Des articles mais aussi des diaporamas à l »ère » de la pandémie du Covid-19 qui a été « l’événement » de l’année 2020 dans le Monde. Même si tous les pays n’ont pas été touchés de la même façon par la pandémie.
Hier matin, en sortant du travail, je suis retourné devant le Panthéon. Il faisait trois degrés. J’étais retourné là car, après l’avoir plusieurs fois évoqué dans des articles précédents ( tel que Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020 par exemple), je voulais, cette fois-ci, silencieusement interroger ce symbole :
« Aux Grands hommes, La Patrie Reconnaissante »
J’ai à nouveau pris des photos. Puis, j’en ai profité pour aller voir du côté de Notre Dame pour laquelle des milliardaires ont été prêts à mettre la main à la poche afin de la faire reconstruire. Alors que l’on entend moins parler de ces milliardaires et de bien des célébrités quand il s’agit de réparer les hôpitaux publics.
J’avais prévu de me servir de ces photos pour illustrer un article qui devait s’appeler :
Le silence des organes.
J’ai pris des notes pour écrire cet article. Je savais qu’il serait long. J’étais inspiré.
Je pourrais encore l’écrire. Mais je me suis dit qu’il y avait d’autres priorités. Que je m’étais déjà suffisamment exprimé sur l’épidémie que nous connaissons. Qu’il me fallait revenir à d’autres sujets davantage pourvoyeurs de vie.
« Le silence des organes » est une expression que j’avais découverte à la fin des années 80 à l’hôpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre. Laquelle était, à ce que m’en avait dit ma mère, une ancienne prison pour femmes.
La Maison de Nanterre était aussi le « havre » de certains SDF. J’ai connu cet hôpital dès mon enfance. Ma mère y a été aide-soignante pendant des années dans un service de réanimation. Et deux de mes tantes y ont aussi travaillé.
Lors d’un de nos cours, pendant mes études d’infirmier, nous avions réfléchi à la définition que nous pourrions donner au fait d’être en bonne santé. La personne qui animait le cours, ce jour-là, nous avait sorti cette expression de ses recherches. Je me rappelle de mon amie Béa, mon aînée de plusieurs années, une pointure en tant qu’infirmière, qui s’était exclamée :
« C’est fort ! ».
Le silence des organes n’a donc a priori rien à voir avec la mort. Même si on y pense très fort en ce moment et que le musicien Manu Dibango est mort aujourd’hui ou hier. Du Coronavirus Covid-19. J’ai appris son décès tout à l’heure par hasard, sur le groupe What’s App de ma famille.
Il est néanmoins quelque chose de trompeur dans cette expression, « silence des organes », pour parler du fait que l’on est en bonne santé. Car chaque organe a son bruit spécifique lorsqu’il va bien. Par contre, son bruit se dérange lorsqu’il va mal. Rappelez-vous lorsqu’un médecin vous dit de tousser, ou de dire « 33 », vous ausculte, alors que vous le consultez parce-que vous ne vous sentez pas bien. Entendre, écouter les mouvements internes d’un corps, c’est aussi ce qui permet de savoir s’il est en « paix ».
Il en est de même lorsque l’on écoute la voix d’un proche ou d’une proche. Il nous est souvent possible de déceler si elle ou s’il est dans son assiette si l’on connaît cette personne véritablement.
Si l’on est un peu attentif, on peut assez bien percevoir si son attitude et son regard concordent avec ses propos pour peu que cette personne soit « vraie » devant nous. Pour peu qu’elle ne porte pas un masque et ne soit pas experte dans cette grande comédie sociale qui consiste à dire que tout va bien quand ça va mal mais aussi à dire que ça va très mal alors que cela ne va pas si mal que ça.
Mais des organes véritablement et définitivement silencieux, à moins d’être dans un état de léthargie particulièrement complexe et indétectable, et encore !, signifient quand même notre arrêt de vie définitif. Tout au moins sous notre forme humaine habituelle. Ensuite, on peut à peu près tout concevoir. Et, c’est ainsi que je me raccroche à nouveau à Manu Dibango, décédé à 86 ans.
Je ne pensais pas à Manu Dibango lorsque dans un de mes récents articles, j’écrivais qu’il y avait sûrement des personnes que je « connaissais » qui allaient mourir dans l’épidémie. Pourtant, je pensais à lui depuis quelques jours.
Il se trouve qu’il y a bientôt deux semaines, ou un peu moins, je m’étais rendu dans un magasin afin d’aller acheter le dernier album de l’artiste de Maloya, Danyèl Waro.
Danyèl Waro fait actuellement partie des artistes auxquels je suis particulièrement attaché. Avec une Ann O’Aro par exemple. Le Maloya est pour moi tellement proche du Gro-Ka, du Léwoz et du Bel-Air des Antilles qu’il a fini par me rattraper avec les années. La boite de nuit parisienne, Le Manapany, est sans doute l’endroit où j’avais entendu du Maloya pour la première fois dans les années 90. Pourtant, j’ai oublié où elle se trouve.
Et, il y a quelques jours, c’est en allant acheter le dernier album de Danyèl Waro, que j’ai fini par fureter dans les rayons de disques comme lors de mon adolescence. Peut-être le jour où j’étais allé voir l’exposition de la dernière tournée de NTM – en accès libre- sous la canopée aux Halles encore pour un jour. Exposition (du 20 février au 10 mars 2020) dont j’avais appris l’existence par hasard ainsi que la fin le lendemain en me rendant au cinéma. En allant voir, je crois, le film L’appel de la Forêt. J’avais prévu d’écrire sur cette exposition comme sur ce film mais je ne l’ai pas encore fait.
Cette photo fait partie de celles prises par le photographe Gianni Giardinelli lors de la dernière tournée du groupe NTM. Les photos ont été exposées sous la canopée des Halles du 20 février au 10 mars 2020.
Dans le magasin de disques, ce jour-là, je me suis rapidement retrouvé avec plusieurs disques. Un classique. C’est pareil dans un magasin de dvds et de blu-rays. Et c’est aussi comme ça dans la librairie et la médiathèque de ma ville en temps usuel.
Après plusieurs hésitations et quelques écoutes, et en comparant aussi le rapport qualité/prix, j’étais reparti avec l’album de Danyèl Waro….et cette compilation de Manu Dibango.
Autant l’album de Danyèl Waro ne m’a pas, pour l’instant, entraîné, autant la compilation de Manu Dibango m’a rapidement plu.
J’avais déjà écouté du Manu Dibango, il y a plusieurs années. Je l’avais aussi vu en concert à Cergy St-Christophe, sur l’esplanade de Paris, il y a environ vingt ans, lors d’un concert gratuit. J’ai le souvenir d’un très bon concert. Un très bon bassiste figurait parmi ses musiciens.
Manu Dibango, Danyèl Waro, Arno et d’autres font partie de ces artistes qui sont là pour la vie. Au delà de soixante ans, on les voit sur scène avec une envie et une énergie que beaucoup ont déja perdu lorsqu’ils ont à peine passé les limites de l’adolescence. Je m’inquiète par moments de ce qu’il me reste de ce passé.
Un article signé Youness Bousenna dans le Télérama de cette semaine parle du documentaire La Disgrâce réalisé par Didier Cros. Ce documentaire passe ce soir sur France 2 à 23h40. La Disgrâce est fait du témoignage de cinq personnes dont le visage défiguré occasionne une grande souffrance personnelle. Souffrance due à la déformation de leur visage mais aussi à la violence du regard des autres.
Dans cet article, Youness Bousenna écrit entre-autres :
« (….) Sans commentaire, le film les laisse raconter leur souffrance initiale et la violence que le regard des autres y ajoute, la tentative d’apprivoiser son visage en même temps que la solitude que celui-ci leur inflige ».
J’ai beaucoup aimé que Youness Bousenna me fasse entrevoir que chaque visage, déformé ou non, est une solitude. En marge de l’article, j’ai écrit de la main gauche :
« De cette solitude, certains visages émergent plus que d’autres ».
Cet article m’a rappelé le début du livre de Nina Bouraoui, Tous les hommes désirent naturellement savoir. Je savais où je l’avais rangé alors je l’ai rapidement retrouvé. C’est un livre paru en 2018 et que j’ai sûrement acheté dès sa sortie. Un de plus, parmi tous ceux que j’ai achetés, que je n’ai pas encore lus, et dont le début est :
« Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, malheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la Seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant ils sont mes miroirs. Nous formons un seul cœur, une seule cellule. Nous sommes vivants ».
Manu Dibango était un homme joyeux. En tout cas sur scène à ce que j’ai vu. Son rire grave est aussi célèbre que sa musique. Figure de Bokassa ou de Coupé-Cloué (les Antillais de plus de 50 ans sauront de qui je parle), Manu Dibango avait une stature et une autorité plus fréquentables que celle de bien des dictateurs. Je me rappelle comment il avait expliqué en rigolant que Michaël Jackson avait « oublié » de lui payer des royalties lorsqu’il avait utilisé un de ses airs de musique pour composer un de ses titres.
Je me rappelle que lors d’un festival de Jazz retransmis à la télé, Claude Nougaro s’était incliné devant Miles Davis, mon musicien préféré, alors que Manu Dibango existait de par sa seule présence. Si la musique est aussi solitude, la sienne avait émergé sans difficulté cette soirée-là comme tant d’autres fois.
En prenant le temps de lire la présentation de la compilation par Iain Scott, j’avais appris qu’avant d’être connu, Manu Dibango avait entre-autres joué, en France, avec Nino Ferrer mais aussi Dick Rivers et Johnny Halliday. Je suis souvent étonné par les alliances de certains artistes, que celles-ci soient musicales ou simplement amicales (telle l’amitié d’un Jacques Brel avec Johnny Halliday) comme par leur ouverture à d’autres genres musicaux. Et, question ouverture, on peut dire qu’en écoutant cette compilation de Manu Dibango, on entend aussi bien du Jazz, de l’Afro Beat, du Reggae, de la musique africaine. Et l’on comprend que le chanteur et bassiste Richard Bona (également d’origine camerounaise) lui « doit » sans doute quelque chose.
Concernant la version Reggae de son Soul Makossa avec le duo Robbie Shakespeare et Sly Dunbar, en l’écoutant, on pense immédiatement à Serge Gainsbourg qui avait également joué avec eux ainsi qu’avec les I-Threes « de » Bob Marley. Peu importe de savoir lequel avait eu l’idée le premier, Manu Dibango était sans frontières question création musicale. Et le Rap ne lui a pas fait peur.
En écoutant sa compilation, j’avais aussi beaucoup aimé sa version de A La Claire Fontaine que j’avais postée sur ma page Facebook un ou deux jours avant d’apprendre sa mort.
J’avais aussi eu envie de savoir quand il repasserait en concert. J’avais regardé: un concert était prévu en Martinique dans quelques mois. Ça faisait déja un peu loin.
Le rire de Manu Dibango est désormais entouré de silence. Mais sa musique continue de nous dire que nous sommes vivants. Et, ça, ça fait aussi beaucoup de bien à nos organes.
Mais qu’est-ce qu’elles ont ? Je suis étonné par le nombre de femmes que je croise dehors depuis le début du couvre-feu.
Ce samedi matin, les premières personnes que je croise dans la rue en sortant du travail sont des femmes. Elles courent. Elles marchent. Il fait 7 degrés. La température s’est rafraîchie.
Hier soir, en allant au travail à nouveau à vélo, j’avais un pied posé à terre au feu rouge avant d’entrer dans la ville de Levallois lorsqu’une fusée m’a dépassé. Une femme à vélo.
En moins d’une minute, elle m’a mis cent mètres dans le regard. Une imparable application de la distanciation sociale préconisée dans notre contexte d’épidémie. Merci Madame.
Quelques kilomètres plus loin, j’étais sur le point d’arriver à mon travail lorsque je suis monté sur le trottoir. Par instinct, j’ai regardé sur ma gauche. Une jeune femme en cycliste, avec un fessier de pistarde, s’était mise en danseuse sur son vélo. Elle grimpait la route avec conviction. Sans casque comme la précédente.
En rentrant ce matin, je suis cette fois passé devant le Panthéon. Dans la rue déserte, on voyait très bien son drapeau bleu, blanc, rouge que je n’avais pas remarqué la dernière fois, la veille de la manifestation des Gilets jaunes le samedi 14 mars. ( Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020)
J’ai pensé m’arrêter pour prendre une photo du Panthéon mais je l’avais déjà dépassé. Je ne l’ai pas fait. Je voulais rejoindre ces quais de Seine où j’avais vu plusieurs fois des personnes courir. Je voulais voir jusqu’où ces quais pouvaient me rapprocher de la Place de la Concorde qui est dans ma direction pour rentrer chez moi.
En me rapprochant de ces quais, je suis tombé sur cette exposition de photos de femmes militant pour le respect des droits des femmes. Parmi ces photos, une de l’actrice Aïssa Maïga dont le discours aux Césars 2020 a pu déranger et déplaire. « Racialiste », « Embarrassant » ( Le discours de l’actrice Aïssa Maïga aux Césars 2020 ).
Pour un de mes amis, le discours d’Aïssa Maïga tient plus du discours « Noiriste » de l’ancien dictateur haïtien Duvalier que de celui de la Négritude de Césaire, Senghor et Damas. Je ne suis pas de l’avis de cet ami. Lui et moi en discuterons sans doute oralement après l’épidémie.
Ces photos accrochées à cet endroit, sur les grilles de l’ancien ( depuis 2016) Tribunal de Grande Instance de Paris, ont d’autant plus de force symbolique. Et sans doute encore plus, en cette période d’épidémie, de couvre-feu et de peur. Alors, je m’arrête et prends quelques photos.
L’ancien Tribunal de Grande Instance ( judiciaire) de Paris.
Mais comme nous sommes en plein couvre-feu et que nous sommes incités à rentrer chez nous le plus rapidement possible et à limiter nos déplacements, je n’ai pas envie de passer pour un provocateur et un irresponsable en prenant le temps de faire des photos. D’autant que derrière les grilles du Tribunal de Grande Instance, même si on ne les voit pas, il y a des policiers. Alors, je ne traîne pas.
Les quais que je voulais emprunter sont interdits d’accès m’indique un employé en chasuble des pieds à la tête. Il porte un masque sur le visage. Et semble un peu agacé par mon comportement. Je m’exécute. Je repars par où je suis venu.
Les contrôles policiers ? Je croise plusieurs fois des policiers en rentrant ce matin. Le plus souvent, en véhicules.
Hier soir , déjà, en allant au travail en quittant le Louvre. J’allais passer devant un car de police ou de CRS stationné sur le trottoir. Je me demandais si j’allais être contrôlé. Non. A la place, un jeune homme à vélo, noir, sans casque je crois, l’a été juste avant moi.
Ce matin, je croise même deux policiers qui marchent sur le trottoir. Je les salue de la tête en passant en sens inverse à vélo. Ils répondent à mon salut. C’est quelques kilomètres plus loin que je m’avise que l’on me voit de loin. Et que je dois, pour l’instant, transpirer le mec en règle à deux cents mètres: casque, lunettes, chasuble, sac à dos de couleur voyante, lumières la nuit. Ce matin, j’ai même pris une douche au travail avant de partir. Je sens peut-être encore un peu le savon.
En me rapprochant d’Asnières par le Bd Malesherbes, je tombe à nouveau sur l’affiche du film Brooklyn Secret dont la sortie en salles a été reportée à plus tard ( Brooklyn Secret).
Revoir à nouveau cette affiche dans ce contexte d’épidémie et de couvre-feu lui donne aussi d’autant plus de force symbolique. Ce que nous vivons actuellement peut ressembler en partie à ce que vit l’héroïne du film, interprétée par Isabel Sandoval, également réalisatrice, scénariste et monteuse du film. Comme la sortie du film a été retardée, j’ai pu prendre le temps de lire que les critiques sont bonnes envers ce film. Même Première en dit du bien. « Sublime », je crois. La critique du journaliste Sorj Chalandon dans Le Canard Enchaîné de cette semaine est également élogieuse :
Ce matin ( hier, samedi 21 mars 2020), à voir toutes ces femmes dehors, même si depuis mon départ du travail, des hommes sont « apparus » entre-temps, je finis par me convaincre que si l’Humanité décline un jour et qu’il reste quelques survivants, il y aura assurément une ou plusieurs femmes parmi eux. L’émission Koh-Lantah nous dit peut-être cette vérité :
Si dans notre société et dans notre monde, les femmes sont encore autant reléguées au fond de la classe des postes de décision, c’est peut-être parce-que, dans l’Histoire, elles ont plein de fois supplanté- devancé- les hommes et que le cerveau reptilien de ceux-ci s’en souviennent.
Alors que je pédale, je me dis que j’ai un peu changé ces derniers temps. Je suis peut-être en train de devenir une femme. Il faudra que je m’examine.
( Ps : Hier soir vers 22h, une collègue m’a appris que le jeune récemment hospitalisé dans notre service que l’on pensait peut-être positif après avoir été en contact avec une personne porteuse du coronavirus civid-19 Objectif de conscience va bien et est négatif. Cette nouvelle est rassurante. Mais il convient de rester prudent.
Un article dans le journal allemand Der Spiegel informe qu’en Allemagne le déplacement à vélo est préconisé en matière de prévention sanitaire vis-à-vis du coronavirus Covid-19. Merci à ma compagne pour m’avoir fait connaître cet article).
Lorsque l’ami Zez m’a demandé de témoigner concernant mon quotidien en tant « qu’agent hospitalier », j’ai commencé à me gratter l’arrière-train et à entonner un refrain plus rôdé que mes pensées.
Tout d’abord, je lui ai proposé de lire mes deux derniers articles Vent d’âme et Adaptations que l’on peut trouver sur mon blog en lui disant :
« Peut-être que tu trouveras dedans ce que tu cherches ». J’étais content de moi. Je me suis dit qu’encore une fois, même si lui et moi nous connaissons finalement assez peu, certaines de nos préoccupations se rejoignent.
Et, puis, Zez m’a recontacté :
« J’aime beaucoup tes articles mais c’est trop (ou très) poétique. Ce n’est pas ce que je recherche. Ce que je veux, vraiment, c’est comment tu vis, comment, lorsque l’on est agent hospitalier, on vit l’épidémie dans son quotidien. Comment vous vivez avec ça. Parce-que vous êtes quand même supposés être les sauveurs de la Nation… ».
Et, là, j’ai été coincé. J’ai à nouveau ressenti en mon fors intérieur cet interdit déjà ressenti plusieurs fois lorsqu’il s’agit de s’exprimer en tant qu’infirmier sur la place publique. Bien-sûr, entre-temps, j’avais compris que lorsque Zez parle « d’agent hospitalier », il ne pense pas forcément à un ASH, un agent de service hospitalier comme je l’ai d’abord pensé. Mais à tout agent hospitalier. A toute personne qui travaille dans un hôpital public et qui, du fait de l’épidémie, se trouve officiellement engagé depuis cette semaine dans cette « Guerre sanitaire » dont a parlé et reparlé notre Président de la République à la télé. Ainsi que son Premier Ministre et/ou son Ministre de l’intérieur, je ne sais plus.
Mais il existe souvent un mur entre cette demande, spontanée, de bien des personnes qui souhaiteraient que des professionnels de l’hôpital s’expriment. Et les professionnels de l’hôpital qui peuvent hésiter ou refuser de le faire. Je ne parle pas, évidemment, des médecins et des psychologues qui sont souvent les plus sollicités ou les plus volontaires dès qu’il s’agit de s’exprimer sur une situation donnée dès qu’il s’agit de l’hôpital et, cela, bien avant l’épidémie actuelle.
Non, je parle de tous les autres qui sont, par ailleurs, souvent les plus nombreux et que l’on pourrait presque surnommer la « majorité » silencieuse, souvent anxieuse, peureuse ou voire honteuse à l’idée de s’exprimer à visage découvert. Et même sous couvert d’anonymat.
Parce-que, comme je l’ai expliqué à Zez au téléphone, car il m’a semblé nécessaire de le lui dire directement par téléphone plutôt que de poursuivre notre correspondance par sms :
« A l’hôpital, la parole n’est pas libre ».
J’ai ajouté :
« Moi, encore, j’écris et je suis plus ou moins à l’aise pour m’exprimer en public mais ça n’est pas le cas de beaucoup de mes collègues ».
J’ai continué à expliquer à Zez :
« Dans certains de mes articles, je parle de certaines et de certains de mes collègues. Pourtant, même si je fais en sorte que personne ne les reconnaisse et qu’à mon avis, personne ne les reconnaîtra en lisant mes articles, je ne suis pas sûr que certaines et certains d’entre eux, en se reconnaissant dans un de mes articles, ne m’en veuillent pas ».
Et, très content de moi et de mon argumentation, car j’étais inspiré et Zez semblait de plus en plus convaincu par mes arguments, j’ai placé ce qui était l’estocade :
« Il faut savoir que dès le début de notre formation, nous sommes formés au secret professionnel…», ce que Zez a traduit de son côté : « Ah, oui, le serment d’Hippocrate ».
Je n’ai même pas essayé de lui dire que le serment d’Hippocrate concerne les médecins. Pour moi, Zez, avait compris ce que je voulais dire : notre parole, en tant qu’agent hospitalier, n’est pas libre. Nous sommes surtout libres dans le silence et l’anonymat.
Je me rappelle que Zez et moi, nous sommes quittés au téléphone avec l’idée qu’il essaierait de piocher dans mes deux articles ce qu’il pourrait. J’ai oublié si je lui ai dit que j’allais réfléchir. Par, contre, oui, je voulais bien lui fournir la play-list des morceaux de musique que j’écoute pour me changer les idées en ce moment.
Depuis, une nuit est passée. Et, cela m’a apparemment permis de « dé-rusher » ma conscience.
D’abord, je suis retourné au travail à vélo. A 20h, hier soir, je me trouvais dans une des rues- plutôt désertes- d’Asnières, lorsque j’ai entendu des gens applaudir. Je « savais » que ces personnes, depuis leur balcon, applaudissaient les soignants pour les remercier et les encourager. J’en avais été informé par une chaine de messages reçus sur ma messagerie messenger. Mais aussi sur un des panneaux d’information dans ma ville.
Je sais très bien que je ne suis pas Superman. Que je ne suis pas un héros. Mais entendre ces applaudissements alors que me dirigeais à vélo au travail a fini par m’atteindre. Même si ces gens qui applaudissaient dans cette pénombre claudicante ne pouvaient pas savoir qui j’étais vraiment. Même si je me suis dit que sur mon lit de mourant, ces applaudissements ne me guériraient pas. L’attention et la bonne humeur de ces personnes étaient sincères et cela m’a quand même fait plaisir de faire partie de celles et ceux à qui ces applaudissements étaient adressés.
Pourtant, j’ai été soulagé lorsque les applaudissements se sont arrêtés. Oui, soulagé. Sans doute estimais-je que je ne méritais pas ces applaudissements. Et que « d’autres », des vrais soignants, des vrais héros, les méritaient bien plus que moi.
Mais, comme on le dit, on est souvent « l’autre » de quelqu’un ou de quelque chose.
Près de Levallois, j’avais un pied posé à terre au feu rouge lorsqu’une fusée est passée à côté de moi. Une femme à vélo. Sans casque. Elle m’a rapidement mis à peu près cent mètres dans la vue. Je compte reparler des femmes que j’aperçois dans les rues lorsque je vais au travail à vélo ou en reviens ces derniers temps. ( L’Avenir de l’Humanité).
A quelques mètres de mon service, rebelote, je tourne la tête, qu’est-ce que je vois ?
Une jeune femme à vélo sur la route, portant un cycliste noir. Celle-ci, dotée d’un fessier de pistarde grimpait la route avec conviction. Comme la précédente, quelques kilomètres plus tôt, elle roulait sans casque.
Dans le service, lorsque j’ai rejoint les collègues dans la salle de soins pour les transmissions, cela a été très vite une autre ambiance.
Depuis ma dernière nuit de travail, deux nuits plus tôt, notre service de pédopsychiatrie s’était transformé en service de bloc opératoire. Deux jours plus tôt, nous étions tous avec nos vêtements de la vie civile comme d’habitude. Là, par dessus leurs vêtements civils, ou voire avec simplement leurs sous-vêtements en dessous ( c’est ce que j’ai fait. J’ai pris une taille bien trop grande), tous mes collègues portaient un masque chirurgical et s’étaient mis en « pyjama » en papier, de bloc, de la tête aux pieds. Manquaient la charlotte, les gants stériles et les chaussures de bloc. Mais tout le monde était déjà suffisamment équipé pour que soit tourné un épisode de la série Urgences.
J’étais bien-sûr au courant : un jeune hospitalisé récemment avait été en contact, avant son hospitalisation dans « notre » service de pédopsychiatrie, avec une personne qui s’était avérée porteuse du coronavirus Covid-19.
Alors que les transmissions se déroulaient, je digérais l’information suivante : notre environnement professionnel et, donc, notre comportement de professionnel et d’individu, avait été modifié rapidement. Telle une fonte brutale des glaces entre l’hiver et le printemps dans certains régions.
Qu’y’ a-t’il de si particulier dans le fait d’apprendre que des soignants, dans un service hospitalier, portent chacun un pyjama de bloc et un masque chirurgical dans un contexte de grande épidémie qui concerne le pays ?
D’abord le fait que ce genre de précautions et d’attitudes tranche avec notre univers mental en psychiatrie. Même si, on s’en doute bien, le coronavirus covid-19 ne va pas faire d’exception pour nous qui travaillons en psychiatrie.
Le virus ne va pas se dire :
« Je suis le Grand Méchant Loup qui laisse tranquille tous les petits cochons qui se sont réfugiés en psychiatrie et en pédopsychiatrie…. ».
Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’un soignant, quelle que soit sa spécialité, en psychiatrie ou en soins somatiques, n’est pas un individu que l’on sort d’un coma artificiel prolongé- ou d’une éprouvette- comme on le voit dans un film de science-fiction et à qui l’on dit :
« Réveille-toi, va soigner et sauver les gens sans te retourner derrière toi ». Ce sera peut-être comme ça un jour. Mais, pour l’instant, une soignante, un soignant, c’est encore souvent et toujours, une personne qui a une vie en dehors de son travail. Et qui a un entourage amical, familial ou autre. C’est une personne qui a des tracas personnels. Et qui est perméable aux tracas que peuvent vivre ou susciter des membres de leur entourage.
Une soignante et un soignant, c’est aussi une personne qui écoute les informations et qui reçoit des informations par différents canaux. Et, lorsqu’elle ou il arrive au travail, une soignante et un soignant est donc loin d’être une personne « neutre » ou « vierge » de toute influence de l’extérieur. Même si, lors de mes études d’infirmier, on savait nous rappeler qu’en tant que professionnels, nous nous devions d’être…. « objectifs ». Evidemment, il s’agit, pour rester professionnel de savoir trancher, de savoir délimiter mentalement notre vie extérieure de notre vie professionnelle. Certaines personnes y arrivent mieux que d’autres voire peut-être trop bien d’ailleurs, mais penser, néanmoins, que ce qui se passe à l’extérieur, dans notre vie personnelle, n’a aucune incidence, jamais, sur notre vie professionnelle……
Concernant l’épidémie, il y a donc bien-sûr la « Guerre sanitaire » qu’on lui livre actuellement. Mais il en est une autre, plus personnelle et plus solitaire que chaque soignante et chaque soignant livre tous les jours comme tout un chacun. Et, cette guerre personnelle et solitaire, il n’y a qu’elle, il n’y a que lui, qui peut en parler, qui pourra en parler, car il s’agit de la sienne et elle n’intéresse que lui, ses intimes, et, peut-être quelques auteurs et quelques chercheurs qui s’intéresseront ensuite à ce genre de sujet.
C’est à propos de cette guerre-là que Zez m’a interrogé et que, spontanément, j’ai voulu me taire sous tout un tas de prétextes.
Même si j’ai fini par lui envoyer un sms où je lui ai proposé d’en parler à quelqu’un que je « connais» que je sais être engagé et qui, selon moi, serait plus « légitime » que moi pour parler.
Oui, « légitime ». Car c’est aussi ce que j’avais expliqué à Zez :
« Tu vas peut-être trouver ça étonnant mais je ne me sens pas légitime pour parler de ce sujet ».
C’était en effet très étonnant !
Depuis des années, je passe mon temps à réclamer la parole, à la prendre, à m’exprimer, que ce soit en écrivant et en me mettant en scène, quand je le fais, en tant que comédien, et par mes écrits et, là, on me demande de parler- j’ai quartier libre- de mon quotidien au cours de l’épidémie et je suis pressé de disparaître des radars.
J’ai réfléchi à ce sentiment d’illégitimité.
Premier constat : je me suis senti illégitime parce-que, par rapport à nos collègues des soins somatiques (chirurgie, urgences, réanimation, SAMU et autres….) la psychiatrie et la pédopsychiatrie traînent depuis longtemps ce sentiment d’infériorité. Je croyais m’être plutôt vacciné contre cette « supériorité » de la technique des soins somatiques qui m’avait été inculquée dès ma formation. Mon sentiment d’illégitimité m’oblige à me rendre compte que, en pleine «Guerre sanitaire » et alors que l’on parle d’urgence médicale et chirurgicale, un soignant en soins psychiatriques a moins de « valeur » et de « compétences » qu’un soignant de soins somatiques. Un soignant en soins psychiatriques apparaît, en pleine « Guerre sanitaire », comme un sous-soignant ou un soignant au rabais. Et, les quelques infirmières et infirmiers diplômés en soins psychiatriques qui restent pourront très certainement parler de cette déconsidération qui les a souvent concernés lorsqu’il existait encore deux diplômes d’infirmier : un, général, afin de pratiquer dans tous les services hospitaliers avec ou sans spécialisation (anesthésie par exemple). Un autre, en soins psychiatriques, pour pratiquer en psychiatrie, et, éventuellement, en gériatrie.
Pourtant, je sais suffisamment que toute Guerre provoque ses trauma et que l’on sera bien content, à ce moment-là, d’avoir des soignants en psychiatrie et en pédopsychiatrie. Que ce soit pendant la Guerre sanitaire actuelle ou après l’épidémie, on peut s’attendre à ce que les services de pédopsychiatrie et de psychiatrie révèlent aussi toute leur nécessité.
Mais, ça, c’était néanmoins de l’auto-analyse et de l’autodénigrement automatique.
Si nos collègues en soins somatiques ont d’évidentes aptitudes techniques que nous n’avons pas, ou oublions, en psychiatrie et en pédopsychiatrie, je me suis avisé ce matin qu’en fait, mon sentiment d’illégitimité était de toute façon antérieur au début de mes études afin de devenir infirmier. Et c’est mon second constat. Pourquoi ?
D’une part, parce-que je sais un petit peu de quoi est fait ma vie personnelle. Et, pour cela, je peux plutôt remercier mes expériences professionnelles et personnelles en psychiatrie.
D’autre part, parce-que je crois connaître un peu le monde infirmier, d’un point de vue personnel et professionnel, qu’il exerce dans un milieu général ou dans un milieu psychiatrique. Et lorsque j’ai expliqué à Zez qu’à « l’hôpital, la parole n’est pas libre », je parlais autant de la parole d’une infirmière ou d’un infirmier en soins généraux que d’une infirmière ou d’un infirmier en soins psychiatriques :
Parce-que ce n’est pas dans notre culture infirmière de prendre la parole. Même s’il y a des infirmières et des infirmiers qui prennent la parole. Et qui écrivent. Mais il s’agit d’une minorité. Et cette minorité est plus restreinte que la minorité de médecins somatiques ou psychiatriques et de psychologues cliniciens qui « parlent » et écrivent.
On n’est pas étonné d’entendre s’exprimer une personne qui sort de l’ENA ou de Polytechnique ou qui sort d’une école de la Magistrature ou d’une formation d’avocat. Ces professionnels sont formés et poussés à l’art oratoire, à apprendre à séduire l’auditoire comme à lui jouer du pipeau.
Et je ne serais pas surpris que, quelque part, dans le cursus de formation d’un médecin ou d’un psychologue, on retrouve ça : le fait d’être formé – et incité- au fait de s’exprimer, de « présenter un cas » mais aussi de réfléchir et pousser à réfléchir à son sujet.
Dans un film comme Elephant Man, la « créature » est recueillie par un médecin brillant qui en fait un cas clinique à même de critiquer la société. Pareil dans l’histoire de L’Enfant sauvage dont François Truffaut ( « né de père inconnu ») a réalisé un film. On ne parle pas d’une infirmière ou d’un infirmier que ce soit dans l’histoire de Elephant Man ou de L’enfant sauvage.
L’infirmier et l’infirmière en soins généraux ont bien les démarches de soins et ce qu’il en reste pour faire ça mais, disons, que ce n’est pas véritablement ce qu’on leur demande le plus. Ce que l’on demande le plus à une infirmière et à un infirmier en soins généraux, même s’il y a des variantes, c’est, d’abord : d’exécuter. Soigner. Soigner et exécuter intelligemment bien-sûr. De savoir pourquoi on réalise telle action pour soigner et comment. Et quand. Pas de penser à ce qu’est la vie en Société ou à ce qu’elle pourrait être, ou à ce qu’elle devrait être. L’infirmier diplômé en soins psychiatriques est sûrement différent. Mais il y en a de moins en moins. Le diplôme d’Etat d’infirmier qui prépare en priorité aux soins généraux a désormais le monopole en terme de formation infirmière. Et, je suis moi-même un infirmier diplômé en soins généraux ( donc diplômé d’Etat) qui a choisi d’aller travailler en psychiatrie il y a plus de vingt ans.
C’est peut-être pour ces raisons qu’hier, je me suis senti illégitime pour parler de mon quotidien durant l’épidémie lorsque Zez me l’a demandé. Alors que, lorsque j’y ai repensé dans la nuit, j’avais ce qu’il me demandait :
Il n’est pas nécessaire d’accomplir de grandes prouesses techniques pour prendre part à une « Guerre sanitaire ». Il y a bien des bénévoles qui aident à distribuer des repas ( ou des couvertures) pendant l’épidémie et personne ne contestera qu’en faisant ça, ils prennent part à la Guerre sanitaire contre l’épidémie.
En tant qu’infirmier, être présent pour assurer « la continuité des soins », pour remplacer des collègues malades ou absents, s’occuper des patients, que ce soit dans un service ou au téléphone, c’est déjà participer à la Guerre sanitaire alors que d’autres préfèrent sans aucun doute rester à l’abri chez eux et faire du télétravail. Et c’est, là aussi, un constat. Le Dr House et le Dr Ross ne sont pas les seuls à permettre que la résistance hospitalière l’emporte sur l’ennemi viral et bactérien qui présente des particularités mortelles.
Et puis, je me suis rappelé de mon journal intime. Hier après-midi, j’ai écrit ça dans mon journal après avoir parlé à Zez. Je n’avais pas prévu de le mettre dans cet article puisque j’étais encore dans mon sentiment d’illégitimité et qu’ensuite je me suis dit que j’allais lui proposer quelqu’un d’autre pour s’exprimer sous couvert d’anonymat ( j’ai évidemment retiré et modifié certains passages pour des raisons d’intimité et pour que ça serve l’article) :
« Identité en crescendo, album de Rocé.
Ma fille est dans sa chambre depuis 14h30/15h00 officiellement pour faire sa sieste.
Depuis la dernière fois que j’ai écrit dans ce journal, le couvre-feu a été déclaré par le Président Macron du fait de l’épidémie du coronavirus Covid-19. Il a pris effet cette semaine, mardi ou mercredi. Ma compagne et moi faisons partie des professionnels en première ligne de cette « Guerre sanitaire » qu’a évoquée plusieurs fois le Président Macron dans son allocution présidentielle lundi soir, je crois. Je travaillais cette nuit-là avec F… ma collègue de nuit depuis plusieurs années.
Il s’en est ensuivi une atmosphère assez irréelle : tout, pratiquement, tourne autour de l’épidémie. Confinement, plus de contrôles. Obligation d’avoir sur soi un laissez-passer sur soi en cas de contrôle quand on sort. Je n’ai pas encore été contrôlé mais j’ai vu des contrôles.
Dès l’allocution du Président Macron, j’ai décidé de reprendre mon vélo pour aller au travail. C’est plus loin que pour se rendre à notre ancien service ( 1h05 contre 40 à 45 minutes) mais, au moins, je suis à l’air libre et me farcis moins de contrôles ( des contrôleurs + les policiers) dans les transports en commun. Et puis, ainsi, je subis moins la diminution des transports en commun.
J’ai le moral. Mais je suis étonné de voir comme l’épidémie a opéré une véritable voire une totale occupation mentale de la plupart des esprits. Et nous n’en sommes qu’au début de l’épidémie en France. Je crois que des personnes vont devenir folles à force d’avoir la tête mangée par l’angoisse et en permanence fourrée dans la pensée du coronavirus Covid-19.
Il y a deux jours, un soir, à l’heure du coucher, j’étais au téléphone avec ma compagne lorsqu’elle s’est mise à pleurer. Soudainement. Cela m’a surpris. Je lui ai demandé si elle pensait que nous allions mourir. Elle m’a répondu qu’elle ne savait pas. Qu’elle était fatiguée. Je lui ai dit que je pense que nous ne mourrons pas. Ni elle, ni notre fille, ni moi.
Par contre, je crois qu’il est possible que quelqu’un que je connais meure du coronavirus. Puisque cette épidémie tue.
Rues désertes, transports en commun déserts, télétravail et confinement pour celles et ceux qui peuvent. Les supermarchés, les boulangeries, certains bureaux de tabac ainsi que certains points de presse sont ouverts. Tous les centres culturels et lieux publics divers sont fermés : médiathèques, musées, salles de concerts, salles de projection de presse, cinémas, piscines.
Notre fille, comme les autres enfants de soignants, est accueillie dans une école et un centre de loisirs dans notre ville. Cela lui permet de prendre l’air et de s’amuser avec d’autres enfants. Ses devoirs lui sont envoyés par sa maitresse via internet.
Quelques amis et proches s’inquiètent pour nous, ma compagne et moi, puisque nous sommes appelés à être en première ligne comme d’autres soignants. Pour l’instant, je suis plus inquiet de voir que nous perdons des libertés, que nous entrons dans un Etat policier, et que nous aurons beaucoup de mal à récupérer certaines de ces libertés après l’épidémie.
Je crois que savoir couper moralement de l’angoisse, bien se reposer, et, aussi, éviter d’être trop au contact avec des personnes trop angoissées, font partie des munitions à avoir avec soi pour supporter l’épidémie et la surmonter.
Je n’aime pas cette ambiance de folie générale hébergée par la majorité sur les réseaux sociaux par exemple. Tous les jours, tous les jours. Même s’il y aussi de la solidarité, de l’humour.
J’ai aussi appelé quelques amis et proches. Mais je vais aussi veiller à me reposer et à savoir me tenir à l’écart de celles et ceux qui sont trop angoissés. A couper mon téléphone portable.
Mes prochains articles sur mon blog seront si possible « hors » épidémie, hors du sujet de l’épidémie. Je vais aussi prendre soin de lire ( en ce moment, je lis La Dernière étreinte du primatologue et éthologue Frans de Waal, bon, le titre a un côté funeste mais je l’avais commencé avant le couvre-feu). Et écouter de la musique.
Avant le couvre-feu, nous pensions que X… serait la ville où nous aimerions vivre. L’épidémie va peut-être changer la donne. Sans notre métier, ma compagne et moi serions confinés en permanence lors du couvre-feu car nous n’avons pas de terrasse ou de jardin. Rester tout le temps dans son appartement, c’est usant. Même si on peut sortir pour faire des courses, emmener son enfant à l’école et faire un footing matinal ou emmener son animal faire ses besoins. Ou partir au travail pour celles et ceux qui ne peuvent pas faire du télétravail.
Hier soir, ma compagne et moi avons fait le même constat : nous étions vendredi et, en raison de l’épidémie, nous n’avions pas pu prendre le temps de nous occuper de notre fille afin qu’elle fasse ses devoirs. Nous en étions encore aux devoirs de mardi. Nous nous sommes dit qu’elle allait être pénalisée.
Ma play-list pour le moment :
1) A La Claire Fontaine 5:02 Manu Dibango Afro-Soul Machine [Disc 1]
2) No Monopoly On Hurt 2:55 Kennedy Milteau Segal CrossBorder Blues (2018) Blues
3) Mirza 3:52 Nino Ferrer Nino Ferrer Et Cie – La Vie Chez Les Automobilistes Pop
4) Verdi: Pater Noster 5:49 Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra & Chorus « Giuseppe Verdi » Verdi: Messa Solenne Classical
5) Rebellion In Heaven 4:17 Inna De Yard Feat. Cedric Myton Inna De Yard Reggae
6 ) The Wind Blew It Away – Qua Câu Gio Bay 7:33 Nguyên Lê Tales From Viêt-Nam Jazz
7) Fugue En Rire 2:44 Henri Salvador Ses Plus Grandes Chansons [Disc 2] Pop
8) Louxor J’adore 3:02 Katerine Robots après tout Chanson française
9) Andy 5:23 Les Rita Mitsouko The No Comprendo Rock
10 ) Dadoué 4:47 Njie (MJthriller) Best Of (MJthriller) Zouk
11) Verdi: Laudate Pueri 6:28 Eldar Aliev, Kenneth Tarver, Etc.; Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra « Giuseppe Verdi », Verdi Chorus Milan Verdi: Messa Solenne Classical
12) Kanou 3:52 Mamani Keita Kanou Pop ».
La personne que je pensais plus légitime que moi afin qu’elle parle à Zez de son quotidien pendant l’épidémie a répondu ce matin :
Elle ne se sent pas légitime pour en parler.
Peut-être que mon article va la faire changer d’avis ou inspirer d’autres personnes que je vais contacter et que celles-ci se sentiront suffisamment légitimes pour parler de leur quotidien au cours de cette épidémie. Ce serait bien d’avoir plusieurs points de vue.
L’occupant est « partout ». Même notre parole est occupée. Si l’on présentait devant moi un groupe de personnes en me sommant de dire qui est ou n’est pas contaminé, je serais incapable de répondre. Sauf, peut-être, si on me menaçait d’être exécuté. Et encore. Ça reste à voir. Je me montrerais peut-être héroïque. Pour une fois.
Comme on ne sait pas qui est contaminé ou peut être contaminé par l’ennemi, cet ennemi invisible, nous devrions, nous pourrions imaginer que tout le monde autour de soi est suspect. Tout le monde. Même si on ne le sait pas. Même si on n’ose pas le dire.
Il a suffi de quelques jours, nous en sommes à peine à la première semaine du couvre-feu, pour que déjà, une certaine forme de paranoïa se pose parmi nous comme on peut poser chez soi du papier peint que l’on est allé acheter dans un magasin. Cette forme de parano est autant notre ennemi que ce virus. Elle, aussi, nous occupe.
Face à cela, tout le monde s’organise comme il le peut. La plupart se confinent comme cela a été indiqué par les Autorités.
D’autres prennent l’air en donnant carte blanche à leurs angoisses et à leurs peurs sur les réseaux sociaux. Tout le temps. Tout le temps. Tout le temps. Il faut bien s’occuper.
D’autres sortent malgré les consignes. Enfin, c’est ce que l’on suppose car ces personnes que l’on voit dehors, on ne les connaît pas. On les aperçoit. On ne leur parle pas. On les évite et on les juge plus vite que d’habitude. Parce-que l’on a plus peur que d’habitude, on voit des collabos, des irresponsables et des idiots partout.
Cette occupation est très effrayante : lorsqu’elle devient visible, il est peut-être trop tard.
Voici pour moi, pour l’instant, l’une des plus grandes vérités de cette épidémie :
Nous n’avons jamais été libres.
Et lorsque tout cela sera « terminé », que nous fêterons la « fin » du couvre-feu et de la mort, que nous pleurerons et compterons nos défunts, que nous ouvrirons nos procès pour condamner celles et ceux qui nous ont trompés, nous oublierons peut-être rapidement que nous n’avons jamais été libres. Ce sera notre façon de continuer d’accepter que notre vie est, le plus souvent, occupée.
Je m’attends à ce que bien des records soient battus – et sans dopage- après cette période d’enfermement et de peur. Battre des records fait aussi partie de nos tentatives afin d’essayer d’oublier- d’exorciser- le fait que nous ne sommes pas libres.
Cet article fait partie d’un trio. Celui-ci est le premier du trio, suivi de Objectif de conscience
« Soleil ! Soleil ! ». On entendait d’assez loin cette voix rocailleuse alors que l’on se rapprochait du service en venant travailler. Ce patient enfermé dans sa chambre d’isolement, convaincu d’être Dieu, croyait pouvoir influer sur la marche du soleil.
Un autre jour, l’alarme incendie ou l’alarme anti-agression venait de se déclencher alors que je me trouvais avec ce patient dans le secteur protégé de son service. Tout s’était bien passé jusqu’alors avec lui. Pourtant, Je m’étais alors dit :
« Vu son état délirant, cela va être difficile de le faire retourner dans sa chambre…. ». J’avais à peine eu le temps de former cette pensée, que, de lui-même, ce Dieu-Soleil avait de lui-même réintégré sa chambre. Ce faisant, il m’avait en quelque sorte délivré de lui. Et, je pouvais donc me rendre à l’endroit où l’alarme s’était déclenchée et où un renfort était peut-être nécessaire.
On pourrait être étonné par l’extraordinaire faculté d’adaptation ainsi que par la très grande lucidité de celles et ceux que l’on dénomme les « fous » qu’ils soient hospitalisés en psychiatrie ou qu’ils soient en « liberté ».
Cette histoire fait partie de celles que j’aime raconter. Elle a plus de vingt ans. L’Humanité a peu changé en plus de vingt ans. Il y a plus de vingt ans, nous avions un certain nombre de peurs et d’inquiétudes qui sont toujours présentes aujourd’hui. Au moment de choisir une destination de voyage. Un mode de déplacement. L’endroit où nous allons habiter. L’école où nous allons inscrire nos enfants. Le genre de personnes que nous allons fréquenter. Pour choisir celle ou celui avec lequel nous allons « faire » notre vie. Lorsqu’il s’agit de changer d’emploi, de métier, de pays ou de région. Le concert où nous allons nous rendre. Le plat que nous allons prendre au restaurant. Le film que nous allons voir.
Bien-sûr, depuis quelques jours et les mesures et restrictions décidées par le gouvernement afin d’endiguer les conséquences de l’épidémie que nous connaissons, un certain nombre de ces actions et activités ont été limitées et sont contrôlées. Le « temps » de l’épidémie. Officiellement.
J’écris « officiellement » car j’appréhende beaucoup qu’après l’épidémie, fort de certains chiffres et de résultats que le gouvernement saura nous asséner, que certains contrôles deviennent une norme inacceptable et inconcevable avant l’épidémie.
Précisons tout de suite : il y a du bon dans les contrôles. On contrôle bien son poids. Sa tension artérielle. L’argent que l’on dépense. Le nombre de verres d’alcool que l’on boit avant de reprendre le volant. S’il fait beau ou froid dehors avant de sortir. Si l’on dispose d’assez de nourriture et de boissons lorsque l’on reçoit des invités et que l’on fait la fête.
Et je m’attends à ce qu’avec la multiplication des contrôles du fait de l’épidémie, et le couvre-feu, que diverses sortes de criminalités diminuent, que la menace anti-terroriste recule. Avant hier soir, je crois, je me suis imaginé ça en passant devant un coin de rue :
» ça fait drôle de voir un dealer qui porte un masque chirurgical dans la rue ».
On sait aussi qu’une moindre circulation routière et une moindre activité « humaine » fait du bien à l’atmosphère de la planète et du pays. Même si on sait aussi nous dire que cela est catastrophique pour l’économie et les finances même si certains en profitent pour faire un très bon chiffre d’affaires ou pour y gagner en popularité :
Du revendeur et du producteur de papier toilettes à certains financiers en passant par d’autres activités. Je veux bien croire que mon blog, comme d’autres blogs, d’autres sites, et bien des auteurs, sera un peu plus lu en ce moment qu’avant la période de l’épidémie.
Mais c’est la fréquence des contrôles, leur justification et leurs caractères obligatoires qui peuvent devenir oppressants et rendre certaines réactions et certaines résistances….explosives.
En y repensant, je me suis aperçu que ce je dis et ressens vis-à-vis d’un « contrôle » qui nous est fréquemment imposé, s’applique autant à la façon dont nous éduquons nos enfants où nous avons beaucoup tendance à les « contrôler » ou à vouloir les « contrôler ». Mais aussi à ce que peuvent vivre des détenus…en prison. Hier, j’ai lu que les conditions de prévention sanitaire dans des cellules de prison déjà surchargées étaient pratiquement irréalisables. On peut donc s’attendre à des émeutes prochainement dans certaines prisons comme dans tout endroit qui cumulera trop d’enfermement et trop de contrôle. Et pas assez….de folie.
J’ai véritablement compris ce matin la raison pour laquelle, en apprenant les mesures relatives au couvre-feu, la diminution des transports etc…, j’avais d’un seul coup éprouvé le besoin de me rendre au travail au vélo. Alors que cela m’impose une certaine contrainte physique :
Prendre les transports en commun, le métro, s’est s’enfermer. Se priver de l’air et de la lumière extérieure. C’est accepter de se déplacer dans un espace restreint avec peu de possibilités d’échappatoires en cas de besoin ou si je le souhaite. Quand je le souhaite.
Je ne suis pas particulièrement claustrophobe. J’aime beaucoup prendre les transports en commun. En région parisienne, je préfère largement prendre les transports en commun à conduire ma voiture. Et je ne suis pas particulièrement inquiet à l’idée d’être contaminé parce-que j’aurais partagé un espace public confiné dans les transports en commun.
Par contre, savoir qu’aux contrôles de titres de transport déjà fréquents bien avant l’épidémie, vont désormais s’ajouter, en toute légalité, d’autres contrôles pour, officiellement, des raisons sanitaires du fait de l’épidémie. Tout en sachant que chaque fois que l’on appose notre pass navigo sur une porte de validation, notre itinéraire est déjà contrôlé ; et que chaque fois que notre téléphone portable ou notre ordinateur est allumé qu’il est possible non seulement de contrôler notre itinéraire mais aussi notre activité…..
Toutes ces mesures de contrôles et d’enfermement ont soudainement fait trop pour moi. Même si, je le répète, j’approuve toutes les mesures de précautions sanitaires et m’applique à les suivre de mon mieux comme la majorité des citoyens de France et des pays concernés par l’épidémie.
Je veux pour preuve de ce « trop-plein » d’enfermement et de contrôle le premier rêve que j’ai faitcette nuit directement inspiré de l’épidémie.
Dans mon rêve, il n’était pas question d’un hôpital, de patients exsangues, ou de moi, ou d’un proche, mourant sur un lit d’hôpital alors que ces éventualités sont pourtant probables.
Dans mon rêve, il était question….d’un Etat policier et de contrôles permanents. Voilà ce qui, pour l’instant, m’inquiète et m’épouvante plus que le coronavirus Covid-19.
Je devrais être content d’être dans un pays puissant qui dispose d’un gouvernement qui essaie de son mieux de prendre la mesure de l’épidémie afin d’éviter qu’elle se répande et tue beaucoup de gens. Mais ce sentiment, s’il est présent, reste habité, infecté, percé, par un très grand sentiment de défiance envers ce même gouvernement.
Je n’ai pourtant rien, spontanément, je me répète, contre les contrôles, la police et l’Etat.
Mais ce qui fait la différence entre ma fille qui, ce matin, alors que je la ramenais à l’école, m’a dit « J’adore la police. Parce-que la police est là pour nous protéger et arrêter les méchants » et moi, c’est, sans doute, la somme de tous ces contrôles, leur fréquence comme leurs justifications, que j’ai déjà vécus et subis comme la majorité des citoyens.
Et, cela, bien avant l’épidémie.
Et, j’ajoute tout de suite que, ici, je me mets dans le même lot que n’importe quel citoyen, blanc ou noir. En excluant tout critère racial.
Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu à venir, lorsque j’ai décidé de reprendre mon vélo pour aller au travail, je ne me suis pas dit :
« Avec ma tête de noir, je suis bon pour battre tous mes scores de contrôles au faciès ! ».
Même si je peux imaginer que des noirs mais aussi des Arabes ou des asiatiques se sont peut-être dit, eux, qu’avec le couvre-feu et la multiplication des contrôles, qu’ils allaient en bouffer, des contrôles, pendant l’épidémie.
Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu, je me suis simplement dit – sans prendre le temps de réfléchir- que ce serait bien et mieux de rester à l’air libre. Et de moins subir le fait qu’il y ait moins de transports en commun. De ne pas avoir à attendre une demie heure ou plus pour avoir un train.
Les faits m’ont déjà donné un peu raison.
Hier matin, une collègue a appelé vers 6h10. Elle était contrariée et semblait culpabilisée :
Il n y avait pas de train près de chez elle. Elle ne savait pas quand il allait y en avoir un. Et elle ne savait pas à quelle heure elle allait pouvoir arriver dans le service. Cette collègue censée commencer à 6H45 arrive habituellement avec dix à quinze minutes d’avance. Elle est donc un modèle de ponctualité.
Notre autre collègue qui commençait également à 6h45 a, en temps ordinaire, plus de difficultés pour arriver à l’heure dans le service.
Depuis le « déménagement » provisoire de notre service, cette seconde collègue met environ une heure trente pour venir dans le service en prenant les transports en commun.
Avec le « déménagement » de notre service, certains collègues ont vu leur temps de trajet diminuer et d’autres, sensiblement augmenter. Je fais partie des chanceux :
Par les transports en commun, mon trajet a été augmenté d’environ dix minutes, ce qui est peu. Par contre, à vélo, comme je l’ai écrit plus ou moins ( Vent d’âme) mon trajet a été augmenté de vingt bonnes minutes. C’est un effort physique supplémentaire supportable à condition de bénéficier d’un minimum d’entraînement et à condition, évidemment, de pouvoir bien récupérer entre les périodes d’effort. Je rappelle que je travaille de nuit et que le travail de nuit comporte certaines conséquences sur la santé très bien connues depuis des années par la médecine du travail. Même si, pour l’instant, à part quelques moments de fatigue, je m’accommode, je crois, plutôt bien du travail de nuit. Et je m’en accommode aussi parce-que c’est mon choix, pour l’instant, de rester de nuit dans ce service.
Hier matin, ma collègue embêtée par son retard incompressible, est finalement arrivée bien plus tôt que ce à quoi je m’attendais. En sueurs, assez contrariée, elle m’a dit avoir « speedé » pour venir. Au téléphone, j’avais pourtant fait mon possible pour dédramatiser la situation. Ma collègue de nuit et moi pouvions attendre. Nous connaissions très bien le contexte. Par ailleurs, j’ai toujours en tête ce qu’avait pu me dire mon ancien ami et collègue, Scapin, Bertrand pour l’Etat-civil, décédé d’un cancer quelques années avant de prendre sa retraite :
Se dépêcher lorsque l’on est en retard, c’est courir le risque de l’accident idiot qui peut être mortel.
Scapin n’avait pas eu besoin de forcer pour me convaincre de ce genre de raisonnement. J’ai longtemps été un retardataire chronique et cela m’arrive encore d’être en retard.
Lorsqu’il n’y a pas d’urgence.
J’essaie de faire le tri et la différence entre les véritables urgences….et les fausses urgences. J’ai continué à apprendre à le faire lorsque j’ai travaillé dans un service d’hospitalisation de psychiatrie adulte il y a plus de vingt ans. J’avais commencé à apprendre à le faire auparavant en travaillant comme vacataire et comme intérimaire. En prenant certaines personnes et certaines situations pour modèles. En faisant le ratio entre le stress ressenti, maximal, et le résultat final d’un certain nombre de situations vécues au travail mais aussi dans la vie. Après avoir conclu un certain nombre de fois :
» Tout ça ( autant de stress et d’inquiétudes, tout un pataquès ) pour ça ?! « .
J’étais sans doute volontaire pour ce genre d’apprentissage. Cet apprentissage s’accorde peut-être assez bien avec mon tempérament. Avec mes croyances. Avec, aussi, ce que j’imagine, à tort ou à raison, de mes capacités réelles et supposées d’adaptation en cas de problème.
L’anxiété et la peur nous font souvent voir des situations d’urgences là où, en fait, nous avons affaire à des fausses urgences.
C’est ce que je crois d’après mes expériences.
Mais il me sera difficile de convaincre celles et ceux qui voient des urgences à peu près partout et qui ont aussi de l’expérience :
Cette attitude et cette vision des événements n’est pas une science exacte ni démontrable. Même en donnant des exemples « concrets ». Le sentiment de vulnérabilité et d’impuissance fluctue d’une personne à un autre.
Et puis, voir des urgences partout est une façon personnelle de s’adapter aux échéances. De se préparer ou de se « sentir » prêt.
Les façons de s‘adapter à une même échéance peuvent énormément varier d’une personne à une autre selon les environnements : une personne très à l’aise dans un environnement donné peut complètement perdre ses moyens dans un autre environnement à un point inimaginable.
Je me rappelle avoir recroisé une étudiante infirmière qui avait effectué un stage dans le service de psychiatrie adulte que je mentionne dans le début de cet article. Lors de son stage, cette jeune étudiante ne m’avait pas marqué par une aisance particulière. Lorsque je l’ai revue plusieurs années plus tard, je reprenais des cours de plongée dans un club en région parisienne. Et, nous avions à nous immerger dans une fosse pouvant atteindre les vingt mètres de profondeur. Cette étudiante-infirmière, qui était peut-être diplômée depuis, n’était alors plus dans la situation de l’étudiante face à un infirmier. Et elle n’était plus, non plus, dans un service de psychiatrie. Elle était dans un univers aquatique où, de toute évidence, elle avait ses marques et une grande aisance. Alors que moi, je reprenais la plongée après plusieurs années d’inactivité dans ce club que je découvrais. Hé bien, ce jour-là, le grand anxieux et l’inadapté, ce fut moi sans aucune discussion. Qu’est-ce que je fus ridicule peut-être lors de cette séance lorsqu’il fut question de nous jeter à l’eau depuis un plongeoir, tout harnachés de notre équipement de plongeur ! Ridicule, hors de propos, pas dans le coup, flippé. Un vrai sketch comique.
De temps à autre, j’essaie de me rappeler, comme, selon les circonstances, nous sommes beaucoup moins assurés et beaucoup moins beaux à avoir que lorsque nous évoluons dans un univers que nous connaissons et maitrisons. Mais, aussi, que celles et ceux qui nous « commandent » ou nous épatent, sont aussi exactement pareils une fois sortis de leur domaine de compétences et de prédilection. Ce que nous avons pourtant souvent bien du mal à imaginer et à accepter.
Et puis, il y a aussi du bondans le fait d’être entouré de certaines personnes anxieuses ou prévoyantes comme de savoir les écouter. Car l’excès d’assurance peut nuire.
Et, évidemment, il existe bien-sûr des façons communes de réagir à une même échéance.
Certaines urgences sont indiscutables.
Hier matin, pour moi, mes deux collègues du matin pouvaient prendre leur temps pour arriver. Je savais que leur retard leur était imposé par les circonstances. Je savais que j’avais de la marge pour les attendre. Il n’y avait pour moi pas d’urgence à ce qu’elles arrivent. Le service était calme. Et si nécessité il y avait, ma collègue de nuit et moi aurions pu nous occuper des patients en attendant l’arrivée de nos collègues du matin. Du reste, en les attendant, je me suis rappelé que j’avais dans mon vestiaire une enceinte portable. Je suis allé la chercher et ai raccordé mon baladeur audiophile pour lancer le titre Reggae Makossa de Manu Dibango.
Plus tard, et alors que la musique continuait de tourner là où je l’avais laissée , lors de ma conversation avec ma collègue du matin dans la salle de soins , celle-ci m’a répondu avoir renoncé à venir à vélo dans notre « nouveau » service :
D’une part, elle s’était faite très peur en passant par l’Arc de Triomphe en raison de la densité de la circulation routière. C’était avant le couvre-feu et avant que l’épidémie prenne autant d’ampleur. Je n’ai pas discuté son propos. Je me rappelle encore d’une anecdote qu’un kiné m’avait raconté il y a plusieurs années : une connaissance, qui avait principalement vécu quelque part en Afrique, s’était retrouvée sur l’Arc de Triomphe en voiture. Cette personne avait tourné pendant une demie-heure autour de l’Arc de Triomphe avant de réussir à en sortir.
D’autre part, toujours pour cette collègue, l’effort physique pour venir à vélo dans notre « nouveau » service avait été si éprouvant qu’en arrivant dans le service, elle était au bord du malaise. Et elle avait dû prendre le temps de récupérer de son effort avant de pouvoir prendre son service.
Le repos, la capacité de récupérer physiquement et mentalement, de savoir se limiter, mais aussi de s’y autoriser, fera partie de la solution pour gagner la « Guerre ».
Cette vérité-là, concrète, je doute que le Général Macron l’ait prise en compte lors de l’effort de guerre qu’il a demandé aux soignants dans son allocution. Ou alors il connaît cette vérité et en a rajouté une couche en parlant et en reparlant de « Guerre sanitaire » pour enjoindre et pousser les soignants à se lancer, à se jeter pratiquement tête baissée, sans prendre le temps de respirer, dans le combat contre l’épidémie :
Avant toute épidémie, quelle qu’elle soit, et avant d’être « mobilisés » ou « réquisitionnés » par leur hiérarchie ou des circonstances sanitaires particulières, les soignants sont avant tout des personnes engagées qui ont une conscience morale et professionnelle et qui travaillent dans des conditions qui peuvent être particulièrement exigeantes et contraignantes.
Les soignants sont souvent des personnes qui s’autocontrôlent et s’autocensurent d’elles-mêmes en permanence.
Elles se mettent d’elles-mêmes, et toutes seules, une grande pression. Elles ont souvent un sens des responsabilités, du Devoir, mais également de culpabilité et d’autocritique particulièrement élevé.
Ce qui est souvent bien pratique pour les manager. Et les maltraiter.
Oui, j’ai bien écrit « soignants » car dans mon article Vent d’âme , j’ai beaucoup centré mon attention sur le personnel infirmier. Alors qu’évidemment, il y a d’autres professionnels et d’autres métiers soignants que celui d’infirmier. Et que l’on peut du reste ajouter tout le personnel socio-médical, administratif ainsi que le personnel de ménage et hôtelier lorsque l’on parle d’un établissement de soins.
Il faut aussi ajouter le personnel technicien. Car un établissement de soins tient aussi grâce à son personnel technicien :
Lorsqu’un ascenseur tombe en panne, que l’informatique se déchausse et se dérègle, ou qu’un incendie débute, il faut bien faire appel à des techniciens. Et c’est tout ce personnel soignant et non-soignant qui permet à des lieux de soins de tenir et de bien fonctionner. Pas uniquement le personnel infirmier ou médical.
Et, sans doute, aussi, doit-on ajouter dans cet organigramme, à côté des services de direction… les syndicats. Les syndicats qui ont connu une certaine désaffection par rapport à il y a vingt ou trente ans, sont des organisations, du moins à l’hôpital, pour ce que j’en vois, souvent constituées de personnel hospitalier initialement soignant comme non-soignant.
Tout le personnel, soignant et non soignant, syndiqué ou non syndiqué, indispensable à la bonne marche d’un lieu de soins, a, connaît, vit, un certain nombre de contraintes personnelles et professionnelles variables en dehors de tout contexte d’épidémie.
Certaines de ces contraintes peuvent être le fait de tomber malade. Car, oui, du personnel soignant et non-soignant, hors de tout contexte d’épidémie, ça tombe aussi malade. Où ça a des enfants ou des proches qui tombent malades comme tout le monde hors de tout contexte d’épidémie. Et ce personnel soignant et non-soignant, ne bénéficie pas toujours des égards auxquels il pourrait avoir droit lors de ces circonstances de maladie et autres qui l’empêchent de se rendre au travail. D’où la raison pour laquelle, oui, j’ai bien écrit le mot « Maltraiter ».
Avant l’épidémie, dans mon hôpital, il y avait régulièrement du personnel manquant dans un certain nombre de services. Dont le mien. Pour raisons de maladies qui n’ont rien à voir avec l’épidémie. Pour des arrêts de travail. Mais aussi du fait de départs de personnels non remplacés.
Alors, en période d’épidémie et de « Guerre sanitaire », je vous laisse imaginer ce qu’il peut être possible, pour certains managers et décideurs, d’exiger du personnel soignant et non-soignant pour combler ce manque de personnel. Pour des raisons « d’éthique », de « solidarité ».
Et je ne crois pas que le Général Macron soit bien au fait de tout cela. Ses différents intermédiaires se garderont bien de lui faire part de ce genre d’informations. D’autant qu’un Général en pleine guerre peut avoir bien d’autres préoccupations que de s’assurer du bien-être de ses soldats.
Je le précise tout de suite :
Dans mon service, je nous crois , pour l’instant, préservés de ces travers en termes de maltraitance. Nous sommes plutôt solidaires. Du médecin-chef, à la cadre de pôle jusqu’à la femme de ménage.
Par exemple, un des praticiens hospitaliers du service avait créé un groupe What’S App plusieurs semaines avant qu’on en arrive au couvre-feu et aux mesures actuelles. Et ce groupe What’s App permet bien des échanges d’informations concernant les adaptations à faire au vu du contexte ainsi que d’informations qui permettent de déminer le climat anxiogène actuel.
Mais je « connais » suffisamment, je crois, mon environnement professionnel, ainsi que d’autres soignants ailleurs, pour savoir ce que le mot « Maltraiter » peut vouloir dire concrètement, dans le milieu hospitalier lorsque l’on y exerce en tant que soignant. Ou non-soignant.
Si j’ai autant pris le temps d’écrire tout ça, c’est parce-que, l’on a vite fait de dresser un portrait convenable et présentable de l’engagement des soignants en occultant ce qu’il peut y avoir derrière comme souffrance personnelle et professionnelle du côté des soignants ( mais aussi du côté des non-soignants), et, cela, bien avant l’épidémie qui nous occupe en ce moment.
Maintenant, que j’ai écrit ça, passons aux bonnes nouvelles, car il y en a.
Ça passe évidemment par ces initiatives diverses sur les réseaux sociaux. Avec des chaînes de solidarité et de reconnaissance envers les personnels soignants.
Par des messages d’amis.
Par la solidarité qui peut exister au sein de certaines équipes et dans certains services.
Par cette initiative de l’Opéra de retransmettre gratuitement sur le net certains de ses spectacles. Une collègue nous en a informés.
Par des actions comme celle de ce réalisateur, de ce caméraman et de ce danseur croisés devant le Louvre.
Le danseur Dany, avec le réalisateur Cyril Masson. Je ne connais pas le prénom du cameraman.
Un certain nombre de lieux publics sont aujourd’hui fermés. Les cinémas et les médiathèques par exemple. Les salles de cinéma sont fermées jusqu’au 15 avril pour l’instant. Les projections de presse ont été annulées jusqu’à cette date pour le moment. Bien d’autres manifestations artistiques et culturelles ( concerts, expositions….) ont été toutes autant suspendues du fait de l’épidémie.
En circulant à vélo, je suis passé plusieurs fois devant l’affiche du film Brooklyn Secret qui devait sortir ce 18 mars et à propos duquel j’ai écrit ( Brooklyn Secret ). Je sais par un mail des attachés de presse que la sortie de ce film, comme celle de bien d’autres films, est repoussée à plus tard. Cela m’a rappelé que je n’ai toujours pas écrit d’article sur les derniers films que j’avais vus au cinéma avant le couvre-feu :
L’appel de la forêt, EMA mais aussi Kongo. J’ai toujours prévu de le faire.
Hier matin, en revenant du travail à vélo, j’ai été étonné de voir autant de personnes effectuer un footing matinal. Pratiquement autant de femmes que d’hommes. Je me suis demandé si cela était dû au fait que les températures extérieures, depuis quelques jours, sont plutôt douces ( 17 degrés hier à Paris) et que l’on se rapproche du printemps ( le 21 mars). Ou si l’obligation de confinement pousse davantage certaines personnes à aller évacuer leur trop-plein d’enfermement et de télétravail en allant par exemple courir dans des rues de Paris désormais plutôt désertes. Il y a un ou deux jours, près de chez nous, des jeunes d’un foyer jouaient bruyamment dehors au basket alors qu’ils auraient « dû » plutôt éviter les contacts avec l’extérieur. Si leur attitude est contraire aux règles sanitaires décidées pour éviter et limiter la contagion, cette partie de basket leur a peut-être aussi permis d’évacuer un trop-plein d’anxiété et de stress et les aidera peut-être aussi à supporter moralement les nouvelles restrictions décidées concernant les déplacements à l’extérieur et les regroupements.
En rentrant mon vélo dans son local, hier matin, je suis tombé, dans le hall de l’immeuble, sur un mot d’une personne qui avait scotché l’exemplaire désormais nécessaire d’attestation de déplacement dérogatoire. Cette voisine avait ajouté un mot dans lequel elle expliquait comment obtenir ce formulaire. Mais elle fournissait également son numéro de téléphone portable afin d’aider aux courses. J’imagine qu’il est d’autres initiatives comme celle-là à d’autres endroits.
J’ai bien-sûr appelé et contacté quelques personnes afin de m’assurer qu’elles vont bien. J’en contacterai sûrement d’autres.
Si j’ai exprimé mes réserves envers le gouvernement, je reconnais évidemment le bien-fondé des mesures de précautions sanitaires qu’il préconise.
Certains amis m’ont témoigné leur inquiétude du fait de mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie. Parce-que, comme bien des soignants, je suis exposé plus que d’autres au virus. C’est vrai. Mais je peux sortir pour aller travailler et donc prendre l’air. Et, je peux plus ou moins agir. En espérant que mon action soit plus bénéfique que porteuse du virus. Lors des grandes catastrophes, les personnes qui peuvent- aussi- avoir le plus de mal à s’en remettre sont celles et ceux qui ont été principalement spectatrices ou victimes de la catastrophe. Celles et ceux qui agissent, s’ils peuvent mourir ou se voir infliger des blessures ou des douleurs du fait de la catastrophe, se sentent au moins utiles. Ne serait-ce que pour remplacer une collègue ou un collègue malade ou absent. Ou en retard. Et puis, face à l’épidémie, je ne suis pas seul. Tout cela, en plus des encouragements adressés de part et d’autres aux soignants, change beaucoup la donne.
Sur la première photo de cet article, prise près du Louvre avant hier matin, en revenant du travail, on peut voir des barrières. Lorsque je suis passé hier matin au même endroit, et à peu près à la même heure, toujours à vélo, en plus des barrières, trois maitres-chiens étaient présents de part et d’autre de la pyramide du Louvre. Cette présence m’a intrigué.
Les photos pour cet article ont été prises entre le 17 au matin et ce matin, le 19. Parmi elles, des photos d’articles de presse, ou de couvertures de la presse.
A priori, toutes ces barrières devant la pyramide du Louvre gâchent la vue sur la première photo de cet article. Mais en la regardant ce matin, je me dis qu’elle est très bien comme ça :
Car on voit bien que le soleil passe à travers. Soleil ! Soleil !
Selon les principes de la Commedia dell a’rte, nos masques sont nos vrais visages. Il est bien des cultures et bien des pratiques ignorées et disparues où l’on porte des masques en certaines circonstances. Et c’est un combat, parfois de toute une vie, que d’échapper à ces visages ou, au contraire, de les accepter.
Nos peurs sont sans doute aussi nos véritables visages ainsi que nos véritables voix. Aucun maquillage, aucune mise en scène et aucun angle mort ne sera suffisamment résistant et solide pour les obliger à se tenir dociles indéfiniment. Un jour ou l’autre, nos peurs défileront et parleront pour nous. Qu’on les y autorise ou non.
Nos peurs connaissent nos rêves et nos cauchemars. Nos peurs, nos rêves, nos cauchemars, nos voix et nos visages, voici ce qui nous définit tous à un moment ou à un autre.
Et l’épidémie, que ce soit celle aujourd’hui du coronavirus Covid-19 ou une autre (la crise sanitaire actuelle me fait beaucoup penser à celle du Sida dans les années 80 pour cette ambiance de fin du monde et d’effondrement qui semble se refermer sur nous ) fait partie de ces expériences propres à permettre notre métamorphose :
Nous vivons plein d’expériences depuis notre naissance qui nous inclinent vers certaines métamorphoses. La plupart de ces expériences sont invisibles. Une épidémie, une grève – comme celle des transports il y a encore quelques mois en région parisienne afin de protester contre la réforme des retraites- une guerre, une catastrophe ou un attentat terroriste font partie de ces expériences visualisables et indéniables qui nous obligent à nous transformer. Et notre transformation est notre façon de nous adapter à l’événement. On peut louer, regretter, reprocher ou pleurer cette adaptation :
Mourir est aussi une certaine forme d’adaptation. Même si selon certaines croyances et certaines valeurs, mais aussi selon nos peurs, mourir est plutôt une adaptation qui a échoué et qui, en plus, peut être très douloureuse et très angoissante.
Mais même si nous nous aimons et nous côtoyons tous les jours, lorsque nous nous aimons et nous côtoyons, nous ne sommes pas – toujours- faits des mêmes rêves, des mêmes cauchemars et des mêmes peurs. Et nos choix comme nos rituels afin d’essayer de composer avec eux peuvent être très différents de ceux que l’on aimerait pour nous ou que l’on estime « faits » pour nous.
Mais je n’ai pas la science infuse pour parler de tout ça. Je raconte sans doute énormément de conneries comme à peu près tous les jours. J’ai peut-être attrapé froid en rentrant tout à l’heure, à vélo, du travail. J’essaie d’attraper ce qui me reste de ces idées qui me sont venues après une nuit- tranquille – de travail dans le service de pédopsychiatrie où je suis en poste depuis quelques années.
Je suis partagé entre prendre toutes mes précautions pour ne pas m’enrhumer, rester disponible devant une éventuelle sollicitation sociale du téléphone portable, qu’il est un peu plus difficile d’éteindre au vu du contexte de l’épidémie -depuis le couvre-feu décidé hier par le gouvernement et qui deviendra effectif dès ce soir – et aller voir si je peux aller faire quelques courses alimentaires en espérant qu’il n’y aura pas trop de monde.
Hier soir, j’ai repris mon vélo pour aller au travail. Lorsque j’ai entendu que, par précaution sanitaire, il y aurait moins de transports en commun et aussi que nous devrions respecter, autant que possible, une distance de un mètre entre chaque passager, je me suis dit que j’allais reprendre mon vélo autant que je le pourrais.
D’une part, parce-que j’avais déjà envie de le faire : s’enfermer dans le métro, subir régulièrement des contrôles de titre de transport, monter et descendre des escalators a quelque chose d’usant alors que faire du vélo permet d’éviter certains de ces désagréments en même temps que de rester à l’air libre. Et de faire un peu de sport en même temps que de découvrir son environnement autrement.
Hier soir, j’ai ainsi découvert un nouvel itinéraire puisque notre service a déménagé il y a plusieurs semaines en raison de travaux dans notre service « originel ». Notre service a donc été provisoirement délocalisé. Le trajet est désormais plus long à vélo pour aller au travail. J’ai sûrement fait quelques petites erreurs de parcours. Et j’ai roulé prudemment. Sans chercher à remporter une épreuve contre-la-montre. Je pensais mettre 45 minutes. J’ai mis vingt minutes de plus. Soit j’ai beaucoup vieilli ces dernières semaines. Soit j’avais tout simplement surestimé mes capacités de rouleur. La seconde option est la plus vraisemblable. Mais la première va aussi se vérifier un jour ou l’autre. C’est inéluctable.
Je suis passé devant le Louvre. Il y a pire comme itinéraire. Mais je ne pouvais pas m’arrêter pour prendre des photos. Ça, je l’ai fait ce matin. En rentrant du travail.
Je vois deux aspects face à une épidémie :
Les dispositions et les précautions sanitaires, logistiques incontournables ( se laver les mains, éviter les contacts, limiter ses déplacements, se protéger et protéger les autres etc…) que l’on s’applique à suivre de son mieux.
Et notre attitude vis-à-vis de l’épidémie. Nous sommes vraiment très différents les uns des autres. Impossible d’échapper au sujet du Coronavirus Covid-19 depuis quelques jours. Et c’est d’autant plus impossible depuis l’allocution présidentielle d’hier soir d’Emmanuel Macron qui a parlé et reparlé de « Guerre Sanitaire » et a officialisé le couvre-feu à partir de 18h ce soir ou demain.
Hier soir, au travail, j’ai prévenu ma collègue que je n’allais pas passer la nuit à regarder et à discuter de l’allocution du Président Macron concernant l’épidémie du Coronavirus Covid-19. Elle a acquiescé. J’avais réagi de la même manière lors des attentats du Bataclan. Une autre collègue- que j’aime aussi beaucoup- cette nuit-là, avait un moment voulu allumer la télé pour « voir » et pour « avoir plus d’infos ». Je lui avais répondu :
« Tu peux. Mais sans moi ! ». Ma collègue avait choisi de laisser la télé éteinte. Peut-être s’était-elle ensuite rattrapée chez elle.
Samedi matin, au travail, après que les jeunes hospitalisés se soient farcis plusieurs tours d’informations concernant le coronavirus Covid-19 sur BFM, je les ai obligés à changer de chaîne de télé. J’estime que c’est aussi notre rôle de personne responsable et de professionnel, que de limiter cette intoxication permanente que certaines informations anxiogènes répétées nous impose.
Dans le service, les jeunes ont alors remis une chaine de clips musicaux. Puis, avec ma collègue, nous avons proposé une sortie que les jeunes ont acceptée. C’était il y a quelques jours. Et c’était déjà à une « autre époque ». J’en parle un peu dans l’article Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020.
Décider de me « calfeutrer » mentalement contre des informations sinistres et permanentes ne m’ empêche pas de regarder, d’écouter ou de lire ce qui se passe autour de moi. C’est ce que j’avais fait dans les transports dès le lendemain « des » attentats du Bataclan. Cela a été pareil ce matin alors que je rentrais à vélo.
Si je me suis concentré- avec mes photos- sur les bons moments de ce retour « cycliste », j’ai bien vu, devant le centre commercial So Ouest , à Levallois, cet attroupement de personnes qui faisait la queue vers huit heures. Je m’en demandais la raison. Plusieurs centaines de mètres plus tard, après avoir vu un peu plus de gens portant des masques dans la rue et d’autres personnes faisant la queue devant des pharmacies encore fermées, j’en ai déduit que toutes ces personnes faisaient la queue sans doute pour acheter des masques de protection et peut-être aussi des solutions hydro-alcooliques. Plus tard, j’ai aussi aperçu des personnes qui attendaient l’ouverture de la Western Union.
Je pense aussi au Coronavirus Covid-19. Ne pas en parler, ne jamais y penser, revient à un moment donné à être dans le déni. Il m’est donc impossible d’éviter d’y penser. Mais tout est dans la façon de laisser ce sujet s’emparer de notre âme. Certaines personnes sont déjà à « bloc ». On en est au tout début des mesures les plus strictes et, déjà, un certain nombre de personnes n’ont que le Coronavirus comme perspective. Tout tourne autour de lui. Concernant le Sida, il y avait une campagne qui disait, je crois :
« Le Sida, il ne passera pas par moi ! ». Pour le Coronavirus Covid-19, j’aimerais bien-sûr affirmer la même chose. Mais je ne peux pas le confirmer. Peut-être que lorsque l’épidémie sera passée, que je ferai partie des maccabées nouveaux-nés. Peut-être que des proches ou des connaissances en feront partie aussi. Alors qu’aujourd’hui, pour moi, ces éventualités sont impensables. Mais il était impensable pour moi il y a encore deux semaines que l’épidémie du Coronavirus Covid-19 nous fasse autant de mal ou puisse nous faire autant de mal. Mon article Coronavirus posté il y a trois semaines ne fait pas vraiment un pronostic très alarmiste. Même si je parle en filigrane de cet affolement qui surviendrait en cas de rupture de stocks de masques FFP2, je parle aussi du « business » que la vente de ces masques va constituer pour certaines entreprises telles que les pharmacies. Car la mort rapporte beaucoup à certaines entreprises en terme de commerce. On peut même dire que la mort, comme toute «activité » humaine est un commerce ou une niche susceptible d’être un commerce pour certains hommes d’affaires ainsi que pour certains hommes politiques et militaires inspirés.
Quoiqu’il en soit, au cours de l’épidémie, je mourrai peut-être parce-que je me serai fait percuter à vélo par une voiture. Se faire renverser par une voiture lorsque l’on circule à vélo est assez courant. Surtout au vu de la conduite de certains automobilistes qui vous serrent sur la route ou vous coincent entre la carrosserie de leur véhicule et le bitume du trottoir ou vous forcent à freiner quand ils tournent devant vous.
Mais aussi au vu de la conduite de certains cyclistes :
Ce matin, une jeune gazelle portant un sac à dos de marque Eastpak m’a laissé sur place. Le temps de l’entendre qui se rapprochait, elle m’avait mis une dizaine de mètres dans la vue. Bon, je ne suis pas là pour faire la course et une femme peut me doubler sur la route que ce soit à vélo ou en voiture. Mais à vélo, Mademoiselle, au feu rouge, on s’arrête ! Surtout lorsque l’on passe devant une sortie de périphérique et que l’on ne porte pas de casque sur la tête. Ça fait bien, lorsque le feu passe au vert sur votre droite et qu’une voiture commence à s’avancer, de dévier un peu sa trajectoire tout en continuant à pédaler. C’est adroit. Mais ça peut aussi faire passer l’âme à gauche. Ceci dit, je sais aussi que ce ne sont pas toujours les personnes les plus prudentes et les plus respectueuses des règles qui s’en sortent toujours le mieux dans la vie. Ce que je viens d’écrire est dur et ressemblera à un acte moralement irresponsable en période de Coronavirus Covid-19 ou de toute autre épidémie. Mais si on prend un peu le temps d’y penser, on s’apercevra que l’on a bien connu au moins une fois dans sa vie une personne qui a toujours été droite, toujours été dans le respect des règles, et qui, pourtant, a eu une vie et une mort très conne, injuste ou incompréhensible pendant que d’autres ont pu batifoler et vivre tout un tas d’excès, et, finalement, s’en sortir pas si mal que ça.
Donc, avoir des Devoirs, oui. Respecter les règles, oui. Mais il ne faut pas confondre faire montre de prudence et s’enfermer de soi-même en toutes circonstances dans un cercueil ou un bunker, ainsi que celles et ceux qui nous entourent comme si notre mort était assurée alors que l’épidémie vient à peine de commencer. Et que l’on s’entoure d’un certain nombre de précautions….et d’informations. Lesquelles informations nous apprennent que ce coronavirus Covid-19 est quand même moins mortel, par exemple, qu’une catastrophe nucléaire : Oui, je pense aux effets d’ une catastrophe nucléaire similaire à celle de Tchernobyl s’il s’en produisait une en France ! Pourtant, nous vivons plutôt bien grâce au nucléaire même s’il nous fait peur : c’est lui qui nous fournit la plus grosse partie de notre électricité domestique.
Quoiqu’il en soit, je crois qu’il résultera de cette épidémie et des transformations qui en découleront de nouvelles amitiés ou de nouvelles solidarités. Car on se révèle aussi à soi-même et aux autres dans ces moments-là. Et on a de bonnes et de mauvaises surprises. On peut soi-même être une mauvaise surprise pour certaines et certains qui nous plaçaient sur un piédestal ou sur un trône dont on n’a jamais voulu. C’est comme ça.
L’allocution du Président de la République, hier soir, m’a contrarié parce-que, même si les mesures sanitaires qu’il a officialisées sont justifiées, j’ai beaucoup trop vu en lui l’homme politique et de Pouvoir qui jouit de sa position de supériorité. J’ai trop vu en lui l’homme politique qui, en nous enfonçant dans la tête le concept de « Guerre sanitaire », en profite un peu plus pour nous dominer et nous gouverner à sa main. Et, je me demande ce que, en échange de notre salut sanitaire et civil, nous allons perdre en libertés et en droits divers, pendant cette période d’épidémie mais aussi après elle. Parce qu’après l’épidémie, il sera encore possible de trouver bien des raisons pour justifier d’un couvre-feu et d’un certain type de contrôles et d’interdits inédits jusqu’alors ou moins fréquents. Que deviendra le mouvement des gilets jaunes après l’épidémie ? La réforme des retraites ? Combien de temps réfléchirons-nous à ce genre de question après plusieurs jours, plusieurs semaines de couvre-feu, lorsque la peur de la mort sera devenue un peu plus la couleur de nos rues et de nos regards ?
Je sais pourquoi j’avais préféré voter pour lui au second tour des dernières élections présidentielles : pour être sûr d’éviter l’élection de celle que je refuse de nommer. Parce-que j’ai l’impression que le simple fait de la nommer contribue déja à lui donner un vote de plus ou plus d’aura. Elle qui, depuis des années, fait sa thérapie familiale voire sa thérapie de couple au travers de sa vie politique qu’elle a transformé en une scène publique et médiatique, comme son papa. Cela a été une grande surprise pour moi lorsque j’ai appris que de plus en plus de personnel infirmier votait pour cette candidate aux élections présidentielles. On peut vraiment dire qu’il s’agit d’un vote de colère.
J’ai écouté une petite partie de l’allocution du Président Emmanuel Macron lorsqu’il a annoncé le couvre-feu à venir, la » Guerre sanitaire » etc…Mais en y repensant, je me suis dit que j’avais du mal à me faire à ce Général Macron qui, à mon avis, aurait eu beaucoup de mal, si en tant que soignant, on lui avait dit :
« On te laisse la dame de la chambre 8. C’est toi qui lui fera sa toilette complète. Pas plus de dix minutes. Parce qu’il y a d’autres toilettes à faire et, après, il y a tous les médicaments à distribuer « .
Ou si on lui avait dit : » On t’attend pour faire l’entretien avec ce patient qui est persuadé que tu couches avec sa femme et que tu lui bloques ses spermatozoïdes ».
Etre Président de la République est bien-sûr un métier difficile. Et chaque métier a ses difficultés. Mais disons qu’il s’intercale tellement d’intermédiaires entre un Président de la République et celles et ceux qui, à peu près tout en bas, doivent s’écraser et obéir coûte que coûte, que j’ai l’impression que cette « Guerre sanitaire » contre le Coronavirus Covid-19 fait des soignants des hôpitaux publics un peu les équivalents des liquidateurs qui, lors de la catastrophe de Tchernobyl, s’étaient plongés dans la fosse afin d’arrêter le réacteur nucléaire.
En rangeant mon vélo dans son local tout à l’heure, je me suis dit qu’après l’épidémie, si notre « cher » Président est véritablement si concerné par le personnel soignant, dont le personnel infirmier , il abrogera ce statut de soignant « sédentaire » et révisera ce qui concerne l’âge de départ à la retraite ainsi que le niveau du montant des pensions de retraite infirmières :
Il y a quelques années, les infirmiers ont été sommés de choisir entre une catégorie A, dite « Sédentaire » et une catégorie B dite « active ».
Depuis, tous les nouveaux infirmiers diplômés sont d’office considérés comme relevant de la catégorie A, dite « sédentaire » : ils sont supposés être mieux payés que ceux de la catégorie B dite « active » mais, aussi, avoir une carrière plus longue de cinq années que ces derniers.
Avec les décrets et toutes les démarches législatives effectués par les gouvernements successifs concernant la réforme des retraites, on en arrive à ce que les infirmiers de catégorie B qui pouvaient prendre leur retraite plus tôt ( avant leurs 60 ans) avec une pension de retraite convenable , à condition d’avoir effectué un certain nombre d’années de travail, sont désormais de plus en plus obligés de tabler sur un départ à la retraite au delà de 60 ans ( 62 ans semble pour l’instant l’âge moyen de départ à la retraite pour les infirmiers de catégorie B) s’ils veulent éviter une certaine précarité.
Le Président de la République et ses Ministres préconisent le télétravail quand c’est possible lors de « notre » épidémie du Coronavirus Covid-19. Mais cela est impossible pour du personnel infirmier en période d’épidémie et de « Guerre sanitaire ». Hier soir, un ami m’a demandé où nous allions choisir de rester « confinés » pendant les 45 jours à compter de demain. Et il a ajouté : « On reste en contact ». Je lui ai rappelé que, si « confinement » il peut y avoir pour nous, infirmières et infirmiers, ce sera peut-être dans un cercueil parmi des maccabées. Que l’on soit infirmier de catégorie A ou de catégorie B.
J’ai néanmoins tenu à assurer mon ami que nous resterions bien-sûr en contact même si je doutais un peu que, en cas de décès, ma toute nouvelle constitution l’incite à m’accueillir les bras grands ouverts.
Je crois que je survivrai à cette épidémie. Et je pratique bien évidemment l’humour noir, ce qui est une mes particularités qui m’a déjà desservi et qui peut encore me coûter certaines désaffections sociales. Mais je préfère l’humour noir à me carboniser la cervelle en bouffant en boucle la junk Food d’informations toxiques à la télé, sur les réseaux sociaux, dans d’autres média ainsi que, bien-sûr, dans la vie réelle. L’attention de cet ami ainsi que celle d’un autre m’a fait plaisir et aussi un peu étonné :
Je n’ai pas prévu de mourir maintenant. Je ne bombe pas le torse. C’est juste que j’estime que j’ai encore à vivre et à transmettre et que je suis encore assez loin de l’âge où je me dis que je pourrais mourir.
Hier matin , devant l’école de ma fille, j’aurais aimé être capable d’humour lorsque j’ai vu une « collègue » infirmière devoir rebrousser chemin avec ses trois enfants. La directrice de l’école maternelle, très accueillante par ailleurs, a expliqué avoir reçu des directives selon lesquelles, pour que des enfants soient accueillis par l’école en période d’épidémie, que les deux parents se doivent d’être des professionnels du secteur hospitalier….
J’ai dit à cette directrice qu’une telle exigence ne pouvait pas tenir. Mais, une fois de plus, l’administratif a encore gagné. Et, une fois de plus, une infirmière a dû prendre sur elle. Tout en se montrant compréhensive, très polie et très disciplinée, cette « collègue » infirmière- que je rencontrais pour la première fois- a accepté de repartir avec ses trois enfants sans faire d’esclandre. C’était à elle qu’il incombait de trouver une solution pour faire garder ses enfants mais aussi de se rendre disponible pour participer à « La Guerre Sanitaire ».
J’imagine qu’il s’agissait d’un couac. Le temps que la logistique et la société s’adaptent à l’épidémie qui, demain, pourrait être remplacée par l’effondrement dont parlent les collapsologues depuis quelques années. Lesquels collapsologues disent peut-être que la façon dont cette épidémie du coronavirus Covid-19 nous prend de court et nous met à nu révèle ce qu’il en sera en cas d’effondrement plus visible de notre civilisation. Mais, aussi, que cette épidémie du Coronavirus Covid-19 et ses conséquences sont une des manifestations, parmi d’autres, de l’effondrement dont ils parlent.
En attendant, c’est la tête un peu baissée que je suis rentré chez moi à pied. Non par honte ou par abattement :
A force de prendre mon temps ce matin pour faire des photos sur mon trajet de retour, j’avais un peu attrapé froid. Mon nez coulait. Et je n’avais pas de mouchoir à portée de main. Je ne voulais pas inquiéter qui que ce soit dans la rue.
Quelques minutes plus tôt, après avoir parlé à ma compagne, j’avais eu un peu eu ma fille au téléphone. Alors qu’elle allait passer la journée dans cette école qui recueille les enfants de personnel hospitalier.
Comme le sont souvent les enfants, alors que les adultes sont plus que préoccupés par un sujet donné, ma fille était contente de se rendre dans cette école où elle allait être avec d’autres enfants et sans doute s’amuser. Son attitude m’a rassuré : en tant qu’adultes et en tant que parents, nous ne l’avions pas trop contaminée avec nos inquiétudes concernant le Coronavirus Covid-19.
Hier, nous avions découvert avec elle cette nouvelle scolarité qui se passe à travers des vidéos et des cours envoyés par sa maitresse via internet. C’était une expérience assez insolite et assez drôle de voir la maitresse de notre fille donnant ses explications face caméra avant chaque exercice et de comprendre que tout cela était aussi très nouveau pour elle. Aujourd’hui, internet et la téléphonie mobile peuvent être des très bons moyens d’échapper à la dépression morale qu’amène l’épidémie du Coronavirus Covid-19 et toute autre catastrophe. A condition de s’en servir avec cette volonté-là. Et si internet et la téléphonie mobile flanchent ou nous en empêchent, il nous faudra être capables de savoir nous en passer pour continuer d’entendre le vent de notre âme. Beaucoup d’autres l’ont fait avant nous. Et un certain nombre d’entre eux avaient nos visages.
» Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante » peut-on lire sur le fronton du Panthéon. Jusqu’à tout à l’heure en rédigeant cet article et en le mettant en forme, j’avais ignoré cette phrase qui orne le Panthéon.
Qu’est-ce qu’une Grande Femme ou un Grand Homme ? Qu’est-ce qu’une Patrie ? Qui peut en décider ?
Et quand ? Les dignitaires politiques officiels sont-ils toujours les plus légitimes et les plus sages pour en décider ?
Il est quantité de Grandes Femmes et de Grands Hommes qui appartiennent davantage à l’anonymat qu’à notre mémoire collective et médiatique.
Si l’on regarde « seulement » du côté des soignants, toutes professions confondues dans les établissements hospitaliers, que l’épidémie du coronavirus Covid-19 vient de placer en première ligne alors qu’une bonne partie de la population, pour des raisons fondées de prévention et de préservation sanitaire, est appelée à limiter autant que possible ses déplacements comme ses échanges interpersonnels, combien d’entre-eux ont figuré et figureront au Panthéon lorsque l’épidémie du coronavirus Covid-19 , après et avant d’autres, sera passée ? Lesquels ?
Combien d’éboueuses et d’éboueurs, de femmes et d’hommes de ménage, figureront-ils pour des raisons permanentes de prévention sanitaire au Panthéon de la Patrie reconnaissante ?
On pourrait multiplier les exemples avec d’autres professions et d’autres actions d’individus et de groupes d’individus qui effectuent une mission d’ordre et d’utilité publique dont on n’entendra pas parler contrairement à certaines « célébrités ».
D’ailleurs, et je me demande si c’est une vision biaisée de ma part, mais lorsque le Président Macron invite les soignants à se consacrer pleinement à l’effort sanitaire pour répondre à l’épidémie du coronavirus Covid-19 et aux frayeurs parasites qu’elle suscite, j’ai l’impression que seuls les soignants du service public sont appelés à répondre présents. Et non ceux du secteur privé. Pourtant, depuis des années, l’Etat Français, donc le gouvernement Macron-Philippe ainsi que les précédents, oblige les hôpitaux publics à ressembler de plus en plus aux établissements de soins privés. Ce qui consiste à adopter des modèles de gestion et de soins indexés sur la mécanique du chiffre et de la rentabilité parfois à tombeau ouvert. Ce qui se traduit souvent au moins par » une baisse des effectifs » en personnel soignant.
Concernant le personnel infirmier, on peut aussi mentionner l’allongement de la durée de carrière. Un « gel » des salaires. La diminution du nombre de jours de congés. Un ralentissement de la montée d’échelon. Des difficultés renouvelées afin d’obtenir des formations professionnelles. La perte d’autres droits et avantages. Selon moi, si on le souhaite, on devrait avoir la possibilité de prendre sa retraite à cinquante ans un peu sur l’ancien modèle des militaires et bénéficier d’aides à la reconversion professionnelle.
Pourquoi employer trois ou quatre infirmiers si deux parviennent à faire ce qu’on leur demande ? Si le service est « calme » ? Pourquoi en employer trois ou quatre si on peut mettre deux aides-soignants avec deux infirmières ? ça fait toujours quatre, non ?
Je n’avais pas prévu de me poser ce type de questions et d’en arriver à ce genre de développement en prenant en passant cette photo et les autres autour du Panthéon.
Le Panthéon, je suis plusieurs fois passé à côté. Souvent dans un état d’esprit détendu. J’en ai bien-sûr entendu parler à la faveur du « déménagement » de telle Personnalité dont les cendres y sont déposées ou susceptibles de l’être. Je ne l’ai jamais visité. Il y avait des années que je ne l’avais pas côtoyé d’aussi près. Et la bibliothèque Ste-Geneviève, je n’ai jamais pris le temps d’y entrer même si je possède une carte d’accès depuis des années.
Mais un jour seulement sépare ces photos prises près du Panthéon et la manifestation des gilets jaunes le lendemain, ce samedi 14 mars 2020 ( hier). Et, ce samedi 14 mars ( hier), je n’avais pas non plus prévu de me trouver face à cette manifestation en sortant du travail. Pas plus que je n’avais prévu d’écrire cet article lors du premier tour des élections municipales où, en raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19, il est probable que l’absentéisme électoral batte de nouveaux records. Puisqu’aujourd’hui nous en sommes au stade 3 de l’épidémie comme en en matière de mesures de prévention. Et qu’aujourd’hui, cinémas, piscines et d’autres lieux publics encore ouverts hier ont été fermés.
Depuis que le mouvement des gilets jaunes a débuté il y a plus d’un an maintenant, je n’ai assisté ou participé à aucune manifestation des gilets jaunes. Et sans doute est-ce parce-que beaucoup de personnes agissent comme moi que des gouvernements en France et ailleurs conservent leur façon de gérer certaines échéances sociales, économiques et environnementales, modelant à leur image le monde dans lequel nous vivons. Lorsque l’on parle de personnes conservatrices, on désigne souvent d’autres personnes. Mais moi qui n’ai jamais pris part à une seule manifestation des gilets jaunes, je fais bien partie à un moment donné, que je le veuille ou non, des conservateurs. C’est comme pour le vote : est principalement pris en compte le nombre de votes. Et non le nombre de personnes qui s’est abstenu de voter et qui exprime pourtant quelque chose.
Je me méfie beaucoup des effets de groupe. Je redoute l’aspect « troupeau » que l’on peut conditionner. Etqui peut aussi s’affoler ou s’emballer pour le pire comme pour le meilleur. Mais mon attitude vis-à-vis du groupe et de la foule a ses limites.
Bien-sûr, chacun ses limites et il importe de les connaître comme il existe différentes manières de manifester et de militer. Mais à se tenir prudemment, peureusement, hors du « troupeau », du groupe, de la masse ou de la foule, en toutes circonstances, on se retrouve un moment isolé. Certaines fois, cela peut être avantageux. D’autres fois, on devient une proie de choix.
Et puis -quoiqu’on en dise- on appartient à un groupe ou, le plus souvent, à plusieurs groupes :
Au moins à un groupe familial. A un groupe social. A un groupe professionnel. A un groupe amical. Et chacun de ces groupes nous inspire et nous incite à suivre et à adopter certains comportements que ce soit par la contrainte, par intérêt, par stratégie, par mimétisme ou par choix.
Dans son livre La Dernière étreinte, l’éthologue et primatologue Frans de Waal écrit page 33 :
» La société des chimpanzés n’est pas faite pour les humbles et les faibles ».
Page 36, il écrit aussi :
» Les chimpanzés jouent constamment à prouver qu’ils sont plus forts, à tester les limites de leur pouvoir ou du vôtre ».
Et, page 31, il avait affirmé : » Ce sont les émotions qui orchestrent le comportement ».
Hier après-midi, vers 14h30, en sortant du travail, mes premières réactions en découvrant la présence de cette manifestation, ont été celles de l’étonnement et de la curiosité. Quelques minutes plus tôt, j’avais interrogé un collègue arrivant de l’extérieur. Il avait eu un peu de mal à me dire ce qui se passait.
Il n’était pas prévu que je travaille hier matin. Quelques heures plus tôt, avec ma collègue, nous avions fait une sortie agréable et tranquille avec les jeunes hospitalisés. Tout était calme.
Je finis ma journée de travail, je tombe sur une manif. J’ai d’abord pensé que c’était un événement festif. Le déni sans doute. Puis, j’ai pensé à une manifestation des avocats. J’ai lu que les avocats, en ce moment, protestaient contre les mauvaises conditions de travail qui sont les leurs. J’avais lu un article montrant une course dans la rue effectuée par des avocats en guise de protestation. Une fois plus près de la manifestation, j’ai rapidement compris que je m’étais trompé.
Quelques personnes scandaient avec provocation : » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! ». En regardant en contre-bas, j’ai aperçu des camions des forces de l’ordre sur la route. Un attroupement de personnes au carrefour. Cela faisait beaucoup de monde. Et, un peu plus haut, sur ma droite vers Place d’Italie, d’autres représentants des forces de l’ordre se tenaient immobiles, sur la route.
Même si cela se passait « bien » et qu’un certain nombre de personnes circulait librement, je me suis un peu senti pris en tenaille. J’ai un peu hésité. J’avais prévu de me rendre à la séance du film Kongo réalisé par Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav. Ce film sorti cette semaine passe dans une seule salle à Paris. Il passe aussi à Montreuil. Mais en tant que citoyen et en tant que créateur et rédacteur d’un blog qui s’appelle Balistique du quotidien, il m’était impossible de partir sans faire un minimum l’expérience de cette manifestation.
J’ai regardé un peu. Quelques fumigènes ont été de sortie. Puis, en bas à droite, j’ai aperçu plusieurs membres des forces de l’ordre attraper quelqu’un, une ou plusieurs personnes, et les emmener vers l’arrière de leurs camions. A ce moment-là, plusieurs des personnes qui figuraient du côté de celles et ceux qui scandaient » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! » sur ma gauche ont battu en retraite et ont reflué un peu dans ma direction comme si elles s’en allaient. Alors que j’écris, je me demande maintenant ce que l’on doit ressentir lorsque l’on se fait alpaguer par des forces de l’ordre :
Si on a juste manifesté et que l’on est innocent, on doit avoir beaucoup de mal à le vivre. Par contre, si on a recherché l’affrontement et le contact, on doit sans doute un peu jubiler comme certains peuvent jubiler de pouvoir dire qu’ils ont fait de la taule. Car cela signifie que l’on n’a pas peur d’aller au combat. Et sans doute aussi que, d’une certaine manière, même arrêté puis enfermé, que l’on est libre ou que l’on s’estime plus libre que d’autres.
De ce point de vue et depuis d’autres points de vue, je ne suis pas libre. Mais il me fallait passer de l’autre côté de la manif pour ma séance ciné. Ce qui a permis ces photos. Pour illustrer cet article, j’ai d’abord voulu d’éviter autant que possible les photos en noir et blanc qui peuvent donner un aspect « reportage de guerre » ou qui pourraient laisser croire que nous sommes en Mai 68.
Mais certaines photos en noir et blanc, parmi celles que j’ai prises hier, m’ont semblé incontournables. Et puis, pour essayer d’éviter le plus possible de manipuler celles et ceux qui regarderont ces photos, je me suis dit qu’il fallait en mettre un certain nombre afin d’essayer de restituer au mieux l’ambiance assez générale là où j’étais durant la manif.
Je suis resté à peu près une quinzaine de minutes. A voir la « tranquillité » des représentants des forces de l’ordre, je me suis dit qu’un certain nombre d’entre eux avaient l’expérience de ce genre de situation sociale. J’ai bien-sûr été intimidé par le nombre de leurs effectifs. Par moments, j’avais l’impression que la terre tremblait sous mes pieds ou qu’elle aurait pu le faire si cela dégénérait.
Leur harnachement et leurs protections. Leur stature. Leur entraînement supposé aux confrontations dans la rue. Leur nombre. Leurs différentes positions stratégiques. Leur regroupement. Moi, je n’étais qu’une personne parmi d’autres qui passait par là. En cas d’assaut, impossible pour eux de le deviner si je me trouvais entre eux et des manifestants déterminés. Evidemment, mes émotions provenaient du fait que je découvrais ce que pouvait être une manif en présence d’autant de forces de l’ordre dans un contexte où un affrontement était possible.
Mais je ne me suis pas fait dessus non plus. Pas plus que je n’ai inondé mes vêtements de couleurs suite à une trop forte stimulation de mes glandes sudoripares.
Je me suis aussi dit que nous étions encore dans une démocratie puisqu’une telle manifestation pouvait avoir lieu en présence d’autant de membres de forces de l’ordre qui, pour la plupart, se contentaient d’observer et de se déplacer en fonction de l’évolution et des déplacements de la manif. Même si, en raison de l’épidémie du coronavirus Covid-19 et du risque de contagion multiplié par ce rassemblementde personnes, cette manifestation et les suivantes seront sans doute reprochées à leurs organisateurs.
Hier, le rassemblement autorisé maximal de personnes sur un lieu public, du fait de l’épidémie du coronavirus, devait être de cinq cents ou de mille personnes, je crois. A vue d’oeil, je crois que l’on peut facilement estimer qu’il devait bien y avoir plus de mille personnes à cette manifestation hier. Etant donné qu’aujourd’hui, nous en sommes au stade 3 de l’épidémie, cela limite désormais encore plus le nombre de personnes qui souhaite se rassembler ainsi que les lieux accueillant du public ( médiathèques, cinémas, restaurants, piscines…).
Il est prévu qu’il y aura moins de transports en commun. Les personnes qui le pourront resteront chez elles afin d’effectuer du télétravail.
Vu que nous sommes toujours sous le plan vigipirate concernant le terrorisme ( New-York 2011 ), toute personne ou tout groupe de personne ayant l’intention de manifester va sans doute se sentir lésé de plus en plus dans ses libertés et ses droits fondamentaux. Ce qui risque de durcir certains mouvements sociaux. Mais aussi d’exaspérer des personnes qui, jusque là, étaient restées conciliantes et dociles en termes de revendication sociale.
A un moment, à quelques mètres de moi, j’ai entendu une femme crier » Arrêtez de nous gazer ! On est en train de manger ! ( au restaurant ou dans un Fast-Food) ». Je n’ai pas senti d’odeur incommodante.
J’ai entendu un couple se disputer parce-que monsieur et madame ne s’étaient pas compris lorsqu’ils s’étaient dit là où l’un et l’autre se trouverait dans la manif.
J’ai vu des personnes prendre des photos.
J’ai vu un représentant de l’ordre laisser passer civilement un couple d’un certain âge après que celui-ci lui ait dit qu’il habitait non loin de là. C’est sans doute ce représentant de l’ordre qui a répondu à un autre homme : » Vous êtes déja passé tout à l’heure ».
A moi, ce même représentant de l’ordre, ou un autre, m’a répondu poliment que pour aller vers le Panthéon, il me fallait passer ailleurs en tournant ensuite sur la droite. Ce que j’ai fait.
Après à peine quelques minutes de marche, même si j’ai croisé d’autres véhicules de police qui arrivaient en renfort, j’ai à nouveau été étonné de voir comme il suffit de franchir quelques rues pour retrouver la quiétude mais aussi l’ignorance. Les personnes que j’ai croisées ensuite dans la rue, dans un restaurant, vaquaient comme si de rien n’était.
Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite comme je n’ai pas vu d’images ou lu d’informations concernant ce qui s’était passé hier lors de la manifestation des gilets jaunes. Sans doute devrais-je le savoir. Sans doute que je ne suis pas un Grand Homme.
Coronavirus : un petit sursis pour l’homme, un grand profit pour les pharmacies.
Je me trouvais du côté de la Gare du Nord. Je me suis dit que j’allais essayer de me procurer un numéro d’El Watan. Depuis que dans le 8ème arrondissement de Paris, j’ai croisé un journaliste d’El Watan, je me suis mis en tête de le lire. C’était avant d’interviewer le réalisateur Abdel Raouf Dafri dont j’ai déjà reparlé récemment. ( A Voir absolument ).
A entendre ce journaliste, il était facile de l’acheter dans un kiosque à journaux. C’était il y a plusieurs semaines. Toujours dans le 8 ème arrondissement, j’ai recroisé ce journaliste il y a quelques jours alors que je me rendais à la projection de presse du film Brooklyn Secret (Brooklyn Secret.) Mais avant que je puisse lui exposer mes difficultés pour trouver à la vente ce journal qui le rémunérait, il avait disparu.
Dans un point presse bien pourvu du 13ème arrondissement où on ne le vend plus depuis une dizaine d’années, on m’avait suggéré que j’avais mes chances à Barbès. C’est là que des anciens clients de ce point presse se rendraient désormais pour acheter El Watan.
Je me suis imaginé que j’avais mes chances à la Gare du Nord. Puisque c’est proche de Barbès. Je me suis trompé. A la place, le vendeur a fait de l’humour. El Watan ? L’Algérie ? J’ai commencé moi aussi à faire de l’humour :
« Vous savez que l’Algérie existe ? ». Il m’a répondu sans détour :
« Je sais que l’armée existe…je suis algérien ».
Il m’a confirmé qu’il était probable que El Watan soit en vente à Barbès. Mais je ne me voyais pas aller jusqu’à Barbès. Je me suis contenté du New York Time et de El Pais.
Par paresse, je lis très peu de presse étrangère. C’est un tort. C’est un tort de se contenter du minimum de ce que l’on sait et de ce que l’on a pu apprendre ou commencé à apprendre à l’école ou ailleurs. De rester dans son confort. C’est comme ça qu’ensuite, avec l’habitude, le quotidien, notre regard sur nous-mêmes et sur notre environnement se rétrécit et qu’après on pleure sur soi-même parce-que notre vie est pourrie. Qu’il ne s’y passe jamais rien ou pas suffisamment selon nous.
Mais, là, j’ai acheté The New York Times et El Pais. Même si je savais que je les lirais très partiellement, cela me permettrait déjà de partir ailleurs.
J’ai plus feuilleté le New York Times car mon manque de pratique de l’Espagnol m’handicapait avec El Pais.
Dans le train du retour, je me suis assis à quelques mètres d’un SDF bouffi par l’alcool que je connais de vue. Je crois qu’il réside dans ma ville. Une dame venait de lui donner de l’argent. Mais dès qu’il m’a aperçu près de lui, il m’a sollicité et en a redemandé. A défaut d’argent, il m’a d’abord demandé l’heure car il ne pouvait pas voir. Puis, il a fini par me demander de lui donner un journal. Pour lire. Pour s’informer. Il avait manifestement envie de parler à quelqu’un. Lorsque je lui ai dit que les journaux étaient en Anglais et en Espagnol, il a renoncé. Par contre, lorsque quelques minutes plus tard, un autre homme est venu faire la manche dans le même wagon en passant parmi les voyageurs, il l’a aussitôt menacé et lui a dit de se casser. L’autre homme a poursuivi son œuvre avec le sourire.
Ce matin, je suis passé à la pharmacie. Je savais que je n’y trouverais pas El Watan. Aussi me suis-je abstenu de le demander. J’étais là pour acheter une lotion capillaire pour ma compagne. J’ai déjà fait « pire » :
Je devais avoir à peine une vingtaine d’années lorsque ma mère m’avait demandé de lui acheter une paire de collants. Cela ne m’avait pas dérangé. Depuis le temps que ma mère m’envoyait faire des courses. J’étais ressorti du supermarché et, dans les rues de Pointe-à-Pitre, j’avais rapidement compris que certaines personnes qui m’avaient croisé avaient des yeux de drones leur permettant de voir parfaitement à travers le sac en plastique transparent que je portais en toute décontraction.
Ce matin, pas de collant parmi mes achats. J’étais à la caisse quand j’ai entendu un homme plus jeune que moi demander à une autre caisse un masque FFP2. J’ai aussitôt fait le rapprochement avec le coronavirus Covid-19 bien que, sans cet homme, j’aurais été incapable de savoir le définir de cette façon.
Devant moi, le pharmacien qui me servait m’a répondu qu’il allait voir s’il en restait. Il m’a d’abord dit qu’un masque coûtait 2,99 euros, l’unité. Puis, revenant avec trois masques, il m’a présenté ses excuses : un masque coûtait 3,99 euros. Je les ai néanmoins pris tous les trois.
Le pharmacien m’a confirmé que, oui, c’était bien les masques préventifs pour le coronavirus. Il m’a dit qu’il espérait que cela allait s’arranger. Il m’a répondu qu’ils n’en n’avaient pas toujours mais qu’il y avait en ce moment une certaine demande surtout des touristes. Il se trouve que les seuls touristes « reconnaissables » que j’ai pu voir dans cette pharmacie parisienne sont asiatiques. Peut-être chinois. Peut-être japonais.
Jusqu’à maintenant, j’ai entendu parler du coronavirus Covid-19 sans m’en inquiéter plus que ça. Mais, ce matin, je me suis dit que cela pouvait être bien de « s’équiper ». En sachant que, selon les dires de ce pharmacien un masque a une durée d’efficacité de 8 heures. Il serait donc convenable si l’épidémie du coronavirus arrive en France qu’elle soit très rapide. Ou d’avoir de quoi acheter un nombre plutôt conséquent de masques. Mais je me suis dit ça après avoir quitté la pharmacie et après avoir payé les trois masques. Parce qu’en reprenant le métro, j’ai pris le temps de lire le journal gratuit distribué devant la pharmacie. J’ai jeté ce journal depuis. Mais je me souviens qu’après un match laborieux, le PSG, hier, a battu Bordeaux 4-3 au parc des Princes. Que El Matador « Cavani » a marqué son 200ème but avec le PSG toutes compétitions confondues. Que Neymar a trouvé le moyen d’écoper d’un second carton jaune et de se faire exclure. Il sera donc absent pour le prochain match face à Dijon. Qu’au début du match, des supporters avaient montré une pancarte demandant à M’bappé, Neymar et Marquinhos de « porter leurs couilles ».
A part ça, l’équipe de France de Rugby, en battant le Pays de Galles, confirmait qu’elle était une très belle équipe. Et puis, tout au début du journal, le coronavirus en Italie. L’inquiétude en Europe. Deux morts.
En rentrant, j’ai regardé à nouveau Le New York Times et El Pais. Hier, dans Le New York Times, j’avais pris le temps de lire l’article consacré à l’acteur, scénariste et réalisateur américain Ben Affleck qui parlait de son addiction à l’alcool. Au fait que son propre père était devenu sobre alors qu’il avait 19 ans. L’alcoolisme de son frère Casey, que l’on n’a plus vu depuis quelques temps sur les écrans, était aussi mentionné.
C’est sur El Pais que j’ai vu l’article dont s’est sans doute inspiré le journal gratuit d’aujourd’hui concernant le coronavirus. Entre-temps, les près de 4 euros par masque avaient commencé à me peser. Lorsque j’en ai discuté avec ma compagne, j’ai été obligé de me rendre compte que je m’étais fait arnaquer. Comme d’autres. Près de 4 euros pour un masque qui ressemble à un petit slip jetable pour bébé et dont le coût à la fabrication doit se compter en centimes et peut-être même en micro-centimes. Pour un slip jetable qui est peut-être fabriqué en Chine, ce qui serait comique en plus.
L’anxiété et l’esprit de prévention avaient encore frappé. Lorsque ce n’est pas sous forme de pub sur le net, dans la boite à lettres, à la télé, au cinéma, à la radio, dans la rue, dans les transports en commun, sur le téléphone portable, la tablette ou à la banque, c’est sous forme de terrorisme, d’extrémisme politique, de catastrophe, de meurtres ou d’épidémie sanitaire qu’ils s’infiltrent. Avant que le moindre virus n’ait eu le temps de visiter nos poumons, nous sommes déjà contaminés par l’anxiété et l’achat de prévention qui sont une forme de crachat civil réservé à ces êtres civilisés et socialisés que nous sommes. Jusqu’à ce qu’une rupture de stock apparaisse….
Mais je crois encore que je réussirai à me rendre à Barbès afin d’y trouver El Watan avant que le coronavirus ne trouve l’adresse de mon organisme.