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L’Avenir de l’HumanitĂ©

 

Mais qu’est-ce qu’elles ont ? Je suis Ă©tonnĂ© par le nombre de femmes que je croise dehors depuis le dĂ©but du couvre-feu. 

 

Ce samedi matin, les premiĂšres personnes que je croise dans la rue en sortant  du travail  sont des femmes. Elles courent. Elles marchent. Il fait 7 degrĂ©s. La tempĂ©rature s’est rafraĂźchie.

 

Hier soir, en allant au travail Ă  nouveau Ă  vĂ©lo, j’avais un pied posĂ© Ă  terre au feu rouge avant d’entrer dans la ville de Levallois lorsqu’une fusĂ©e m’a dĂ©passĂ©. Une femme Ă  vĂ©lo.

En moins d’une minute, elle m’a mis cent mĂštres dans le regard. Une imparable application de la distanciation sociale prĂ©conisĂ©e dans notre contexte d’épidĂ©mie. Merci Madame.

 

Quelques kilomĂštres plus loin, j’étais sur le point d’arriver Ă  mon travail lorsque je suis montĂ© sur le trottoir. Par instinct, j’ai regardĂ© sur ma gauche. Une jeune femme en cycliste, avec un fessier de pistarde, s’était mise en danseuse sur son vĂ©lo. Elle grimpait la route avec conviction. Sans casque comme la prĂ©cĂ©dente.

 

En rentrant ce matin, je suis cette fois passĂ© devant le PanthĂ©on. Dans la rue dĂ©serte, on voyait trĂšs bien son drapeau bleu, blanc, rouge que je n’avais pas remarquĂ© la derniĂšre fois, la veille de la manifestation des Gilets jaunes le samedi 14 mars. ( Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020)

 

J’ai pensĂ© m’arrĂȘter pour prendre une photo du PanthĂ©on mais je l’avais dĂ©jĂ  dĂ©passĂ©.  Je ne l’ai pas fait. Je voulais rejoindre ces quais de Seine oĂč j’avais vu plusieurs fois des personnes courir. Je voulais voir jusqu’oĂč ces quais pouvaient me rapprocher de la Place de la Concorde qui est dans ma direction pour rentrer chez moi.

En me rapprochant de ces quais,  je suis tombĂ© sur  cette exposition de photos de femmes militant pour le respect des droits des femmes. Parmi ces photos, une de l’actrice AĂŻssa MaĂŻga dont le discours aux CĂ©sars 2020 a pu dĂ©ranger et dĂ©plaire. « Racialiste Â», « Embarrassant Â» ( Le discours de l’actrice AĂŻssa MaĂŻga aux CĂ©sars 2020 ).

Pour un de mes amis, le discours d’AĂŻssa MaĂŻga tient plus du discours « Noiriste Â» de l’ancien dictateur haĂŻtien Duvalier que de celui de la NĂ©gritude de CĂ©saire, Senghor et Damas. Je ne suis pas de l’avis de cet ami. Lui et moi en discuterons sans doute oralement aprĂšs l’épidĂ©mie.

 

 

Ces photos accrochĂ©es Ă  cet endroit, sur les grilles de l’ancien ( depuis 2016) Tribunal de Grande Instance de Paris, ont d’autant plus de force symbolique. Et sans doute encore plus, en cette pĂ©riode d’épidĂ©mie, de couvre-feu et de peur. Alors, je m’arrĂȘte et prends quelques photos.

L’ancien Tribunal de Grande Instance ( judiciaire) de Paris.

 

 

 

Mais comme nous sommes en plein couvre-feu et que nous sommes incitĂ©s Ă  rentrer chez nous le plus rapidement possible et Ă  limiter nos dĂ©placements, je n’ai pas envie de passer pour un provocateur et un irresponsable en prenant le temps de faire des photos. D’autant que derriĂšre les grilles du Tribunal de Grande Instance, mĂȘme si on ne les voit pas, il y a des policiers. Alors, je ne traĂźne pas.

 

Les quais que je voulais emprunter sont interdits d’accĂšs m’indique un employĂ© en chasuble des pieds Ă  la tĂȘte. Il porte un masque sur le visage. Et semble un peu agacĂ© par mon comportement. Je m’exĂ©cute. Je repars par oĂč je suis venu.

 

Les contrĂŽles policiers ? Je croise plusieurs fois des policiers en rentrant ce matin. Le plus souvent, en vĂ©hicules.

Hier soir , dĂ©jĂ , en allant au travail en quittant le Louvre. J’allais passer devant un car de police ou de CRS stationnĂ© sur le trottoir. Je me demandais si j’allais ĂȘtre contrĂŽlĂ©. Non. A la place, un jeune homme Ă  vĂ©lo, noir, sans casque je crois, l’a Ă©tĂ© juste avant moi.

 

Ce matin, je croise mĂȘme deux policiers qui marchent sur le trottoir. Je les salue de la tĂȘte en passant en sens inverse Ă  vĂ©lo. Ils rĂ©pondent Ă  mon salut. C’est quelques kilomĂštres plus loin que je m’avise que l’on me voit de loin. Et que je dois, pour l’instant, transpirer le mec en rĂšgle Ă  deux cents mĂštres: casque, lunettes, chasuble, sac Ă  dos de couleur voyante, lumiĂšres la nuit. Ce matin, j’ai mĂȘme pris une douche au travail avant de partir. Je sens peut-ĂȘtre encore un peu le savon.

 

 

En me rapprochant d’AsniĂšres par le Bd Malesherbes, je tombe Ă  nouveau sur l’affiche du film Brooklyn Secret dont la sortie en salles a Ă©tĂ© reportĂ©e Ă  plus tard ( Brooklyn Secret).

 

Revoir Ă  nouveau cette affiche dans ce contexte d’épidĂ©mie et de couvre-feu lui donne aussi d’autant plus de force symbolique. Ce que nous vivons actuellement peut ressembler en partie Ă  ce que vit l’hĂ©roĂŻne du film,  interprĂ©tĂ©e par Isabel Sandoval, Ă©galement rĂ©alisatrice, scĂ©nariste et monteuse du film. Comme la sortie du film a Ă©tĂ© retardĂ©e, j’ai pu prendre le temps de lire que les critiques sont bonnes envers ce film. MĂȘme PremiĂšre en dit du bien. « Sublime Â», je crois. La critique du journaliste Sorj Chalandon dans Le Canard EnchaĂźnĂ©  de cette semaine est Ă©galement Ă©logieuse : 

 

 

 

 

Ce matin ( hier, samedi 21 mars 2020), Ă  voir toutes ces femmes dehors, mĂȘme si depuis mon dĂ©part du travail, des hommes sont « apparus Â» entre-temps, je finis par me convaincre que si l’HumanitĂ© dĂ©cline un jour et qu’il reste quelques survivants, il y aura assurĂ©ment une ou plusieurs femmes parmi eux. L’émission Koh-Lantah nous dit peut-ĂȘtre cette vĂ©ritĂ© :

 

Si dans notre sociĂ©tĂ© et dans notre monde, les femmes sont encore autant relĂ©guĂ©es au fond de la classe des postes de dĂ©cision, c’est peut-ĂȘtre parce-que, dans l’Histoire, elles ont plein de fois supplantĂ©- devancĂ©- les hommes et que le cerveau reptilien de ceux-ci s’en souviennent.

 

Alors que je pĂ©dale, je me dis que j’ai un peu changĂ© ces derniers temps. Je suis peut-ĂȘtre en train de devenir une femme. Il faudra que je m’examine.

 

( Ps :  Hier soir vers 22h, une collĂšgue m’a appris que le jeune rĂ©cemment hospitalisĂ© dans notre service que l’on pensait peut-ĂȘtre positif aprĂšs avoir Ă©tĂ© en contact avec une personne porteuse du coronavirus civid-19 Objectif de conscience va bien et est nĂ©gatif. Cette nouvelle est rassurante. Mais il convient de rester prudent.

Un article dans le journal allemand Der Spiegel informe qu’en Allemagne le dĂ©placement Ă  vĂ©lo est prĂ©conisĂ© en matiĂšre de prĂ©vention sanitaire vis-Ă -vis du coronavirus Covid-19. Merci Ă  ma compagne pour m’avoir fait connaĂźtre cet article). 

 

Franck Unimon, dimanche 22 mars 2020.

 

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Objectif de conscience

 

Lorsque l’ami Zez m’a demandĂ© de tĂ©moigner concernant mon quotidien en tant « qu’agent hospitalier Â», j’ai commencĂ© Ă  me gratter l’arriĂšre-train et Ă  entonner un refrain plus rĂŽdĂ© que mes pensĂ©es.

 

Tout d’abord, je lui ai proposĂ© de lire mes deux derniers articles Vent d’ñme et Adaptations que l’on peut trouver sur mon blog en lui disant :

 

«  Peut-ĂȘtre que tu trouveras dedans ce que tu cherches Â». J’étais content de moi. Je me suis dit qu’encore une fois, mĂȘme si lui et moi nous connaissons finalement assez peu, certaines de nos prĂ©occupations se rejoignent.

 

Et, puis, Zez m’a recontactĂ© :

 

« J’aime beaucoup tes articles mais c’est trop (ou trĂšs) poĂ©tique. Ce n’est pas ce que je recherche. Ce que je veux, vraiment, c’est comment tu vis, comment, lorsque l’on est agent hospitalier, on vit l’épidĂ©mie dans son quotidien. Comment vous vivez avec ça. Parce-que vous ĂȘtes quand mĂȘme supposĂ©s ĂȘtre les sauveurs de la Nation
 Â».

 

Et, lĂ , j’ai Ă©tĂ© coincĂ©. J’ai Ă  nouveau ressenti en mon fors intĂ©rieur cet interdit dĂ©jĂ  ressenti plusieurs fois lorsqu’il s’agit de s’exprimer en tant qu’infirmier sur la place publique.  Bien-sĂ»r,  entre-temps, j’avais compris que lorsque Zez parle «  d’agent hospitalier Â», il ne pense pas forcĂ©ment Ă  un ASH, un agent de service hospitalier comme je l’ai d’abord pensĂ©. Mais Ă  tout agent hospitalier. A toute personne qui travaille dans un hĂŽpital public et qui, du fait de l’épidĂ©mie, se trouve officiellement engagĂ© depuis cette semaine dans cette « Guerre sanitaire Â» dont a parlĂ© et reparlĂ© notre PrĂ©sident de la RĂ©publique Ă  la tĂ©lĂ©. Ainsi que son Premier Ministre et/ou son Ministre de l’intĂ©rieur, je ne sais plus.

 

Mais il existe souvent un mur entre cette demande, spontanĂ©e, de bien des personnes qui souhaiteraient que des professionnels de l’hĂŽpital s’expriment. Et les professionnels de l’hĂŽpital qui peuvent hĂ©siter ou refuser de le faire. Je ne parle pas, Ă©videmment, des mĂ©decins et des psychologues qui sont souvent les plus sollicitĂ©s ou les plus volontaires dĂšs qu’il s’agit de s’exprimer sur une situation donnĂ©e dĂšs qu’il s’agit de l’hĂŽpital et, cela, bien avant l’épidĂ©mie actuelle.

 

Non, je parle de tous les autres qui sont, par ailleurs, souvent les plus nombreux et que l’on pourrait presque surnommer la « majoritĂ© Â» silencieuse, souvent anxieuse, peureuse ou voire honteuse Ă  l’idĂ©e de s’exprimer Ă  visage dĂ©couvert. Et mĂȘme sous couvert d’anonymat.

 

Parce-que, comme je l’ai expliquĂ© Ă  Zez au tĂ©lĂ©phone, car il m’a semblĂ© nĂ©cessaire de le lui dire directement par tĂ©lĂ©phone plutĂŽt que de poursuivre notre correspondance par sms :

«  A l’hĂŽpital, la parole n’est pas libre Â».

 

J’ai ajoutĂ© :

«  Moi, encore, j’écris et je suis plus ou moins Ă  l’aise pour m’exprimer en public mais ça n’est pas le cas de beaucoup de mes collĂšgues Â».

J’ai continuĂ© Ă  expliquer Ă  Zez :

« Dans certains de mes articles, je parle de certaines et de certains de mes collĂšgues. Pourtant, mĂȘme si je fais en sorte que personne ne les reconnaisse et qu’à mon avis, personne ne les reconnaĂźtra en lisant mes articles, je ne suis pas sĂ»r que certaines et certains d’entre eux, en  se reconnaissant dans un de mes articles, ne m’en veuillent pas Â».

 

Et, trĂšs content de moi et de mon argumentation, car j’étais inspirĂ© et Zez semblait de plus en plus convaincu par mes arguments, j’ai placĂ© ce qui Ă©tait l’estocade :

«  Il faut savoir que dĂšs le dĂ©but de notre formation, nous sommes formĂ©s au secret professionnel », ce que Zez a traduit de son cĂŽtĂ© : «  Ah, oui, le serment d’Hippocrate Â».

 

Je n’ai mĂȘme pas essayĂ© de lui dire que le serment d’Hippocrate concerne les mĂ©decins. Pour moi, Zez, avait compris ce que je voulais dire : notre parole, en tant qu’agent hospitalier, n’est pas libre. Nous sommes surtout libres dans le silence et l’anonymat.

 

Je me rappelle que Zez et moi, nous sommes quittĂ©s au tĂ©lĂ©phone avec l’idĂ©e qu’il essaierait de piocher dans mes deux articles ce qu’il pourrait. J’ai oubliĂ© si je lui ai dit que j’allais rĂ©flĂ©chir. Par, contre, oui, je voulais bien lui fournir la play-list des morceaux de musique que j’écoute pour me changer les idĂ©es en ce moment.

 

Depuis, une nuit est passĂ©e. Et, cela m’a apparemment permis de « dĂ©-rusher Â» ma conscience.

 

D’abord, je suis retournĂ© au travail Ă  vĂ©lo. A 20h, hier soir,  je me trouvais dans une des rues- plutĂŽt dĂ©sertes- d’AsniĂšres, lorsque j’ai entendu des gens applaudir. Je « savais Â» que ces personnes, depuis leur balcon,  applaudissaient les soignants pour les remercier et les encourager. J’en avais Ă©tĂ© informĂ© par une chaine de messages reçus sur ma messagerie messenger. Mais aussi sur un des panneaux d’information dans ma ville.

 

Je sais trĂšs bien que je ne suis pas Superman. Que je ne suis pas un hĂ©ros. Mais entendre ces applaudissements alors que me dirigeais Ă  vĂ©lo au travail a fini par m’atteindre. MĂȘme si ces gens qui applaudissaient dans cette pĂ©nombre claudicante ne pouvaient pas savoir qui j’étais vraiment. MĂȘme si je me suis dit que sur mon lit de mourant, ces applaudissements ne me guĂ©riraient pas. L’attention et la bonne humeur de ces personnes Ă©taient sincĂšres et cela m’a quand mĂȘme fait plaisir de faire partie de celles et ceux Ă  qui ces applaudissements Ă©taient adressĂ©s.

Pourtant, j’ai Ă©tĂ© soulagĂ© lorsque les applaudissements se sont arrĂȘtĂ©s. Oui, soulagĂ©. Sans doute estimais-je que je ne mĂ©ritais pas ces applaudissements. Et que « d’autres Â», des vrais soignants, des vrais hĂ©ros, les mĂ©ritaient bien plus que moi.

 

Mais, comme on le dit, on est souvent « l’autre Â» de quelqu’un ou de quelque chose.

 

PrĂšs de Levallois, j’avais un pied posĂ© Ă  terre au feu rouge lorsqu’une fusĂ©e est passĂ©e Ă  cĂŽtĂ© de moi. Une femme Ă  vĂ©lo. Sans casque. Elle m’a rapidement mis Ă  peu prĂšs cent mĂštres dans la vue. Je compte reparler des femmes que j’aperçois dans les rues lorsque je vais au travail Ă  vĂ©lo ou en reviens ces derniers temps. ( L’Avenir de l’HumanitĂ©).

 

A quelques mĂštres de mon service, rebelote, je tourne la tĂȘte, qu’est-ce que je vois ?

 

Une jeune femme Ă  vĂ©lo sur la route, portant un cycliste noir. Celle-ci, dotĂ©e  d’un fessier de pistarde grimpait la route avec conviction. Comme la prĂ©cĂ©dente, quelques kilomĂštres plus tĂŽt, elle roulait sans casque.

 

 

Dans le service, lorsque j’ai rejoint les collĂšgues dans la salle de soins pour les transmissions, cela a Ă©tĂ© trĂšs vite une autre ambiance.

 

Depuis ma derniĂšre nuit de travail, deux nuits plus tĂŽt, notre service de pĂ©dopsychiatrie s’était transformĂ© en service de bloc opĂ©ratoire. Deux jours plus tĂŽt, nous Ă©tions tous avec nos vĂȘtements de la vie civile comme d’habitude. LĂ , par dessus leurs vĂȘtements civils, ou voire avec simplement leurs sous-vĂȘtements en dessous ( c’est ce que j’ai fait. J’ai pris une taille bien trop grande), tous mes collĂšgues portaient un masque chirurgical et s’étaient mis en « pyjama Â» en papier, de bloc, de la tĂȘte aux pieds. Manquaient la charlotte, les gants stĂ©riles et les chaussures de bloc. Mais tout le monde Ă©tait dĂ©jĂ  suffisamment Ă©quipĂ© pour que soit tournĂ© un Ă©pisode de la sĂ©rie Urgences.

J’étais bien-sĂ»r au courant : un jeune hospitalisĂ© rĂ©cemment avait Ă©tĂ© en contact, avant son hospitalisation dans « notre Â» service de pĂ©dopsychiatrie, avec une personne qui s’était avĂ©rĂ©e porteuse du coronavirus Covid-19.

 

Alors que les transmissions se dĂ©roulaient, je digĂ©rais l’information suivante : notre environnement professionnel et, donc, notre comportement de professionnel et d’individu, avait Ă©tĂ© modifiĂ© rapidement.  Telle une fonte brutale des glaces entre l’hiver et le printemps dans certains rĂ©gions.

 

Qu’y’ a-t’il de si particulier dans le fait d’apprendre que des soignants, dans un service hospitalier, portent chacun un pyjama de bloc et un masque chirurgical dans un contexte de grande Ă©pidĂ©mie qui concerne le pays ?

 

D’abord le fait que ce genre de prĂ©cautions et d’attitudes tranche avec notre univers mental en psychiatrie. MĂȘme si, on s’en doute bien, le coronavirus  covid-19 ne va pas faire d’exception pour nous qui travaillons en psychiatrie.

Le virus ne va pas se dire :

« Je suis le Grand MĂ©chant Loup qui laisse tranquille tous les petits cochons qui se sont rĂ©fugiĂ©s en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie
. Â».

 

Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’un soignant, quelle que soit sa spĂ©cialitĂ©, en psychiatrie ou en soins somatiques, n’est pas un individu que l’on sort d’un coma artificiel prolongĂ©- ou d’une Ă©prouvette- comme on le voit dans un film de science-fiction et Ă  qui l’on dit :

 

«  RĂ©veille-toi, va soigner et sauver les gens sans te retourner derriĂšre toi Â».  Ce sera peut-ĂȘtre comme ça un jour. Mais, pour l’instant, une soignante, un soignant, c’est encore souvent et toujours, une personne qui a une vie en dehors de son travail. Et qui a un entourage amical, familial ou autre. C’est une personne qui a des tracas personnels. Et qui est permĂ©able aux tracas que peuvent vivre ou susciter des membres de leur entourage.

 

Une soignante et un soignant, c’est aussi une personne qui Ă©coute les informations et qui reçoit des informations par diffĂ©rents canaux. Et, lorsqu’elle ou il arrive au travail, une soignante et un soignant est donc loin d’ĂȘtre une personne « neutre Â» ou « vierge Â» de toute influence de l’extĂ©rieur. MĂȘme si, lors de mes Ă©tudes d’infirmier, on savait nous rappeler qu’en tant que professionnels, nous nous devions d’ĂȘtre
. Â« objectifs Â». Evidemment, il s’agit, pour rester professionnel de savoir trancher, de savoir dĂ©limiter mentalement notre vie extĂ©rieure de notre vie professionnelle. Certaines personnes y arrivent mieux que d’autres voire peut-ĂȘtre trop bien d’ailleurs, mais penser, nĂ©anmoins, que ce qui se passe Ă  l’extĂ©rieur, dans notre vie personnelle, n’a aucune incidence, jamais, sur notre vie professionnelle



 

 

Concernant l’épidĂ©mie, il y a donc bien-sĂ»r la «  Guerre sanitaire Â» qu’on lui livre actuellement. Mais il en est une autre, plus personnelle et plus solitaire que chaque soignante et chaque soignant livre tous les jours comme tout un chacun. Et, cette guerre personnelle et solitaire, il n’y a qu’elle, il n’y a que lui, qui peut en parler, qui pourra en parler, car il s’agit de la sienne et elle n’intĂ©resse que lui, ses intimes, et, peut-ĂȘtre quelques auteurs et quelques chercheurs qui s’intĂ©resseront ensuite Ă  ce genre de sujet.

 

C’est Ă  propos de cette guerre-lĂ  que Zez m’a interrogĂ© et que, spontanĂ©ment, j’ai voulu me taire sous tout un tas de prĂ©textes.

 

MĂȘme si j’ai fini par lui envoyer un sms oĂč je lui ai proposĂ© d’en parler Ă  quelqu’un que je « connais» que je sais ĂȘtre engagĂ© et qui, selon moi, serait plus « lĂ©gitime Â» que moi pour parler.

 

Oui, «  lĂ©gitime Â». Car c’est aussi ce que j’avais expliquĂ© Ă  Zez :

 

« Tu vas peut-ĂȘtre trouver ça Ă©tonnant mais je ne me sens pas lĂ©gitime pour parler de ce sujet Â».

 

C’était en effet trĂšs Ă©tonnant !

 

Depuis des annĂ©es, je passe mon temps Ă  rĂ©clamer la parole,  Ă  la prendre, Ă  m’exprimer, que ce soit en Ă©crivant et en me mettant en scĂšne, quand je le fais,  en tant que comĂ©dien, et par mes Ă©crits et, lĂ , on me demande de parler- j’ai quartier libre- de mon quotidien au cours de l’épidĂ©mie et je suis pressĂ© de disparaĂźtre des radars.

 

 

J’ai rĂ©flĂ©chi Ă  ce sentiment d’illĂ©gitimitĂ©.

 

 

Premier constat : je me suis senti illĂ©gitime parce-que, par rapport Ă  nos collĂšgues des soins somatiques (chirurgie, urgences, rĂ©animation, SAMU et autres
.) la psychiatrie et la pĂ©dopsychiatrie traĂźnent depuis longtemps ce sentiment d’infĂ©rioritĂ©. Je croyais m’ĂȘtre plutĂŽt vaccinĂ© contre cette « supĂ©rioritĂ© Â» de la technique des soins somatiques qui m’avait Ă©tĂ© inculquĂ©e dĂšs ma formation. Mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© m’oblige Ă  me rendre compte que, en pleine «Guerre sanitaire Â» et alors que l’on parle d’urgence mĂ©dicale et chirurgicale, un soignant en soins psychiatriques a moins de « valeur Â» et de « compĂ©tences Â» qu’un soignant de soins somatiques. Un soignant en soins psychiatriques apparaĂźt, en pleine « Guerre sanitaire Â», comme un sous-soignant ou un soignant au rabais. Et, les quelques infirmiĂšres et infirmiers diplĂŽmĂ©s en soins psychiatriques qui restent pourront trĂšs certainement parler de cette dĂ©considĂ©ration qui les a souvent concernĂ©s lorsqu’il existait encore deux diplĂŽmes d’infirmier : un, gĂ©nĂ©ral, afin de pratiquer dans tous les services hospitaliers avec ou sans spĂ©cialisation (anesthĂ©sie par exemple). Un autre, en soins psychiatriques, pour pratiquer en psychiatrie, et, Ă©ventuellement, en gĂ©riatrie.

Pourtant, je sais suffisamment que toute Guerre provoque ses trauma et que l’on sera bien content, Ă  ce moment-lĂ , d’avoir des soignants en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie. Que  ce soit pendant la Guerre sanitaire actuelle ou aprĂšs l’épidĂ©mie, on peut s’attendre Ă  ce que les services de pĂ©dopsychiatrie et de psychiatrie rĂ©vĂšlent aussi toute leur nĂ©cessitĂ©.

 

Mais, ça, c’était nĂ©anmoins de l’auto-analyse et de l’autodĂ©nigrement automatique.

 

Si nos collĂšgues en soins somatiques ont d’évidentes aptitudes techniques que nous n’avons pas, ou oublions, en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, je me suis avisĂ© ce matin qu’en fait, mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© Ă©tait de toute façon antĂ©rieur au dĂ©but de mes Ă©tudes afin de devenir infirmier. Et c’est mon second constat. Pourquoi ?

D’une part, parce-que je sais un petit peu de quoi est fait ma vie personnelle. Et, pour cela, je peux plutĂŽt remercier mes expĂ©riences professionnelles et personnelles en psychiatrie.

D’autre part, parce-que je crois connaĂźtre un peu le monde infirmier, d’un point de vue personnel et professionnel, qu’il exerce dans un milieu gĂ©nĂ©ral ou dans un milieu psychiatrique. Et lorsque j’ai expliquĂ© Ă  Zez qu’à « l’hĂŽpital, la parole n’est pas libre Â», je parlais autant de la parole d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins gĂ©nĂ©raux que d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins psychiatriques :

Parce-que ce n’est pas dans notre culture infirmiĂšre de prendre la parole. MĂȘme s’il y a des infirmiĂšres et des infirmiers qui prennent la parole. Et qui Ă©crivent. Mais il s’agit d’une minoritĂ©. Et cette minoritĂ© est plus restreinte que la minoritĂ© de mĂ©decins somatiques ou psychiatriques et de psychologues cliniciens qui « parlent Â» et Ă©crivent.

On n’est pas Ă©tonnĂ© d’entendre s’exprimer une personne qui sort de l’ENA ou de Polytechnique ou qui sort d’une Ă©cole de la Magistrature ou d’une formation d’avocat. Ces professionnels sont formĂ©s et poussĂ©s Ă  l’art oratoire, Ă  apprendre Ă  sĂ©duire l’auditoire comme Ă  lui jouer du pipeau.

Et je ne serais pas surpris que, quelque part, dans le cursus de formation d’un mĂ©decin ou d’un psychologue, on retrouve ça : le fait d’ĂȘtre formĂ© – et incitĂ©- au fait de s’exprimer, de « prĂ©senter un cas Â» mais aussi de rĂ©flĂ©chir et pousser Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  son sujet.

Dans un film comme Elephant Man, la « crĂ©ature Â» est recueillie par un mĂ©decin brillant qui en fait un cas clinique Ă  mĂȘme de critiquer la sociĂ©tĂ©. Pareil dans l’histoire de L’Enfant sauvage dont François Truffaut ( « nĂ© de pĂšre inconnu Â») a rĂ©alisĂ© un film. On ne parle pas d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier que ce soit dans l’histoire de Elephant Man ou de L’enfant sauvage.

 

L’infirmier et l’infirmiĂšre en soins gĂ©nĂ©raux ont bien les dĂ©marches de soins et ce qu’il en reste pour faire ça mais, disons, que ce n’est pas vĂ©ritablement ce qu’on leur demande le plus. Ce que l’on demande le plus Ă  une infirmiĂšre et Ă  un infirmier en soins gĂ©nĂ©raux, mĂȘme s’il y a des variantes, c’est, d’abord : d’exĂ©cuter. Soigner. Soigner et exĂ©cuter intelligemment bien-sĂ»r. De savoir pourquoi on rĂ©alise telle action pour soigner et comment. Et quand.  Pas de penser Ă  ce qu’est la vie en SociĂ©tĂ© ou Ă  ce qu’elle pourrait ĂȘtre, ou Ă  ce qu’elle devrait ĂȘtre. L’infirmier diplĂŽmĂ© en soins psychiatriques est sĂ»rement diffĂ©rent. Mais il y en a de moins en moins. Le diplĂŽme d’Etat d’infirmier qui prĂ©pare en prioritĂ© aux soins gĂ©nĂ©raux a dĂ©sormais le monopole en terme de formation infirmiĂšre. Et, je suis moi-mĂȘme un infirmier diplĂŽmĂ© en soins gĂ©nĂ©raux ( donc diplĂŽmĂ© d’Etat) qui a choisi d’aller travailler en psychiatrie il y a plus de vingt ans.

C’est peut-ĂȘtre pour ces raisons qu’hier, je me suis senti illĂ©gitime pour parler de mon quotidien durant l’épidĂ©mie lorsque Zez me l’a demandĂ©. Alors que, lorsque j’y ai repensĂ© dans la nuit, j’avais ce qu’il me demandait :

Il n’est pas nĂ©cessaire d’accomplir de grandes prouesses techniques pour prendre part Ă  une « Guerre sanitaire Â». Il y a bien des bĂ©nĂ©voles qui aident Ă  distribuer des repas ( ou des couvertures) pendant l’épidĂ©mie et personne ne contestera qu’en faisant ça, ils prennent part Ă  la Guerre sanitaire contre l’épidĂ©mie.  

En tant qu’infirmier, ĂȘtre prĂ©sent pour assurer «  la continuitĂ© des soins Â», pour remplacer des collĂšgues malades ou absents, s’occuper des patients, que ce soit dans un service ou au tĂ©lĂ©phone, c’est dĂ©jĂ  participer Ă  la Guerre sanitaire alors que d’autres prĂ©fĂšrent sans aucun doute rester Ă  l’abri chez eux et faire du tĂ©lĂ©travail. Et c’est, lĂ  aussi, un constat. Le Dr House et le Dr Ross ne sont pas les seuls Ă  permettre que la rĂ©sistance hospitaliĂšre l’emporte sur l’ennemi viral et bactĂ©rien qui prĂ©sente des particularitĂ©s mortelles.

 

Et puis, je me suis rappelĂ© de mon journal intime.  Hier aprĂšs-midi, j’ai Ă©crit ça dans mon journal aprĂšs avoir parlĂ© Ă  Zez. Je n’avais pas prĂ©vu de le mettre dans cet article puisque j’étais encore dans mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© et qu’ensuite je me suis dit que j’allais lui proposer quelqu’un d’autre pour s’exprimer sous couvert d’anonymat  ( j’ai Ă©videmment retirĂ© et modifiĂ© certains passages pour des raisons d’intimitĂ© et pour que ça serve l’article) :

« IdentitĂ© en crescendo, album de RocĂ©.

 

Ma fille est dans sa chambre depuis 14h30/15h00 officiellement pour faire sa sieste.

 

Depuis la derniĂšre fois que j’ai Ă©crit dans ce journal, le couvre-feu a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© par le PrĂ©sident Macron du fait de l’épidĂ©mie du coronavirus Covid-19. Il a pris effet cette semaine, mardi ou mercredi. Ma compagne et moi faisons partie des professionnels en premiĂšre ligne de cette « Guerre sanitaire Â» qu’a Ă©voquĂ©e plusieurs fois le PrĂ©sident Macron dans son allocution prĂ©sidentielle lundi soir, je crois. Je travaillais cette nuit-lĂ  avec F
 ma collĂšgue de nuit depuis plusieurs annĂ©es.

 

Il s’en est ensuivi une atmosphĂšre assez irrĂ©elle : tout, pratiquement, tourne autour de l’épidĂ©mie. Confinement, plus de contrĂŽles. Obligation d’avoir sur soi un laissez-passer sur soi en cas de contrĂŽle quand on sort. Je n’ai pas encore Ă©tĂ© contrĂŽlĂ© mais j’ai vu des contrĂŽles.

DĂšs l’allocution du PrĂ©sident Macron, j’ai dĂ©cidĂ© de reprendre mon vĂ©lo pour aller au travail. C’est plus loin que pour se rendre Ă  notre ancien service ( 1h05 contre 40 Ă  45 minutes) mais, au moins, je suis Ă  l’air libre et me farcis moins de contrĂŽles ( des contrĂŽleurs + les policiers) dans les transports en commun. Et puis, ainsi, je subis moins la diminution des transports en commun.

 

J’ai le moral. Mais je suis Ă©tonnĂ© de voir comme l’épidĂ©mie a opĂ©rĂ© une vĂ©ritable voire une totale occupation mentale de la plupart des esprits. Et nous n’en sommes qu’au dĂ©but de l’épidĂ©mie en France. Je crois que des personnes vont devenir folles Ă  force d’avoir la tĂȘte mangĂ©e par l’angoisse et en permanence fourrĂ©e dans la pensĂ©e du coronavirus Covid-19.

 

Il y a deux jours, un soir, Ă  l’heure du coucher, j’étais au tĂ©lĂ©phone avec ma compagne lorsqu’elle s’est mise  Ă  pleurer. Soudainement. Cela m’a surpris. Je lui ai demandĂ© si elle pensait que nous allions mourir. Elle m’a rĂ©pondu qu’elle ne savait pas. Qu’elle Ă©tait fatiguĂ©e. Je lui ai dit que je pense que nous ne mourrons pas. Ni elle, ni notre fille, ni moi.

 

Par contre, je crois qu’il est possible que quelqu’un que je connais meure du coronavirus. Puisque cette Ă©pidĂ©mie tue.

 

Rues dĂ©sertes, transports en commun dĂ©serts, tĂ©lĂ©travail et confinement pour celles et ceux qui peuvent. Les supermarchĂ©s, les boulangeries, certains bureaux de tabac ainsi que certains points de presse sont ouverts. Tous les centres culturels et lieux publics divers sont fermĂ©s : mĂ©diathĂšques, musĂ©es, salles de concerts, salles de projection de presse, cinĂ©mas, piscines.

 

Notre fille, comme les autres enfants de soignants, est accueillie dans une Ă©cole et un centre de loisirs dans notre ville. Cela lui permet de prendre l’air et de s’amuser avec d’autres enfants. Ses devoirs lui sont envoyĂ©s par sa maitresse via internet.

 

Quelques amis et proches s’inquiĂštent pour nous, ma compagne et moi, puisque nous sommes appelĂ©s Ă  ĂȘtre en premiĂšre ligne comme d’autres soignants. Pour l’instant, je suis plus inquiet de voir que nous perdons des libertĂ©s, que nous entrons dans un Etat policier, et que nous aurons beaucoup de mal Ă  rĂ©cupĂ©rer certaines de ces libertĂ©s aprĂšs l’épidĂ©mie.

 

Je crois que savoir couper moralement de l’angoisse, bien se reposer, et, aussi, Ă©viter d’ĂȘtre trop au contact avec des personnes trop angoissĂ©es, font partie des munitions Ă  avoir avec soi pour supporter l’épidĂ©mie et la surmonter.

Je n’aime pas cette ambiance de folie gĂ©nĂ©rale hĂ©bergĂ©e par la majoritĂ© sur les rĂ©seaux sociaux par exemple. Tous les jours, tous les jours. MĂȘme s’il y  aussi de la solidaritĂ©, de l’humour.

J’ai aussi appelĂ© quelques amis et proches. Mais je vais aussi veiller Ă  me reposer et Ă  savoir me tenir Ă  l’écart de celles et ceux qui sont trop angoissĂ©s. A couper mon tĂ©lĂ©phone portable.

Mes prochains articles sur mon blog seront si possible « hors Â» Ă©pidĂ©mie, hors du sujet de l’épidĂ©mie. Je vais aussi prendre soin de lire ( en ce moment, je lis La DerniĂšre Ă©treinte du primatologue et Ă©thologue Frans de Waal, bon, le titre a un cĂŽtĂ© funeste mais je l’avais commencĂ© avant le couvre-feu). Et Ă©couter de la musique.

Avant le couvre-feu, nous pensions que X
 serait la ville oĂč nous aimerions vivre. L’épidĂ©mie va peut-ĂȘtre changer la donne. Sans notre mĂ©tier, ma compagne et moi serions confinĂ©s en permanence lors du couvre-feu car nous n’avons pas de terrasse ou de jardin. Rester tout le temps dans son appartement, c’est usant. MĂȘme si on peut sortir pour faire des courses, emmener son enfant Ă  l’école et faire un footing matinal ou emmener son animal faire ses besoins. Ou partir au travail pour celles et ceux qui ne peuvent pas faire du tĂ©lĂ©travail.

 

Hier soir, ma compagne et moi avons fait le mĂȘme constat : nous Ă©tions vendredi et, en raison de l’épidĂ©mie, nous n’avions pas pu prendre le temps de nous occuper de notre fille afin qu’elle fasse ses devoirs. Nous en Ă©tions encore aux devoirs de mardi. Nous nous sommes dit qu’elle allait ĂȘtre pĂ©nalisĂ©e. 

 

Ma play-list pour le moment :

 

1)  A La Claire Fontaine      5:02    Manu Dibango          Afro-Soul Machine [Disc 1]            

 

2) No Monopoly On Hurt    2:55    Kennedy Milteau Segal       CrossBorder Blues (2018) Blues 

 

3) Mirza         3:52    Nino Ferrer   Nino Ferrer Et Cie – La Vie Chez Les Automobilistes      Pop                

4) Verdi: Pater Noster         5:49    Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra & Chorus « Giuseppe Verdi »    Verdi: Messa Solenne          Classical                      

 

5) Rebellion In Heaven       4:17    Inna De Yard Feat. Cedric Myton  Inna De Yard            Reggae                      

6 ) The Wind Blew It Away – Qua CĂąu Gio Bay    7:33    NguyĂȘn LĂȘ     Tales From ViĂȘt-Nam           Jazz                

 

7) Fugue En Rire      2:44    Henri Salvador         Ses Plus Grandes Chansons [Disc 2]         Pop                

 

8) Louxor J’adore     3:02    Katerine        Robots aprĂšs tout     Chanson française              

9) Andy         5:23    Les Rita Mitsouko     The No Comprendo Rock              

 

10 ) DadouĂ©  4:47    Njie (MJthriller)       Best Of (MJthriller)  Zouk              

 

11) Verdi: Laudate Pueri    6:28    Eldar Aliev, Kenneth Tarver, Etc.; Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra « Giuseppe Verdi », Verdi Chorus Milan  Verdi: Messa Solenne          Classical                    

 

12) Kanou     3:52    Mamani Keita           Kanou            Pop     ».

 

La personne que je pensais plus lĂ©gitime que moi afin qu’elle parle Ă  Zez de son quotidien pendant l’épidĂ©mie a rĂ©pondu ce matin :

 

Elle ne se sent pas légitime pour en parler.

 

Peut-ĂȘtre que mon article va la faire changer d’avis ou inspirer d’autres personnes que je vais contacter et que celles-ci se sentiront suffisamment lĂ©gitimes pour parler de leur quotidien au cours de cette Ă©pidĂ©mie. Ce serait bien d’avoir plusieurs points de vue.

 

Franck Unimon, ce samedi 21 mars 2020.  

 

 

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Une occupation invisible

 

L’occupant est « partout Â». MĂȘme notre parole est occupĂ©e. Si l’on prĂ©sentait devant moi un groupe de personnes en me sommant de dire qui est ou n’est pas contaminĂ©, je serais incapable de rĂ©pondre. Sauf, peut-ĂȘtre, si on me menaçait d’ĂȘtre exĂ©cutĂ©. Et encore. Ça reste Ă  voir. Je me montrerais peut-ĂȘtre hĂ©roĂŻque. Pour une fois.

 

Comme on ne sait pas qui est contaminĂ© ou peut ĂȘtre contaminĂ© par l’ennemi, cet ennemi invisible, nous devrions, nous pourrions imaginer que tout le monde autour de soi est suspect. Tout le monde. MĂȘme si on ne le sait pas. MĂȘme si on n’ose pas le dire.

 

Il a suffi de quelques jours, nous en sommes Ă  peine Ă  la premiĂšre semaine du couvre-feu, pour que dĂ©jĂ , une certaine forme de paranoĂŻa se pose parmi nous comme on peut poser chez soi du papier peint que l’on est allĂ© acheter dans un magasin. Cette forme de parano est autant notre ennemi que ce virus. Elle, aussi, nous occupe.

Face Ă  cela, tout le monde s’organise comme il le peut. La plupart se confinent comme cela a Ă©tĂ© indiquĂ© par les AutoritĂ©s.

D’autres prennent l’air en donnant carte blanche Ă  leurs angoisses et Ă  leurs peurs sur les rĂ©seaux sociaux. Tout le temps. Tout le temps. Tout le temps. Il faut bien s’occuper.

D’autres sortent malgrĂ© les consignes. Enfin, c’est ce que l’on suppose car ces personnes que l’on voit dehors, on ne les connaĂźt pas. On les aperçoit. On ne leur parle pas. On les Ă©vite et on les juge plus vite que d’habitude. Parce-que l’on a plus peur que d’habitude, on voit des collabos, des irresponsables et des idiots partout.

 

Cette occupation est trĂšs effrayante : lorsqu’elle devient visible, il est peut-ĂȘtre trop tard.

 

Voici pour moi, pour l’instant, l’une des plus grandes vĂ©ritĂ©s de cette Ă©pidĂ©mie :

 

Nous n’avons jamais Ă©tĂ© libres.

 

Et lorsque tout cela sera « terminĂ© Â», que nous fĂȘterons la « fin Â» du  couvre-feu  et de la mort, que nous pleurerons et compterons nos dĂ©funts, que nous ouvrirons nos procĂšs pour condamner celles et ceux qui nous ont trompĂ©s, nous oublierons peut-ĂȘtre rapidement que nous n’avons jamais Ă©tĂ© libres. Ce sera notre façon de continuer d’accepter que notre vie est, le plus souvent, occupĂ©e.

 

Je m’attends Ă  ce que bien des records soient battus – et sans dopage- aprĂšs cette pĂ©riode d’enfermement et de peur. Battre des records fait aussi partie de nos tentatives afin d’essayer d’oublier- d’exorciser- le fait que nous ne sommes pas libres.

 

Cet article fait partie d’un trio. Celui-ci est le premier du trio, suivi de Objectif de conscience

puis de L’Avenir de l’HumanitĂ©.

Franck Unimon, samedi 21 mars 2020.

 

 

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Adaptations

 

                                                   Adaptations

«  Soleil ! Soleil ! Â». On entendait d’assez loin cette voix rocailleuse alors que l’on se rapprochait du service en venant travailler. Ce patient enfermĂ© dans sa chambre d’isolement, convaincu d’ĂȘtre Dieu, croyait pouvoir influer sur la marche du soleil.

 

Un autre jour, l’alarme incendie ou l’alarme anti-agression venait de se dĂ©clencher alors que je me trouvais avec ce patient dans le secteur protĂ©gĂ© de son service. Tout s’était bien passĂ© jusqu’alors avec lui. Pourtant, Je m’étais alors  dit :

«  Vu son Ă©tat dĂ©lirant, cela va ĂȘtre difficile de le faire retourner dans sa chambre
. Â». J’avais Ă  peine eu le temps de former cette pensĂ©e, que, de lui-mĂȘme, ce Dieu-Soleil avait de lui-mĂȘme rĂ©intĂ©grĂ© sa chambre. Ce faisant, il m’avait en quelque sorte dĂ©livrĂ© de lui. Et, je pouvais donc me rendre Ă  l’endroit oĂč l’alarme s’Ă©tait dĂ©clenchĂ©e et oĂč un renfort Ă©tait peut-ĂȘtre nĂ©cessaire.

 

On pourrait ĂȘtre Ă©tonnĂ© par l’extraordinaire facultĂ© d’adaptation ainsi que par la trĂšs grande luciditĂ© de celles et ceux que l’on dĂ©nomme les « fous Â» qu’ils soient hospitalisĂ©s en psychiatrie ou qu’ils soient en « libertĂ© Â». 

 

Cette histoire fait partie de celles que j’aime raconter. Elle a plus de vingt ans. L’HumanitĂ© a peu changĂ© en plus de vingt ans. Il y a plus de vingt ans, nous avions un certain nombre de peurs et d’inquiĂ©tudes qui sont toujours prĂ©sentes aujourd’hui. Au moment de choisir une destination de voyage. Un mode de dĂ©placement. L’endroit oĂč nous allons habiter. L’école oĂč nous allons inscrire nos enfants. Le genre de personnes que nous allons frĂ©quenter. Pour choisir celle ou celui avec lequel nous allons « faire Â» notre vie. Lorsqu’il s’agit de changer d’emploi, de mĂ©tier, de pays ou de rĂ©gion. Le concert oĂč nous allons nous rendre. Le plat que nous allons prendre au restaurant. Le film que nous allons voir.

 

Bien-sĂ»r, depuis quelques jours et les mesures et restrictions dĂ©cidĂ©es par le gouvernement afin d’endiguer les consĂ©quences de l’épidĂ©mie que nous connaissons, un certain nombre de ces actions et activitĂ©s ont Ă©tĂ© limitĂ©es et sont contrĂŽlĂ©es. Le « temps Â» de l’épidĂ©mie. Officiellement.

 

J’écris « officiellement Â» car j’apprĂ©hende beaucoup qu’aprĂšs l’épidĂ©mie, fort de certains chiffres et de rĂ©sultats que le gouvernement saura nous assĂ©ner, que certains contrĂŽles deviennent une norme inacceptable et inconcevable avant l’épidĂ©mie.

 

PrĂ©cisons tout de suite : il y a du bon dans les contrĂŽles. On contrĂŽle bien son poids. Sa tension artĂ©rielle. L’argent que l’on dĂ©pense. Le nombre de verres d’alcool que l’on boit avant de reprendre le volant. S’il fait beau ou froid dehors avant de sortir. Si l’on dispose d’assez de nourriture et de boissons lorsque l’on reçoit des invitĂ©s et que l’on fait la fĂȘte.

 

Et je m’attends Ă  ce qu’avec la multiplication des contrĂŽles du fait de l’épidĂ©mie,  et le couvre-feu, que diverses sortes de criminalitĂ©s diminuent, que la menace anti-terroriste recule. Avant hier soir, je crois, je me suis imaginĂ© ça en passant devant un coin de rue :

 » ça fait drÎle de voir un dealer qui porte un masque chirurgical dans la rue ».

On sait aussi qu’une moindre circulation routiĂšre et une moindre activitĂ© « humaine Â» fait du bien Ă  l’atmosphĂšre de la planĂšte et du pays. MĂȘme si on sait aussi nous dire que cela est catastrophique pour l’économie et les finances mĂȘme si certains en profitent pour faire un trĂšs bon chiffre d’affaires ou pour y gagner en popularitĂ© :

Du revendeur et du producteur de papier toilettes Ă  certains financiers en passant par d’autres activitĂ©s. Je veux bien croire que mon blog, comme d’autres blogs, d’autres sites, et bien des auteurs,  sera un peu plus lu en ce moment qu’avant la pĂ©riode de l’épidĂ©mie.

 

Mais c’est la frĂ©quence des contrĂŽles, leur justification et leurs caractĂšres obligatoires qui peuvent devenir oppressants et rendre certaines rĂ©actions et certaines rĂ©sistances
.explosives.  

En y repensant, je me suis aperçu que ce je dis et ressens vis-Ă -vis d’un « contrĂŽle Â» qui nous est frĂ©quemment imposĂ©, s’applique autant Ă  la façon dont nous Ă©duquons nos enfants oĂč nous avons beaucoup tendance Ă  les « contrĂŽler Â» ou Ă  vouloir les « contrĂŽler Â». Mais aussi Ă  ce que peuvent vivre des dĂ©tenus
en prison. Hier, j’ai lu que les conditions de prĂ©vention sanitaire dans des cellules de prison dĂ©jĂ  surchargĂ©es Ă©taient pratiquement irrĂ©alisables. On peut donc s’attendre Ă  des Ă©meutes prochainement dans certaines prisons comme dans tout endroit qui cumulera trop d’enfermement et trop de contrĂŽle. Et pas assez
.de folie.

 

J’ai  vĂ©ritablement compris ce matin la raison pour laquelle, en apprenant les mesures relatives au couvre-feu, la diminution des transports etc
, j’avais d’un seul coup Ă©prouvĂ© le besoin de me rendre au travail au vĂ©lo. Alors que cela m’impose une certaine contrainte physique :

 

Prendre les transports en commun, le mĂ©tro, s’est s’enfermer. Se priver de l’air et de la lumiĂšre extĂ©rieure. C’est accepter de se dĂ©placer dans un espace restreint avec peu de possibilitĂ©s d’échappatoires en cas de besoin ou si je le souhaite. Quand je le souhaite.

 

Je ne suis pas particuliĂšrement claustrophobe. J’aime beaucoup prendre les transports en commun. En rĂ©gion parisienne, je prĂ©fĂšre largement prendre les transports en commun Ă  conduire ma voiture. Et je ne suis pas particuliĂšrement inquiet Ă  l’idĂ©e d’ĂȘtre contaminĂ© parce-que j’aurais partagĂ© un espace public confinĂ© dans les transports en commun.

 

Par contre, savoir qu’aux contrĂŽles de titres de transport dĂ©jĂ  frĂ©quents bien avant l’épidĂ©mie, vont dĂ©sormais s’ajouter, en toute lĂ©galitĂ©, d’autres contrĂŽles pour, officiellement, des raisons sanitaires du fait de l’épidĂ©mie. Tout en sachant que chaque fois que l’on appose notre pass navigo sur une porte de validation, notre itinĂ©raire est dĂ©jĂ  contrĂŽlĂ© ; et que chaque fois que notre tĂ©lĂ©phone portable ou notre ordinateur est allumĂ© qu’il est possible non seulement de contrĂŽler notre itinĂ©raire mais aussi notre activité ..

 

Toutes ces mesures de contrĂŽles et d’enfermement ont soudainement fait trop pour moi. MĂȘme si, je le rĂ©pĂšte, j’approuve toutes les mesures de prĂ©cautions sanitaires et m’applique Ă  les suivre de mon mieux comme la majoritĂ© des citoyens de France et des pays concernĂ©s par l’épidĂ©mie.

 

Je veux pour preuve de ce « trop-plein Â» d’enfermement et de contrĂŽle le premier rĂȘve que j’ai fait cette nuit directement inspirĂ© de l’épidĂ©mie.

 

Dans mon rĂȘve, il n’était pas question d’un hĂŽpital, de patients exsangues, ou de moi, ou d’un proche, mourant sur un lit d’hĂŽpital alors que ces Ă©ventualitĂ©s sont pourtant probables.

Dans mon rĂȘve, il Ă©tait question
.d’un Etat policier et de contrĂŽles permanents. VoilĂ  ce qui, pour l’instant, m’inquiĂšte et m’épouvante plus que le coronavirus Covid-19.

 

 

 

 

Je devrais ĂȘtre content d’ĂȘtre dans un pays puissant qui dispose d’un gouvernement qui essaie de son mieux de prendre la mesure de l’épidĂ©mie afin d’éviter qu’elle se rĂ©pande et tue beaucoup de gens. Mais ce sentiment, s’il est prĂ©sent, reste habitĂ©, infectĂ©, percĂ©, par un trĂšs grand sentiment de dĂ©fiance envers ce mĂȘme gouvernement.

 

Je n’ai pourtant rien, spontanĂ©ment, je me rĂ©pĂšte, contre les contrĂŽles, la police et l’Etat.

Mais ce qui fait la diffĂ©rence entre ma fille qui, ce matin, alors que je la ramenais Ă  l’école, m’a dit «  J’adore la police. Parce-que la police est lĂ  pour nous protĂ©ger et arrĂȘter les mĂ©chants Â» et moi, c’est, sans doute, la somme de tous ces contrĂŽles, leur frĂ©quence comme leurs justifications, que j’ai dĂ©jĂ  vĂ©cus et subis comme la majoritĂ© des citoyens.

 

Et, cela, bien avant l’épidĂ©mie.

 

Et, j’ajoute tout de suite que, ici, je me mets dans le mĂȘme lot que n’importe quel citoyen, blanc ou noir. En excluant tout critĂšre racial.

 

Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu Ă  venir, lorsque j’ai dĂ©cidĂ© de reprendre mon vĂ©lo pour aller au travail, je ne me suis pas dit :

 

« Avec ma tĂȘte de noir, je suis bon pour battre tous mes scores de contrĂŽles au faciĂšs ! Â».

 

MĂȘme si je peux imaginer que des noirs mais aussi des Arabes ou des asiatiques se sont peut-ĂȘtre dit, eux, qu’avec le couvre-feu et la multiplication des contrĂŽles, qu’ils allaient en bouffer, des contrĂŽles, pendant l’épidĂ©mie.

 

Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu, je me suis simplement dit – sans prendre le temps de rĂ©flĂ©chir- que ce serait bien et mieux de rester Ă  l’air libre. Et de moins subir le fait qu’il y ait moins de transports en commun. De ne pas avoir Ă  attendre une demie heure ou plus pour avoir un train.

 

Les faits m’ont dĂ©jĂ  donnĂ© un peu raison.

 

Hier matin, une collĂšgue a appelĂ© vers 6h10. Elle Ă©tait contrariĂ©e et semblait culpabilisĂ©e :

 Il n y avait pas de train prĂšs de chez elle. Elle ne savait pas quand il allait y en avoir un. Et elle ne savait pas Ă  quelle heure elle allait pouvoir arriver dans le service. Cette collĂšgue censĂ©e commencer Ă  6H45 arrive habituellement avec dix Ă  quinze minutes d’avance. Elle est donc un modĂšle de ponctualitĂ©.

Notre autre collĂšgue qui commençait Ă©galement Ă  6h45  a, en temps ordinaire,  plus de difficultĂ©s pour arriver Ă  l’heure dans le service.

Depuis le « dĂ©mĂ©nagement Â» provisoire de notre service, cette seconde collĂšgue met environ une heure trente pour venir dans le service en prenant les transports en commun. 

Avec le « dĂ©mĂ©nagement Â» de notre service, certains collĂšgues ont vu leur temps de trajet diminuer et d’autres, sensiblement augmenter. Je fais partie des chanceux :

 

Par les transports en commun, mon trajet a Ă©tĂ© augmentĂ© d’environ dix minutes, ce qui est peu. Par contre, Ă  vĂ©lo, comme je l’ai Ă©crit plus ou moins ( Vent d’ñme) mon trajet a Ă©tĂ© augmentĂ© de vingt bonnes minutes. C’est un effort physique supplĂ©mentaire supportable Ă  condition de bĂ©nĂ©ficier d’un minimum d’entraĂźnement et Ă  condition, Ă©videmment, de pouvoir bien rĂ©cupĂ©rer entre les pĂ©riodes d’effort. Je rappelle que je travaille de nuit et que le travail de nuit comporte certaines consĂ©quences sur la santĂ© trĂšs bien connues depuis des annĂ©es par la mĂ©decine du travail. MĂȘme si, pour l’instant, Ă  part quelques moments de fatigue, je m’accommode, je crois, plutĂŽt bien du travail de nuit. Et je m’en accommode aussi parce-que c’est mon choix, pour l’instant, de rester de nuit dans ce service.

 

Hier matin, ma collĂšgue embĂȘtĂ©e par son retard incompressible, est finalement arrivĂ©e bien plus tĂŽt que ce Ă  quoi je m’attendais. En sueurs, assez contrariĂ©e, elle m’a dit avoir « speedĂ© Â» pour venir. Au tĂ©lĂ©phone, j’avais pourtant fait mon possible pour dĂ©dramatiser la situation. Ma collĂšgue de nuit et moi pouvions attendre. Nous connaissions trĂšs bien le contexte. Par ailleurs, j’ai toujours en tĂȘte ce qu’avait pu me dire mon ancien ami et collĂšgue, Scapin, Bertrand pour l’Etat-civil, dĂ©cĂ©dĂ© d’un cancer quelques annĂ©es avant de prendre sa retraite :

Se dĂ©pĂȘcher lorsque l’on est en retard, c’est courir le risque de l’accident idiot qui peut ĂȘtre mortel.

Scapin n’avait pas eu besoin de forcer pour me convaincre de ce genre de raisonnement. J’ai longtemps Ă©tĂ© un retardataire chronique et cela m’arrive encore d’ĂȘtre en retard.

 

Lorsqu’il n’y a pas d’urgence.

 

J’essaie de faire le tri et la diffĂ©rence entre les vĂ©ritables urgences
.et les fausses urgences. J’ai continuĂ© Ă  apprendre Ă  le faire lorsque j’ai travaillĂ© dans un service d’hospitalisation de psychiatrie adulte il y a plus de vingt ans. J’avais commencĂ© Ă  apprendre Ă  le faire auparavant en travaillant comme vacataire et comme intĂ©rimaire. En prenant certaines personnes et certaines situations pour modĂšles. En faisant le ratio entre le stress ressenti, maximal, et le rĂ©sultat final d’un certain nombre de situations vĂ©cues au travail mais aussi dans la vie. AprĂšs avoir conclu un certain nombre de fois :

 » Tout ça ( autant de stress et d’inquiĂ©tudes, tout un pataquĂšs ) pour ça ?! « .

J’Ă©tais sans doute volontaire pour ce genre d’apprentissage. Cet apprentissage s’accorde peut-ĂȘtre assez bien avec mon tempĂ©rament. Avec mes croyances. Avec, aussi, ce que j’imagine, Ă  tort ou Ă  raison, de mes capacitĂ©s rĂ©elles et supposĂ©es d’adaptation en cas de problĂšme. 

 L’anxiĂ©tĂ© et la peur nous font souvent voir des situations d’urgences lĂ  oĂč, en fait, nous avons affaire Ă  des fausses urgences.

C’est ce que je crois d’aprĂšs mes expĂ©riences.  

 

Mais il me sera difficile de convaincre celles et ceux qui voient des urgences Ă  peu prĂšs partout et qui ont aussi de l’expĂ©rience  :

Cette attitude et cette vision des Ă©vĂ©nements n’est pas une science exacte ni dĂ©montrable. MĂȘme en donnant des exemples « concrets ». Le sentiment de vulnĂ©rabilitĂ© et d’impuissance fluctue d’une personne Ă  un autre. 

Et puis, voir des urgences partout est une façon personnelle de s’adapter aux Ă©chĂ©ances. De se prĂ©parer ou de se « sentir » prĂȘt.

Les façons de s‘adapter Ă  une mĂȘme Ă©chĂ©ance peuvent Ă©normĂ©ment varier d’une personne Ă  une autre selon les environnements : une personne trĂšs Ă  l’aise dans un environnement donnĂ© peut complĂštement perdre ses moyens dans un autre environnement Ă  un point inimaginable. 

Je me rappelle avoir recroisĂ© une Ă©tudiante infirmiĂšre qui avait effectuĂ© un stage dans le service de psychiatrie adulte que je mentionne dans le dĂ©but de cet article. Lors de son stage, cette jeune Ă©tudiante ne m’avait pas marquĂ© par une aisance particuliĂšre. Lorsque je l’ai revue plusieurs annĂ©es plus tard, je reprenais des cours de plongĂ©e dans un club en rĂ©gion parisienne. Et, nous avions Ă  nous immerger dans une fosse pouvant atteindre les vingt mĂštres de profondeur. Cette Ă©tudiante-infirmiĂšre, qui Ă©tait peut-ĂȘtre diplĂŽmĂ©e depuis, n’Ă©tait alors plus dans la situation de l’Ă©tudiante face Ă  un infirmier. Et elle n’Ă©tait plus, non plus, dans un service de psychiatrie. Elle Ă©tait dans un univers aquatique oĂč, de toute Ă©vidence, elle avait ses marques et une grande aisance. Alors que moi, je reprenais la plongĂ©e aprĂšs plusieurs annĂ©es d’inactivitĂ© dans ce club que je dĂ©couvrais. HĂ© bien, ce jour-lĂ , le grand anxieux et l’inadaptĂ©, ce fut moi sans aucune discussion. Qu’est-ce que je fus ridicule peut-ĂȘtre lors de cette sĂ©ance lorsqu’il fut question de nous jeter Ă  l’eau depuis un plongeoir, tout harnachĂ©s de notre Ă©quipement de plongeur ! Ridicule, hors de propos, pas dans le coup, flippĂ©. Un vrai sketch comique. 

 

De temps Ă  autre, j’essaie de me rappeler, comme, selon les circonstances, nous sommes beaucoup moins assurĂ©s et beaucoup moins beaux Ă  avoir que lorsque nous Ă©voluons dans un univers que nous connaissons et maitrisons. Mais, aussi, que celles et ceux qui nous « commandent » ou nous Ă©patent, sont aussi exactement pareils une fois sortis de leur domaine de compĂ©tences et de prĂ©dilection. Ce que nous avons pourtant souvent bien du mal Ă  imaginer et Ă  accepter. 

 

Et puis, il y a aussi du bon dans le fait d’ĂȘtre entourĂ© de certaines personnes anxieuses ou prĂ©voyantes comme de savoir les Ă©couter. Car l’excĂšs d’assurance peut nuire.  

Et, Ă©videmment, il  existe bien-sĂ»r des façons communes de rĂ©agir Ă  une mĂȘme Ă©chĂ©ance.

Certaines urgences sont indiscutables

 

Hier matin, pour moi, mes deux collĂšgues du matin pouvaient prendre leur temps pour arriver. Je savais que leur retard leur Ă©tait imposĂ© par les circonstances. Je savais que j’avais de la marge pour les attendre. Il n’y avait pour moi pas d’urgence Ă  ce qu’elles arrivent. Le service Ă©tait calme. Et si nĂ©cessitĂ© il y avait, ma collĂšgue de nuit et moi aurions pu nous occuper des patients en attendant l’arrivĂ©e de nos collĂšgues du matin. Du reste, en les attendant, je me suis rappelĂ© que j’avais dans mon vestiaire une enceinte portable. Je suis allĂ© la chercher et ai raccordĂ© mon baladeur audiophile pour lancer le titre Reggae Makossa de Manu Dibango.

 

Plus tard, et alors que la musique continuait de tourner lĂ  oĂč je l’avais laissĂ©e , lors de ma conversation avec ma collĂšgue du matin dans la salle de soins , celle-ci m’a rĂ©pondu avoir renoncĂ© Ă  venir Ă  vĂ©lo dans notre « nouveau Â» service :

D’une part, elle s’était faite trĂšs peur en passant par l’Arc de Triomphe en raison de la densitĂ© de la circulation routiĂšre. C’était avant le couvre-feu et avant que l’épidĂ©mie prenne autant d’ampleur. Je n’ai pas discutĂ© son propos. Je me rappelle encore d’une anecdote qu’un kinĂ© m’avait racontĂ© il y a plusieurs annĂ©es : une connaissance, qui avait principalement vĂ©cu quelque part en Afrique, s’Ă©tait retrouvĂ©e sur l’Arc de Triomphe en voiture. Cette personne avait tournĂ© pendant une demie-heure autour de l’Arc de Triomphe avant de rĂ©ussir Ă  en sortir. 

 

D’autre part, toujours pour cette collĂšgue,  l’effort physique pour venir Ă  vĂ©lo dans notre « nouveau Â» service avait Ă©tĂ© si Ă©prouvant  qu’en arrivant dans le service, elle Ă©tait au bord du malaise. Et elle avait dĂ» prendre le temps de rĂ©cupĂ©rer de son effort avant de pouvoir prendre son service.

 

Le repos, la capacitĂ© de rĂ©cupĂ©rer physiquement et mentalement, de savoir se limiter,  mais aussi de s’y autoriser, fera partie de la solution  pour gagner la  « Guerre Â».

 

Cette vĂ©ritĂ©-lĂ , concrĂšte, je doute que le GĂ©nĂ©ral Macron l’ait prise en compte lors de l’effort de guerre qu’il a demandĂ© aux soignants dans son allocution. Ou alors il connaĂźt cette vĂ©ritĂ© et en a rajoutĂ© une couche en parlant et en reparlant de « Guerre sanitaire Â» pour enjoindre et pousser les soignants Ă  se lancer, Ă  se jeter pratiquement tĂȘte baissĂ©e, sans prendre le temps de respirer, dans le combat contre l’épidĂ©mie :

Avant toute Ă©pidĂ©mie, quelle qu’elle soit, et avant d’ĂȘtre « mobilisĂ©s Â» ou «  rĂ©quisitionnĂ©s Â» par leur hiĂ©rarchie ou des circonstances sanitaires particuliĂšres,  les soignants sont avant tout des personnes engagĂ©es qui ont une conscience morale et professionnelle et qui travaillent dans des conditions qui peuvent ĂȘtre particuliĂšrement exigeantes et contraignantes.

 

Les soignants sont souvent des personnes qui s’autocontrĂŽlent  et s’autocensurent d’elles-mĂȘmes en permanence.

 

Elles se mettent d’elles-mĂȘmes, et toutes seules, une grande pression. Elles ont souvent  un sens des responsabilitĂ©s, du Devoir, mais Ă©galement de culpabilitĂ© et d’autocritique particuliĂšrement Ă©levĂ©.

 

Ce qui est souvent bien pratique pour les manager. Et les maltraiter.

 

Oui, j’ai bien Ă©crit «  soignants Â» car dans mon article Vent d’ñme , j’ai beaucoup centrĂ© mon attention sur le personnel infirmier. Alors qu’évidemment, il y a d’autres professionnels et d’autres mĂ©tiers soignants que celui d’infirmier. Et que l’on peut du reste ajouter tout le personnel socio-mĂ©dical, administratif ainsi que le personnel de mĂ©nage et hĂŽtelier lorsque l’on parle d’un Ă©tablissement de soins.

Il faut aussi ajouter le personnel technicien. Car un Ă©tablissement de soins tient aussi grĂące Ă  son personnel technicien :

Lorsqu’un ascenseur tombe en panne, que l’informatique se dĂ©chausse et se dĂ©rĂšgle, ou qu’un incendie dĂ©bute, il faut bien faire appel Ă  des techniciens. Et c’est tout ce personnel soignant et non-soignant qui permet Ă  des lieux de soins de tenir et de bien fonctionner. Pas uniquement le personnel infirmier ou mĂ©dical.

Et, sans doute, aussi, doit-on ajouter dans cet organigramme, Ă  cĂŽtĂ© des services de direction
 les syndicats. Les syndicats qui ont connu une certaine dĂ©saffection par rapport Ă  il y a vingt ou trente ans,  sont des organisations, du moins Ă  l’hĂŽpital, pour ce que j’en vois, souvent constituĂ©es de personnel hospitalier initialement soignant comme non-soignant.

 

Tout le personnel, soignant et non soignant,  syndiquĂ© ou non syndiquĂ©, indispensable Ă  la bonne marche d’un lieu de soins, a, connaĂźt, vit, un certain nombre de contraintes personnelles et professionnelles variables en dehors de tout contexte d’épidĂ©mie.

 

Certaines de ces contraintes peuvent ĂȘtre le fait de tomber malade. Car, oui, du personnel soignant et non-soignant, hors de tout contexte d’épidĂ©mie, ça tombe aussi malade. OĂč ça a des enfants ou des proches qui tombent malades comme tout le monde hors de tout contexte d’épidĂ©mie. Et ce personnel soignant et non-soignant, ne bĂ©nĂ©ficie pas toujours des Ă©gards auxquels il pourrait avoir droit lors de ces circonstances de maladie et autres qui l’empĂȘchent de se rendre au travail. D’oĂč la raison pour laquelle, oui, j’ai bien Ă©crit le mot «  Maltraiter Â».

 

Avant l’épidĂ©mie, dans mon hĂŽpital, il y avait rĂ©guliĂšrement du personnel manquant dans un certain nombre de services. Dont le mien. Pour raisons de maladies qui n’ont rien Ă  voir avec l’épidĂ©mie. Pour des arrĂȘts de travail. Mais aussi du fait de dĂ©parts de personnels non remplacĂ©s.

 

Alors, en pĂ©riode d’épidĂ©mie et de « Guerre sanitaire Â», je vous laisse imaginer ce qu’il peut ĂȘtre possible, pour certains managers et dĂ©cideurs, d’exiger du personnel soignant et non-soignant pour combler ce manque de personnel.  Pour des raisons « d’éthique Â», de « solidaritĂ© Â».

 

Et je ne crois pas que le GĂ©nĂ©ral Macron soit bien au fait de tout cela. Ses diffĂ©rents intermĂ©diaires se garderont bien de lui faire part de ce genre d’informations. D’autant qu’un GĂ©nĂ©ral en pleine guerre peut avoir bien d’autres prĂ©occupations que de s’assurer du bien-ĂȘtre de ses soldats.

 

Je le prĂ©cise tout de suite :

 

Dans mon service, je nous crois , pour l’instant,  prĂ©servĂ©s de ces travers en termes de maltraitance. Nous sommes plutĂŽt solidaires. Du mĂ©decin-chef, Ă  la cadre de pĂŽle jusqu’à la femme de mĂ©nage.

 

Par exemple, un des praticiens hospitaliers du service avait crĂ©Ă© un groupe What’S App plusieurs semaines avant qu’on en arrive au couvre-feu et aux mesures actuelles. Et ce groupe What’s App permet bien des Ă©changes d’informations concernant les adaptations Ă  faire au vu du contexte ainsi que d’informations qui permettent de dĂ©miner le climat anxiogĂšne actuel.

 

 

Mais je « connais Â» suffisamment, je crois, mon environnement professionnel, ainsi que d’autres soignants ailleurs, pour savoir ce que le mot «  Maltraiter Â»  peut vouloir dire concrĂštement, dans le milieu hospitalier lorsque l’on y exerce en tant que soignant. Ou non-soignant. 

 

Si j’ai autant pris le temps d’écrire tout ça, c’est parce-que, l’on a vite fait de dresser un portrait convenable et prĂ©sentable de l’engagement des soignants en occultant ce qu’il peut y avoir derriĂšre comme souffrance personnelle et professionnelle du cĂŽtĂ© des soignants ( mais aussi du cĂŽtĂ© des non-soignants), et, cela, bien avant l’épidĂ©mie qui nous occupe en ce moment.

 

Maintenant, que j’ai Ă©crit ça, passons aux bonnes nouvelles, car il y en a.

 

Ça passe Ă©videmment par ces initiatives diverses sur les rĂ©seaux sociaux. Avec des chaĂźnes de solidaritĂ© et de reconnaissance envers les personnels soignants.

 

Par des messages d’amis.

 

Par la solidarité qui peut exister au sein de certaines équipes et dans certains services.

 

 

Par cette initiative de l’OpĂ©ra de retransmettre gratuitement sur le net certains de ses spectacles. Une collĂšgue nous en a informĂ©s.

 

Par des actions comme celle de ce réalisateur, de ce caméraman et de ce danseur croisés devant le Louvre.

 

Le danseur Dany, avec le réalisateur Cyril Masson. Je ne connais pas le prénom du cameraman.

 

Un certain nombre de lieux publics sont aujourd’hui fermĂ©s. Les cinĂ©mas et les mĂ©diathĂšques par exemple. Les salles de cinĂ©ma sont fermĂ©es jusqu’au 15 avril pour l’instant. Les projections de presse ont Ă©tĂ© annulĂ©es jusqu’Ă  cette date pour le moment. Bien d’autres manifestations artistiques et culturelles ( concerts, expositions….) ont Ă©tĂ© toutes autant suspendues du fait de l’Ă©pidĂ©mie. 

 

En circulant Ă  vĂ©lo, je suis passĂ© plusieurs fois devant l’affiche du film Brooklyn Secret qui devait sortir ce 18 mars et Ă  propos duquel j’ai Ă©crit ( Brooklyn Secret  ). Je sais par un mail des attachĂ©s de presse que la sortie de ce film, comme celle de bien d’autres films, est repoussĂ©e Ă  plus tard. Cela m’a rappelĂ© que je n’ai toujours pas Ă©crit d’article sur les derniers films que j’avais vus au cinĂ©ma avant le couvre-feu :

 

L’appel de la forĂȘt, EMA mais aussi Kongo. J’ai toujours prĂ©vu de le faire.

 

 

Hier matin, en revenant du travail Ă  vĂ©lo, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir autant de personnes effectuer un footing matinal. Pratiquement autant de femmes que d’hommes. Je me suis demandĂ© si cela Ă©tait dĂ» au fait que les tempĂ©ratures extĂ©rieures, depuis quelques jours, sont plutĂŽt douces ( 17 degrĂ©s hier Ă  Paris) et que l’on se rapproche du printemps ( le 21 mars). Ou si l’obligation de confinement pousse davantage certaines personnes Ă  aller Ă©vacuer leur trop-plein d’enfermement et de tĂ©lĂ©travail en allant par exemple courir dans des rues de Paris dĂ©sormais plutĂŽt dĂ©sertes. Il y a un ou deux jours, prĂšs de chez nous, des jeunes d’un foyer jouaient bruyamment dehors au basket alors qu’ils auraient « dû » plutĂŽt Ă©viter les contacts avec l’extĂ©rieur. Si leur attitude est contraire aux rĂšgles sanitaires dĂ©cidĂ©es pour Ă©viter et limiter la contagion, cette partie de basket leur a peut-ĂȘtre aussi permis d’Ă©vacuer un trop-plein d’anxiĂ©tĂ© et de stress et les aidera peut-ĂȘtre aussi Ă  supporter moralement les nouvelles restrictions dĂ©cidĂ©es concernant les dĂ©placements Ă  l’extĂ©rieur et les regroupements. 

 

 

En rentrant mon vĂ©lo dans son local, hier matin, je suis tombĂ©, dans le hall de l’immeuble, sur un mot d’une personne qui avait scotchĂ© l’exemplaire dĂ©sormais nĂ©cessaire d’attestation de dĂ©placement dĂ©rogatoire. Cette voisine avait ajoutĂ© un mot dans lequel elle expliquait comment obtenir ce formulaire. Mais elle fournissait Ă©galement son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone portable afin d’aider aux courses. J’imagine qu’il est d’autres initiatives comme celle-lĂ  Ă  d’autres endroits.

 

 

J’ai bien-sĂ»r appelĂ© et contactĂ© quelques personnes afin de m’assurer qu’elles vont bien. J’en contacterai sĂ»rement d’autres.

 

 

Si j’ai exprimĂ© mes rĂ©serves envers le gouvernement, je reconnais Ă©videmment le bien-fondĂ© des mesures de prĂ©cautions sanitaires qu’il prĂ©conise.

 

 

Certains amis m’ont tĂ©moignĂ© leur inquiĂ©tude du fait de mon mĂ©tier d’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie. Parce-que, comme bien des soignants, je suis exposĂ© plus que d’autres au virus. C’est vrai. Mais je peux sortir pour aller travailler et donc prendre l’air. Et, je peux plus ou moins agir. En espĂ©rant que mon action soit plus bĂ©nĂ©fique que porteuse du virus. Lors des grandes catastrophes, les personnes qui peuvent- aussi- avoir le plus de mal Ă  s’en remettre sont celles et ceux qui ont Ă©tĂ© principalement spectatrices ou victimes de la catastrophe. Celles et ceux qui agissent, s’ils peuvent mourir ou se voir infliger des blessures ou des douleurs du fait de la catastrophe, se sentent au moins utiles. Ne serait-ce que pour remplacer une collĂšgue ou un collĂšgue malade ou absent. Ou en retard. Et puis, face Ă  l’épidĂ©mie, je ne suis pas seul. Tout cela, en plus des encouragements adressĂ©s de part et d’autres aux soignants,  change beaucoup la donne.

 

Sur la premiĂšre photo de cet article, prise prĂšs du Louvre avant hier matin, en revenant du travail, on peut voir des barriĂšres. Lorsque je suis passĂ© hier matin au mĂȘme endroit, et Ă  peu prĂšs Ă  la mĂȘme heure, toujours Ă  vĂ©lo, en plus des barriĂšres,  trois maitres-chiens Ă©taient prĂ©sents de part et d’autre de la pyramide du Louvre.  Cette prĂ©sence m’a intriguĂ©.

 

Les photos pour cet article ont Ă©tĂ© prises entre le 17 au  matin et ce matin, le 19. Parmi elles, des photos d’articles de presse, ou de couvertures de la presse. 

 

A priori, toutes ces barriĂšres devant la pyramide du Louvre gĂąchent la vue sur la premiĂšre photo de cet article. Mais en la regardant ce matin, je me dis qu’elle est trĂšs  bien comme ça :

 

Car on voit bien que le soleil passe Ă  travers. Soleil ! Soleil !

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 19 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

Dans  » Le Canard Enchaßné » de cette semaine.

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Vent d’Ăąme

    

                                                   

  Vent d’ñme

Selon les principes de la Commedia dell a’rte, nos masques sont nos vrais visages. Il est bien des cultures et bien des pratiques ignorĂ©es et disparues oĂč l’on porte des masques en certaines circonstances. Et c’est un combat, parfois de toute une vie, que d’Ă©chapper Ă  ces visages ou, au contraire, de les accepter.

 

Nos peurs sont sans doute aussi nos vĂ©ritables visages ainsi que nos vĂ©ritables voix. Aucun maquillage, aucune mise en scĂšne et aucun angle mort ne sera suffisamment rĂ©sistant et solide pour les obliger Ă  se tenir dociles indĂ©finiment. Un jour ou l’autre, nos peurs dĂ©fileront et parleront pour nous. Qu’on les y autorise ou non.

 

Nos peurs connaissent nos rĂȘves et nos cauchemars. Nos peurs, nos rĂȘves, nos cauchemars, nos voix et nos visages, voici ce qui nous dĂ©finit tous Ă  un moment ou Ă  un autre.

Et l’épidĂ©mie, que ce soit celle aujourd’hui du coronavirus Covid-19 ou une autre  (la crise sanitaire actuelle me fait beaucoup penser Ă  celle du Sida dans les annĂ©es 80 pour cette ambiance de fin du monde et d’effondrement qui semble se refermer sur nous ) fait partie de ces expĂ©riences propres Ă  permettre notre mĂ©tamorphose :

 

Nous vivons plein d’expĂ©riences depuis notre naissance qui nous inclinent vers certaines mĂ©tamorphoses. La plupart de ces expĂ©riences sont invisibles. Une Ă©pidĂ©mie, une grĂšve – comme celle des transports il y a encore quelques mois en rĂ©gion parisienne afin de protester contre la rĂ©forme des retraites-  une guerre, une catastrophe ou un attentat terroriste font partie de ces expĂ©riences visualisables et indĂ©niables qui nous obligent Ă  nous transformer. Et notre transformation est notre façon de nous adapter Ă  l’évĂ©nement. On peut louer, regretter, reprocher ou pleurer cette adaptation :

Mourir est aussi une certaine forme d’adaptation. MĂȘme si selon certaines croyances et certaines valeurs, mais aussi selon nos peurs,  mourir est plutĂŽt une adaptation qui a Ă©chouĂ© et qui, en plus, peut ĂȘtre trĂšs douloureuse et trĂšs angoissante.

 

Mais mĂȘme si nous nous aimons et nous cĂŽtoyons tous les jours, lorsque nous nous aimons et nous cĂŽtoyons, nous ne sommes pas – toujours- faits des mĂȘmes rĂȘves, des mĂȘmes cauchemars et des mĂȘmes peurs. Et nos choix comme nos rituels afin d’essayer de composer avec eux peuvent ĂȘtre trĂšs diffĂ©rents de ceux que l’on aimerait pour nous ou que l’on estime « faits Â» pour nous.

 

Mais je n’ai pas la science infuse pour parler de tout ça. Je raconte sans doute Ă©normĂ©ment de conneries comme Ă  peu prĂšs tous les jours. J’ai peut-ĂȘtre attrapĂ© froid en rentrant tout Ă  l’heure, Ă  vĂ©lo, du travail.  J’essaie d’attraper ce qui me reste de ces idĂ©es qui me sont venues aprĂšs une nuit- tranquille – de travail dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč je suis en poste depuis quelques annĂ©es.

 

Je suis partagĂ© entre prendre toutes mes prĂ©cautions pour ne pas m’enrhumer, rester disponible devant une Ă©ventuelle sollicitation sociale du tĂ©lĂ©phone portable, qu’il est un peu plus difficile d’éteindre au vu du contexte de l’épidĂ©mie -depuis le couvre-feu dĂ©cidĂ© hier par le gouvernement et qui deviendra effectif dĂšs ce soir – et aller voir si je peux aller faire quelques courses alimentaires en espĂ©rant qu’il n’y aura pas trop de monde.

 

 

 

Hier soir, j’ai repris mon vĂ©lo pour aller au travail.  Lorsque j’ai entendu que, par prĂ©caution sanitaire, il y aurait moins de transports en commun et aussi que nous devrions respecter, autant que possible, une distance de un mĂštre entre chaque passager, je me suis dit que j’allais reprendre mon vĂ©lo autant que je le pourrais.

 

D’une part, parce-que j’avais dĂ©jĂ  envie de le faire : s’enfermer dans le mĂ©tro, subir rĂ©guliĂšrement des contrĂŽles de titre de transport, monter et descendre des escalators a quelque chose d’usant alors que faire du vĂ©lo permet d’éviter certains de ces dĂ©sagrĂ©ments en mĂȘme temps que de rester Ă  l’air libre. Et de faire un peu de sport en mĂȘme temps que de dĂ©couvrir son environnement autrement.

 

Hier soir,  j’ai ainsi dĂ©couvert un nouvel itinĂ©raire puisque notre service a dĂ©mĂ©nagĂ© il y a plusieurs semaines en raison de travaux dans notre service « originel ». Notre service a donc Ă©tĂ© provisoirement dĂ©localisĂ©. Le trajet est dĂ©sormais plus long Ă  vĂ©lo pour aller au travail. J’ai sĂ»rement fait quelques petites erreurs de parcours. Et j’ai roulĂ© prudemment. Sans chercher Ă  remporter une Ă©preuve contre-la-montre. Je pensais mettre 45 minutes. J’ai mis vingt minutes de plus. Soit j’ai beaucoup vieilli ces derniĂšres semaines. Soit j’avais tout simplement surestimĂ© mes capacitĂ©s de rouleur. La seconde option est la plus vraisemblable. Mais la premiĂšre va  aussi se vĂ©rifier un jour ou l’autre. C’est inĂ©luctable.

 

Je suis passĂ© devant le Louvre. Il y a pire comme itinĂ©raire. Mais je ne pouvais pas m’arrĂȘter pour prendre des photos. Ça, je l’ai fait ce matin. En rentrant du travail.

 

 

Je vois deux aspects face Ă  une Ă©pidĂ©mie :

 

Les dispositions et les prĂ©cautions sanitaires, logistiques incontournables ( se laver les mains, Ă©viter les contacts, limiter ses dĂ©placements, se protĂ©ger et protĂ©ger les autres etc
) que l’on s’applique Ă  suivre de son mieux.

 

Et notre attitude vis-Ă -vis de l’épidĂ©mie. Nous sommes vraiment trĂšs diffĂ©rents les uns des autres.  Impossible d’échapper au sujet du Coronavirus Covid-19 depuis quelques jours. Et c’est d’autant plus impossible depuis l’allocution prĂ©sidentielle d’hier soir d’Emmanuel Macron qui a parlĂ© et reparlĂ© de « Guerre Sanitaire Â» et a officialisĂ© le couvre-feu Ă  partir de 18h ce soir ou demain.

 

Hier soir, au travail, j’ai prĂ©venu ma collĂšgue que je n’allais pas passer la nuit Ă  regarder et  Ă  discuter de l’allocution du PrĂ©sident Macron concernant l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid-19. Elle a acquiescĂ©. J’avais rĂ©agi de la mĂȘme maniĂšre lors des attentats du Bataclan. Une autre collĂšgue- que j’aime aussi beaucoup- cette nuit-lĂ , avait un moment voulu allumer la tĂ©lĂ© pour « voir Â» et pour « avoir plus d’infos Â». Je lui avais rĂ©pondu :

 

« Tu peux. Mais sans moi ! Â». Ma collĂšgue avait choisi de laisser la tĂ©lĂ© Ă©teinte. Peut-ĂȘtre s’était-elle ensuite rattrapĂ©e chez elle.

Samedi matin, au travail, aprĂšs que les jeunes hospitalisĂ©s se soient farcis plusieurs tours d’informations concernant le coronavirus Covid-19  sur BFM, je les ai obligĂ©s Ă  changer de chaĂźne de tĂ©lĂ©. J’estime que c’est aussi notre rĂŽle de personne responsable et de professionnel, que de limiter cette intoxication permanente que certaines informations anxiogĂšnes rĂ©pĂ©tĂ©es  nous impose.

Dans le service, les jeunes ont alors remis une chaine de clips musicaux. Puis, avec ma collĂšgue, nous avons proposĂ© une sortie que les jeunes ont acceptĂ©e. C’Ă©tait il y a quelques jours. Et c’Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  une « autre Ă©poque ». J’en parle un peu dans l’article Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020.

 

 

DĂ©cider de me « calfeutrer » mentalement contre des informations sinistres et permanentes ne m’ empĂȘche pas de regarder, d’Ă©couter ou de lire ce qui se passe autour de moi. C’est ce que j’avais fait dans les transports dĂšs le lendemain « des » attentats du Bataclan.  Cela  a Ă©tĂ© pareil ce matin alors que je rentrais Ă  vĂ©lo.

 

Si je me suis concentrĂ©- avec mes photos- sur les bons moments de ce retour « cycliste Â», j’ai bien vu, devant le centre commercial So Ouest , Ă  Levallois,  cet attroupement de personnes qui faisait la queue vers huit heures. Je m’en demandais la raison. Plusieurs centaines de mĂštres plus tard, aprĂšs avoir vu un peu plus de gens portant des masques dans la rue et d’autres personnes faisant la queue devant des pharmacies encore fermĂ©es, j’en ai dĂ©duit que toutes ces personnes faisaient la queue sans doute pour acheter des masques de protection et peut-ĂȘtre aussi des solutions hydro-alcooliques. Plus tard, j’ai aussi aperçu des personnes qui attendaient l’ouverture de la Western Union.

 

 

Je pense aussi au Coronavirus Covid-19. Ne pas en parler, ne jamais y penser, revient Ă  un moment donnĂ© Ă  ĂȘtre dans le dĂ©ni. Il m’est donc impossible d’éviter d’y penser. Mais tout est dans la façon de laisser ce sujet s’emparer de notre Ăąme. Certaines personnes sont dĂ©jĂ  Ă  « bloc ». On en est au tout dĂ©but des mesures les plus strictes et, dĂ©jĂ , un certain nombre de personnes n’ont que le Coronavirus comme perspective. Tout tourne autour de lui.  Concernant le Sida, il y avait une campagne qui disait, je crois :

 

« Le Sida, il ne passera pas par moi ! Â».  Pour le Coronavirus Covid-19, j’aimerais bien-sĂ»r affirmer la mĂȘme chose. Mais je ne peux pas le confirmer. Peut-ĂȘtre que lorsque l’épidĂ©mie sera passĂ©e, que je ferai partie des maccabĂ©es nouveaux-nĂ©s. Peut-ĂȘtre que des proches ou des connaissances en feront partie aussi. Alors qu’aujourd’hui, pour moi, ces Ă©ventualitĂ©s sont impensables. Mais il Ă©tait impensable pour moi il y a encore deux semaines que l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid-19 nous fasse autant de mal ou puisse nous faire autant de mal. Mon article Coronavirus postĂ© il y a trois semaines ne fait pas vraiment un pronostic trĂšs alarmiste. MĂȘme si je parle en filigrane de cet affolement qui surviendrait en cas de rupture de stocks de masques FFP2, je parle aussi du « business » que la vente de ces masques va constituer pour certaines entreprises telles que les pharmacies. Car la mort rapporte beaucoup Ă  certaines entreprises en terme de commerce. On peut mĂȘme dire que la mort, comme toute «activitĂ© » humaine est un commerce ou une niche susceptible d’ĂȘtre un commerce pour certains hommes d’affaires ainsi que pour certains hommes politiques et militaires inspirĂ©s.   

 

 

Quoiqu’il en soit, au cours de l’Ă©pidĂ©mie,  je mourrai peut-ĂȘtre parce-que je me serai fait percuter Ă  vĂ©lo par une voiture. Se faire renverser par une voiture lorsque l’on circule Ă  vĂ©lo est  assez courant. Surtout au vu de la conduite de certains automobilistes qui vous serrent sur la route ou vous coincent entre la carrosserie de leur vĂ©hicule et le bitume du trottoir ou vous forcent Ă  freiner quand ils tournent devant vous.

 

Mais aussi au vu de la conduite de certains cyclistes :

 

Ce matin, une jeune gazelle portant un sac Ă  dos de marque Eastpak m’a laissĂ© sur place. Le temps de l’entendre qui se rapprochait, elle m’avait mis une dizaine de mĂštres dans la vue. Bon, je ne suis pas lĂ  pour faire la course et une femme peut me doubler sur la route que ce soit Ă  vĂ©lo ou en voiture. Mais Ă  vĂ©lo, Mademoiselle, au feu rouge, on s’arrĂȘte ! Surtout lorsque l’on passe devant une sortie de pĂ©riphĂ©rique et que l’on ne porte pas de casque sur la tĂȘte. Ça fait bien, lorsque le feu passe au vert sur votre droite et qu’une voiture commence Ă  s’avancer, de dĂ©vier un peu sa trajectoire tout en continuant Ă  pĂ©daler. C’est adroit. Mais ça peut aussi faire passer l’ñme Ă  gauche. Ceci dit, je sais aussi que ce ne sont pas toujours les personnes les plus prudentes et les plus respectueuses des rĂšgles qui s’en sortent toujours le mieux dans la vie. Ce que je viens d’écrire est dur et ressemblera Ă  un acte moralement irresponsable en pĂ©riode de Coronavirus Covid-19 ou de toute autre Ă©pidĂ©mie. Mais si on prend un peu le temps d’y penser, on s’apercevra que l’on a bien connu au moins une fois dans sa vie une personne qui a toujours Ă©tĂ© droite, toujours Ă©tĂ© dans le respect des rĂšgles, et qui, pourtant, a eu une vie et une mort trĂšs conne, injuste ou incomprĂ©hensible pendant que d’autres ont pu batifoler et vivre tout un tas d’excĂšs, et, finalement, s’en sortir pas si mal que ça.

 

Donc, avoir des Devoirs, oui. Respecter les rĂšgles, oui. Mais il ne faut pas confondre faire montre de prudence et s’enfermer de soi-mĂȘme en toutes circonstances dans un cercueil ou un bunker, ainsi que celles et ceux qui nous entourent comme si notre mort Ă©tait assurĂ©e alors que l’Ă©pidĂ©mie vient Ă  peine de commencer. Et que l’on s’entoure d’un certain nombre de prĂ©cautions
.et d’informations. Lesquelles informations nous apprennent que ce coronavirus Covid-19 est quand mĂȘme moins mortel, par exemple, qu’une catastrophe nuclĂ©aire : Oui,  je pense aux effets d’ une catastrophe nuclĂ©aire similaire Ă  celle de Tchernobyl  s’il s’en produisait une en France ! Pourtant, nous vivons plutĂŽt bien grĂące au nuclĂ©aire mĂȘme s’il nous fait peur : c’est lui qui nous fournit la plus grosse partie de notre Ă©lectricitĂ© domestique.

 

 

Quoiqu’il en soit, je crois qu’il rĂ©sultera de cette Ă©pidĂ©mie et des transformations qui en dĂ©couleront de nouvelles amitiĂ©s ou de nouvelles solidaritĂ©s. Car on se rĂ©vĂšle aussi Ă  soi-mĂȘme et aux autres dans ces moments-lĂ . Et on a de bonnes et de mauvaises surprises. On peut soi-mĂȘme ĂȘtre une mauvaise surprise pour certaines et certains qui nous plaçaient sur un piĂ©destal ou sur un trĂŽne dont on n’a jamais voulu. C’est comme ça.

 

 

L’allocution du PrĂ©sident de la RĂ©publique, hier soir, m’a contrariĂ© parce-que, mĂȘme si les mesures sanitaires qu’il a officialisĂ©es sont justifiĂ©es, j’ai beaucoup trop vu en lui l’homme politique et de Pouvoir qui jouit de sa position de supĂ©rioritĂ©. J’ai trop vu en lui l’homme politique qui, en nous enfonçant dans la tĂȘte le concept de « Guerre sanitaire », en profite un peu plus pour nous dominer et nous gouverner Ă  sa main. Et, je me demande ce que, en Ă©change de notre salut sanitaire et civil, nous allons perdre en libertĂ©s et en droits divers,  pendant cette pĂ©riode d’épidĂ©mie mais aussi aprĂšs elle. Parce qu’aprĂšs l’épidĂ©mie, il sera encore possible de trouver  bien des raisons pour justifier d’un couvre-feu et d’un certain type de contrĂŽles et d’interdits inĂ©dits jusqu’alors ou moins frĂ©quents. Que deviendra le mouvement des gilets jaunes aprĂšs l’épidĂ©mie ? La rĂ©forme des retraites ? Combien de temps rĂ©flĂ©chirons-nous Ă  ce genre de question aprĂšs plusieurs jours, plusieurs semaines de couvre-feu, lorsque la peur de la mort sera devenue un peu plus la couleur de nos rues et de nos regards ?

 

Je sais pourquoi j’avais prĂ©fĂ©rĂ© voter pour lui au second tour des derniĂšres Ă©lections prĂ©sidentielles : pour ĂȘtre sĂ»r d’Ă©viter l’Ă©lection de celle que je refuse de nommer. Parce-que j’ai l’impression que le simple fait de la nommer contribue dĂ©ja Ă  lui donner un vote de plus ou plus d’aura. Elle qui, depuis des annĂ©es, fait sa thĂ©rapie familiale voire sa thĂ©rapie de couple au travers de sa vie politique qu’elle a transformĂ© en une scĂšne publique et mĂ©diatique, comme son papa. Cela a Ă©tĂ© une grande surprise pour moi lorsque j’ai appris que de plus en plus de personnel infirmier votait pour cette candidate aux Ă©lections prĂ©sidentielles. On peut vraiment dire qu’il s’agit d’un vote de colĂšre.

 

J’ai Ă©coutĂ© une petite partie de l’allocution du PrĂ©sident Emmanuel Macron lorsqu’il a annoncĂ© le couvre-feu Ă  venir, la  » Guerre sanitaire » etc…Mais en y repensant, je me suis dit que j’avais du mal Ă  me faire Ă  ce GĂ©nĂ©ral Macron qui, Ă  mon avis, aurait eu beaucoup de mal, si en tant que soignant, on lui avait dit :

« On te laisse la dame de la chambre 8. C’est toi qui lui fera sa toilette complĂšte. Pas plus de dix minutes.  Parce qu’il y a d’autres toilettes Ă  faire et, aprĂšs, il y a tous les mĂ©dicaments Ă  distribuer « .

Ou si on lui avait dit :  » On t’attend pour faire l’entretien avec ce patient qui est persuadĂ© que tu couches avec sa femme et que tu lui bloques ses spermatozoĂŻdes ».

 

Etre PrĂ©sident de la RĂ©publique est bien-sĂ»r un mĂ©tier difficile. Et chaque mĂ©tier a ses difficultĂ©s. Mais disons qu’il s’intercale tellement d’intermĂ©diaires entre un PrĂ©sident de la RĂ©publique et celles et ceux qui, Ă  peu prĂšs tout en bas, doivent s’Ă©craser et obĂ©ir coĂ»te que coĂ»te, que j’ai l’impression que cette « Guerre sanitaire » contre le Coronavirus Covid-19 fait des soignants des hĂŽpitaux publics un peu les Ă©quivalents des liquidateurs qui, lors de la catastrophe de Tchernobyl, s’Ă©taient plongĂ©s dans la fosse afin d’arrĂȘter le rĂ©acteur nuclĂ©aire.

 

En rangeant mon vĂ©lo dans son local tout Ă  l’heure, je me suis dit qu’aprĂšs l’épidĂ©mie, si notre « cher » PrĂ©sident est vĂ©ritablement si concernĂ© par le personnel soignant, dont le personnel infirmier , il abrogera ce statut de soignant « sĂ©dentaire » et rĂ©visera ce qui concerne l’ñge de dĂ©part Ă  la retraite ainsi que le niveau du montant des pensions de retraite infirmiĂšres :

 

Il y a quelques annĂ©es, les infirmiers ont Ă©tĂ© sommĂ©s de choisir entre une catĂ©gorie A, dite « SĂ©dentaire Â» et une catĂ©gorie B dite « active Â».

Depuis, tous les nouveaux infirmiers diplĂŽmĂ©s sont d’office considĂ©rĂ©s comme relevant de la catĂ©gorie A, dite « sĂ©dentaire Â» : ils sont supposĂ©s ĂȘtre mieux payĂ©s que ceux de la catĂ©gorie B dite « active Â» mais, aussi, avoir une carriĂšre plus longue de cinq annĂ©es que ces derniers.

Avec les dĂ©crets et toutes les dĂ©marches lĂ©gislatives effectuĂ©s par les gouvernements successifs concernant la rĂ©forme des retraites, on en arrive Ă  ce que les infirmiers de catĂ©gorie B qui pouvaient prendre leur retraite plus tĂŽt ( avant leurs 60 ans) avec une pension de retraite convenable , Ă  condition d’avoir effectuĂ© un certain nombre d’annĂ©es de travail, sont dĂ©sormais de plus en plus obligĂ©s de tabler sur un dĂ©part Ă  la retraite au delĂ  de 60 ans ( 62 ans semble pour l’instant l’ñge moyen de dĂ©part Ă  la retraite pour les infirmiers de catĂ©gorie B) s’ils veulent Ă©viter une certaine prĂ©caritĂ©. 

 

 

Le PrĂ©sident de la RĂ©publique et ses Ministres prĂ©conisent le tĂ©lĂ©travail quand c’est possible lors de « notre Â» Ă©pidĂ©mie du Coronavirus Covid-19. Mais cela est impossible pour du personnel infirmier en pĂ©riode d’épidĂ©mie et de «  Guerre sanitaire Â». Hier soir, un ami m’a demandĂ© oĂč nous allions choisir de rester « confinĂ©s Â» pendant les 45 jours Ă  compter de demain. Et il a ajoutĂ© : «  On reste en contact Â».  Je lui ai rappelĂ© que, si « confinement Â» il peut y avoir pour nous, infirmiĂšres et infirmiers, ce sera peut-ĂȘtre dans un cercueil parmi des maccabĂ©es. Que l’on soit infirmier de catĂ©gorie A ou de catĂ©gorie B.

 

J’ai nĂ©anmoins tenu Ă  assurer mon ami que nous resterions bien-sĂ»r en contact mĂȘme si je doutais un peu que, en cas de dĂ©cĂšs, ma toute nouvelle constitution l’incite Ă  m’accueillir les bras grands ouverts.

 

 

Je crois que je survivrai Ă  cette Ă©pidĂ©mie. Et je pratique bien Ă©videmment l’humour noir, ce qui est une mes particularitĂ©s qui m’a dĂ©jĂ  desservi et qui peut encore me coĂ»ter certaines dĂ©saffections sociales. Mais je prĂ©fĂšre l’humour noir Ă  me carboniser la cervelle en bouffant en boucle la junk Food d’informations toxiques Ă  la tĂ©lĂ©, sur les rĂ©seaux sociaux, dans d’autres mĂ©dia ainsi que, bien-sĂ»r, dans la vie rĂ©elle. L’attention de cet ami ainsi que celle d’un autre m’a fait plaisir et aussi un peu Ă©tonnĂ© :

Je n’ai pas prĂ©vu de mourir maintenant. Je ne bombe pas le torse. C’est juste que j’estime que j’ai encore Ă  vivre et Ă  transmettre et que je suis encore assez loin de l’Ăąge oĂč je me dis que je pourrais mourir.

 

 

Hier matin , devant l’Ă©cole de ma fille,  j’aurais aimĂ© ĂȘtre capable d’humour  lorsque j’ai vu une « collĂšgue » infirmiĂšre devoir rebrousser chemin avec ses trois enfants. La directrice de l’Ă©cole maternelle, trĂšs accueillante par ailleurs, a expliquĂ© avoir reçu des directives selon lesquelles,  pour que des enfants soient accueillis par l’école en pĂ©riode d’épidĂ©mie, que les deux parents se doivent d’ĂȘtre des professionnels du secteur hospitalier
.

J’ai dit Ă  cette directrice qu’une telle exigence ne pouvait pas tenir. Mais, une fois de plus, l’administratif a encore gagnĂ©. Et, une fois de plus, une infirmiĂšre a dĂ» prendre sur elle. Tout en se montrant comprĂ©hensive, trĂšs polie et trĂšs disciplinĂ©e, cette « collĂšgue » infirmiĂšre- que je rencontrais pour la premiĂšre fois- a acceptĂ© de repartir avec ses trois enfants sans faire d’esclandre. C’était Ă  elle qu’il incombait  de trouver une solution pour faire garder ses enfants mais aussi de se rendre disponible pour participer Ă  «  La Guerre Sanitaire ». 

J’imagine qu’il s’agissait d’un couac. Le temps que la logistique et la sociĂ©tĂ© s’adaptent Ă  l’épidĂ©mie qui, demain, pourrait ĂȘtre remplacĂ©e par l’effondrement dont parlent les collapsologues depuis quelques annĂ©es. Lesquels collapsologues disent peut-ĂȘtre que la façon dont cette Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 nous prend de court et nous met Ă  nu rĂ©vĂšle ce qu’il en sera en cas d’effondrement plus visible de notre civilisation. Mais, aussi, que cette Ă©pidĂ©mie du Coronavirus Covid-19 et ses consĂ©quences sont une des manifestations, parmi d’autres, de l’effondrement dont ils parlent. 

 

En attendant, c’est la tĂȘte un peu baissĂ©e que je suis rentrĂ© chez moi Ă  pied. Non par honte ou par abattement :

 

A force de prendre mon temps ce matin pour faire des photos sur mon trajet de retour, j’avais un peu attrapĂ© froid. Mon nez coulait. Et je n’avais pas de mouchoir Ă  portĂ©e de main. Je ne voulais pas inquiĂ©ter qui que ce soit dans la rue.

 

Quelques minutes plus tĂŽt, aprĂšs avoir parlĂ© Ă  ma compagne, j’avais eu  un peu eu ma fille au tĂ©lĂ©phone. Alors qu’elle allait passer la journĂ©e dans cette Ă©cole qui recueille les enfants de personnel hospitalier.

Comme le sont souvent les enfants, alors que les adultes sont plus que prĂ©occupĂ©s par un sujet donnĂ©, ma fille Ă©tait contente de se rendre dans cette Ă©cole oĂč elle allait ĂȘtre avec d’autres enfants et sans doute s’amuser. Son attitude m’a rassurĂ© : en tant qu’adultes et en tant que parents, nous ne l’avions pas trop contaminĂ©e avec nos inquiĂ©tudes concernant le Coronavirus Covid-19.

 

Hier, nous avions dĂ©couvert avec elle cette nouvelle scolaritĂ© qui se passe Ă  travers des vidĂ©os et des cours envoyĂ©s par sa maitresse via internet. C’était une expĂ©rience assez insolite et assez drĂŽle de voir la maitresse de notre fille donnant ses explications face camĂ©ra avant chaque exercice et de comprendre que tout cela Ă©tait aussi trĂšs nouveau pour elle. Aujourd’hui, internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile peuvent ĂȘtre des trĂšs bons moyens d’échapper Ă  la dĂ©pression morale qu’amĂšne l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid-19 et toute autre catastrophe. A condition de s’en servir avec cette volontĂ©-lĂ . Et si internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile flanchent ou nous en empĂȘchent, il nous faudra ĂȘtre capables de savoir nous en passer pour continuer d’entendre le vent de notre Ăąme. Beaucoup d’autres l’ont fait avant nous. Et un certain nombre d’entre eux avaient nos visages.

 

 

Franck Unimon, mardi 17 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020

 

 » Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante » peut-on lire sur le fronton du PanthĂ©on. Jusqu’Ă  tout Ă  l’heure en rĂ©digeant cet article et en le mettant en forme, j’avais ignorĂ© cette phrase qui orne le PanthĂ©on. 

Qu’est-ce qu’une Grande Femme ou un Grand Homme ? Qu’est-ce qu’une Patrie ? Qui peut en dĂ©cider ?

Et quand ? Les dignitaires politiques officiels sont-ils toujours les plus légitimes et les plus sages pour en décider ?

Il est quantitĂ© de Grandes Femmes et de Grands Hommes qui appartiennent davantage Ă  l’anonymat qu’Ă  notre mĂ©moire collective et mĂ©diatique.

Si l’on regarde « seulement » du cĂŽtĂ© des soignants, toutes professions confondues dans les Ă©tablissements hospitaliers, que l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 vient de placer en premiĂšre ligne alors qu’une bonne partie de la population, pour des raisons fondĂ©es de prĂ©vention et de prĂ©servation sanitaire, est appelĂ©e Ă  limiter autant que possible ses dĂ©placements comme ses Ă©changes interpersonnels, combien d’entre-eux ont figurĂ© et figureront au PanthĂ©on lorsque l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 , aprĂšs et avant d’autres, sera passĂ©e ?  Lesquels ?

Combien d’Ă©boueuses et d’Ă©boueurs, de femmes et d’hommes de mĂ©nage,  figureront-ils pour des raisons permanentes de prĂ©vention sanitaire au PanthĂ©on de la Patrie reconnaissante ?

 

On pourrait multiplier les exemples avec d’autres professions et d’autres actions d’individus et de groupes d’individus qui effectuent une mission d’ordre et d’utilitĂ© publique dont on n’entendra pas parler contrairement Ă  certaines « cĂ©lĂ©britĂ©s ».  

D’ailleurs, et  je me demande si c’est une vision biaisĂ©e de ma part, mais lorsque le PrĂ©sident Macron invite les soignants Ă  se consacrer pleinement Ă  l’effort sanitaire pour rĂ©pondre Ă  l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 et aux frayeurs parasites qu’elle suscite, j’ai l’impression que seuls les soignants du service public sont appelĂ©s Ă  rĂ©pondre prĂ©sents. Et non ceux du secteur privĂ©. Pourtant, depuis des annĂ©es, l’Etat Français, donc le gouvernement Macron-Philippe ainsi que les prĂ©cĂ©dents, oblige les hĂŽpitaux publics Ă  ressembler de plus en plus aux Ă©tablissements de soins privĂ©s. Ce qui consiste Ă  adopter des modĂšles de gestion et de soins  indexĂ©s sur la mĂ©canique du chiffre et de la rentabilitĂ© parfois Ă  tombeau ouvert. Ce qui se traduit souvent au moins par  » une baisse des effectifs » en personnel soignant.

Concernant le personnel infirmier, on peut aussi mentionner l’allongement de la durĂ©e de carriĂšre. Un « gel » des salaires. La diminution du nombre de jours de congĂ©s.  Un ralentissement de la montĂ©e d’Ă©chelon. Des difficultĂ©s renouvelĂ©es afin d’obtenir des formations professionnelles. La perte d’autres droits et avantages.  Selon moi, si on le souhaite,  on devrait avoir la possibilitĂ© de prendre sa retraite Ă  cinquante ans un peu sur l’ancien modĂšle des militaires et bĂ©nĂ©ficier d’aides Ă  la reconversion professionnelle. 

Pourquoi employer trois ou quatre infirmiers si deux parviennent Ă  faire ce qu’on leur demande  ? Si le service est « calme » ?  Pourquoi en employer trois ou quatre si on peut mettre deux aides-soignants avec deux infirmiĂšres ? ça fait toujours quatre, non ? 

 

Je n’avais pas prĂ©vu de me poser ce type de questions et d’en arriver Ă  ce genre de dĂ©veloppement en prenant en passant cette photo et les autres autour du PanthĂ©on.

Le PanthĂ©on, je suis plusieurs fois passĂ© Ă  cĂŽtĂ©. Souvent dans un Ă©tat d’esprit dĂ©tendu.  J’en ai bien-sĂ»r entendu parler Ă  la faveur du « dĂ©mĂ©nagement » de telle PersonnalitĂ© dont les cendres y sont dĂ©posĂ©es ou susceptibles de l’ĂȘtre. Je ne l’ai jamais visitĂ©. Il y avait des annĂ©es que je ne l’avais pas cĂŽtoyĂ© d’aussi prĂšs. Et la bibliothĂšque Ste-GeneviĂšve, je n’ai jamais pris le temps d’y entrer mĂȘme si je possĂšde une carte d’accĂšs depuis des annĂ©es.

 

 

Mais un jour seulement sĂ©pare ces photos prises prĂšs du PanthĂ©on et la manifestation des gilets jaunes le lendemain, ce samedi 14 mars 2020 ( hier). Et, ce samedi 14 mars ( hier), je n’avais pas non plus prĂ©vu de me trouver face Ă  cette manifestation en sortant du travail. Pas plus que je n’avais prĂ©vu d’Ă©crire cet article lors du premier tour des Ă©lections municipales oĂč, en raison de l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19, il est probable que l’absentĂ©isme Ă©lectoral batte de nouveaux records. Puisqu’aujourd’hui nous en sommes au stade 3 de l’Ă©pidĂ©mie comme en en matiĂšre de mesures de prĂ©vention. Et qu’aujourd’hui, cinĂ©mas, piscines et d’autres lieux publics encore ouverts hier ont Ă©tĂ© fermĂ©s. 

 

 

Depuis que le mouvement des gilets jaunes a dĂ©butĂ© il y a plus d’un an maintenant, je n’ai assistĂ© ou participĂ© Ă  aucune manifestation des gilets jaunes. Et sans doute est-ce parce-que beaucoup de personnes agissent comme moi que des gouvernements en France et ailleurs conservent leur façon de gĂ©rer certaines Ă©chĂ©ances sociales, Ă©conomiques et environnementales, modelant Ă  leur image le monde dans lequel nous vivons. Lorsque l’on parle de personnes conservatrices, on dĂ©signe souvent d’autres personnes. Mais moi qui n’ai jamais pris part Ă  une seule manifestation des gilets jaunes, je fais bien partie Ă  un moment donnĂ©, que je le veuille ou non, des conservateurs. C’est comme pour le vote : est principalement pris en compte le nombre de votes. Et non le nombre de personnes qui s’est abstenu de voter et qui exprime pourtant quelque chose. 

 

Je me mĂ©fie beaucoup des effets de groupe. Je redoute l’aspect « troupeau » que l’on peut conditionner. Et qui peut aussi s’affoler ou s’emballer pour le pire comme pour le meilleur. Mais mon attitude vis-Ă -vis du groupe et de la foule a ses limites.

Bien-sĂ»r, chacun ses limites et il importe de les connaĂźtre comme il existe diffĂ©rentes maniĂšres de manifester et de militer. Mais Ă  se tenir prudemment, peureusement, hors du « troupeau », du groupe, de la masse ou de la foule, en toutes circonstances, on se retrouve un moment isolĂ©. Certaines fois, cela peut ĂȘtre avantageux. D’autres fois, on devient une proie de choix. 

Et puis -quoiqu’on en dise- on appartient Ă  un groupe ou, le plus souvent, Ă  plusieurs groupes :

Au moins Ă  un groupe familial. A un groupe social. A un groupe professionnel. A un groupe amical. Et chacun de ces groupes nous inspire et nous incite Ă  suivre et Ă  adopter certains comportements que ce soit par la contrainte, par intĂ©rĂȘt, par stratĂ©gie, par mimĂ©tisme ou par choix. 

Dans son livre La DerniĂšre Ă©treinte, l’Ă©thologue et primatologue Frans de Waal Ă©crit page 33 :

 » La sociĂ©tĂ© des chimpanzĂ©s n’est pas faite pour les humbles et les faibles ». 

Page 36, il Ă©crit aussi :

 » Les chimpanzĂ©s jouent constamment Ă  prouver qu’ils sont plus forts, Ă  tester les limites de leur pouvoir ou du vĂŽtre ». 

Et, page 31, il avait affirmĂ© :  » Ce sont les Ă©motions qui orchestrent le comportement ». 

 

Hier aprĂšs-midi, vers 14h30, en sortant du travail, mes premiĂšres rĂ©actions en dĂ©couvrant la prĂ©sence de cette manifestation, ont Ă©tĂ© celles de l’Ă©tonnement et de la curiositĂ©. Quelques minutes plus tĂŽt,  j’avais interrogĂ© un collĂšgue arrivant de l’extĂ©rieur. Il avait eu un peu de mal Ă  me dire ce qui se passait.

Il n’Ă©tait pas prĂ©vu que je travaille hier matin. Quelques heures plus tĂŽt, avec ma collĂšgue, nous avions fait une sortie agrĂ©able et tranquille avec les jeunes hospitalisĂ©s. Tout Ă©tait calme.

Je finis ma journĂ©e de travail, je tombe sur une manif. J’ai d’abord pensĂ© que c’Ă©tait un Ă©vĂ©nement festif. Le dĂ©ni sans doute. Puis, j’ai pensĂ© Ă  une manifestation des avocats. J’ai lu que les avocats, en ce moment, protestaient contre les mauvaises conditions de travail qui sont les leurs. J’avais lu un article montrant une course dans la rue effectuĂ©e par des avocats en guise de protestation. Une fois plus prĂšs de la manifestation, j’ai rapidement compris que je m’Ă©tais trompĂ©.

 

Quelques personnes scandaient avec provocation :  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! ». En regardant en contre-bas, j’ai aperçu des camions des forces de l’ordre sur la route. Un attroupement de personnes au carrefour. Cela faisait beaucoup de monde. Et, un peu plus haut, sur ma droite vers Place d’Italie, d’autres reprĂ©sentants des forces de l’ordre se tenaient immobiles, sur la route.

 

MĂȘme si cela se passait « bien » et qu’un certain nombre de personnes circulait librement, je me suis un peu senti pris en tenaille. J’ai un peu hĂ©sitĂ©. J’avais prĂ©vu de me rendre Ă  la sĂ©ance du film Kongo rĂ©alisĂ© par Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav. Ce film sorti cette semaine passe dans une seule salle Ă  Paris. Il passe aussi Ă  Montreuil. Mais en tant que citoyen et en tant que crĂ©ateur et rĂ©dacteur d’un blog qui s’appelle Balistique du quotidien, il m’Ă©tait impossible de partir sans faire un minimum l’expĂ©rience de cette manifestation. 

 

 

J’ai regardĂ© un peu. Quelques fumigĂšnes ont Ă©tĂ© de sortie. Puis, en bas Ă  droite,  j’ai aperçu plusieurs membres des forces de l’ordre attraper quelqu’un, une ou plusieurs personnes, et les emmener vers l’arriĂšre de leurs camions. A ce moment-lĂ , plusieurs des personnes qui figuraient du cĂŽtĂ© de celles et ceux qui scandaient  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! » sur ma gauche ont battu en retraite et ont refluĂ© un peu dans ma direction comme si elles s’en allaient. Alors que j’Ă©cris, je me demande maintenant ce que l’on doit ressentir lorsque l’on se fait alpaguer par des forces de l’ordre :

Si on a juste manifestĂ© et que l’on est innocent, on doit avoir beaucoup de mal Ă  le vivre. Par contre, si on a recherchĂ© l’affrontement et le contact, on doit sans doute un peu jubiler comme certains peuvent jubiler de pouvoir dire qu’ils ont fait de la taule. Car cela signifie que l’on n’a pas peur d’aller au combat. Et sans doute aussi que, d’une certaine maniĂšre, mĂȘme arrĂȘtĂ© puis enfermĂ©, que l’on  est  libre ou que l’on s’estime plus libre que d’autres. 

 

De ce point de vue et depuis d’autres points de vue, je ne suis pas libre. Mais il me fallait passer de l’autre cĂŽtĂ© de la manif pour ma sĂ©ance cinĂ©. Ce qui a permis ces photos. Pour illustrer cet article, j’ai d’abord voulu d’Ă©viter autant que possible les photos en noir et blanc qui peuvent donner un aspect « reportage de guerre » ou qui pourraient laisser croire que nous sommes en Mai 68.

Mais certaines photos en noir et blanc, parmi celles que j’ai prises hier, m’ont semblĂ© incontournables. Et puis, pour essayer d’Ă©viter le plus possible de manipuler celles et ceux qui regarderont ces photos, je me suis dit qu’il fallait en mettre un certain nombre afin d’essayer de restituer au mieux l’ambiance assez gĂ©nĂ©rale  lĂ  oĂč j’Ă©tais durant la manif.

 

Je suis restĂ© Ă  peu prĂšs une quinzaine de minutes. A voir la « tranquillité » des reprĂ©sentants des forces de l’ordre, je me suis dit qu’un certain nombre d’entre eux avaient l’expĂ©rience de ce genre de situation sociale. J’ai bien-sĂ»r Ă©tĂ© intimidĂ© par le nombre de leurs effectifs. Par moments,  j’avais l’impression que la terre tremblait sous mes pieds ou qu’elle aurait pu le faire si cela dĂ©gĂ©nĂ©rait.

Leur harnachement et leurs protections. Leur stature. Leur entraĂźnement supposĂ© aux confrontations dans la rue. Leur nombre. Leurs diffĂ©rentes positions stratĂ©giques. Leur regroupement. Moi, je n’Ă©tais qu’une personne parmi d’autres qui passait par lĂ . En cas d’assaut, impossible pour eux de le deviner si je me trouvais entre eux et des manifestants dĂ©terminĂ©s. Evidemment, mes Ă©motions provenaient du fait que je dĂ©couvrais ce que pouvait ĂȘtre une manif en prĂ©sence d’autant de forces de l’ordre dans un contexte oĂč un affrontement Ă©tait possible.

Mais je ne me suis pas fait dessus non plus.  Pas plus que je n’ai inondĂ© mes vĂȘtements de couleurs suite Ă  une trop forte stimulation de mes glandes sudoripares. 

 Je me suis aussi dit que nous Ă©tions encore dans une dĂ©mocratie puisqu’une telle manifestation pouvait avoir lieu en prĂ©sence d’autant de membres de forces de l’ordre qui, pour la plupart, se contentaient d’observer et de se dĂ©placer en fonction de l’Ă©volution et des dĂ©placements de la manif. MĂȘme si, en raison de l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 et du risque de contagion multipliĂ© par ce rassemblement de personnes, cette manifestation et les suivantes seront sans doute reprochĂ©es Ă  leurs organisateurs.  

Hier, le rassemblement autorisĂ© maximal de personnes sur un lieu public, du fait de l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus, devait ĂȘtre de cinq cents ou de mille personnes, je crois. A vue d’oeil, je crois que l’on peut facilement estimer qu’il devait bien y avoir plus de mille personnes Ă  cette manifestation hier. Etant donnĂ© qu’aujourd’hui, nous en sommes au stade 3 de l’Ă©pidĂ©mie, cela limite dĂ©sormais encore plus le nombre de personnes qui souhaite se rassembler ainsi que les lieux accueillant du public ( mĂ©diathĂšques, cinĂ©mas, restaurants, piscines…).

Il est prĂ©vu qu’il y aura moins de transports en commun. Les personnes qui le pourront resteront chez elles afin d’effectuer du tĂ©lĂ©travail. 

Vu que nous sommes toujours sous le plan vigipirate concernant le terrorisme ( New-York 2011 ), toute personne ou tout groupe de personne ayant l’intention de manifester va sans doute se sentir lĂ©sĂ© de plus en plus dans ses libertĂ©s et ses droits fondamentaux. Ce qui risque de durcir certains mouvements sociaux. Mais aussi d’exaspĂ©rer des personnes qui, jusque lĂ , Ă©taient restĂ©es conciliantes et dociles en termes de revendication sociale. 

A un moment, Ă  quelques mĂštres de moi, j’ai entendu une femme crier  » ArrĂȘtez de nous gazer ! On est en train de manger ! ( au restaurant ou dans un Fast-Food) ».  Je n’ai pas senti d’odeur incommodante.

J’ai entendu un couple se disputer parce-que monsieur et madame ne s’Ă©taient pas compris lorsqu’ils s’Ă©taient dit lĂ  oĂč l’un et l’autre se trouverait dans la manif. 

J’ai vu des personnes  prendre des photos. 

 

J’ai vu un reprĂ©sentant de l’ordre laisser passer civilement un couple d’un certain Ăąge aprĂšs que celui-ci lui ait dit qu’il habitait non loin de lĂ . C’est sans doute ce reprĂ©sentant de l’ordre qui a rĂ©pondu Ă  un autre homme :  » Vous ĂȘtes dĂ©ja passĂ© tout Ă  l’heure ». 

A moi, ce mĂȘme reprĂ©sentant de l’ordre, ou un autre, m’a rĂ©pondu poliment que pour aller vers le PanthĂ©on, il me fallait passer ailleurs en tournant ensuite sur la droite. Ce que j’ai fait.

 

AprĂšs Ă  peine quelques minutes de marche, mĂȘme si j’ai croisĂ© d’autres vĂ©hicules de police qui arrivaient en renfort, j’ai Ă  nouveau Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir comme il suffit de franchir quelques rues pour retrouver la quiĂ©tude mais aussi l’ignorance. Les personnes que j’ai croisĂ©es ensuite dans la rue, dans un restaurant, vaquaient comme si de rien n’Ă©tait. 

 

Je ne sais pas ce qui s’est passĂ© ensuite comme je n’ai pas vu d’images ou lu d’informations concernant ce qui s’Ă©tait passĂ© hier lors de la manifestation des gilets jaunes. Sans doute devrais-je le savoir. Sans doute que je ne suis pas un Grand Homme. 

 

Franck Unimon, dimanche 15 Mars 2020. 

Photos : Franck Unimon, le 13 et 14 Mars 2020. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Coronavirus

 

 

Coronavirus : un petit sursis pour l’homme, un grand profit pour les pharmacies.

 

 

Je me trouvais du cĂŽtĂ© de la Gare du Nord. Je me suis dit que j’allais essayer de me procurer un numĂ©ro d’El Watan. Depuis que dans le 8Ăšme arrondissement de Paris, j’ai croisĂ© un journaliste d’El Watan, je me suis mis en tĂȘte de le lire. C’était avant d’interviewer le rĂ©alisateur Abdel Raouf Dafri dont j’ai dĂ©jĂ  reparlĂ© rĂ©cemment. ( A Voir absolument ).

 

A entendre ce journaliste, il Ă©tait facile de l’acheter dans un kiosque Ă  journaux. C’était il y a plusieurs semaines. Toujours dans le 8 Ăšme arrondissement, j’ai recroisĂ© ce journaliste il y a quelques jours alors que je me rendais Ă  la projection de presse du film Brooklyn Secret (Brooklyn Secret.) Mais avant que je puisse lui exposer mes difficultĂ©s pour trouver Ă  la vente ce journal qui le rĂ©munĂ©rait, il avait disparu.

 

Dans un point presse bien pourvu du 13Ăšme arrondissement oĂč on ne le vend plus depuis une dizaine d’annĂ©es, on m’avait suggĂ©rĂ© que j’avais mes chances Ă  BarbĂšs. C’est lĂ  que des anciens clients de ce point presse se rendraient dĂ©sormais pour acheter El Watan.

 

Je me suis imaginĂ© que j’avais mes chances Ă  la Gare du Nord. Puisque c’est proche de BarbĂšs. Je me suis trompĂ©. A la place, le vendeur a fait de l’humour. El Watan ? L’AlgĂ©rie ? J’ai commencĂ© moi aussi Ă  faire de l’humour :

« Vous savez que l’AlgĂ©rie existe ? Â». Il m’a rĂ©pondu sans dĂ©tour :

« Je sais que l’armĂ©e existe
je suis algĂ©rien Â».

Il m’a confirmĂ© qu’il Ă©tait probable que El Watan soit en vente Ă  BarbĂšs. Mais je ne me voyais pas aller jusqu’à BarbĂšs. Je me suis contentĂ© du New York Time  et de El Pais.

 

Par paresse, je lis trĂšs peu de presse Ă©trangĂšre. C’est un tort. C’est un tort de se contenter du minimum de ce que l’on sait et de ce que l’on a pu apprendre ou commencĂ© Ă  apprendre Ă  l’école ou ailleurs. De rester dans son confort. C’est comme ça qu’ensuite, avec l’habitude, le quotidien, notre regard sur nous-mĂȘmes et sur notre environnement se rĂ©trĂ©cit et qu’aprĂšs on pleure sur soi-mĂȘme parce-que notre vie est pourrie. Qu’il ne s’y passe jamais rien ou pas suffisamment selon nous.

Mais, lĂ , j’ai achetĂ© The New York Times  et El Pais. MĂȘme si je savais que je les lirais trĂšs partiellement, cela me permettrait dĂ©jĂ  de partir ailleurs.

J’ai plus feuilletĂ© le New York Times car mon manque de pratique de l’Espagnol m’handicapait avec El Pais.

 

Dans le train du retour, je me suis assis Ă  quelques mĂštres d’un SDF bouffi par l’alcool que je connais de vue. Je crois qu’il rĂ©side dans ma ville. Une dame venait de lui donner de l’argent. Mais dĂšs qu’il m’a aperçu prĂšs de lui, il m’a sollicitĂ© et en a redemandĂ©. A dĂ©faut d’argent, il m’a d’abord demandĂ© l’heure car il ne pouvait pas voir. Puis, il a fini par me demander de lui donner un journal. Pour lire. Pour s’informer. Il avait manifestement envie de parler Ă  quelqu’un. Lorsque je lui ai dit que les journaux Ă©taient en Anglais et en Espagnol, il a renoncĂ©. Par contre, lorsque quelques minutes plus tard, un autre homme est venu faire la manche dans le mĂȘme wagon en passant parmi les voyageurs, il l’a aussitĂŽt menacĂ© et lui a dit de se casser. L’autre homme a poursuivi son Ɠuvre avec le sourire.

 

Ce matin, je suis passĂ© Ă  la pharmacie. Je savais que je n’y trouverais pas El Watan. Aussi me suis-je abstenu de le demander. J’étais lĂ  pour acheter une lotion capillaire pour ma compagne. J’ai dĂ©jĂ  fait « pire Â» :

Je devais avoir Ă  peine une vingtaine d’annĂ©es lorsque ma mĂšre m’avait demandĂ© de lui acheter une paire de collants. Cela ne m’avait pas dĂ©rangĂ©. Depuis le temps que ma mĂšre m’envoyait faire des courses. J’étais ressorti du supermarchĂ© et, dans les rues de Pointe-Ă -Pitre, j’avais rapidement compris que certaines personnes qui m’avaient croisĂ© avaient des yeux de drones leur permettant de voir parfaitement Ă  travers le sac en plastique transparent que je portais en toute dĂ©contraction.

 

Ce matin, pas de collant parmi mes achats. J’étais Ă  la caisse quand j’ai entendu un homme plus jeune que moi demander Ă  une autre caisse un masque FFP2. J’ai aussitĂŽt fait le rapprochement avec le coronavirus Covid-19 bien que, sans cet homme, j’aurais Ă©tĂ© incapable de savoir le dĂ©finir de cette façon.

Devant moi, le pharmacien qui me servait m’a rĂ©pondu qu’il allait voir s’il en restait. Il m’a d’abord dit qu’un masque coĂ»tait 2,99 euros, l’unitĂ©. Puis, revenant avec trois masques, il m’a prĂ©sentĂ© ses excuses : un masque coĂ»tait 3,99 euros. Je les ai nĂ©anmoins pris tous les trois.

 

Le pharmacien m’a confirmĂ© que, oui, c’était bien les masques prĂ©ventifs pour le coronavirus. Il m’a dit qu’il espĂ©rait que cela allait s’arranger. Il m’a rĂ©pondu qu’ils n’en n’avaient pas toujours mais qu’il y avait en ce moment une certaine demande surtout des touristes. Il se trouve que les seuls touristes « reconnaissables Â» que j’ai pu voir dans cette pharmacie parisienne sont asiatiques. Peut-ĂȘtre chinois. Peut-ĂȘtre japonais.

 

Jusqu’à maintenant, j’ai entendu parler du coronavirus Covid-19 sans m’en inquiĂ©ter plus que ça. Mais, ce matin, je me suis dit que cela pouvait ĂȘtre bien de « s’équiper Â». En sachant que, selon les dires de ce pharmacien un masque a une durĂ©e d’efficacitĂ© de 8 heures. Il serait donc convenable si l’épidĂ©mie du coronavirus arrive en France qu’elle soit trĂšs rapide. Ou d’avoir de quoi acheter un nombre plutĂŽt consĂ©quent de masques. Mais je me suis dit ça aprĂšs avoir quittĂ© la pharmacie et aprĂšs avoir payĂ© les trois masques. Parce qu’en reprenant le mĂ©tro, j’ai pris le temps de lire le journal gratuit distribuĂ© devant la pharmacie. J’ai jetĂ© ce journal depuis. Mais je me souviens qu’aprĂšs un match laborieux, le PSG, hier, a battu Bordeaux 4-3 au parc des Princes. Que El Matador « Cavani Â» a marquĂ© son 200Ăšme but avec le PSG toutes compĂ©titions confondues. Que Neymar a trouvĂ© le moyen d’écoper d’un second carton jaune et de se faire exclure. Il sera donc absent pour le prochain match face Ă  Dijon. Qu’au dĂ©but du match, des supporters avaient montrĂ© une pancarte demandant Ă  M’bappĂ©, Neymar et Marquinhos de « porter leurs couilles Â».

A part ça, l’équipe de France de Rugby, en battant le Pays de Galles, confirmait qu’elle Ă©tait une trĂšs belle Ă©quipe. Et puis, tout au dĂ©but du journal, le coronavirus en Italie. L’inquiĂ©tude en Europe. Deux morts.

En rentrant, j’ai regardĂ© Ă  nouveau Le New York Times et El Pais. Hier, dans Le New York Times, j’avais pris le temps de lire l’article consacrĂ© Ă  l’acteur, scĂ©nariste et rĂ©alisateur amĂ©ricain Ben Affleck qui parlait de son addiction Ă  l’alcool. Au fait que son propre pĂšre Ă©tait devenu sobre alors qu’il avait 19 ans. L’alcoolisme de son frĂšre Casey, que l’on n’a plus vu depuis quelques temps sur les Ă©crans, Ă©tait aussi mentionnĂ©.

 

 

C’est sur El Pais que j’ai vu l’article dont s’est sans doute inspirĂ© le journal gratuit d’aujourd’hui concernant le coronavirus. Entre-temps, les prĂšs de 4 euros par masque avaient commencĂ© Ă  me peser. Lorsque j’en ai discutĂ© avec ma compagne, j’ai Ă©tĂ© obligĂ© de me rendre compte que je m’étais fait arnaquer. Comme d’autres. PrĂšs de 4 euros pour un masque qui ressemble Ă  un petit slip jetable pour bĂ©bĂ© et dont le coĂ»t Ă  la fabrication doit se compter en centimes et peut-ĂȘtre mĂȘme en micro-centimes. Pour un slip jetable qui est peut-ĂȘtre fabriquĂ© en Chine, ce qui serait comique en plus.

 

L’anxiĂ©tĂ© et l’esprit de prĂ©vention avaient encore frappĂ©. Lorsque ce n’est pas sous forme de pub sur le net, dans la boite Ă  lettres, Ă  la tĂ©lĂ©, au cinĂ©ma, Ă  la radio, dans la rue, dans les transports en commun, sur le tĂ©lĂ©phone portable, la tablette ou Ă  la banque, c’est sous forme de terrorisme, d’extrĂ©misme politique, de catastrophe, de meurtres ou d’épidĂ©mie sanitaire qu’ils s’infiltrent. Avant que le moindre virus n’ait eu le temps de visiter nos poumons, nous sommes dĂ©jĂ  contaminĂ©s par l’anxiĂ©tĂ© et l’achat de prĂ©vention qui sont une forme de crachat civil rĂ©servĂ© Ă  ces ĂȘtres civilisĂ©s et socialisĂ©s que nous sommes. Jusqu’à ce qu’une rupture de stock apparaisse….

 

Mais je crois encore que je rĂ©ussirai Ă  me rendre Ă  BarbĂšs afin d’y trouver El Watan avant que le coronavirus ne trouve l’adresse de mon organisme.  

 

Franck Unimon, lundi 24 février 2020.