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Conocido y conocido

 

                                              Conocido y  conocido

Beaucoup voudraient changer de vie. Puis, ils se figent.

 

Lui, il avait pris les choses en main. Il avait quitté son pays. Interpellé à Paris, sans papiers, inoffensif, il avait été relâché. Il n’avait pas démérité. Il était parti retrouver son père en Allemagne.

Détecté alors qu’il marchait le long de la voie ferrée dans le Val d’Oise, il avait été emmené à l’hôpital puis dans le service où je travaillais alors.

 

L’ambassade de son pays avait été contactée. Un de ses représentants s’était déplacé.

 

Au début, plusieurs collègues voulaient l’accompagner pour le rapatrier dans son pays, du côté de Séville. Mais, par moments, même si assez peu de collègues parlaient sa langue natale, elles comprenaient à sa façon de « cracher » les mots qu’il pouvait tenir des propos orduriers. Et qu’il pouvait, aussi, avoir un comportement inélégant.

 

J’avais donc pu l’accompagner en prenant l’avion avec lui.  Même si, au préalable, à l’aéroport, la fantaisie des réservations ou de l’administration m’avait révélé qu’il était  prévu de nous séparer. Moi en première classe et lui en seconde. Ou le contraire.

 

Après quelques explications, on avait bien voulu nous mettre ensemble. En Première.

 

Lorsque l’on nous avait proposé du champagne, il avait tenté sa chance en m’interrogeant poliment du regard. J’avais refusé. L’alcool et certains traitements sont antagonistes. Il avait accepté.

 

Le vol, de deux ou trois heures, s’était bien déroulé. A notre arrivée, l’infirmier en soins psychiatriques et lui s’étaient aussitôt reconnus. Auprès de lui, il avait alors arboré la mine de l’animal domestique tout content de retrouver une connaissance familière.

 

Interrogé, l’infirmier m’avait répondu en Espagnol :

 

« Conocido y  conocido ». Connu comme le loup blanc. A ses côtés, le patient avait approuvé par un petit sourire tendre de connivence.

 

J’avais ensuite passé deux ou trois jours délicieux à Séville.

 

C’est avec cette histoire en tête que j’ai été volontaire récemment  pour accompagner une patiente à l’aéroport afin qu’elle s’en retourne chez elle, en Corée….

 

Franck Unimon, lundi 7 septembre 2020.

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Puissants Fonds/ Livres

Dany Laferrière-Tout bouge autour de moi

 

                            Dany Laferrière – Tout bouge autour de moi  

« Une secousse de magnitude 7.3 n’est pas si terrible. On peut encore courir. C’est le béton qui a tué. Les gens ont fait une orgie de béton ces cinquante dernières années. De petites forteresses. Les maisons en bois et en tôle, plus souples, ont résisté. Dans les chambres d’hôtel souvent exigües, l’ennemi c’est le téléviseur. On se met toujours en face de lui. Il a foncé droit sur nous. Beaucoup de gens l’ont reçu sur la tête » (chapitre Les projectiles, page 14 de Tout bouge autour de moi, paru en 2011).

 

Passer sa vie en mer

 

Passer sa vie en mer, c’est passer une certaine partie de son temps à voir des empires se former, s’écrouler et recommencer. Naviguer, c’est être l’aiguille qui peut être amenée à devoir passer au travers du tamis de ces empires. Mais avant même d’arriver jusqu’à la mer, nos histoires personnelles seront nos premiers empires. Nous y passerons tous et ce sera à nous de trouver de multiples façons et de multiples prises afin de passer au travers de leurs rouleaux en évitant le Ippon fatal qui nous laissera à terre.

La lecture du livre Le Monde comme il me parle d’Olivier de Kersauson est encore là. Je vous en ai parlé il y a quelques jours ( Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle). Sa lecture a été après celle du livre de Dany Laferrière. Mais les deux livres se retrouvent. Laferrière et Kersauson ont des univers communs. Et, moi, je suis ici l’aiguille qui va essayer de coudre ces univers ensemble. Et en plus court que je ne l’ai fait pour le livre de Kersauson.

 

L’écrivain Dany Laferrière

 

Dany Laferrière, Haïtien né à Haïti, obligé de s’exiler pour raisons politiques, a vécu des années (où il vit peut être encore) au Québec. Au Québec, il a lu tous les auteurs québecois en activité. Membre de l’Académie Française- depuis décembre 2013- écrivain reconnu et adapté plusieurs fois au cinéma ( Comment faire l’Amour avec un Nègre sans se fatiguer (1989) avec Isaac de Bankolé, Vers le Sud  réalisé en 2005 par Laurent Cantet avec Charlotte Rampling), Prix Médicis en 2009, Dany Laferrière était dans un restaurant à Haïti quand la Terre y a tremblé le 12 janvier 2010.

 

Une histoire personnelle de tremblement

 

C’est l’histoire personnelle de ce tremblement qu’il nous raconte, par des chapitres courts, dans Tout bouge autour de moi où il navigue à travers ce qu’il voit et reste d’Haïti comme parmi ses souvenirs.  Fils du pays, comme cela peut être bien décrit dans son L’Enfant du pays ( très bien restitué par Arthur H et Nicolas Repacdans l’album L’Or Noir ) il sillonne les états de sa famille de ses amis intellectuels ( dont Frankétienne…) et d’inconnus. Ainsi que le traitement humanitaire et médiatique du séisme. Page 60 :

« (….). Le photographe Ivanoh Demers la talonne. Lui semble plutôt gêné. (….) Ses photos ont été reprises dans les journaux du monde entier. Et son émouvante photo du jeune garçon qui tourne son regard vers nous, avec un mélange de douleur et de gravité, restera longtemps dans notre mémoire. La lumière douce qui éclaire son visage fait penser à la peinture flamande. Pourtant, le photographe semble déchiré entre cette soudaine célébrité et la ville détruite- l’un n’allant pas sans l’autre. Il n’a pas à se sentir mal. Sa photo du jeune garçon au regard si doux restera ».

 

A une autre extrémité de la célébrité

Dans ce paragraphe, nous sommes aux antipodes de cette quête de « célébrité » de tous les instants sur les réseaux sociaux, à la télé ainsi que dans ses dérivés ( Ma vie en réalité). Néanmoins, derrière chaque célébrité que nous « suivons » ou regardons, il y a peut-être aussi l’équivalent d’une ville qui se forme, se détruit et se remonte indéfiniment. Le tout est de ne pas faire partie des décombres et des encombrants.

 

Cadavres et atelier de digestion

 

Il y a quelques cadavres dans le livre de Dany Laferrière. Et ce ne sont ni des bouteilles d’alcool, ni des merveilles d’alcôve.

Son chapitre Les projectiles décrit assez techniquement un tremblement de terre. Mais le chiffre de la magnitude pourrait correspondre au calibre d’une balle et nous pourrions très bien être dans le début d’un polar. Cadavres et viscères font partie des quelques points communs- et vitaux- qu’il peut y avoir entre le récit que Laferrière nous fait de ce tremblement et un polar.

 

D’ailleurs, Tout bouge autour de moi débute dans un restaurant, page 11, extrait du chapitre La minute :

 

« Me voilà au restaurant de l’hôtel Karibe avec mon ami Rodney Saint-Eloi, éditeur de Mémoire d’encrier, qui vient d’arriver de Montréal. Au pied de la table, deux grosses valises remplies de ses dernières parutions. J’attendais cette langouste ( sur la carte, c’était écrit homard) et Saint-Eloi, un poisson gros sel. J’avais déjà entamé le pain quand j’ai entendu une terrible explosion. Au début j’ai cru percevoir le bruit d’une mitrailleuse (certains diront un train), juste dans mon dos. En voyant  passer les cuisiniers en trombe, j’ai pensé qu’une chaudière venait d’exploser. Tout cela a duré moins d’une minute. On a eu huit à dix secondes pour prendre une décision. Quitter l’endroit ou rester (….) ».  

 

 

Après la nourriture, le plus souvent, commence la partition de la digestion.  La digestion peut faire penser à un tremblement sauf que celui-ci est routinier et imperceptible. On s’en préoccupe généralement lorsque ça ne passe pas. Lorsque ça ne pousse pas. Quand notre digestion est montée sur ressort hydraulique et nous désopercule de manière incontrôlée par le haut ou par le bas.

 

Cet ouvrage de Laferrière ressemble à un atelier de digestion de l’événement. Comme tout événement. Mais celui-ci se matérialise et s’impose plus que d’autres comme une  expérience hypertonique de tremblement intime, page 43, extrait du chapitre Le Court métrage :

 

« Si je repasse souvent dans ma tête ces minutes qui précèdent l’explosion c’est parce qu’il est impossible de revivre l’événement lui-même. Il nous habite trop intimement. (….)C’est un moment éternellement présent. On se rappelle l’instant d’avant dans les moindres détails. (….) A partir de 16h53, notre mémoire tremble ».

 

Une expérience traumatique et traumatisante

 

Le tremblement de terre d’Haïti peut faire passer à toute expérience traumatique et traumatisante : attentat, assassinat, viol, accident, décès soudain d’un proche, confinement.

Mais  le tremblement de terre peut aussi faire penser à un soulèvement populaire. Comme celui des gilets jaunes. Ou dans les cités. Le titre du livre me rappelle aussi le court métrage Ce Chemin devant moi réalisé- en 2012- par Hamé et Ekoué ( du groupe de Rap La Rumeur) avec l’acteur Reda Kateb dans le rôle principal. L’acteur Slimane Dazi fait aussi partie du casting.

 

 

C’est aussi pour ces quelques raisons que Tout bouge autour de moi peut nous parler de manière rapprochée. Et aussi nous guider.

 

 

A un moment, Laferrière nous raconte que le tremblement ne passe pas. Lors d’une scène, quelques jours plus tard, où il croit que le tremblement reprend. Alors que tout va « bien » et que ce sont seulement  ses jambes, qui portent encore la mémoire, lourde, du tremblement, qui se mettent soudainement à flageoler.

 

Les Choses :

 

Son court paragraphe sur Les Choses, page 19, vaut aussi davantage que sa lecture :

 

« L’ennemi n’est pas le temps mais toutes ces choses qu’on a accumulées au fil des jours. Dès qu’on ramasse une chose on ne peut plus s’arrêter. Car chaque chose appelle une autre. C’est la cohérence d’une vie. On retrouvera des corps près de la porte. Une valise à côté d’eux ».

 

Parmi les décombres, les attraits du livre

 

 

Parmi ses attraits, le livre est simple à lire. Dans son quotidien. Et il est bâti sur la vie sans éluder certaines tragédies.

 

Je suis étonné, que parmi les intellectuels qu’il connaît et qu’il cite, le réalisateur haïtien engagé, Raoul Peck, ne soit jamais mentionné vu qu’ils doivent être à peu près du même âge. Mais Haïti a sans doute beaucoup plus d’histoires et de personnes à nommer qu’elle ne compte de kilomètres carrés. Laferrière souligne la très grande créativité de la culture haïtienne dont je suis un témoin mémoriel au travers de la musique Konpa qui a rythmé une partie de mon enfance mais aussi de certaines de mes vacances en Guadeloupe.

 

Avec le Brésil, Haïti fait partie de ces deux destinations dont j’ai eu envie depuis des années mais où je n’ai jamais osé aller. Par appréhension de la violence. Le livre de Laferrière m’a beaucoup donné envie d’aller à Haïti. Malgré ce tremblement de terre. Alors que nous sommes encore en pleine période de Covid. Et je ne vois dans cette envie aucune parenté avec la folie. C’est peut-être le plus étonnant. Mais je sais aussi que, parfois, ou souvent, seuls les gens fous survivent voire vivent véritablement en passant au travers des empires qui s’écroulent.

 

Franck Unimon, ce lundi 7 septembre 2020.

 

 

 

 

                     

 

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Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

 

                    Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

« Le plaisir est ma seule ambition ».

 

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson, Le Monde comme il me parle,  c’est presque se dévouer à sa propre perdition. C’est comme faire la description de notre dentition de lait en décidant que cela pourrait captiver. Pour beaucoup, ça manquera de sel et d’exotisme. Je m’aperçois que son nom parlera spontanément aux personnes d’une cinquantaine d’années comme à celles en âge d’être en EHPAD.

 

Kersauson est sûrement assez peu connu voire inconnu du grand public d’aujourd’hui. Celui que j’aimerais concerner en priorité avec cet article. Je parle du public compris grosso modo entre 10 et 35 ans. Puisque internet et les réseaux sociaux ont contribué à abaisser l’âge moyen du public lambda. Kersauson n’est ni Booba, ni Soprano, ni Kenji Girac. Il n’est même pas le journaliste animateur Pascal Praud, tentative de croisement tête à claques entre Donald Trump et Bernard Pivot, martelant sur la chaine de télé Cnews ses certitudes de privilégié. Et à qui il manque un nez de clown pour compléter le maquillage.

 

Le Mérite

 

Or, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus guidés par et pour la dictature de l’audience et du like. Il est plus rentable de faire de l’audience que d’essayer de se faire une conscience.  

 

Que l’on ne me parle pas du mérite, héritage incertain qui peut permettre à d’autres de profiter indéfiniment de notre crédulité comme de notre « générosité » ! Je me rappelle toujours de cette citation que m’avait professée Spock, un de mes anciens collègues :

 

« Il nous arrive non pas ce que l’on mérite mais ce qui nous ressemble ».

Une phrase implacable que je n’ai jamais essayé de détourner ou de contredire.

 

Passer des heures sur une entreprise ou sur une action qui nous vaut peu de manifestations d’intérêt ou pas d’argent revient à se masturber ou à échouer. 

Cela équivaut à demeurer  une personne indésirable.

Si, un jour, mes articles comptent plusieurs milliers de lectrices et de lecteurs, je deviendrai une personne de « valeur ».  Surtout si ça rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent. Quelles que soient l’originalité ou les vertus de ce que je produis.

 

Mais j’ai beaucoup de mal à croire à cet avenir. Mes écrits manquent par trop de poitrine, de potins, d’images ad hoc, de sex-tapes, de silicone et de oups ! Et ce n’est pas en parlant de Kersauson aujourd’hui que cela va s’améliorer. Kersauson n’a même pas fait le nécessaire pour intégrer  l’émission de téléréalité Les Marseillais !

 

Rien en commun

 

Mais j’ai plaisir à écrire cet article.

 

Kersauson et moi n’avons a priori rien à voir ensemble. Il a l’âge de mon père, est issu de la bourgeoisie catholique bretonne. Mais il n’a ni l’histoire ni le corps social (et autre) de mon père et de ma mère. Même si, tous les deux, ont eu une éducation catholique tendance campagnarde et traditionnelle. Ma grand-mère maternelle, originaire des Saintes, connaissait ses prières en latin.  

 

Kersauson a mis le pied sur un bateau de pêche à l’âge de quatre ans et s’en souvient encore. Il a appris « tôt » à nager, sans doute dans la mer, comme ses frères et soeurs.

Je devais avoir entre 6 et 9 ans lorsque je suis allé sur mon premier bateau. C’était dans le bac à sable à côté de l’immeuble HLM où nous habitions en banlieue parisienne. A quelques minutes du quartier de la Défense à vol d’oiseau.

 

J’ai appris à nager vers mes dix ans dans une piscine. Le sel et la mer pour lui, le chlore et le béton pour moi comme principaux décors d’enfance.

 

Moniteur de voile à 13 ans, Kersauson enseignait le bateau à des parisiens (sûrement assez aisés) de 35 à 40 ans. Moi, c’est plutôt vers mes 18-20 ans que j’ai commencé à m’occuper de personnes plus âgées que moi : c’était des patients  dans les hôpitaux et les cliniques. Changer leurs couches, vider leur  bassin, faire leur toilette, prendre soin d’eux….

 

J’ai pourtant connu la mer plus tôt que certains citadins. Vers 7 ans, lors de mon premier séjour en Guadeloupe. Mais si, très tôt, Kersauson est devenu marin, moi, je suis un ultramarin. Lui et moi, ne sommes pas nés du même côté de la mer ni pour les mêmes raisons.

La mer a sûrement eu pour lui, assez tôt, des attraits qui ont mis bien plus de temps  à me parvenir.  Je ne vais pas en rajouter sur le sujet. J’en ai déjà parlé et reparlé. Et lui, comme d’autres, n’y sont pour rien.

 

Kersauson est né après guerre, en 1944, a grandi dans cette ambiance (la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam) et n’a eu de cesse de lui échapper.

Je suis né en 1968. J’ai entendu parler des guerres. J’ai vu des images. J’ai entendu parler de l’esclavage. J’ai vu des images. J’ai plus connu la crise, la peur du chômage, la peur du racisme, l’épidémie du Sida, la peur d’une guerre nucléaire, les attentats. Et, aujourd’hui, le réchauffement climatique, les attentats, les serres d’internet, l’effondrement, le Covid.

 

Kersauson, et moi, c’est un peu la matière et l’antimatière.

 

En cherchant un peu dans la vase

 

Pourtant, si je cherche un peu dans la vase, je nous trouve quand même un petit peu de limon en commun.

L’ancien collègue Spock que j’ai connu, contrairement à celui de la série Star Trek, est Breton.

C’est pendant qu’il fait son service militaire que Kersauson, Breton, rencontre Eric Tabarly, un autre Breton.

 

C’est pendant mon service militaire que j’entends parler pour la première fois de Kersauson. Par un étudiant en psychologie qui me parle régulièrement de Brautigan, de Desproges et de Manchette sûrement. Et qui me parle de la culture de Kersauson lorsque celui-ci passe aux Grosses Têtes de Bouvard. Une émission radiophonique dont j’ai plus entendu parler que je n’ai pris le temps de l’écouter.

 

Je crois que Kersauson a bien dû priser l’univers d’au moins une de ces personnes :

Desproges, Manchette, Brautigan.

 

Pierre Desproges et Jean-Patrick Manchette m’ont fait beaucoup de bien à une certaine période de ma vie. Humour noir et polar, je ne m’en défais pas.

 

C’est un Breton que je rencontre une seule fois (l’ami de Chrystèle, une copine bretonne de l’école d’infirmière)  qui m’expliquera calmement, alors que je suis en colère contre la France, que, bien que noir, je suis Français. J’ai alors entre 20 et 21 ans. Et je suis persuadé, jusqu’à cette rencontre, qu’il faut être blanc pour être Français. Ce Breton, dont j’ai oublié le prénom, un peu plus âgé que moi, conducteur de train pour la SNCF, me remettra sur les rails en me disant simplement :

« Mais…tu es Français ! ».

C’était à la fin des années 80. On n’entendait pas du tout  parler d’un Eric Zemmour ou d’autres. Il avait beaucoup moins d’audience que depuis quelques années. Lequel Eric Zemmour, aujourd’hui, a son trône sur la chaine Cnews et est la pierre philosophale de la Pensée selon un Pascal Praud. Eric Zemmour qui se considère fréquemment comme l’une des personnes les plus légitimes pour dire qui peut être Français ou non. Et à quelles conditions. Un de ses vœux est peut-être d’être le Montesquieu de la question de l’immigration en France.

 

Dans son livre, Le Monde comme il me parle, Kersauson redit son attachement à la Polynésie française. Mais je sais que, comme lui, le navigateur Moitessier y était tout autant attaché. Ainsi qu’Alain Colas. Deux personnes qu’il a connues. Je sais aussi que Tabarly, longtemps célibataire et sans autre idée fixe que la mer, s’était quand même  acheté une maison et marié avec une Martiniquaise avec laquelle il a eu une fille. Même s’il a fini sa vie en mer. Avant d’être repêché.

 

Ce paragraphe vaut-il à lui tout seul la rédaction et la lecture de cet article ? Toujours est-il que Kersauson est un inconnu des réseaux sociaux.

 

Inconnu des réseaux sociaux :

 

 

 

Je n’ai pas vérifié mais j’ai du mal à concevoir Kersauson sur Instagram, faisant des selfies ou téléchargeant des photos dénudées de lui sur OnlyFans. Et il ne fait pas non plus partie du décor du jeu The Last of us dont le deuxième volet, sorti cet été,  une des exclusivités pour la console de jeu playstation, est un succès avec plusieurs millions de vente.

 

Finalement, mes articles sont peut-être trop hardcore pour pouvoir attirer beaucoup plus de public. Ils sont peut-être aussi un peu trop « mystiques ». J’ai eu cette intuition- indirecte- en demandant à un jeune récemment ce qu’il écoutait comme artistes de Rap. Il m’a d’abord cité un ou deux noms que je ne connaissais pas. Il m’avait prévenu. Puis, il a mentionné Dinos. Je n’ai rien écouté de Dinos mais j’ai entendu parler de lui. J’ai alors évoqué Damso dont j’ai écouté et réécouté l’album Lithopédion (sorti en 2018) et mis plusieurs de ses titres sur mon baladeur.  Le jeune m’a alors fait comprendre que les textes de Damso étaient en quelque sorte trop hermétiques pour lui.

Mais au moins Damso a-t’il des milliers voire des millions de vues sur Youtube. Alors que Kersauson…. je n’ai pas fouillé non plus- ce n’est pas le plus grave- mais je ne vois pas Kersauson avoir des milliers de vues ou lancer sa chaine youtube. Afin de nous vendre des méduses (les sandales en plastique pour la plage) signées Balenciaga ou une crème solaire bio de la marque Leclerc.

 

J’espère au moins que « Kersau », mon Bernard Lavilliers des océans, est encore vivant. Internet, google et wikipédia m’affirment que « oui ». Kersauson a au moins une page wikipédia. Il a peut-être plus que ça sur le net. En écrivant cet article, je me fie beaucoup à mon regard sur lui ainsi que sur le livre dont je parle. Comme d’un autre de ses livres que j’avais lu  il y a quelques années, bien avant l’effet « Covid».

 

L’effet « Covid »

 

Pourvu, aussi, que Kersauson se préserve du Covid.  Il a 76 ans cette année. Car, alors que la rentrée (entre-autre, scolaire)  a eu lieu hier et que bien des personnes rechignent à continuer de porter un masque (dont le très inspiré journaliste Pascal Praud sur Cnews), deux de mes collègues infirmières sont actuellement en arrêt de travail pour suspicion de covid. La première collègue a une soixantaine d’années. La seconde, une trentaine d’années. Praud en a 54 si j’ai bien entendu. Ou 56.

Un article du journal  » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 2 septembre 2020.

 

Depuis la pandémie du Covid-19, aussi appelé de plus en plus « la Covid », la vente de livres a augmenté. Jeff Bezos, le PDG du site Amazon, premier site de ventes en ligne, (aujourd’hui, homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 200 milliards de dollars selon le magazine Forbes US  cité dans le journal Le Canard Enchaîné de ce mercredi 2 septembre 2020) n’est donc pas le seul à avoir bénéficié de la pandémie du Covid qui a par ailleurs mis en faillite d’autres économies.

 

Donc, Kersauson, et son livre, Le Monde comme il me parle, auraient pu profiter de « l’effet Covid ». Mais ce livre, celui dont j’ai prévu de vous parler, est paru en 2013.

 

Il y a sept ans.  C’est à dire, il y a très très longtemps pour beaucoup à l’époque.

 

Mon but, aujourd’hui, est de vous parler d’un homme de 76 ans pratiquement inconnu selon les critères de notoriété et de réussite sociale typiques d’aujourd’hui. Un homme qui a fait publier un livre en 2013.

Nous sommes le mercredi 2 septembre 2020, jour du début du procès des attentats de Charlie Hebdo et de L’Hyper Cacher.

 

 

Mais nous sommes aussi le jour de la sortie du film Police d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois. Un film que j’aimerais voir. Un film dont je devrais plutôt vous parler. Au même titre que le film Tenet de Christopher Nolan, sorti la semaine dernière. Un des films très attendus de l’été, destiné à relancer la fréquentation des salles de cinéma après leur fermeture due au Covid. Un film d’autant plus désiré que Christopher Nolan est un réalisateur reconnu et que l’autre grosse sortie espérée, le film Mulan , produit par Disney, ne sortira pas comme prévu dans les salles de cinéma. Le PDG de Disney préférant obliger les gens à s’abonner à Disney+ (29, 99 dollars l’abonnement aux Etats-Unis ou 25 euros environ en Europe) pour avoir le droit de voir le film. Au prix fort, une place de cinéma à Paris peut coûter entre 10 et 12 euros.

 

 

Tenet, qui dure près de 2h30,  m’a contrarié. Je suis allé le voir la semaine dernière. Tenet est selon moi la bande annonce des films précédents et futurs de Christopher Nolan dont j’avais aimé les films avant cela. Un film de James Bond sans James Bond. On apprend dans Tenet qu’il suffit de poser sa main sur la pédale de frein d’une voiture qui file à toute allure pour qu’elle s’arrête au bout de cinq mètres. J’aurais dû m’arrêter de la même façon avant de choisir d’aller le regarder. Heureusement qu’il y a Robert Pattinson dans le film ainsi que Elizabeth Debicki que j’avais beaucoup aimée dans Les Veuves réalisé en 2018 par Steve McQueen.

 

Distorsions temporelles

 

Nolan affectionne les distorsions temporelles dans ses films. Je le fais aussi dans mes articles :

 

 

En 2013, lorsqu’est paru Le Monde comme il me parle de Kersauson, Omar Sy, un des acteurs du film Police, sorti aujourd’hui,  était déjà devenu un « grand acteur ».

Grâce à la grande audience qu’avait connue le film Intouchables réalisé en…2011 par Olivier Nakache et Eric Toledano. Près de vingt millions d’entrées dans les salles de cinéma seulement en France. Un film qui a permis à Omar Sy de jouer dans une grosse production américaine. Sans le succès d’Intouchables, nous n’aurions pas vu Omar Sy dans le rôle de Bishop dans un film de X-Men (X-Men : Days of future past réalisé en 2014 par Bryan Singer).

 

J’ai de la sympathie pour Omar Sy. Et cela, bien avant Intouchables. Mais ce n’est pas un acteur qui m’a particulièrement épaté pour son jeu pour l’instant. A la différence de Virginie Efira et de Grégory Gadebois.

Virginie Efira, d’abord animatrice de télévision pendant une dizaine d’années, est plus reconnue aujourd’hui qu’en 2013, année de sortie du livre de Kersauson.

J’aime beaucoup le jeu d’actrice de Virginie Efira et ce que je crois percevoir d’elle. Son visage et ses personnages ont une allure plutôt fade au premier regard : ils sont souvent le contraire.

Grégory Gadebois, passé par la comédie Française, m’a « eu » lorsque je l’ai vu dans le Angèle et Tony réalisé par Alix Delaporte en 2011. Je ne me souviens pas de lui dans Go Fast réalisé en 2008 par Olivier Van Hoofstadt.

 

Je ne me défile pas en parlant de ces trois acteurs.

 

Je continue de parler du livre de Kersauson. Je parle seulement, à ma façon, un petit peu du monde dans lequel était sorti son livre, précisément.

 

Kersauson est évidemment un éminent pratiquant des distorsions temporelles. Et, grâce à lui, j’ai sans doute compris la raison pour laquelle, sur une des plages du Gosier, en Guadeloupe, j’avais pu être captivé par les vagues. En étant néanmoins incapable de l’expliquer à un copain, Eguz, qui m’avait surpris. Pour lui, mon attitude était plus suspecte que d’ignorer le corps d’une femme nue. Il y en avait peut-être une, d’ailleurs, dans les environs.

 

Page 12 de Le Monde comme il me parle :

 

« Le chant de la mer, c’est l’éternité dans l’oreille. Dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie, j’entends des vagues qui ont des milliers d’années. C’est frappant. Ce sont des vagues qui brisent au milieu du plus grand océan du monde. Il n y  a pas de marée ici, alors ces vagues tapent toujours au même endroit ».

 

Tabarly

 

A une époque, adolescent, Kersauson lisait un livre par jour. Il le dit dans Le Monde comme il me parle.

 

J’imagine qu’il est assez peu allé au cinéma. Page 50 :

 

« (….) Quand je suis démobilisé, je reste avec lui ( Eric Tabarly). Evidemment. Je tombe sur un mec dont le seul programme est de naviguer. Il est certain que je n’allais pas laisser passer ça ».

 

Page 51 :

 

«  Tabarly avait, pour moi, toutes les clés du monde que je voulais connaître. C’était un immense marin et, en mer, un homme délicieux à vivre ».

 

Page 54 :

« C’est le temps en mer qui comptait. Et, avec Eric, je passais neuf mois de l’année en mer ».

 

A cette époque, à la fin des années 60, Kersauson avait 23 ou 24 ans. Les virées entre « potes » ou entre « amies » que l’on peut connaître dans les soirées ou lors de certains séjours de vacances, se sont déroulées autour du monde et sur la mer pour lui. Avec Eric Tabarly, référence mondiale de la voile.

 

Page 51 :

 

« (…..) Il faut se rendre compte qu’à l’époque, le monde industriel français se demande comment aider Eric Tabarly- tant il est créatif, ingénieux. Il suscite la passion. C’est le bureau d’études de chez Dassault qui règle nos problèmes techniques ! ».

 

 

Le moment des bilans

 

 

Il est facile de comprendre que croiser un mentor comme Tabarly à 24 ans laisse une trace. Mais Kersauson était déjà un ténor lorsqu’ils se sont rencontrés. Il avait déja un aplomb là ou d’autres avaient des implants. Et, aujourd’hui, en plus, on a besoin de tout un tas d’applis, de consignes et de protections pour aller de l’avant.

J’avais lu Mémoires du large, paru en Mai 1998 (dont la rédaction est attribuée à Eric Tabarly) quelques années après sa mort. Tabarly est mort en mer en juin 1998.

 Tabarly était aussi intraitable que Kersauson dans son rapport à la vie. Kersauson écrit dans Le Monde comme il me parle, page 83 :

«  Ce qui m’a toujours sidéré, chez l’être humain, c’est le manque de cohérence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait (…). J’ai toujours tenté de vivre comme je le pensais. Et je m’aperçois que nous ne sommes pas si nombreux dans cette entreprise ».

 

Tabarly avait la même vision de la vie. Il  l’exprimait avec d’autres mots.

 

Que ce soit en lisant Kersauson ou en lisant Tabarly, je me considère comme faisant partie du lot des ruminants. Et c’est peut-être aussi pour cela que je tiens autant à cet article. Il me donne sans doute l’impression d’être un petit peu moins mouton même si mon intrépidité sera un souvenir avant même la fin de la rédaction de cet article.

 

« Différence entre la technologie et l’esclavage. Les esclaves ont pleinement conscience qu’ils ne sont pas libres » affirme Nicholas Nassim Taleb dont les propos sont cités par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving ( Pourquoi on devient accro et comment se libérer), page 65.

 

Un peu plus loin, le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction, terme qui n’a été employé par aucun des intervenants, hier, lors du « débat » animé par Pascal Praud sur Cnews à propos de la consommation de Cannabis. Comme à propos des amendes qui seront désormais infligées automatiquement à toute personne surprise en flagrant délit de consommation de cannabis :

D’abord 135 euros d’amende. Ou 200 euros ?

En écoutant Pascal Praud sur Cnews hier ( il a au moins eu la sincérité de confesser qu’il n’avait jamais fumé un pétard de sa vie)  la solution à la consommation de cannabis passe par des amendes dissuasives, donc par la répression, et par l’autorité parentale.

 

Le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction (page 68 de son livre) :

 

«  Un usage répété malgré les conséquences négatives ». 

 

Donc, réprimer ne suffira pas à endiguer les addictions au cannabis par exemple. Réprimer par le porte-monnaie provoquera une augmentation des agressions sur la voie publique. Puisqu’il faudra que les personnes addict ou dépendantes se procurent l’argent pour acheter leur substance. J’ai rencontré au moins un médecin addictologue qui nous a dit en formation qu’il lui arrivait de faire des prescriptions de produits de substitution pour éviter qu’une personne addict n’agresse des personnes sur la voie publique afin de leur soutirer de l’argent en vue de s’acheter sa dose. On ne parlait pas d’une addiction au cannabis. Mais, selon moi, les conséquences peuvent être les mêmes pour certains usagers de cannabis.

 

Le point commun entre une addiction (avec ou sans substance) et cette « incohérence » par rapport à la vie que pointe un Kersauson ainsi qu’un Tabarly avant lui, c’est que nous sommes très nombreux à maintenir des habitudes de vie qui ont sur nous des « conséquences négatives ». Par manque d’imagination. Par manque de modèle. Par manque de courage ou d’estomac. Par manque d’accompagnement. Par manque d’estime de soi. Par Devoir. Oui, par Devoir. Et Par peur.

 

La Peur

On peut bien-sûr penser à la peur du changement. Comme à la peur partir à l’aventure.

 

Kersauson affirme dans son livre qu’il n’a peur de rien. C’est là où je lui trouve un côté Bernard Lavilliers des océans. Pour sa façon de rouler des mécaniques. Je ne lui conteste pas son courage en mer ou sur la terre. Je crois à son autorité, à sa détermination comme ses très hautes capacités d’intimidation et de commandement.

 

Mais avoir peur de rien, ça n’existe pas. Tout le monde a peur de quelque chose, à un moment ou à un autre. Certaines personnes sont fortes pour transcender leur peur. Pour  s’en servir pour accomplir des actions que peu de personnes pourraient réaliser. Mais on a tous peur de quelque chose.

 

Kersauson a peut-être oublié. Ou, sûrement qu’il a peur plus tardivement que la majorité. Mais je ne crois pas à une personne dépourvue totalement de peur. Même Tabarly, en mer, a pu avoir peur. Je l’ai lu ou entendu. Sauf que Tabarly, comme Kersauson certainement, et comme quelques autres, une minorité, font partie des personnes (femmes comme hommes, mais aussi enfants) qui ont une aptitude à se reprendre en main et à fendre leur peur.

 

Je pourrais peut-être ajouter que la personne qui parvient à se reprendre alors qu’elle a des moments de peur est plus grande, et sans doute plus forte, que celle qui ignore complètement ce qu’est la peur. Pour moi, la personne qui ignore la peur s’aperçoit beaucoup trop tard qu’elle a peur. Lorsqu’elle s’en rend compte, elle est déjà bien trop engagée dans un dénouement qui dépasse sa volonté.

 

Cette remarque mise à part, je trouve à Kersauson, comme à Tabarly et à celles et ceux qui leur ressemblent une parenté évidente avec l’esprit chevaleresque ou l’esprit du sabre propre aux Samouraï et à certains aventuriers. Cela n’a rien d’étonnant.

 

L’esprit du samouraï

 

Dans une vidéo postée sur Youtube le 13 décembre 2019, GregMMA, ancien combattant de MMA, rencontre Léo Tamaki, fondateur de l’école Kishinkai Aikido.

 

GregMMA a rencontré d’autres combattants d’autres disciplines martiales ou en rapport avec le Combat. La particularité de cette vidéo (qui compte 310 070 vues alors que j’écris l’article) est l’érudition de Léo Tamaki que j’avais entrevue dans une revue. Erudition à laquelle GregMMA se montre heureusement réceptif. L’un des attraits du MMA depuis quelques années, c’est d’offrir une palette aussi complète que possible de techniques pour se défendre comme pour survivre en cas d’agression. C’est La discipline de combat du moment. Même si le Krav Maga a aussi une bonne cote.  Mais, comme souvent, des comparaisons se font entre tel ou telle discipline martiale, de Self-Défense ou de combat en termes d’efficacité dans des conditions réelles.

 

Je ne donne aucun scoop en écrivant que le MMA attire sûrement plus d’adhérents aujourd’hui que l’Aïkido qui a souvent l’ image d’un art martial dont les postures sont difficiles à assimiler, qui peut faire penser «  à de la danse » et dont l’efficacité dans la vie réelle peut être mise en doute  :

 

On ne connaît pas de grand champion actuel dans les sports de combats, ou dans les arts martiaux, qui soit Aïkidoka. Steven Seagal, c’est au cinéma et ça date des années 1990-2000. Dans les combats UFC, on ne parle pas d’Aïkidoka même si les combattants UFC sont souvent polyvalents ou ont généralement cumulé différentes expériences de techniques et de distances de combat.

 

Lors de cet échange avec GregMMA, Léo Tamaki confirme que le niveau des pratiquants en Aïkido a baissé. Ce qui explique aussi en partie le discrédit qui touche l’Aïkido. Il explique la raison de la baisse de niveau :

 

Les derniers grands Maitres d’Aïkido avaient connu la Guerre. Ils l’avaient soit vécue soit en étaient encore imprégnés. A partir de là, pour eux, pratiquer l’Aïkido, même si, comme souvent, ils avaient pu pratiquer d’autres disciplines martiales auparavant, devait leur permettre d’assurer leur survie. C’était immédiat et très concret. Cela est très différent de la démarche qui consiste à aller pratiquer un sport de combat ou un art martial afin de faire « du sport », pour perdre du poids ou pour se remettre en forme.

 

Lorsque Kersauson explique au début de son livre qu’il a voulu à tout prix faire de sa vie ce qu’il souhaitait, c’était en réponse à la Guerre qui était pour lui une expérience très concrète. Et qui aurait pu lui prendre sa vie.

Lorsque je suis parti faire mon service militaire, qui était encore obligatoire à mon « époque », la guerre était déjà une probabilité éloignée. Bien plus éloignée que pour un Kersauson et les personnes de son âge. Même s’il a vécu dans un milieu privilégié, il avait 18 ans en 1962 lorsque l’Algérie est devenue indépendante. D’ailleurs, je crois qu’un de ses frères est parti faire la Guerre d’Algérie.

 

On retrouve chez lui comme chez certains adeptes d’arts martiaux , de self-défense ou de sport de combat, cet instinct de survie et de liberté qui l’a poussé, lui, à prendre le large. Quitte à perdre sa vie, autant la perdre en  choisissant de faire quelque chose que l’on aime faire. Surtout qu’autour de lui, il s’aperçoit que les aînés et les anciens qui devraient être à même de l’orienter ont dégusté (Page 43) :

« Bon, l’ancien monde est mort. S’ouvre à moi une période favorable (….). J’ai 20 ans, j’ai beaucoup lu et je me dis qu’il y a un loup dans la combine :

Je m’aperçois que les vieux se taisent, ne parlent pas. Et comme ils ont fait le trajet avant, ils devraient nous donner le mode d’emploi pour l’avenir, mais rien ! Ils sont vaincus. Alors, je sens qu’il ne faut surtout pas s’adapter à ce qui existe mais créer ce qui vous convient ».

 

Nous ne vivons pas dans un pays en guerre.

 

Jusqu’à maintenant, si l’on excepte le chômage,  certains attentats et les faits divers, nous avons obtenu une certaine sécurité. Nous ne vivons pas dans un pays en guerre. Même si, régulièrement, on nous parle « d’embrasement » des banlieues, « d’insécurité » et «  d’ensauvagement » de la France. En tant que citoyens, nous n’avons pas à fournir un effort de guerre en dehors du territoire ou à donner notre vie dans une armée. En contrepartie, nous sommes une majorité à avoir accepté et à accepter  certaines conditions de vie et de travail. Plusieurs de ces conditions de vie et de travail sont discutables voire insupportables.

Face à cela, certaines personnes développent un instinct de survie légal ou illégal. D’autres s’auto-détruisent ( par les addictions par exemple mais aussi par les accidents du travail, les maladies professionnelles ou les troubles psychosomatiques). D’autres prennent sur eux et se musèlent par Devoir….jusqu’à ce que cela devienne impossible de prendre sur soi. Que ce soit dans les banlieues. Dans certaines catégories socio-professionnelles. Ou au travers des gilets jaunes.  

 

Et, on en revient à la toute première phrase du livre de Kersauson.

 

Le plaisir est ma seule ambition

 

J’ai encore du mal à admettre que cette première phrase est/soit peut-être la plus importante du livre. Sans doute parce-que je reste moins libre que Kersauson, et d’autres, question plaisir.

 

Plus loin, Kersauson explicite aussi la nécessité de l’engagement et du Devoir. Car c’est aussi un homme d’engagement et de Devoir.

 

Mais mettre le plaisir au premier plan, ça délimite les Mondes, les êtres, leur fonction et leur rôle.

 

Parce- qu’il y a celles et ceux qui s’en remettent au mérite – comme certaines religions, certaines éducations et certaines institutions nous y entraînent et nous habituent- et qui sont prêts à accepter bien des sacrifices. Sacrifices qui peuvent se révéler vains. Parce que l’on peut être persévérant (e ) et méritant ( e) et se faire arnaquer. Moralement. Physiquement. Economiquement. Affectivement. C’est l’histoire assez répétée, encore toute récente, par exemple, des soignants comme on l’a vu pendant l’épidémie du Covid. Ainsi que l’histoire d’autres professions et de bien des gens qui endurent. Qui prennent sur eux. Qui croient en une Justice divine, étatique ou politique qui va les récompenser à la hauteur de leurs efforts et de leurs espoirs.

 

Mais c’est aussi l’histoire répétée de ces spectateurs chevronnés que nous sommes tous plus ou moins de notre propre vie. Une vie que nous recherchons par écrans interposés ou à travers celle des autres. Au lieu d’agir. Il faut se rappeler que nous sommes dans une société de loisirs. Le loisir, c’est différent du plaisir.

 

Le loisir, c’est différent du plaisir

 

 

Le loisir, ça peut être la pause-pipi, la pause-cigarette ou le jour de formation qui sont accordés parce-que ça permet ensuite à l’employé de continuer d’accepter des conditions de travail inacceptables.

 

Ça peut aussi consister à laisser le conjoint ou la conjointe sortir avec ses amis ou ses amies pour pouvoir mieux continuer de lui imposer notre passivité et notre mauvaise humeur résiduelle.

 

C’est les congés payés que l’on donne pour que les citoyens se changent les idées avant la rentrée où ils vont se faire imposer, imploser et contrôler plus durement. Bien des personnes qui se prendront une amende pour consommation de cannabis seront aussi des personnes adultes et responsables au casier judiciaire vierge, insérées socialement, payant leurs impôts et effectuant leur travail correctement. Se contenter de les matraquer à coups d’amende en cas de consommation de cannabis ne va pas les inciter à arrêter d’en consommer. Ou alors, elles se reporteront peut-être sur d’autres addictions plus autorisées et plus légales (alcool et médicaments par exemple….).

 

Le plaisir, c’est l’intégralité d’un moment, d’une expérience comme d’une rencontre. Cela a à voir avec le libre-arbitre. Et non avec sa version fantasmée, rabotée, autorisée ou diluée.

 

Il faut des moments de loisirs, bien-sûr. On envoie bien nos enfants au centre de loisirs. Et on peut y connaître des plaisirs.

 

Mais dire et affirmer «  Le plaisir est ma seule ambition », cela signifie qu’à un moment donné, on est une personne libre. On dépend alors très peu d’un gouvernement, d’un parti politique, d’une religion, d’une éducation, d’un supérieur hiérarchique. Il n’y a, alors, pas grand monde au dessus de nous. Il s’agit alors de s’adresser à nous en conséquence. Faute de quoi, notre histoire se terminera. Et chacun partira de son côté dans le meilleur des cas.

 

Page 121 :

 

« Je suis indifférent aux félicitations. C’est une force ».

 

Page 124 :

 

« Nos contemporains n’ont plus le temps de penser (….) Ils se sont inventé des vies monstrueuses dont ils sont responsables-partiellement ». Olivier de Kersauson.

 

 

Article de Franck Unimon, mercredi 2 septembre 2020.

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Echos Statiques

Refaire le match

 

Refaire le match

 

Le match et son enjeu sportif me sont totalement passés au dessus de la tête. J’étais au travail lorsqu’il a eu lieu. Mais j’aurais néanmoins pu en voir des images. Aujourd’hui, nous avons tout ce qu’il faut à notre disposition pour faire le plein d’images. Il n’y a rien de plus facile que de trouver un réservoir à images en accès libre et illimité.

 

Lorsque mon collègue médecin a eu fini de regarder le match, je n’ai même pas pensé à lui en parler. J’étais concentré sur ma lecture du livre de Kersauson, Le Monde comme il me parle. Tout en me postant à un endroit stratégique pour repérer l’adolescent qui viendrait éventuellement se présenter devant la porte de la chambre de sa dulcinée.

 

On peut avoir des idées suicidaires,  des pensées et des humeurs incertaines entre la psychose et la névrose, un trauma personnel, se scarifier quelques fois et avoir une libido en bonne et due forme. Comme connaître des moments d’appartenance à l’adolescence la plus frondeuse et la plus insouciante. C’est la vie.

 

Mais c’est aussi notre responsabilité d’adultes et de soignants de nous assurer que le service ne se confonde pas avec un foyer où se pratiquerait la fécondation in vivo. Nous pourrions être bien embarrassés si, un jour, une adolescente quittait le service en étant enceinte de quelques semaines ou de plusieurs jours.

 

Ce serait dommage d’attraper un torticolis

 

J’ai vu les images du résultat du match le lendemain matin. Du match de Foot Bayern de Munich contre le PSG de Neymar et M’Bappé. Je ne parle pas ici du match sportif qui oppose spermatozoïdes et ovocytes. 

 

C’était pendant ma séance de kiné.

Mon kiné a vu que j’étais happé par les images qui ont suivi le résultat du match ainsi que par les commentaires sur Cnews.  Il m’a alors proposé de m’installer en face de la télé. Il m’a dit :

« Ce serait dommage que vous attrapiez un torticolis. Et que je vous soigne ensuite pour un torticolis».

Le sensationnel et le répétitif

 

Je pense beaucoup de mal de cette télé allumée en permanence dans cette grande salle de rééducation Open space. D’autant qu’elle est braquée sur la chaine Cnews qui fait beaucoup dans le sensationnel et le répétitif. Le sensationnel angoissant. Même s’il sort de ce que je vois de cette chaîne de télé une certaine vérité, elle prend les événements d’une telle façon que son traitement de l’info agit comme un tord-boyaux :

 

Diarrhée et pensées suspectes vous encombrent après l’avoir regardée. Parce-que vous avez peur ou êtes en colère.

Beaucoup est fait sur cette chaine pour avoir peur ou être en colère. Pour donner la part belle à tout ce qui peut faire peur ou mettre en colère.

 

Une chaine de télé commotionnelle

 

«  La peur fait vendre » ai-je lu récemment. Il suffit de regarder Cnews pour en avoir une idée. On dira que je la considère comme une chaine commotionnelle.

 

C’est plutôt particulier, dans un cabinet de kiné où l’on s’occupe de rééducation, d’avoir choisi de planter Cnews , chaine commotionnelle, presque constamment.

 

Cependant, Cnews m’a permis ce matin-là de découvrir des images que, sans doute, la majorité des autres patients, soit chez eux, soit sur leur téléphone portable toujours allumé pendant leur séance, avaient déjà vues.

 

Je n’ai pas la télé. Et si je l’avais, je ne regarderais pas les « informations ».

Après avoir regardé les « informations » chez mes parents pendant des années, j’en suis arrivé à me convaincre que le but des « informations » est souvent de faire peur, d’inquiéter ou de mettre en colère. Il se trouve très peu de recul et de perspective dans le journal des « informations ». La priorité semble être de fournir régulièrement des « nouvelles » qui créent un malaise, un suspense, du sensationnel. Pas de faire évoluer les mentalités. Pas d’apprendre aux gens à relativiser, à nuancer ou à mieux comprendre les événements exposés.

 

Les journaux d’informations ne préparent pas à la vie

 

 On a compris : pour moi, bien des journaux d’informations ne préparent pas à la vie. Ils préparent plutôt aux anxiolytiques et aux antidépresseurs, aux guerres et à l’armement (toutes sortes d’armements et toutes sortes de guerres) comme à la méfiance voire au racisme envers ses contemporains. Et je regarderais donc des journaux d’informations, certains journaux d’informations, (et d’intimidation) pour ça ?!

Des images de casse près des Champs Elysées

 

J’ai donc « vu » ces images de casse près des Champs Elysées. J’ai entendu certaines réactions. De Michel Onfray, le philosophe médiatique, qui constate que le gouvernement passe à tabac les gilets jaunes lorsque ceux-ci manifestent. Mais qu’il laisse faire lorsque des délinquants cassent. Parce-que le gouvernement a «  peur ». Et, de ce fait, la situation empire.

 

Sur le plateau de télé de CNews, j’ai perçu le même élan et les mêmes remontrances, en général, envers le gouvernement. Celui-ci est trop mou et trop complaisant envers «  la racaille ». D’autres parlent « d’ensauvagement ». De « sauvageons ». Une autre personne a parlé, aussi, de certains jeunes « issus de l’immigration ». Une autre personne encore, qui représentait- évidemment- le Rassemblement National ( ex- Front National) a mis cette violence sur le compte d’une immigration trop importante et mal contrôlée.

 

Les images montrées et remontrées de jeunes qui cassent des voitures. De jeunes qui se filment. De jeunes qui, fièrement, se montrent défiant l’Autorité et, sans doute, la République française, sont éloquentes.

 

Plainte pour « non assistance à personnes en danger »

 

Les témoignages de victimes (voitures cassées, vitrines de magasins brisées), sont tout autant incontestables. De même que leur grand sentiment de vulnérabilité, de colère et d’impuissance. Dans le 8ème arrondissement de Paris, je crois, plainte a été déposée contre l’Etat pour « non assistance à personnes en danger ».

 

Débat sur Cnews

 

Sur CNews, une certaine majorité des intervenants, le journaliste animateur en tête, estime qu’il faut réprimer. Qu’il faut une tolérance zéro. Qu’il n’y a qu’en France qu’on laisse faire ça ! Qu’il existe un sentiment d’impunité chez ces « racailles ». l’Etat  français est responsable de ce sentiment d’impunité des « racailles ». l’Etat français ne fait rien parce-qu’il a « peur » ! Peur d’une bavure policière.  l’Etat français veut ou croit acheter la « paix sociale » en laissant faire ces « casseurs » !

 

Tout en faisant ma rééducation, j’ai écouté et regardé ça, en veillant à ne pas me faire mal. A bien expirer lors de l’effort. A bien respirer. Je n’ai eu, alors, aucun avis particulier en prime abord. Cela fait des années que nous assistons à des scènes de violence en France. Cela fait des années que l’on parle de « racailles » et de « sauvageons ». Il y a des saisons où on en parle davantage. Ainsi que des événements qui forcent le passage vers la première place des sujets traités dans les média.

 

Désolé pour les victimes

Je suis évidemment désolé pour toutes les victimes directes ou indirectes de ces accès de violence.  Je ne vais pas non plus « excuser » toute cette casse. Mais lorsque je dis ça, je redis ce qui a déjà été dit depuis des années. Et ce que certains média se sont presque déja engagés à répéter lors des siècles suivants. Avant cela, dans 50 ans, devant certaines manifestations de violence, des média et des citoyens réclameront aussi encore plus de répression.

Plus de répression :

Certaines personnes considèrent qu’il faudrait plus de répression pour réduire ou éteindre ces accès de violence comme ceux qui ont suivi le match de Foot Bayern de Munich/ Le PSG.

 

Il faut bien-sûr une certaine répression. Si une personne casse, agresse, tue ou vole, la Loi doit pouvoir le freiner. Pour commencer. Ce qui signifie quand même répondre à la violence par une autre violence. La violence de l’Etat supposée être « bonne », « équitable »…et démocratique. Ce qui peut déjà faire un peu ricaner car on peut être un citoyen honnête au casier judiciaire vierge et irréprochable. Et avoir des doutes sur l’Etat français « bon », « équitable » et « démocratique ». Mais on s’en accommode assez facilement parce-que l’on sait aussi que dans d’autres pays, c’est pire. Ou que  ça peut être pire.

 

Il y a des Etats bien plus limités que l’Etat français lorsque l’on parle de « bonté », « d’équité » et de «démocratie ».

Je préfère vivre en France qu’en Afrique du Sud par exemple. Et je me rappelle encore d’un camarade de fac qui m’avait fait comprendre que lors d’un séjour aux Etats-Unis, autant, lui, pourrait passer facilement dans certains Etats parce qu’il était blanc. Autant, pour moi, ça pourrait se gâter parce-que je suis noir. Or, la police des Etats-Unis est selon moi plus frontale et bien plus agressive que la police française. Même sans homicide.

Une de mes copines de Fac, une belle eurasienne plutôt tranquille, m’avait raconté l’interpellation qu’elle et son copain (blanc) avaient connus aux Etats-Unis. Alors qu’ils visitaient en voiture….un parc national. Ils avaient eu droit à l’interpellation comme «  dans les films ». Mains sur le capot etc….Tout ça juste pour un contrôle de papiers.

Il y a quelques mois, un ami a fait un périple en voiture aux Etats-Unis avec un de ses fils. Il a pris la route du Blues. Un très beau séjour de plusieurs mois au cours duquel il a pu prendre de très belles photos. Cela a été plus fort que moi pendant son périple. Je me suis demandé si, moi, homme noir, j’aurais pu faire le même périple aux Etats-Unis. Sans connaître certains désagréments « causés » par ma seule couleur de peau. Je reste persuadé que j’aurais connu quelques difficultés à certains endroits.

L’Aveuglement

 

Ce qui m’ennuie avec la répression réclamée par ces personnes si sûres d’elles qu’elles se contentent de s’exprimer sur un plateau de télé ou à travers des média, c’est que la répression est aveugle. A l’aveuglement de ces personnes qui réclament plus de répression, correspond l’aveuglement de la répression.

 

Lorsque l’on devient une machine à répression, on ne fait plus dans le détail. Tout ce qui dépasse ou n’est pas dans les cases ou dans le protocole est bon pour la matraque, le clé de bras, les gaz lacrymogènes, le plaquage au sol ou le cercueil.

 

On tape d’abord. On réfléchit peut-être ensuite.

 

Il y a des fois où c’est bien-sûr comme ça qu’il faut agir. Et d’autres fois où ça sera inadéquat de réprimer pour réprimer.

 

 

Réprimer pour faire respecter la Loi dans l’instant, Oui. Tu casses une voiture, un endroit ou une personne, il est normal qu’on t’arrête. Si tu veux casser selon les règles, tu t’en prends à quelqu’un qui est prévenu, qui est d’accord pour te combattre, et, éventuellement, pour te casser aussi. Parce qu’il sait et peut se défendre. Si tu t’en prends à ton égal en matière de violence, cela peut être acceptable. Par contre, dans le cas de figure, où, en société, tu t’en prends à plus vulnérable que toi, il est normal que la Loi te reprenne. Parce-que nous sommes dans une démocratie. Et d’autres ajouteraient : Parce-que nous sommes dans une république et entre personnes civilisées.

 

Donc, au départ, réprimer des casseurs est justifié. Sauf qu’au sein des casseurs, les profils sont différents.

 

D’abord, il faudrait parler de l’effet de groupe.

 

L’effet de groupe

 

On peut parler de « racailles », de « sauvageons » et « d’ensauvagement » si on veut. Mais c’est selon moi très insuffisant. Il faut parler de l’effet de groupe. Je serais très curieux de savoir comment se comportent ces casseurs que nous avons aperçus à la télé dans la vie de tous les jours. Et lorsqu’ils sont seuls. On ne le saura jamais avec exactitude. Mais je m’attends à certaines surprises.

 

D’abord, on va parler des casseurs pour lesquels il est déjà « trop tard » pour espérer les réinsérer. Qu’ils soient meneurs dans la casse ou suiveurs.

 

Je vais rappeler ce que l’on sait déjà et qui, pourtant, est souvent oublié dans certains média depuis des dizaines d’années. Vous allez voir le scoop !

 

On ne naît pas casseur. On ne naît pas racaille. Et on ne naît pas violent sur la place publique. Je ne crois pas que beaucoup de parents aient dit de leur enfant délinquant :

« Dès sa naissance, déjà, il cassait tout dans son berceau  ! ».

 

Lorsque Simone de Beauvoir écrit «  On ne naît pas femme, on le devient », encore aujourd’hui, on trouve ça très sensé. Et on opine plutôt facilement de la tête. Mais, étonnamment, on n’applique pas ce raisonnement pour la « racaille » et les « casseurs ».

 

Les casseurs « endurcis »

 

Ceci pour dire que cela prend un certain temps pour devenir un « casseur » et une « racaille ». Quelques années. Et lors de ces manifestations de violence comme ce week-end, certains de ces casseurs sont déjà beaucoup trop engagés dans la violence.  Et leurs capacités d’insertion dans la société sont devenues proportionnellement si restreintes que les réprimer aura pour effet de les stopper provisoirement. Puis, de contribuer, comme une sorte de retour de flammes, à les radicaliser et à les enrager davantage contre la société.

 

Ces casseurs  » endurcis » ne sont pas seulement engagés dans la violence. Leur réputation au sein du groupe auquel ils se réfèrent et auquel ils appartiennent est aussi engagée. Avoir une réputation de «dur » au sein de certains groupes, c’est beaucoup plus valorisant et porteur que d’être celui ou celui sur qui tout le monde peut pisser et cracher. Et c’est aussi plus valorisant et porteur d’avoir une réputation de dur que d’aller pointer à Pole Emploi si l’on est sans travail. Ou si l’on a du mal à en trouver.

 

Ça peut aussi être plus valorisant et plus porteur d’avoir un CV de « dur » que d’accepter un emploi où l’on est en bas de l’échelle sociale et que l’on vous donne des ordres. C’est également plus valorisant d’être connu comme étant «  un dur »  que d’accepter de faire un travail où l’on s’ennuie.

 

Dans la vie de tous les jours, celles et ceux qui sont Rock and roll attirent les regards et le désir même s’ils s’attirent aussi des ennuis avec la justice et la santé. A côté, celles et ceux qui respectent toutes les lois, qui sont toujours « gentils » et « polis », apparaissent souvent fades. On les « aime bien » mais on ne recherche pas auprès d’eux le grand frisson….

 

 

Ces casseurs « endurcis » voire « émérites », au pire, seront des futurs candidats pour toutes sortes de délinquances, le grand banditisme ou le terrorisme. Au « mieux », ce seront des futurs dépressifs, des futurs alcooliques, des futurs toxicomanes (s’ils ne le sont pas déjà) ou de futurs suicidés.  Quand leur violence, qui leur sert  de bouclier et d’élan vital, s’effritera en se frottant de trop près à l’impuissance.

 

Quelques uns de ces casseurs « endurcis » peuvent s’en tirer, faire repentance et monter l’échelle sociale. Par exemple dans le milieu artistique et culturel. Ou peut-être en montant un commerce qui marche bien.  En se convertissant à une religion. En trouvant un emploi pérenne. Et ils peuvent être cités en exemple. Comme susciter beaucoup d’attirance au sein du « système » car ils ou elles sont hors norme. Ils ou elles sont si « spéciaux ». Ils sont revenus de tout. 

 

Mais pour des exceptions comme eux, combien de futurs braqueurs ? De futurs terroristes ? De futurs dépressifs ? De futurs macchabées  après une overdose, à la suite d’un accident de la route ou un règlement de comptes qui a mal tourné ?

 Ces chiffres-là, si on les connaît, on n’en veut pas sur la place publique. Parce-que l’on a « besoin » de « racailles », de « sauvageons » et « d’ensauvagement » pour s’enivrer de sensationnel. C’est presque aussi bon que la cocaïne et c’est légal.

 

C’est aussi pratique d’avoir des « sauvageons » et de la « racaille » pour pratiquer une certaine politique. Sur le plateau de Cnews, mais il n’était pas le seul, le représentant du Rassemblement National a été particulièrement bon élève pour réciter ses éléments de langage. Il avait très bien assimilé ses fiches mémo-techniques.   

 

Un effet paradoxal :

 

 

Réprimer et seulement réprimer ces casseurs « endurcis » a un effet paradoxal. Il faut bien-sûr les réprimer et les arrêter. Mais seulement et toujours les réprimer aura pour effet de les renforcer dans leurs accès de violence.

 

 C’est un travail très difficile d’accrocher humainement avec une personne violente. De croire en elle et de lui proposer des perspectives qui pourront, peut-être, après plusieurs années, lui permettre de préférer la vie en société à la violence. Il faut prendre le temps d’apprendre à la connaître. Avoir suffisamment de patience, d’empathie voire de sympathie pour elle malgré ce qu’elle a pu faire. Malgré ses limites, ses impatiences et ses moments de violence.

 

Il est sûrement beaucoup plus facile, et plus rapide, par contre, de parler sur un plateau de télé, ou ailleurs, et d’affirmer qu’il faut plus de répression. De la même façon qu’il y a des endurcis et des récidivistes de la « casse » et de la « violence », en face, il y a aussi des endurcis et des récidivistes qui exigent constamment « plus de répression ».

 

On voit la suite : l’escalade de part et d’autre. Plus de violence d’un côté et plus de répression de l’autre.

 

Mais il est vrai que certains casseurs endurcis sont sans doute déjà perdus pour la vie « normale » quoiqu’on puisse leur proposer. Parce-que c’est trop tard. Lorsqu’ils faisaient moins de bruit, moins de dégâts, et qu’ils étaient encore « récupérables », c’était là qu’il aurait fallu tenter de les aider à sortir d’une certaine violence.

 

Vorace :

 

 

Je le rappelle : je suis pour une certaine répression. Mais pas pour une répression totale comme semblent le réclamer et le fantasmer certaines personnes qui, à mon avis, déchanteraient si elles avaient à vivre dans la dictature qu’elles demandent à demi mot. Parce-que la répression que ces personnes exigent est vorace. Elle s’étendrait, aussi, à un moment ou à un autre, à des honnêtes citoyens. Car après l’avoir utilisée contre les « sauvageons » et les «  racailles », certaines de ses pratiques ayant fait leurs « preuves », il se trouverait et se trouveront des sensibilités et un certain Pouvoir pour les appliquer à une nouvelle catégorie de personnes. Mais avant d’en arriver là, il faudra d’abord en « finir » avec les casseurs.

 

 

Les casseurs « opportunistes » ou de passage :

 

Ce paragraphe me sera sûrement reproché. Car on aura peut-être –encore- le sentiment ou la conviction, en le lisant, que je cautionne les manifestations violentes récentes. Alors que je condamne ces violences. Mais voici ce que je crois :

On dit bien, « il faut que jeunesse se passe ». Ou «  Il faut que jeunesse se fasse ». On pourrait ironiser en écrivant :

 

«  Il faut plutôt que certaines jeunesses se cassent » ou « Il faut que certaines jeunesses se tassent ».

 

Il y a sûrement des personnes d’un âge adulte assez avancé (25-30 ans) parmi ces casseurs que l’on a aperçus dans ces quelques images montrées sur Cnews et ailleurs.

 

Mais je crois plutôt à des jeunes dont l’âge moyen se situe autour des 25 ans au maximum. Contrairement à la moyenne d’âge des gilets jaunes probablement plus élevée. Cependant, je n’ai pas de preuves. Je n’étais pas avec ces jeunes au moment des faits. Je ne les connais pas. Et je n’en n’ai rencontré aucun.

 

Mais j’ai été jeune. Je travaille avec des jeunes. Cela ne fait bien-sûr pas du tout  de moi la personne la plus efficiente. Cela ne fait pas non plus de moi un modèle d’ouverture et de sagesse.  Je peux être très rigide. Je ne suis pas toujours la personne la mieux inspirée au travail comme avec ma propre fille pour commencer.

 

Mais me rappeler encore un peu de ma jeunesse et travailler avec des jeunes me permet ou « m’aide» à revoir certaines particularités de cette période de vie comprise entre, disons, 14 et 25 ans. Parce que la rencontre, dans mon travail,  de jeunes différents, filles comme garçons, de milieux sociaux et de cultures variées, aux comportements divers, dans un certain nombre de circonstances me donne aussi des indices. Et entretient peut-être une certaine mémoire.

 

Une certaine mémoire d’une certaine « jeunesse »

 

Je « sais » ou me souviens que dans cette fourchette d’âge comprise entre 14 et 25 ans, pour schématiser, alors que se rapproche l’âge adulte, on  a peur.

 

Individuellement, on a peur de ne pas être à la hauteur de certaines responsabilités qui nous attendent. Quel que soit le profil que l’on a. Que l’on soit d’un bon milieu social ou non. Que l’on soit un bon élève ou non. Et notre norme de pensée de référence, c’est plutôt celle du groupe. Celle des copines et des copains de notre âge. Pas celle des adultes. Puisque l’on est adolescent ou jeune adulte. A moins, bien-sûr, d’avoir un adulte de référence, parent, éducateur ou autre. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et cet adulte de référence n’est pas toujours présent. Et on ne lui dit pas tout non plus. Lorsque vous étiez plus jeunes (je m’adresse principalement aux adultes de plus de trente ans qui liront cet article) vous avez raconté, vous, à un adulte ? :

 

« Aujourd’hui, j’ai commencé à me masturber ». « Hier, j’ai fumé un joint ». « J’ai couché avec untel ».

« L’autre jour, je suis allé voler dans un supermarché. Personne ne m’a attrapé ».

 

On fait des conneries. Certaines plus graves que d’autres. Et, en groupe, cela s’amplifie. Cela est d’ailleurs vrai même pour les adultes. Même s’il s’agit d’autres sortes de conneries moins visibles sur la place publique qu’une casse de voitures dans une rue près des Champs Elysées.

 

Parmi les jeunes casseurs « opportunistes » ou de « passage », il doit bien s’en trouver quelques uns qui ont cassé ce week-end pour faire comme les copains.

Pour être avec les copains.  Pour kiffer. Pour se sentir très forts. Sans réfléchir aux conséquences. Et le reste du temps, ces mêmes jeunes casseurs « opportunistes » ou de « passage »  sont plutôt tranquilles. Ce sont peut-être des jeunes bien élevés et de « bonne famille ». Qui sont bons à l’école ou en sport. Ou qui pourraient être bons.

 Il ne s’agit pas d’une attitude réfléchie de leur part. Je ne pense pas que ces jeunes, casseurs opportunistes ou de passage, se soient dit :

« Je suis un bon élève en classe. Mon casier judiciaire est vierge. Je suis un jeune sans problèmes. Tout le monde me connaît et j’ai une bonne cote. C’est bon, j’ai une très bonne couverture. Je peux aller casser quelques voitures et quelques vitrines de magasins avec les copains. On ne pourra pas me retrouver. Il ne m’arrivera rien ».

Quelques uns de ces jeunes «  bien sous tous rapports » ont peut-être eu ce raisonnement très calculateur mais ils sont à mon avis une minorité.

 

Le piège du tout répressif

 

Le « piège », avec ce tout répressif demandé par certaines personnes est qu’il suffit que ces jeunes casseurs opportunistes ou de passage assistent à une bavure ou soient victimes d’une bavure pour que cela se passe très mal ensuite. On dira :

« Ils n’avaient pas  à être là à tout casser. Tant pis pour eux ! Et les victimes de leurs comportements, vous pensez aux victimes de leurs comportements ?! ».

 

Oui, je pense aux victimes de leurs comportements. A celles et ceux qui n’ont rien demandé et qui se sont trouvées sur leur passage. Des personnes, d’ailleurs,  ( les victimes) qui pourraient autant faire partie des patients que mes collègues et moi rencontrons…. comme certains de ces jeunes casseurs ou agresseurs.

Un casseur de passage ou opportuniste qui est le témoin direct d’une bavure ou qui en est victime du fait d’une répression jusque-boutiste peut se radicaliser. Et il peut devenir un violent d’un autre type. Du type plus persistant. Du genre politisé tendance extrémiste ou terroriste. 

 

A l’inverse, un casseur de passage ou opportuniste, peut, aussi, passée une certaine période, de lui-même, ou après avoir été interpellé, se retirer de ce genre de manifestation violente. Parce qu’il a compris la « leçon » et la sanction. Parce qu’il a compris de lui-même que la violence était allée trop loin du côté de ses copains.

Parce qu’il a d’autres projets et d’autres intérêts dans l’existence. Et qu’il a les moyens de les réaliser.

 

Cependant, il y a aussi parmi ces casseurs, endurcis ou de passage, des personnes qui sont soit des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal à se déterminer d’un point de vue identitaire.

 

Des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal à se déterminer d’un point de vue identitaire

 

Sur CNews et ailleurs, il y a eu un fait qui s’est à nouveau répété et qui se répète depuis des années voire depuis plusieurs générations sur les plateaux de télé et dans certains média. Je ne sais pas si je suis obsédé par cette observation.  Sûrement. Mais je crois que ce fait  change, aussi, un peu, la façon de voir les événements. Parce-que, je peux être très satisfait de mon analyse et me tromper totalement. Mais si mon analyse est juste, je n’ai aucun mérite. Parce-que j’écris, je crois, des évidences qui sont pourtant souvent absentes de certains plateaux télé comme de certains média lorsque l’on parle de certains faits de violence dus à des jeunes ou à certains jeunes « issus de l’immigration ».

 

Sur le plateau de Cnews, lors du « débat » concernant les faits de violence de la veille, une majorité de blancs, femmes comme hommes. Bien-sûr, on peut être blanc et être très ouvert à l’autre. Comme on peut être noir et être raciste et très étroit d’esprit.

 

Alors, je continue : je me demande lesquels, parmi ces intervenants lors de ce débat sur Cnews, et dans quelles proportions, étaient issus d’un milieu social modeste ou défavorisé ? Ou, tout simplement:

Lesquels,  parmi ces intervenantes et intervenants, et dans quelles proportions, et combien de temps, avaient grandi dans une cité ou un quartier équivalent où la réputation d’être « un dur » (ou « une dure ») est plus gratifiant que d’avoir de bonnes notes à l’école ou d’être calme et sans histoires ?

 

Je me répète : je n’approuve pas ces actes de violence qui ont suivi le match Bayern de Munich/ Le PSG. Et, plus jeune, je n’aurais pas fait partie des casseurs parce qu’à cette heure-là, j’aurais été chez mes parents. Soit couché. Soit en train de faire mes devoirs ou en train de lire. Quoiqu’il en soit, mes parents ne m’auraient pas permis, même à 18 ans, d’aller sur les Champs Elysées après la fin d’un match de Foot. On pourra dire que j’ai eu une bonne éducation. Je ne suis pourtant pas persuadé qu’avoir une éducation très sécuritaire, et parfois très enfermée, comme celle que j’ai pu avoir, ait toujours été une éducation appropriée me préparant toujours au mieux pour ma vie d’adulte. Mais ce qui est certain, c’est qu’en pratique, en étant chez mes parents à « l’heure des poules », je n’aurais pas pu faire partie des casseurs de ce dimanche soir. Il y a pourtant sûrement eu un certain nombre de jeunes sortis dimanche soir, et d’autres soirs, « issus de l’immigration » ou non, qui n’ont rien cassé du tout. Mais, comme souvent, on parle, on parlera et on reparlera de celles et ceux qui cassent et agressent.

 

Je suppose que ceux qui ont cassé dimanche soir, pour les plus actifs et les plus meneurs, sont ordinairement des individus de « seconde zone ». Des individus que l’on ne voit pas. Ou, en tout cas, que l’on ne voit pas lorsqu’ils sortent de chez eux : lorsqu’ils sortent de leur quartier. Lorsque l’on y regarde bien, il y a aussi quelque chose de très triste et d’assez pathétique dans cette jeunesse qui a cassé ce dimanche soir :

 

Pour s’illustrer et se faire remarquer (j’ai aperçu quelques jeunes filmant l’action avec leur téléphone portable) ils en sont réduits à tout casser. Si les dégâts qu’ils ont causés sont bien sûr un  grave préjudice pour leurs victimes, ils s’occasionnent au passage un préjudice dont ils ignorent sûrement certaines conséquences. Ils se coupent un peu plus de la société. Et, s’ils ont été victimes eux-mêmes ou se sentent victimes, de façon légitime ou non, de la société française, on les enferme et on les enfermera uniquement désormais dans la case des « sauvageons » et de «  la racaille ».

 

 Avant de les enfermer en prison.

 

 

Une prison identitaire

 

Surtout qu’il y a sûrement une prison dans laquelle se trouve en partie, ou beaucoup, certains de ces jeunes casseurs de ce dimanche soir et d’autres fois. La prison identitaire.

 

Lorsque l’on est enclavé entre deux directions identitaires apparemment incompatibles, l’une française et l’autre étrangère, entre l’enfance et l’âge adulte, entre la réussite personnelle et sociale et le sentiment d’échec ou d’errance, on peut soit déprimer et s’effondrer. Soit parvenir à se maintenir la tête hors de l’eau par différents moyens. Soit exploser. Et casser.

 

Et, face à cela, certains affirment qu’il faut…. plus de répression. Répression. Ce mot là les fait rêver. On dirait que ce mot est tout pour eux. On va « juste » réprimer et tout va aller mieux ensuite.

 

D’un autre côté, être jeune et être déjà prisonnier d’une réputation de « sauvageon » et de « racaille», c’est quand même plus décourageant et plus handicapant que d’être perçu comme « un espoir » ou un « prodige ». Même si les jeunes qualifiés de « racailles » et de « sauvageons » vont affirmer fièrement, devant les copains, qu’ils s’en battent les couilles ou se marrer.

Parce qu’une fois que l’on a fini de tout casser, avec les copains, que l’on s’est bien défoulé, ou amusé à le faire, et que l’on a remporté quelques trophées, l’ordinaire du quotidien nous reprend. Et casser plus de voitures et de vitrines de magasins ne changera rien, au fond, à la vie qui nous effraie et qui nous frustre. Même en volant quantité d’objets. Même en suscitant l’admiration ou la crainte dans notre entourage direct. On finira bien par s’en apercevoir un jour ou l’autre. Qu’il y ait la répression de la police et de la justice ou non.

 

Une casse d’autant plus mal perçue d’un point de vue moral

 

Mais ce qu’une partie des citoyens « veut », c’est des résultats immédiats. Je le comprends : je n’aurais pas aimé retrouver  la vitrine de mon magasin éclatée en mille morceaux. Je n’aurais pas aimé être agressé physiquement par plusieurs personnes.

 

En plus, les conséquences économiques du Covid-19, que l’on appelle de plus en plus « La » Covid, comme si ce virus était hermaphrodite ( on va bientôt apprendre que ce virus a été finalement transmis par des escargots) ont rendu toute cette casse d’autant plus « sensible » d’un point de vue moral :

 

On considère sûrement ces jeunes casseurs comme d’autant plus irresponsables alors que l’on « sait» que la pandémie du Covid-19 a mis des gens au chômage ; va en mettre d’autres au chômage ; Et avoir d’autres effets catastrophiques à court et à moyen terme sur l’ensemble de la société.

 

Ces jeunes casseurs ne se sentent pas concernés a priori par tout ça du fait, en partie, de leur insouciance (ça va avec leur âge). Mais peut-être aussi parce qu’ils n’ont rien à perdre. Ou parce qu’à peine adultes, ils ont déjà tout perdu ou à peu près tout perdu. Ou qu’ils se considèrent déjà comme exclus de la société française et de la société des adultes travailleurs.

 

Mais ce genre de considérations est secondaire pour les adeptes de la répression car l’urgence est à l’ordre. Et, pour que la répression soit active, il faut d’abord que la police intervienne et ait les moyens d’intervenir au lieu de laisser faire «  la racaille » et «  les sauvageons ».

 

La police

 

Je n’aimerais pas être agent de la paix en 2020 dans les zones urbaines où des affrontements fréquents ont lieu entre certains jeunes et les forces de l’ordre.

 

Résumer la police à une meute de racistes et d’incapables revient au même, pour moi, que résumer des jeunes « issus de l’immigration » à des sauvageons et à de la racaille.

 

Il y a des racistes, des incapables ainsi que des casseurs dans la police. De même qu’il y a des erreurs médicales à l’hôpital. Ou des erreurs de jugement. Cela ne signifie pas que tous les policiers sont des incapables, des casseurs et des racistes. Et qu’il n y a que des erreurs médicales et du personnel médical et paramédical incompétent et des juges dilettantes.

 

 

Je n’aimerais pas être agent de la paix en 2020 parce-que si certains jeunes sont entravés entre deux directions de vie apparemment inconciliables, bien des policiers se sentent  sûrement certaines fois en contradiction avec certaines de leurs valeurs lorsqu’ils doivent exécuter certaines directives.

 

Faire peur :

 

On répète que la police ne fait plus peur. Qu’elle puisse et sache se faire respecter, c’est nécessaire. Mais je trouve ça étonnant que l’on attende avant tout de la police qu’elle fasse principalement peur. Voire qu’elle ne puisse faire que ça. Inspirer de la peur. 

 

Si la police n’inspirait que de la peur, nous vivrions sous  un autre régime politique. Même le citoyen lambda et innocent la fuirait. Croiser une voiture de police sur la route alors que l’on conduit en respectant scrupuleusement le code de la route nous donnerait des palpitations.  Il suffirait qu’un policier ou une policière nous regarde pour avoir aussitôt le sentiment d’être indigne d’exister.  En nous rendant à un commissariat pour déclarer que la vitre avant de notre voiture a été cassée et le vol de certains objets, nous n’aurions qu’à acquiescer sans reprendre ou contredire l’agent de police si celui-ci a mal compris nos propos.

 

Une police qui fait peur est aussi une police qui compterait plus d’agents qui pourraient se permettre à peu près n’importe quoi.

 

Avoir du Pouvoir, en particulier celui d’intimider et de commander, inspire quand même à quelques personnes une certaine ivresse des grandeurs.  Ainsi qu’ une certaine paresse de la réflexion et de l’autocritique. Cela peut venir très rapidement lorsque l’on voit certaines femmes et hommes politiques dès qu’ils accèdent au Pouvoir. Ou, plus simplement, certaines personnes qui deviennent cadres au sein d’une entreprise tandis que leurs collègues sont restés de « simples » employés.

Alors, un agent de police qui ferait exclusivement peur, serait d’autant plus effrayant qu’il porte sur lui  une arme létale que le citoyen « normal » n’a pas le droit d’avoir sur lui.

Un citoyen « normal » qui peut être menotté, immobilisé et qui peut être contraint de rendre des comptes sans s’opposer ni résister. Qu’il soit à pied ou dans un véhicule.  Qu’il se rende à son travail ou chez le médecin. Qu’il ait une urgence personnelle ou non. Qu’il soit seul ou avec sa femme et ses enfants.

 

Selon certains syndicats policiers, l’impunité dont jouissent certains délinquants récidivistes met à mal leur travail et leur crédibilité. Je les comprends. Mais ce qui me dérange aussi, c’est que la police soit à la fois la baïonnette et  la marionnette dont l’Etat se sert contre certains mouvements sociaux (gilets jaunes et autres). Alors que ces mouvements sociaux proviennent, aussi, comme pour les jeunes casseurs,  mais pour d’autres raisons peut-être, de dégradations de conditions de vie répétées sur plusieurs années.

 

 

Les parents des « sauvageons » et de la « racaille » :

Assez fréquemment, on « aime » bien aussi taper sur les parents des « sauvageons » et de la «racaille ». Ces parents sont souvent considérés comme des irresponsables responsables des exactions de leurs enfants. C’est vrai qu’il y a un héritage. Mais il faut voir de quel héritage on parle. On « sait » que l’on peut être pauvre, défavorisé, noir, arabe, chinois, musulman, juif, « issu de l’immigration » et être en règle avec la Loi. Lorsqu’il a été nommé dernièrement Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a cru judicieux de faire savoir qu’il était petit fils « d’immigré » ou qu’il avait des origines immigrées. J’ai trouvé ça très hypocrite ou très fayot de sa part. Même si, évidemment, c’était sa façon de dire que l’on peut être d’origine immigrée en France et y réussir socialement.

Mais j’ai trouvé ça très hypocrite  et très calculé de sa part car je crois qu’il faut être très hypocrite ou vraiment très ignorant pour passer sur le fait que la couleur de peau importe presque autant, voire plus, que les origines personnelles pour accéder à une certaine réussite sociale en France. Et il en est de même pour les prénoms que l’on porte : ça passe mieux de s’appeler Mathilde ou Sandrine que de s’appeler Aïcha ou Aya si l’on aspire à certaines (bonnes) écoles.  Même si on peut certainement trouver des Aïcha et des Aya dans les bonnes écoles.

 

Dans le monde du travail, s’appeler Mouloud ou Gérald ne produit pas le même effet sur un CV selon l’endroit où l’on postule en France. Si l’on postule en tant que balayeur, on peut s’appeler Mouloud. Aucun problème. On peut même s’appeler Mamadou. Cela ne sera pas un handicap. Par contre, si l’on postule en tant que consultant ou en tant qu’ingénieur, s’appeler Gérald sera en France plutôt un bon début. Même si Mouloud pourra malgré tout obtenir le poste finalement. Car il y a de bonnes surprises aussi en France.

 

Mais on « sait » aussi que si l’on a des parents pauvres, dépressifs, au chômage, alcooliques, exploités, largués, humiliés, épuisés moralement et physiquement, qui ont des têtes et des vies de vaincus plutôt que des têtes et des vies de vainqueurs, que cela joue un peu quand même quant au modèle à suivre lorsque l’on est enfant. Que ces parents soient blancs, jaunes, arabes, noirs ou jupitériens.

 

Et ces parents largués et dépossédés d’eux-mêmes ne sont pas tous des parents parasites ou haineux envers la France et la société. Ce peut être des parents qui ont véritablement donné de leur personne et qui se sont entamés pour obtenir une vie courante qui fait difficilement rêver. Et, selon l’environnement où ils habitent et vivent avec leurs enfants, il peut y avoir plus de débouchés et d’exemples immédiats dans la délinquance que dans les études et l’emploi.

 

Dans mon collège, j’ai pu être marqué par certains élèves qui faisaient partie de la section haut niveau de natation de la ville. Dans la cour de l’école, ils  dénotaient. Les cheveux assez souvent décolorés par le chlore, ils se regroupaient souvent ensemble. J’en ai connu deux dans une de mes classes. Ils étaient  plutôt bons élèves. La mère de l’un des deux m’a  gracieusement donné des cours de maths en 4ème ou en 3ème. Mais malgré mon assiduité à ces cours particuliers, j’étais déjà une cause perdue pour les maths où son fils, par contre, mon camarade de classe, était bon. Un de ses frères aînés détenait un record de France en athlétisme. Leur père était médecin et avait son cabinet. Et ils vivaient dans une maison individuelle. Dans la même ville, à Nanterre, je vivais quant à moi au 6ème étage dans un appartement, en location, avec mes parents, dans un immeuble HLM de 18 étages. C’était un petit peu le jour et la nuit, quand même, non ?

 

Ces collégiens qui appartenaient à la section haut niveau de natation faisaient partie des bons éléments du collège. Ils se singularisaient en tout cas plus de cette façon que comme des collégiens bagarreurs ou à problèmes. On retrouve à nouveau le phénomène de groupe et aussi d’identification à un groupe dans lequel ils se sentaient vraisemblablement valorisés mais aussi entraînés. Sauf que, là, il s’agissait d’un groupe vertueux et modèle. Et non d’un groupe de casseurs ou de bagarreurs. La bagarre et la casse ne faisaient pas partie des valeurs premières de ce groupe de jeunes nageurs de haut niveau. Cela n’empêche pas et n’a sans doute pas empêché qu’ensuite, certains « membres » de ce groupe de natation de haut niveau aient pu mal « tourner » à partir de la fin du collège et des années de lycée. Ou ensuite. Néanmoins, la « photo » que je garde de ce groupe de nageurs de haut niveau lorsque je repense à cette époque, est celle de jeunes qui avaient la réputation de faire des vagues seulement dans un bassin de natation. Certainement que par la suite, il en a été tout autrement pour quelques unes ou quelques uns de ces nageurs. Mais, en attendant, plusieurs de nos « casseurs » de ce week-end, à la même période de leur vie, celle du collège, faisaient sûrement déjà des vagues autour d’eux.

 

Une autre sorte de prison

 

Lâcher- en apparence- la bride aux jeunes casseurs et « tabasser » les gilets jaunes via la police est peut-être un acte de lâcheté de l’Etat. Mais c’est peut-être, aussi, une décision choisie. Et stratégique. Cela permet de laisser pourrir un certain climat social.

Et d’obtenir l’accord voire la bénédiction de la population pour plus de police. Pour plus de contrôles. Moins de libertés individuelles. Pour plus de répression. Pour plus de « sécurité ». Pour plus de justice expéditive et punitive. Pour plus de prisons. Pendant le débat sur Cnews, il a aussi pu être affirmé qu’il fallait plus de prisons !

 

Il faut sûrement plus de prisons comme il faut aussi de la répression face à la casse. D’accord. Mais il faut voir ce qui se passe ensuite dans les prisons. Ce qu’on y fait. Et pour qui. Si c’est pour créer, au travers de nouvelles prisons, de nouvelles pépinières de radicalisation et d’inadaptations sociales, il est difficile de se contenter de ces seules solutions. Parce qu’un certain nombre des détenus sortent un jour de prison. Et s’ils sont encore plus inadaptés à la sortie qu’à l’arrivée, ils retourneront à ce qu’ils savent faire et iront retrouver les seuls qui les accepteront. Leurs proches et celles et ceux qui leur ressemblent…..

 

Avec la pandémie du Covid-19, et le plan Vigie Pirate en raison du risque terroriste, sans omettre la façon dont nous sommes pistés sur internet chaque fois que nous nous connectons ou effectuons un achat ou une recherche, nos libertés individuelles ont déjà perdu une certaine amplitude. Nous avons appris à nous en accommoder. Or, tout ce que l’on nous promet pour cette rentrée à venir et pour les deux ou trois prochaines années, c’est plus d’efforts à produire, donc plus d’enfermement d’une façon ou d’une autre.

 

Finalement, j’ai l’impression que ces débats répétés et millimétrés, autour de la « racaille » et des «sauvageons » qui n’ont pas évolué tant que ça depuis des années, sont aussi une autre sorte de prison. Et que nous sommes encore (très) loin être sortis de ce type de prison. Parce-que la principale finalité de cette prison- mentale- est de s’auto-régénérer indéfiniment. Seuls les visages et les noms de ses représentants et de ses gardiens changent.

 

Une chaine comme Cnews ou tout autre média identique qui tourne en boucle nous hypnotise avec du vide. Le vide de l’angoisse, de la peur, du sensationnel et de l’amnésie. Le plus ironique serait d’apprendre qu’un certain nombre des casseurs de ce week-end, lorsqu’ils sont devant la télé,  perçoivent Cnews comme une des chaines de référence. Comme l’une des chaines télé qu’il convient de regarder régulièrement.

 

Franck Unimon, mercredi 26 aout 2020.

 

 

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Argenteuil Croisements/ Interviews

La Route du Tiep

 

 

                                              La Route du Tiep

Qu’est-ce qu’un igname ?

 

«  Qu’est-ce qu’un igname ? ». Lors d’un atelier d’écriture, un homme d’une soixantaine d’années m’avait un jour posé cette question. On découvre aussi le monde par ses légumes, ses plantes et sa cuisine.

 

J’avais bien sûr expliqué ce qu’est un igname.  Bien que né en  France, mon éducation et mes vacances familiales en Guadeloupe m’avaient fait connaître le zouk, le kompa, l’igname, le fruit à pain (et non le fruit à peines), le piment, les donbrés et d’autres spécialités culinaires antillaises.

 

 

Je dois à mon amie Béa, d’origine martiniquaise, de quelques années mon aînée, d’avoir découvert le Tiep ( «  riz au poisson »), les pastels et le M’Balax. J’avais 21 ou 22 ans. Olivier de Kersauson, le navigateur, avait 23 ou 24 ans lorsqu’il a fait la rencontre d’Eric Tabarly (son livre Le Monde comme il me parle, dont j’ai débuté la lecture). Moi, à 23 ou 24 ans, j’entrais davantage de plain pied dans la fonderie des hôpitaux. J’avais fait la connaissance de Béa pendant ma formation.

 

Elle était déja en couple avec C… un Cap verdien, de plusieurs années son aîné.

Et c’est au cours d’une grande fête avec eux, dans le Val D’oise, je crois, du côté de Jouy le Moutier, que j’avais découvert :

 

 Tiep, pastels et M’Balax.

 

Le Tiep n’est pas le nom d’un vent ou d’un microclimat proche de la ville de Dieppe. Il n’a pas de lien de parenté à avec la pitié. Et il n’a pas été recensé sur le continent  du Tchip que les Antilles se partagent très bien avec l’Afrique. Le Tiep ou Thiéboudiene  est le plat national du Sénégal.

 

Avec Béa, indirectement, moi qui ne suis, à ce jour, toujours pas allé en Afrique, j’ai découvert des bouts du Sénégal. Du Wolof et du Cap Vert. Avant que Césaria Evora ne (re) devienne populaire et que le chanteur Stromaé, beaucoup plus tard, n’en parle dans une de ses chansons. Avant que Youssou N’Dour ne lâche son tube 7 secondsavec Neneh Cherry. Hit que j’ai toujours eu beaucoup de mal à supporter. Si éloigné de son M’Balax que j’ai, finalement, pu voir, aimer et écouter sur scène trente ans plus tard : l’année dernière à la (dernière ?) fête de l’Huma.

 

 

Par hasard

 

J’ai retrouvé la route du Tiep il y a quelques mois. Par hasard. J’avais rendez-vous près de la gare du Val de Fontenay pour acheter une lampe de poche. Entre le moment où j’ai découvert le Tiep et les pastels et cette transaction, il s’est passé environ trente ans. J’avais bien-sûr mangé à nouveau du Tiep entre-temps. Mais cela était occasionnel. En me rendant sur certains marchés.

 

Le Val de Fontenay n’est pas mon coin. Je n’y habite pas. J’y étais allé à une « époque », ou, durant une année, j’y avais été…entraîneur de basket. Mais je parlerai de cette expérience dans un autre article. Ce matin, je m’applique à me mettre au régime :

 

Pour faire court

 

J’essaie de faire des phrases courtes. Et d’écrire un article court. C’est Yoast qui l’affirme : Certaines de mes phrases durent plus de vingt mois . Je sais que c’est vrai.

 

Mes articles manquent de titres. Si je décode bien Yoast, je fais beaucoup de victimes parmi mes lectrices et lecteurs. Et je pourrais mieux faire. Je n’écoute pas toujours Yoast.

 

En revenant de ma « transaction », il y a quelques mois, je suis donc retourné à la gare du Val de Fontenay. Et j’ai oublié si j’avais aperçu ce traiteur à l’aller mais je m’y suis pointé avant de reprendre le RER. J’y suis retourné plusieurs fois depuis. Ainsi que ce week-end puisque nous avions prévu de faire un repas au travail.

 

 

 

 

Au Thiep Délices d’Afrique Keur Baye Niass

 

La nouveauté, c’est que je suis allé deux jours de suite au Thiep Délices d’Afrique Keur Baye Niass. Le vendredi, c’est le jour du Tiep au poisson. Les autres jours, on y trouve, entre-autres, du Tiep à la viande qui me plait bien. Mais je voulais goûter son Tiep au poisson. J’ai donc appelé suffisamment tôt pour passer commande. Puis, une fois, sur place, j’ai vu qu’il ne restait plus de pastels. La cuisinière m’a confirmé qu’il n’y en n’avait plus. ça m’a frustré mais c’était de ma faute. J’aurais dû en commander en même temps que le Tiep. Donc, le lendemain, j’ai rappelé assez tôt et j’ai commandé des pastels au poisson. Et quelques uns à la viande. Pour goûter.

 

 

Avec nos masques sur le visage : de cœur à coeur

 

Avec nos masques sur le visage, nous sommes encore plus indistincts que « d’habitude ». C’est peut-être aussi pour cette raison que j’ai tenu à donner mon prénom, la veille. Puis que, lorsque j’y suis retourné, que j’ai fait ce que je fais quelques fois : parler avec les gens. Leur demander de me parler d’eux. Un peu de cœur à cœur. Je fais ça avec les personnes avec lesquelles je me sens bien. Avec lesquelles je ne discute pas du prix de ce qu’elles me vendent. On pourrait dire que cette dame qui me dépasse d’une bonne dizaine de centimètres, et qui a sans doute presque l’âge de ma mère, est peut-être un équivalent maternel pour moi. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison.

 

Un mal pour un bien 

 

J’avais déjà appris, qu’auparavant, elle travaillait avec ses collègues du côté de Créteil. Mais qu’elle avait dû quitter les lieux que la RATP avait mis à sa disposition. J’ai appris qu’avant de faire la cuisine, elle faisait dans le prêt- à- porter. Elle avait trouvé des fournisseurs en Italie et ça avait marché très vite. «  Je vendais de la bonne came ! » me dit-elle sans qu’il soit question de quoique ce soit d’autre que de prêt-  à- porter. J’avais déjà entendu parler de la qualité italienne en matière de vêtements et de chaussures.

 

Le prêt à porter a été fructueux de 2004 jusqu’à environ 2015. Et puis, la concurrence chinoise…. 

« Les gens regardaient plus leur porte-monnaie….mais la qualité n’était pas du tout la même… ». Elle a alors dû rendre ses locaux à la RATP. Locaux dans lesquels elle avait effectués des travaux. Travaux pour lesquels la RATP ne l’a jamais dédommagée. A la place, la RATP a fini par lui proposer cet endroit à la gare du Val de Fontenay où c’est « dix fois mieux » m’explique-t’elle :

« Il y a plus de passage. Avec les bureaux. Et on est près de la gare. Là, il y a le RER A. Il y a le RER E».

 

Prendre la vie par le bon bout

 

En l’écoutant, je prends à nouveau la mesure du fait que, quelles que soient les circonstances et le contexte qui nous préoccupent, qu’il y a des personnes comme cette dame et ses collègues qui travaillent. Et qui prennent la vie par le bon bout.  La cuisine, elle en avait toujours fait. Et après le prêt- à- porter, l’idée lui est donc venue rapidement. Je ne connais pas son niveau d’études. Et je présume qu’elle est née au Sénégal et y a vécu sûrement ses vingt premières années. Comme mes propres parents ont vécu leurs vingt premières années sur leur île natale, la Guadeloupe.

 

Je n’ai pas insisté pour savoir, comment, venant du Sénégal et de la France, on fait pour trouver des fournisseurs de prêt- à -porter en Italie. Mais cela implique au moins de quitter son quartier. De passer la frontière. D’avoir un réseau de connaissances. Ou de savoir aller rencontrer des gens, y compris à l’étranger. De les démarcher et de leur inspirer confiance. De savoir s’exprimer un minimum dans leur langue. D’être fiable dans son travail. Ce qui est facilité lorsque l’on  aime le faire ( son travail).

 

« L’argent n’est souvent qu’une conséquence »

 

J’ai relevé ces phrases  dans un livre emprunté récemment dans la médiathèque de ma ville, à Argenteuil. Un ouvrage dont j’ai lu, pour l’instant, les dernières pages et que je chroniquerai peut-être.

 

Changer de vie professionnelle ( C’est possible en milieu de carrière) de Mireille Garolla, aux éditions Eyrolles. Les propos sont les suivants, en bas de la page 147 :

« Ce n’est pas parce-que vous allez faire quelque chose qui vous plaît que vous n’arriverez pas à en tirer un bénéfice.

L’équation n’est pas toujours aussi simpliste que : je rentre dans un système capitaliste, donc, je gagne de l’argent, quitte à souffrir tous les jours jusqu’à l’âge de la retraite, et un autre système qui consisterait à faire des choses qui vous plaisent réellement mais qui ne devraient donner lieu qu’à des rémunérations symboliques.

(……) l’argent n’est souvent qu’une conséquence du fait que vous faites quelque chose qui vous plaît et que vous le faites correctement ».

 

 

Cette femme et ses collègues font partie des personnes qui rendent ces phrases concrètes. De 11h à 22h tous les jours de la semaine.

 

Je me suis senti tenu de lui parler un peu de moi. C’était un minimum. Le métier que je faisais. Dans quelle ville j’habitais. Elle m’a écouté avec attention. 

 

Il y a un stade où ce n’est plus l’argent qui fait le monde

 

Alors que je restais discuter avec elle, pendant que son collègue préparait mes plats, j’ai commandé quelques pastels supplémentaires. Vu, que cette fois, il en restait quelques uns. J’ai aussi commandé deux canettes de jus. Il s’agissait, aussi, d’en rapporter un peu à la maison. Elle m’a fait cadeau des deux canettes comme des pastels supplémentaires. Evidemment, je les aurais payés sans négocier.

 

Après avoir payé, j’étais sur le départ lorsqu’ouvrant le réfrigérateur, elle m’a tendu une petite bouteille de jus de gingembre. Il y a un stade de la relation dans la vie, où même entre inconnus, ce n’est plus l’argent qui fait le monde. L’argent (re)devient un masque ou un accessoire. Et il vaut alors beaucoup moins que ce qu’une personne nous donne volontairement. 

 

Ce soir-là, sur la route du Tiep

 

Lorsqu’elle m’a fait cadeau de ces pastels et de ces deux canettes, je n’ai pas vu une commerçante habile qui tient à fidéliser un client qui lui était sympathique. Même s’il faut aussi, lorsque l’on tient un commerce, et quand on tient à une relation, savoir chouchouter celles et ceux que l’on veut garder. Et je ne doute pas qu’elle sait très bien faire ça.

Mais ce que j’ai vu, c’est surtout une personne qui « sait » que l’on se parle et que l’on se voit maintenant, mais que l’on ne sait pas lorsque l’on se reverra.

Et si l’on se reverra.

Alors, avant de se séparer, on « arme » comme on peut celle ou celui que l’on a croisé pour la suite du trajet. 

Certaines personnes font des enfants pour conjurer ça. Mais, moi, ce soir-là et sur la route du Tiep qui m’avait ramené à nouveau jusqu’à elle, et pendant quelques minutes,  j’ai été sans doute , un peu, un de ses enfants.

C’était ce week-end.

 

Franck Unimon, ce lundi 24 aout 2020.

 

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Addictions Puissants Fonds/ Livres

Ma vie en réalité

 

                                                     Ma vie en réalité

Magali Berdah est la créatrice et dirigeante de Shauna Events :

 

« La plus importante agence de média-influenceurs de France ».  Nabilla, Jessica Thivenin, Julien Tanti et Ayem Nour font partie de ses « protégés ».

 

Un livre publié en 2018

 

Dans ce livre publié en 2018 (il y a deux ans), Magali Berdah raconte son histoire jusqu’à sa réussite professionnelle, économique et personnelle dans l’univers de la téléréalité et de la télé. Pourtant, Il y a encore à peu près cinq ans, Magali Berdah ne connaissait rien à la téléréalité comme au monde de la télé. Elle ne faisait pas partie du sérail. Son histoire est donc celle d’une personne qui, partie de peu, s’est sortie des ronces. C’est sûrement ça et le fait qu’elle nous parle de la télé et de la téléréalité qui m’a donné envie d’emprunter son livre à la médiathèque de ma ville. En même temps que des livres comme Le Craving Pourquoi on devient accro du Dr Judson Brewer ; Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere; Développement (im)personnel de Julia De Funès.

 

 

Un homme du vingtième siècle

 

Je me la pète sûrement avec ces titres parce-que je suis un homme du 20ème siècle. J’ai été initié à l’âge de 9 ans aux bénéfices de  ce que peut apporter une médiathèque :

 

Ouverture sur le monde, culture, lien social, tranquillité, recueillement. Des vertus que l’on peut retrouver ailleurs et que Magali Berdah, dans son enfance, comme elle le raconte, a connues par à-coups.

 

Une femme du vingtième siècle

 

Magali Berdah, née en 1981, est aussi une femme du 20ème siècle.

 

Son enfance, c’est celle du divorce, du deuil et de plusieurs séparations. D’un père plus maltraitant que sécurisant ; d’une mère qui a été absente pendant des années puis qui est réapparue. C’est aussi une enfance dans le sud, sur la Côte d’azur, du côté de Nice et de St Tropez où elle a pu vivre plus à l’air libre, au bord de la nature. Loin de certains pavés HLM, stalactites immobilières et langagières qui  semblent figer bien des fuseaux horaires.

 

Les éclaircies qu’elle a pu connaître, elle les doit en grande partie à ses grands-parents maternels, tenants d’un petit commerce. Mais aussi à ses aptitudes scolaires et personnelles. Son sens de la débrouille et son implication s’étalonnent sur ses premiers jobs d’été qu’elle décroche alors qu’elle a à peine dix huit ans. Fêtarde la nuit et travailleuse le jour, elle apprend auprès d’aînés et de professionnels qu’elle s’est choisie. Cela l’emmènera à devenir une très bonne commerciale, très bien payée, dans les assurances et les mutuelles. C’est sûrement une jolie fille, aussi, qui présente bien, qui a du culot et qui a le contact social facile. Mais retenons que c’est une bosseuse. Elle nous le rappelle d’ailleurs après chacun de ses accouchements (trois, sans compter son avortement) où elle a repris le travail très vite. Elle nous parle aussi de journées au cours desquelles elle travaille 16 heures par jour. Et quand elle rentre chez elle, son mari et ses enfants l’attendent.

 

 

Le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une résiliente

 

 

Si l’on s’en tient à ce résumé, Magali Berdah a le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une résiliente. Mais elle officie désormais dans le pot au feu de la téléréalité, de la télé, et est proche de personnalités comme Cyril Hanouna. On est donc très loin ou assez loin de ce que l’on appelle la culture « noble » ou « propre sur elle ». Et Magali Berdah critique l’attitude et le regard méprisants portés généralement sur la téléréalité et une certaine télé.

 

 

Le début de la téléréalité

 

 

La téléréalité, pour moi, en France, ça commence avec le « Loft » : Loana, Steevy, Jean-Edouard….

 

J’avais complètement oublié que ça s’était passé en 2001, l’année du 11 septembre, de l’attentat des «  Twin Towers » et de l’émergence médiatique de Ben Laden, et, avec lui, des attentats islamistes. Dans son livre, Magali Berdah nous le rappelle. A cette époque, elle avait 20 ans et commençait à s’assumer professionnellement et économiquement ou s’assumait déjà très bien.

 

Un monde en train de changer

 

 

En 2001, je vivais déjà chez moi et je n’avais pas de télé, par choix. Mais dans le service de pédopsychiatrie où je travaillais alors, il y avait la télé. J’ai des souvenirs d’avoir regardé Loft Story dans le service ainsi que des images, quelques mois plus tard, de l’attentat du 11 septembre. Et d’en avoir discuté sans doute avec des jeunes mais, surtout, avec mes collègues de l’époque. On était en train de changer de monde d’une façon comme une autre avec le Loft et les attentats du 11 septembre. Comme, depuis plusieurs mois, nous sommes en train de changer de monde avec le Covid-19.

 

Une image

 

Une image, ça vous prend dans les bras. La téléréalité est pleine d’images. Il y a quelques jours, j’ai tâté le terrain en parlant de Magali Berdah et de  Julien Tanti à deux jeunes du service où je travaille. Cela leur disait vaguement quelque chose. Puis l’une des deux a déclaré :

 

« Quand je me sens bête, je regarde. Ça me permet de me vider la tête ». L’autre jeune présente a abondé dans son sens. J’ai fini par comprendre que cela leur servait de défouloir moral. Que cela leur remontait le moral de voir à la télé des personnes qu’elles considéraient comme plus « bêtes » qu’elles.

Pour l’avoir vu, je sais que des adultes peuvent aussi regarder des émissions de téléréalité. Ça m’a fait drôle de voir des Nigérians musulmans d’une trentaine d’année, en banlieue parisienne, regarder Les Marseillais. Mais pour eux, venus travailler en France, une émission comme Les Marseillais offre peut-être quelque chose d’exotique et d’osé. Et puis, ce que l’on voit dans cette émission est facile à suivre et à comprendre pour toute personne qui a envie de se distraire et qui est dépourvue de prétentions intellectuelles ou culturelles apparentes.

 

 

Magali Berdah défend ses protégés

 

 

Lorsque l’on lit Magali Berdah, celle-ci défend ses « protégés ». On pourrait se dire :

 

«  Evidemment, elle les défend car ils sont un peu ses poules aux œufs d’or. Ils lui permettent de très bien gagner sa vie. Les millions de followers sur les réseaux sociaux de plusieurs de ses « poulains » permettent bien des placements de produits et lui assurent aussi une très forte visibilité sociale dans un monde où, pour réussir économiquement, il est indispensable d’être très connu ».

 

Mais quand on a lu le début de son livre, on perçoit une sincère identification de Magali Berdah envers ses « protégés » :

 

Le destin de la plupart des candidats du Loft de 2001 mais aussi de bien d’autres candidats d’autres émissions de télé-réalité ou similaires telles The Voice ou autres, c’est de retourner ensuite au « vide », « à l’abandon », et  à l’anonymat de leur existence de départ. Et ça se retrouvait déja dans le monde du cinéma, de la chanson ou du théâtre même avant l’arrivée du Covid.

 

Dominique Besnehard, ancien agent d’acteurs et créateur de la série Dix pour cent,  parlait un peu dans son livre Casino d’hiver de ces actrices et acteurs, qui, faute de s’être reposés uniquement sur leur physique et sur leur jolie frimousse avaient fini par disparaître du milieu du cinéma. Et je me rappelle être tombé un jour sur un des anciens acteurs du film L’Esquive d’Abdelatif Kechiche. D’accord, cet acteur avait un rôle très secondaire dans L’Esquive mais ça m’avait mis assez mal à l’aise de le retrouver, quelques années plus tard, à faire le caissier à la Fnac de St Lazare, dans l’indifférence la plus totale. Il était un caissier parmi d’autres.

 

 

Un certain nombre d’acteurs et d’humoristes que l’on aime « bien », avaient un autre métier avant de s’engager professionnellement et de percer dans le milieu du cinéma, du stand up, du théâtre, de l’art et de la culture en général. Si je me rappelle bien, Mickaël Youn était commercial.

 

Etre à leur place

 

Si on peut se bidonner ou se navrer devant les comportements et les raisonnements de beaucoup de candidats de téléréalité, qui sont souvent jeunes, il faut aussi se rappeler que tant d’autres personnes, parmi nous, secrètement, honteusement ou non, aimeraient être à leur place. Et gagner, comme certains d’entre eux, les plus célèbres, cinquante mille euros par mois. Magali Berdah fournit ce chiffre dans son livre.

 

C’est un peu comme l’histoire du dopage dans le sport : le dopage persistera dans le sport et ailleurs car certaines personnes resteront prêtes à tout tenter pour « réussir ». Surtout si elles sont convaincues que leur existence est une décharge publique. Et que le dopage est un moyen comme un autre qui peut leur permettre de se sortir de ce sentiment d’être une décharge publique.

 

Pour d’autres, le sexe aura la même fonction que le dopage. Même en pleine époque de Me Too et de Balance ton porc, je crois que certaines personnes (femmes comme hommes) seront prêtes à coucher si elles sont convaincues que cela peut leur permettre de réussir.  Et de réussir vite et bien. Quel que soit le milieu professionnel, ces personnes se feront seulement un peu plus discrètes et un peu plus prudentes.

 

 

Concernant Loft Story et l’intérêt que la première saison avait suscité, mais aussi les sarcasmes, je me souviens que l’acteur Daniel Auteuil, dont la carrière d’acteur était alors bien plantée, avait dit qu’il aurait fait Le Loft ou tenté d’y participer s’il avait été un jeune acteur qui cherchait à se lancer et à se faire connaître.

 

 

Compromettre son image

 

Lorsque l’on est optimiste, raisonnable, raisonné, patient mais aussi fataliste, docile et obéissant, on refuse le dopage ainsi que certaines conduites à risques.  Comme on peut refuser de  prendre le risque de « compromettre » son image en participant à une émission de téléréalité ou à une autre émission.

 

Mais lorsque l’on recherche l’immédiateté, l’action, le résultat et que l’on tient à sortir du lot, on peut bifurquer vers la téléréalité, une certaine télé et une certaine célébrité. Il y aura d’une part des producteurs, des vendeurs de rêves (proxénètes ou non) et d’autre part un public qui sera demandeur.

 

Magali Berdah, à la lire, s’intercale entre les deux parties : c’est elle qui a permis aux vedettes de téléréalité de tirer le meilleur parti financièrement de leur exposition médiatique. Et lorsqu’on la lit, on se dit « qu’avant elle », les vedettes de téléréalité étaient vraiment traitées un peu comme ces belles filles que l’on voit sur le podium du Tour de France avec leur bouquet de fleurs à remettre au vainqueur.

 

L’évolution du statut financier des vedettes de téléréalité

 

 

L’évolution du statut financier des vedettes de téléréalité fait penser à celle qu’ont pu connaître des sportifs professionnels ou des artistes par exemple. Avant l’athlète américain Carl Lewis, un sprinter de haut niveau gagnait moins bien sa vie. Usain Bolt et bien d’autres athlètes de haut niveau peuvent « remercier » un Carl Lewis pour l’augmentation de leur train de vie. On peut sans doute faire le même rapprochement pour le Rap ainsi que pour la techno. Ou pour certains photographes ou peintres. Entre ce qu’ils peuvent toucher aujourd’hui et il y a vingt ou trente ans. Certains diront sans doute qu’ils gagnent nettement moins d’argent aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans avec le même genre de travail. Mais d’autres gagnent sûrement plus d’argent aujourd’hui que s’ils s’étaient faits connaître il y a vingt ou trente ans. Pour les vedettes de téléréalité, il est manifeste que d’un point de vue salarial il vaut mieux être connu aujourd’hui qu’à l’époque de Loft story en 2001.

 

 

Une motivation aussi très personnelle

 

Cependant, la motivation de Magali Berdah est aussi très personnelle. Disponible pratiquement en permanence via son téléphone portable, malgré ses trois enfants et son mari, elle reçoit aussi chez elle plusieurs de ses « protégés », les week-end.  C’est bien-sûr une très bonne façon d’apprendre à connaître ses clients et de créer avec eux un lien très personnel.

 

Toutefois, dans mon métier, en pédopsychiatrie, on crierait au manque de distance relationnelle et affective. On parlerait d’un mélange des genres, vie privée/vie publique. On évoquerait un cocktail émotionnel addictif. On parlerait aussi des conséquences qu’une telle proximité – voire une telle fusion- peut causer ou cause. Parmi elles, une forte dépendance affective qui peut déboucher sur des événements plus qu’indésirables lorsque la relation se termine ou doit s’espacer ou se terminer pour une raison ou une autre. Que ce soit la relation à la célébrité et à l’exposition médiatique constante. Ou une relation à une personne à laquelle on s’est beaucoup trop attachée affectivement.

 

Il y a donc du pour et du contre dans ma façon de voir ce type de relation que peut avoir Magali Berdah avec ses « protégés ».

 

«  Pour » : une relation affective n’est pas une science exacte. Bien des personnes sont consentantes, quoiqu’elles disent, pour une relation de dépendance affective réciproque. Que ce soit envers un public ou avec des personnes. Et on peut avoir plus besoin de quelqu’un à même de savoir nous prendre dans les bras et nous réconforter régulièrement, comme un bébé, que de quelqu’un qui nous « raisonne ». Même si, Magali Berdah, visiblement, donne les deux : elle réconforte et raisonne ses « poulains ».

 

Loyauté et vertu morale

 

En lisant Ma vie en réalité , je crois aussi au fait que l’on peut faire une carrière dans des programmes télé auxquels, a priori, je ne souscris pas, et, pourtant être une personne véritablement loyale dans la vie.

Je ne crois pas que les participants, les producteurs et les animateurs d’émissions de télé, de théâtre ou de cinéma plus « nobles » soient toujours des modèles de vertu morale. Surtout qu’ils peuvent également être « ambidextres » et parfaitement évoluer dans les différents univers.

 

Le Tsadik

 

J’ai beaucoup aimé ce passage dans son livre, ou, alors surendettée, et déprimée, et avant de travailler dans la téléréalité, elle va rencontrer un rabbin sur les conseils d’une amie.

Juive par ses grands-parents maternels, Magali Berdah apprend par le Rabbin qu’elle est sous la protection d’un Tsadik, un de ses ancêtres.

Dans le hassidisme, le Tsadik est un « homme juste », un «  Saint », un «  maître spirituel » qui n’est pas récompensé de son vivant mais qui peut donner sa protection à un de ses descendants.

J’ai aimé ce passage car il me plait d’imaginer- même si je ne suis pas juif ou alors, je l’ignore- qu’un de mes ancêtres puisse me protéger. Mais aussi que les soignants (je suis soignant) sont sans doute des équivalents d’un Tsadik et que s’ils en bavent, aujourd’hui, que plus tard, ils pourront peut-être assurer la protection d’un de leurs descendants. Ça peut faire marrer de me voir croire en ce genre de « chose ». Mais je préfère aussi croire à ça plutôt que croire à un complot, faire confiance à un dirigeant opportuniste ou à un dealer.

 

J’ai d’abord cru que Magali Berdah était juive non-pratiquante. Mais sa rencontre avec le rabbin et sa façon de tomber enceinte « coup sur coup » me fait quand même penser à l’attitude d’une croyante qui «laisse » le destin décider. Je parle de ça sans jugement. J’ai connu une catholique pratiquante qui avait la même attitude avec le fait d’enfanter. Je souligne ce rapport à la croyance parce qu’il est important pour Magali Berdah. Et que sa « foi » lui a sûrement permis de tenir moralement à plusieurs moments de sa vie.

 

Je précise également que, pour moi, cette protection d’un Tsadik peut se transposer dans n’importe quelle autre religion ainsi que dans bien d’autres cultures.

 

Incapable d’une telle proximité affective

 

«  Contre » : Je m’estime et me sens incapable d’une telle proximité affective à l’image d’une Magali Berdah avec ses «  vedettes ». Donc celle qu’elle instaure avec ses protégés m’inquiète.  Une des vedettes de téléréalité dont elle s’occupe l’appelle «  Maman ». Même si je comprends l’attitude de Magali Berdah au vu de son histoire personnelle, je m’interroge quant aux retombées de relations personnelles aussi étroites :

 

Il est impossible de sauver quelqu’un malgré lui. Et ça demande aussi beaucoup de présence et d’énergie. Une telle implication peut être destructrice pour soi-même ou pour son entourage. Donc, croire, vouloir ou penser que l’on peut, tout( e)   seul (e), sauver ou soutenir quelqu’un, c’est prendre de grands risques. Mais peut-être que Magali Berdah prend-t’elle plus de précautions qu’elle ne le dit pour elle et sa famille. Il est vrai que le fait qu’elle soit mariée et mère lui impose aussi des limites.  Il lui est donc impossible, si elle était tentée de le faire, de se dévouer exclusivement à ses « protégés ».

La Norme :

 

Néanmoins, au milieu de ce « pour » et de ce « contre, je comprends que ce « support » affectif est la Norme dans le milieu de la télé et des célébrités en général. Et ce qui est peut-être plus effrayant encore, c’est d’apprendre en lisant son livre que lorsque la « mode » des influenceurs est apparue en France (il y a environ cinq ans), que, subitement, ses « protégés » sont devenus attractifs économiquement. Et  des producteurs se sont manifestés pour venir placer leurs billes. Les vedettes de téléréalité avaient peut-être la tête « vide » mais s’il y avait- beaucoup- de fric à se faire avec eux maintenant qu’ils étaient devenus des influenceuses et des influenceurs. Grâce à leurs placements de produits via les réseaux sociaux avec leurs millions de followers, on voulait bien en profiter. Magali Berdah n’en parle pas comme je le fais  avec une certaine ironie. Car cet intérêt des producteurs pour les vedettes de téléréalité a permis à sa carrière et à sa notoriété de prendre l’ascenseur.

 

Le Buzz ou le mur du son de la Notoriété

 

En 2001, à l’époque du Loft et des attentats de Ben Laden, on était très loin de tout ça. Les réseaux sociaux n’en n’étaient pas du tout à ce niveau et on ne parlait pas du tout de « followers ». Je me rappelle d’un des candidats du Loft à qui, après l’émission, on avait proposé de travailler…dans un cirque. Il avait fait la gueule.

 

En 2020, à l’époque du Covid-19, on est en plein dans l’ère des followers et des réseaux sociaux. Et on peut penser que la téléréalité et le pouvoir des réseaux sociaux va continuer de s’amplifier. Sans forcément simplifier le climat social et général :

Parmi toutes les rumeurs, toutes les certitudes absolues, tous les emballements médiatiques et toutes les peurs qui sont semées de manière illimitée, j’ai un tout « petit peu  » de mal à croire que l’époque des followers et des réseaux sociaux soit une époque où l’on court totalement et librement vers l’apaisement et la nuance. 

 

 D’autres empires, aujourd’hui timides voire modérés, vont sûrement s’imposer d’ici quelques années. Ça me rappelle les premiers tubes du groupe Indochine et de Mylène Farmer dans les années 80. Vous les trouvez peut-être ringards. Pourtant, à l’époque de leurs tubes Bob Morane et Maman a tort, j’aurais été incapable de les imaginer devenir les « icones » qu’ils sont devenus. Et puis, il y a sans doute pire comme dictature et comme intégrisme que celle et celui d’un monde où nous devrions tous chanter et danser à des heures imposées sur  Bob Morane et sur Maman a tort. Même si ces deux titres sont loin d’être mes titres de chevet.

 

Se rendre incontournable

 

Il est très difficile de pouvoir dire avec exactitude qui, devenu un peu connu ou encore inconnu aujourd’hui, sera une sommité dans une vingtaine d’années. Les candidates et les candidats du Loft, et les suivants, étaient souvent perçus comme ringards. Dès qu’un marché se crée, et que l’on en est la cause ou que l’on est présent dès l’origine, et que l’on sait se rendre incontournable, la donne change et l’on devient désirable et fréquentable. C’est le principe du buzz. Principe qui existait déjà avant les réseaux sociaux et la téléréalité mais qui s’est accéléré et démultiplié. On peut dire que le buzz, c’est le mur du son de la notoriété. Faire le buzz cela revient à vivre à Mach 1 ou à Mach 2 ou 3. Ça peut faire vibrer. Mais ça fait aussi trembler. Après avoir lu le livre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi,  dans lequel il raconte le tremblement de terre à Haïti le 12 janvier 2010 ( il y était), on comprend qu’un tremblement, ça change aussi un monde et des personnes. ça ne fait pas que les tuer et les détruire. 

 

Une histoire déjà vue

 

L’histoire que nous raconte Magali Berdah est une histoire qui s’est déjà vue et qui se verra encore : une personne crée un concept. Peu importe qui est cette personne et si ce concept est moralement acceptable ou non. Il suffit que ce concept soit porteur économiquement et tout un tas de commerciaux s’en emparent pour le faire connaître – et monnayer-par le plus grand nombre, ce qui génère un intérêt et un chiffre d’affaires grandissant. Ce faisant, ces commerciaux et celles et ceux qui sont proches d’eux prennent du galon socialement et s’enrichissent économiquement.

 

A La recherche du scoop et du popotin du potin

 

J’ai aimé lire Ma vie en réalité pour ces quelques raisons. Il se lit très facilement. Et vite. Si à la fin de son livre, Magali Berdah parle bien-sûr de plusieurs de « ses » vedettes, la lectrice ou le lecteur qui serait à la recherche du scoop et du popotin du potin à propos d’Adixia, Anaïs Camizuli, Anthony Matéo, Astrid, Aurélie Dotremont, Jessica Errero, Nikola Lozina, Manon Marsault, Paga, Ricardo, Jaja, Ayem Nour, Nabilla, Milla Jasmine et d’autres sera mieux inspiré(e) de concentrer ses recherches ailleurs. De mon côté, j’ai découvert la plupart de ces prénoms et de ces noms en lisant ce livre.

 

Franck Unimon, vendredi 21 août 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

               

 

 

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Pour les coquines et les coquins

Le thé dans l’âtre

 

                                              Le Thé dans l’âtre

 

« Nous irons boire du thé dans l’âtre » me dit cette ballerine.  « Vous me direz vos lettres. Nous parlerons de l’Erythrée et irons dire bonjour à Gagarine. Où commence l’Homme et où finit-il ? » continue t’elle.

 

Sa voix soulève cette question plus qu’elle ne la pose. Son souffle a aussi cet effet sur ses seins-filtres. On dirait du papier. Je suis fait de ce papier qu’elle déchire un peu plus à chacune de ses respirations.

 

L’œil éclairé par l’ampoule rectale de Joséphine – c’est le prénom de cette spécialiste en saut poudré- je découvre ma longue vue alors que ses expirations étoffent la peau de mon cou.  Lui croquer le cul, en prendre la mesure pour l’enterrer vivant dans un beau cercueil de mains et de pain. En faire du boudin. Eclabousser la figure et le cul-de-cette-fée-des-plaisirs. Devenir le multiple de sa chair et de sa bouche. Nous serons dix dans son Addis Abeba – Moi et mes neuf vits- à clamer la vie, quitte à en clamser, et à commémorer le retour du Négus.

 

« Le frigo, c’est toujours alors que je me couche qu’il fait des siennes. Avec ces hommes qui circulent dehors bruyamment dans leurs voitures et les enfants qui crient, j’ai du mal à me concentrer. Et toutes ces femmes qui me regardent au point que cela me met à l’aise. C’est à croire que je suis lesbienne ».

 

Laisser mon sexe prendre toute sa forme dans la glaise de sa bouche, fumer sa bouche d’ozone. La grimper, la camper, tente à cul. Et la regarder s’accrocher aux branches comme à ses branchies. En me disant que je tiens mon ange. Mais où se trouve son auréole ? Il faut que je me téléporte.

 

« Je suis passée Maitresse dans la résolution des énigmes de l’absence. Marcher, c’est souvent aller vers soi. Se faire mettre, c’est souvent prendre. L’Amour, c’est peut-être cette mémoire que l’autre est là. Que ce n’est pas juste un miroir mais aussi des larmes que l’on brise. Je n’ai pas de mémoire. Je suis juste au corps. Pour avoir de la mémoire, il faut perdre son corps. Le mien s’infiltre partout ».

 

Je suis chargé en accréditations testiculaires. Si je suis un homme de couleurs, ce n’est pas pour voir la vie en noir. Mais pour avoir la vie sauve alors que Joséphine fait danser mon regard sur ses lèvres. Lesquelles portent cet accent qui me la rendent plus détectable-délectable que n’importe quel maquillage.

 

« Mon visage est sans tain mais le Ska et le Gro-Ka y font naître des étoiles. J’aime les hommes au bord de l’explosion telles des locomotives qu’auditionne l’enfer. Et pour lesquels les séquelles du verre sur la tête n’est même pas un frein. Mais plutôt un refrain vers un lien. Leurs cicatrices sont ces alliances de chair qu’ils se sont faites pour s’unir à la vie. Elles ont pour moi bien plus de valeur que ces bagues de sympathie que l’on achète désormais à crédit dans des bijouteries. Mais de tels hommes n’existent plus. Soit ils ont le Sida. Soit ils s’affairent sur internet. Soit ils sont devenus fonctionnaires ou mariés – c’est pareil- soit ils préfèrent rester célibataires. Les hommes, maintenant, sont devenus des femmes ». Joséphine se met  à pleurer puis crie sur un ton implorant :

« Les hommes, aujourd’hui, ne veulent plus jouir ! ».

 

Elle reprend son souffle puis dit :

 

« Vous, par exemple, vous n’êtes pas mon genre. Baisez-moi si vous voulez. Bien et fort. Vous m’êtes de bonne compagnie. Comme le vent dans la voile, notre intimité dérapera et nous donnera l’occasion de croire en une sorte d’aventure. Mais cela restera périphérique. Nous n’irons nulle part ensemble. Comme pour la majorité des hommes, désormais, baiser une femme ne signifie pas qu’on lui prête plus d’importance qu’à une autre. Mais juste que, celle-là, on a pu la regarder d’un peu plus près. Baisez-moi, pesez-moi, débranchez-moi puis allez dormir ! Partez ensuite prendre votre train-train, votre navette ou votre omnibus nocturne de banlieue. Vous, les hommes, vous êtes doués pour le sommeil dès qu’on vous adore. C’est ce que l’on appelle le sommeil réparateur. Il faut vous donner des cauchemars pour vous maintenir attentifs et en éveil. Bien des femmes sont pauvres de ce côté-là ».

 

Quelques secondes passent. Puis Joséphine repart :

 

« Nous parlerons de l’Erythrée et de Gagarine une autre fois. C’est à dire, autrefois. Ne revenez-pas. Déjà, on prépare les vitrines pour les fêtes de fin d’année. Et il y aura de plus en plus de monde. Il y aura beaucoup de travail. Je n’aurai pas le temps de vous laisser me parler. Ensuite ? Après les fêtes, je serai importée en Chine. Vous ne ferez tout de même pas le voyage jusque là….. ».

 

 

Franck Unimon, à une date disparue.  ( bientôt dans sa version audio).

 

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Croisements/ Interviews

Lieux communs du 15 aout

 

 

                                                      Lieux communs du 15 août

Ce 15 août, il est entré dans le métro. Les deux titres qu’il a joués -et avait déjà probablement joués  des milliers de fois- n’étaient pas de lui.  En guise de préliminaires, des artistes avaient délimité le terrain plusieurs années auparavant. Peut être avant sa naissance et sa résistance.

 

C’était les chants fracturés de sa vie. Des wagons qu’il essayait peut-être encore de raccrocher. Et que j’ai aussitôt écoutés.

 

C’était la première fois que le voyais. La première fois que je l’entendais. Et sûrement aussi la dernière fois. C’est ce que je crois. Il nous faut souvent plusieurs fois pour bien nous rappeler d’un nom, d’un visage, d’un usage ou d’une rencontre.

 

Peut-être pour contrer ça, j’ai très vite sorti mon appareil photo.  J’aurais pu faire sans.  En écrivant. Mais je me rendais au travail. Il était peu fréquent que je passe par là. Et j’étais un peu en retard. Il me fallait une image. Une marge. D’autant plus que, comme lui avec ces deux titres, les mots de cet article, je les ai déjà employés des milliers de fois.

 

Je lui ai fait signe. Il m’a vu et m’a rapidement fait comprendre qu’il acceptait que je le prenne en photo. Je ne connais pas son nom, ni son âge ni  son histoire. Tout ce que je sais et ce que je vois, c’est comment il est « dressé » (« habillé »). Comment il est fait ; qu’il chante du Blues en Anglais ou en Américain et qu’il a la guitare appropriée.  Et en passant plus tard entre nous, après que je lui aie donné une pièce, il me donnera, en Anglais, les deux noms des artistes dont il a interprété les titres.

 

Je n’en saurai pas plus.  Et ça me suffira pour quelques minutes et davantage. ça m’apportera plus que ce que j’ai en commun avec des millions de gens. Cette partie de ma vie où je m’entraîne souvent à être un défunt plutôt qu’un être vivant.

 

Le Blues vient de l’Afrique. C’est ce que j’ai lu et entendu dire. Je n’ai pas l’impression que les deux noirs africains présents dans le métro pressentent une émotion particulière devant ce chanteur. Où alors ils sont très pudiques. La pudeur « africaine »….

 

Peut-être ces deux passagers africains ont-ils tout simplement dépassé la station du Blues depuis très longtemps. Car ils le vivent depuis tant d’agrégations que, pour eux, ça n’a plus rien d’exceptionnel. Alors que ça semble exceptionnel pour ce chanteur, blanc, qui a découvert le Blues « récemment ». 

 

Peut-être aussi que le Blues de ce 15 aout et dont nous parlons en occident est-il une invention de « Blanc occidental » ? Les restes bazardés du Blues originel. Un peu comme ce qu’il peut rester d’une création, d’une bizarrerie ou d’une particularité individuelle, linguistique ou culturelle brute après son industrialisation, son concassage, sa standardisation et sa commercialisation. Un échantillon.

Je crois me rappeler qu’au départ, le Blues était plutôt une musique peu convenable. Donc interdite sur les lieux officiels et publics, les jours d’affluence comme en plein jour. Comme le Gro-Ka.  Comme le Maloya. Comme le Rock ensuite. Puis comme le Rap. Comme toute forme et force d’expression identitaire et culturelle intestine qui dérange une norme et une forme de pensée militaire, économique, sociale et religieuse dominante.

 

Après l’administration du traitement de choc- ou de cheval- de l’industrialisation, du concassage, et de la commercialisation, on viendra ensuite déplorer que telle source, tel Art, telle culture ou telle personne a perdu son âme et s’est tarie. Qu’elle est devenue polluée ou insipide….

 

Peut-être que ces remarques sont  des conneries dominantes. Et qu’il suffit d’écouter avec ses oreilles sans chercher à faire pschitt et son show en jouant avec des « shit holes » : avec les trous à merde de certaines élucubrations.   

 

Plus qu’une opposition chronique et manichéenne entre noirs et blancs, et entre Occident et Afrique, cette anecdote avec ce chanteur de « métro » est à nouveau le constat de l’échec répété de certains aspects de notre « modernité » :

 

Les transports en commun sont un formidable et indiscutable moyen de déplacement. Internet et les réseaux sociaux font désormais partie de nos transports en commun.

Mais nous sommes souvent les marchandises et les prisonniers communs de nos transports en commun. 

Et nous sommes des marchandises et des prisonniers éblouis par des ailleurs qui sont sûrement assis à quelques mètres de nous. Mais nous ne les voyons pas. Nous ne les reconnaissons pas. Parce que nous avons d’autres connexions à faire.  Il n’est pas certain que même ce chanteur parti au bout de deux chansons pourtant calibrées pour s’évader s’en sorte mieux que nous :

On peut passer sa vie à être à l’heure à nos rendez-vous et, finalement, avoir néanmoins plusieurs trains ou plusieurs métros de retard.

 

Parfois, pour essayer de changer de vie et de boulons, certaines personnes décident de tout faire sauter. D’autres se jettent sur les rails. D’autres encore agressent physiquement et moralement d’autres personnes ou les volent. Il s’agit heureusement d’une minorité. Ça créé du changement chez certaines personnes. Mais ça créé aussi beaucoup de traumatismes qui pousseront peut-être d’autres personnes à vouloir ensuite tout faire sauter, se jeter sur les rails,  agresser et voler leur entourage…

 

 

Arrivé à ma station de métro, j’ai fait comme la plupart des gens. Je me suis descendu calmement dans un coin puis je suis allé travailler.

 

 

Franck Unimon, mercredi 19 aout 2020.

 

 

 

 

 

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Cinéma self-défense/ Arts Martiaux

Ip Man 4

 

 

                                        Ip Man 4- Le Dernier Combat

«  C’est naze ! ». Une grimace.

 

Il y a plein de films à voir au cinéma depuis que certaines salles ont rouvert le 22 juin. Des films que j’aimerais voir et à propos desquels j’ai un très bon a priori. Je vais en citer quelques uns :

 

Voir le jour  de Marion Laine ; The Crossing de Bai Xue ; L’infirmière de Kôji Fukada ; Le Défi du champion  de Leonardo D’agostini ; The Perfect Candidate de Haifaa Al-Mansour ; Lil’ Buck, Real Swan de Louis Wallecan et d’autres déjà sortis ou qui vont sortir en salles.

 

Mais je ne pourrai pas voir la plupart de ces films comme d’autres réalisations avant eux. D’abord parce-que j’écris pour le plaisir. Et ce plaisir ne me paie pas financièrement. C’est mon métier d’infirmier en pédopsychiatrie (de nuit depuis quelques années) qui continue de me faire vivre. Je ne me plains pas : bien des personnes sont au chômage ou ont perdu leur emploi récemment du fait du Covid-19 ou vont bientôt le perdre.

 

Ecrire un article

 

Ensuite, écrire un article me prend du temps. Au minimum entre 3 à 5 heures en moyenne.  Et c’est comme ça depuis longtemps.

 

Avant la naissance de ma fille, j’arrivais à concilier mon métier d’infirmier, mes séances de cinéma et l’écriture d’articles à propos des films que je voyais ou des acteurs et réalisateurs que je rencontrais. Ma fille est née. J’en suis content. Et, comme chaque parent, aussi, désormais, je fais l’expérience qu’avoir un enfant ou plusieurs divise mon temps par deux ou par trois.

 

Evidemment, entre choisir de passer du temps avec ma fille et passer du temps au cinéma et à écrire, je choisis encore ma fille.

 

 

Dans sa biographie Ma Vie en réalité que j’ai fini de lire, et dont je compte bien reparler bientôt dans un article, Magali Berdah, qui « s’occupe » des influenceurs tels Nabilla et Julien Tanti mais fait aussi de la télé,  dit travailler 16 heures par jour et fait comprendre qu’après ses journées de travail, elle enchaine avec sa vie de mère ( elle a trois filles) et de femme au « foyer ». Aujourd’hui, elle gagne très bien sa vie. Mais il y a encore quatre ou cinq ans, elle était surendettée.

 

 

Je n’ai pas 16 heures par jour à consacrer à l’écriture et à mon blog en plus de mon métier d’infirmier et de ma fille par exemple. C’est sûrement pour cela que je suis encore « loin » d’une certaine réussite avec mes articles et mon blog. D’autant que je constate « bien » que, souvent, derrière la réussite ( quelle que soit la réussite) se niche une certaine quantité d’heures de travail en plus d’un Savoir faire et d’un « ruisseau » ( un réseau) de connaissances et de sympathies dans le milieu où l’on veut évoluer.

Mon engagement dans mes articles et mon blog est sincère. Mais cet engagement est sans doute encore trop discontinu, trop limité et trop confidentiel pour rencontrer un public plus large. J’utilise aussi sans aucun doute des moyens de communication encore trop inappropriés.  J’aime prendre le temps d’écrire. Mes articles sont assez longs alors que l’on est beaucoup dans une époque d’images, de buzz et de « punchlines ». Une photo ou une vidéo bien choisie, bien montée, a une vitesse de propagation bien plus forte, peut-être équivalente à celle d’une balle, qu’une centaine de phrases.  

 

Et puis, je suis attaché à la polyvalence. Il y a des thématiques qui « marchent » bien sur le net pour peu qu’on en parle « bien » :

 

Mode et people, cosmétique, cuisine, tourisme, bricolage, certaines musiques, fitness, sport, un certain cinéma…..

 

Je ne rejette pas ces thématiques. Je peux aussi les accoster si ce n’est déjà fait. Mais j’aime aussi aller vers d’autres sujets que je crois moins porteurs. Ou peut-être aussi que je les « vends » très mal. Il est vrai que je ne me vois pas passer toutes mes journées sur mon blog, sur mes articles et sur les réseaux sociaux. Mais dès que j’ai un peu plus de disponibilité, j’en profite pour publier plusieurs articles de manière rapprochée.

 

 

A côté de ça, lire aussi prend du temps. Que ce soit des livres ou des articles. Ainsi qu’avoir une compagne (la mère de ma fille).

Même si ma compagne me laisse plus de latitude pour écrire, lire et faire du sport que certaines compagnes ou certains compagnons. Et, chez nous, je peux écrire jusqu’à très tard la nuit. Je peux aussi écrire après une nuit de travail sans me reposer et déjeuner. Puis, manger un bout de pain et de fromage et partir chercher ma fille au centre de loisirs parce-que c’est l’heure. C’est ce qui s’est passé il y a quelques jours en écrivant Gémissements. ( Gémissements).

 

 

On pense peut-être que ce que je raconte n’a rien à voir avec le film Ip man 4 ? Que je ferais mieux de parler du film au lieu de raconter ma vie ? Pourtant, dès le début de cet article, à ma façon, j’ai commencé à raconter le film et à donner mon avis à son sujet. 

 

C’est naze !

 

 

«  C’est naze ! ». C’est une remarque faite par un de mes anciens collègues dans un des précédents hôpitaux où j’ai travaillé. Spock (c’est le surnom que je lui avais donné) allait beaucoup moins souvent moi au cinéma. Mais il trouvait « nazes » tous ces films de Kung-Fu, d’action, d’arts martiaux et de sports de combat où tout était prétexte pour se bastonner.

 

C’était il y a plus de vingt ans.

 

Spock est aujourd’hui à la retraite depuis plusieurs années. Il a fait partie de mes modèles :

 

Que ce soit au travail ou dans la vie, il semblait toujours maitre de lui-même et serein. Il semblait toujours savoir comment agir et penser. Et je l’avais vérifié plusieurs fois en pratique devant des situations où j’estimais que j’aurais fait « moins bien » que lui. Où j’aurais plus que pataugé.

 

Spock avait aussi pour lui la faculté de l’humour et de la dérision.

 

Lors de cette remarque «  c’est naze ! », Spock, mon aîné de plusieurs années, était déja un homme établi avec femme, maison, petit chien, grosse voiture ( une BMW) et enfant. Plus tard, la quarantaine passée, il allait passer son permis moto et nous allions le voir arriver au travail sur sa grosse moto. A ce jour, je n’ai jamais réussi à briser l’interdit maternel me commandant de ne jamais faire de la moto. Pourtant, mes yeux brillent assez souvent en voyant passer une moto.

Aide-soignante pendant des années en réanimation, ma mère avait eu à s’occuper de plusieurs jeunes motards qui, une fois sortis du coma lui avaient dit :

 

« E….tu as un fils ? Ne lui achète jamais de moto ! ». A l’âge de l’adolescence, lorsque, comme d’autres jeunes garçons je m’étais avancé vers ma mère en faveur d’une mobylette, celle-ci s’était très vite montrée catégorique. Et je n’ai même pas essayé d’insister. Ma mère m’avait préparé depuis tellement d’années à ce refus.

 

 

Lorsque j’ai commencé à connaître Spock, après mon service militaire, je venais d’emménager dans un studio de fonction fourni alors par l’hôpital. J’étais encore célibataire et je collectais plutôt les histoires sentimentales à la mords-moi-le-nœud. Professionnellement, j’étais au début de ma croissance même si j’avais déja commencé à me constituer quelques expériences. Spock, lui, il était bien-sûr déjà un professionnel reconnu plutôt unanimement. Une sorte « d’ancien » à qui je m’adressais lorsque j’avais besoin de  réponses diverses sur certains sujets personnels et professionnels sensibles et qui m’a accordé plusieurs fois son attention et sa bienveillance. Il était d’autres personnes dans le service, parmi mes collègues plus âgés, principalement des hommes, que je voyais comme des modèles. Spock en faisait partie. Scapin et D….aussi. Ainsi que P, un autre infirmier dont j’admirais la décontraction en toute circonstance, le fait qu’il soit musicien ainsi que son humour. Tous ces collègues qui faisaient partie de mes modèles avaient le sens de l’humour. Y compris de l’humour très noir. Ce qui me convenait bien.

 

Et puis, à force d’apprendre, on « grandit ». D….s’est suicidé. Il a été retrouvé pendu au bout d’une corde chez lui par son fils adolescent. P est devenu la « chose » de notre cadre que j’avais un peu connue infirmière alors que j’étais encore étudiant ( on disait « l’élève » pour « élève infirmier) et qui, l’accès au Pouvoir « aidant », s’est érigée de plus en plus en autorité dynastique – et supra anxieuse. Et, ceci, avec le consentement mutuel du médecin chef, parfait dans le rôle hypocrite et politique du descendant direct de Ponce Pilate qui s’en lavait les mains pourvu que « sa » maison (le service et le pôle de psychiatrie adulte de l’hôpital) lui appartienne.

Scapin, lui, avait eu besoin de partir travailler dans un autre service de l’hôpital.

De mon côté, j’ai fait quelques conneries dont, selon moi, les principales, ont surtout été de négliger l’image (entre autre, parce-que je m’auto-dévalorisais beaucoup) que je donnais de moi. D’être trop gentil et de m’en remettre un peu trop à la bonne compréhension et au bon vouloir des autres. Et d’être resté trop longtemps collé à ce service et à cet hôpital devenus une sorte de seconde membrane ( névrotique) à laquelle j’avais fini par avoir peur de m’arracher. Alors que je savais qu’il fallait le faire. Comme je savais avoir déjà travaillé ailleurs avant ce service et cet hôpital et donc être capable de le refaire. Mais il y avait une dissociation entre ce que je comprenais intellectuellement : ce que la raison me soufflait de faire. Et mes émotions ( la peur, l’attachement névrotique) et mon corps.

 

Mais quand arrive le déclic, enfin, on part. On part par nécessité. Pour soi.  

 

 

Dans Ip Man 4, Ip Man, la soixantaine, apprend qu’il est porteur d’un cancer malin. Or, son fils adolescent cumule les conneries à l’école. Il se bat tout le temps pour un oui et pour un non. Son fils est  (aussi) en colère contre lui depuis la mort de sa mère. Ip Man (l’acteur Donnie Yen) envisage donc d’envoyer son fils poursuivre ses études aux Etats-Unis puisque l’établissement où est scolarisé son fils ne veut plus lui donner de nouvelle chance. Les Etats-Unis sont l’équivalent d’un pays de la Seconde chance. Là où l’on peut repartir du bon pied. Comme une bonne pension. Mais ce voyage est quand même une aventure. Changer de pays. De langue. De culture. De mœurs. De monnaie. Ip Man, qui a réellement existé, dans la vraie vie, n’a pas fait ce voyage. Mais il aurait pu. D’ailleurs, quand j’y pense maintenant, mon grand-père paternel avait environ la soixantaine, l’âge du personnage d’Ip Man dans le film, la première fois qu’il a quitté sa Guadeloupe natale pour venir en France où plusieurs de ses fils ( dont mon propre père) étaient partis travailler à l’âge adulte.

 

 En quittant mon service de psychiatrie adulte où j’avais connu Spock, Scapin, D, P et d’autres,  j’avais été surpris d’apprendre qu’aucun de mes collègues, dans une certaine unanimité, ne se seraient risqués à tenter l’expérience professionnelle et personnelle que je m’apprêtais à vivre : aller travailler en pédopsychiatrie. A faire le « voyage » en pédopsychiatrie.

 

C’était il y a vingt ans.

 

Entretemps, j’avais aussi appris que les super-héros n’existent pas. Certains modèles que j’avais pu idéaliser à une époque de ma vie m’étaient apparus, avec le temps, plus vulnérables qu’ils ne le semblaient. Plus faillibles. Voire pas toujours si honorables que cela.

J’avais également appris que même celles et ceux qui roulent des mécaniques et qui semblent increvables et très sûrs d’eux ont tous leurs moments indiscutables de faiblesse ou de débâcle. Et, moi aussi, j’avais dû apprendre à faire connaissance avec mes propres limites :

On peut jouer un rôle devant les autres à condition de savoir rester sincère au moins avec soi-même et de bien se connaître. Ça nous évitera de trop en faire. De trop nous la jouer. Ça nous aidera, aussi, à avoir des relations plus sincères avec les autres. On peut truquer les apparences et tricher avec elles. Et on peut obtenir plein de « choses » comme ça. En truquant. Mais cela impliquera de passer sa vie en restant sur le qui-vive en permanence. Je ne veux pas d’une vie telle qu’on la voit dans Le Talentueux Mr Ripley.

 

 

Quand débute Ip Man 4, Ip Man est un homme simple. Il n’est plus ce jeune combattant d’un milieu social aisé aimant relever les défis comme nous le montre Wong Kar-Wai au début de son film The Grandmaster ( réalisé en 2013) avec l’acteur Tony Leung Chiu-Wai dans le rôle d’Ip Man.

 

Dans Ip Man 4, Ip Man, pourtant réputé, subsiste en donnant des cours de Wing Chun dans son école à des élèves qui l’idolâtrent mais qui sont aussi très bornés et assez peu doués. Ils rappellent ces élèves dont Kacem Zoughari parle dans l’interview qu’il donne au magazine Yashima dit ( je cite ce passage dans l’article Gémissements) :

 

 

«  Certains élèves copient le maitre jusque dans ses déformations de dos, de genou, etc. Au-delà de l’aspect caricatural, c’est même délétère pour leur santé ! Ce type de pratiquants intégristes refusent souvent aussi souvent de voir ce qui se fait ailleurs pour ne pas corrompre l’image qu’ils ont de leur maître. C’est une grave erreur ».

 

Ces élèves (comme ceux d’Ip Man dans Ip Man 4) sont incapables de penser par eux-mêmes. Ils se fondent dans le groupe.  A mon avis, ces élèves n’ont pas de conscience. Pas de capacité- bienveillante- d’autocritique. Ils sont soit sur la défensive soit dans l’attaque. Il y a très peu de nuance entre ces deux actions. On peut  aussi retrouver ça chez  certains intégristes (religieux, administratifs,  technocratiques, conjugaux ou autres) qui s’évertuent à appliquer des règles et des protocoles à la microseconde et au millimètre près par automatisme sans prendre le temps, à un moment ou à un autre, de se demander si la procédure ou l’action engagée était véritablement, rétrospectivement, la plus appropriée. On attaque et on frappe d’abord. On réfléchit après. Si on y pense. Si on estime utile de se demander après coup si c’était bien utile d’attaquer d’abord. Dans une scène du film, face à une situation totalement nouvelle – quoique pacifique- on voit donc les élèves d’Ip Man très combattifs, excités et très bavards. Mais aussi très bornés et très sourds. Ils provoquent eux-mêmes la bagarre qu’ils entendent éviter en espérant sincèrement protéger leur Maitre qui, à aucun moment, n’est menacé : Ip Man.

 

 

J’ai choisi de travailler en psychiatrie (puis en pédopsychiatrie) au lieu de rester dans un service de soins somatiques car j’ai refusé d’être un automate. Je crois que la santé mentale est un milieu qui m’a permis de penser, de mieux penser, par moi-même.  Mais on peut travailler en psychiatrie et en pédopsychiatrie et se comporter comme un automate. On peut aussi combattre comme un automate. 

 

On peut même faire sa vie comme un automate tout en cumulant les honneurs et les signes extérieurs de « réussite » et d’épanouissement personnel.

 

On peut aussi très bien penser et croire que l’on peut tout résoudre dans sa vie juste par l’adresse de la pensée. En psychiatrie et en pédopsychiatrie, on peut aussi être très « fort » (on est surtout très névrosé) dans ce domaine :

Pour croire à ce que j’appelle la pensée « souveraine ». Qu’il suffit de penser pour aller bien et mieux.

Dans certains compartiments de ma vie et à certains moments de ma vie, mon « entraînement » en psychiatrie m’a aidé et m’aide. Mais dans d’autres situations, je suis aussi complètement à côté de la plaque ou je peux être complètement à côté de la plaque.

 

 

J’ai appris que, peu après son départ à la retraite, Spock avait quitté femme et enfants pour partir vivre avec un ancien amour. Spock, l’inébranlable, s’est révélé, finalement, plus vulnérable. Il a été jugé moralement, par certaines connaissances communes, pour cela. Il l’est sûrement encore. Spock, homme très droit, en partant vivre avec cet ancien amour a pu alors donner l’impression d’être un fuyard, un menteur, un calculateur et un homme égoïste qui battait pavillon après avoir claironné pendant des années que tout dans sa vie lui allait. Au point qu’il avait pu lui arriver de citer son mariage en exemple, avec un peu de provocation, devant des jeunes collègues ( des femmes) séparées ou divorcées de leur compagnon ou de leur conjoint.

 

 

Plus qu’un vantard et un fuyard, je vois en Spock un homme qui, devant la mort, s’est dit qu’il ne lui restait plus beaucoup de temps pour le perdre dans les options du mensonge. Et pour lequel, vivre selon ses désirs plutôt que selon ses devoirs et les apparences sociales, est devenu alors la priorité. Il y a des femmes et des hommes qui font le même choix que Spock bien plus tôt. Il en est d’autres qui aimeraient pouvoir faire ce genre de choix.

 

Les arts martiaux sont aussi un art de vivre et donnent aussi des réponses à ce qui nous préoccupe. Pour d’autres, la religion joue ce rôle. 

 

Dans Ip Man 4, on pourrait penser qu’Ip Man, expert en arts martiaux, saurait comment s’y prendre avec son fils. On comprend très vite que c’est le contraire. Le grand expert Ip Man est dépassé par les agissements de son fils adolescent qui lui manque de respect de façon répétée. C’est un des points du film que j’ai le plus aimés d’autant qu’il me parle beaucoup en tant que père :

 

Avant d’être père, lorsque je lisais des interviews de célébrités diverses, j’étais obsédé par une question qui revenait assez souvent et qui était :

 

Quelles sont ses relations avec ses parents ?

 

Aujourd’hui,  régulièrement, lorsque je vois une célébrité quelconque, je me dis assez souvent :

 

«  Dans ce domaine, il (ou elle) est extraordinaire. C’est un champion (ou, c’est une championne). Mais je me demande comment il/elle s’en sort avec son enfant lorsqu’il se réveille la nuit ? Son enfant fait-il ses nuits ? ».

 

Récemment, sur un réseau social, un ami très sportif a posté une nouvelle vidéo d’un coach fitness faisant une démonstration. Je n’ai rien à dire sur sa démonstration et je n’ai rien contre ce coach fitness. Mais, ça a été plus fort que moi : nous voyons en permanence des vidéos de vedettes (ou autres) dont la vie semble réglée comme du papier à musique, progéniture comprise. Alors, j’ai laissé un commentaire dans lequel je disais que j’aimerais bien voir ce coach fitness lorsque sa compagne lui rappelle qu’il y a la vaisselle et le ménage à faire, la couche du bébé à changer etc….

 

Je crois que ça n’a pas plu à un internaute. Et je le comprends : ce coach fitness n’est pas là pour nous parler de sa vie personnelle. Mais ma réaction a été provoquée par cette lassitude de voir régulièrement des images de « personnes » quelque peu immaculées tandis que, nous, au quotidien, hé bien, il nous arrive de ramer sans maquilleuse et sans monteur pour raccommoder le tout et nous restituer une image très flatteuse de nous-mêmes.

 

Même si Ip Man, dans Ip Man 4 reste évidemment très digne, il m’a beaucoup plu de voir ce sujet d’une relation conflictuelle entre un père (illustre qui plus est) et son fils adolescent dans un film « d’arts martiaux ». Parce-que l’univers des Arts Martiaux et des sports de combat et de Self-Défense est quand même un univers, où, malgré toutes les paroles officielles de « humilité », « respect de l’autre » etc…on va aussi très loin dans le narcissisme, la suffisance et l’autosatisfaction. Ce que l’on retrouve (ce narcissisme et cette suffisance)  dans Ip Man 4 lorsqu’Ip Man, arrivé depuis peu aux Etats-Unis, va rendre visite au président de l’association culturelle chinoise. Lequel président de l’association culturelle chinoise est le seul habilité à lui faire la lettre de recommandation pouvant lui permettre d’inscrire son fils ans un établissement américain.

 

 

On peut le dire, je crois : si Ip Man croit naïvement et humblement que cette rencontre va se dérouler facilement, il est reçu comme de la merde par ce président d’association culturelle chinoise. Ainsi que par la majorité des personnes qui constituent l’assemblée qui entoure ce président d’association culturelle, équivalent dans cette situation d’un haut dignitaire chinois alors que pour les Américains (blancs) il est n’est qu’un « petit » chinois de rien du tout.

 

Jet Li dans le film  » The One ». Photo achetée lors d’un festival de Cannes au début des années 2010.

 

La Grimace

 

La grimace mentionnée au début de cet article est peut-être celle du lecteur ou de la lectrice devant la longueur de cet article. Mais elle est sûrement celle de Christophe, c’est son vrai prénom, il y a une dizaine d’années, lorsqu’au festival de Cannes, tout content, je venais de lui montrer une photo de Jet Li que je venais d’acheter avec d’autres photos d’autres actrices et acteurs dans des films qui n’ont rien à voir avec jet Li :

 

Karin Viard, Salma Hayek, Antonio Banderas, Béatrice Dalle, Jean-Hugues Anglade et Daniel Auteuil, Forest Whitaker, Sami Bouajila, Wesley Snipes, John Malkovich, Guillaume et Gérard Depardieu, Marie Meideros, Jeanne Balibar….

 

C’était alors l’époque du mensuel de cinéma papier, Brazil, dont Christophe était le rédacteur en chef. Brazil ou Le cinéma sans concessions dont j’étais un des rédacteurs.

 

Brazil était un journal plutôt tourné vers le cinéma d’auteur de tous horizons ainsi que vers le cinéma bis. Et assez peu sur le cinéma commercial et les grosses productions. Donc, pas tout à fait sur les films de Jet Li.

 

 

La continuité de Bruce Lee

 

 

Mais, pour moi, Jet Li, c’était la continuité de Bruce Lee. J’avais été épaté par la prestation de Jet Li plusieurs années plus tôt dans L’Arme fatale 4 (réalisé en 1998 par Richard Donner) face à Danny Glover et Mel Gibson. Et c’est drôle de mentionner L’Arme Fatale 4  dans un article où je parle de Ip Man 4.

 

Les pitreries de Jackie Chan (dans certains de ses films) après la mort de Bruce Lee m’avaient d’abord beaucoup contrarié. Il m’avait fallu des années pour comprendre la valeur d’un Jackie Chan. Sûrement parce-que je n’avais pas vu les « bons » films pour le découvrir.

Mais avec Jet Li, dans L’Arme Fatale 4, ça avait été instantané et, ensuite, j’avais essayé d’en savoir plus sur lui.

 

La mauvaise image des films de Kung-Fu, d’action, d’arts martiaux, de Wu Xi Pian et autres, provient du fait qu’en occident, on a enfermé ces films dans une boite. Celle d’un spectacle. Celle d’une addition de performances. Celle d’une caricature de l’homme infatigable, capable de cascades martiales innombrables comme dans un cirque. On a gardé ce qui tape à l’oeil dans les arts martiaux. On en a fait une sorte de pop-corn ou de téléréalité avec un scénario stéréotypé et simplet que l’on a décliné à la chaine un peu comme cela se fait dans beaucoup de films pornos. Parce-qu’il y avait un marché et du fric à se faire. Les gens voulaient voir des films de Kung Fu ? Ils voulaient un peu d’exotisme ?  On allait leur donner des films de Kung Fu.

 

Résultat : l’Histoire et l’esprit des arts martiaux ont disparu puisque tout ce que l’on a cherché à répliquer, c’est une recette pour faire venir des consommateurs plutôt que des adeptes ou des disciples éventuels. Un peu comme on l’a fait avec Lourdes ou tout autre lieu de recueil religieux devenu l’équivalent d’un centre commercial.

 

 

C’est quand même Spock, je crois, qui m’avait recommandé la lecture de La Pierre et le sabre  que j’avais lu ! ( et beaucoup aimé). Ce livre d’Eiji Yoshikawa, classique pour certains adeptes des Arts Martiaux, a pourtant bien des points communs ( et vitaux) avec des personnalités comme Bruce Lee, Jet Li ou d’autres qui se sont fait connaître dans des films considérés comme « nazes » par Spock et d’autres !

 

 

Bruce Lee et Michaël Jackson :

 

Et puis, à l’inverse, lorsque certains intellectuels, peut-être pour se donner un côté « rebelle » ou « rock and roll », parlaient de Bruce Lee, ça a pu faire flop. Je repense à ce livre écrit par un journaliste des Cahiers du cinéma. Son intention était louable. Mais en commençant à lire son livre ( j’ai vite interrompu sa lecture) dans lequel il nous parlait de son attachement à Bruce Lee, j’avais eu cette impression que la musicienne et chanteuse Me’shell a pu décrire en écoutant certains morceaux de musique de Michaël Jackson produits post-mortem :

 

Celle d’une musique sans corps.

 

Me’Shell Ndégéocello avait appris que Michaël Jackson avait besoin de danser quand il enregistrait en studio. Et que cela ne ressortait pas dans certains des titres produits –et commercialisés- plusieurs années après sa mort.

 

En commençant à lire le livre de ce journaliste des Cahiers du cinéma, j’avais peut-être eu la même impression :

Trop d’intellect. Pas assez de corps. Pour un livre censé nous parler de Bruce Lee !

Ça fait penser à ces musiciens très calés techniquement mais dont la musique nous ennuie. Ou à ces profs très cultivés mais dont les cours sont atones.

 

A travers mes articles, j’essaie autant que possible d’éviter de ressembler à ces exemples.

 

 

 

Ip Man 4 – Le dernier combat de Wilson Yip, donc.

 

 

Le magazine Taichichuan ( le numéro 2 paru il y a plusieurs semaines) montre l’acteur Donnie Yen, interprète de Ip Man, en couverture. Le magazine, par son rédacteur en chef, encense le film.

 

 

 

J’ai envoyé un mail au rédacteur en chef de Taichichuan  (et également rédacteur en chef d’autres magazines tels que Self & Dragon mais aussi Survivre) pour demander à l’interviewer. C’était il y a plus d’un mois. Je n’ai pas eu de réponse. Sans doute ce rédacteur en chef était-il trop occupé. Peut-être aussi considère-t’il que ce sont plutôt les Maitres et experts qui interviennent dans les magazines dont il est le rédacteur en chef qu’il faudrait plutôt chercher à rencontrer et à interviewer ?

Et puis, même si je suis devenu un lecteur des magazines dont il est le rédacteur en chef, je suis un inconnu pour lui. Et il avait sûrement d’autres priorités. Ou, peut-être faut-il que, d’une certaine façon, je persiste et fasse mes preuves ? Comme Ip Man, lorsqu’il débarque aux Etats-Unis dans Ip Man 4, doit faire ses preuves. Lui, avec son attitude et les Arts martiaux. Moi, avec mes articles.

 

 

Ce n’est néanmoins pas pour faire mes « preuves » ou pour apporter des preuves éventuelles que j’ai choisi hier matin, après ma nuit de travail, d’aller voir Ip Man 4. Et de poursuivre la rédaction de cet article aujourd’hui après ma deuxième nuit de travail et avant ma sieste de récupération.

 

Hier, je suis allé voir ce film par plaisir. Comme on peut déjà l’avoir compris avec mon anecdote, à Cannes, à propos de la photo de Jet Li.

 

 

 

L’acteur Donnie Yen

 

J’ai découvert Donnie Yen au cinéma il y a environ vingt ans. Je vérifie tout de suite :

 

Au moins depuis le film Hero réalisé en 2002 par Zhang Yimou. Je ne me rappelle pas particulièrement de lui dans Blade 2  réalisé par Guillermo Del Toro la même année.

 

Et, spontanément, dans L’Auberge du Dragon réalisé en 1992 par Raymond Lee et Tsui Hark, je me souviens surtout de Maggie Cheung que l’on ne voit plus aujourd’hui au cinéma et qui semble avoir « disparu » du cinéma peu après sa palme d’or d’interprétation pour son rôle dans Clean, réalisé en 2004 par Olivier Assayas et qui, pour moi, n’était pas du tout son meilleur rôle.

 

Une fois, j’ai aperçu Maggie Cheung se rendant dans la salle de cinéma dont je venais peut-être de sortir. C’était avant son rôle dans In the mood for love de Wong Kar Wai (réalisé en 2000), je crois. Personne n’avait fait attention à elle m’a-t’il semblé. Par contre, mon regard sur elle avait sans doute été trop appuyé car j’avais eu l’impression qu’elle avait senti mon attention particulière.

 

Dans les années 90 et 2000, lorsque je pense au cinéma asiatique, je pense d’abord à des acteurs comme Tony Leung Chiu-Wai (un de mes acteurs préférés qui rejoue avec Maggie Cheung dans In The Mood for love et qui, lui, obtiendra la palme d’or d’interprétation à Cannes, l’année où Björk obtiendra la palme d’or d’interprétation pour son rôle dans Dancer in the dark  de Lars Von Trier).

 

Dans les années 90 et 2000, lorsque je pense au cinéma asiatique, je pense aussi à Chow Yun-Fat, aux réalisateurs John Woo, Kirk Wong et Johnnie To. Bien-sûr, j’ai entendu parler de Tsui Hark et je lis et achète le magazine HK vidéo dont je dois avoir conservé tous les numéros.

Mais je pense aussi beaucoup, au Japon (pays où je me rendrai en 1999, l’année de la sortie du film Matrix des « frères » Wachowski) et à Takeshi Kitano dont je vais voir la plupart des films.

 

Le premier film que je vois de Takeshi Kitano est Sonatine (réalisé en 1993). Et mon film préféré de John Woo avant son exil pour les Etats-Unis est A toute épreuve (ou Hard-boiled) réalisé en 1992.

 

Evidemment, j’irai voir Tigre et Dragon d’Ang Lee (réalisé en 2000) dont j’ai vu les premiers films comme Garçon d’honneur (réalisé en 1993).

 

J’irai aussi voir Le Secret des Poignards volants réalisé en 2004 par Zhang Yimou par exemple.

 

Mais il me faut encore plusieurs années avant que je n’apprécie vraiment des acteurs comme Leslie Cheung (un des rôles principaux dans Adieu ma concubine, de Chen Kaige, palme d’or à Cannes en 1993 ex-aequo avec La Leçon de Piano de Jane Campion que j’ai également vu et aimé) Andy Lau…ou Donnie Yen.

 

Leslie Cheung s’est malheureusement suicidé il y a plusieurs années maintenant.

Andy Lau m’a marqué par son rôle dans Infernal Affairs  dont le premier volet a été réalisé par Andrew Lau et Alan Mak en 2002.

 

Et, je crois que j’ai commencé à véritablement aimer le jeu de Donnie Yen en prenant de l’âge et avec les Ip Man. C’est assez récent. Un ou deux ans peut-être. J’ai déjà oublié.

 

Ces quelques acteurs asiatiques cités ( Andy Lau, Leslie Cheung, Chow Yun Fat, Tony Leung Chiu Wai, Donnie Yen….) s’ils sont majoritairement chinois ou de Hong-Kong, à l’exception de Takeshi Kitano, qui est japonais, ont pour eux d’avoir interprété des rôles dont des valeurs se retrouvent dans le personnage de Ip Man. A commencer peut-être par une certaine intégrité morale.

 

 Une certaine intégrité morale

 

 

 

Avoir une très grande intégrité morale ne suffit pas à voir Ip Man dans Ip Man 4. Aux Etats-Unis, Ip Man tombe surtout de haut lorsqu’il rencontre avec humilité ses compatriotes chinois. Ceux-ci le méprisent. Le problème, c’est qu’en tant qu’experts d’arts martiaux,  et en tant que chinois, leur attitude aurait dû être le contraire. Mais ils s’estiment en droit d’avoir une telle attitude et, ce, en tant que personnes hautement civilisées et raffinées. L’intégrité morale d’Ip Man se confronte…. à l’intégrisme de ses pairs. Et, ce qui est malin dans le scénario, c’est que ces pairs reprochent à Ip Man les agissements de Bruce Lee aux Etats-Unis, un de ses anciens élèves, mais, aussi, d’une certaine façon, son fils spirituel. On peut dire qu’Ip Man collectionne les problèmes avec ses fils. L’un, à Hong-Kong, passe son temps à se battre et se fait exclure de l’école. L’autre ( Bruce Lee), réussit à s’intégrer aux Etats-Unis et à susciter l’admiration publique mais inspire jalousies et suspicion. On pourrait voir un comique de répétition mais on a plutôt tendance à avoir de la compassion pour Ip man. Alors que reste-il à Ip Man comme atouts ? La persévérance, la confiance en soi et le sens de la diplomatie comme le refus d’offenser qui que ce soit mais aussi le refus de se rabaisser.

 

Bruce Lee dans Ip Man 4

Je m’en remets totalement à la compétence du chorégraphe, des acteurs et artistes martiaux dans ce film. Ce n’est quand même pas moi qui vais espérer apprendre à Scott Adkins ( le Marine Barton Geddes dans le film), à Danny Kwok-Kwan ( Bruce Lee dans le film) à Donnie Yen et aux autres comment on doit donner un coup de pied.

 

Mais Bruce Lee fait partie du panthéon de notre mémoire. Et cela pouvait être très risqué de le faire «revivre » dans Ip Man 4. Hé bien, l’acteur Danny Kwok-Kwan, qui l’interprète dans Ip Man 4 , m’a bien plu. Mieux :

Aux Etats-Unis, on peut considérer que les Américains qui défient Bruce Lee ( Karaté contre Wing Chun pour simplifier) sont des enfants qui ont mal tourné. On me pardonnera mon obsession dans cet article pour la filiation mais cette image me plait. Dans Ip Man 4, je vois tous ces Américains qui, forts de leur Karaté, veulent affronter Bruce Lee, puis Ip Man, comme des enfants qui auraient reçu un enseignement martial  mais avec de mauvais tuteurs et qui souhaitent ensuite ardemment se mesurer ( ou se frotter) à des adultes : des Maitres. 

Il y a d’ailleurs peut-être un sous-entendu dans le film : celui d’opposer la culture chinoise, millénaire, à la culture américaine, une culture jeune voire adolescente, donc immature, faite d’imports en tout genres, et qui croit pouvoir tout surmonter et tout maitriser par les seuls effets de sa volonté, de ses relations et de sa vitalité. D’ailleurs, tous les opposants américains que l’on voit dans le film sont des caricatures du cow-boy bourrin qui sont tout en force. 

 

Kacem Zoughari (encore lui) dans le magazine Yashima, explique que bien des Maitres d’arts martiaux, délibérément, transmettaient partiellement une partie de leur Savoir à leurs élèves lorsque ceux-ci arrivaient à un certain niveau de pratique donc de conscience. Et que pour confondre parmi ses élèves, le « traître » éventuel, celui qui, ensuite allait « donner » ou vendre à une autre école une partie de son Savoir, il arrivait aussi que des Maitres changent des mouvements. A tel élève, ils montraient tels mouvements ou telle variation. A tel autre, d’autres mouvements. Le but était donc de prévenir les trahisons mais aussi de prendre le temps d’évaluer si l’élève était fiable.

 

Dans Ip Man 4, on peut voir les Américains comme des combattants arrogants, très fiers d’exhiber leur trésor de guerre, le Karaté, qu’ils ont arraché aux fiers japonais qu’ils ont aussi humiliés avec leurs deux bombes atomiques. Mais je crois qu’il faut aussi voir ces combattants américains comme les reflets enlaidis par l’ego, donc comme les rejetons, de ces Maitres qui les ont « enfantés ». Car ces combattants américains ont appris leur Karaté avec des Maitres et peu importe qu’ils soient japonais alors qu’Ip man et Bruce Lee, eux, sont chinois :

 

Les Maitres ( et pères spirituels) de ces combattants américains auraient dû s’assurer qu’ils auraient – ensuite- été dignes de l’enseignement reçu.  Cela me rappelle un souvenir :

Enfant, j’ai pratiqué un peu le karaté. Je n’étais pas très doué. Mais je me souviens de Boussade, dont le frère aîné pratiquait aussi le karaté. Un autre de ses frères, que j’allais croiser des années plus tard sur un tatamis, pratiquait, lui, le Judo. Et il avait dû être un très très bon judoka. Je me rappelle encore de certaines des « balayettes » ( ou sasaé) qu’il m’a passées en me narguant des années plus tard, alors, que, très fier de mon judo pubescent, j’attaquais. 

 

Mais notre professeur de karaté, Danco ( ou Danko), avait un jour fait passer les ceintures. Boussade connaissait son kata pour changer de ceinture. J’aimais bien Boussade. C’était un camarade d’école. Mais, ce jour-là, Danco avait refusé de lui donner sa ceinture supérieure (la bleue ou la marron). Parce-que, lors de son kata, Boussade avait mis trop de hargne. Trop de violence. J’avais 12 ans tout au plus ce jour-là. Et j’avais été plutôt triste pour Boussade. Mais  je me rappelle encore de cette leçon aujourd’hui quarante ans plus tard. Comme on le voit, ce genre d’expérience marque.

 

 

Dans Ip Man 4, il est difficile de croire que les combattants américains qui défient Ip Man et Bruce Lee aient été remis à leur place par leur Maitre et père spirituel comme Boussade l’avait été ce jour par Danco ( ou Danko).

 

Un Maitre, un professeur ou même un éducateur peut être un père spirituel ou symbolique. Certains de ces Maitres sont fascinés par la violence et l’encensent. D’autres ne s’en laissent pas conter par la violence. La violence ne les séduit pas. Et j’ai tendance à penser qu’un Maitre qui sait s’en tenir à une certaine abstinence en matière de violence pourra plus facilement inciter ses élèves au pacifisme. Alors que le « Maitre » qui, lui, kiffe la violence et le fait de soumettre les autres encouragera plus facilement ses élèves à aller vers la violence voire et vers….le terrorisme. Surtout si ses élèves l’admirent et boivent ses paroles. Pour certains terroristes, pratiquer le jihad avec force violence et explosions revient sans doute à avoir  » l’esprit du sabre » tel que peut le concevoir un pratiquant d’arts martiaux. Dans le film Opération Dragonle dernier film réalisé du vivant de Bruce Lee, Han, est plus proche du meneur de secte et du terroriste que du pratiquant d’arts martiaux qu’il a pourtant été. L’histoire se déroule sur une île. Mais on aurait pu imaginer que si ce film se tournait aujourd’hui, qu’on y verrait aussi des attentats dans certaines parties du monde comme on peut le voir dans bien des films de James Bond vers lequel Opération Dragon lorgne. 

 

Pour revenir à Bruce Lee dans Ip Man 4, on nous le montre plutôt pragmatique et responsable (bien qu’un peu provocateur tout de même). Il accepte le combat. Car il sait que le combat fait partie du Voyage qu’il a initié en se rendant aux Etats-Unis.  C’est, du reste, un des sens du film et de tous les films de ce genre :

Le combat est un voyage mais aussi un tremblement. S’opposer à l’autre pousse à faire un voyage vers soi-même. Un voyage intérieur dont les tremblements nous révèlent à nous-mêmes. Ulysse a accompli l’odyssée. Bruce Lee, lui, fait de même au travers des arts martiaux qu’il amène aux Etats-Unis. A moins que ce ne soient les arts martiaux qui, par leur existence propre, ne le poussent à se rendre aux Etats-Unis. Puisque au travers de ces Maitres chinois qu’Ip Man rencontre aux Etats-Unis, on comprend qu’ils sont les gardiens exclusifs et féroces d’un art martial qui a peut-être été très vivant en eux auparavant mais qu’ils ont laissé mourir en quelque sorte pour mieux laisser pousser le souvenir qu’ils en ont. 

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 Il me semble que lors du  second combat de rue de Bruce Lee (face à un adversaire qui se servira finalement d’un nunchaku), on accède à une dimension mystique des arts martiaux. C’est une chose de voir que Bruce Lee devine les mouvements – prévisibles pour  lui- car mal appris finalement, mal incorporés, ou trop vite ingurgités, de son adversaire qui a suffisamment de pratique pour intimider le citoyen lambda étranger au combat. Pratique qui se révèle grossière devant un Maitre comme Bruce Lee qui « est » le combat. Un peu comme si, dans l’océan, on voulait battre à la nage un dauphin ou un requin avec une paire de palmes en carbone.

 

C’en est une autre de « voir », lorsque l’adversaire de Bruce Lee, dominé, sort son nunchaku comme une baguette magique,  que c’était comme s’il touchait en fait à une divinité ou à un objet sacré qu’il souillait. Et que, pour cela, Bruce Lee, alors quasiment en transe, le corrigeait.

 

 

Conclusion

 

 

Dans cette opposition entre différents pratiquants d’arts martiaux dans Ip Man 4- Le dernier combat, on perçoit que pour certains adeptes, les arts martiaux servent surtout à détruire ou à assurer un sentiment personnel de suffisance et de supériorité.  Pour Ip Man, les Arts martiaux doivent servir à « vaincre les préjugés ». Si en prime abord, la position de Ip Man est « jolie » moralement et que ses relations avec son fils ainsi qu’avec la fille d’un de ses rivaux font partie des gros atouts du film, le message final gâche beaucoup. Parce-que le message final, concernant l’opposition entre le Wing Chun et le karaté, c’est qu’en raison de son efficacité finalement démontrée, le Wing Chun va être enseigné…aux Marines qui sont formés pour détruire et tuer de par le monde pour assurer la domination américaine. Donc, c’est quand même dommage d’avoir réalisé un film qui prône la tolérance, l’antiracisme, qui montre à des pères qu’ils font erreur lorsqu’ils s’obstinent à vouloir  à tout prix imposer leurs propres rêves à leurs enfants pour, au final, nous dire :

 

Grâce à Ip Man et au Wing Chun, l’armée américaine sera désormais encore plus forte. Merci la Chine ! Quant aux Marines fortes têtes tels que Barton Geddes ( interprété par Scott Adkins) et son bras droit, Collins, qui se font « ratatiner », on ne sait pas ce qu’ils auront appris de leur défaite. Qu’ils ont eu tort ? Ou qu’ils doivent s’entraîner plus dur au karaté pour revenir plus fort et aller défier Ip Man dans sa tombe ?

 

 

Pareil pour la jeune lycéenne américaine, blonde aux yeux bleus, qui, faute d’avoir échoué à museler la jeune chinoise Yonah a eu recours au harcèlement et à la violence physique : on ignore ce qu’elle devient à la fin du film. La maitresse de Bruce Lee ?

 

 

Cet article est une construction. Quelle que soit l’énergie consacrée pour l’écrire et le temps passé dessus, il est loin d’être une vérité absolue. Chaque nouvel article est sans doute un ancien article que l’on a déjà écrit et que l’on essaie de mieux écrire afin qu’il soit au plus près de nos émotions et de nos réflexions du moment.

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 14 aout 2020.

 

 

 

 

 

  

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
Micro Actif Voyage

Un article simple

 

                                                                 Un article simple. 

 

 

 

On peut aussi compléter la découverte de cet article avec Dans la galerie de Michel ainsi qu’avec Gémissements

 

Franck Unimon, ce lundi 10 aout 2020.