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Helie de Saint Marc par Laurent Beccaria

Helie de Saint Marc par Laurent Beccaria

 

 

« Tu veux ĂȘtre bon ?! Va oĂč est le chaos
 Â».

 

Nous sommes des millions, en France, Ă  considĂ©rer qu’à partir de ce soir ( ce vendredi 17 dĂ©cembre 2021)  vont dĂ©buter les vacances de NoĂ«l. Et de nombreux prĂ©paratifs, dans cette intention, ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© entamĂ©s.

 

Qu’est-ce qu’on va manger ? Avec qui on va faire la fĂȘte ? Quoi offrir ?

 

Pour certains, NoĂ«l et ses vacances sont une pĂ©riode joyeuse. Pour d’autres, il s’agira d’un bataillon de leurres Ă  endurer plus que d’autres jours. Une croix Ă  porter.

Gare de Paris St Lazare, 7 décembre 2021.

 

 

Toutes ces illuminations et ces airs de musique optimistes. Avec ces suggestions de cadeaux qui se dĂ©versent mĂȘme dans  des mĂ©dia « sĂ©rieux Â». ForĂȘts hormonales- et de nitrates- surgies brutalement et Ă  travers lesquelles il s’agira de cheminer comme si tout cela Ă©tait normal. Et qui disparaitront ensuite pour ĂȘtre remplacĂ©es par d’autres tĂ©nors magistraux : les soldes, la galette des rois
.

 

HĂ©lie de Saint Marc, lui, ne fĂȘtera pas NoĂ«l. Il est mort en 2013
à 91 ans.  AprĂšs plus de 90 NoĂ«l. C’est une longĂ©vitĂ© Ă©tonnante pour un homme qui a fait beaucoup plus que de dĂ©corer des sapins de NoĂ«l.

 

Il a envoyĂ© quelques hommes au sapin, en a vu d’autres se faire harponner par lui. Et, lui-mĂȘme, dans sa jeunesse, avait Ă©vitĂ© de peu sa transformation en sapin. C’était pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans un camp de concentration nazi. Il avait Ă  peu prĂšs vingt ans. Puis en Indochine. Il y avait eu, aussi, la Guerre d’AlgĂ©rie
.

 

Les dĂ©corations militaires qu’ HĂ©lie de Saint Marc avait reçues ne venaient pas d’un magasin vendant des articles pour NoĂ«l.  

 

Je serai peut-ĂȘtre dĂ©cĂ©dĂ© bien avant mes 91 ans, moi qui bĂ©nĂ©ficie encore de la sĂ©curitĂ© sociale, d’une certaine sĂ©curitĂ© de l’emploi et qui rĂ©ussis Ă  manger Ă  ma faim. Mais aussi Ă  me plaindre, Ă  ĂȘtre insatisfait. Et si, un jour, on parle un petit peu plus de moi que lui et de toutes celles et tous ceux qui lui ont ressemblĂ©, qui lui ressemblent ou lui ressembleront, noirs, blancs, jaunes, arabes, hĂ©tĂ©rosexuels ou homosexuels, transgenres ou queer, femmes, hommes ou enfants, cela ne changera rien aux faits.

 

Les faits sont que HĂ©lie de Saint Marc, comme celles et ceux qui lui ressemblent, pour moi, est une trĂšs grande personne. Beaucoup plus que moi. Et, obtenir plus de « popularitĂ© Â» que lui, si cela arrivait, n’y changera rien.

L’Ă©crivaine Annie Ernaux, vraisemblablement en 1963.

 

Soyons prĂ©cis : c’est ce que j’ai cru entrevoir chez l’homme qu’a Ă©tĂ© HĂ©lie de Saint Marc, malgrĂ© son parcours de militaire qui me fait Ă©crire ça. Certaines de ses
valeurs. Il aura Ă©tĂ© un homme engagĂ© et un rĂ©sistant. Il existe diffĂ©rentes formes de rĂ©sistances. Pour moi, lorsque Annie Ernaux, dans sa nouvelle, L’évĂ©nement, raconte son avortement clandestin, en 1963, alors qu’elle a une vingtaine d’annĂ©es, dans le pĂ©rimĂštre de Rouen, je vois aussi une rĂ©sistante.

Et, lorsqu’en Guadeloupe, le musicien VĂ©lo, joue du Gwo-Ka, alors que ce genre de musique est alors mal perçu ( ou le Maloya Ă  la RĂ©union Ă  une certaine Ă©poque), je vois aussi un rĂ©sistant.

 

Aujourd’hui, le mot RĂ©silience, beaucoup transmis par Boris Cyrulnik, est souvent « dictĂ© Â» comme une Ă©vidence, mĂȘlĂ©s parmi d’autres termes qui seraient nos boussoles et nos idĂ©aux communs et immĂ©diats :

 

HumanitĂ©, tolĂ©rance, bienveillance, ĂȘtre une famille, entraide, solidaritĂ©, Ă©cologie, dĂ©mocratie, Ă©galitĂ©, libertĂ©, Ă©coute, assistance, conseil, rebondir


 

Les personnes rĂ©sistantes sont celles qui s’aperçoivent que la pensĂ©e dominante est un Ă©chec. Et que le chaos auquel cette pensĂ©e obĂ©it ne fera rien sortir de bon ou de meilleur chez l’ĂȘtre humain.

 

« Tu veux ĂȘtre bon ?! Va oĂč est le chaos
. Â». Cette phrase ne signifie pas :

 

« Fais-toi plaisir, Ă©crase tout le monde autour de toi parce-que tu es trĂšs fort et que tu as beaucoup de pouvoir Â».

 

Cette phrase ne signifie pas : « BĂątis un empire de carnage Ă  ton image et prends ton pied absolu sans te retourner. Et sans jamais te prĂ©occuper des autres ou te consacrer Ă  eux Â».

 

Contexte de lecture

 

HĂ©lie de Saint Marc, un prĂ©nom et un nom  inconnus, aujourd’hui.

 

Comparativement au variant Omicron de la pandémie du Covid. Au rappeur Orelsan .

Gare de Paris St Lazare, 7 dĂ©cembre 2021. En haut Ă  droite, au dessus de la sortie, une affiche montrant le rappeur Orelsan pour la promotion de son nouvel album ” Civilisation”.

 

 

Pardon pour la chronologie mais j’essaie de trouver des actualitĂ©s qui parlent ou parleront rapidement au plus grand nombre :

 

Ouvrage dirigĂ© par Zineb El Razhaoui, ancienne journaliste de ” Charlie Hebdo”, dans lequel elle recueille 13 tĂ©moignages de victimes ou de proches de victimes des attentats islamistes du 13 novembre 2015 Ă  Paris. Elle fait aussi le portrait du meneur de ces attentats.

Le procĂšs des attentats islamistes du 13 novembre 2015 ; Le candidat aux Ă©lections prĂ©sidentielles polĂ©miste-journaliste-Ă©crivain-extrĂ©miste de droite-futur papa Eric Zemmour ; la pĂ©nurie infirmiĂšre et mĂ©dicale ;

 

 

L’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama de ce 15 dĂ©cembre 2021.

 

 

le refus du passe sanitaire et de l’obligation vaccinale en Guadeloupe et dans d’autres rĂ©gions de France et d’outre-mer ;

 

 

Le journal ” Charlie Hebdo” de ce 15 dĂ©cembre 2021.

 

 

la normalisation des relations de certains pays du Machrek tels le Maroc avec IsraĂ«l ; L’emprise croissante de la Chine sur Hong-Kong et dans le Monde ; L’incarcĂ©ration Ă  la prison de la SantĂ© de Claude GuĂ©ant , l’ancien Ministre de l’intĂ©rieur trĂšs sĂ»r de lui, de l’ex PrĂ©sident de la RĂ©publique, Nicolas Sarkozy pour dĂ©tournement de fonds ; L’accusation de viol portĂ©e Ă  l’encontre de personnalitĂ©s populaires ( masculines) telles que Nicolas Hulot, ancien Ministre mais aussi animateur de tĂ©lĂ© vedette, Yannick Agnel, ancien champion olympique de natation ; La Turquie qui brĂ»le ou ampute les doigts de certains de ses Ă©crivains afin qu’ils ne puissent plus Ă©crire ; La sonde Parker Solar Probe, de la NASA, qui a « touchĂ© le soleil pour la premiĂšre fois Â» (La sonde lancĂ©e en 2018  «   a franchi une bordure symbolique appelĂ©e la frontiĂšre d’AlfvĂšn Â» situĂ©e Ă  15 millions de kilomĂštres de la surface du Soleil Â». Article de France info publiĂ© le 16 dĂ©cembre 2021) ; la sortie du « nouveau Â» film Matrix RĂ©surrections ce 22 dĂ©cembre 2021. La mort rĂ©cente de Pierre Rabhi, Ă©cologiste modĂšle, homophobe et assez misogyne.  

 

 

PremiĂšre page de couverture du journal ” Charlie Hebdo” de ce 8 dĂ©cembre 2021. Avec, Ă  gauche, l’homme politique, Eric Ciotti, au centre, la femme politique ValĂ©rie PĂ©cresse, Ă  droite, la femme politique Marine Le Pen et, allongĂ©, Ă  plat ventre, Eric Zemmour ex-journaliste, polĂ©miste, Ă©crivain qui s’est dĂ©clarĂ© rĂ©cemment candidat aux Ă©lections prĂ©sidentielles de 2022.

 

 

HĂ©lie de Saint Marc n’appartient plus Ă  cette Ă©poque. Mais je cite ces quelques Ă©vĂ©nements car je crois que connaĂźtre un peu le contexte qui entoure une lecture peut rajouter du relief et une certaine profondeur Ă  un article.

 

La couverture de l’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama de ce 15 dĂ©cembre 2021. Le rappeur Joey Starr, un des meneurs du groupe de Rap NTM ou SuprĂȘme NTM y est montrĂ© en premiĂšre page. Aujourd’hui, le groupe NTM n’existe plus. Mais un film consacrĂ© au groupe ” Les SuprĂȘmes” d’Audrey Estrougou est sorti au cinĂ©ma le 24 novembre 2021 et marche plutĂŽt bien en salle. Par ailleurs, Joey Starr, depuis cette photo en 1988, est depuis devenu un acteur et un comĂ©dien ( tant au cinĂ©ma qu’au thĂ©Ăątre) reconnus. Ce que rien en particulier ne laissait prĂ©sager lorsque le groupe NTM a sorti ses premiers albums dans les annĂ©es 90, Joey Starr se faisant plus “connaĂźtre” pour ses frasques ainsi que pour sa musique et ses prestations scĂ©niques.

 

 

Ma « dĂ©couverte Â» de HĂ©lie de Saint Marc  :

J’avais « entendu Â» parler de HĂ©lie de Saint Marc sans doute un peu avant sa mort.

 

« Tu veux ĂȘtre bon ?! Va oĂč est le chaos Â» n’est pas de lui.

 

Le Maitre Kacem Zoughari en couverture d’un prĂ©cĂ©dent numĂ©ro de la trĂšs bonne revue d’Arts martiaux, Yashima.

 

 Cette phrase- Ă  laquelle j’ai dĂ©jĂ  fait rĂ©fĂ©rence- a Ă©tĂ© prononcĂ©e par Kacem Zoughari, Maitre d’Arts martiaux, lorsqu’il avait Ă©tĂ© interviewĂ© pour le magazine Yashima par LĂ©o Tamaki, un autre Maitre d’Arts Martiaux. Un des Maitres d’Arts Martiaux de Kacem Zoughari , devenu un Sensei lui-mĂȘme, lui avait donnĂ© un jour ce « conseil Â».

 

 

 HĂ©lie de Saint Marc n’était ni prĂȘtre, ni rappeur, ni Maitre d’Arts Martiaux :

Il a Ă©tĂ© rĂ©sistant, dĂ©portĂ© dans un camp de concentration nazi, militaire, lĂ©gionnaire parachutiste, officier. Il a avait Ă©tĂ© entachĂ© par sa participation au putsch des gĂ©nĂ©raux en AlgĂ©rie en 1961 qui s’est opposĂ© au GĂ©nĂ©ral de Gaulle. CondamnĂ© pour cela Ă  faire de la prison. Puis rĂ©habilitĂ© aprĂšs plusieurs annĂ©es d’incarcĂ©ration. Enfin, il est devenu Ă©crivain et ses livres, oĂč il raconte « ses Â» guerres et ses Ă©poques, sont bien cotĂ©s.

Je n’en n’ai lu aucun pour l’instant par contre j’ai lu cette biographie que lui a consacrĂ©, de son vivant, un des membres de sa famille, Laurent Beccaria, historien, ainsi que cet ouvrage qui retranscrivait sa rencontre avec un ancien officier nazi :

Notre Histoire avec August Von Kageneck , conversations recueillies par Etienne de Montety.  

 

Autant que je le comprenne, HĂ©lie de Saint Marc n’a jamais eu d’ambitions politiques et n’a jamais cherchĂ© Ă  se montrer dans les mĂ©dia ou  Ă  participer Ă  une Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©. Il Ă©tait plutĂŽt Ă  l’opposĂ© de ce mode de « vie Â».

 

Ce qui le diffĂ©rencie complĂštement d’un GĂ©nĂ©ral de Gaulle, son aĂźnĂ© de plusieurs annĂ©es, qui avait dĂ©sobĂ©i au MarĂ©chal PĂ©tain en entrant dans la RĂ©sistance, c’est son absence d’ambition et stratĂ©gie politique. C’est aussi ce qui le sĂ©pare de certains des gĂ©nĂ©raux qu’il avait rejoints lors du putsch des gĂ©nĂ©raux en AlgĂ©rie en 1961. C’est, entre autres, ce qui ressort de cette biographie.

 

Qu’ai-je retenu de cette biographie ?

 

Si le variant Omicron de la pandĂ©mie du Covid est de aujourd’hui le variant dont on parle de plus en plus depuis le dĂ©but officiel de cette pandĂ©mie en France en mars 2020, j’avais lu ou commencĂ© Ă  lire cet ouvrage lorsque le variant Delta de la pandĂ©mie Ă©tait dominant. Peut-ĂȘtre avant l’obligation vaccinale comme celle du passe sanitaire dĂ©cidĂ©e par le PrĂ©sident Macron et son gouvernement ce 12 juillet.  

 

J’ai terminĂ© sa lecture il y a maintenant deux ou trois mois. Je me rappelle d’un jeune HĂ©lie de Saint Marc, issu d’une famille vivant dans les environs de Bordeaux depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations, plutĂŽt d’un bon milieu social. Une famille cultivĂ©e. Catholique pratiquante. Je me rappelle d’un pĂšre (celui de HĂ©lie de Saint Marc) avocat ou notaire, ĂŽtant son chapeau avec respect lorsqu’il croisait des juifs forcĂ©s par le gouvernement PĂ©tain Ă  porter l’étoile jaune.

 

Je me souviens d’un jeune HĂ©lie de Saint Marc plus Ă  l’aise pour parcourir la rĂ©gion Ă  vĂ©lo que pour rĂ©aliser des prouesses intellectuelles Ă  l’école. Le travail scolaire lui demandant beaucoup d’efforts afin d’obtenir des rĂ©sultats moyens ou corrects. Par contre, le jeune HĂ©lie, qui avait au moins un frĂšre, lisait avec admiration les rĂ©cits de certains grands hommes ou aventuriers.

 

 

Lorsque l’Allemagne nazie envahit la France jusqu’à se rĂ©pandre Ă  Bordeaux, c’est la colĂšre qui anime le jeune HĂ©lie de Saint Marc. Dans cet ouvrage ou dans Notre Histoire, il rappellera comme il avait alors fait l’expĂ©rience douloureuse – voire traumatique- et s’en rappellera plus tard, qu’un grand empire Ă©tabli et semblant parti pour durer peut pĂ©ricliter en trĂšs peu de temps. La France d’aujourd’hui n’est peut-ĂȘtre qu’une vitrine de NoĂ«l pour touristes, consommateurs, extrĂ©mistes ou terroristes et apparaĂźt assez souvent comme la spectatrice un peu consultĂ©e des dĂ©cisions prises par les plus grandes Puissances (La Chine, les Etats Unis, la Russie, Le Japon, l’Allemagne, IsraĂ«l
). Le rĂ©cent ratĂ© oĂč l’Australie a prĂ©fĂ©rĂ©, finalement, rompre le contrat par lequel elle s’était engagĂ©e Ă  acheter des sous-marins nuclĂ©aires Ă  la France au bĂ©nĂ©fice des Etats-Unis et de la Grande Bretagne « prouve Â» Ă  quel point la France a reculĂ© ou recule dans le classement des Nations qui « comptent Â».

 

 Mais la France des annĂ©es 1940 Ă©tait encore une des plus grandes Puissances mondiales. Ainsi qu’une des plus grandes Puissances coloniales. C’est dans cette France et dans sa mĂ©moire concrĂšte et directe qu’HĂ©lie de Saint Marc est nĂ© et a grandi. MĂ©moire d’autant plus concrĂšte qu’il Ă©tait nĂ© dans l’hexagone et qu’il avait suffisamment d’aisance et de conscience sociale et intellectuelle pour en ressentir une certaine fiertĂ©.

Mes grands parents paternels et maternels, de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration qu’HĂ©lie de Saint Marc, tous nĂ©s en Guadeloupe, un peu plus de cinquante ans aprĂšs l’abolition de l’esclavage, dans un milieu social rural, manuel, modeste voire pauvre, avaient trĂšs certainement une autre perception de la France. Mais aussi de leur propre importance dans le monde en tant que personnes.

 

 

 

 

Extrait du journal ” Charlie Hebdo” du 15 dĂ©cembre 2021 Ă  propos du refus, en Guadeloupe, de la vaccination anti-Covid et du passe sanitaire obligatoires.

 

 

Bien-sĂ»r, ĂȘtre issu d’un milieu modeste et « sinistrĂ© Â» n’empĂȘche pas, malgrĂ© tout, d’ĂȘtre pourvu d’une certaine conscience de soi et de s’accorder de l’importance. Mais cela nĂ©cessite sĂ»rement une trĂšs grande confiance en soi, une pulsion de vie particuliĂšrement dĂ©veloppĂ©e, voire hors norme, un farouche optimisme en mĂȘme temps que certaines qualitĂ©s ou vertus d’opportunisme. Soit des aptitudes qui peuvent ĂȘtre prĂ©sentes en beaucoup d’entre nous. Encore faut-il s’autoriser Ă  les exprimer. Or, ce qui opprime et refrĂšne aussi, beaucoup, les ĂȘtres, c’est toute cette armada de censures et d’interdits qu’ils se sont copieusement entraĂźnĂ©s Ă  assimiler pour ĂȘtre acceptĂ©s ou aimĂ©s.

 

 

A telle Ă©poque et dans telle rĂ©gion, il s’agira d’adopter telle religion pour ĂȘtre bien vu ou pour Ă©viter la mort et l’humiliation Ă©conomique, sociale ou physique.

Ailleurs, ce sera telle langue plutĂŽt qu’une autre. Ou telles mƓurs. Aller Ă  contre-courant de ces normes et de ces pensĂ©es dominantes nĂ©cessite plus que de la chance et de la « simple Â» volontĂ©. C’est l’une des raisons pour lesquelles, aprĂšs avoir Ă©tĂ© des fidĂšles croyants, nous sommes majoritairement des consommateurs et des exĂ©cutants.

 

Parce qu’ĂȘtre lucide en permanence, s’opposer,  rĂ©sister (la crĂ©ativitĂ© culturelle et artistique font partie de la rĂ©sistance) ou devenir un meneur exige des efforts particuliers. Efforts qui ne sont pas toujours louĂ©s, compris, encouragĂ©s ou partagĂ©s par nos familiers ou proches. Efforts qui ne rencontrent pas toujours le succĂšs et la reconnaissance
.

 

Le contraire du mot « consommateur Â», c’est peut-ĂȘtre, dans sa version active et radicale, de devenir un transformateur. Et dans sa version plus sociable et plus indulgente, cela consiste Ă  essayer de devenir un transmetteur.

PremiÚre page du New York Times du 8 décembre 2021.

 

 

La résistance

 

 

RĂ©sister, s’affirmer, c’est donc, Ă  un moment ou Ă  un autre,  ĂȘtre prĂȘt, si nĂ©cessitĂ©, Ă  s’exiler mĂȘme si cela peut devenir dangereux. Parce-que s’exposer Ă  l’inconnu et Ă  l’isolement pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e est une aventure dangereuse.

 

C’est  pourtant ce que va faire le jeune HĂ©lie de Saint Marc. Sa connaissance de la rĂ©gion va d’abord faire de lui un messager opportun, et de confiance, pour la rĂ©sistance française. Un univers d’hommes  plus ĂągĂ©s que lui. Dans un mouvement de rĂ©sistance bien organisĂ©.

En lisant ce livre, je dĂ©couvrirai que si l’on a souvent une image idĂ©alisĂ©e a posteriori de la rĂ©sistance comme d’une action collective hĂ©roĂŻque et bien structurĂ©e, qu’il Ă©tait,  aussi, des mouvements de rĂ©sistance si mal organisĂ©s qu’un certain nombre de leurs membres, pourtant exemplaires, se sont fait attraper ou tuer comme des amateurs. Leur tort Ă©tant d’avoir confiĂ© trop facilement leur vie Ă  des meneurs
incompĂ©tents en termes d’organisation. Ce qui,  aujourd’hui, pourrait aussi nous faire penser Ă   des cadres, des entraĂźneurs, des conjoints, des amis, des proches, des professionnels ou des chefs d’entreprise (ou d’Etats) incompĂ©tents.

 

Dans le numĂ©ro du journal Le Parisien d’hier, je suis retombĂ© sur ce fait divers arrivĂ© le 8 juin 2018 Ă  Argenteuil, dans ma ville, dans le centre commercial CĂŽtĂ© Seine. Un centre commercial que je n’aime pas et, oĂč, le 8 juin 2018, une mĂšre a perdu un de ses jeunes enfants. Son erreur ? Avoir fait confiance Ă  l’ascenseur qui permettait d’accĂ©der Ă  l’étage supĂ©rieur. Des ascenseurs dans des immeubles ou dans des centres commerciaux, nous en prenons tous. Celui-ci a « lĂąchĂ© Â» sur plus de deux mĂštres. Le mĂŽme n’a pas eu le temps de sortir. Il est mort Ă©crasĂ© sous les yeux de sa mĂšre et de son jeune frĂšre. Trois ans plus tard, aucun des responsables des diverses entreprises chargĂ©es de la maintenance de l’ascenseur n’a eu Ă  s’expliquer devant un tribunal. Chacune des entreprises renvoie Ă  l’autre Ă  la responsabilitĂ© de la dĂ©faillance.

 

Voici ce que m’évoque, aujourd’hui, ces rĂ©sistantes et rĂ©sistants, qui, hier, comme aujourd’hui, confient ou confieront facilement leur vie Ă  certains dĂ©cideurs ou dirigeants qui, de leur cĂŽtĂ©, affirmeront que tout va bien se passer sans, par ailleurs,  prendre le temps et la prĂ©caution de vĂ©ritablement s’impliquer afin que tout se dĂ©roule comme prĂ©vu ou puisse ĂȘtre rĂ©solu en cas d’imprĂ©vu.

 

HĂ©lie de Saint Marc, lui-mĂȘme, fera cette expĂ©rience en cherchant Ă  s’affranchir du mouvement de rĂ©sistance qui l’a initiĂ©. Il voudra s’engager davantage et tombera, comme d’autres volontaires, dans une embuscade qui le dĂ©portera dans un camp de concentration. Bien que moins robuste que d’autres, il y survivra deux fois. Une premiĂšre fois grĂące Ă  l’entraide concrĂšte dont il bĂ©nĂ©ficiera du fait de certaines amitiĂ©s et relations. Et, une seconde fois parce qu’un homme plus ĂągĂ© que lui, un Lithuanien, je crois, taillĂ© pour le travail de mineur, et aussi voleur intrĂ©pide de nourriture, dĂ©cidera de le prendre sous sa protection et de partager avec lui ses vols alimentaires.

 

 

Lorsque l’on apprend dĂ©jĂ  « Ă§a Â» de HĂ©lie de Saint Marc, comme de ceux qui l’environnent et qui vivent cela avec lui, on comprend mieux ce qu’il faut avoir comme parcours et ressources en soi pour ĂȘtre un rĂ©sistant.

 

Mais on peut ĂȘtre un hĂ©ros et un rĂ©sistant et avoir des convictions idĂ©ologiques contraires. Cela arrivera Ă  HĂ©lie de Saint Marc qui croisera Jean-Marie Le Pen, « le pĂšre de Â», qui sera un de « ses Â» lieutenants et un de ses « subordonnĂ©s Â». La biographie de Beccaria s’étend peu sur cette connaissance de Saint Marc en Indochine, je crois. Mais il ressort que Saint Marc ne partage pas les buts de l’OAS et, plus tard, de l’ExtrĂȘme droite fasciste. MĂȘme s’il a pu connaĂźtre et combattre aux cĂŽtĂ©s de certains de ses futurs membres et meneurs.

 

Pour comprendre ce qui lui prend d’ĂȘtre du cĂŽtĂ© des gĂ©nĂ©raux qui, en AlgĂ©rie, organisent le Putsch en 1961 contre le GĂ©nĂ©ral de Gaulle, il faut savoir ce qui s’est passĂ© en Indochine :

 

Lorsque la France, aprĂšs avoir fait de certains asiatiques ses alliĂ©s et ses soldats (des villages), les abandonne sur place aprĂšs avoir perdu la guerre, faisant d’eux les victimes des  vainqueurs.

En AlgĂ©rie, l’histoire se rĂ©pĂšte avec les harkis et les tergiversations autant politiques que militaires de De Gaulle ainsi que ses visions coloniales pour ne pas dire colonialistes. Saint Marc est dĂ©crit comme un idĂ©aliste qui s’attache aux indigĂšnes en toute sincĂ©ritĂ© comme Ă  leur loyautĂ© et qui croit aussi Ă  une rĂ©elle Ă©galitĂ© des droits entre AlgĂ©riens et pieds noirs. Alors que le gouvernement français de l’époque voudrait tantĂŽt garder l’AlgĂ©rie française telle quelle ou la « rendre Â» au FLN alors que, militairement, la France serait en train de gagner la guerre. Et que des soldats français, aprĂšs avoir « perdu Â» face aux nazis et aprĂšs avoir perdu la guerre d’Indochine voudraient, pour leur honneur et celui de la France, imposer cette victoire française.

 

Je ne suis pas pro-AlgĂ©rie française et encore moins pro-OAS. Mais j’ai aussi appris que le FLN a aussi produit des horreurs. Et, je crois que le Martiniquais Frantz Fanon, psychiatre de rĂ©fĂ©rence ( sur lequel le rĂ©alisateur d’origine haĂŻtienne Raoul Peck serait en train de rĂ©aliser un film), trĂšs engagĂ© auprĂšs du FLN, a eu une certaine  « chance Â» de mourir- jeune, Ă  39 ans- d’une leucĂ©mie avant l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie. Car l’AlgĂ©rie qu’il a dĂ©fendue comme d’autres, un demi siĂšcle plus tard, n’est pas devenue la dĂ©mocratie – plutĂŽt laĂŻque- pour laquelle il s’était battu. L’AlgĂ©rie devenue indĂ©pendante en 1962, peu aprĂšs sa mort,  semble l’avoir plutĂŽt rapidement « oubliĂ©e Â».

 

 

 

La jouissance du danger

 

 

Parler, un peu, de HĂ©lie de Saint de Marc ,  c’est aussi parler de cette  «  jouissance du danger Â» qui pousse certaines personnes Ă  agir comme elles le font. Cette jouissance du danger, dans sa partie la plus visible, serait d’abord propre aux rĂ©sistants, combattants civils et autres, aux militaires, mais aussi sans doute Ă  bien des membres de certains groupes d’intervention tels que le RAID, le GIGN, les SAS, la BRI, dans le banditisme et le grand  banditisme, dans les organisations terroristes.

 

 Mais, Ă©galement, aussi Ă  celles et ceux qui participent Ă  certaines actions militantes :

 

Sea Sheperd ;

 

Txai Surui ? la jeune indigĂšne brĂ©silienne de 24 ans, prĂ©sente Ă  la rĂ©cente COP de Glasow, en novembre, consacrĂ©e au rĂ©chauffement climatique et Ă  l’épuisement des ressources de la planĂšte, qui a affirmĂ©, aprĂšs la jeune suĂ©doise, Greta Thunberg :

 

« La planĂšte nous dit que nous n’avons plus le temps Â».

 

 Nous pouvons aussi penser aux personnes qui vivent certaines passions. Mais aussi certaines addictions.

Cinquantenaire de Marmottan, à la cigale, à Paris, ce vendredi 3 décembre 2021.

 

Le 3 dĂ©cembre dernier, dans la salle- remplie- de concerts de la Cigale, le service Marmottan spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions fĂȘtait son cinquentenaire.

 

Sur place, j’ai eu l’impression qu’étaient prĂ©sentes principalement des personnes prĂ©occupĂ©es directement par le sujet des addictions. Soit en tant que professionnels de santĂ©. Soit en tant qu’usagers s’étant sevrĂ©s ou ayant du mal- et cherchant- Ă  se dĂ©crocher de leur(s) addiction (s).

 

 

Je ne peux pas avoir de certitude mais j’ai eu l’impression que la majoritĂ© des personnes de ce pays, la pensĂ©e dominante, se sent assez peu concernĂ©e directement par ce sujet. Et qu’entendre parler de Marmottan ou de tout autre service dĂ©vouĂ© aux addictions n’est pas la prioritĂ© de la majoritĂ© qui dispose de la pensĂ©e dominante. A moins d’y ĂȘtre obligĂ©e.

J’ai bien prĂ©vu de consacrer un article sur Ă  ce cinquentanaire de Marmottan dĂšs que cela sera possible. Mais je m’attends Ă  ce qu’il soit en grande partie parcouru par des professionnels de santĂ© des addictions ou par des personnes qui ont envie d’entreprendre de mieux faire le tri parmi leurs addictions. 

 

Une addiction particuliĂšre :

 

Pourtant, l’ĂȘtre humain est porteur d’une addiction particuliĂšre : celle de la destruction d’autrui, de son environnement comme de sa propre autodestruction. Et, cela, peu importe son niveau intellectuel, social, politique ou son histoire.  Invariablement, l’ĂȘtre humain  retourne Ă  cette addiction de destruction et d’autodestruction.

 

Les fĂȘtes de ce NoĂ«l, et d’autres festivitĂ©s, permettront Ă  certaines et certains de vivre la courte trĂȘve de cette addiction.

Paris, décembre 2021.

 

 

Donc, finalement, avec ou sans sapin, ces fĂȘtes de NoĂ«l ont du bon. De mĂȘme que la lecture de cette biographie d’HĂ©lie de Saint Marc.

 

 

Franck Unimon, ce samedi 18 décembre 2021.

 

 

 

 

 

 

 

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                             Ricochets– un livre de Camille Emmanuelle

Black Fridays

 

La Black Fridays de ce mois de novembre 2021 se termine dans quelques heures. On reparle peu Ă  peu de la pandĂ©mie du Covid qui reprend. En Autriche et en Australie, des mesures gouvernementales ont Ă©tĂ© prises pour obliger les non vaccinĂ©s Ă  se vacciner contre le Covid. Confinement forcĂ©, peines d’emprisonnement, contrĂŽles de police sur la route. Dans le New York Times de ce mercredi 17 novembre, j’ai appris que les non-vaccinĂ©s Ă©taient rendus responsables de la reprise de la pandĂ©mie du Covid. PandĂ©mie qui nous a fait vivre notre premier confinement pour raisons sanitaires en France en mars 2020. Mais j’ai l’impression que la perspective d’un reconfinement et la peur du Covid semblent trĂšs loin des attentions des Français dans l’Hexagone. MĂȘme si la troisiĂšme dose du vaccin commence Ă  s’étendre aux moins de 65 ans. Environ 80 pour cent de la population dans l’Hexagone est vaccinĂ©e contre le Covid. Nous sommes encore nombreux Ă  porter des masques. J’ai l’impression que peu de personnes en France envisagent ou acceptent l’idĂ©e d’ĂȘtre Ă  nouveau confinĂ©es. Depuis fin aout Ă  peu prĂšs, le sujet de la pandĂ©mie du Covid s’est dissous. Et, cette nouvelle remontĂ©e du Covid associĂ©e Ă  une pĂ©nurie de lits dans les hĂŽpitaux mais aussi Ă  une accentuation de la pĂ©nurie soignante ( 1200 postes infirmiers seraient inoccupĂ©s en rĂ©gion parisienne), semblent encore trĂšs loin de la portĂ©e du plus grand nombre.

 

Les attentats islamistes, c’est un petit peu pareil. Le procĂšs des attentats du 13 novembre 2015 a dĂ©butĂ© en septembre. Il durera jusqu’en Mai 2022. Cependant, Ă  part certaines personnes directement concernĂ©es ou touchĂ©es, et assidues, le sujet apparaĂźt moins prĂ©sent dans la conscience immĂ©diate de la majoritĂ©. D’abord, pour l’instant, et rĂ©cemment, il y a eu moins – ou pas- d’attentats islamistes Ă  proximitĂ©. Ensuite, nous avons aussi envie et besoin d’air. Donc de « voir Â» et de « vivre Â» autre chose que des attentats et du Covid.

 

A priori. 

 

Psycho-traumatologie

 

A ceci prĂšs que, parmi mes sujets « d’intĂ©rĂȘt Â», il y a ce que l’on appelle la psycho-traumatologie. « Tu aimes vraiment ce qui est mĂ©dico-lĂ©gal Â» m’a redit rĂ©cemment mon collĂšgue- cadre au travail, sans doute aprĂšs m’avoir vu avec le livre Ricochets de Camille Emmanuelle.

 

Il est arrivĂ© que ma compagne se moque de moi en voyant les films ou les livres, assez « chargĂ©s Â», que je regarde et lis pendant mes heures de repos. J’aime la poĂ©sie et la fantaisie. Je peux ĂȘtre trĂšs naĂŻf. TrĂšs ou trop gentil. Et mĂȘme niais. Puis, il y a une partie de moi, restĂ©e dans la noirceur, dont la mĂšche s’allume quelques fois et que je suis. Jusqu’à la psychose ou ailleurs. Ce n’est pas trĂšs bien dĂ©fini. Mais je sais que cela fait partie de ma normalitĂ© et sĂ»rement aussi de ma mĂ©moire. C’est sans doute cela qui m’a menĂ© Ă  Camille Emmanuelle.

 

Je ne « connaissais Â» pas Camille Emmanuelle.  J’ai tendance Ă  croire que si elle et moi, nous nous Ă©tions croisĂ©s avant la lecture de son ouvrage, que cela aurait fait flop. Je le crois car en lisant son Ricochets, il est une partie d’elle et de son monde qui m’a rappelĂ© comme je suis extĂ©rieur Ă  certaines Ă©lites ainsi qu’à certaines rĂ©ussites. Je ne devrais pas mentionner ça. Parce-que, fondamentalement, et moralement, au vu du sujet de son ouvrage, cela est dĂ©placĂ©. LĂ , je donne le premier rĂŽle Ă  mon ego alors que le premier rĂŽle, c’est fonciĂšrement elle et ce qu’elle a donnĂ©, ce qu’elle nous a donnĂ© de sa vie, avec son ouvrage. Mais je le fais car cela fait aussi partie des impressions que j’ai pu avoir en la lisant. Je me dis que d’autres personnes pourraient aussi avoir ces impressions. Et qu’une fois que j’aurai exprimĂ© ça, je pourrais d’autant mieux faire ressortir tout ce que son livre apporte.

 

Elites et réussites

 

J’ai parlĂ© « d’élites Â» et de « rĂ©ussites Â» car, jusqu’au 7 janvier 2015 (et aussi un peu avant lors d’un Ă©vĂ©nement traumatique antĂ©rieur), son parcours personnel et le mien me semblent deux opposĂ©s. Elle, belle jeune femme, milieu social aisĂ©, bonne Ă©lĂšve, aimĂ©e, assurĂ©e, encouragĂ©e Ă  partir Ă  l’assaut de ses aspirations Ă  Paris. Clopes, alcool, Ă  l’aise dans son corps, soirĂ©es parisiennes, les bonnes rencontres au bon moment pour sa carriĂšre professionnelle. Moi, banlieusard, corsetĂ© par les croyances traditionnalistes de mes parents, antillais d’origine modeste et rurale immigrĂ©s en mĂ©tropole, refugiĂ©s dans l’angoisse du Monde extĂ©rieur et dans la mĂ©fiance vis-Ă -vis du blanc (alors, la femme blanche !) pas si Ă  l’aise que ça dans mon corps. MalgrĂ© ce que mes origines antillaises «Vas-y Francky, c’est bon ! Â» pourraient laisser prĂ©tendre ou supposer.

 

On aime dire que les « contraires s’attirent Â». Mais il ne faut pas exagĂ©rer.

 

Devant une Camille Emmanuelle dans une soirĂ©e ou ailleurs, je me fais « confiance Â» pour me prĂ©senter Ă  mon dĂ©savantage ou m’éteindre complĂštement. Il n’y aurait qu’en ignorant la prĂ©sence ou le regard d’une personne pareille que je pourrais vĂ©ritablement ĂȘtre moi-mĂȘme, au meilleur. De ce fait, je n’ai pas Ă©voluĂ© dans les domaines oĂč elle a pu Ă©voluer mĂȘme si j’en ai eu ou en ai le souhait. Ce n’est pas de son fait. Mais parce-que je me suis plein de fois censurĂ© tout seul et que je continue de le faire studieusement en “bon” Ă©lĂ©ment qui a bien appris comment Ă©chouer avant d’atteindre certains horizons. 

 

Je parle aussi « d’élites Â» parce-que, lorsque le 7 janvier 2015, deux terroristes sont venus tuer plusieurs personnes dans les locaux du journal Charlie Hebdo, ils sont aussi venus s’en prendre Ă  des Ă©lites intellectuelles et/ou artistiques ou culturelles. Et, ça, je crois que c’est assez oubliĂ©.

 

Charlie Hebdo

 

Je lis Le Canard EnchainĂ© depuis plus de vingt ans. Le Canard EnchainĂ© est un peu le cousin de Charlie Hebdo. Les deux hebdomadaires ont bien sĂ»r leur identitĂ© propre. Mais ils ont en commun leur indĂ©pendance d’esprit. Un certain humour et une certaine capacitĂ© critique (supĂ©rieure Ă  la moyenne) envers le monde qui nous entoure et celles et ceux qui le dirigent.

 

Avant le 7 janvier 2015, j’avais achetĂ© une fois Charlie Hebdo. Pour essayer. Philippe Val en Ă©tait encore le rĂ©dacteur chef. Je n’avais pas aimĂ© le style. Les articles. J’ai peut-ĂȘtre gardĂ© ce numĂ©ro malgrĂ© tout parmi d’autres journaux.

 

Les caricatures de Mahomet, les menaces de mort, les pressions sur Charlie Hebdo mais aussi au Danemark m’étaient passĂ©es plutĂŽt au dessus de la tĂȘte. Je n’avais pas d’avis particulier. J’étais spectateur de ce genre d’informations comme pour d’autres informations.

 

Le 7 janvier 2015, c’était le premier jour des soldes. Chez nous, je crois, ma compagne m’apprend l’attentat « de Â» Charlie Hebdo. Je lui rĂ©ponds aussitĂŽt :

 

« C’est trĂšs grave ! Â».

 

Le 11 janvier, je n’étais pas Ă  la manifestation pour soutenir Charlie Hebdo pour deux raisons. Je « savais Â» qu’il y aurait beaucoup de monde. Donc, j’ai estimĂ© que Charlie Hebdo bĂ©nĂ©ficierait de « suffisamment Â» de soutien dehors.

 

Ensuite, il Ă©tait Ă©vident pour moi que cet engouement se dĂ©gonflerait. Et que soutenir Charlie Hebdo, cela signifiait le faire sur la durĂ©e. A partir de lĂ , j’ai commencĂ© Ă  acheter chaque semaine Charlie Hebdo. Et Ă  le lire. Je me suis Ă©tonnĂ© de voir que les articles me plaisaient. Soit j’étais devenu un autre lecteur. Soit la qualitĂ© des articles avait changĂ©. J’ai trouvĂ© le niveau des articles tellement bon qu’il m’est arrivĂ© de les trouver meilleurs que ceux du Canard EnchainĂ©. J’ai attribuĂ© ça Ă  un rĂ©flexe de survie de la part de la rĂ©daction de Charlie Hebdo. On se rappelle que l’équipe rĂ©dactionnelle qui restait avait d’autant plus tenu Ă  maintenir la survie de l’hebdomadaire en continuant de paraĂźtre malgrĂ© tout. Et que le numĂ©ro d’aprĂšs l’attentat avait Ă©tĂ© publiĂ© dans un tirage augmentĂ© et avait Ă©tĂ© disponible pendant plusieurs semaines. Les gens faisaient la queue pour « avoir Â» son numĂ©ro de Charlie Hebdo. Voire se battaient.

 

Je ne me suis pas battu pour avoir ce numĂ©ro. J’ai attendu. Et, un jour, une collĂšgue amie m’en a achetĂ© un numĂ©ro. Il est mĂȘme possible que j’aie deux fois ce numĂ©ro de Charlie Hebdo.

 

Je n’ai pas Ă©crit ou mis sur ma page Facebook ou autre : Je suis Charlie. Si je crois Ă  la sincĂ©ritĂ© de celles et ceux qui l’ont dit ou Ă©crit, pour moi, on peut ĂȘtre « pour Â» Charlie sans le dire. MĂȘme si je ne suis pas toujours d’accord ou n’ai pas toujours Ă©tĂ© d’accord avec certains points de vue de Charlie Hebdo. Mais je ne suis pas toujours d’accord avec ma famille, mes amis ou mes collĂšgues, non plus.

Et puis, l’expĂ©rience d’un attentat, ça change beaucoup la perception que l’on a des autres et de soi-mĂȘme. Charlie Hebdo vit dĂ©sormais sans doute dans au moins deux bunkers. Celui qui le protĂšge des menaces extĂ©rieures. Et celui, sĂ»rement plus Ă©pais, Ă  l’intĂ©rieur duquel se sont soudĂ©s celles et ceux qui ont vĂ©cu l’attentat du 7 janvier 2015.

 

Hormis le dessinateur Cabu qui officiait autant dans Charlie Hebdo que dans Le Canard EnchainĂ©, je n’avais pas de journaliste de Charlie Hebdo auquel j’aurais pu ĂȘtre « habituĂ© Â» ou particuliĂšrement attachĂ©. Il en est un, nĂ©anmoins, que j’avais rencontrĂ© une ou deux fois, des annĂ©es avant l’attentat, car il Ă©tait l’ami d’une amie. Ou mĂȘme l’ami de deux amies : Philippe Lançon, l’auteur de Le Lambeau.

 

Je veux bien croire que je me souvenais bien plus de lui que lui, de moi. Envers Philippe Lançon, j’avais des sentiments contrariĂ©s. Pour moi, lors de cette rencontre il y a plus de vingt ans, il Ă©tait mĂ»r de trop d’assurance. Sauf qu’il avait rĂ©ussi lĂ  oĂč j’aurais aimĂ© rĂ©ussir. Dans le journalisme. Je trouvais qu’il Ă©crivait trĂšs bien. Mais nous n’étions dĂ©jĂ  plus du mĂȘme monde lorsque nous nous Ă©tions croisĂ©s. L’élite, dĂ©jĂ . J’aurais peut-ĂȘtre pu, par le biais d’une de nos deux amies communes, le solliciter. Mais je n’en n’avais pas envie. J’ai compris seulement rĂ©cemment que j’étais un peu comme mon grand-pĂšre paternel, ancien maçon, dĂ©cĂ©dĂ© aujourd’hui. Mon grand-pĂšre paternel avait construit sa maison pratiquement tout seul. A Petit-Bourg, en Guadeloupe. Je n’aime pas contracter de dette morale envers autrui. Je prĂ©fĂšre construire ma « maison Â» seul mĂȘme si cela va me compliquer l’existence. Sauf que dans les domaines professionnels oĂč j’aurais voulu construire, seul, mĂȘme travailleur et plus ou moins douĂ©, on n’arrive Ă  rien. Il faut entrer dans un rĂ©seau. S’en faire accepter. Il faut savoir se faire aimer. Ce que je ne sais pas ou ne veux pas faire. Je suis peut-ĂȘtre trop nĂ©vrosĂ©.

 

Dans son livre, Camille Emmanuel Ă©voque Philippe Lançon. Ainsi que son frĂšre, Arnaud. Je les ai vus tous les deux il y a quelques mois Ă  l’anniversaire d’une amie commune. Je n’avais pas prĂ©vu, en lisant l’ouvrage de Camille Emmanuel, qu’elle allait aussi les Ă©voquer. Et, les quelques passages oĂč elle parle d’eux m’ont donc d’autant plus « parlĂ© Â».

 

D’un cĂŽtĂ©, il y avait ce que je « savais Â» de l’évĂ©nement de Charlie Hebdo. De l’autre cĂŽtĂ©, il y avait la rencontre humaine et directe, lors de cet anniversaire, oĂč il n’a jamais Ă©tĂ© fait mention, par quiconque, du 7 janvier 2015. « Mieux Â» : lors de cet anniversaire, j’ai en quelque sorte « sympathisĂ© Â» avec Arnaud, sans arriĂšre pensĂ©e. Pour dĂ©couvrir plus ou moins ensuite, lors de l’arrivĂ©e de celui-ci, qu’il Ă©tait le frĂšre de Philippe. Je me rappelle de la façon dont Arnaud a saluĂ© son frĂšre Ă  l’arrivĂ©e de celui-ci. De quelques Ă©changes avec l’un et l’autre. Ce fut humainement agrĂ©able. Ma contrariĂ©tĂ©- rentrĂ©e- envers Philippe n’était plus ou n’avait plus de raison d’ĂȘtre. Le voir, lĂ , pour cette amie, en « sachant Â» ce qu’il avait reçu le 7 janvier 2015. Et puis, j’avais aussi changĂ©. On s’accroche par moments Ă  des impressions ou Ă  un certain ressentiment dont on fait une complĂšte vĂ©ritĂ©. Alors que l’on a Ă  peine aperçu celle ou celui que l’on juge.

 

Ricochets :

 

En tant qu’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, j’ai travaillĂ© avec quelques psychiatres et pĂ©dopsychiatres. Un des pĂ©dopsychiatres que j’ai le plus admirĂ© avait dit un jour que, mĂȘme dans les milieux favorisĂ©s, il y a des gens qui souffrent. J’ai parlĂ© « d’élites Â», de « rĂ©ussites Â» concernant Camille Emmanuelle parce-que j’estime ne pas faire partie de son Ă©lite ou ne pas avoir connu certaines de ses rĂ©ussites.

 

Cela dit, Ă  aucun moment, je ne l’ai perçue comme une « pleureuse Â». Je n’envie pas ce qu’elle a vĂ©cu le 7 janvier 2015 et ensuite. Et dont elle nous fait le rĂ©cit. Car le 7 janvier 2015, elle est dĂ©jĂ  la femme de Luz, l’un des dessinateurs de Charlie Hebdo. Celui dont c’était l’anniversaire et qui est arrivĂ© en retard, ce jour-lĂ . Ce qui lui a sauvĂ© la vie : les deux terroristes quittaient le journal lorsqu’il arrivait. Il les a vus tirer en l’air dehors et sans doute crier : « On a vengĂ© le prophĂšte ! Â».

 

Je « connaissais Â» Ă  peine Luz avant le 7 janvier 2015.

 

Je ne connaissais pas l’appellation « Ricochets Â» ou « victime par ricochet Â» avant ce tĂ©moignage de Camille Emmanuelle. Quelques semaines avant de me retrouver devant son livre dans une mĂ©diathĂšque, j’avais lu un article sur son livre.

 

Sur son livre, on la voit en photo. Je me suis demandĂ© et me demande la raison pour laquelle on voit sa photo. Pour faire face ? Pour lui donner un visage en tant que victime ? Et, donc, pour la personnaliser, l’humaniser ?

 

Je ne me suis pas posĂ© ces questions lorsque j’ai lu l’ouvrage que Patrick Pelloux, -qu’elle mentionne aussi- a Ă©crit aprĂšs l’attentat de Charlie Hebdo. (Voir  L’instinct de vie ). 

 

Comme Camille Emmanuelle est une belle femme, je me suis aussi dit que c’était peut-ĂȘtre une maniĂšre de montrer qu’il peut y avoir un abĂźme entre l’image et son vĂ©cu traumatique. Nous sommes dans une sociĂ©tĂ© d’images et de vitrines. Son livre vient Ă©ventrer quelques vitrines. Dans son livre, assez vite, elle va parler de son addiction au vin comme une consĂ©quence de son mal ĂȘtre. Ce qui, immĂ©diatement, me faire penser Ă  Claire Touzard, la journaliste. Celle-ci, pourtant, n’a pas un vĂ©cu traumatique dĂ» Ă  un attentat. Mais je n’ai pas pu m’empĂȘcher de « rapprocher Â» leurs deux addictions Ă  l’alcool. Addictions que je vois aussi comme les addictions de femmes « modernes Â», occidentales, libĂ©rĂ©es ou officiellement libĂ©rĂ©es, Ă©duquĂ©es, parisiennes ou urbanisĂ©es, plutĂŽt jeunes, plutĂŽt blanches, et souvent attractives et trĂšs performantes socialement.

 

Quelques impressions et remarques sur Ricochets :

 

Assez vite, en lisant Ricochets, je me suis avisĂ© que pour que son histoire d’amour avec Luz soit aussi forte au moment de l’attentat, c’est qu’elle devait ĂȘtre rĂ©cente. Peu aprĂšs, Camille Emmanuelle nous apprend qu’ils Ă©taient mariĂ©s depuis un an Ă  peu prĂšs. Se mariant assez vite aprĂšs leur rencontre.

L’Amour permet de combattre ensemble bien des Ă©preuves. C’est ce que l’on peut se dire en lisant son tĂ©moignage. Pourtant, il est des amours qui, mĂȘme sincĂšres, ne tiennent pas devant certaines Ă©preuves. Camille Emmanuelle cite ce couple qu’elle rencontre, Maisie et Simon, particuliĂšrement esquintĂ© par l’attentat du Bataclan. Physiquement et psychologiquement. Au point que la rupture est un moment envisagĂ©e par Maisie.

 

Si les dĂ©cĂšs et les sĂ©vĂšres « injures Â» physiques dus aux attentats causent des traumas, l’ouvrage de Camille Emmanuelle « rĂ©habilite Â» la lĂ©gitimitĂ© de la psychologie et de la psychiatrie Ă  aider et soigner aprĂšs des Ă©vĂ©nements comme un attentat. Puisque ce sont deux des disciplines reconnues pour soigner ces « blessures invisibles Â» qui, parce qu’elles le sont – dans notre monde oĂč seul ce qui se « voit Â», se « montre Â» et se « compte Â» est prioritaire – restent minimisĂ©es ou niĂ©es. Or, ces blessures peuvent persister trĂšs longtemps. Dans un article que j’ai lu il y a une ou deux semaines maintenant, le tĂ©moignage d’une des victimes de l’attentat du bataclan, non blessĂ©e physiquement, Ă©tait citĂ©.

Dans ce tĂ©moignage, cette femme racontait qu’au dĂ©part, elle s’estimait quasi-chanceuse par rapport aux autres, dĂ©cĂ©dĂ©s ou gravement blessĂ©s. Sauf que, six ans plus tard, elle n’avait pas pu reprendre son travail du fait de son stress post-traumatique.

 

Etre soignant

 

En lisant Ricochets et le mal que Camille Emmanuelle s’est donnĂ©e pour « sauver Â» son mari, j’ai bien sĂ»r pensĂ© au mĂ©tier de soignant. On rĂ©sume souvent le rĂŽle de soignant Ă  celle ou celui dont c’est le mĂ©tier. Or, ce qu’entreprend Camille Emmanuelle, au quotidien – et d’autres personnes dĂ©sormais appelĂ©es « personnes aidantes Â» – c’est un travail de soignant. On pourrait se dire qu’il est donc « normal Â» qu’elle flanche Ă  certains moments vu que ce n’est pas son mĂ©tier. Sauf que je n’ai aucun problĂšme pour admettre qu’il puisse exister des personnes non-formĂ©es qui peuvent ĂȘtre de trĂšs bons soignants dans certains domaines : les Ă©tudes ne nous apprennent pas l’empathie ou Ă  ĂȘtre sensibles et rĂ©ceptifs Ă  certaines relations ou situations.

 

Et puis, dans tous les couples et dans toutes les familles, il y a des personnes qui sont des « soignants Â» ou des « personnes aidantes Â» officieuses. La diffĂ©rence, c’est qu’avec son mari, Camille Emmanuelle dĂ©couvre ce rĂŽle de maniĂšre intensive. « Intrusive Â».

 

Il est toujours trĂšs difficile-ou impossible- de faire concilier sa vie affective amoureuse ou amicale avec un rĂŽle de soignant dans son couple. Une absence d’empathie crĂ©e une froideur affective assez incompatible avec l’acte soignant. Mais trop d’empathie crĂ©e une surcharge de responsabilitĂ©s et expose Ă  ce que connaĂźt Camille Emmanuelle :

 

Une trop grande identification à ce que ressent son mari. Des angoisses. La dépression
.

Dans Ricochets, un psychiatre lui explique que la relation fusionnelle de leur couple cause aussi ses tourments.

Dans notre mĂ©tier de soignant, nous sommes « sensibilisĂ©s Â» Ă  la nĂ©cessitĂ© de mettre certaines « limites Â» ou un certain « cadre Â» entre l’autre et nous. MĂȘme si – ou surtout si- nous avons spontanĂ©ment une grande empathie pour l’autre que nous « soignons Â» ou essayons d’aider.

 

Au travail, j’aime me rappeler de temps en temps le nombre d’intervenants que nous sommes. Car ĂȘtre Ă  plusieurs nous permet, aussi, de nous rĂ©partir la charge Ă©motionnelle d’une « situation Â». Seule Ă  la maison avec son mari, puis avec leur fille, Camille Emmanuelle a moins cette possibilitĂ© d’ĂȘtre relayĂ©e. Mais l’aurait-elle eue qu’elle l’aurait probablement refusĂ©e. Si l’Amour peut aider Ă  surmonter certaines Ă©preuves, le sens du Devoir permet, aussi, de le croire. Surtout lorsque l’on est dans l’action.

 

 

Etre dans l’action

Vers la fin de son livre, Camille Emmanuelle « rencontre Â» (soit via Skype ou en consultation) un psychiatre ou une psychologue qui lui explique que son Hyper-vigilance post attentat 2015 s’explique trĂšs facilement. La menace de mort a persistĂ© bien aprĂšs le 7 janvier 2015. Sauf que l’hyper-vigilance, ça use.

 

C’est seulement lorsque le journaliste Philippe Lançon a commencĂ© Ă  aller mieux que son frĂšre , Arnaud, qui venait le voir tous les jours Ă  l’hĂŽpital, s’était autorisĂ© Ă  s’occuper de lui. Et Ă  consulter pour lui. Camille Emmanuelle a Ă©galement ressenti ça. Et, moi, je me suis aperçu en lisant Ricochets que j’avais ressenti ça pour ma fille, prĂ©maturĂ©e, qui avait passĂ© deux mois et demi Ă  l’hĂŽpital dĂšs sa naissance. Tous les jours, nous allions la voir Ă  l’hĂŽpital.  C’est trois Ă  quatre ans aprĂšs cette pĂ©riode que j’ai commencĂ© Ă  penser Ă  consulter. Et que je me suis dit que nous aurions dĂ» le faire bien plus tĂŽt. Dans la situation de ma compagne et moi, il n’y avait pas eu d’attentat mais il y avait bien eu un trauma : il y a des naissances plus heureuses et plus simples. Or, nous avions comptĂ© sur nos propres forces, ma compagne et moi, pour cette naissance difficile.

 

Et, il y a un autre point commun, ici, entre notre expĂ©rience et celles de certaines victimes d’attentats : si  parmi les gens qui nous entourent, certains ont d’abord exprimĂ© une rĂ©elle empathie, ensuite, la situation a en quelque sorte  Ă©tĂ©  rapidement « classifiĂ©e Â» pour eux. Ils sont restĂ©s extĂ©rieurs Ă  l’expĂ©rience, pensant que cela coulait de source pour nous, et ont vaquĂ© Ă  leurs occupations. Parce-que ce n’est pas la premiĂšre fois qu’il y a eu un attentat. Qu’il y a la « rĂ©silience Â». Ou que l’on est suffisamment « fort Â» et que l’on va « rebondir Â». Ou ĂȘtre « proactif Â». Ou, aussi, parce-que cette situation les mettait mal Ă  l’aise ou leur faisait peur : «  Je ne sais pas quoi dire
 Â».

 

Comme Camille Emmanuelle, sans doute, avec son mari aprĂšs les attentats, je n’ai pas recherchĂ© et n’aurais pas aimĂ© que l’on me plaigne Ă  la naissance de ma fille. En outre, je mentionne ici sa prĂ©maturitĂ© mais ordinairement je ne le mentionne pas. Je n’aimerais pas devoir en permanence parler de ce sujet. Et, c’est sĂ»rement pour lui Ă©chapper que je me suis beaucoup impliquĂ© en reprenant des cours de thĂ©Ăątre au conservatoire un peu avant sa naissance (environ dix heures de cours par semaine). Et que trois ans plus tard, alors que ma fille allait mieux, j’ai perdu de façon Ă©tonnante ce « besoin Â» de faire du thĂ©Ăątre.

 

On peut trouver indĂ©cent que je rapproche de cette expĂ©rience d’attentats ce que j’ai pu vivre avec la naissance de ma fille. Moi, je crois que certaines expĂ©riences de vie ont en quelque sorte des « troncs communs Â». Et que, mĂȘme si certaines situations sont bien sĂ»r plus extrĂȘmes que d’autres, qu’elles ont nĂ©anmoins une certaine parentĂ© avec d’autres situations de vie. Dans son livre, Camille Emmanuelle relĂšve bien que l’expĂ©rience traumatique de son viol par soumission chimique, en 2012, aux Etats-Unis, l’a sans doute prĂ©parĂ©e Ă  pouvoir d’autant plus facilement se mettre Ă  la place de son mari aprĂšs les attentats du 7 Janvier 2015. MĂȘme si, Ă©videmment, elle se serait bien passĂ©e de ce viol. MĂȘme si son mari n’a pas Ă©tĂ© violĂ© et a toujours conservĂ© son intĂ©gritĂ© corporelle intacte.

Elle nomme aussi les trois attitudes adoptĂ©es par l’ĂȘtre humain face Ă  un stress ou un danger extrĂȘme:

Fight, Flight or Freeze : Se battre, fuir ou se figer.

Une psychiatre ou une psychologue qu’elle interroge explique que ces trois attitudes humaines sont normales. Et que se battre, selon les situations, n’est pas toujours l’attitude qui permet de rester en vie.

 

Une sorte de conclusion :

 

L’ouvrage de Camille Emmanuelle m’a plusieurs fois fait penser au livre Je ne lui ai pas dit au revoir : Des enfants de dĂ©portĂ©s parlent de Claudine Vegh, paru en 1996, seul ouvrage, je crois, Ă  ce jour, de cette
pĂ©dopsychiatre.

 

Des attentats, une enfant prématurée, la déportation
on peut se demander quels rapports ces sujets ont-ils à voir ensemble.

 

Le Deuil.

 

D’ailleurs, pour moi, Ă  plusieurs reprises, l’attentat « de Â» Charlie Hebdo a imposĂ© Ă  celles et ceux qui sont restĂ©s, un deuil impossible. Initialement, d’ailleurs, avant de commencer Ă  Ă©crire cet article, j’avais prĂ©vu de commencer par ça :

 

Par Ă©crire Le Deuil impossible.

 

Mais ce n’est pas ce que raconte Camille Emmanuelle dans son livre. Ce n’est pas ce que l’existence de ma fille raconte, non plus. Claudine Vegh, par contre
 mais son ouvrage est à lire.

 

Camille Emmanuelle donne aussi des conseils pour celles et ceux qui se retrouveraient dans la mĂȘme situation qu’elle. Si elle rencontre des avocats, d’autres victimes directes ou par ricochets, des psychiatres, psychologues, mais aussi d’autres personnes, ce qui lui permet, aussi, de reposer un peu sa conscience, elle donne quelques coups de pouce.

 

Elle conseille de ne pas recourir Ă  l’alcool ou Ă  une quelconque substance (cannabis ou autre) peu de temps aprĂšs un Ă©vĂ©nement traumatique. Pour cause de risque d’addiction.

MĂȘme la prescription classique de lexomil serait Ă  Ă©viter. Il semblerait que la prescription de bĂȘta bloquants pourrait ĂȘtre prĂ©conisĂ©e selon les individus.

 

Elle conseille d’éviter de se livrer dans les mĂ©dia. Pour cause d’amplification d’un effet boomerang de nos propos sous l’effet de l’émotion. Elle fait aussi un travail de recherche sur les effets des rĂ©seaux sociaux (ou les mĂ©dia) aprĂšs qu’un de ses articles ait Ă©tĂ© lu plus de 
600 000 fois aprĂšs l’attentat de Charlie Hebdo.

 

Elle raconte aussi les dĂ©saffections de certaines personnes proches, et les simples connaissances devenues des proches. 

 

J’ai retenu, dans ce qui l’avait aidĂ© et qui l’aide :

 

Ecrire, regarder (ou lire) des fictions, faire du Yoga, faire de la boxe anglaise, consulter, dĂ©mĂ©nager, quitter Paris, trouver un endroit calme, faire l’amour avec son mari/ou sa femme (lorsque c’est possible), dormir, reprendre le travail


 

Elle cite aussi plusieurs auteurs ou psychologues ou psychiatres reliĂ©s au trauma. J’ai mĂ©morisĂ© en particulier l’ouvrage Panser les attentats de Marianne KĂ©dia.

 

Franck Unimon, ce dimanche 21 novembre 2021.

 

 

Catégories
Béatrice Dalle Cinéma Puissants Fonds/ Livres

BĂ©atrice Dalle, trois fois.

 

 

BĂ©atrice Dalle, trois fois.

 

Puisque c’est toujours de la faute des autres, tout est parti d’un cd du groupe Sonic Youth.

 

Je n’ai pas revu les films, ces forĂȘts, oĂč on la trouve. Je suis seul avec mes pensĂ©es, ces vieillesses condamnĂ©es sur lesquelles il faut apprendre Ă  veiller. Si l’on tient Ă  prĂ©venir le dĂ©clin de notre humanitĂ©.

 

BĂ©atrice Dalle, trois fois. BĂ©atrice Dalle, pourquoi. Ma prudence me rĂ©pĂšte que je ne la connais pas. Mais, dĂ©ja, pour la premiĂšre fois dans mon blog, je crĂ©e une rubrique uniquement pour elle. Parce-que parler d’elle m’Ă©voque peut-ĂȘtre le cheval de Troie. 

Le physique de charme est un fusil de chasse. Mais cette arme a une particularitĂ© dangereuse : partout oĂč elle passe, on la repĂšre au lointain. Sa dĂ©tentrice- ou son dĂ©tenteur- doit savoir s’en servir ou la quitter. Sinon, cette arme sera son enterrement ou sa rĂ©tention. Et, elle sera le trophĂ©e de celle ou celui qui la brandira. Qui la tisonnera.  

 

Je me rappelle un peu d’une partie de sa cinĂ©matographie. Dans son livre Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle / BĂ©atrice DalleLouvrier nous apprend qu’hormis avec les rĂ©alisateurs Jim Jarmusch et Abel Ferrara, elle a fait peu d’efforts pour connaĂźtre une carriĂšre aux Etats-Unis. Parce qu’elle ne parle pas Anglais. 

 

Si tu cours longtemps et vite, et que tu es sur la dĂ©fensive devant la moindre limite, comment te suivre, BĂ©atrice Balle ? Il faut un certain recul pour atteindre quelqu’un. Mais aussi pour l’attendre.

 

Louvrier parle du Rap et de Joey Starr. Mais il y a d’autres musiques. Peut-ĂȘtre du Free Jazz ou ne serait-ce que du Free
gaz.

 

En 1986, Dalle est dans 37°2. AprĂšs les Punks (que Louvrier cite). AprĂšs Nina Hagen, le Reggae de Police(groupe de Reggae blanc influencĂ© par le Punk), la mort de Bob Marley. La lecture de Que Dalle nous informe que Sting, l’auteur des tubes du groupe Police, Ă©tait « fou Â» d’elle et voulait la rencontrer. Mais « dans Â» la France de Mitterrand et de Jack Lang, elle avait d’autres Ă©vidences.

 

Dans la France de Giscard, je ne vois pas de place pour 37°2. Et puis, rester dans les annĂ©es 70 et 80, c’est se tenir trĂšs loin d’aujourd’hui et de demain.

 

RĂ©cemment, Ă  l’anniversaire d’une amie, Ă  Levallois (oui, grĂące Ă  Louvrier, je sais qu’à une Ă©poque, Dalle a vĂ©cu Ă  Levallois) en parlant de mon blog, j’ai rĂ©pondu Ă  quelqu’un avec qui je sympathisais que j’avais, entre-autres, Ă©crit sur BĂ©atrice Dalle. Il a Ă©tĂ© un peu Ă©tonnĂ©. SĂ»r de moi, j’ai alors avancĂ©, tel un attachĂ© de presse bien au fait de ses projets :

 

« Elle fait toujours des films Â».

 

 

J’étais nĂ©anmoins dans la salle pour voir le  film Lux Aeterna de Gaspar NoĂ©. Un rĂ©alisateur dont j’ai vu plusieurs des films depuis Seul Contre tous avec « feu Â» Philippe Nahon. Au contraire de Seul contre tous (un chef-d’Ɠuvre, selon moi) je n’ai pas souscrit Ă  l’intĂ©gralitĂ© de Lux Aeterna. J’ai pour l’instant renoncĂ© Ă  Ă©crire dessus. Mais il m’en reste quelque chose. De mĂȘme pour Climax.

 

 

Dans le Que Dalle de Pascal Louvrier, il est plusieurs fois fait Ă©tat de sa bouche. Cet organe aurait Ă©tĂ© perçu comme « trop Â» grand chez elle au dĂ©but de sa carriĂšre. Presqu’un naufrage.

 

J’ai oubliĂ©.

 

Sa bouche est la graine que nulle gravitĂ© n’aliĂšne. Pourtant, dans J’ai pas sommeil, l’acteur Alex Descas- dont je parlerai un jour-  s’en prend Ă  elle :

 

« Tu ne seras jamais prĂȘte ! Â».

 

Devant sa nuditĂ© inquiĂšte, mes articles, aussi, sans doute, ne seront jamais prĂȘts.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 6 juillet 2021.

 

 

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BĂ©atrice Dalle

 

BĂ©atrice Dalle

 

(cet article est une variation de l’article Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle).

 

 

 

BĂ©atrice Dalle, aujourd’hui, fait moins parler qu’il y a « longtemps Â» : il y a dix ou vingt ans.

 

J’ai achetĂ© ce livre parce que BĂ©atrice Dalle me « parlait Â». Comme un conflit pourrait parler Ă  des vieux qui y avaient participĂ© en tant que simple appelĂ©s ou appuis militaires. Ce qu’ils sont devenus ensuite, c’est un autre problĂšme. Et, avant tout, et surtout, le leur. Ce que je raconte ensuite, ici, c’est peut-ĂȘtre aussi, avant tout, et surtout, mon problĂšme.

 

Lorsque j’avais achetĂ© ce livre consacrĂ© Ă  BĂ©atrice Dalle, je faisais dĂ©jĂ  partie des vieux. Mais, bien entendu, je ne l’avais pas vu comme ça, ce jour-lĂ . Aujourd’hui, je suis un peu plus rĂ©aliste :

 

MĂȘme si, en apparence, j’ai encore un look assez jeune, je vois bien que je fais partie des vieux. On peut ĂȘtre myope et visionnaire.

 

Ainsi, je vais spontanĂ©ment vers des musiques – mais aussi vers des pratiques- qui montrent bien que je ne suis plus jeune. RĂ©cemment, lors d’une rencontre professionnelle, celle qui m’a reçu m’a dit :

 

« De toute façon, si vous m’envoyez un mail, je le recevrai sur mon portable Â». Le fait que je sois autrement plus qualifiĂ© qu’elle pour le travail que j’effectuerai peut-ĂȘtre pour sa « boite Â»,  est ici accessoire. J’avais compris Ă  cette simple phrase que j’étais vieux. Tant pour ces valeurs et ce mode de vie que cette « jeune Â» justifie et dĂ©fend. Que pour cette façon d’offenser sans mĂȘme s’en apercevoir.

 

J’ai regardĂ© dans les yeux ma jeune interlocutrice. Ses beaux yeux bleus. Mais je n’étais pas amoureux. J’avais bien plus d’expĂ©rience qu’elle et voire qu’elle n’en n’aurait jamais pour ce travail pour lequel je la rencontrais. Pourtant, c’était elle qui dirigeait l’entretien.   TrĂšs certainement, m’a-t’elle trouvĂ© l’abord froid et rigide de celui qui borde un monde qu’elle ne connaĂźt pas. Elle ne sait pas qu’une grande partie de ma vie comme celle d’autres que je connais ou ai connus, se dĂ©value Ă  mesure qu’elle devient un exemple Ă  suivre. Et, j’en suis aussi en partie responsable :

J’ai refusĂ© de devenir responsable de ce monde qu’elle dĂ©fend.

 

BĂ©atrice Dalle, dans l’ouvrage de Louvrier, est un moment comparĂ©e Ă  Brigitte Bardot et Ă  Marilyn Monroe. RĂ©guliĂšrement, se succĂšdent des personnalitĂ©s et des idoles de toutes sortes qui en rappellent d’autres. Et si cela se perpĂ©tue, c’est parce-que cela rend plus polis certains de nos Ă©checs. Que l’on soit jeunes ou vieux.

 

Mentionner Bardot, Monroe et Dalle, c’est additionner les sex-symbol. Un sex-symbol, c’est festif. Ça met en alerte. Ça donne envie de consommer. De se transformer en superlatif.

 

Mais c’est une histoire triste. Telle qu’elle m’a racontĂ©e. Celle d’une enfant d’une famille nombreuse sacrifiĂ©e parmi d’autres. Bonne Ă©lĂšve d’une Ă©cole dont elle a dĂ» se retirer Ă  l’école primaire. Afin de s’occuper de frĂšres et de sƓurs plus jeunes. Mais, aussi, pour faire la cuisine. Pourquoi elle plus qu’une autre ? Et, en quoi, cela aurait-il Ă©tĂ© plus juste qu’une autre soit choisie ?

 

 

Ma mĂšre est une femme gentille. Comme aurait pu l’ĂȘtre le personnage jouĂ© par l’acteur Tim Robbins dans Mystic River rĂ©alisĂ© par Clint Eastwood.

 

Ma mĂšre est donc l’opposĂ©e d’une BĂ©atrice Dalle. Si l’une et l’autre ont quittĂ© leurs parents avant leur majoritĂ©, leur tempĂ©rament les sĂ©pare.  BĂ©atrice Dalle a pu « se prendre la gueule Â» avec des femmes et des hommes, connus ou inconnus. Elle a aussi connu la rue. EtĂ© punk. Elle peut baptiser des injures et professer des menaces qui ont valeur de futur. Ma mĂšre n’a jamais prononcĂ© le moindre gros mot devant moi. Elle a fait baptiser ses enfants.

 

Dans le livre qu’il a consacrĂ©e Ă  BĂ©atrice Dalle, le journaliste Pascal Louvrier relate que celle-ci a pu faire penser Ă  une « panthĂšre Â». Ma mĂšre n’a rien de la panthĂšre. Mais j’aurais aimĂ© qu’elle le soit. Qu’elle puisse l’ĂȘtre. Qu’elle sache l’ĂȘtre. Qu’elle puisse griffer. Elle ne le fera jamais. Au lieu de griffer, elle priera. BĂ©atrice Dalle est croyante Ă  sa façon, parle de JĂ©sus-Christ mais elle et ma mĂšre ne sont pas faites de la mĂȘme ferveur religieuse. J’attends de voir BĂ©atrice Dalle dans un film de Bruno Dumont.

 

Ma mĂšre a Ă©tĂ© et est une trĂšs belle femme. C’est une femme capable. A son Ăąge, beaucoup aimeraient avoir sa forme physique. Sa souplesse. Son endurance. Son dynamisme.

Mais elle est une de ces multiples femmes- dĂ©ployĂ©es et employĂ©es- qui ont trop acceptĂ© un peu tout et n’importe quoi. PiĂ©gĂ©es sans doute par leur trop grande endurance, leur naĂŻvetĂ© et leur indĂ©fectible indulgence pour leurs peurs.

 

 

Certaines rĂ©ussites sont lĂ  pour masquer certains Ă©checs.  Normalement, ma mĂšre a rĂ©ussi. Son mariage. Ses enfants. Sa maison. Ses activitĂ©s. Elle peut parler. DiscrĂštement. Mais elle a plus subi de vĂ©ritĂ©s qu’elle n’en n’a dit.

 

 

BĂ©atrice Dalle, c’est le contraire.

 

 

Ça tombe trĂšs bien qu’aujourd’hui, on parle moins de BĂ©atrice Dalle comme sex-symbol.

 

Parce-que toutes ces histoires de sexe, de drogue et de frasques (des histoires de jeunes)  m’empĂȘchaient sans doute de comprendre qu’au cinĂ©ma, ou ailleurs, ce qui pouvait me dĂ©ranger chez BĂ©atrice Dalle mais aussi me donner envie d’aller la voir, c’était de pouvoir m’imaginer un peu ce que ma mĂšre aurait pu ĂȘtre ou faire de diffĂ©rent.

 

Je vais peut-ĂȘtre au cinĂ©ma afin de pouvoir imaginer des diffĂ©rences. Et, pour moi, BĂ©atrice Dalle permet ça.

Franck Unimon, Dimanche 4 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle

 

                Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle

 

                         Ecrit par Pascal Louvrier et BĂ©atrice Dalle

 

 

HĂ©siter entre la lecture de UCHIDESHI Dans Les Pas du Maitre (Apprendre ce qui ne peut ĂȘtre enseignĂ©)  de Maitre Jacques Payet, 8 Ăšme Dan, Shihan, au sein de l’organisation Aikido Yoshinkan. Et la lecture du livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle.

 

Opter pour ce dernier. Et se sentir d’abord Ă©claboussĂ© par de la poussiĂšre de honte. Une fois de plus, avoir cĂ©dĂ© aux sĂ©ductions de la forme. Au lieu de dĂ©terrer de soi ces peurs qui nous martĂšlent les vertĂšbres.

 

Nos peurs sont des productions incessantes. Les combattants sont celles et ceux qui, jour aprĂšs jour, les voient s’amonceler sur leur compteur. Et qui ont appris et apprennent de leurs peurs. Et qui rĂ©pĂštent des gestes, parfois des incantations, ou des Savoirs, en vue de leur rĂ©pondre.

 

Ce sont des voix qui leur parlent, Ă  toute heure,  Ă  eux seuls, et que personne d’autre n’entend, d’abord. Du moins ont-ils souvent cette impression.

 

Pas de combattant sans peur.

 

Mais comparer une actrice ou un acteur, Dalle ou autre, Ă  un combattant tel que Maitre Jacques Payet, c’est aussi tenter de vouloir parer un miroir des mĂȘmes mĂ©rites et des mĂȘmes hĂ©ritages que le diamant.

 

La diffĂ©rence entre les deux reste quand mĂȘme que, une fois « choisi Â», l’un (l’actrice ou l’acteur) est si puissamment Ă©clairĂ©, entourĂ©, stylisĂ©, entraĂźnĂ©, conseillĂ© qu’il est presque condamnĂ© Ă  rĂ©ussir.

Je repense Ă  l’actrice AdĂšle Exarchopoulos tellement mise en valeur par Kechiche dans La Vie d’AdĂšle ( 2013)  que je m’étais dit :

 

 Â« Si aprĂšs ça, elle ne rĂ©ussit pas une belle carriĂšre au cinĂ©ma, elle ne pourra pas dire qu’elle n’a pas Ă©tĂ© aidĂ©e Â».

 

 

La combattante ou le combattant, longtemps, est bien moins entourĂ© que l’actrice ou l’acteur. C’est peut-ĂȘtre, aussi, ce qui le pousse Ă  surgir. Car, soit il restera victime, oubliĂ©, dominĂ© ou enfermĂ©. Soit il vivra. En se mettant Ă  vivre, la combattante ou le combattant commence Ă  Ă©blouir celles et ceux qui l’entourent.  Parce que vivre, c’est notre histoire Ă  tous. Sauf que pour beaucoup, vivre reste une intention ou une tentation. Alors que pour la combattante ou le combattant, vivre est une action.

 

L’actrice et l’acteur se mettent Ă  vivre lorsque l’on dit : « Action ! Â». La combattante et le combattant vivent parce qu’ils agissent. En dehors du combat. Au cours du combat. Mais, aussi, aprĂšs le combat.

 

Le combat, c’est le temps absolu. L’extrĂȘme. Aucun faux semblant possible.

 

Il y a maintenant un jeu de mot trĂšs facile Ă  faire : le contraire du combat, plus que la dĂ©faite, c’est le coma. Etre dans le coma, c’est bien-sĂ»r ĂȘtre allongĂ© dans un lit d’hĂŽpital dans un service de rĂ©animation. Peut-ĂȘtre en mourir. Peut-ĂȘtre en sortir. Peut-ĂȘtre en revenir diminuĂ©, paralysĂ© ou transformĂ©.

 

Mais le coma, c’est aussi laisser quelqu’un d’autre ou une substance agir ou faire des rĂȘves Ă  notre place. Puis exĂ©cuter au dĂ©tail prĂšs. Comme des rails nous menant vers une destination prĂ©Ă©tablie par quelqu’un d’autre que nous et Ă  laquelle nous accepterions de nous rendre sans conditions.  

 

 

A ce stade de cet article, par lequel je me suis laissĂ© « dĂ©tourner Â», il faudrait maintenant  vraiment parler du livre.

Normalement, ce que j’ai Ă©crit m’a dĂ©jĂ  disculpĂ© concernant le fait d’avoir « prĂ©fĂ©rĂ© Â» d’abord lire cet ouvrage sur BĂ©atrice Dalle. Mais la normalitĂ© peut aussi ĂȘtre une folie souvent acceptĂ©e par le plus grand nombre. Alors, je vais prendre mes prĂ©cautions et m’en tenir Ă  ce que j’avais prĂ©vu de mettre en prĂ©ambule.

 

La lecture de la « biographie Â» de l’acteur SaĂŻd TAGHMAOUI, SAÏD TAGHMAOUI De La Haine A Hollywood dont j’ai rendu compte il y a quelques jours m’a influencĂ©. SaĂŻd Taghmaoui/ De la Haine A Hollywood

 

Dans son livre, TAGHMAOUI ne dit pas un mot sur BĂ©atrice Dalle et Joey Starr. Pourtant, il est impossible qu’ils ne se soient croisĂ©s.

 

Ils ont Ă  peu prĂšs le mĂȘme Ăąge. Sont entrĂ©s dans le grand bal de la scĂšne mĂ©diatique Ă  peu prĂšs au mĂȘme moment mĂȘme si Dalle fait un peu figure « d’aĂźnĂ©e Â» avec 37°2  de Beineix, sorti en 1986.

Ils ont eu des amis et des intĂ©rĂȘts communs : Au moins Le Rap, Les Tags, les graffitis, la banlieue parisienne dĂ©favorisĂ©e ( Taghmaoui, Morville) Benoit Magimel, les frĂšres Cassel ( Vincent et/ou Rockin’ Squat).

 

Si leur adresse et leur rĂ©ussite artistique (TAGHMAOUI, DALLE, Joey Starr/ Morville) doivent Ă  leur prĂ©sence physique ainsi qu’à leurs origines sociales et personnelles, elles doivent aussi Ă  leur intelligence particuliĂšre (du jeu, du texte, pour faire certaines rencontres existentielles et dĂ©cisives) ainsi qu’à leur travail d’avoir durĂ© alors, qu’au dĂ©but, dans leur vie mais aussi comme lors de leur arrivĂ©e dans le milieu de la musique ou du cinĂ©ma, rien ne le garantissait.

 

Pour le dire simplement et sans mĂ©pris : Aucun des trois ne venait d’un milieu social et intellectuel privilĂ©giĂ© et, d’une façon ou d’une autre, tous les trois ont connu ce que l’on appelle la « zone Â». Que ce soit la prison, les gardes Ă  vue, la drogue, la rue. Dans un pays officiellement dĂ©mocratique et universel comme la France, celles et ceux qui rĂ©ussissent et sont aux avant postes de la sociĂ©tĂ© ont gĂ©nĂ©ralement d’autres profils, d’autres CV,  voire d’autres prĂ©noms, que ces trois-lĂ .

 

Et, avec ces trois-lĂ , aussi, le mĂȘme « miracle Â» s’est plus ou moins rĂ©pĂ©tĂ© (davantage avec Dalle et Joey Starr en France, toutefois) :

 

Une fois que chacun de ces trois-là a réussi à bien planter sa tente dans le décor avide de la réussite artistique, économique, commerciale et Jet Set de ce pays, ils sont devenus désirables. Respirables. Par le plus grand nombre. Spectateurs et parasites compris.

 

Je ne fais pas exception. Au dĂ©but du livre, avant sa toute premiĂšre rencontre avec elle, Pascal Louvrier raconte son apprĂ©hension vis-Ă -vis des rĂ©actions de BĂ©atrice Dalle qui avait pour rĂ©putation d’ĂȘtre imprĂ©visible et, bien-sĂ»r, d’ĂȘtre peu frĂ©quentable. Une fĂ©tichiste des options racaille. Ces apprĂ©hensions, je les ai longtemps eues vis-Ă -vis d’elle comme vis-Ă -vis de Joey Starr . Et les jugements moraux dĂ©prĂ©ciatifs dĂ©finitifs -fondĂ©s bien-sĂ»r sur des Ă©clats mĂ©diatiques et certaines de leurs attitudes- que d’autres ont pu avoir sur eux, je les ai eus aussi.

 

Et, cela va dans les deux sens : Dalle, pour parler d’elle, ne brille pas non plus par une tolĂ©rance de tous les instants pour autrui. MĂȘme si elle est capable de gentillesse ou de prendre la dĂ©fense de celles et ceux qu’elle perçoit comme victime. Lors d’un tournage comme dans la vie.

Car, Dalle « vomit Â» aussi les tiĂšdes. Et les mĂ©ritants. Toutes celles et tous ceux qui font de leur mieux et qui, Ă  ses yeux, sont « faibles Â» ou ne valent pas qu’on s’attarde sur eux : les gens sans particularitĂ© Ă©vidente, monocordes et lambda qui se fondent dans le dĂ©cor social comme dans une boite Ă  chaussures.

 

Ce faisant, elle rĂ©pĂšte comme d’autres, y compris comme celles et ceux qui l’adorent, certaines injustices et certains prĂ©jugĂ©s, que, comme ses adorateurs,  elle condamnera ailleurs. Et en d’autres circonstances selon des critĂšres sĂ©lectionnĂ©s par eux. Et par elle.

Cela, c’est le paradoxe permanent du « Star SystĂšme Â» que l’on Ă©volue dans le cinĂ©ma hautement commercial ou dans le cinĂ©ma d’auteur :

 

Pour peu que l’on soit admirĂ© et aimĂ© par des personnalitĂ©s du monde du spectacle, de l’art ou de l’intellect, on sera excusĂ© et dĂ©fendu contre les bien-pensants et les bons Ă©lĂšves besogneux qui, les abrutis ! , ne peuvent rien faire de mieux- et de plus- que de rĂ©flĂ©chir de travers. Comme on pisse sur le sol en ratant l’urinoir ou la cuvette des toilettes. Avant, Ă©videmment, de partir prestement et lĂąchement, en laissant tout en l’état sans mĂȘme se laver les mains. 

 

C’est mon principal reproche au livre de Louvrier : cette façon de mettre Dalle sur un piĂ©destal et de, pratiquement, tout justifier et tout accepter de certains de ses actes « dĂ©flagrants Â».

 

Je vais nĂ©anmoins m’abstenir de frimer dans ces quelques lignes. Au tout dĂ©but du livre, je me suis bien dit :

« J’aurais pu mieux Ă©crire Â». «  J’aurais pu mieux faire Â».

 

Mais, par la suite, je me suis avisĂ© que Louvrier a effectuĂ© un trĂšs gros et trĂšs bon travail de recherche. Que ce soit dans les archives mais aussi auprĂšs de Dalle et de quelques personnes qui ont travaillĂ© avec elle et dont certaines sont devenues des proches :

 

Dominique Besnehard, l’agent qui l’a dĂ©couverte et qui est aussi un de ses protecteurs et un de ses proches. Un protecteur dĂ©vouĂ© et idĂ©al.

Besnehard a aussi Ă©tĂ© l’agent de TAGHMAOUI. Mais Ă  lire celui-ci, sa rencontre avec Besnehard a nettement moins Ă©tĂ© Ă  son avantage.

 

Du reste, pour avoir lu- avec plaisir- l’ autobiographie Casino d’Hiver de Besnehard ( parue en 2014), je « sais Â» que TAGHMAOUI ne figure pas parmi les rencontres qui ont le plus marquĂ© Besnehard, humainement et artistiquement. Au contraire de BĂ©atrice Dalle, Jean-Claure Brialy, Nathalie Baye, MarlĂšne Jobert ou Maurice Pialat par exemple.

 

Je garde d’ailleurs un trùs bon souvenir de ses pages sur Pialat.

 

La rĂ©alisatrice Claire Denis est aussi « convoquĂ©e Â» pour parler de BĂ©atrice Dalle dans Que Dalle.

 

Tout comme le photographe  Richard Aujard.

 

Ainsi que le rĂ©alisateur Jean-Jacques Beineix, bien-sĂ»r, dont j’avais aimĂ© lire l’autobiographie parue en 2006 : Les Chantiers de la Gloire.

 

Ma seconde excuse pour avoir choisi de lire Que Dalle avant celui de Sensei Payet est que le livre de celui-ci est sorti rĂ©cemment. En 2021 pour la version française. Celui consacrĂ© Ă  Dalle, en 2008 puis en 2013. Je crois l’avoir achetĂ© en 2013. Cela fait donc huit ans que je l’avais parmi plein d’autres livres. Sur le cinĂ©ma et d’autres thĂšmes.

 

Entre les annĂ©es 80-90 et le « rĂ©cit Â» parcellaire, de sa relation Ă  ressorts et Ă  sorts avec Joey Starr/ Didier ou avec son premier mari et ses autres amants et mari(s) sans omettre certaines parties judiciaires de sa trajectoire, et les annĂ©es qui ont suivi, j’ai appris Ă  mieux regarder Dalle et celles et ceux qui lui ressemblent. Pour tout dire : je l’avais toujours fait. Car il n’y a aucune raison pour que, subitement, je sois devenu plus sensĂ©. Elephant Man

 

 

MĂȘme si je me distingue des mĂąles alpha et de ces personnes « destroy Â» ou « rock’n’roll Â» (femmes ou hommes) qui captent tant le regard de BĂ©atrice Dalle et l’imaginaire des rĂ©alisateurs et des photographes comme des stylistes de toutes sortes, ma vie normale et mentale, comme celle de beaucoup d’autres, est moins monocorde et plate qu’elle ne le paraĂźt. Sauf que je le garde pour moi. Par prĂ©caution. Par peur.

 

Mais, aussi, pour protéger les autres.

 

Car c’est aussi, ça, l’un des trĂšs grands secrets de beaucoup de gens normaux : avoir cette capacitĂ©, trop grande sans doute, de tenir en laisse certaines folies. Et laisser Ă  d’autres l’initiative de se jeter dans les gueules mais aussi dans les trous de diverses folies que l’on a pu soi-mĂȘme, suivre, observer, tuyauter, tutoyer, dissimuler. Ou condamner.

 

Les gens normaux peuvent ĂȘtre de trĂšs grands comĂ©diens. Ils le sont tant qu’ils jouent leur vie puis l’oublient. La folie, psychiatrique, comme la dĂ©pression, bien-sĂ»r, est rĂ©guliĂšrement proche Ă  trop souvent se renier.

 

Alors, quelques fois, lorsque les gens normaux tombent sur une BĂ©atrice Dalle, ou une autre ou un autre, ça peut aussi leur donner envie de se rapprocher. Mais pas trop prĂšs. Car ça leur rappelle quelqu’un. Peut-ĂȘtre, aussi,  que ça leur rappelle leur adolescence. L’époque des rĂ©voltes, des mutations et des rĂȘves les plus excessifs. Lorsque ça bouge et que ça s’agite. Parce-que, c’est bien connu, le calme, le quotidien et l’immobilitĂ©, c’est l’extinction et la soumission assurĂ©es. Et, ça, c’est bien-sĂ»r pour les faibles et les moins que rien.

 

Franck Unimon, ce vendredi 2 juillet 2021.

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Corps d’Acier/ un livre de MaĂźtre Jean-Pierre Vignau

 

 

Corps d’Acier(La Force conquise La violence maĂźtrisĂ©e)un livre de J-Pierre Vignau

 

Les FĂȘtes de ce NoĂ«l 2020 se rapprochent. Comme chaque annĂ©e, nous achĂšterons des objets du bonheur que nous offrirons. Nous sommes souvent prĂȘts Ă  payer de notre personne pour celles et ceux que nous aimons. Et pas uniquement Ă  NoĂ«l.

 

La pandĂ©mie du Covid que nous connaissons depuis plusieurs mois, avec ses masques, ses restrictions, ses consĂ©quences sociĂ©tales, affectives, Ă©conomiques, culturelles et ses « feuilletons Â» concernant la course aux vaccins, leur fabrication et leur distribution, donne encore plus de poids Ă  ce que nous vivons de « bien Â» avec les autres.

 

Pourtant, le bonheur ne s’achùte pas.

 

« Avant Â», la vie Ă©tait plus dure. « Avant Â», les clavicules obnubilĂ©es par l’étape de ma survie ou de ma libertĂ© immĂ©diate, je n’aurais pas pu m’offrir le luxe de m’épancher sur mon clavier d’ordinateur.

 

Mais, aujourd’hui, un sourire comme une dĂ©coration de NoĂ«l peut aussi ĂȘtre le prĂ©liminaire d’un carnage futur.

 

Avant, comme aujourd’hui, cependant, le bonheur existe.

 

Parce-que le bonheur ne s’achùve pas.

 

La lecture aprĂšs la rencontre :

 

 

Sauf qu’en tant qu’adultes, nous sommes souvent coupables. Soit de ne pas assez nous mouvoir. Soit d’ĂȘtre forts d’un Pouvoir que nous ne savons pas voir.  De mal nous protĂ©ger et de mal protĂ©ger notre entourage et notre environnement. Comme de tenir de fausses promesses. Et lorsque nous agissons et prenons certaines dĂ©cisions, nous agissons souvent comme des enfants. Les fĂȘtes de NoĂ«l et d’autres rĂ©jouissances officielles nous permettent de l’oublier. Sans doute prĂ©fĂ©rons-nous croire que c’est seulement en ces circonstances que nous nous comportons comme des enfants
..

 

Le livre Corps d’Acier La Force Conquise La violence MaitrisĂ©e de jean-Pierre Vignau publiĂ© en 1984 m’a parlĂ© parce-que le « petit Â» Vignau nĂ© en 1945 a parlĂ© Ă  l’enfant que je suis restĂ©.

 

D’ailleurs, c’est souvent comme ça lorsque l’on rencontre quelqu’un. L’enfant qu’il est ou qu’il a Ă©tĂ© parle d’abord Ă  nos rĂȘves prĂšs de la frontiĂšre de notre squelette.

C’est instinctif. ViscĂ©ral. C’est seulement aprĂšs, lorsque c’est possible, que, nous, les « civilisĂ©s Â», laissons Ă  nos lĂšvres et Ă  nos oreilles le temps de parler et d’écouter.

Et, assez gĂ©nĂ©ralement, alors, on finit par se reconnaĂźtre un peu dans l’autre.

 

 

J’ai lu ce livre aprĂšs avoir rencontrĂ© et interviewĂ© Maitre ( ou Sensei) Jean-Pierre Vignau comme je l’ai racontĂ©. ( Arts Martiaux) A Toute Ă©preuve : une interview de Maitre Jean-Pierre Vigneau ) Puis, juste aprĂšs ce livre, j’ai lu son dernier ouvrage, paru en 2020, Construire sa lĂ©gende Croire en soi, ne rien lĂącher et aller jusqu’au bout, qu’il a acceptĂ© de me dĂ©dicacer.

 

 Chacun ses Maitres :

Certaines et certains trouveront leurs Maitresses et leurs Maitres dans l’exemple et le parcours de personnalitĂ©s diverses. Aya Nakamura, Camille Chamoux, Booba, Kylian MbappĂ©, Donald Trump, Nicolas Sarkozy, Lilian Thuram, Zinedine Zidane, Benoit Moitessier, Olivier de Kersauson, Alain Mabanckou, Samuel Jackson, Miles Davis, Denzel Washington, Krzysztof Kieslowski, Damso, Blanche Gardin, Laure Calamy, Frantz Fanon, Robert Loyson, Jacob Desvarieux, Danyel Waro, Ann O’Aro, Cheick Tidiane Seck, Tony Allen, Amadou HampatĂ© Ba, Tony Leung Chiu Wai…

 

Certaines des quelques personnes que je viens de citer ne font pas partie de mes rĂ©fĂ©rences mais elles le sont pour d’autres. Des artistes, des sportifs de haut niveau, des femmes et des hommes politiques
.

 

On peut aussi trouver ses Maitresses ou ses Maitres chez des Maitres d’Arts Martiaux.

 

Si je suis sĂ©duit et sensible au parcours de bien des « personnalitĂ©s Â» d’hier et d’aujourd’hui, comme Ă  celui de Maitres d’Arts martiaux, j’ai, je crois, assez vite- et toujours- fait une distinction entre le titre et la personne.

 

Je choisirai toujours d’abord, si j’en ai la possibilitĂ©, la personne qui me parle personnellement. Correctement. MĂȘme si elle est sĂ©vĂšre et exigeante. DĂšs l’instant oĂč elle ou il me semblera juste.

 

Et, cela, avant son titre ou ses titres. Pour moi, une Maitresse ou un Maitre, c’est aussi celle ou celui qui a vĂ©cu. Qui a traversĂ© des frontiĂšres. Qui a peut-ĂȘtre morflĂ©. Qui s’est aussi trompĂ©. Qui en est revenu. Qui s’en souvient. Qui peut faire corps. Et qui peut ĂȘtre disponible pour transmettre Ă  d’autres ce qu’il a compris, vĂ©cu. Afin que celles-ci et ceux-ci vivent mieux, comprennent, s’autonomisent ou souffrent moins.

 

DĂšs les premiĂšres pages de Corps d’acier,  on apprend que Jean-Pierre Vignau, placĂ© enfant Ă  l’assistance publique, a Ă©tĂ© le dernier mĂŽme Ă  trouver une famille d’accueil dans une ferme dans le Morvan.

 

Cette famille qui l’a alors acceptĂ©, ou interceptĂ©, c’était un peu la famille de la derniĂšre chance. Jean-Pierre Vignau Ă©tait le plus chĂ©tif du lot. Or, les familles d’accueil Ă©taient plutĂŽt portĂ©es sur les enfants d’apparence robuste pour aider dans les diverses tĂąches de la maison.

 

Vignau raconte comment, conscient que c’était sa derniĂšre chance, il accourt vers cette femme qu’il voit pour la premiĂšre fois pour plaider sa cause et la convaincre.

Il se rĂ©tame alors devant elle et le directeur, embarrassĂ©, de l’assistance publique. Pour se relever et se plaquer contre cette adulte inconnue et, quasiment, l’implorer de le prendre
.

 

 

Une fois adoptĂ© par cette femme, les ennuis mĂ©dicaux de Jean-Pierre Vignau s’amoncellent. Cirrhose du foie, problĂšmes pulmonaires, dĂ©calcification, colonne vertĂ©brale en dĂ©licatesse
. On est donc trĂšs loin du portrait de l’enfant « parfait Â» ou douĂ©.

 

La greffe prend entre Vignau et ses parents « nourriciers Â». Mais pas avec l’école. Il sera analphabĂšte jusqu’à ses 28 ans et apprendra Ă  lire en prison.

 

Lors de ma rencontre avec lui fin novembre chez lui, un demi-siĂšcle plus tard,  nous avons surtout parlĂ© d’Arts martiaux ;  un peu de son expĂ©rience de videur (durant huit ans). Et de son accident lors d’une de ses cascades qui lui a valu la pose d’une prothĂšse de hanche alors qu’il Ă©tait au sommet de sa forme physique.

Nous avons peu parlĂ© de son enfance. Pourtant, il est Ă©vident que celle-ci, de par les blessures qu’elle lui a infligĂ©es, mais aussi grĂące au bonheur connu prĂšs de ses parents nourriciers, l’a poussĂ© dans les bras de bien des expĂ©riences, bonnes et mauvaises, qu’il raconte dans son Corps d’acier.

 

Je n’ai aucune idĂ©e de ce que cela peut faire de lire d’abord Construire sa lĂ©gende, son dernier ouvrage. Mais en le lisant aprĂšs Corps d’acier, j’ai vu dans Construire sa lĂ©gende une forme de synthĂšse intellectualisĂ©e et actualisĂ©e de ce que l’on peut trouver, de façon « brute Â», dans Corps d’acier.

 

Construire sa lĂ©gende a Ă©tĂ© co-Ă©crit par Jean-Pierre Vignau et Jean-Pierre Leloup «  formateur en relations humaines en France et au Japon Â».

Jean-Pierre Leloup « anime des confĂ©rences sur le dĂ©veloppement personnel Â» nous apprend entre autres la quatriĂšme de couverture. L’ouvrage est plus rapide Ă  lire que Corps d’Acier et le complĂšte. Corps d’Acier, lui, compte plus de pages ( 231 contre 159) a Ă©tĂ© publiĂ© par les Ă©ditions Robert Laffont  dans la collection VĂ©cu.

 

Donc, avec Corps d’Acier, on a un rĂ©cit direct d’un certain nombre d’expĂ©riences de vie de Jean-Pierre Vignau ( Assistance publique, ses parents nourriciers, sa mĂšre, son beau-pĂšre, la dĂ©couverte des Arts Martiaux, son passĂ© d’apprenti charcutier, de serveur, de mercenaire en Afrique, son flirt avec le SAC de l’ExtrĂȘme droite etc
). Dans un climat social qui peut rappeler la France de Mesrine – qu’il ne cite pas- ou du mercenaire Bob Denard qu’il ne cite pas davantage. Mais aussi Ă  l’époque du PrĂ©sident ValĂ©ry Giscard D’estaing (PrĂ©sident de 1974 Ă  1981) dĂ©cĂ©dĂ© rĂ©cemment voire du PrĂ©sident Georges Pompidou qui l’avait prĂ©cĂ©dĂ©.

 

Cette Ă©poque peut sembler Ă©trangĂšre et trĂšs lointaine Ă  beaucoup. Et puis, on arrive Ă  des passages oĂč on se dit que, finalement, ce qui existait Ă  cette Ă©poque peut encore se retrouver aujourd’hui. Exemples :

 

Page 89 (sur son expérience de mercenaire)

 

« L’Afrique, je n’ai pas grand chose Ă  en dire (
.). J’étais lĂ  pour me battre, pour oublier, si c’était possible. Pour me lancer Ă  corps perdu dans des combats auxquels, politiquement, je ne comprenais rien mais dont la violence effacerait peut-ĂȘtre Claudine de ma mĂ©moire Â».

 

Page 90 :

«  La grande majoritĂ© des gars du camp cherchaient Ă  anĂ©antir leur peur par tous les moyens, surtout grĂące Ă  l’alcool. Parfois, c’était Ă  se demander pourquoi ils Ă©taient lĂ . 80% d’entre eux faisaient croire aux autres qu’ils Ă©taient lĂ  pour la paye. Les autres 20% Ă©taient lĂ , paraĂźt-il, pour « casser du NĂšgre Â». En rĂ©alitĂ© tous ces bonshommes qui Ă©taient loin d’ĂȘtre des « supermen Â», Ă©taient larguĂ©s dans cette jungle pour des motivations semblables aux miennes. C’est-Ă -dire qu’une femme les avait laissĂ©s tomber, leur femme, leur mĂšre, leur sƓur etc
Et par dĂ©pit, ils s’étaient embarquĂ©s, comme moi, dans cette galĂšre Â».

 

Sur sa violence au travers de son expĂ©rience de videur :

Page 173 :

 

« Donc, tous les soirs, bagarre (
 ) C’était le n’importe quoi intĂ©gral, dans cette ambiance bizarre de trois quatre heures du matin, dans cette jungle pas africaine du tout ».

 

«  Quelque chose ne tournait pas rond en moi, aussi (
.). Je sentais que je commençais Ă  prendre du plaisir Ă  taper sur les emmerdeurs. La violence accumulĂ©e toutes ces annĂ©es Â».

 

« Ces soirĂ©es oĂč je risquais ma vie pour que les noctambules puissent s’agiter tranquillement sur les pistes de danse Â».

 

« J’étais devenu une sorte de machine parfaitement rodĂ©e et huilĂ©e, toujours en progrĂšs. Une machine Ă  dĂ©molir. Une machine Ă  tuer. MĂȘme quand je dormais je ne rĂȘvais que de bagarres, coups, courses dans les rues de mes rĂȘves Â».

 

Jusqu’au jour oĂč un Ă©vĂ©nement « l’éveille Â» particuliĂšrement et l’amĂšne Ă  changer d’attitude.  (L’évĂ©nement est relatĂ© dans le livre). A partir de lĂ , la pacification de soi qui est au cƓur de la pratique des Arts Martiaux prend le dessus. Mais comme on le comprend en lisant Corps d’Acier, il a fallu que Jean-Pierre Vignau vive un certain nombre d’épreuves et d’expĂ©riences auxquelles il a survĂ©cu. Et, il lui a fallu beaucoup de travail effectuĂ© au travers des Arts Martiaux – qu’il dĂ©bute Ă  13 ou 14 ans- tel qu’il en parle, page 190.

 

 

L’importance de persĂ©vĂ©rer dans le travail sur soi :

Page 190 :

 

«  La deuxiĂšme forme de recherche, celle Ă  laquelle je consacre mon temps et ma vie, est une esthĂ©tique du mouvement. Ce qui amĂšne Ă  une forme de logique spirituelle. Pour obtenir un rĂ©sultat, il faut travailler, travailler encore et toujours. On forme donc son corps, son endurance et la volontĂ© de son esprit. Et, sans mĂȘme la chercher, on obtient l’efficacitĂ© Â».

 

Dans ce passage, Vignau explicite que la voie martiale est assez longue. C’est donc un mode de vie. La voie martiale est le contraire d’une mode, d’un spectacle, d’un raccourci vers le chaos comme une dictature, le banditisme ou le terrorisme par exemple.

 

Par manque de travail sur soi, nos existences peuvent facilement devenir stĂ©rĂ©otypĂ©es et stĂ©riles mĂȘme si nous avons l’impression de « faire quelque chose Â» ou d’ĂȘtre «  quelqu’un Â». Vignau le dit Ă  sa maniĂšre, page 192 :

 

« Ici, quand je m’entrainais, c’était uniquement pour moi et pas pour aller frapper les images parlantes qui viendraient «  foutre la merde Â» le soir dans les boites Â».

Conclusion :

Pour conclure, dans Construire sa lĂ©gende Croire en soi, ne rien lĂącher et aller jusqu’au bout, page 42, il y a ce passage :

 

« La rĂ©action aux situations stressantes sont de trois ordres : combat, fuite, blocage, respectivement 15%, 15%, 70 % chez l’individu lambda. Les policiers du RAID, par exemple, inversent ce rapport avec 70% pour la rĂ©action de combat. Appliquons cela Ă  Vignau Ă  travers quelques unes de ses expĂ©riences Â».

 

 

Dans Construire sa lĂ©gende, il est aussi prĂ©cisĂ© plusieurs fois qu’il est inutile d’essayer de ressembler Ă  Vignau. Ou Ă  un policier du RAID, d’abord sĂ©lectionnĂ© pour des aptitudes mentales, psychologiques et physiques particuliĂšres. Puis formĂ© et surentraĂźnĂ© Ă  diverses mĂ©thodes de combat.  Avec et sans armes.

 

Chacune et chacun fait comme il peut. Cependant, certaines personnes, sans faire partie du RAID, savent trĂšs bien combattre. Mamoudou Gassama, le jeune Malien sans papiers, qui, le 26 Mai 2018,  avait sauvĂ© le gamin accrochĂ© dans le vide Ă  un balcon d’immeuble dans le 18Ăšme, avait selon moi combattu. Sans pour autant faire partie du RAID. Et je ne sais mĂȘme pas s’il Ă©tait pratiquant d’Arts Martiaux.

Ce 26 Mai 2018, Mamoudou Gassama avait au moins combattu l’impuissance et l’inaction devant la chute prĂ©visible de l’enfant suspendu dans le vide. Mais aussi  certains prĂ©jugĂ©s sur les migrants sans papiers.

 

Mais seule une minoritĂ© de personnes est capable de rĂ©agir spontanĂ©ment comme l’avait fait Mamoudou Gassama en risquant sa vie ce jour-lĂ . D’ailleurs, il avait Ă©tĂ© le seul, parmi les « badauds Â» prĂ©sents, Ă  pratiquer l’escalade jusqu’au gamin. 

 

On peut trouver des Maitres, des coaches, des thĂ©rapeutes ou autres personnes de confiance et bienveillantes qui peuvent nous permettre d’inverser un peu ces pourcentages lors de situations stressantes dans notre vie quotidienne. Pas nĂ©cessairement lors d’un combat ou d’une agression dans la rue.

 

On peut aussi diversifier nos expĂ©riences pratiques et sportives dans des disciplines qui, a priori, nous effraient ou nous semblent inaccessibles. Et se dĂ©couvrir, avec de l’entraĂźnement, certaines aptitudes que l’on ignorait.

 

Le combat, cela peut ĂȘtre, et c’est souvent, d’abord vis-Ă -vis de nous mĂȘmes qu’il se dĂ©roule. Vis-Ă -vis de nos propres peurs que nous acceptons de combattre ou devant lesquelles nous fuyons ou nous bloquons. Si nous acceptons de combattre certaines de nos peurs, nous pouvons changer de vie pour le meilleur au lieu de subir.

 

Corps d’Acier La force conquise La violence maitrisĂ©e et Construire sa lĂ©gende Croire sa lĂ©gende Ne rien lĂącher et aller jusqu’au bout parlent au moins de ça. Ou, alors, j’ai lu de travers et ratĂ© mon explication de texte.

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 11 décembre 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La Fabrique du Monstre / Un livre de Philippe Pujol

 

 

 

 

 

Marseille a d’abord Ă©tĂ© un amour Ă©tranglĂ©. Il m’a fallu du temps pour aimer cette ville. L’élan de l’accent, du soleil et de la mer, stoppĂ©. Elle Ă©tait blanche. J’étais noir.

 

J’aurais dĂ» le savoir dĂšs notre premiĂšre rencontre Ă  Paris, Ă  la Gare du Nord. Elle partait en Irlande. Moi, en Ecosse. Elle Ă©coutait U2 et des groupes comme Simply Red. J’écoutais Miles Davis, des groupes comme Black Uhuru mais aussi du Zouk.

 

Ses parents ne votaient peut-ĂȘtre pas pour le Front National mais sans doute louaient-ils certaines de ses idĂ©es.

La littĂ©rature, sujet de ses Ă©tudes universitaires en lettres classiques avec le Latin et le Grec, nous avait aussi rapprochĂ©s. Par « rĂ©alisme Â» Ă©conomique et social,  quatre ans plus tĂŽt, au lycĂ©e, j’avais renoncĂ© Ă  aller Ă  la Fac. Et, peut-ĂȘtre qu’avec elle, je me rattrapais.

 

Je fus prĂȘt Ă  venir m’installer Ă  Marseille. J’avais prĂ©vu de postuler Ă  l’hĂŽpital Edouard Toulouse ou dans n’importe quel autre Ă©tablissement hospitalier. Elle m’en dissuada.

 

AprĂšs une premiĂšre « sĂ©paration Â» et quelques annĂ©es, comme tant d’autres qui vivent par espoir et par amour, je finis par ĂȘtre dĂ©shĂ©ritĂ© par cette histoire de rejet.

 

Notre premiĂšre rencontre datait du 20 Ăšme siĂšcle. En 1990. Deux de mes amis, une femme et un homme, elle, parisienne blanche, lui, Arabe originaire d’AlgĂ©rie qui, enfant, avait connu les bidonvilles de Nanterre, ne croyaient pas Ă  cette histoire de couleur de peau.

 

Je n’ai jamais doutĂ© de cette histoire. Il a toujours Ă©tĂ© Ă©vident pour moi que tout sacrifice de sa part en faveur de notre relation me serait reprochĂ© plus tard.

 

Je rencontrais nĂ©anmoins ses parents. Et cela se passa bien. Je pris une chambre d’hĂŽtel avec vue sur le Vieux-Port. Ce fut pour son mariage avec un autre. Un Marseillais comme elle avec lequel la rencontre avait coulĂ© de source.

 

Quelques annĂ©es plus tard, nous nous sommes brouillĂ©s officieusement. Peut-ĂȘtre dĂ©finitivement. J’imagine que, pour elle, c’est du fait de ma connerie.

 

Depuis, je suis retournĂ© Ă  Marseille. Sans l’appeler.

 

J’ai appris avec cette histoire que l’Amour partagĂ© et sincĂšre ne suffit pas.

 

 

Philippe Pujol a quarante et un ans lorsqu’il Ă©crit La Fabrique du Monstre, paru en 2016.

Ce livre a un sous-titre : «  10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, parmi les plus inĂ©galitaires de France Â».

 

Pujol aime Marseille qu’il qualifie de «  plus jolie ville de France Â» Ă  la fin de son livre. Mais lorsqu’il  parle de Marseille, l’Amour n’est pas son seul atout.

 

Pujol s’est fait connaĂźtre pour d’autres ouvrages. Il a obtenu le prix Albert Londres de l’annĂ©e 2014 «  pour sa sĂ©rie d’articles Quartiers Shit publiĂ©s dans le quotidien rĂ©gional La Marseillaise Â» nous apprend la quatriĂšme de couverture.

 

C’est sans doute ce prix Albert Londres, un de ses ouvrages relatif Ă  Marseille ou celui qu’il a consacrĂ© Ă  son cousin fasciste qui m’a permis d’entendre parler de Philippe Pujol pour la premiĂšre fois il y a deux ou trois ans.

 

Je croyais que Pujol, d’origine corse nous apprend-t’il, Ă©tait nĂ© Ă  Marseille. Il est nĂ© Ă  Paris dans le 12Ăšmearrondissement selon WikipĂ©dia. Par contre, il a grandi et vit Ă  Marseille depuis sa petite enfance. Au grĂ© de certaines de ses connaissances qu’il nous prĂ©sente, on devine qu’il a dĂ» grandir dans un milieu social moyen ou au contact de personnes d’un milieu social moyen et modeste avec lesquelles il a su rester en relation. J’aurais peut-ĂȘtre pu devenir un petit peu comme lui si j’étais restĂ© vivre dans ma citĂ© HLM de Nanterre. Pas en faisant une Ă©cole de journaliste. Mais en rencontrant d’abord comme je l’ai fait et comme je continue de le faire diffĂ©rentes sortes de personnes de par mon mĂ©tier d’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie.

 

La ville de Marseille que Pujol raconte dans La Fabrique du Monstre est celle des tranchĂ©es. Peut-ĂȘtre, aussi, celle des trachĂ©es. On y respire moins bien qu’en terrasse ou au bord de la plage oĂč l’on vit dĂ©branchĂ© de ce que Pujol raconte.

 

En cherchant un peu, on apprend vite que Pujol a tenu pendant des annĂ©es la colonne fait divers d’un journal de Marseille. Et qu’il a appris Ă  Ă©crire de cette maniĂšre. De ses dĂ©buts de journaliste-reporter, Pujol peut dire lui-mĂȘme qu’il faisait « pitiĂ© Â» question Ă©criture.

Alors que je rĂ©dige cet article, je me dis qu’il y a un peu du David Simon (l’auteur de Sur Ecoute, Treme
..) chez Philippe Pujol. Pour cette façon qu’il a de coller ses branchies, ses six-trouilles et son cerveau dans certains milieux de Marseille tapis dans l’hostilitĂ© ou la clandestinitĂ© oĂč il vaut mieux ĂȘtre acceptĂ©. Et pour pouvoir en parler ensuite dans ses livres.

 

Pujol a sans aucun d’autres modùles que Simon et il en cite quelques uns à la fin de son livre. Mais je ne crois pas qu’il me reprochera de le rapprocher- un peu- de David Simon.

 

Car son La Fabrique du Monstre est un travail de pelleteuse lorsqu’il parle de Marseille. Il retourne la ville pour nous l’expliquer. TantĂŽt en sociologue ou en historien, tantĂŽt en expert comptable ou comme un auteur de polars. Qu’il parle des petits trafiquants de shit, des rĂšglements de compte, d’autres trafics ; du monde politique marseillais depuis ces trente derniĂšres annĂ©es (Gaudin, GuĂ©rini
) ; des alliances politiques avec le Front National ; des immeubles insalubres, des difficultĂ©s de logement, de cafards Ă  cinq centimes et de Mac Do ; des projets immobiliers discordants, du clientĂ©lisme ; de certains bandits qui investissent ou s’arrangent avec de grandes entreprises, de racket, d’un certain «bordel Â» concernant la conduction des projets ; de la mainmise du syndicat F0 sur certaines transactions
 Pujol dĂ©crit presque Marseille comme s’il s’agissait d’une simple citĂ© (une citĂ© faite d’un certain nombre de villages). Et qu’il en connaissait presque chaque atour. Ainsi que les murmures et les rumeurs qui vont avec.

 

 

La ville qu’il « enseigne Â», je l’ai Ă  peine effleurĂ©e. Et, l’on se dit que toute personne qui souhaiterait venir s’installer Ă  Marseille pourrait ĂȘtre bien inspirĂ©e de lire son ouvrage. Selon son projet de vie, y aller seule, investir dans l’immobilier ou y faire grandir ses enfants, celle ou celui qui lira son livre aura de quoi Ă©viter de s’illusionner sur le cĂŽtĂ© en prime abord dĂ©contractĂ© de la ville. MĂȘme si Pujol souligne aussi qu’il y a des personnes qui rĂ©ussissent Ă  venir habiter Ă  Marseille. Et Ă  y rester.

 

 

En parcourant La Fabrique du Monstre, on apprend que Marseille, cela reste loin, pour le gouvernement parisien. D’oĂč cette espĂšce de « carte blanche Â»  laissĂ©e aux diffĂ©rents acteurs Ă©conomiques et politiques de la ville et de la rĂ©gion abonnĂ©s aux excĂšs. Au dĂ©tour d’une anecdote, on croise ainsi le mĂ©pris aujourd’hui lointain d’un Lionel Jospin, alors Ministre, qui, sollicitĂ© pour intervenir sur un dossier marseillais rĂ©plique en quelque sorte qu’il a d’autres mistrals Ă  fouetter. Sa future dĂ©faite aux Ă©lections prĂ©sidentielles peut-ĂȘtre
.

 

Pujol prĂ©cise que, malgrĂ© le soleil, la mer et diverses rĂ©alisations qui ont fait du bien Ă  l’image de Marseille, celle-ci reste pour beaucoup une ville «  en voie de dĂ©veloppement Â». D’autres parlent d’une paupĂ©risation de ses classes sociales moyennes et modestes. Ce qui l’amĂšne Ă  voir Marseille comme un condensĂ© de la France oĂč, de plus en plus, les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches avec les plus riches. 

 

 

NĂ©anmoins, Pujol souligne que deux ou trois grandes avancĂ©es pour Marseille viennent de l’Etat ou de l’Europe :

 

Le TGV qui a mis Marseille à trois heures de Paris. Le projet Euroméditerranée.

Marseille, ville européenne de la Culture 2013.

 

 

Pour conclure, Pujol salue la grande aptitude des Marseillais Ă  continuer de se parler. J’ai Ă©tĂ© agrĂ©ablement Ă©tonnĂ© d’apprendre qu’il existe Ă  Marseille un militantisme  antifasciste actif qui a plus d’une fois pris le dessus sur certaines initiatives du Front National.

Plus tĂŽt, il a affirmĂ© que Marseille a plus une culture du grand banditisme que du terrorisme islamiste.  

Pour lui, Marseille n’est pas le monstre rĂ©guliĂšrement prĂ©sentĂ© dans certains mĂ©dia. Mais la France telle qu’elle peut ĂȘtre dans d’autres rĂ©gions. Sauf que sa misĂšre et ses travers se voient davantage en plein soleil que coulĂ©s dans le bĂ©ton et dans certaines banlieues plus ou moins Ă©loignĂ©es.  

 

Franck Unimon, ce jeudi 3 décembre 2020.

 

 

 

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RenaĂźtre/ un livre Ă©crit avec Marion Bartoli

   

 

        RenaĂźtre/ un livre Ă©crit avec Marion Bartoli

« Bartolir : prendre une dĂ©cision irrĂ©flĂ©chie Â». 7 ans plus tard, ce nĂ©ologisme portĂ© sur un rĂ©seau social ( Twitter ou instagram) par un lettrĂ© mĂ©diatisĂ© continue Ă  ne pas me revenir.

 

C’était fin 2013, aprĂšs la victoire de la joueuse de tennis Marion Bartoli Ă  Wimbledon. Celle-ci venait d’annoncer sa retraite sportive. Et, Bernard Pivot, rĂ©fĂ©rence littĂ©raire en France depuis les annĂ©es 70 avec l’émission Apostrophes, s’était exprimĂ©.

 

J’ai grandi « avec Â» Apostrophes. MĂȘme si j’ai peu regardĂ© cette Ă©mission, je savais que c’était une institution intellectuelle. MĂȘme Mohammed Ali Ă©tait passĂ© Ă  Apostrophes. LycĂ©en et ensuite, si j’avais pu, j’aurais aimĂ© Ă©crire un livre ou pouvoir susciter l’intĂ©rĂȘt des pointures qui s’y sont prĂ©sentĂ©es. Comme de Bernard Pivot.

 

Evidemment, comme la majoritĂ© des lycĂ©ens et des spectateurs, cela n’est jamais arrivĂ©. Je me suis rabattu sur L’école des fans de Jacques Martin oĂč je ne suis jamais passĂ© non plus.

 

Puis, ça m’était passĂ©. Bernard Pivot et Apostrophes ou sa dictĂ©e ne faisaient plus partie de cette lucarne de but oĂč je cherchais Ă  entrer. Ou peut-ĂȘtre aussi, que comme la majoritĂ©, je m’étais rĂ©signĂ© au babyfoot.

 

Aujourd’hui, on dirait plutĂŽt : « Comme la majoritĂ©, je m’étais rĂ©signĂ© Ă  la console de jeux et aux rĂ©seaux sociaux Â». AprĂšs avoir obtenu un travail, m’ĂȘtre insĂ©rĂ©, fait des amis, quelques voyages, j’avais trouvĂ© ailleurs et avec d’autres de quoi me regarder.

 

« Bartolir Â».

 

Visiblement, en 2013, Bernard Pivot continuait de compter pour moi.

Lorsque j’avais lu ce mot, je m’étais dit que j’aurais bien voulu le voir, le Bernard Pivot, en short et chaussettes, avec une raquette de tennis, se mangeant les sĂ©ances d’entraĂźnement massives et quotidiennes de Marion Bartoli !

 

J’en ai beaucoup voulu Ă  ce lanceur de dictĂ©e. Je me suis rappelĂ© de ma lecture d’un article racontant sa « rencontre Â» avec le navigateur Eric Tabarly. Pivot, l’intello de plateau, y avait Ă©tĂ© dĂ©crit comme une sorte d’animateur prenant Tabarly de haut, car incapable de s’ajuster au fait que cet homme des vagues se tenait lĂ  sans se prĂȘter Ă  l’eau pĂąle des alexandrins et des cotillons verbaux. 

 

En 2013, amateur de sport, comme Bernard Pivot, j’imaginais pourtant facilement l’usure mentale et physique de celle qui s’était engagĂ©e mais aussi esquintĂ©e en pratiquant le sport Ă  trĂšs haut niveau. C’était peut-ĂȘtre dĂ» aux sĂ©quelles de mes propres blessures de sportif amateur depuis mon adolescence. A ce que j’avais fini par en apprendre.

 

C’était peut-ĂȘtre dĂ» Ă  la lecture de quelques articles dans les journaux concernant Marion Bartoli. Ou Ă  celle d’ouvrages d’anciens joueurs de tennis de haut niveau :

 

DĂ©classĂ©e de l’ancienne numĂ©ro un française Cathy Tanvier m’avait sans doute beaucoup Ă©duquĂ©.

 

Plus jeune, adolescent, je me marrais devant les dĂ©faites rĂ©pĂ©tĂ©es de Cathy Tanvier pendant les tournois de tennis. En apprenant qu’elle avait Ă©tĂ© « Ă©liminĂ©e Â» dĂšs les premiers tours de tel tournoi du grand Chelem, « notre Â» numĂ©ro vingt mondial.

 

 Puis, j’avais lu son DĂ©classĂ©e, (paru en 2007). Non seulement, il Ă©tait trĂšs bien Ă©crit, m’avait Ă©mu. Mais, en plus, ce livre m’avait remis Ă  ma place.

 

En dĂ©couvrant la vie personnelle de Cathy Tanvier, j’avais compris que le parcours professionnel de haut niveau qu’elle avait tracĂ© en parallĂšle avait nĂ©cessitĂ© des efforts gigantesques. Et que ces efforts qu’elle avait dĂ» produire en « surcharge Â» avaient sĂ»rement plus d’une fois fait la diffĂ©rence avec les autres championnes qui gagnaient les finales car, dĂ©lestĂ©es, elles, de ces contraintes. Mais aussi de certaines blessures physiques. Car Cathy Tanvier avait participĂ© Ă  certains de matches en Ă©tant blessĂ©e.

 

 

Open Ă©crit par AndrĂ© Agassi (paru en 2009) m’avait aussi Ă©duquĂ©. Si la carriĂšre tennistique d’AndrĂ© Agassi a bien sĂ»r Ă©tĂ© plus triomphale que celle de Cathy Tanvier, il existe pourtant des points communs entre leurs carriĂšres et celle
d’une Marion Bartoli dont « le Â» livre, RenaĂźtre, est paru en 2019. Aujourd’hui, Marion Bartoli, nĂ©e en 1984, a 36 ans.

 

La prĂ©cocitĂ© :

Marion Bartoli a quatre ou cinq ans lorsqu’elle tient sa premiĂšre raquette de tennis en main. Contrairement Ă  un AndrĂ© Agassi et une Cathy Tanvier qui se rĂ©vĂšlent trĂšs tĂŽt particuliĂšrement douĂ©s, dans RenaĂźtre, Marion Bartoli rĂ©pĂšte qu’elle avait seulement pour elle une concentration supĂ©rieure Ă  la normale ainsi qu’une certaine rage.

 

 

ModĂšle et environnement familial :

J’ai oubliĂ© comment Cathy Tanvier en Ă©tait arrivĂ©e Ă  jouer au tennis. Mais je me rappelle que le pĂšre d’AndrĂ© Agassi avait d’abord voulu faire de son frĂšre et de sa sƓur aĂźnĂ©e des champions de tennis. En vain. Avant de s’apercevoir que le « dernier Â», AndrĂ©, avait des aptitudes particuliĂšres : dont un certain coup d’Ɠil pour Ă©valuer la trajectoire de la balle.

 

C’est en regardant son pĂšre et son frĂšre Franck, de neuf ans son aĂźnĂ©, jouer au tennis que Marion Bartoli eu envie de participer.

 

Pendant toute sa carriĂšre, Cathy Tanvier n’a eu de cesse de courir aprĂšs les balles de tennis et les tournois afin de compenser les infidĂ©litĂ©s conjugales et les pertes financiĂšres de son pĂšre.

 

AndrĂ© Agassi a eu Ă  faire avec un pĂšre tyrannique, d’origine armĂ©nienne, dĂ©terminĂ© et imposant.

 

Le Clan des Bartoli :

 

Marion Bartoli, elle, nous parle d’un clan familial obligĂ© de partir de Marseille, leur ville de chair, en se coupant du reste du monde afin d’aller s’établir Ă  Retournac, petit village pĂ©pĂšre de 2500 habitants.

« Papa Â» Walter Bartoli a perdu sa mĂšre lorsqu’il avait deux ans. Son pĂšre a refait sa vie sans lui. « Maman Â» Sophie, elle, est manifestement brouillĂ©e Ă©galement avec sa propre famille. Mais la petite Marion ignore la raison de ces diffĂ©rends. Papa, maman, Franck et Marion Bartoli partent s’installer Ă  Retournac et vivent en clan.

Retournac se trouve en Auvergne. L’Auvergne est une trĂšs jolie rĂ©gion. Mais cela n’a rien Ă  voir avec le climat et l’ambiance de Marseille.

 

Dans la rĂ©gion d’Auvergne, donc, les Bartoli forment un clan d’amour oĂč la rudesse Ă©conomique est perceptible. Papa Bartoli est mĂ©decin libĂ©ral. Maman, ancienne infirmiĂšre de nuit, est la secrĂ©taire. En Ă©tĂ©, pendant les vacances, la famille s’en sort financiĂšrement. Autrement, il y a deux ou trois fois moins de travail pour le Dr Bartoli et donc moins d’argent pour la famille. 

 

A lire RenaĂźtre, il semblerait aussi que « Les Â» Bartoli soient un clan fermĂ© : apparemment, aucun cousin, cousine, tonton ou tata du cĂŽtĂ© du pĂšre comme de la mĂšre n’est prĂ©sent dans le cadre de la maison.

 

La petite Marion Bartoli est trĂšs bonne Ă©lĂšve. Elle aime ĂȘtre la premiĂšre de la classe et ne sourcille pas lorsque son pĂšre lui demande de prendre de l’avance sur ses cours. En outre, au vu des difficultĂ©s concernant les fins de mois, elle s’applique Ă  ĂȘtre exemplaire.

 

Le tennis va devenir un cocon pour faire plaisir, pour exister, pour prendre une revanche mais, aussi, pour donner une certaine revanche aux parents.

 

Construire ses matches comme on construit les marches de son  destin :

Le goĂ»t de la compĂ©tition, de l’effort, ainsi que l’envie de rendre les parents fiers, vont petit Ă  petit gagner du terrain. Le pĂšre et la fille, au moins, vont de plus en plus se prendre au jeu. Marion, pour rĂ©ussir et donner cette rĂ©ussite Ă  sa famille. Le pĂšre, pour ĂȘtre prĂ©sent et soutenir sa fille mieux et plus que son propre pĂšre ne l’a fait pour lui.

Le frĂšre aĂźnĂ© va s’engager dans l’armĂ©e. Marion, elle, va devenir un soldat volontaire de l’entraĂźnement. Pour rĂ©ussir, elle apprend trĂšs vite qu’il lui faut travailler bien plus que les autres.

 

Une critique du systĂšme Ă©ducatif dans son ensemble :

 

Dit comme ça, on pourrait penser que ce tandem que va former Marion Bartoli avec son pĂšre est « juste Â» l’histoire de deux personnes qui pansent leurs plaies Ă  travers l’autre. Ou  l’histoire d’une enfant qui fait son possible pour sauver ses parents d’une certaine dĂ©tresse.

 

Mais la carriĂšre de Marion Bartoli, « peu douĂ©e pour le tennis Â», est aussi une critique du systĂšme Ă©ducatif dans son ensemble. MĂȘme si, dans RenaĂźtre, Marion Bartoli s’en prend principalement Ă  la FĂ©dĂ©ration Française du Tennis qui, Ă  plusieurs reprises, s’obstine Ă  vouloir faire d’elle une simple exĂ©cutante de la balle jaune. Alors que, trĂšs tĂŽt, celle-ci a Ă©tĂ© l’associĂ©e de son pĂšre et entraĂźneur. Et que c’est par lui et avec lui qu’elle s’est sortie du lot des joueuses jusqu’à se faire remarquer, du fait de ses rĂ©sultats, par cette mĂȘme FĂ©dĂ©ration Française du Tennis.

 

Dans son livre, on est marquĂ© par le trĂšs grand manque de compĂ©tence psychologique de plusieurs personnalitĂ©s, pourtant Ă©mĂ©rites, de la FĂ©dĂ©ration Française de Tennis. Et, on se dit qu’il doit y avoir bien d’autres fois, ou en d’autres circonstances, et dans d’autres institutions, oĂč ce genre de situation arrive :

 

Des cadres qui ont le Pouvoir- et dont la carriĂšre et le palmarĂšs font autoritĂ© -s’estiment lĂ©gitimes pour disqualifier les mĂ©thodes d’apprentissage d’un athlĂšte ou d’un candidat dont les performances font pourtant partie du plus haut niveau. Un peu comme si un professeur de guitare au conservatoire mĂ©prisait la façon dont un jeune Jimi Hendrix avait appris Ă  jouer des notes.

 

 Il faut attendre AmĂ©lie Mauresmo, un profil peut-ĂȘtre « diffĂ©rent Â» ou hors norme de par sa vie personnelle en tant que femme homosexuelle affirmĂ©e, pour trouver une interlocutrice plus ouverte. Ou, peut-ĂȘtre aussi que lorsque cette rencontre survient entre AmĂ©lie Mauresmo, capitaine de l’équipe de France de Tennis, que Marion Bartoli est alors mieux disposĂ©e pour s’affranchir de son pĂšre.

 

La retraite sportive et la vraie vie :

Avec sa retraite sportive, on retrouve cette « petite Â» mort dĂ©jĂ  racontĂ©e par d’autres.  A la fin de la carriĂšre intense et des jets d’adrĂ©naline, pousse un vide et un sentiment de surplace sans limites qu’il faut remplir. Marion Bartoli peine Ă  digĂ©rer son « dĂ©part Â» Ă  la retraite mais aussi sa sortie du cocon familial qu’a Ă©tĂ© sa relation en particulier avec son pĂšre au travers du tennis.

 

Pendant des annĂ©es, au travers du tennis, Marion Bartoli a vĂ©cu dans un cocon. Dans ce cocon, sa famille, son clan, Ă©tait constamment prĂ©sent grĂące au cordon qui la reliait Ă  son pĂšre. Sa retraite sportive coĂŻncide avec l’ñge oĂč elle quitte ses parents. Ça fait beaucoup.

 

S’ensuit une sĂ©vĂšre dĂ©pression. Pour Marion Bartoli, ça passe Ă  la fois par des troubles alimentaires
 mais aussi par une relation sentimentale « banque-cale Â» avec un homme.  Puisqu’il en faut un pour essayer de colmater l’absence de papa. Ou de maman.

 

Cela a pu arriver Ă  d’autres y compris dans des professions rigoureuses comme espionnes (Les Espionnes racontent, un livre de ChloĂ© Aeberhardt, paru en 2017).

 

Car l’armature et la trĂšs haute habilitĂ© affective que l’on peut avoir sur un terrain de sport ou dans un environnement professionnel ne suit pas forcĂ©ment dans la vie intime. Les rĂšgles et les limites y sont plus floues et plus incertaines. Sur un court de tennis, lorsque la balle est dans le filet  ou dans le couloir, il y a faute et le jeu s’arrĂȘte. Dans la vraie vie, le jeu peut malgrĂ© tout continuer. La vie intime est tel un hymen docile. S’offrir  Ă  l’autre, en vue de rester avec lui ou de le garder, est le contraire de la performance. Dans une performance, on cherche Ă  annuler, bloquer, dĂ©tourner, dĂ©passer, dĂ©stabiliser ou dĂ©truire l’autre.

 

Dans RenaĂźtre, on lit et on entend l’humour et l’autodĂ©rision « connues Â» de Marion Bartoli. J’ai eu un grand plaisir Ă  lire ce livre dans lequel elle nous parle aussi un peu de quelques Ă -cĂŽtĂ©s du Tennis de haut niveau : Serena Williams, Maria Sharapova
.

 

Aujourd’hui, ce ne sont plus les mĂȘmes joueuses de tennis qui dominent autant le Tennis mondial (Ă  part peut-ĂȘtre Serena Williams encore un peu), mais il en est sĂ»rement quelques unes et quelques uns qui ont connu ou vont connaĂźtre les mĂȘmes Ă©tats que Marion Bartoli. Dans le monde du Tennis ou ailleurs.

 

Franck Unimon, ce mardi 17 novembre 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Je suis Ă  l’Est ! un livre de Josef Schovanec

 

Je suis Ă  l’Est ! , livre paru en 2012, a Ă©tĂ© Ă©crit par Josef Schovanec ( avec Caroline Glorion).

 

J’ai pris du temps Ă  lire ce livre. Peut-ĂȘtre parce-que Josef Schovanec, comme toutes les personnes que l’on ne prend pas le temps d’écouter, avait beaucoup Ă  dire. Ou peut-ĂȘtre parce-que dans la vie ordinaire, aimantĂ© par l’affiche d’un nouveau film ( avant ces histoires de reconfinement et de covid) ou par un de mes Ă©crans, j’ai plusieurs fois laissĂ© un Josef Schovanec de cĂŽtĂ©.

 

De toute façon, en tant que professionnel de la santĂ©, ce genre de livre nous donne une tape derriĂšre la tĂȘte. Parce-que, cette fois, celui qui fait autoritĂ© en matiĂšre de connaissances et d’expĂ©riences, c’est le patient ou la victime qui a Ă©crit le livre dont je vais vous parler. Et, lĂ , je ne peux qu’écouter, rĂ©flĂ©chir et lire puisqu’il s’agit d’un tĂ©moignage, celui de Josef Schovanec. Je ne peux pas tĂ©moigner Ă  la place de Josef Schovanec. Si je m’étais senti capable de tĂ©moigner Ă  sa place, je me serais dispensĂ© de lire son Je suis Ă  l’Est !

Et puis, je ne me fais assez peu d’illusions : Ă  l’école maternelle oĂč les ennuis de Josef Schovanec ont dĂ©butĂ©, je l’aurais ignorĂ©. J’aurais prĂ©fĂ©rĂ© jouer avec les copains, taper dans une balle de tennis ou un ballon de foot. Peut-ĂȘtre, mais ce n’est mĂȘme pas sĂ»r, me serais-je abstenu de faire partie de ceux qui se seraient amusĂ©s Ă  le tirer comme un lapin avec le ballon de foot ou un autre projectile improvisĂ©, reflet de ces pensĂ©es de reptile qui nous animent par moments tout civilisĂ©s que nous prĂ©tendons ĂȘtre devant nos victimes. Car nous nous transformons vite en barbares dĂšs que nous sommes en meute.

 

Mais ce qui est bien avec Josef Schovanec, c’est qu’il est gĂ©nĂ©reux :

A peu prĂšs tout le monde en prend pour son curriculum dans son livre. Le systĂšme scolaire et Ă©ducatif français et occidental ; la sociĂ©tĂ© et ses rituels relationnels inadaptĂ©s ; les psychanalystes et psychiatres Ă  but lucratif qui ont su le raccourcir- heureusement, les effets ont Ă©tĂ© rĂ©versibles- Ă  coups  d’antipsychotiques ; certaines et certains anciens camarades de sciences Po pompeurs de ses cours hier, grandes vedettes mĂ©diatiques aussi pomponnĂ©es qu’amnĂ©siques aujourd’hui ; les associations qu’il a pu frĂ©quenter ou qui ont donnĂ© des confĂ©rences ; son exposition mĂ©diatique.

 

Avec sarcasme et humour, Josef Schovanec nous raconte une partie de son parcours personnel. Muet jusqu’à ses six ans, mais habile avec l’astronomie, l’écriture et l’Egypte antique, il a su se frayer un « destin Â» grĂące Ă  la pugnacitĂ© et  Ă  la ruse de ses parents. Mais aussi grĂące Ă  sa rĂ©sistance. Car ses mĂ©saventures morales, fonctionnelles et physiques ressemblent beaucoup Ă  celles d’un suppliciĂ©.

 

Josef Schovanec, c’est aujourd’hui 1m95 d’autisme qui nous « parle Â», Ă  nous les gens normaux. Mais c’est aussi un homme multi-diplĂŽmĂ©, Docteur en philosophie, plusieurs fois polyglotte et grand voyageur. D’ailleurs, il insiste pour ne pas ĂȘtre rĂ©sumĂ© Ă  son autisme d’asperger qui a nĂ©cessitĂ© plusieurs annĂ©es avant de finir par ĂȘtre diagnostiquĂ©. Peut-ĂȘtre parce qu’à  l’image de la schizophrĂ©nie, il y a diffĂ©rentes façons d’ĂȘtre autiste et diffĂ©rentes façons de le concevoir pour une personne extĂ©rieure.

 

 

Si Schovanec nous parle de nos travers, il nous parle aussi de certaines de ces personnes, devenues ses proches, qui ont su penser diffĂ©remment en le rencontrant ou qui Ă©taient elles-mĂȘmes diffĂ©rentes et pourtant bien dans le coup. Tel Hamou Bouakkaz,  Kabyle nĂ© en AlgĂ©rie, aveugle,  d’origine modeste, venu habiter Ă  Bezons avec sa famille et qui a su , aprĂšs de brillantes Ă©tudes dont une Maitrise en mathĂ©matiques, accĂ©der au monde de la politique.

 

En lisant Je suis Ă  l’Est !  de Schovanec, on comprend trĂšs vite que c’est plutĂŽt, ou souvent, la majoritĂ© d’entre nous qui le sommes. Mais comme nous sommes la majoritĂ© et que c’est elle qui impose souvent l’attitude gĂ©nĂ©rale, nous restons installĂ©s dans nos impasses de pensĂ©e mĂȘme si celles-ci nous implantent un peu plus dans des blocs de bĂ©ton.

 

Je trouve rĂ©confortant, alors que nous vivons cette deuxiĂšme vague du Covid et un second confinement plutĂŽt dĂ©primant, de pouvoir trouver dans ce livre de quoi se sentir un peu plus lĂ©ger. On peut bien-sĂ»r se sentir assez peu fier de soi quant Ă  nos prĂ©jugĂ©s devant certains « handicaps Â», mais on peut aussi s’estimer finalement bien plus avantagĂ© que ce que l’on croit. A condition d’ĂȘtre dotĂ© de quelques uns des atouts ou des qualitĂ©s que Schovanec a, pour lui, de toute Ă©vidence :

 

1) La curiosité

2) Le courage : il n’a attendu personne pour s’intĂ©resser Ă  certains sujets, astronomie, Egypte des pharaons, langues ou autres. Et, il ne s’est pas prĂ©occupĂ© de savoir si c’était bizarre ou non de s’intĂ©resser Ă  ces sujets alors que la majoritĂ© des enfants de son Ăąge avaient d’autres intĂ©rĂȘts.

3) La constance ou la persĂ©vĂ©rance : Il ne s’est pas contentĂ© de lire un ou deux ouvrages. Puisque le sujet l’intĂ©ressait, il a continuĂ© tant qu’il a pu trouver des informations sur ce qui lui plaisait d’apprendre.

4) L’humour et l’autodĂ©rision : on ne perçoit pas de haine, de colĂšre, d’espoir ou de projet de revanche sur celles et ceux qui lui en ont fait baver lors des diffĂ©rentes Ă©tapes de sa vie. Il raconte en s’amusant avoir Ă©tĂ© pris pour un prĂȘtre, un homosexuel
ou un agent secret.

 

Sans doute que son entourage familial (au moins sa mĂšre et son pĂšre) plutĂŽt aidant, plutĂŽt cultivĂ© et stable lui a permis d’exprimer ces aptitudes.

On pourrait se dire que Josef Schovanec a grandi dans un milieu social plutĂŽt favorisĂ© et dans des Ă©coles plutĂŽt rĂ©putĂ©es. Mais il explique dans son livre que les Ă©coles rĂ©putĂ©es sont sans doute bien plus intolĂ©rantes que les autres puisqu’elles sont obsĂ©dĂ©es par leur rĂ©putation.

 

 

Vous ne connaissiez pas Josef Schovanec ? Moi, non plus. Pourtant, il a Ă©tĂ© vu et revu Ă  un moment donnĂ©, sans doute comme un Ă©niĂšme exemplaire de ces phĂ©nomĂšnes de cirque autiste type Rain Man ou autre au cinĂ©ma. Il parle de cette pĂ©riode entre-autres dans cette partie, page 231, et c’est lĂ  dessus que nous nous quitterons aujourd’hui :

 

«  Aujourd’hui, tout ce pan de mon passĂ© est terminĂ©. Cela fait longtemps que les gens ne me reconnaissent plus dans la rue. Joie de la paix retrouvĂ©e ! Je n’ai plus aucune responsabilitĂ© officielle dans le monde associatif. MĂȘme si je continue, pour une durĂ©e encore indĂ©terminĂ©e, Ă  participer ponctuellement Ă  tel ou tel Ă©vĂ©nement – confĂ©rences, CafĂ©s de l’association Asperger  AmitiĂ© et autres. Compagnon de route, je chemine. En attendant le moment, impossible Ă  prĂ©dire et pourtant inĂ©vitable oĂč, soudain, brutalement, les rails qui filaient en parallĂšle s’écarteront et oĂč, vu du train, je perdrai de vue en quelques secondes ceux qui furent longtemps Ă  mes cĂŽtĂ©s Â».

(Josef Schovanec dans Je suis Ă  l’Est !)

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 12 novembre 2020.

 

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Dany LaferriĂšre-Tout bouge autour de moi

 

                            Dany LaferriĂšre – Tout bouge autour de moi  

« Une secousse de magnitude 7.3 n’est pas si terrible. On peut encore courir. C’est le bĂ©ton qui a tuĂ©. Les gens ont fait une orgie de bĂ©ton ces cinquante derniĂšres annĂ©es. De petites forteresses. Les maisons en bois et en tĂŽle, plus souples, ont rĂ©sistĂ©. Dans les chambres d’hĂŽtel souvent exigĂŒes, l’ennemi c’est le tĂ©lĂ©viseur. On se met toujours en face de lui. Il a foncĂ© droit sur nous. Beaucoup de gens l’ont reçu sur la tĂȘte Â» (chapitre Les projectiles, page 14 de Tout bouge autour de moi, paru en 2011).

 

Passer sa vie en mer

 

Passer sa vie en mer, c’est passer une certaine partie de son temps Ă  voir des empires se former, s’écrouler et recommencer. Naviguer, c’est ĂȘtre l’aiguille qui peut ĂȘtre amenĂ©e Ă  devoir passer au travers du tamis de ces empires. Mais avant mĂȘme d’arriver jusqu’à la mer, nos histoires personnelles seront nos premiers empires. Nous y passerons tous et ce sera Ă  nous de trouver de multiples façons et de multiples prises afin de passer au travers de leurs rouleaux en Ă©vitant le Ippon fatal qui nous laissera Ă  terre.

La lecture du livre Le Monde comme il me parle d’Olivier de Kersauson est encore lĂ . Je vous en ai parlĂ© il y a quelques jours ( Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle). Sa lecture a Ă©tĂ© aprĂšs celle du livre de Dany LaferriĂšre. Mais les deux livres se retrouvent. LaferriĂšre et Kersauson ont des univers communs. Et, moi, je suis ici l’aiguille qui va essayer de coudre ces univers ensemble. Et en plus court que je ne l’ai fait pour le livre de Kersauson.

 

L’écrivain Dany LaferriĂšre

 

Dany LaferriĂšre, HaĂŻtien nĂ© Ă  HaĂŻti, obligĂ© de s’exiler pour raisons politiques, a vĂ©cu des annĂ©es (oĂč il vit peut ĂȘtre encore) au QuĂ©bec. Au QuĂ©bec, il a lu tous les auteurs quĂ©becois en activitĂ©. Membre de l’AcadĂ©mie Française- depuis dĂ©cembre 2013- Ă©crivain reconnu et adaptĂ© plusieurs fois au cinĂ©ma ( Comment faire l’Amour avec un NĂšgre sans se fatiguer (1989) avec Isaac de BankolĂ©, Vers le Sud  rĂ©alisĂ© en 2005 par Laurent Cantet avec Charlotte Rampling), Prix MĂ©dicis en 2009, Dany LaferriĂšre Ă©tait dans un restaurant Ă  HaĂŻti quand la Terre y a tremblĂ© le 12 janvier 2010.

 

Une histoire personnelle de tremblement

 

C’est l’histoire personnelle de ce tremblement qu’il nous raconte, par des chapitres courts, dans Tout bouge autour de moi oĂč il navigue Ă  travers ce qu’il voit et reste d’HaĂŻti comme parmi ses souvenirs.  Fils du pays, comme cela peut ĂȘtre bien dĂ©crit dans son L’Enfant du pays ( trĂšs bien restituĂ© par Arthur H et Nicolas Repacdans l’album L’Or Noir ) il sillonne les Ă©tats de sa famille de ses amis intellectuels ( dont FrankĂ©tienne
) et d’inconnus. Ainsi que le traitement humanitaire et mĂ©diatique du sĂ©isme. Page 60 :

« (
.). Le photographe Ivanoh Demers la talonne. Lui semble plutĂŽt gĂȘnĂ©. (
.) Ses photos ont Ă©tĂ© reprises dans les journaux du monde entier. Et son Ă©mouvante photo du jeune garçon qui tourne son regard vers nous, avec un mĂ©lange de douleur et de gravitĂ©, restera longtemps dans notre mĂ©moire. La lumiĂšre douce qui Ă©claire son visage fait penser Ă  la peinture flamande. Pourtant, le photographe semble dĂ©chirĂ© entre cette soudaine cĂ©lĂ©britĂ© et la ville dĂ©truite- l’un n’allant pas sans l’autre. Il n’a pas Ă  se sentir mal. Sa photo du jeune garçon au regard si doux restera Â».

 

A une autre extrémité de la célébrité

Dans ce paragraphe, nous sommes aux antipodes de cette quĂȘte de « cĂ©lĂ©britĂ© Â» de tous les instants sur les rĂ©seaux sociaux, Ă  la tĂ©lĂ© ainsi que dans ses dĂ©rivĂ©s ( Ma vie en rĂ©alitĂ©). NĂ©anmoins, derriĂšre chaque cĂ©lĂ©britĂ© que nous « suivons Â» ou regardons, il y a peut-ĂȘtre aussi l’équivalent d’une ville qui se forme, se dĂ©truit et se remonte indĂ©finiment. Le tout est de ne pas faire partie des dĂ©combres et des encombrants.

 

Cadavres et atelier de digestion

 

Il y a quelques cadavres dans le livre de Dany LaferriĂšre. Et ce ne sont ni des bouteilles d’alcool, ni des merveilles d’alcĂŽve.

Son chapitre Les projectiles dĂ©crit assez techniquement un tremblement de terre. Mais le chiffre de la magnitude pourrait correspondre au calibre d’une balle et nous pourrions trĂšs bien ĂȘtre dans le dĂ©but d’un polar. Cadavres et viscĂšres font partie des quelques points communs- et vitaux- qu’il peut y avoir entre le rĂ©cit que LaferriĂšre nous fait de ce tremblement et un polar.

 

D’ailleurs, Tout bouge autour de moi dĂ©bute dans un restaurant, page 11, extrait du chapitre La minute :

 

« Me voilĂ  au restaurant de l’hĂŽtel Karibe avec mon ami Rodney Saint-Eloi, Ă©diteur de MĂ©moire d’encrier, qui vient d’arriver de MontrĂ©al. Au pied de la table, deux grosses valises remplies de ses derniĂšres parutions. J’attendais cette langouste ( sur la carte, c’était Ă©crit homard) et Saint-Eloi, un poisson gros sel. J’avais dĂ©jĂ  entamĂ© le pain quand j’ai entendu une terrible explosion. Au dĂ©but j’ai cru percevoir le bruit d’une mitrailleuse (certains diront un train), juste dans mon dos. En voyant  passer les cuisiniers en trombe, j’ai pensĂ© qu’une chaudiĂšre venait d’exploser. Tout cela a durĂ© moins d’une minute. On a eu huit Ă  dix secondes pour prendre une dĂ©cision. Quitter l’endroit ou rester (
.) Â».  

 

 

AprĂšs la nourriture, le plus souvent, commence la partition de la digestion.  La digestion peut faire penser Ă  un tremblement sauf que celui-ci est routinier et imperceptible. On s’en prĂ©occupe gĂ©nĂ©ralement lorsque ça ne passe pas. Lorsque ça ne pousse pas. Quand notre digestion est montĂ©e sur ressort hydraulique et nous dĂ©sopercule de maniĂšre incontrĂŽlĂ©e par le haut ou par le bas.

 

Cet ouvrage de LaferriĂšre ressemble Ă  un atelier de digestion de l’évĂ©nement. Comme tout Ă©vĂ©nement. Mais celui-ci se matĂ©rialise et s’impose plus que d’autres comme une  expĂ©rience hypertonique de tremblement intime, page 43, extrait du chapitre Le Court mĂ©trage :

 

« Si je repasse souvent dans ma tĂȘte ces minutes qui prĂ©cĂšdent l’explosion c’est parce qu’il est impossible de revivre l’évĂ©nement lui-mĂȘme. Il nous habite trop intimement. (
.)C’est un moment Ă©ternellement prĂ©sent. On se rappelle l’instant d’avant dans les moindres dĂ©tails. (
.) A partir de 16h53, notre mĂ©moire tremble Â».

 

Une expérience traumatique et traumatisante

 

Le tremblement de terre d’HaĂŻti peut faire passer Ă  toute expĂ©rience traumatique et traumatisante : attentat, assassinat, viol, accident, dĂ©cĂšs soudain d’un proche, confinement.

Mais  le tremblement de terre peut aussi faire penser Ă  un soulĂšvement populaire. Comme celui des gilets jaunes. Ou dans les citĂ©s. Le titre du livre me rappelle aussi le court mĂ©trage Ce Chemin devant moi rĂ©alisĂ©- en 2012- par HamĂ© et EkouĂ© ( du groupe de Rap La Rumeur) avec l’acteur Reda Kateb dans le rĂŽle principal. L’acteur Slimane Dazi fait aussi partie du casting.

 

 

C’est aussi pour ces quelques raisons que Tout bouge autour de moi peut nous parler de maniĂšre rapprochĂ©e. Et aussi nous guider.

 

 

A un moment, LaferriĂšre nous raconte que le tremblement ne passe pas. Lors d’une scĂšne, quelques jours plus tard, oĂč il croit que le tremblement reprend. Alors que tout va « bien Â» et que ce sont seulement  ses jambes, qui portent encore la mĂ©moire, lourde, du tremblement, qui se mettent soudainement Ă  flageoler.

 

Les Choses :

 

Son court paragraphe sur Les Choses, page 19, vaut aussi davantage que sa lecture :

 

« L’ennemi n’est pas le temps mais toutes ces choses qu’on a accumulĂ©es au fil des jours. DĂšs qu’on ramasse une chose on ne peut plus s’arrĂȘter. Car chaque chose appelle une autre. C’est la cohĂ©rence d’une vie. On retrouvera des corps prĂšs de la porte. Une valise Ă  cĂŽtĂ© d’eux Â».

 

Parmi les décombres, les attraits du livre

 

 

Parmi ses attraits, le livre est simple à lire. Dans son quotidien. Et il est bùti sur la vie sans éluder certaines tragédies.

 

Je suis Ă©tonnĂ©, que parmi les intellectuels qu’il connaĂźt et qu’il cite, le rĂ©alisateur haĂŻtien engagĂ©, Raoul Peck, ne soit jamais mentionnĂ© vu qu’ils doivent ĂȘtre Ă  peu prĂšs du mĂȘme Ăąge. Mais HaĂŻti a sans doute beaucoup plus d’histoires et de personnes Ă  nommer qu’elle ne compte de kilomĂštres carrĂ©s. LaferriĂšre souligne la trĂšs grande crĂ©ativitĂ© de la culture haĂŻtienne dont je suis un tĂ©moin mĂ©moriel au travers de la musique Konpa qui a rythmĂ© une partie de mon enfance mais aussi de certaines de mes vacances en Guadeloupe.

 

Avec le BrĂ©sil, HaĂŻti fait partie de ces deux destinations dont j’ai eu envie depuis des annĂ©es mais oĂč je n’ai jamais osĂ© aller. Par apprĂ©hension de la violence. Le livre de LaferriĂšre m’a beaucoup donnĂ© envie d’aller Ă  HaĂŻti. MalgrĂ© ce tremblement de terre. Alors que nous sommes encore en pleine pĂ©riode de Covid. Et je ne vois dans cette envie aucune parentĂ© avec la folie. C’est peut-ĂȘtre le plus Ă©tonnant. Mais je sais aussi que, parfois, ou souvent, seuls les gens fous survivent voire vivent vĂ©ritablement en passant au travers des empires qui s’écroulent.

 

Franck Unimon, ce lundi 7 septembre 2020.