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Correspondance et introspection

 

                                  Correspondance et introspection

 

 

Ce week-end, nous sommes passés à l’heure d’été. Comme chaque année, à cette période de l’année, nous avançons nos montres d’une heure.

 

Mais nous avons tellement de retard sur nos peurs et nos angoisses qu’il faudrait avancer nos horloges internes de plusieurs heures ou de plusieurs années  pour essayer de le combler. Et même comme ça, ce ne serait peut-être pas suffisant.

 

Notre planète sera un jour à court de certaines de ses richesses mais le réservoir de nos peurs et de nos angoisses est, lui, inépuisable. Inévitable. Nous sommes chacune et chacun des quantités astronomiques de ces peurs et de ces angoisses et nous sommes désormais des milliards sur Terre. Même s’il nous arrive régulièrement de penser que nous sommes seuls sur Terre.

 

J’ai lu dans ce numéro du journal Les Echos que je cite et récite, au point que l’on pourrait se demander si c’est la seule fois de ma vie que j’ouvre et lis un journal, qu’il a vraisemblablement fallu «  en gros, 250 millions d’années pour constituer les stocks de charbon de gaz et de pétrole qu’on est en train de griller, d’après les spécialistes, en seulement 250 ans ! » (Chronique de Xavier Fontanet, dans le journal Les Echos du jeudi 26 mars 2020, page 12).

 

Pour que nos peurs et nos angoisses soient des réservoirs à ce point inépuisables, je me demande combien de temps il a fallu à l’Humanité pour les constituer. Le jour où on le saura, sans doute parviendrons-nous, aussi, à entrer dans l’immortalité.

 

Sur ces peurs et sur ces angoisses, je n’ai pas plus de droits que les autres. Et j’ai peur ainsi que des angoisses comme tout le monde. Peut-être pas de façon aussi visible que d’autres. Peut-être pas toujours pour les mêmes raisons que d’autres. Mais cela ne change rien :

 

Les peurs et les angoisses ne sont pas destinées à des défilés de mode. Et je ne me perçois pas comme un couturier de mes peurs et de mes angoisses que j’exposerais plus que d’autres à travers des mannequins vivants. A travers des bouquins, peut-être. Si j’y arrive un jour.

 

En attendant, je me résume aussi à des articles comme celui-ci.

 

 

Mon meilleur ami s’inquiète pour moi. Il me l’a dit il y a quelques jours.  Ma mère et ma sœur, aussi. Un autre ami, également. Et encore un autre.  Et d’autres personnes encore.

 

Ces attentions me font plaisir. Je les reçois au coup par coup. Cette épidémie est une épreuve d’endurance. Et il n’y pas que le physique qui compte. Il y a aussi le mental, le moral. Comment on se repose. Comment on détruit ses mauvaises « morales ». Oui, j’ai bien écrit « détruit ». « Détruit » plutôt que « couver » ou «  nourrir ». Détruire peut avoir du bon. Esquiver, aussi. Détruire l’invisible. Esquiver cette occupation invisible.

On est presque dans une expérience délirante (et dépersonnalisante ) : collectivement, et chacun à sa façon, nous essayons de détruire ou d’esquiver l’invisible.

 

Hors du contexte d’une épidémie, de cette épidémie,  qui est bien réelle, si on racontait ça à quelqu’un :

 

« J’essaie de détruire l’invisible. De l’esquiver ». Elle ou il nous prendrait pour un fou.

 

 

L’inquiétude de mon meilleur ami pour moi est bien réelle. Ainsi que celles d’autres personnes. Pourtant, avant hier soir, sur le périphérique, au volant de ma voiture, mon inquiétude était concentrée sur un autre sujet :

 

Je m’étais montré « dur » avec ma fille à la maison. On peut, comme me l’a dit plus tard mon meilleur ami, se dire que le principal, c’est de s’en rendre compte. Mais lorsque l’on est lancé dans une certaine attitude assez extrême et qu’il nous est en quelque sorte impossible de nous détendre, tout, absolument tout, peut être prétexte à nous « déclencher ». J’ai été comme ça avec ma fille pendant dix à quinze minutes avant hier.

 

A la fois, je percevais que j’étais trop dans le « dur ». Mais c’était plus fort que moi. Une sorte de dépersonnalisation. Une forme de transe sans jouissance. Où ce qui reste, ensuite, c’est le souvenir précis, immédiat, de ce que l’on a « accompli » :

 

 Un acte de torture mental.

 

Ma fille s’est défendue.  Ce qui est bon signe. Elle m’a dit :

 

«  Mais qu’est-ce que tu peux être pipelette ! ». Et, moi, pour moitié conscient et pour moitié incandescent, j’ai répondu :

 

« Parce-que je te répète des choses que tu es supposée savoir maintenant ! ».

 

Lorsque je suis parti au travail, j’étais revenu à mon état « normal » et ma fille et moi avions de nouveau une relation agréable et affectueuse. Mais je n’ai pas aimé ça de moi.

 

 

Je ne sais pas si cela a joué dans le fait qu’ensuite, je me sois relâché au moment de partir prendre mon train pour aller au travail.

Une fois à la gare, le panneau indiquait que le prochain arrivait dans…58 minutes. Impossible de l’attendre. Cela m’aurait fait arriver à 22h ou 22h30 dans mon service au lieu de 21h, heure à laquelle je commence.

 

En temps ordinaire, 45 minutes me suffisent en transports en commun pour arriver à mon travail. Là, j’étais à la gare avec une heure d’avance. Insuffisant pour être à l’heure avec un train qui arrive dans 58 minutes.

 

Alors, j’ai dû prendre ma voiture pour aller au travail. Une Première pour moi depuis que je travaille sur Paris. En bientôt 11 ans. La roue de mon vélo était toujours crevée. Et une heure aurait été trop juste de toute façon pour être au travail à vélo. Le temps de me changer. De me rendre au local où je range mon vélo. Je suis une vraie mariée quand je prends mon vélo pour aller au travail. J’emporte tout mon trousseau : vêtements de rechanges, compléments alimentaires, mon livret de famille, mon carnet de vaccinations etc…

 

 

Lorsque mon meilleur ami m’a appelé sur mon téléphone portable, je n’ai pas répondu. J’étais sur le périphérique. Même si c’est contre mes principes de prendre ma voiture pour aller au travail, je me disais qu’au moins, en prenant ma voiture, je faisais de «  la distance sociale » et donc de la prévention sanitaire.

 

Le trajet s’est déroulé sans incident. Même si, au début de mon trajet, sur la A15, j’avais aperçu sur l’autre voie, en sens inverse, une personne sur un brancard en train de se faire transporter. Accident de la route. L’accidenté (un homme apparemment) était conscient. A moitié assis sur le brancard. Plusieurs véhicules de secours étaient arrêtés sur l’autoroute. Vu le peu de trafic routier, les secours avaient dû arriver assez « vite ». A condition qu’ils ne soient pas trop surchargés et pas trop épuisés par les effets de l’épidémie qui se surajoutent aux interventions « courantes ».

 

 

J’ai écouté le message de mon meilleur ami une fois au travail. Il souhaitait avoir de mes nouvelles.

 

La nuit a été calme jusqu’à 3h du matin.

 

 

A partir de 3h du matin, une jeune patiente, réhospitalisée la veille, a commencé à nous solliciter. Toutes les 30 secondes. «  Vous avez de l’eau gazeuse ? ». « Vous avez une banane ? ».

 

Il nous a fallu la maintenir dans sa chambre. Pour éviter qu’elle ne déambule dans le service, entre dans la chambre des autres patients ou adopte certains comportements que l’on qualifiera d’inadéquats et qu’elle a déployés en notre présence, dans sa chambre où, à tour de rôle, ma collègue et moi avons fini par nous relayer.

 

Mains dans la culotte et simulation de masturbation. Tentative pour sortir de sa chambre. Tentative de s’installer dans l’armoire de sa chambre. S’allonger par terre. Simulation de coït par terre. Aller se voir dans le miroir. Baisser son pantalon. Relever le store. Tenter d’ouvrir la fenêtre de sa chambre (située en hauteur). Impossible de détailler avec précision le nombre de demandes, le nombre de fois où nous nous sommes adressés à elle et avons essayé de la « raisonner » et de l’enjoindre à aller se recoucher sur son lit.  Où elle ne restait pas tranquille. Le nombre de fois où il lui était impossible de passer plus d’une minute sans nous solliciter. Sans nous « provoquer ». Sans faire le contraire de ce qu’on lui disait de faire. Une conversation, un accord avec elle ? Impossible.

 

 

 

Comme ça, jusqu’à 7h10 environ. Heure à laquelle, une collègue du jour est venue me relever après que ma collègue de nuit ait fait les transmissions. Nous étions du même avis, cette collègue de jour et moi : il valait mieux que la jeune patiente descende avec nous.

 

Pourquoi n’avons-nous pas sollicité le médecin de garde ? Pour ma part, parce-que nous « connaissions » déjà cette patiente. Et que je me rappelle qu’il lui avait fallu plusieurs jours- et nuits- lors d’une de ses hospitalisations précédentes pour s’apaiser et « faire » ses nuits, le traitement aidant.

Qu’a t’elle comme diagnostic ou comme maladie ? Je ne le dirai pas. Je peux dire qu’elle « était » hypomane : agitée, désinhibée, plus ou moins confuse. Mais je parlerai pas de son diagnostic car ce qui me préoccupe, plus qu’un tableau ou une étiquette, c’est comment essayer d’entrer en relation, comment faire au mieux pour y parvenir, malgré l’état et la situation.

Plutôt que d’appliquer un protocole de manière mathématique en se disant : devant tel tableau diagnostic, je fais ceci ou je fais cela.

 

Il faut apprendre à penser. Autant voire plus que d’apprendre à appliquer et à systématiser un type de réponse et de comportement de manière bornée et automatique.

 

Or, avec l’épidémie, nos peurs et nos angoisses sont devenues automatiques. En quelques jours. A moins qu’elles ne l’aient toujours été, ce qui est bien possible, et qu’une certaine cosmétique sociale nous masquait certaines de nos peurs et de nos angoisses.

 

Pour avoir un aperçu de la vitalité de nos peurs et de nos angoisses concernant l’épidémie, il suffit de faire un petit « voyage » sur les réseaux sociaux. Le voyage est « gratuit » et peut être illimité.

 

 

Réseaux sociaux ou non, je me suis fait prendre à tout ça. L’épidémie ceci, l’épidémie cela. Et moi, je pense ça, et moi, je pense ceci.

 

 

Puis, j’ai fini par me dire que ça suffisait. Enfin. Qu’il me fallait changer d’état d’esprit. Au bout d’une bonne dizaine de jours, ou plus. Depuis l’appel, pardon, depuis l’allocution présidentielle du 16 Mars 2020. Et tout ce qui s’en est ensuivi.

 

 J’approuve complètement tout ce qui est relatif aux gestes barrières, à la distance sociale, au confinement etc….

 

Mais c’est de cet état de vocifération et d’excitation anxieuse générale, dont j’estime qu’il faut savoir sortir. Car cet état de vocifération et d’excitation anxieuse généralisée est une autre forme de confinement. Et, il est pire, je crois, que le confinement destiné à limiter et à esquiver l’épidémie.

 

Bien-sûr, pour moi qui peux sortir prendre l’air pour aller au travail, et ainsi augmenter à chaque fois le risque d’attraper le virus, c’est facile de dire ça.

 

Hier soir, j’ai pu reprendre le train. Cette fois, je suis parti de chez moi avec plus d’une heure trente d’avance. J’ai attendu quinze minutes le train direct pour St Lazare.

 

J’en ai profité pour appeler mon meilleur ami. Je lui ai donné de mes nouvelles. Puis, il m’a donné de leurs nouvelles, de lui et de sa compagne. Pardon, de sa femme. Certaines personnes sont très susceptibles avec les usages sociaux. Et je voudrais m’éviter une descente de décibels dans les oreilles.

 

Donc,  en discutant hier soir avec mon meilleur ami,  j’ai ainsi appris que sa compagne avait contracté le virus la semaine dernière. Au travail. Elle n’est pas soignante. Mais elle côtoie des personnes en situation précaire. Et une de ses collègues avait contracté le virus auparavant.

 

Donc, la compagne de mon meilleur ami était confinée chez eux depuis quelques jours. D’abord de la fièvre, jusqu’à 38°5, courbatures, fatigue, difficultés respiratoires. Ça allait mieux du côté de la fièvre et des courbatures. Par contre, il semblait que chaque jour apportait un nouveau symptôme. Diarrhée. Mal aux oreilles. Nausées. J’ai découvert tout ça en écoutant mon meilleur ami. Comment ça se fait ? Parce-que depuis le début de l’épidémie, je m’en tiens aux gestes selon moi prioritaires :

 

Se laver les mains, distance sociale, port du masque quand c’est possible. Et, rester calme, autant que possible. Et respecter le confinement.

 

 

Il faut bien rester calme en arrivant à la gare St Lazare. Même s’il y a moins de monde que d’habitude. Le hall de la gare est devenu un atelier de « zombies ». On y travaille sa vélocité comme à l’athlé. A petites foulées, il s’agit de slalomer entres les « zombies » :

 

Des êtres humains comme moi, qui, patiemment, attendent leur train en faisant semblant d’ignorer les embruns de l’urgence.

Certains portent des masques. D’autres pas. En masques, j’ai vu un peu de tout. Cela va du masque de chantier, au masque de couleur noir apparemment en tissu, en passant par le masque chirurgical (il y a beaucoup de chirurgiens désormais dans la rue) jusqu’à quelques masques FFP2. Il est certain qu’un marché des masques est en train de se créer et qu’après l’épidémie, il va y avoir toute une gamme de masques de prévention sanitaire qui va arriver. Même les grands couturiers vont s’en inspirer. Comme pour le voile.

 

 

Quelques heures plus tôt, le marchand de cycles qui m’a « dépanné », ne portait pas de masque. Pas plus que l’autre client avec lequel je l’ai trouvé. C’était déjà une très grande et très agréable surprise qu’il soit ouvert. D’abord, lundi, il m’avait rappelé alors que son magasin est fermé les lundis. Je ne suis pas certain qu’une enseigne comme Décathlon aurait fait ça. Ensuite, en fin de matinée ce mardi, il s’est en effet rapidement occupé de moi.

 

 

La veille, il m’avait appris avoir dépanné «  une infirmière » et « un cardiologue ». Et m’avait affirmé, lorsque je lui avais appris être également infirmier :

 

« Je vous soutiens ! ». Et quel soutien ! La première fois que j’étais venu dans son magasin de cycles, un des clients m’avait dit, content : « C’est un artisan, à l’ancienne ! ».

 

Il est certain que la relation clientèle est très différente avec lui. Pédagogue, celui-ci ma expliqué d’où venait selon lui la cause de ma crevaison. La « roue » de ma jante était usée. Elle était d’origine. Plus de vingt ans.

Perfectionniste, une fois ma roue de jante et ma nouvelle chambre à air posée, Monsieur est allé jusqu’à tenter d’insérer le mieux possible le pneu. Il m’a expliqué qu’il pouvait y avoir un effet de rebond vu que mon pneu s’était relâché.

 

J’en ai profité pour acheter d’autres chambres à air, et encore ceci, et encore ça.  Ainsi qu’un nouveau carnet de vaccinations et une robe de mariée. Pour mon vélo.

 

Lorsqu’il m’a présenté l’addition, il m’a dit : «  ça monte vite ! ». J’aurais peut-être payé moins cher à Décathlonmais ce que cet artisan m’a donné valait selon moi la somme qu’il m’a demandé.  Cet homme-là, pour moi, est un héros. Travailler dans ces conditions, sans masque. Le voir se pencher comme il l’a fait pour réparer ma roue de vélo. Sans plier les genoux. Sans s’asseoir.  Sans faire attention à son dos.

 

Je vois évidemment un grand parallèle entre l’attitude de cet artisan, entre le métier de soignant dans un hôpital public mais aussi de tout professionnel dans une institution publique et avec toutes ces personnes qui acceptent bien des contraintes inhérentes à leur travail et capables de donner plus que ce pour quoi on les paie ou les forme :

 

De la relation. Un réel conseil. Une attention véritable.  Et non pas des phrases toutes faites solubles dans des protocoles, des spots publicitaires, et des méthodes de pensée et d’action servant avant tout à se faire du fric et voir celle ou celui qui se présente principalement comme un mouton bon à tondre. J’ai tort de penser ça ?

 

 

On continue. Comme sur le chemin du retour, il y avait un Lidl. Je m’y suis arrêté pour faire quelques courses. Il y avait un peu de monde. Mais pas autant qu’il peut y en avoir dans un Lidl. C’était la première fois que je me rendais dans ce Lidl. Sur le parking, un homme d’une trentaine d’années, devant une voiture, côté passager, s’est allumé un pétard. Je croyais que lui et son copain partaient. Non. Ils venaient de se garer.

 

J’ai réussi à me garer plus loin. Et j’ai évidemment gardé mon masque chirurgical dans Lidl. Mais je n’étais pas très rassuré. J’ai fait quelques courses. Quelques personnes portaient un masque. D’autres, non. Puis j’ai patienté à une caisse. La caissière avait une double couche de masques. Un masque chirurgical sur un masque en tissu apparemment. Une protection plastifiée se trouvait devant elle. Les deux hommes que j’avais vu se garer étaient derrière moi. Ils n’ont pas toujours respecté la distance de un mètre. Et ils ne portaient pas de masque. J’ai fait avec en leur tournant le dos.

 

A la caisse, je n’avais même pas encore payé que le vigile, masqué, m’a demandé à voir l’intérieur de mon sac à dos. Je lui ai répondu :

 

« Je vais peut-être payer d’abord, et ensuite, je vous montre ? ». Il a accepté. J’avais donc une tête de suspect ?

 

Après avoir payé, je lui ai montré l’intérieur de mon petit sac à dos. Il a jeté un coup d’œil. Ça lui a suffi.

 

De retour chez moi, j’ai bien dormi. Plus que ce que j’avais prévu. Ma compagne est rentrée avec notre fille plus tard que prévu. Je ne m’en suis pas aperçu tout de suite.

 

Le temps de reprendre une douche, j’ai dû rester dix minutes en tout avec ma compagne et ma fille. Puis, je suis reparti au travail. Par le train. Comme je l’ai déjà dit. Avant de partir au travail  hier soir, ma fille m’a dit : «  Je t’adore ! ». J’ai beaucoup de chance. A son âge, on pardonne encore beaucoup à ses parents. Cela change à partir de l’adolescence.

Ou même avant.

 

Hier soir, en sortant de la gare St Lazare, il n’y avait plus les policiers des dernières fois. Ils ont disparu depuis plusieurs nuits. Peut-être l’effet du manque de masques que subissent aussi les policiers.

 

En m’éloignant de la gare St Lazare, j’ai aperçu une femme qui courait. Elle est venue sur ma droite. Elle courait sur la route. Comme on dit : «  Elle avançait bien ». Allure régulière, décontractée. Elle devait être sur la fin de son footing. Elle était facile. Belle foulée. Elle m’a rapidement distancé, moi qui marchais, et dont le principal effort a consisté à traverser la route afin de me rapprocher d’une station de métro. Ou de l’arrêt d’un bus.

 

La veille, ma collègue de nuit m’avait dit avoir trouvé qu’il y avait plus de monde dans les transports en commun. Pour elle, cela tenait au fait que bien des personnes travaillent au noir pour s’en sortir financièrement. Et que le confinement se prolongeant, il leur faut le rompre afin de pouvoir s’y retrouver un minimum économiquement. Moi, je crois aussi que certaines personnes trouvent le temps long, confinées chez elles. Et comme l’occupation virale que nous vivons est invisible, elle paraît inexistante. On croit s’être habitué au danger. On croit que le plus dur est passé. S’ajoute à cela l’effet psychologique de l’heure d’été et le fait que les jours se rallongent.

 

On pense plus facilement à la mort lorsqu’il fait nuit plus vite, plus tôt et plus longtemps. Et qu’il fait sombre et gris dehors. Mais lorsque les jours se rallongent de plus en plus et qu’il fait jour de plus en plus tôt comme c’est désormais le cas…..

 

Alors que même si les températures restent fraîches (1 degré ou deux  encore ce matin, je crois) il fait beau. Il y a du soleil et les lumières du jour sont belles. D’autant plus parce qu’il y a moins de pollution atmosphérique puisqu’il y a moins de voitures qui circulent et sans doute aussi moins d’usines en activité. Et moins d’activité économique d’une manière générale.

 

 

Hier soir, une fois dans Paris, j’ai fait une partie du trajet jusqu’à mon travail en bus. L’autre partie à pied. Il y avait un peu plus de monde dans le bus que la dernière fois à la même heure.

 

Lorsqu’une femme est descendue du bus, deux hommes montés dans le bus en même temps que moi, se sont ni plus ni moins installés juste devant moi. Comme au « bon vieux temps ». Bien que l’un porte un masque (chirurgical) et l’autre, une étoffe autour de son visage, Je leur ai dit :

 

« Messieurs, il n ‘y a pas un mètre, là ! ».

 

L’un des deux, l’aîné visiblement, m’a répondu dans un sourire :

 

« On ne va pas rester debout, quand même…. ».

 

Je me suis abstenu de faire du mauvais esprit et de dire :

 

« Lorsque vous serez mort, vous n’aurez plus besoin de vous asseoir ».

 

A la place, je me suis levé et je me suis reculé. Mais voilà qu’arrive un autre homme, « tendance » SDF qui vient s’asseoir presque en vis-à-vis avec moi. Je me lève et m’éloigne encore. Cette fois, je me rapproche de l’avant du bus où je m’assieds à une distance de un mètre d’autres passagers déjà assis. Dont une dame, sur ma gauche, qui porte un masque et qui tricote ou regarde son téléphone portable.

 

 

Dix minutes passent à peine lorsque mon ex-voisin « tendance » SDF commence à se plaindre et à demander à ce que l’on appelle les pompiers !  Le chauffeur de bus l’interpelle, alors : «  Qu’est-ce qui se passe, monsieur ?! » tout en continuant de rouler. Et les deux hommes «  On ne va pas rester debout, quand même », qui sont désormais les plus proches de l’homme qui se plaint attendant manifestement que ça se passe. Aucun des deux ne réagit particulièrement.

 

 

Trente secondes plus tard, je suis dehors et je marche. Je laisse le bus repartir. Je tombe sur ce coucher de soleil que je prends en photo avec la Tour Eiffel en arrière plan.

 

 

Après une bonne demi-heure de marche, je me rapproche de mon service quand je tombe sur une jeune hospitalisée, dehors. Elle est en pleurs et en compagnie d’un homme qui m’explique qu’il allait appeler ses parents.

La jeune me répond qu’elle vient de fuguer du service. Elle me suit sans difficulté. L’homme, rassuré de savoir que je connais cette jeune, nous salue.

 

 

Tout en marchant vers le service, la jeune me répond qu’elle voulait revoir ses parents. Que ceux-ci lui manquent. Elle me montre par où elle a fugué. Sa fugue me rappelle une autre fugue il y a plus de quinze ans dans un autre service où j’avais travaillé.

Ce jour-là, après être allé au cinéma, j’avais opté pour aller faire un tour au magasin Virgin à la Défense. Magasin depuis remplacé par un Mark & Spencer si je ne me trompe.

 

Alors que j’allais entrer dans le Virgin, j’étais tombé sur une jeune du service. Puis, une seconde. Puis, une troisième. Puis, celle qui était peut-être l’instigatrice de la fugue.

Le temps de comprendre, une des quatre jeunes m’avait déposé dans la main la « sécurité » de la fenêtre par laquelle elles avaient fugué. Le service était situé en rez de jardin.

Ensuite, cela s’était passé très vite. « L’instigatrice » de la fugue (une fugueuse multirécidiviste. Dont une des fugues solitaires s’était mal terminée pour elle en ce sens que, recueillie par un homme, elle s’était faite violer par lui) avait donné le signal et les quatre jeunes s’étaient mises à courir dans la Défense, me laissant sur place. J’avais prévenu mes collègues d’alors qui se demandaient où ces jeunes avaient bien pu passer. Elles avaient tout « simplement » pris le RER en fraudant et s’étaient rendues à la Défense. Elles étaient finalement revenues d’elles-mêmes, saines et sauves, dans le service un peu plus tard. Sauf, peut-être, l’instigatrice de la fugue. J’ai un peu oublié.

 

 

Hier soir, la fugue de cette jeune a été plus brève. Cinq à dix minutes. Mais j’aurais pu ne pas la croiser.  Elle aussi a des « conduites à risques » : tentatives de suicide, rapports sexuels (non-protégés ?) avec des hommes….

 

Plus tard hier soir, au moment d’aller dans sa chambre, elle me remerciera en quelque sorte. Et m’expliquera que ma présence l’avait rassurée. Car l’homme avec lequel je l’avais trouvée, lui faisait « peur » car elle ne le connaissait pas. Comme m’a dit ma collègue de nuit : peut-être que cette jeune s’est fait peur.

 

Ma collègue de nuit hier soir a d’abord été une collègue de jour terminant sa journée à 21H.

Mais à 21h15, aucune de mes collègues de nuit n’était présente. J’ai donc un peu mieux regardé le planning. Erreur de planning : une collègue encore en arrêt de travail avait été marquée comme présente hier soir avec moi.

Ma collègue de nuit mobilisable me répond qu’il n’y a déjà plus de train pour venir.

 

Je pourrais joindre le cadre d’astreinte comme on dit. Mais celle-ci ou celui-ci est un cadre qui ne connaît pas le service et qui s’occupe de l’hôpital d’une manière générale. De tous les services. Je ne sais pas sur quel genre de cadre je vais tomber. Une ou un administratif ? Un cadre ou une cadre  qui va tenter de « m’envoyer » un ou une collègue d’ailleurs qui ne connaît rien au service ? Un cadre ou une cadre qui va m’apporter plus de contraintes que d’aide ? Un cadre ou une cadre incapable de penser par lui-même ou par elle-même et va qui appliquer des protocoles et me les imposer ?

 

J’opte pour essayer de joindre nos cadres. Notre faisant fonction de cadre ne répond pas tout de suite lorsque je l’appelle. Alors, je me souviens que nous pouvons joindre notre cadre de pôle ( ex-cadre sup) à toute heure en cette période d’épidémie. Nous avons encore cette chance de pouvoir joindre notre cadre de pôle à toute heure du jour et de la nuit sur son téléphone portable. Elle nous en a informés. Je la joins rapidement. Elle me donne rapidement son aval pour que ma collègue de jour fasse cette nuit en heures sup avec moi. En deux minutes, c’est réglé, contre beaucoup plus de temps si j’étais tombé sur une cadre ou un cadre d’astreinte « collé » au protocole.

 

 

La nuit se passe bien.

 

 

 

Cette nuit, vers 5h15, une jeune vient nous trouver. Elle a une boule dans le ventre. Une angoisse. L’un de nous reste un peu avec elle, l’écoute. Discute avec elle. Lui  donne un traitement prescrit pour ce genre de situation. Cela s’apaise vers 6h05.

 

 

Dans la journée d’hier, la jeune qui nous avait sollicité toutes les 30 secondes la nuit précédente avait été transférée dans un service de psychiatrie adulte. Sans doute dans une chambre d’isolement ou chambre de contention. En tout cas, dans un service plus fermé que le nôtre.

 

 

Ce matin,  j’ai eu l’idée de retourner dans cette pharmacie où, fin février, j’avais acheté trois masques FFP2 comme je l’ai écrit à la fin de mon article Coronavirus.

 

Un peu sur la défensive, une pharmacienne m’a répondu qu’ils n’avaient plus de masques. J’ai demandé :

 

« Donc, il n’y en n’aura plus ?! ». Elle m’a répondu un peu sur le même ton, toujours sur la défensive:

 

« ça ne veut pas dire qu’il n’y en n’aura plus ! Mais on ne sait pas quand il y en aura ! ».

 

On sentait la femme qui avait été dû être agressée verbalement plus d’une fois par des clients angoissés et énervés. Mais on sentait aussi la personne apeurée par l’épidémie. Depuis mon passage dans cette pharmacie un mois plus tôt ( le 24 février), chaque caisse de cette pharmacie avait été protégée de manière éviter les contacts et….tous les personnels que j’ai croisés dans cette pharmacie, de la femme de ménage, en passant par les vigiles, ce matin, portaient un masque….FFP2. Soit, actuellement, la « Rolls » des masques préventifs en cette période d’épidémie.

 

Je me suis abstenu de dire à cette professionnelle que je « savais » que la France est en pénurie de masques. Que la Chine est aujourd’hui capable de produire 110 millions de masques par jour contre 1 million pour la France actuellement. Que je l’avais lu dans le journal Les échos que je cite, à nouveau, du jeudi 26 mars dernier. ( article de Frédéric Schaeffer, page 8 Comment la Chine est parvenue à produire 110 millions de masques par jour). ( Le sacrifice )

 

Je me suis abstenu de lui dire qu’en tant qu’infirmier dans un hôpital, j’étais un peu au courant de la pénurie de masques et de tenues préventives. Cette professionnelle et  personne subissait les événements comme tout le monde. Même si on pouvait supposer qu’elle, comme ses collègues, « bénéficiaient » sans doute d’un stock de masques FPP2. On pouvait se dire qu’elle comme ses collègues assuraient avant tout leurs arrières et que c’était chacun pour soi et le business comme d’habitude puisque la pharmacie restait ouverte et que j’imagine que son chiffre d’affaires devait être particulièrement attractif depuis l’épidémie, contrairement au chiffre d’affaires des kiosques à journaux. Et des hôpitaux publics.

 

A la place, j’ai préféré voir une certaine forme d’ironie dans ce genre de situation. Ainsi qu’un caractère comique dans ce revirement caricatural et extrême d’attitude :

 

Un mois plus tôt, le 24 février, un des collègues de cette pharmacienne me disait tranquillement qu’il espérait que « ça allait bientôt se calmer », toute cette inquiétude autour de l’épidémie du coronavirus. Tout en me vendant trois ou quatre masques à 3,99 euros l’unité, soit un tarif déja exorbitant. Un mois plus tard, cette pharmacie, entreprise privée dont le chiffre d’affaires doit être plutôt bon, ne vend plus ces masques FPP2 mais tous les personnels de cette pharmacie en portent. Pendant ce temps-là, dans mon service, dans un hôpital public, plusieurs de mes collègues sont régulièrement en colère devant cette pénurie de matériel de protection, dont, nous, «  les héros de la nation », nous manquons.

 

Pendant qu’on est encore un peu du côté des « héros de la nation », nous, les soignants.

 

Afin de témoigner du quotidien en tant «  qu’agent hospitalier » en période d’épidémie du coronavirus, j’avais pensé à une amie et collègue de ma compagne. J’en parle dans un de mes derniers articles.

 

On se souvient que cette personne que je considérais comme légitime voire plus légitime que moi pour témoigner avait finalement décliné au motif qu’elle s’estimait…. « illégitime » pour témoigner.

Depuis, cette personne a contracté le Covid. Et, je ne l’ai pas relancée pour témoigner.

 

Il semblerait qu’après s’être portée volontaire pour aller s’occuper de patients atteints du virus, en psychiatrie adulte, qu’elle l’ait attrapée. Si c’est vraiment comme ça qu’elle l’a attrapée, il lui a donc « suffi » » de quelques heures d’exposition en utilisant des masques chirurgicaux au lieu de masques FFP2 (puisqu’il n’y avait pas de masques FFP2 à disposition). Je ne me moque pas d’elle. Mais il y a quand même un aspect ironique dans la situation : se sentir illégitime pour témoigner, et, à peine une semaine plus tard, attraper le virus. C’est quand même au moins ironique. Voire comique. Fort heureusement, elle se remet chez elle du virus.

 

Il y a quelques jours, j’ai essayé de « draguer » une  de  mes collègues de jour afin qu’elle témoigne. Après que celle-ci vienne de me raconter qu’en passant par la station Stalingrad, le matin, assez tôt, pour venir au travail, qu’elle avait peur. Car elle croisait une population de toxicomanes. Et que cette population restait imprévisible. Or, à l’heure où elle passait à Stalingrad, du fait du confinement, il y avait très peu d’autres personnes dans les métros.

Ma compagne, aussi, m’avait déjà raconté l’équivalent de ce genre « d’anecdote ». En prenant le RER E, quasi-désert, en se rendant au travail.

Mais ma collègue « Stalingrad », lorsque je lui ai demandé :

« Voudrais-tu témoigner de ton quotidien durant l’épidémie ? » m’a alors répondu qu’elle ne comprenait pas ce que je lui demandais. Elle, qui venait de me dire que la prochaine fois qu’elle rencontrerait des policiers dans la rue, qu’elle leur dirait qu’il faudrait faire en sorte d’assurer la sécurité de certains endroits comme Stalingrad. Mais quand je lui ai proposé l’idée de témoigner, sous couvert d’anonymat, c’était comme si je lui avais parlé dans un métalangage.

 

Quelques nuits plus tôt, à une autre collègue, j’avais aussi fait la même proposition. Elle avait décliné, m’expliquant qu’elle avait trop de préoccupations personnelles en ce moment. Ce que je sais. Mais, aussi, sa méfiance. A quoi ce témoignage allait-il servir ? Pourquoi ? Pour qui ? Et, j’avais retrouvé certains des rouages de pensée et d’inquiétude que j’avais déjà connus il y a plusieurs années dès qu’il s’agit de demander à un infirmier de s’exprimer oralement ou par écrit. Publiquement.  Et de laisser une trace.

Laisser une trace de son expression personnelle, pour un infirmier, c’est comme laisser une empreinte sur une scène de crime.  On souffre peut-être particulièrement d’une forme de névrose de l’antiseptie, mais, cette fois, mentale : Tout doit rester propre et immaculé après notre passage. On ne doit pas pouvoir soupçonner ou suspecter que l’on a pu exister ou penser en dehors du groupe. Ou de la norme supposée du groupe dont on fait partie dans le corps médical et paramédical.

 

On peut aussi, par pudeur,  être un soignant travaillant dans le public et, pourtant, concevoir notre expression et ce que l’on pense comme relevant uniquement du domaine privé.

 

 

Donc, je ne sais pas si je fais vraiment « bien » d’écrire ce que j’écris et comment je l’écris dans ce témoignage en période d’épidémie, d’insomnie, coronavirus Covid-19. Mais je sais que d’autres ne se priveront pas et ne se privent pas de s’exprimer qu’ils soient du milieu de la santé ou étrangers à ce milieu.

 

 

La polémique autour du professeur Raoult ? D’éventuels traitements qui seraient ou pourraient être efficaces ? Je ne m’en occupe pas. Je suis concentré sur ma vie de tous les jours. Les gestes barrières. Sur mes relations avec mes collègues et les patients. Mais aussi appeler certaines personnes. Ou répondre aux messages lorsque l’on m’en envoie. Sur ma vie avec ma compagne et ma fille. Sur, par exemple, le fait que j’avais prévu de passer moins de temps sur cet article. Beaucoup moins de temps. Et, voilà, je n’ai pas encore déjeuné. Je ne me suis pas encore reposé et je suis encore en train d’écrire. Heureusement, je ne travaille pas cette nuit ni demain soir. Ce sont mes repos hebdomadaires. Demain et après-demain, je resterai avec ma fille à la maison. J’espère évidemment faire mieux qu’avant hier soir.

 

Ces derniers temps, ma compagne et moi avons commencé à regarder une série qui s’appelle Warrior, produite, je crois par la fille de Bruce Lee, Shannon Lee d’après « The Writings of Bruce Lee » peut-on lire sur la jaquette du dvd. Un des dvds empruntés à la médiathèque de ma ville lorsque celle-ci était encore ouverte. Avec Sanjuro  de Kurosowa, Guy Jamet de et avec Alex Lutz.

 

La série Warrior est moyenne. Elle réplique beaucoup ce que l’on a pu voir ailleurs. Le « héros » est un peu trop prétentieux. Il y a beaucoup de tics en ce qui concerne plusieurs des personnages. Mais cette série a un autre mérite en plus de nous faire penser à autre chose que l’épidémie. Elle nous rappelle le racisme antichinois des Etats-Unis car nous sommes, je crois, au début du 20ème siècle, au début de cette série.

 

Cette série nous rappelle que les Etats-Unis sont un pays qui s’est construit sur le racisme. Sur différents racismes. Anti-Amérindien( Dans les trois premiers épisodes de la première saison, on  n’en voit aucun dans Warrior, c’est dire !)  Antichinois, anti-Irlandais, anti-noir etc….

 

Ce pays a «  pris » le meilleur de diverses cultures, de diverses communautés tout en délimitant en permanence ces diverses cultures et ces diverses communautés. En les minant de rivalités et de haines solides. Et le pays, les Etat-Unis, s’est construit sur ça.

 

Alors, aujourd’hui, on parle beaucoup de l’épidémie, de la menace économique chinoise. On parle moins, pour l’instant, du terrorisme ou d’une catastrophe nucléaire.

Tout cela constitue, avec d’autres évidemment, des expériences bien concrètes qui peuvent nous menacer ou nous inquiéter. Mais lorsque l’on regarde d’un peu plus près l’histoire intestine des Etats-Unis, on peut se dire que Chine ou pas, épidémie de Coronavirus ou pas, les Etats-Unis possèdent déjà en eux, depuis le début, tout ce qu’il faut pour s’autodétruire un jour ou l’autre.

 

Donc, peut-être que, plutôt que de s’obséder uniquement sur l’épidémie du coronavirus et de tout ce dont elle nous prive ou peut nous priver, faut-il, aussi, prendre le temps de l’introspection. Et essayer de construire. Et essayer de voir ce qui, en nous, peut nous permettre d’esquiver notre tendance- assez automatique- à l’autodestruction. Et au déni.

 

Franck Unimon, ce mercredi 1er avril 2020.

 

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Argenteuil Corona Circus Voyage

Cette nuit : enterrement du mois de mars 2020 en beauté

 

                                                  Cette nuit

Cette nuit, j’ai dû prendre ma voiture pour aller au travail. Je me suis un peu trop relâché hier soir quant aux horaires et j’ai raté le train. Le suivant arrivait une heure plus tard. Impossible de l’attendre pour être à l’heure au travail.

 

C’était une Première pour moi que de devoir prendre ma voiture pour aller au travail sur Paris.

Ce matin, je suis un peu fatigué. Mais ça n’est pas encore mon heure d’aller me coucher. 

En rentrant tout à l’heure, j’avais prévu de « publier » quelques photos de Tags ou de graffitis pris en photo ces dernières semaines et ces derniers mois jusqu’à ce matin en me rendant au travail ou en revenant. Et puis, finalement, pourquoi se limiter ? Cela fait des années que je n’aime pas le mois de mars. Je le trouve trop long. Je n’aime pas cette période. Je vais enterrer ce mois de mars-ci en beauté. Ce sera un peu mon  » We’re gonna chase those crazy baldhead out of town » ( Titre  » Crazy Baldhead » de Bob Marley). En créole guadeloupéen, on dirait :

 » Nou Kay Krazé Sa ! ».  » Fouté Sa An Bwa ! ». 

 

Voici donc quelques photos prises entre le mois de Janvier de cette année et ce matin en allant au travail ou en en revenant ou ailleurs ( avant le 16 mars 2020) .

Ce ne sont pas des photos du périphérique. Ce sont des photos choisies en écoutant l’album Live de 1991 de Manu Dibango et le titre Crazy Baldhead de Bob Marley en studio ainsi qu’en concert.

Si certaines de ces photos reviennent plusieurs fois, c’est parce-que je n’ai pas voulu choisir entre l’une ou l’autre. On revient bien plusieurs fois aux endroits que l’on aime bien.

 

Merci aux artistes ! Merci aux personnes présentes.

Photos prises à Argenteuil, dans la région d’Angers et à Paris.

Franck Unimon, ce mardi 31 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au conservatoire d’Argenteuil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette galette s’appelle la  » Peggy ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le danseur Dany ( ou Dani).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Scène (s) à Rio

Scène (s) à Rio 3

 

                                                 Kolé Séré

 

Un couple : une femme blanche et un homme noir.

On les découvre dans leur appartement ( ou dans leur chambre d’hôtel après leur première nuit de lune de miel). Madame est réveillée au son du djembé que Monsieur joue très mal au pied du lit. Mme se plaint doucement du tapage. Monsieur est très militant à propos de ses racines. On découvre la décoration de l’appartement : des souvenirs divers de l’esclavage, des formules en créole du genre «  La Vi Sé on Konba, Si nou Moli nou Mo ! ».

Devant les plaintes polies de Madame, Monsieur clame :

« Quoi, je suis noir, qu’est-qu’il y’a ?! ». Monsieur est assez virulent mais sa virulence a quelque chose d’inoffensif voire de ridicule. On perçoit bien que Monsieur est bien plus gentil qu’il veut le croire lui-même.

 

S’ensuit une « conversation » échevelée entre Monsieur et Madame au cours de laquelle, Monsieur soupçonne/accuse Madame d’avoir sûrement une part de responsabilité dans l’esclavage de ses ancêtres avec ses yeux verts ( ou bleus) et le fait qu’elle soit blonde ( ou tout simplement blanche). Madame se défend patiemment. On comprend que Monsieur assaisonne leur foyer de références liées à sa culture d’origine et à son Histoire. Musique antillaise, palmiers, nourriture des Antilles, igname au petit déjeuner….

 

Lorsque Monsieur tombe sur un pot de mayonnaise – caché- dans l’appartement, il « s’emporte » et part dans une tirade/diatribe contre ce « condiment des blancs » et revendique la suprématie du piment oiseau.

 

Après cette première scène d’exposition, on voit séparément Madame et Monsieur, séparément, face caméra, comme lors des téléréalités qui s’expriment librement et répondent aux questions d’une sorte de psychologue qui reste hors-champ ( L…) à propos de leurs problèmes de couple. Thérapie de couple ou télé-réalité, on hésite. Toujours est-il qu’à la fin de cette histoire, radieux, le couple nous apprendra, face caméra, en se tenant la main, qu’il attend un heureux événement.

 

Franck Unimon

 

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Scène (s) à Rio

Scène (s) à Rio 2

 

L’histoire de Paul Scolopendre et son enfant/fils

 

 

Première scène : musique « Sensuelle »  de Ludo. Gros plan sur mon visage et, en particulier, sur mes lunettes jaunes que je porte. On voit que je remue la tête en rythme. Au rythme du zouk du titre de Ludo. Je dois avoir l’allure du dragueur des tropiques telle qu’on peut se l’imaginer.

 

Deuxième scène : on élargit le champs et on s’aperçoit que je suis sur le quai d’une gare. Type gare d’Argenteuil mais cela peut être ailleurs. Peut-être filmer cette scène au mois d’aout lorsqu’il y’aura moins de monde. Soit tôt le matin ou tard le soir.

La musique de Ludo continue de se faire entendre et l’on m’aperçoit toujours qui dandine de la tête. Je suis habillé comme un cadre moyen. J’attends le train.

Je tourne la tête dans la direction d’une jeune femme sur le quai qui attend aussi le train.

 

La jeune femme n’est vraiment pas à son avantage physiquement. Donc, l’enlaidir un maximum.

 

Pourtant, mon personnage (Paul Scolopendre) la voit autrement. Alors que l’on continue d’entendre le titre de Ludo, on voit comment je la vois/ comment je nous vois elle et moi.

 

Scène suivante : voici ce que Paul Scolopendre voit lorsqu’il regarde cette jeune femme.

La jeune femme danse avec lui un zouk sensuel. Lui a toujours ses lunettes jaunes, a un air très sérieux, le menton relevé, il a plus tendance à regarder en l’air tandis que la jeune femme, en jupe, cheveux longs lâchés, bien maquillée, danse contre lui façon shakira, assez déchainée. Plusieurs fois, elle fait tourner sa tête de droite à gauche, et, en passant « gifle » le visage de Paul Scolopendre avec ses longs cheveux. En dépit de l’attitude de la jeune femme, Paul Scolopendre continue de danser en restant sérieux, assez raide dans ses déplacements finalement. Et, on finira par s’apercevoir qu’il porte une paire de palmes jaunes et noires (de plongeur) aux pieds tandis qu’il danse avec « Shakira» sur le quai.

 

Franck Unimon

 

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Scène (s) à Rio

Scène(s) à Rio 1

 

                                                    LOA

 

 

Un homme est dans une enceinte commerciale. Il s’apprête à contracter un crédit afin d’acquérir un bien de consommation ridicule ( quoiqu’à la mode) au moment des soldes. Cet article peut être une feuille de papier que l’on se met autour du cou ou un vulgaire bout de pâte à modeler avec lequel avec lequel on se promène en le portant dans le creux de sa main.

Cet article est-il très cher ou a-t’il un prix dérisoire ? Toujours est-il que notre homme n’a pas les moyens de se l’acheter ou de l’acheter pour l’offrir à sa compagne.

 

L’enceinte commerciale où il se trouve lui propose de bénéficier d’un crédit moyennant la constitution d’un dossier afin de voir, s’il peut prétendre à ce crédit.

 

La constitution de ce dossier aboutit à un entretien entre un employé quelque peu rigide- mais aussi assez intrusif- de cette enceinte commerciale et notre homme qui doit répondre à des question très personnelles en vue de peut-être obtenir le dit-crédit, six mois après la constitution du dit-dossier.

 

Exemples de question :

 

A quand remontent vos derniers rapports sexuels ?

Trompez-vous votre femme ?

La date de vos dernières règles ?

Etes-vous un menteur ?

 

 

Franck Unimon.

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Corona Circus Crédibilité

Le sacrifice

 

                                                    Le Sacrifice

Pour la première fois hier soir et encore un peu plus, il y a quelques heures, j’ai remis de l’humour dans mes articles. Oui, je crois que je peux concevoir de l’humour. Et, quelques fois, d’autres personnes le croient aussi.

 

Depuis la première allocution du Président concernant l’épidémie (c’est étonnant, je n’ai déjà plus envie de citer le nom du Président ni même de l’appeler «  Général »), j’ai en effet transféré ce que je prends pour de l’humour dans un de mes articles intitulé Je l’aimerais peut-être. Article plus drôle que l’article Ce serait facile que j’avais écrit hier matin et que j’avais renoncé, pour l’instant, à publier. Car je m’étais dit que cet article, Ce serait facile,  n’était vraiment pas drôle.

Mon article Contrainte et motivation écrit auparavant et par contre, lui, publié sur mon blog, n’était pas particulièrement drôle non plus, je pense.

 

Donc, hier soir, j’ai commencé à me dire que ce serait bien, mieux, de respirer après ces articles que j’écris depuis bientôt dix jours ou un peu plus. Car, oui, depuis la première allocution du Président de la République (même le mot «  République » me dérange), j’avais perdu la notion du temps. J’avais oublié la date de l’allocution : Le 16 mars 2020. Il y a 11 jours. 11 jours pour changer d’époque. Et de vie.

 

Enfin, depuis hier ou avant hier, je commençais, je crois, à m’adapter. J’ai acheté plusieurs journaux avant hier afin de lire ce qui se dit et ce qui se passe dans le monde à la fois concernant l’épidémie. Mais aussi pour sortir la tête du chaudron. Et ça a marché, d’acheter ces journaux, de commencer à les lire ( Les Echos, The Times, El Pais, Le Parisien, Le Monde, Le Canard Enchaîné d’autres….j’en ai eu pour près de 30 euros de journaux papier. Non, non, les journaux ne se vendent pas tant que ça m’avait-il été répondu : « Entre choisir de sortir pour faire des courses ou venir acheter le journal, les gens préfèrent aller faire des courses » m’avait-il été expliqué. Par contre, toujours pas de trace du journal El Watan). 

Ce matin, j’ai aussi changé la chambre à air de la roue arrière de mon vélo. Je ne crois pas que le Tour de France acceptera de me prendre comme préparateur de vélos mais je suis néanmoins arrivé à rendre mon vélo de nouveau utilisable.

Des pompiers effectuant un Footing hier ou ce matin près des Galeries Lafayette.

 

Ensuite, je suis allé faire quelques courses- dont du thé Matcha- à propos duquel j’ai lu beaucoup de bien pour la santé en me disant que je n’aurai plus de raison de sortir pendant tout le week-end jusqu’à ma reprise du travail, ce lundi.

 

Mais, dans ma tête, ça a changé depuis moins d’une heure. Il a suffi d’un message laissé sur mon téléphone portable cette après-midi alors que je me reposais de ma nuit. Pour l’instant, je n’en n’ai pas parlé à ma compagne. Je la crois plus inquiète que moi vis-à-vis de ce qui se passe.

 

Dans ce message, mon ancien collègue infirmier qui est maintenant « faisant fonction de cadre infirmier » m’explique qu’il a reçu de nouvelles informations. Qu’il aimerait m’en parler. J’ai compris en écoutant qu’il est question soit d’aller remplacer de jour dans mon service ( je travaille de nuit) ou d’aller dans un service «  Covid » de l’hôpital qui m’emploie : Certains patients porteurs de troubles psychiatriques ont contracté le virus. Et, bien-sûr, il convient de les surveiller d’une façon particulière en raison du risque médical et vital. Jusque là, rien d’étonnant au vu des « événements».

 

 

Sauf que ma compagne étant aussi infirmière, elle est aussi susceptible que moi d’être sollicitée pour les mêmes raisons. Et que, elle comme moi, sommes un petit peu au courant…du manque de matériel de protection pour les soignants (masques, tenues, gel hydro-alcoolique….). Puisque nous sommes directement concernés.

 

Dans le journal Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020, on apprend par exemple dans l’article  Comment la Chine est parvenue à produire 110 millions de masques par jour ( page 8, signé F.S pour Frédéric Schaeffer sans doute) que des milliers d’entreprises chinoises produisent des masques, y compris des entreprises ( tant publiques que privées), qui, initialement, étaient sur d’autres secteurs ( automobile, électronique etc…). L’article se conclut ainsi : « A lui seul, BYD produit 5 millions de masques par jour. Cinq fois plus que la France ».

 

Sur la même page de Les Echos, Guillèn del Barrio, un infirmier urgentiste à Madrid, déclare dans l’article de Cécile Thibaud :

 

«  A Madrid, nous manquons de lits, de matériel, de personnel, de tout…. ».

Nous apprenons aussi dans cet article que : « Avec 3.434 décès depuis le début de l’épidémie, le pays compte déjà plus de victimes mortelles que la Chine ( 3.281 selon les chiffres de Pékin).

 

Dans le même journal, à la même date, toujours, on peut apprendre néanmoins que la France, pour l’instant, gère (bien) mieux l’épidémie que les Etats-Unis  ( article Les Etats-Unis, prochain épicentre de la pandémie mondiale, article de Virginie Robert, page 7.

 

Les Etats-Unis ont mal géré l’épidémie,  d’abord, nous explique Les Echos parce qu’il y a encore un mois, le Président américain Donald Trump «  dédramatisant les risques de l’épidémie, demandait seulement au Congrès….2,5 milliards de dollars, pour acheter des équipements de protection et surveiller la progression du virus » ( article Washington déploie l’artillerie lourde pour sauver son économie de Véronique Billon, page 6, Les Echos du jeudi 26 mars 2020).

 

Sauf que, poursuit le même article «  Les Etats-Unis sont devenus entre-temps le troisième foyer mondial de l’épidémie de coronavirus derrière la Chine et l’Italie, avec plus de 55.000 cas de contamination, et plus de 800 décès, selon le décompte de l’université Johns Hopkins ».

 

 

Ensuite, la France offre une « assurance-santé quasi gratuite alors qu’elle est liée à l’emploi aux Etats-Unis » (propos de Roland Lescure, député ( LREM) des Français d’Amérique du Nord, président de la commission des Affaires économiques dans l’article intitulé Quand on est dans la tranchée, on ne s’interroge pas sur le coût des munitions, signé V.L.B, page 7 toujours dans Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020.

 

« Avant même d’en mesurer les conséquences, le modèle social made in USA en lui-même aura participé à la profondeur de la crise : Un quart des salariés ne bénéficient d’aucun congé maladie payé et même un sur deux dans les métiers les moins rémunérés (….) quel choix, dès lors, avait un salarié légèrement fiévreux travaillant dans un hôtel, un restaurant ou un supermarché ? » (article coronavirus : un «  stresse test » pour le modèle social américain, de Véronique Le Billon, page 9 Les Echos  du jeudi 26 mars 2020.

 

Autre handicap des Etats-Unis pour gérer l’épidémie comparativement à la France, toujours dans le même article :

 

« Vu de l’extérieur, il n’y a qu’un président aux Etats-Unis- Donald Trump. Mais, en réalité, cinquante gouverneurs décident chacun du degré de confinement dans leur Etat, sans beaucoup de concertation. Avec un Donald Trump alternant déni, prise de conscience et optimisme démesuré, l’absence de cap clair aggrave aussi la crise et le « chacun pour soi ».

 

Le « Chacun pour soi », ça peut donner ça (à nouveau, l’article Les Etats-Unis, prochain épicentre de la pandémie mondiale) :

 

« A Manhattan, l’argent fait plus que jamais la différence pour se procurer au marché noir des masques vendus à prix d’or ou carrément des appareils de ventilation ( s’ils en trouvent) que les plus riches gardent sous le coude, au cas où, rapportent des résident effarés ».

 

 

Néanmoins, les Etats-Unis ont réussi à adopter un plan de sauvetage de «  2.000 milliards de dollars » dont « 100 milliards » sont destinés aux « hôpitaux » et aux « prestataires de soins » ( article Prêts, chèques et allégements de charges : un plan hors normes de V.L.B et N.Ra, page 6 de Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020).

 

 

La France aussi fait des efforts avec de moindres moyens financiers. « 100 milliards de dollars » aux Etats-Unis pour les hôpitaux et les prestataires de soins ? J’ai oublié ce que le gouvernement français avait proposé ou a proposé en termes d’aide financière pour les hôpitaux. Dans les 300 millions d’euros ou quelque chose comme ça, non ?

 

 

De notre côté, en France, le « chacun pour soi » a aussi commencé. Hier matin en rentrant, j’étais à peine descendu du train dans ma ville que deux ou trois hommes commençaient déjà à entrer. J’ai dû un peu m’imposer. Il y avait pourtant largement le temps, et la place dans la voiture, pour me laisser sortir. Même s’il peut y avoir du meilleur chez l’être humain, devant ce comportement,  je me suis demandé ce que ça allait donner après deux ou trois semaines de couvre-feu et de confinement.

 

 Un peu plus tôt, dans le service, deux de mes collègues du matin étaient en colère :

Dans la rue, on pouvait voir des personnes porter un masque FFP2 alors qu’il en manquait à l’hôpital. Des stocks de masques et de gel hydro-alcoolique auraient été volés dans des hôpitaux.

Un de mes collègues a affirmé que dans d’autres services de psychiatrie, le personnel était fourni en tenues, alors que nous, nous n’en n’avions plus et devions nous contenter de masques chirurgicaux. Il fallait savoir ! Il y a encore peu, en raison de suspicion de coronavirus, nous devions tous porter dans le service une tenue et porter un masque. Et, maintenant, on nous disait que cela n’était plus nécessaire de porter une tenue. Parce qu’il en manquait ?! Ou parce-que cela n’était plus nécessaire?! 

 

De nuit, dans mon service, en ce moment, quatre collègues sont en arrêt de travail.

Ce matin, une aide-soignante intérimaire déjà venue travailler dans notre service est revenue. Les hôpitaux et les établissements de santé (tant publics que privés) font appel à du personnel intérimaire ou vacataire depuis au moins trente ans. Ce n’est donc pas une nouveauté. J’ai aussi été intérimaire et vacataire. Et, j’avais même entendu dire que sans ce personnel intérimaire ou vacataire, bien des établissements de santé ne pourraient pas tenir. Ceci pour souligner que la pénurie de personnel soignant qui s’est accentuée ces dix dernières années – en décidant de ne pas remplacer le personnel parti ou convalescent, ou en supprimant des postes- a, à mon avis, amplifié une pénurie qui était déjà persistante dans les murs des établissements de soins.  Un peu comme un incendie à combustion lente.

Et ces choix «  très avisés » de gestion de personnel, de locaux, de façon de soigner et de planning éclaboussent en premier lieu les soignants qui sont dans les services et qui doivent « assurer » en servant de contre-feu.

 

On peut se dire que le fait de devoir dépendre de personnel intérimaire, donc particulièrement « itinérant », est une incohérence supplémentaire dans la gestion de la crise sanitaire actuelle. J’ai préféré voir « dans » cette collègue intérimaire la possibilité de savoir comment ça se passait dans un autre service de l’hôpital : Celle-ci m’a appris avoir effectué une mission récemment dans un service d’hospitalisation psychiatrique adulte où il n y avait pas assez de matériel de protection pour tous les soignants. J’en ai donc déduit- si comme un de mes collègues l’a affirmé, certains services de l’hôpital sont bien équipés en matériel de protection- que tous les services de notre hôpital ne bénéficient pas, de manière égale, des mêmes moyens de protection en masques, tenues, gels hydro-alcooliques etc….

 

 

Ce qui nous amène un peu plus au sujet de cet article. Il y a une heure maintenant, je suis allé souhaiter une bonne nuit à ma fille. Pour la première fois depuis les mesures relatives au couvre-feu et au confinement débutées il y a une dizaine de jours, je l’ai regardée différemment. Alors que ma fille me parlait et me souriait, et m’interrogeait sur le soleil, les étoiles, le carburant, comment ça se fabrique… mon cerveau se dédoublait. S’il est assez fréquent d’entendre que les hommes ne peuvent pas faire deux choses en même temps contrairement aux femmes, cela est faux pour les hommes qui sont pères, éducateurs ou se sentent responsables de quelqu’un d’autre.

 

Je n’ai pas particulièrement peur, pour l’instant, de mourir du coronavirus en allant au travail. Par contre, l’idée que ma fille soit exposée à la perte d’un ou de ses deux parents en raison d’un manque de matériel de protection alors même que « l’on » nous demande d’aller au casse-pipe ne passe pas. Ça ne passe pas. On peut me parler de «  héros de la Nation », de médaille, de nom de rue, de Panthéon, des « honneurs de la France » et de tout ce que l’on veut. Je ne prends pas. A la place de «  Héros de la Nation », j’entends plutôt les termes de «  Couillon de la Nation » si je décède ou que ma compagne décède parce-que nous aurons été mis en contact du coronavirus par manque de matériel. Du fait de mauvais choix répétés depuis des années concernant la façon de gérer les hôpitaux ainsi que le personnel soignant.

 

Par ailleurs, je n’ai pas été étonné d’apprendre que des soignants avaient été ostracisés car leur voisinage craignait qu’ils ne propagent l’épidémie.

Après l’épidémie, je suis curieux de voir ce que l’on nous dira à propos de notre fille quand elle retournera à l’école. Devra-t’elle observer une quarantaine supplémentaire par rapport aux autres enfants ? Sera-elle suspectée de pouvoir contaminer l’école ?

Et, même nous, les « héros ». On veut des héros qui se sacrifient pour nous. Ensuite, si les conditions sont réunies, et qu’on le souhaite, et aussi selon certains critères, on en choisira quelques unes ou quelques uns que l’on remerciera publiquement. Ou on permettra peut-être à leurs cadavres d’être enterrés avec des honneurs qui lui étaient interdits de leur vivant où leur statut était à peu près équivalent à celui d’un ver. On assurera à leurs proches ou à leurs descendants  » toute la reconnaissance » que la Nation leur porte. 

 

Mais il y a néanmoins des bonnes nouvelles. Dans le journal Les Echos de ce 26 mars que j’ai abondamment cité, il y a plusieurs articles où des personnes louent le numérique, la très haute capacité d’adaptation des Start-Up et les vertus de l’informatique, du télétravail, de la « communication » etc…que toutes les nouvelles technologies permettent. Puisqu’elles permettent de continuer de travailler, de s’adapter et de rester confinés.

 

Je ne conteste pas ces atouts. Sauf que ce sont- aussi- des personnes férues des nouvelles technologies, des algorithmes et des calculs en tout genre qui ont fini par être convaincues et par convaincre que l’on pouvait tout maitriser à la seconde près et s’ajuster en permanence aux événements. Cette épidémie, et d’autres catastrophes, avant et après elle, démontrent bien le contraire. Quels que soient les réels avantages que donnent les nouvelles technologies.

 

Et je suis très sceptique concernant notre monde s’il dépendait du tout numérique, du tout informatique. En cas de panne. En cas de virus informatique. En cas de piratage. En cas de désinformation. Lorsque l’on voit à quelle vitesse, et dans quelles proportions, une mauvaise information peut désormais se transmettre.

 

Il se trouve que, pour moi, notre Président actuel, mais aussi une bonne partie de celles et ceux qui l’entourent que ce soit au gouvernement ou ailleurs qui l’admirent et l’envient sont acquis depuis longtemps à cette conception qui est que le monde évolue et les technologies avec lui. Et que refuser ça, c’est avoir des difficultés «  à accepter le changement ». Je ne vois pas de changement dans le fait qu’il y a toujours des milliers voire des millions de personnes qui se font sacrifier ou se doivent de se sacrifier pour quelques uns qui restent bien à l’abri quelles que soient les conséquences de leurs actes et de leurs décisions. Et j’ai beaucoup de mal à l’idée de me sacrifier ou de devoir me sacrifier pour ce genre de personnes. On parle des irresponsables qui ne respectent pas les règles du confinement. D’accord. Mais ça ne m’empêche pas de voir qu’il y a des responsables tout autant irresponsables mais d’une autre façon concernant la façon de gérer ma vie.

 

Donc, pour moi, c’est évident : ma compagne ou moi, ira en renfort ou en remplacement dans un des services « Covid » de l’hôpital si nécessaire.  Je veux bien être celui qui ira. Mais pas nous deux.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 mars 2020.

 

 

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Je l’aimerais peut-être

                                                     

 

 

 

 

 

 

 

Peluches disposées pour marquer la distance sociale de prévention sanitaire pendant l’épidémie du coronavirus Covid-19.

 

 

 

                                                            Je l’aimerais peut-être

 

J’ai vraiment eu très peur quand elle m’a dit :

« Désormais que nous sommes confinés ensemble, je saurai quand tu mens ».

 

 

J’ai écrit ça sur ma page Facebook hier soir et ça a permis de faire sourire quelques personnes. J’en suis content. On pourra trouver ce genre d’humour misogyne et facile. Mais ça m’a fait du bien. Il était temps de transférer un peu d’humour dans ce que j’écris depuis une dizaine de jours.

 

Puis, j’ai failli ajouter :

 

« C’est le moment où jamais de revoir le film The Mask ».

 

Et, tout à l’heure, je viens de « trouver » :

 

« On a l’impression qu’aller faire des courses ou aller au travail est un acte héroïque tant on prend de risques. Ce soir, je regarderai dans le ciel comme dans Hunger Games pour voir si  j’y reconnais mon visage avec la petite musique ».

 

 

Mon humour ne plaira pas à tout le monde. Certaines personnes ne le comprendront pas et le trouveront déplacé car ce qui se passe en moment est grave et pesant. Mais ça fait des années, depuis l’enfance, que l’humour me permet de m’échapper de certaines situations très mal embouchées où l’anéantissement semble le  seul aboutissement possible. Evidemment, j’aimerais permettre à d’autres personnes de s’échapper avec moi par la porte de secours de l’humour. Mais je ne suis pas seul à en décider. Et je ne peux pas tout le temps faire «  le clown ».  Je trouve que faire rire tout le temps revient à en faire des tonnes et, pour ça, je n’envie pas les humoristes professionnels qui se doivent en permanence d’être des athlètes de –très- haut niveau de l’humour et en mesure de prouver rapidement et facilement qu’ils sont « bons ».

 

Moi,  je ne fais que tenter quelques pirouettes comme on essaie de réaliser un plat ou de lancer une crêpe en l’air avant de la rattraper. Des fois, ça passe et on est content. D’autres fois, non, et c’est comme ça. Ce n’est pas une raison pour s’arrêter de faire de l’humour si d’autres fois on a pu réussir son coup. Et si on a envie de tenter une « figure ».

 

On parle de mécanique du rire mais il est des moments où le rire arrive parce que nous sommes dans un moment de tension et d’émotion que la « farce » rompt  telle une poche des eaux. Et c’est ça qui fait rire ou sourire.  Cet écoulement possible hors de soi  par le rire ou le sourire. Mais personne, je crois, ne peut vraiment le prévoir avec certitude sans tenter cette figure.

 

Confinés 1.

 

En plus austère, j’ai d’emblée beaucoup aimé ce titre d’une chanson de Jimi Hendrix lorsque je l’ai lue la première fois il y a des années :

 

« I Woke up this morning And Found Out I Was dead ». J’ai peu de fois écouté ce titre. Ce n’est pas celui que je préfère de lui. Je préfère le titre à la chanson mais je n’ai pas écouté les paroles et c’était il y a très longtemps lorsque j’ai écouté cette chanson. Peut-être faudrait-il que je la réécoute lorsque je serai mort. Et, alors, je l’aimerais peut-être.  

 

En attendant, je préfère des titres comme If 6 was 9 ;  Castles made of sand ; Bold Love et d’autres…..

 

Confinés 2.

 

 

Franck Unimon, vendredi 27 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ce serait facile

  

                                                   Ce serait facile

 

«  Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante » peut-on lire à l’entrée du Panthéon.

Je vais finir par connaître cette phrase par cœur. Mais il y a une autre affirmation que depuis le couvre-feu décidé la semaine dernière, l’épidémie du Coronavirus Covid-19 va continuer de m’apprendre pendant plusieurs semaines :

 

« Hier à l’abandon, aujourd’hui, les soignants des hôpitaux publics sont les héros de la Nation ».

 

L’épidémie est dérangeante car en plus de nous désarmer et de tuer, elle nous oblige à comprendre que notre mémoire est changeante. Même si des monuments présents depuis des siècles sont là pour nous rappeler l’Histoire.

 

Cela a été facile d’oublier l’Histoire des hôpitaux publics. Même moi, je la connais peu.

 

Mais je me souviens encore que les mouvements de contestation des soignants  existent depuis plus d’une génération : ils n’ont pas débuté « seulement » en 2004 ou en 2005 avec la T2A, depuis dix ans ou quelques mois comme on peut encore le lire.  

 

A la fin des années 80, déjà  (au 20ème siècle). Cela serait très facile de continuer de l’oublier.

 

Comme cela serait très facile de croire qu’une prime et une revalorisation salariale vont suffire, comme d’autres fois, à gagner du temps, alors que les hôpitaux publics, comme d’autres institutions publiques, sont le miroir de la société mais aussi son socle.

 

Cela a été très facile de l’oublier. De l’ignorer. De (se) regarder dans d’autres miroirs. De « gérer » le sujet. De considérer qu’il y avait d’autres priorités.   

 

Et l’épidémie s’est imposée. C’est l’équivalent d’un Krach en bourse- mais en direct- que peu de personnes ont vu venir. Sauf que donner de l’argent, du matériel, s’ils font partie de la solution, ne vont pas suffire. Il va falloir donner de la pensée, du temps et du futur qu’on a bradé. Donner ce que l’on n’a pas ou plus que ce que l’on a, c’est souvent ce que l’on fait à l’hôpital tandis que d’autres prennent beaucoup plus qu’ils ne donnent. Ce n’est pas nouveau dans notre société. Ce serait facile de l’oublier.

 

Il va falloir rendre une autre vision du monde plutôt que de continuer à contribuer à sa division. Car, aujourd’hui, la division du monde est blindée et couverte par l’épidémie.

 

Ce serait facile de croire qu’après elle, nous serons prêts, que nous aurons tout prévu, que nous aurons tout modélisé et serons capables de tout maitriser. C’est ce que nous avons cru avant l’épidémie. 

 

Franck Unimon, jeudi 26 mars 2020.

 

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Contrainte et motivation

 

                                                            Contrainte et motivation

 

J’étais en train de sortir mon vélo de son local lorsque j’ai entendu un bruit étrange.  C’est peut-être ce son particulier- Ploc-ploc- qui m’a d’autant plus donné, instinctivement, l’idée de tâter mon pneu arrière. Il était crevé. Je me suis dit :

 

Soit j’ai très mal mis ma chambre à air arrière la dernière fois (il y ‘a deux ou trois mois tout au plus). Soit la nouvelle chambre à air, un premier prix, que j’avais mise était de très mauvaise qualité. J’ai un moment pensé à une de mes collègues, qui, lors de la grève des transports en Décembre, pour protester contre la réforme des retraites, avait crevé deux fois en l’espace de quelques jours.

 

Fort heureusement, j’avais des chambres à air de rechange, en principe de bonne qualité vu le magasin de cycles où je les avais achetées. Du temps de la grève des transports en Décembre. Ce magasin, aujourd’hui, est sûrement désormais fermé  depuis le couvre-feu consécutif à l’épidémie. 

 

Mais je ne pouvais pas me permettre de prendre le temps de changer la chambre à air de mon pneu arrière.

 

Le local où je mets mon vélo est à dix minutes à pied de chez moi. En m’y rendant, je m’éloigne de la gare…de dix minutes. Il devait être entre 19h30 et 19h40. Je reprenais le travail à 21h. Avec la diminution des transports, le fait que je ne m’étais pas renseigné sur les horaires de train, impossible pour moi de savoir quand j’aurais un train. Mais j’avais bon espoir.

 

J’ai laissé mon casque, mes lunettes et mon bidon d’eau dans le local. Fort heureusement, j’avais toujours sur moi mon Pass Navigo. J’allais devoir prendre les transports en commun pour aller au travail.

 

A la gare, première information après avoir passé les portes de validation « ouvertes » :

 

Le prochain train, direct pour Paris St Lazare arrivait trente minutes plus tard. Soit entre 20h15 et 20h20. Je pouvais donc, désormais, être en retard alors qu’avec mon vélo en état de marche, je serais arrivé avec quelques minutes d’avance.

 

Je suis repassé chez moi. J’ai expliqué ce qui se passait à ma compagne. Je me suis changé. J’étais prêt à prendre mes baskets afin d’aller au travail en footing depuis St Lazare. J’avais commencé à enfiler mon collant de footing. Ma compagne m’en a dissuadé : j’avais déjà fait assez d’efforts physiques cette semaine en m’y rendant à vélo. Et, là, d’un seul coup, je me prenais pour « un grand sportif ?! ».

Je lui ai répondu : «  Mais je suis un sportif ! ». Un ancien sportif, évidemment. Qui a vieilli en plus.

J’ai écouté ma compagne. Je me suis habillé comme quelqu’un qui allait prendre toute la chaine des transports en commun depuis chez lui.  A aucun moment, je n’ai envisagé de prendre ma voiture. Le temps moyen habituellement pour me rendre à mon travail en transports en commun est d’environ 45 minutes. Contre 1h05 au mieux à vélo. Si je ne traine pas. Si les feux de circulation sont «cléments».

Comme on me l’avait dit, assez peu de monde dans le train. Par contre, en approchant de St Lazare, le train se met  au ralenti. Cela fait quelques minutes que je suis devant les portes pour sortir lorsqu’un homme d’une trentaine d’années vient se placer à côté de moi, sur ma droite, sans vraiment donner l’impression de tenir compte de la distance de prévention sanitaire de un mètre. As usual. Cet homme qui a mis du  « sent-bon »  croit peut-être que le parfum le protège du virus.  Alors que le train se rapproche un peu plus de St Lazare,  je me surprends à sentir se déplacer en moi une certaine agressivité :

Je pourrais frapper cet homme. Juste parce-que, là, alors qu’il y a tout l’espace nécessaire pour respecter une certaine distance, il est venu se mettre là, juste à côté de moi. Je tourne ma tête dans le sens opposé à sa présence et attends la délivrance.

Cette réaction ne me ressemble pas. En temps ordinaire, même dans un train ou dans un métro bondé, je fais avec. Mais là, coronavirus Covid-19 + sentiment d’enfermement dans les transports en commun+ les contrôles de police ou de contrôleurs font que je suis monté dans ce train, auquel je n’ai pu échapper ce soir, sans doute avec un certain état de tension inhabituel.

 

Le train arrive à quai. J’ouvre et je me porte sur le quai. Je redécouvre la gare St Lazare après quelques jours de trajet à vélo. 

Très vite, je m’aperçois qu’il m’est impossible de choisir l’endroit où je vais prendre les escalators. La gare est quadrillée. Des sorties habituellement « praticables » sont barrées par des bandes adhésives blanches et rouges. Nous sommes arrivés sur la voie 26 ou 27. Il nous faut tourner à droite et aller jusqu’aux premières voies de la gare pour accéder à la sortie. Je comprends évidemment les raisons sanitaires de ce parcours mais j’ai l’impression que nous sommes traités comme du bétail.

 

Enfin, la sortie de la gare. Juste devant, quatre ou cinq policiers en bas des escalators en tenue. Des gorilles. Ils doivent bien faire entre 100 et 120 kilos chacun. Noirs, crâne rasé, sans masque sur le visage. Ils sont détendus et ont l’air très sûrs d’eux. Pas de contrôle. Tant mieux. En passant, je me dis que leur assurance est une erreur. Même si je sais que le port du masque n’est pas obligatoire dehors en l’absence de symptômes,  je sais aussi que l’on peut être un «  très beau bébé » et se faire aplatir méchamment à coups de massue par un tout petit virus de rien du tout.

 

Je suis obligé de me presser pour prendre le métro automatisé et sans conducteur de la ligne 14 car le prochain arrive dans cinq minutes. Il y en a moins que d’habitude. Et je n’ai pas envie de prendre le prochain. Je suis dedans. Le métro est à peine parti qu’un homme vient me demander l’heure. Plus ou moins SDF, plus ou moins passager. Habituellement, je réponds tranquillement. Là, je réponds mais à distance. Je suis méfiant. Pour raisons sanitaires.

 

Après lui, c’est une jeune femme d’une trentaine d’années qui passe. Sac chargé sur le dos, un ou deux autres sacs à la main, elle non plus, n’est pas très angoissée comme celui qui m’a demandé l’heure. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est une petite pièce. Elle m’explique que les foyers n’ont pas voulu d’elle ou qu’il n y’a pas de place pour elle. Elle accepte mon refus de lui donner une pièce avec un sourire de compréhension et poursuit sa quête dans le métro.

 

C’est à la gare de Lyon, ou j’hésite un peu entre les différentes sorties, en commençant à marcher, que je m’aperçois que je suis comme la roue arrière de mon vélo : crevé.

En traversant la Seine, j’aperçois le métro aérien de la ligne 5 qui se dirige vers la gare d’Austerlizt. Je me dis que je vais tenter le prendre vu mon état de fatigue. Et mon retard. Car, oui, dans à peine une ou deux minutes, je serai en retard au travail. J’avais prévenu les collègues qui m’avaient dit que ça allait aller. Dont une collègue de jour qui m’a dit qu’elle pourrait attendre. Néanmoins, j’aurais aimé être à l’heure.

 

En montant les marches pour prendre le métro ligne 5, je croise à nouveau un SDF, assis tranquillement. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a nettement moins de monde dehors et qu’on les voit plus mais ça donne l’impression que les transports en commun, à cette heure, deviennent leur territoire.

 

 

Le temps de me changer, de remettre la tenue de bloc avant d’aller dans le service, j’ai bien près d’une demie heure de retard. La nuit se passe bien. Mais je vérifie à nouveau que lorsque l’on est fatigué, le moral descend. Mon autodiagnostic se fait au petit matin :

Je suis déprimé. Lorsque l’intellect reste aussi affûté alors que notre moral, émoussé, se fait poussif, c’est que l’on est déprimé.

 

Je me demande ce qui me déprime. Je ne crois pas être déjà épuisé physiquement. Le contexte peut-être. Ce n’est pas une période festive. Oui, je crois que c’est ça. Le contexte. La charge anxiogène massive  que l’on s’est tous pris dans la figure, tous azimuts, en quelques jours.

 

Je « sais » aussi qu’être déprimé, avoir un moment de déprime, fait partie de ces moments où l’on est en train de s’adapter, corps et âme, à un stress important. Ce qu’il faut, c’est ne pas se laisser border depuis l’écume de la déprime vers l’enclume de la dépression.

 

En période de guerre ou d’épreuve, on s’attache beaucoup aux héroïnes, aux héros, à celles qui ont du charisme, des gestes magnifiques et définitifs même si ces gestes, surtout si ces gestes échouent ainsi qu’à celles et ceux qui accomplissent des exploits. Mais tout le monde compte dans un conflit comme dans cette épidémie. N’importe quelle action peut avoir son importance. Pour ma part, j’attache toujours beaucoup d’importance au fait de rester d’humeur égale. Et aussi de faire rire. Mais rester d’humeur égale ou faire rire lorsque votre moral échoue voire vous « tue », cela demande beaucoup d’efforts.

 

Alors, je fais au mieux avec ma collègue de nuit. Nous faisons notre travail. Nos relations restent correctes. Et, le matin, je prends sur moi lorsque notre première collègue de jour arrive. Je réussis à me décoincer question humour lorsque la deuxième collègue de jour arrive. Contrairement à ses habitudes, elle a lâché ses cheveux. Elle a un peu le visage serré. Peut-être la contrariété au vu du contexte, de son retard. Mais je m’entends bien avec elle. Alors, je la chambre avec ses cheveux lâchés : «  Caliente ! Caliente ! ». Elle sourit. Nous rions tous. Je commence à me désengager un peu de cette déprime.

 

Avant de partir du service, je prends une bonne douche. J’ai décidé d’en faire un rituel depuis le couvre-feu. Que ce soit pour des raisons tant sanitaires que morales. Prendre une bonne douche avant de partir du travail. Et, comme d’habitude, avant la douche, prendre un petit-déjeuner. Je bois du thé vert japonais depuis deux ou trois ans. Et depuis quelques mois,  du thé Gyokuro en particulier. Ce n’est pas pour frimer. J’aime le thé vert japonais. J’ai bien-sûr lu que c’était bon pour la santé : antioxydants etc…

 

J’utilise aussi quelques huiles essentielles. Ma collègue de nuit et moi commençons à avoir un rituel. Une goutte d’huile essentielle de Tea-Tree sur un poignet. On frotte ensuite sur notre autre poignet. Et on respire aussi un peu l’odeur en faisant attention à nos yeux. J’utilise aussi l’huile essentielle de Niaouli, de Ravintsara. Nous restons dans une période de l’année où les températures sont fraîches. Et, bien-sûr, se laver les mains avec du savon régulièrement. Maintenir autant que possible la distance sociale du mètre. Mais ce n’est pas toujours possible lorsque l’on prend la température d’un patient. Qu’on lui donne son traitement. Il y a la distance sociale de prévention sanitaire. Et il y a la distance sociale relationnelle. Les deux distances peuvent se gommer même si nous ne sommes pas à  la distance d’un slow lors de nos échanges avec les patients .

 

Ce matin-là,  en quittant le service, je suis ensuite allé interroger silencieusement le Panthéon :

 » Aux Grands Hommes, La Patrie Reconnaissante ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

Et j’ai à nouveau pris des photos comme j’en parle dans mon article Manu Dibango. Puis, je suis allé prendre des photos de Notre Dame que je n’étais pas allé revoir depuis des années. Même lors de son incendie si médiatisé.

 

J’aime prendre des photos car on peut dire beaucoup de choses avec une photo sans un seul mot.

J’aime prendre des photos car je trouve que c’est un bon anxiolytique.

J’aime prendre des photos car elles nous permettent de nous constituer une mémoire de moments dont on ne mesure pas toujours l’importance.

Enfin, j’aime prendre des photos car en les revoyant ensuite, on voit souvent ce que l’on ne voit pas au moment présent.

 

Je prends mon temps pour rentrer ce matin-là. Je sais qu’une fois rentré, je resterai enfermé. Peut-être que je prends mon temps aussi afin de continuer de me détoxiquer de mes émotions néfastes. Bien-sûr, j’ai prévenu ma compagne. Je croise quelques policiers qui font des contrôles. Personne ne m’arrête. Il fait trois degrés. 

 

En rentrant chez moi, je m’empresse de me réchauffer le plus possible. Je ne veux pas attraper froid.  Cela me contrariait de devoir rester chez moi pour cause de rhume ou de grippe surtout aussi tôt dès les premiers jours du couvre-feu pour répondre à l’épidémie. Pour une raison que je ne peux pas m’expliquer, je tiens particulièrement à « assurer » mes horaires de travail dans le service.Et, je déploie tout un arsenal de boissons chaudes et autres : citron, cannelle, miel etc….Je mange même les feuilles du thé Gyokuro après les avoir utilisées plusieurs fois. J’ai appris il y a environ deux mois lors d’un séjour dans la région d’Angers par le revendeur de thé que les amateurs du thé Gyokuro finissaient par en manger les feuilles.  Je mange d’abord quelques bouchées de feuilles de thé Gyokuro comme ça. Puis, pendant notre déjeuner, j’essaie de les accommoder avec de la sauce de soja au citron. J’ai préféré sans. 

 

J’échappe au froid. Cette nuit-là, à 3 heures du matin, j’entends ma fille en pleurs. Ces derniers temps, j’ai laissé ma compagne s’en occuper. Je l’entends avant ma compagne.

Cette fois,  je vais voir notre fille. Pourquoi tu pleures ? Elle m’explique. Assez vite, je me montre ferme. Car j’estime qu’elle est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que Ma-man ou Pa-pa monte pratiquement à la moindre contrariété pour résoudre le problème dont elle me fait part. Un problème qu’elle a déjà rencontré maintes et maintes fois. Pour lequel, sa mère et moi, nous l’avons entraînée maintes et maintes fois. Donc, moi, son père, j’estime que notre fille, au vu de ses multiples expériences, est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que la solution vienne de nous. D’autant qu’en pareille situation, elle a déjà « réussi » bien des fois.

Résistance et refus de ma fille. Elle déploie son attirail : bras croisés, tape du pied, pleurs, mal-soudain- au genou.

Je commence à me fâcher vraiment.  Tu peux taper du pied, croiser les bras, donc, tu as l’énergie qu’il faut pour résoudre ton problème. Ma fille avance au ralenti et commence à s’engager. Finalement, sa mère vient nous rejoindre. Vous allez réveiller « tout le monde » dans l’immeuble ! Moi, je m’en fiche de réveiller tout l’immeuble. D’une, je ne crois pas que nous allons réveiller tout l’immeuble. D’autre part, céder devant un enfant parce-que l’on a peur de faire du bruit ou de se faire remarquer, quelle erreur ! Ensuite, notre fille peut faire bien mieux que ce qu’elle fait. Elle n’est pas débile. Elle n’est pas handicapée. Elle n’est pas un bébé. Elle n’est pas une victime. Ce n’est pas une petite malheureuse abandonnée dès sa naissance dans un orphelinat mal famé. Et, ce n’est pas elle qui commande nos nuits !

Maman-sauveuse engueule tout de même notre fille. Mais, pour moi, ça fait trop de bénéfices vu le nombre de fois où ce genre de réveils et de sollicitations nocturnes se répète. Et, cette nuit, en plus, deux parents pour une seule enfant ! Qui plus est pour une enfant capable de faire beaucoup mieux. Je le dis avant de quitter la scène. Et je prédis à ma fille que La fessée va arriver un de ces jours ! Que maman soit d’accord ou pas d’accord !

 

Ce qui s’est passé cette nuit est une raison supplémentaire pour passer la journée du lendemain (hier) avec ma fille. Le matin, après les retrouvailles affectueuses, ma fille se rappelle du pain au chocolat que je lui ai acheté la veille pour le petit-déjeuner. Je le lui avais appris au moment du coucher après lui avoir massé le dos ainsi que les pieds. Notre fille avait été très contente d’apprendre que je lui avais acheté un pain au chocolat. Elle m’avait embrassé sur la tête et m’avait dit, contente :  » Tu penses à tout ! ». Ce matin, après le bonjour affectueux,  je lui reparle du « cinéma » de cette nuit. Oui, elle s’en souvient un peu. Elle me dit de quoi elle se souvient. Je complète et lui passe un savon. Ma fille marque d’abord le coup. Puis, après quelques minutes,  elle commence à soupirer et me dit :

«  Je m’ennuie…. ». Je lui dis que cette nuit, c’est moi qui soupirais. Et qu’il aurait fallu qu’elle soit aussi grande qu’elle se montre maintenant. Tu t’ennuies ? Tu vas aller passer un peu de temps dans ta chambre. Tu as faim ? On verra après.

 

Après le petit-déjeuner (environ cinq minutes plus tard) tout se passe bien. Jusqu’à ce qu’un moment, mademoiselle fasse traîner les choses lorsqu’il s’agit d’aller se brosser les dents. Quelques minutes plus tôt, elle était d’accord lorsque je l’ai prévenue. Là, lorsque je l’appelle, il faut qu’elle ait précisément quelque chose à faire. Jouer par exemple. Installer tel jouet comme ça. Et celui-ci comme ça. Je confisque. Et je mets ça en haut de l’armoire. Direction la salle de bain où le brossage de dents se déroule sans trop de façons. Puis, dans quelques minutes, ce sera les devoirs. D’accord.

 

Je suis en train de repasser et j’entends un bruit suspect. J’appelle ma fille. Non, non, je ne touche à rien ! Me dit-elle. Je me dis que j’ai peut-être imaginé des choses. Que je suis trop dans le contrôle.

 

Quelques minutes plus tard, je suis en train de me brosser les dents quand j’ai une « éclaircie ». Je vais voir ce que j’ai confisqué. Ce n’est plus en haut de l’armoire. A la place, il reste une trace du délit par terre devant l’armoire. Saisie par mon interpellation quelques minutes plus tôt, ma fille n’aura pas pensé, ensuite, à venir récupérer ce qui restait du crime. Je rappelle ma fille. Je suis ferme et calme. Je la confonds sans problème. Je lui demande de remettre en haut de l’armoire exactement ce que j’y avais mis. Elle s’exécute. Elle prend un tabouret, monte et remet tout en haut de l’armoire. Voyant l’ingéniosité ainsi que l’audace ( audace que je ne découvre pas tant que ça) je lui dis :

« Tu vois, là, tu n’as pas eu besoin de moi pour récupérer tes jouets dès que j’ai eu le dos tourné. Et je ne t’ai pas entendu pleurer ! Tu as même pu me mentir. C’est ça que je veux, la nuit ! Tu règles ton problème sans nous solliciter ta mère et moi ! ».

 

Ce matin, au réveil, ma fille m’a sauté dans les bras, très contente de me faire savoir que, cette nuit, elle avait su régler son problème toute seule, sans nous réveiller sa mère et moi. Elle m’a répondu que c’était facile et m’a expliqué comment elle s’y était prise. Je l’ai félicitée.

 

Par cet exemple, j’ai compris que devant une certaine contrainte, pour peu que ma fille ait la motivation et l’envie nécessaire d’atteindre son but, qu’elle savait déployer son intelligence et son corps de manière adéquate. Sans cette motivation et cette envie, la contrainte, voire le découragement, prennent rapidement le dessus et son réflexe est de se décourager, de refuser de faire des efforts…et d’appeler au secours alors qu’elle est parfaitement capable de s’en sortir toute seule. Sa mère et moi ne sommes pas des Thénardier : notre fille le sait plus que parfaitement. Elle est habituée à pouvoir compter sur notre disponibilité. Voire, sur notre culpabilité, si nous la laissons trop dans la difficulté, la pauvre petite ! 

 

 

Vis-à-vis de l’épidémie, nous sommes pareils. Chacun a un seuil personnel de contrainte et d’effort qu’il peut supporter. Et notre motivation et notre envie varient aussi afin d’atteindre notre but. Il convient donc, bien-sûr, au besoin, de savoir s’entourer de personnes qui peuvent nous aider à maintenir un niveau de motivation et d’envie suffisant afin d’accepter certaines contraintes, de réaliser certains efforts, en vue de surmonter un obstacle comme celui de l’épidémie.

Cet entourage peut faire montre de fermeté. Mais il doit aussi être bienveillant. Associer les deux attitudes est difficile, surtout sur la durée.  Et je rappelle que chez l’être humain, selon ce que je comprends, la norme, c’est l’extrême : Donc, souvent, l’être humain fait montre soit  de trop de fermeté, soit de trop de bienveillance.Il y a bien-sûr des lois et des règles ou des protocoles. Mais celles et ceux qui les font appliquer sont des êtres humains. Il y a donc souvent du bon. Mais aussi du mauvais selon les circonstances.  Et je ne suis pas pressé que l’informatique ou des robots prennent le contrôle en ce qui concerne l’application des lois : certains êtres humains se comportent déja suffisamment comme des robots borgnes et bornés. 

 

Au vu de ce que j’écris ce matin, on peut considérer que je vais mieux qu’avant hier soir. Sauf que l’épidémie est une épreuve d’endurance. Il s’agit donc de savoir se ménager.  De rester prudent. De s’aérer la tête dès qu’on le peut par des moyens autorisés qui sont compatibles avec les recommandations sanitaires. Faute de ne pas réussir à s’aérer, certaines personnes échapperont néanmoins au coronavirus covid-19, mais elles risquent d’être particulièrement épuisées moralement et physiquement après l’épidémie. Un autre effet secondaire à l’épidémie est le risque d’accoutumance à cette période que nous vivons. Cela peut paraître paradoxal mais nous vivons quand même une période qui nous engage d’une manière particulière et, même si cela peut nous demander certains efforts, voire de grands efforts, certaines personnes peuvent trouver dans cette épreuve un sentiment d’existence décuplé car il s’agit de donner le meilleur de soi.

 

Cette période de contrainte peut aussi être une période de grande créativité. Je le perçois à travers mes articles même si je les trouve « trop » stimulés par l’omniprésence de l’épidémie dans nos pensées.

Notre vie habituelle peut nous empêcher de donner le meilleur de nous-mêmes car nous nous sommes parfois laissés enfermer dans un sillon dont on a du mal à sortir. Alors, que, là, au cours de cette épidémie, nous n’avons pas le choix et nous avons une cause à défendre qui est celle, en principe, du plus grand nombre : survivre. Jaillir hors du sillon tout tracé. Ou que l’on soit.

Même s’il semble que l’épidémie du coronavirus covid-19 touche certaines régions du monde mais pas toutes. Une aide-soignante intérimaire d’origine thaïlandaise particulièrement volubile m’a récemment assuré qu’il y avait peu de personnes touchées par le coronavirus covid-19 en Thaïlande. Elle m’a même donné le nom d’un traitement qui, à l’entendre, serait très bon à prendre de manière préventive. Je n’ai pas su quoi faire de cette information. D’un côté, sa sollicitude m’a fait plaisir. D’un autre côté, je me suis dit qu’avec la peur de la mort, il devait sûrement y avoir plein de personnes prêtes à tout prendre comme traitement si on leur garantissait que celui-ci pouvait les sauver. 

 

Il y a deux nuits, j’avais massé ma fille et ma compagne. Le dos de ma fille, un peu son thorax, ainsi que ses pieds. Et le dos de ma compagne.  Une goutte d’huile essentielle de Niaouli et de Ravintsara dans de l’huile végétale pour notre fille. Une goutte d’huile essentielle de girofle et de Niaouli ( dans de l’huile végétale) pour ma compagne qui m’a ensuite rendu la politesse.

 

Je pense que se faire masser habillé  (donc sans huile essentielle et sans huile végétale) peut aussi être un bon moyen de s’aérer et de récupérer physiquement et moralement. Ça fait du bien à la personne massée, si elle est à l’aise avec le fait d’être massée. Et ça peut aussi faire du bien à la personne qui masse. Pour les personnes confinées, ça peut être un plus. En l’absence d’huile essentielle ou d’une huile végétale dite de « massage », on peut utiliser un peu d’huile d’olive si possible bio. Le massage peut se faire en musique ou sans musique mais autant que possible dans une atmosphère détendue. Je parle évidemment de massage bien-être. 

 

 

Franck Unimon, mercredi 25 mars 2020.

 

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Manu Dibango

 

 

 

 

                                                      Manu Dibango

 

 

 

Hier matin, en sortant du travail, je suis retourné devant le Panthéon. Il faisait trois degrés. J’étais retourné là car, après l’avoir plusieurs fois évoqué dans des articles précédents ( tel que Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020 par exemple),  je voulais, cette fois-ci, silencieusement interroger ce symbole :

 

« Aux Grands hommes, La Patrie Reconnaissante »

 

J’ai à nouveau pris des photos. Puis, j’en ai profité pour aller voir du côté de Notre Dame pour laquelle des milliardaires ont été prêts à mettre la main à la poche afin de la faire reconstruire. Alors que l’on entend moins parler de ces milliardaires et de bien des célébrités quand il s’agit de réparer les hôpitaux publics.

 

 

J’avais prévu de me servir de ces photos pour illustrer un article qui devait s’appeler :

 

Le silence des organes.

 

J’ai pris des notes pour écrire cet article. Je savais qu’il serait long. J’étais inspiré.

Je pourrais encore l’écrire. Mais je me suis dit qu’il y avait d’autres priorités. Que je m’étais déjà suffisamment exprimé sur l’épidémie que nous connaissons. Qu’il me fallait revenir à d’autres sujets davantage pourvoyeurs de vie.

 

« Le silence des organes » est une expression que j’avais découverte à la fin des années 80 à l’hôpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre. Laquelle était, à ce que m’en avait dit ma mère, une ancienne prison pour femmes.

La Maison de Nanterre était aussi le « havre » de certains SDF. J’ai connu cet hôpital dès mon enfance. Ma mère y a été aide-soignante pendant des années dans un service de réanimation. Et deux de mes tantes y ont aussi travaillé.  

 

Lors d’un de nos cours, pendant mes études d’infirmier, nous avions réfléchi à la définition que nous pourrions donner au fait d’être en bonne santé. La personne qui animait le cours, ce jour-là, nous avait sorti cette expression de ses recherches. Je me rappelle de mon amie Béa, mon aînée de plusieurs années, une pointure en tant qu’infirmière, qui s’était exclamée :

« C’est fort ! ».

Le silence des organes n’a donc a priori rien à voir avec la mort. Même si on y pense très fort en ce moment et que le musicien Manu Dibango est mort aujourd’hui ou hier.  Du Coronavirus Covid-19. J’ai appris son décès tout à l’heure par hasard, sur le groupe What’s App de ma famille.

 

Il est néanmoins quelque chose de trompeur dans cette expression, «  silence des organes », pour parler du fait que l’on est en bonne santé. Car  chaque organe a son bruit spécifique lorsqu’il va bien. Par contre, son bruit se dérange lorsqu’il va mal. Rappelez-vous lorsqu’un médecin vous dit de tousser, ou de dire « 33 », vous ausculte, alors que vous le consultez parce-que vous ne vous sentez pas bien. Entendre, écouter les mouvements internes d’un corps, c’est aussi ce qui permet de savoir s’il est en « paix ».

Il en est de même lorsque l’on écoute la voix d’un proche ou d’une proche. Il nous est souvent possible de déceler si elle ou s’il est dans son assiette si l’on connaît cette personne véritablement. 

Si l’on est un peu attentif, on peut assez bien percevoir si son attitude et son regard concordent avec ses propos pour peu que cette personne soit « vraie » devant nous. Pour peu qu’elle ne porte pas un masque et ne soit pas experte dans cette grande comédie sociale qui consiste à dire que tout va bien quand ça va mal mais aussi à dire que ça va très mal alors que cela ne va pas si mal que ça.

 

Mais des organes véritablement et définitivement silencieux, à moins d’être dans un état de léthargie particulièrement complexe et indétectable, et encore !, signifient quand même notre arrêt de vie définitif. Tout au moins sous notre forme humaine habituelle. Ensuite, on peut à peu près tout concevoir. Et, c’est ainsi que je me raccroche à nouveau à Manu Dibango, décédé à 86 ans.

 

Je ne pensais pas à Manu Dibango lorsque dans un de mes récents articles, j’écrivais qu’il y avait sûrement des personnes que je « connaissais » qui allaient mourir dans l’épidémie. Pourtant, je pensais à lui depuis quelques jours.

 

Il se trouve qu’il y a bientôt deux semaines, ou un peu moins, je m’étais rendu dans un magasin afin d’aller acheter le dernier album de l’artiste de Maloya, Danyèl Waro.

 

Danyèl Waro fait actuellement partie des artistes auxquels je suis particulièrement attaché. Avec une Ann  O’Aro par exemple. Le Maloya est pour moi tellement proche du Gro-Ka, du Léwoz et du Bel-Air des Antilles qu’il a fini par me rattraper avec les années. La boite de nuit parisienne,  Le Manapany, est sans doute l’endroit où j’avais entendu du Maloya pour la première fois dans les années 90. Pourtant, j’ai oublié où elle se trouve.

 

Et, il y a quelques jours, c’est en allant acheter le dernier album de Danyèl Waro, que j’ai fini par fureter dans les rayons de disques comme lors de mon adolescence. Peut-être le jour où j’étais allé voir l’exposition de la dernière tournée de NTM – en accès libre-  sous la canopée aux Halles encore pour un jour. Exposition (du 20 février au 10 mars 2020)  dont j’avais appris l’existence par hasard ainsi que la fin le lendemain en me rendant au cinéma. En allant voir, je crois, le film L’appel de la Forêt. J’avais prévu d’écrire sur cette exposition comme sur ce film mais je ne l’ai pas encore fait.

Cette photo fait partie de celles prises par le photographe Gianni Giardinelli lors de la dernière tournée du groupe NTM. Les photos ont été exposées sous la canopée des Halles du 20 février au 10 mars 2020.

 

Dans le magasin de disques, ce jour-là, je me suis rapidement retrouvé avec plusieurs disques. Un classique. C’est pareil dans un magasin de dvds et de blu-rays. Et c’est aussi comme ça dans la librairie et la médiathèque de ma ville en temps usuel.

 

Après plusieurs hésitations et quelques écoutes, et en comparant aussi le rapport qualité/prix, j’étais reparti avec l’album de Danyèl Waro….et cette compilation de Manu Dibango.

 

Autant l’album de Danyèl Waro ne m’a pas, pour l’instant, entraîné, autant la compilation de Manu Dibango m’a rapidement plu.

 

 

 

J’avais déjà écouté du Manu Dibango, il y a plusieurs années. Je l’avais aussi vu en concert à Cergy St-Christophe, sur l’esplanade de Paris, il y a environ vingt ans, lors d’un concert gratuit. J’ai le souvenir d’un très bon concert. Un très bon bassiste figurait parmi ses musiciens.

 

Manu Dibango, Danyèl Waro, Arno et d’autres font partie de ces artistes qui sont là pour la vie. Au delà de soixante ans, on les voit sur scène avec une envie et une énergie que beaucoup ont déja perdu lorsqu’ils ont à peine passé les limites de l’adolescence. Je m’inquiète par moments de ce qu’il me reste de ce passé. 

 

Un article signé Youness Bousenna dans le Télérama de cette semaine parle du documentaire La Disgrâce  réalisé par Didier Cros. Ce documentaire passe ce soir sur France 2 à 23h40. La Disgrâce est fait du témoignage de cinq personnes dont le visage défiguré occasionne une grande souffrance personnelle. Souffrance due à la déformation de leur visage mais aussi à la violence du regard des autres.

 

Dans cet article, Youness Bousenna écrit entre-autres :

 

«  (….) Sans commentaire, le film les laisse raconter leur souffrance initiale et la violence que le regard des autres y ajoute, la tentative d’apprivoiser son visage en même temps que la solitude que celui-ci leur inflige ».

 

J’ai beaucoup aimé que Youness Bousenna me fasse entrevoir que chaque visage, déformé ou non, est une solitude.  En marge de l’article, j’ai écrit de la main gauche :

 

«  De cette solitude, certains visages émergent plus que d’autres ».

 

 

Cet article m’a rappelé le début du livre de Nina Bouraoui, Tous les hommes désirent naturellement savoir. Je savais où je l’avais rangé alors je l’ai rapidement retrouvé. C’est un livre paru en 2018 et que j’ai sûrement acheté dès sa sortie. Un de plus, parmi tous ceux que j’ai achetés, que je n’ai pas encore lus, et dont le début est :

 

«  Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, malheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la Seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant ils sont mes miroirs. Nous formons un seul cœur, une seule cellule. Nous sommes vivants ».

 

Manu Dibango était un homme joyeux. En tout cas sur scène à ce que j’ai vu. Son rire grave est aussi célèbre que sa musique. Figure de Bokassa ou de Coupé-Cloué (les Antillais de plus de 50 ans sauront de qui je parle), Manu Dibango avait une stature et une autorité plus fréquentables que celle de bien des dictateurs. Je me rappelle comment il avait expliqué en rigolant que Michaël Jackson avait « oublié » de lui payer des royalties lorsqu’il avait utilisé un de ses airs de musique pour composer un de ses titres.

Je me rappelle que lors d’un festival de Jazz retransmis à la télé, Claude Nougaro s’était incliné devant Miles Davis, mon musicien préféré, alors que Manu Dibango existait de par sa seule présence. Si la musique est aussi solitude, la sienne avait émergé sans difficulté cette soirée-là comme tant d’autres fois.

 

En prenant le temps de lire la présentation de la compilation par Iain Scott, j’avais appris qu’avant d’être connu, Manu Dibango avait entre-autres joué, en France, avec Nino Ferrer mais aussi Dick Rivers et Johnny Halliday. Je suis souvent étonné par les alliances de certains artistes, que celles-ci soient musicales ou simplement amicales (telle l’amitié d’un Jacques Brel avec Johnny Halliday) comme par leur ouverture à d’autres genres musicaux. Et, question ouverture, on peut dire qu’en écoutant cette compilation de Manu Dibango, on entend aussi bien du Jazz, de l’Afro Beat, du Reggae, de la musique africaine. Et l’on comprend que le chanteur et bassiste Richard Bona (également d’origine camerounaise) lui « doit » sans doute quelque chose.

 

Concernant la version Reggae de son Soul Makossa avec le duo Robbie Shakespeare et Sly Dunbar, en l’écoutant, on pense immédiatement à Serge Gainsbourg qui avait également joué avec eux ainsi qu’avec les I-Threes « de » Bob Marley. Peu importe de savoir lequel avait eu l’idée le premier, Manu Dibango était sans frontières question création musicale. Et le Rap ne lui a pas fait peur.

 

En écoutant sa compilation, j’avais aussi beaucoup aimé sa version de A La Claire Fontaine que j’avais postée sur ma page Facebook un ou deux jours avant d’apprendre sa mort. 

J’avais aussi eu envie de savoir quand il repasserait en concert. J’avais regardé: un concert était prévu en Martinique dans quelques mois. Ça faisait déja un peu loin. 

 

Le rire de Manu Dibango est désormais entouré de silence. Mais sa musique continue de nous dire que nous sommes vivants. Et, ça, ça fait aussi beaucoup de bien à nos organes.

 

Franck Unimon, ce mardi 24 mars 2020.