seulement à moi que je parle en parlant, ici, d’Omar Sy. Car, dans Police, il fait tout de même beaucoup.
Omar Sy prend beaucoup de risques dans Police :
Je l’ai réécrit : Je n’aimerais pas être flic en 2020. Or, tout le monde à peu près en France sait où Omar Sy a grandi. En banlieue parisienne, à Trappes. Une ville connue depuis des années plutôt pour sa mauvaise réputation : délinquance, islamisme, drogues….
Même si des personnalités comme Jamel Debbouze (qu’il connaît) ou le footballeur Anelka ont émergé de cet endroit, Trappes, ce n’est pas St-Germain en Laye, Le Vésinet ou La Celle Saint Cloud. Même si ces trois dernières villes se trouvent également dans les Yvelines.
Dans certaines banlieues et dans certains milieux, pas seulement populaires, être flic ou être copain des flics, c’est une tâche.
Question bavures policières, au faciès ou non, en tant que personne noire ayant grandi à Trappes, dans un milieu social plutôt modeste ou moyen, j’imagine facilement qu’Omar Sy, même s’il a le sourire, a dû « voir » ou entendre des choses qui mettent peu la police à son avantage. Et, si je ne me trompe pas, il s’est plutôt engagé aux côtés d’Assa Traoré, la sœur d’Adama Traoré.
On pourrait me dire que dans « l’Affaire Traoré », ce sont des gendarmes qui sont suspectés d’avoir fait une bavure. Et non des flics. D’accord. Mais on parle de représentants de forces de l’ordre. Pour celles et ceux qui sont « anti-flics », flics et gendarmes, c’est souvent pareil.
Un rôle de Maturité et de nuances :
Or, Omar Sy accepte de jouer le rôle d’un flic comme il aurait sans doute pu accepter de jouer le rôle d’un gendarme.
Joey Starr a joué un flic dans Polisse. Sy, jeune de « la » banlieue, joue un rôle de flic. Et c’est un flic qui bénéficie de la délicatesse d’Omar Sy. De son élan vital et de son acuité mentale. Un flic, qui, au passage, en toute décontraction, combat les préjugés racistes. Ou, je devrais plutôt écrire :
« Qui continue de combattre les préjugés racistes ». Car Omar Sy n’a pas attendu ce rôle dans le film d’Anne Fontaine pour essayer de désamorcer bien des préjugés ( j’avais commencé à écrire des «conflits » au lieu de « préjugés ») racistes.
Dans les deux situations, que l’on parle de Joey Starr dans Polisse ou d’Omar Sy dans Police (il est temps que je rappelle qu’Anne Fontaine s’est inspiré du livre d’Hugo Boris pour son film), deux Personnalités différentes de tempérament, de comportement, comme par leur style contribuent à donner une image plutôt favorable et nuancée de la police.
Et ces deux personnalités sont deux hommes noirs. Lesquels ont la quarantaine lorsqu’ils jouent un rôle de flic. 44 ans pour Joey Starr dans Polisse. 42 ans pour Omar Sy lors de la sortie de Police.
A cet âge, Joey Starr, comme Omar Sy, se sont insérés socialement. On pourrait même dire qu’ils ont plutôt (très) bien réussi socialement. Même si une carrière d’artiste reste aléatoire et que, mal gérée, celle-ci peut très mal et très vite s’achever.
Ce sont aussi deux personnes qui sont sûrement devenues pères. Et qui se sont peut-être ou sûrement faites plus nuancées : il arrive fréquemment que l’on raisonne un peu différemment lorsque l’on a quarante ans et que l’on est devenu père comparativement à l’époque ou on avait entre 15 et 25 ans et que l’on était sans enfant. Certaines expériences de la vie et certaines rencontres sont passées par là entre-temps.
Réussir
Jusqu’à un certain point, on a le choix :
Rester dans une description permanente de la destruction. Tout sur-interpréter de ce qui vient des autres comme une menace. Etre obsédé par les autres. Participer à la destruction des autres et de soi, d’une part.
Ou, à un moment, accepter de vivre, s’accepter un peu plus et accepter un peu plus les autres.
Je crois que Joey Starr et Omar Sy ont réussi parce qu’à un moment donné de leur vie, voire à plusieurs moments de leur vie, ils ont accepté de sortir de ce qu’ils connaissaient par cœur. Et qu’ils l’ont fait avec des personnes de confiance et au bon moment pour eux. Et pour leur époque.
Mais pour certaines sensibilités, réussir en s’éloignant de ce que l’on a connu, c’est s’embourgeoiser. C’est oublier ce que l’on a connu. C’est renier le passé. Son passé. Je crois que c’est plutôt le contraire. Même si on s’éloigne, on reste attaché à son passé et on s’en inspire pour aller plus loin. Comme une fusée qui décolle pour aller sur la lune.
Il est une question qu’Aristide/ Omar Sy pose à deux ou trois reprises :
» Mais, sur le terrain, je suis un bon flic ou pas ?! ».
Peut-être que certains compatriotes verront dans cette question une tendance « banania » d’Omar Sy. Comme si Omar Sy se « prend pour un blanc ». Ce n’est pas du tout ce que je vois dans cette question. Dans cette question, je vois Omar Sy qui se pose cette question, même en tant qu’acteur :
» Suis-je un bon acteur ?! » ( puisque je suis un autodidacte….).
Ma réponse, en tant que spectateur, est oui ! Même si la première et la dernière personne la plus compétente pour y répondre, c’est d’abord Omar Sy/ Aristide. Sur le terrain.
Ce qui nous amène à l’autre symbole auquel touche Omar Sy dans le film.
La Femme blanche
Dans Police, Omar Sy touche à la femme blanche. Or, il n’y a pas plus femme blanche, en couleur de peau, face à un homme noir….qu’une femme blonde. Cette remarque pourra paraître banale pour certaines personnes. Mais je continue de penser qu’en 2020, les relations mixtes, multiculturelles, ou multiconfessionnelles et multiraciales (appelons ça comme on le veut) restent très difficiles à adopter pour bien des personnes en France. Sans parler des relations multi-genres. Et pas uniquement au sein des électrices et des électeurs du Rassemblement National, ex Front National. J’invite à voir ou à revoir le film Un Français réalisé par Diastème en 2014 pour se faire une idée d’un certain état d’esprit au sein des tenants de l’Extrême droite. Je reste encore étonné par le niveau de connaissance de son film concernant une certaine extrême droite.
Omar Sy traverse donc plusieurs murs à travers son rôle de flic. D’une certaine façon, avec sa tenue de flic, il réalise plusieurs infractions à certains codes comme à une certaine « morale » :
Il réhabilite le flic. Le flic attentif à son prochain. Et il rencontre lafemme blanche. Une femme mariée et mère de famille.
Il ne la rencontre pas façon « Vas- y Francky, c’est bon ! » cliché qui sous-entend que tous les hommes noirs ont le sang chaud et le sexe dans la peau au même titre que la musique. Ce qui serait bien commode pour entretenir le cliché de l’homme noir chaud lapin et monté « pour ça ».
Aristide/ Omar Sy rencontre la femme blanche comme cela peut arriver pour n’importe qui sans aucune discrimination de couleur, de religion ou de classe sociale ou de sexe. Comme dans la vraie vie. Au travail, lieu de rencontre parmi d’autres. Cela va peut-être changer avec le développement du télétravail depuis la pandémie du Covid-19 et la priorité qui a été redonnée à l’économie et à la rentabilité, mais, pour l’instant, le travail reste un lieu de rencontres et de variables humaines. Comme l’école, le club de sport, le cercle d’amis, les voyages, les associations ou les sites de rencontres.
Et l’on comprend dans le film que, même si Virginie et Aristide sont deux opposés sur bien des plans, qu’ils peuvent se rejoindre sur certaines valeurs communes d’autant que la Terre est ronde. Et si A part d’un endroit opposé à B sur la Terre, A et B peuvent néanmoins finir par se rejoindre. Sourire.
Moralement, dans la vie réelle, beaucoup de personnes, en France, et ailleurs, ne sont pas libres par rapport à ce que Police montre à ce sujet. D’ailleurs, ce rapprochement de corps ( A et B) que l’on voit dans le film entre Virginie Efira et Omar Sy reste rare dans le cinéma français encore en 2020. Et au théâtre comme en danse classique, c’est encore pire. Pourtant, nous sommes dans le pays dont la capitale est surnommée « La Ville lumière ».
Pour parodier un vieux sketch de Philippe Noiret (où il incarnait Louis XIV) face à Jean-Pierre Darras, à voir les résistances robustes et assez artificielles devant le métissage dans bien des réalisations culturelles françaises, on a de quoi trouver ces résistances « Lu-gubres ! ».
EriK/ Grégory Gadebois :
Si Aristide/ Omar Sy et Virginie/ Virginie Efira déversent la folie et la lumière sur la toile du film, Erik/ Grégory Gadebois, lui, est le lugubre de l’histoire. Mais c’est un lugubre à la Gadebois. C’est à dire, un flic qui, au départ, a beaucoup contre lui. Obèse, hyper-rigide. Une tête de cerbère plus que de complice. Autoritaire. Sans humour.
En plus, c’est l’alcoolique refoulé du trio. Refoulé par qui et par quoi ? On ne sait pas. Mais personne ne lui volera sa femme.
Erik est aussi un homme de Devoir et droit. Comme Aristide et Virginie. S’il devait avoir une religion, Erik serait peut-être protestant. On n’est pas là pour rigoler.
Gadebois ne fait rien de très nouveau dans ce film. Mais un peu comme Jean-Pierre Bacri, si on aime son amertume vigilante, on aura à nouveau de quoi faire le plein dans Police.
Le réalisme du film
Le film est-il réaliste ? Il est quand même bien renseigné sur le quotidien des policiers. Certains commentaires et certaines anecdotes concernant les conditions de travail des policiers ne viennent pas de nul part. Et c’est pareil pour leurs trucs et leurs astuces pour décompresser en rentrant du travail.
Tohirov, l’acteur Payman Maadi, et Virginie ( Virginie Efira).
Tohirov/ Payman Maadi d’un point A à un Point B
Tohirov, « l’étranger » originaire du Tadjikistan que Virginie, Erik et Aristide sont chargés de transporter d’un « point A à un point B » est interprété par l’acteur Payman Maadi.
L’acteur Payman Maadi rend très bien la peur de son personnage. Et si ses comportements sembleront peut-être « débiles » ou invraisemblables, il est sûrement le personnage le plus réaliste du film à mon avis vu ce qu’il a vécu dans son pays. La torture.
En parlant de réalisme, je profite de cette partie de l’article pour (re)faire la promotion de la très bonne série française Engrenages qui va bientôt se terminer. Et dont « l’impopularité », en France, m’a toujours étonné chaque fois que j’ai parlé de cette série policière.
J’en profite à nouveau pour écrire qu’avant Engrenages, citée de manière légitime comme une très bonne série par bien des critiques, il y avait eu la série Police District (2000-2003) crééé par Hugues Pagan, ancien flic et très bon auteur de polars. Police District est une série encore plus oubliée qu’Engrenages, alors qu’elle bénéficie, aussi, d’une bonne charge de réalisme de l’époque où elle avait été réalisée. Ainsi que de bons acteurs. Dont Oliver Marchal, Francis Renaud, Rachid Djaïdani, Sara Martins….
La série Braquo, plus connue, doit beaucoup au moins à la série Police District.
Ensuite, pour conclure à propos du film d’Anne Fontaine, il y a bien-sûr une certaine part romanesque. Optimiste. Et plaisante.
Cet article est le 200ème que j’écris pour mon blog balistiqueduquotidien.com. J’espère qu’il vous a plu.