Le Test PCR et le test antigénique sont les alternatives à la vaccination anti-Covid. Chaque fois que l’on souhaite se rendre dans certains lieux publics ( cinémas, théâtres, salles de concert..). Avant la pandémie du Covid, on ne parlait pas ou alors seulement de façon très confidentielle du test PCR et antigénique.
J’ai l’impression d’être un homme du passé à parler de test PCR et de test antigénique alors que désormais la grande majorité des Français est vaccinée contre le Covid et est passée à d’autres sujets. Comme, par exemple, les attentats du 13 novembre 2015 dont le procès a débuté ce 8 septembre 2021. Un événement que j’essaierai de « suivre » en regardant des documentaires ou, si c’est possible, en assistant au procès. J’étais allé à une audience du procès des attentats « de » Charlie Hebdo. Alors que j’avais pris quelques notes, je n’avais pourtant pas publié d’article car entraîné ensuite par d’autres sujets. Et, aujourd’hui, je me demande quel est l’intérêt d’écrire un article a posteriori sur cette expérience alors que le jugement a été rendu. Et que des comptes-rendus de ce procès plus exhaustifs en ont été faits, que ce soit dans et par Charlie Hebdo ou par d’autres média et ouvrages.
Le journal » Charlie Hebdo » de ce mercredi 8 septembre 2021.
Pourtant, j’écris aussi pour témoigner. Cet article-ci, Test PCR, j’aurais déja dû l’avoir écrit il y a plusieurs jours. Et, j’en ai déja d’autres en tête. J’ai écrit quelques notes de départ. Mais, plus tard, cet article devrait aussi avoir son importance. Et, pour lui, j’estime qu’il est encore dans notre temps présent. C’est la raison pour laquelle je m’arrête « sur » lui aujourd’hui. Même si, pour cela, il faut retourner au mois de mars.
En mars de cette année, j’avais été considéré cas contact deux fois à une semaine d’intervalle, au travail. Les seules fois, pour l’instant, où cela m’est arrivé d’être classé « cas contact ». Mars, c’était il y a six mois. Il y a déjà très longtemps.
Il y a « très longtemps », j’étais donc allé faire un test antigénique dans une pharmacie du sixième arrondissement. J’étais curieux de l’expérience.
Sous la tente montée devant la pharmacie, la jeune testeuse avait un livre posé près d’elle. Un ouvrage de Romain Gary. Peut-être La Vie devant soi. Cela m’avait rappelé des bons souvenirs. La jeune professionnelle m’avait été présentée comme douce par sa collègue qui m’avait reçu.
La douceur et les bons souvenirs s’étaient brutalement perdus après l’entrée de la tige du test antigénique dans ma première narine. Puis dans la seconde.
Je n’avais pas du tout aimé l’expérience. Mais j’avais passé le test. Et le résultat était négatif. J’étais donc débarrassé et satisfait.
Une semaine plus tard alors que j’allais partir au travail, je recevais un appel de ma cadre supérieure. Pour me demander de faire un test antigénique. Je ne voyais pas pourquoi…j’ai exprimé mon étonnement.
Jusqu’à ce que j’apprenne qu’un autre de mes collègues avait eu « une trace » de positivité au Covid. Et qu’il fallait refaire le test.
A la pharmacie, on m’avait expliqué que le délai était trop court entre le moment où ce collègue s’était déclaré positif « avec une trace ». Et celui où il m’était demandé de faire ce test antigénique. L’assistante en pharmacie avait bien voulu l’expliquer directement à ma cadre supérieure. Mais celle-ci avait préféré que je refasse un test antigénique « car c’était la procédure ».
Là aussi, le résultat avait été négatif. Et, après avoir été positif « avec une trace », lors d’un second PCR, le collègue s’était finalement révélé être vraiment négatif.
Depuis ces deux expériences, je tiens le test PCR et le test antigénique pour des procédés barbares. Je ne comprends pas qu’en 2021, ces deux tests aient été en particulier ceux qui ont été privilégiés pour des résultats rapides. Il suffit de 15 minutes pour connaître le résultat avec le test antigénique. Il faut attendre 24 à 48 heures « selon les laboratoires » après un test PCR.
Je n’ai pas passé de test PCR mais j’ai cru comprendre qu’il était « plus profond » que le test antigénique que j’ai trouvé particulièrement désagréable. Peut-être que cela changera dans environ un an.
Le journal » Le Figaro » de ce mercredi 8 septembre 2021.
J’ai lu aujourd’hui que l’entreprise Valeo « l’équipementier automobile français » a inventé un détecteur de Covid équipé de capteurs qui peut donner un résultat en deux minutes. Mais j’ai aussi lu que ce détecteur serait vendu 2500 euros, ce qui en fera peut-être un objet réservé à certains endroits. Cependant, nous sommes déjà là dans le futur et les supputations. Retournons dans le passé de ce mois d’aout.
Au mois d’aout dernier, j’étais retourné accompagner ma fille jusqu’à la médiathèque pour la troisième fois. J’étais revenu la chercher à la sortie à une heure indiquée puisque je ne pouvais pas entrer.
Alors que je l’attendais, un étudiant d’une vingtaine d’années s’est présenté devant le bibliothécaire, qui, dehors, vérifiait les QR Code des passes sanitaires. Ou les résultats de test PCR et de test antigénique.
Le résultat d’un test PCR est valable 72 heures. Le jeune a tendu son papier. Le délai était dépassé d’un peu plus d’une heure. C’était un samedi entre midi et quatorze heures en plein mois d’aout.
Désolé, le bibliothécaire a dû refuser l’accès de la médiathèque. Le jeune est reparti sans broncher.
Je « connais » ce bibliothécaire. C’est quelqu’un d’arrangeant. Peut-être que moi présent, moi, un habitué interdit de séjour dans la médiathèque pour défaut de passe sanitaire, il lui était impossible de laisser passer ce jeune. Mais j’ai été encore plus désolé pour ce jeune. Se farcir un test PCR pour, pour un peu plus d’une heure de dépassement, se retrouver devant une médiathèque comme devant une boite privée pratiquant le délit de faciès, j’ai trouvé ça dur. Je préférais encore être à ma place.
C’est sans doute après ce jour-là que je me suis rendu compte qu’en tant que citoyen qui paie ses impôts, l’Etat et donc la mairie de ma ville qui « dirige » cette médiathèque, me doit certains services. Comme l’accès à cette médiathèque. J’ai donc envoyé un mail ce 18 aout à ma mairie en pensant que personne ne me répondrait avant longtemps.
Finalement, il y a quelques jours, le 2 septembre, j’ai reçu un premier mail de la nouvelle directrice de la médiathèque. Et nous avons un peu correspondu. Celle-ci m’a entre-autres répondu :
« Selon le décret d’application du 7 août 2021, les collectivités territoriales sont dans l’obligation légale de mettre en place le passe sanitaire dans l’ensemble des lieux culturels recevant du public. Le réseau des médiathèques d’Argenteuil répond à cette obligation :https://www.legifrance.gouv.fr
L’ensemble des lieux culturels de France sont dans l’obligation légale d’assurer ce décret.
Toutefois, afin de maintenir notre lien avec l’ensemble de nos publics, nous avons mis en place dès le début de la crise sanitaire l’offre en ligne « Tout apprendre » sur le portail des médiathèques qui comprend notamment une offre de livres, BD, films, formations, aide aux devoirs et musique : https://argenteuil.bibenligne.fr/biblio-num
Vous avez également la possibilité, via ce même portail, d’effectuer des réservations sur les documents que vous souhaiteriez emprunter, votre fille pouvant les retirer à la banque de prêt.
Restant à votre disposition et au plaisir de vous recroiser prochainement dans l’une de nos médiathèques. »
Son rappel de l’obligation légale du passe sanitaire pour les médiathèques n’était pas nécessaire. Puisque j’ai compris qu’elle ne fait « qu’appliquer » la Loi. Et, avant ça, elle ne fait qu’appliquer ce que la mairie de ma ville lui dit de faire. Mairie qui se décharge sur elle de ses propres responsabilités. Car ce n’était pas à cette responsable de la médiathèque de se justifier et de me répondre. Cette directrice de médiathèque n’est ni l’autrice et ni la décisionnaire de la politique culturelle de la ville. Elle fait avec les autorisations que lui donne la mairie. Mais ce n’était pas à moi de débattre de ça avec elle. D’autant qu’elle m’a paru sincère et de bonne volonté dans ses mails.
Quant à moi, mon mail avait surtout pour but de questionner la Loi. La légitimité de cette Loi qui interdit à un citoyen d’entrer dans une médiathèque, même avec un masque anti-Covid, pour des raisons sanitaires.
Une Loi selon moi assez arbitraire. Un arbitraire devenu encore plus flagrant aujourd’hui, ce 8 septembre 2021. Puisque le passe sanitaire qui était obligatoire dans certains centres commerciaux, selon leur envergure, a cessé de l’être dans le Val d’Oise. Après une plainte déposée ( les propos exacts sont : » Me Yoann Sibille avait ainsi déposé un recours devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise » La Gazette du ValD’Oise de ce mercredi 8 septembre 2021, page 8. Un article rédigé par Thomas Hoffmann). Le Ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a « assoupli » les conditions d’accès à certains centres commerciaux.
Le journal » Les Echos » de ce mercredi 8 septembre 2021.
La disparition de cette obligation du passe sanitaire pour aller dans certains centres commerciaux pourrait être une « bonne » nouvelle. Sauf que le préjudice évoqué, et qui a porté, est spécifiquement économique. L’obligation du passe sanitaire a fait perdre ou aurait fait perdre 20 à 30 pour cent du chiffre d’affaire de certains centres commerciaux.
Le journal » Les Echos » de ce mercredi 8 septembre 2021.
Quel est le préjudice économique d’une médiathèque moins fréquentée à cause de l’obligation du passe sanitaire ? Je ne suis pas reparu devant la médiathèque depuis mon mail du 18 aout, je crois. Et, je suis curieux de voir si les conditions d’accès à la médiathèque ont changé. Mais je ne crois pas. Je crois qu’aujourd’hui encore, il faudra fournir un QR Code ou le résultat d’un test PCR ou antigénique valable pour y entrer. Pendant ce temps, je pourrai de nouveau aller me balader autant que je le voudrai dans le centre commercial Côté Seine de ma ville. Centre commercial où, bien-sûr, il ne se trouve aucune médiathèque et où circule bien plus de monde, en période de pandémie du Covid, que dans la médiathèque où j’ai mes habitudes.
Journal « La Gazette du Val d’Oise » de ce mercredi 8 septembre 2021. L’article rédigé par Thomas Hoffman cité plus haut.
Il faudrait que je vérifie comment ça se passe maintenant, pour entrer dans la médiathèque de ma ville. Que je me rende au centre commercial Côté Seine puis que je me déplace jusqu’à la médiathèque. Dix minutes à pied les séparent.
Vu que je n’aime pas beaucoup aller dans le centre commercial Côté Seine, et que je m’y rends le moins possible, cela va me demander un effort supplémentaire de plus.
Photo prise ce mercredi 18 aout 2021 à Argenteuil, non loin de la mairie et de la médiathèque.
Un acte politique
La foule
« Tout acte est politique ». Nous avons tous entendu ça un jour. A partir de là, tirer la chasse d’eau dans les toilettes ou laisser déborder la cuvette des chiottes- sans les nettoyer- peut aussi être vu comme un acte politique. Pisser par terre sans essuyer, aussi.
Je n’ai pas de passé de militant politique. J’ai très peu mouillé le maillot dans des manifestations ou dans des assemblées syndicales, associatives ou autres. Je me méfie des mouvements de foule et de groupe. Il y a bien-sûr ma conversion très facile au « théorème » de l’humoriste Pierre Desproges qui expliquait que pour connaître le quotient intellectuel d’un groupe ou d’une foule, qu’il fallait le diviser par le nombre de personnes qui le ou la constituait.
Mais il y ‘a d’autres paramètres qui comptent pour moi et qui rejoignent ce « théorème ».
Une foule, à moins d’y aller en famille, c’est beaucoup de personnes inconnues. On peut bien sûr y faire des rencontres indispensables. Mais, le plus souvent, la plus grande partie de celles et ceux que nous avons côtoyées restent pour nous des anonymes. On est moins maitre de soi dans une foule. En terme de repli, d’esprit critique mais aussi pour nos décisions.
D’une certaine façon, se mêler à la foule, c’est lui faire confiance. Et, tout le monde qui constitue cette foule se livre à cette confiance assez aveugle. On suit le mouvement. Ça peut donner à vivre des moments très agréables, de liesse ou de grande communion. Pacifique ou destructrice. Ça peut aussi revenir à se retrouver dans une cuvette remplie de désherbant lorsque ça dérape. Ou lorsque la peur remplace solidement le fragile sédiment d’union.
Les incendies du Monde
Ces deux-trois derniers jours, on parle de plus en plus des incendies en Chine, en Russie et dans une autre partie du Monde. Tout cela est lié à la désertification et au réchauffement climatique. On parle aussi des Talibans qui ont repris l’Afghanistan depuis le départ des dernières troupes militaires américaines. L’opticien avec lequel j’ai mes habitudes m’a parlé des conditions de vie qui se sont particulièrement dégradées au Liban ces dernières semaines. Il est très difficile d’y trouver du pain. De l’essence pour les voitures. Les gens ont droit à vingt litres d’essence. Les coupures d’électricité sont fréquentes. La retraite n’existe pas au Liban. On y travaille jusqu’à la mort. Son grand-père, atteint d’un cancer, travaillait encore une semaine avant sa mort.
Ces sujets- et d’autres- sont inquiétants. Ils permettent aussi de parler d’autres sujets que la pandémie du Covid, des pro-vaccins, des anti-vaccins, et des désunions profondes que ces sujets causent.
Mais sans parler de ça, et avant même que de nouveaux actes terroristes n’assombrissent encore plus nos visages, quelques événements quotidiens banals nous montrent déjà que notre union générale a une composition assez voisine de celle de certains de ces produits que l’on achète en grande surface.
Il y a un peu plus de trois ans, alors que l’on parlait davantage des attentats terroristes islamistes, une jeune femme avait dû subir l’insistance d’un homme en public. C’était dans le métro à une heure de pointe. L’homme était un « beau bébé », d’un mètre quatre vingt à un mètre quatre vingt dix. Il devait porter un vêtement militaire pour que je me sois imaginé qu’il devait être du genre engagé dans l’armée. Laquelle lui permettait sans doute d’avoir des règles de vie. Une tenue de route. Des ordres à appliquer. Une discipline.
Là, livré à lui-même, parachuté dans la vie et l’isolement social, il avait bu quelques bières. En canettes ou en petites bouteilles de verre. Il était plus lourdaud qu’un pervers à la Fourniret. Mais il était néanmoins imposant, intimidant et à côté de la plaque.
La jeune femme avait peine à se soustraire de ses « avances ». Dans le métro qui s’ébrouait, sur la ligne 4, personne ne bougeait. Un de ces métros « serpent » où toutes les voitures communiquent entre elles.
C’est en entrant dans le métro et en m’asseyant à quelques mètres que j’ai vu ça. Ce jour-là, je n’ai pas réfléchi. Parce-que pour agir « juste », c’est cela le paradoxe, que ce soit en amour, lors d’une dispute ou pour aider quelqu’un, il faut aussi savoir…ne pas réfléchir. Savoir se faire confiance. S’exprimer comme ça nous vient.
L’homme aux lunettes jaunes
Ce jour-là, j’ai été suffisamment confiant pour, très vite, faire signe à la jeune femme de venir s’asseoir à côté de moi. Une place était libre. La jeune femme a vu mon geste puisqu’elle s’est déplacée jusqu’à moi. Je ne suis plus sûr qu’elle se soit assise à côté de moi. Mais je sais lui avoir parlé et lui avoir demandé où elle voulait descendre. C’était une ou deux stations de métro plus loin.
Quelque chose dans mon attitude avait vraiment dû lui inspirer confiance car, à cette époque, je portais des lunettes de vue plus ou moins à double foyer dont les premiers verres étaient de couleur jaune. Si j’était plutôt content de mon choix alors, aujourd’hui, lorsque je revois certaines photos de moi avec ces lunettes, je me dis que je n’étais pas du tout à mon avantage.
Le gros bébé, lui, seul sur la piste, comme si une femme l’avait planté en plein slow, s’était un peu énervé. Il avait jeté sa canette de bière par terre. De la mousse avait coulé. Il avait fait quelques pas dans notre direction. Un autre homme, plus jeune que moi, plus petit que notre « gorille », mais aussi plutôt longiligne s’était comme mis sur la trajectoire de « l’envahisseur ». Lequel avait aboyé des propos ou des menaces que notre deuxième homme, notre deuxième ligne, avait laissé passer. Puis, ça avait été « tout ».
Notre jeune femme avait pu sortir du métro. Je serais incapable de la décrire. Je me rappelle qu’un homme, un peu plus loin, m’avait ensuite adressé un regard. Comme si, pour lui, j’avais pu constituer une forme de soutien. Alors que j’estimais être presque rien. Je ne sais pas de quoi j’aurais été capable si notre « homme » avait été agressif physiquement envers moi. Je n’y avais pas réfléchi en faisant signe à cette jeune femme. Je n’avais pas eu le temps d’avoir peur. Mais j’avais eu le temps de me dire qu’en cas de nouvel attentat (ce devait être après l’attentat du Bataclan), la plupart de ces personnes présentes dans ce métro, ce jour-là, seraient parties dans tous les sens. Et que les terroristes auraient pu en faire ce qu’ils voulaient. Dans les rues de Paris et au Bataclan, les terroristes avaient pris leur pied en tirant sur des gens à balles réelles comme dans une fête foraine. Dans ce qui venait de se passer avec cette jeune femme, je ne voyais pas de quel genre d’échappatoire nous aurions pu disposer face à un scénario terroriste identique à celui du Bataclan. Et, cela, les terroristes le savent. L’Etat, aussi.
L’Ami de quelqu’un
C’est aussi pour cela, sûrement, que je me méfie des foules. Lors d’une action commune, je préfère être entouré de peu de personnes et bien les connaître. Et, évidemment, plus cette action commune sera délicate, plus j’aurai sans doute besoin de bien connaître ces personnes qui m’entourent afin de pouvoir mieux me coordonner avec elles. On critique très souvent les personnes qui, dans les transports en commun, ne bougent pas en cas d’agression. Cette « passivité » s’explique aussi par le fait que toutes ces personnes entre elles ne se connaissent pas et ne connaissent pas la victime. Et, l’agresseur ou les agresseurs profitent aussi de cette brèche. De cette opportunité.
Aujourd’hui, on se dit facilement être l’ami de quelqu’un. Mais c’est une formule. Y compris une formule de politesse. Il est facile d’être l’ami de quelqu’un lorsque tout sourit. Et c’est agréable, aussi. On ne peut pas souhaiter rester en permanence sur le qui-vive et dans la méfiance. On ne peut pas passer son temps à devoir ramper constamment dans la boue et le froid, en pleine nuit, le ventre vide, afin d’échapper à des furies. Ou juste pour se rendre à une séance de cinéma ou pour prendre un verre dans un bar avec quelqu’un.
L’anomalie
Aujourd’hui, j’ai raccompagné ma fille à la médiathèque de ma ville. J’ai vite renoncé à faire remarquer aux bibliothécaires que je « connais » et qui me « connaissent » qu’il y a une grosse anomalie dans le fait que des gens comme moi, non vaccinés contre le Covid, soient désormais interdits d’accès de la médiathèque. Je crois que faire part de cette anomalie aux bibliothécaires les mettrait mal à l’aise. Je me suis contenté de les saluer de loin. Nous nous sommes souris. Je me suis aussi demandé combien de fois faudrait-il que des usagers familiers comme moi repassent et restent ainsi presqu’à la « porte » de la médiathèque pour que l’une ou l’un d’entre eux, à un moment donné, finissent par se dire qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette situation. Je me suis aussi demandé combien de temps, si j’étais à leur place, ou lorsque je suis à leur place dans mon travail, me faudrait-il/me faut-il, pour m’apercevoir qu’il y a quelque chose qui cloche dans ma conduite au regard de certaines situations.
L’anomalie est que la mairie de ma ville ne propose aucune alternative. Car les impôts que je paie depuis des années contribuent au financement des institutions publiques comme les médiathèques et les hôpitaux publics. L’Etat et donc la mairie de ma ville n’ont donc aucune légitimité à m’interdire totalement l’accès à la médiathèque de ma ville. Ou, ils se doivent de me proposer un service alternatif. Car je paie pour ce service public avec mes impôts. Or, depuis plusieurs jours maintenant, l’Etat prend l’argent de mes impôts mais ne me rend pas le service pour lequel mes impôts- et ceux des autres citoyens vaccinés et non-vaccinés contre le Covid- le paient. Et, la mairie de ma ville se comporte donc comme un exécutant zélé de l’Etat. C’est un exécutant de poids mais, aussi, un exécutant décérébré qui manque totalement de recul. Et qui manque, là, à sa mission d’inclusion sociale et culturelle.
Lorsqu’une entreprise prend l’argent ou reçoit de l’argent de ses actionnaires, elle lui doit des contreparties. Sauf si les actions n’ont plus de valeur. Dans ce cas, les actionnaires ont perdu leur argent. Refuser l’accès à des institutions publiques à des personnes qui paient leurs impôts parce-qu’, actuellement, ces personnes ne fournissent pas de passe sanitaire ou de test PCR ou antigénique négatif, cela signifie aussi que, pour l’Etat, les « actions » du service public n’ont aucune valeur.
C’est presque le contenu du mail que j’ai envoyé tout à l’heure à la mairie de ma ville. Je ne sais pas quand ce mail sera lu. Nous sommes en plein mois d’aout, pendant les grandes vacances. Et, je ne suis personne. Je n’ai pas des millions de vues sur une chaine Youtube. Je n’ai aucun ami dans les sphères politiques, médiatiques ou dans le monde des affaires. Mais mon mail est sans doute un acte politique. Et, je n’ai pas prévu d’aller boire de la bière dans un métro en attendant que l’on me réponde.
Photo prise le 6 aout 2021 à Argenteuil. J’ai revu cette affiche quelques jours plus tard à Paris. Le message est que les baisers « profonds » sont à « jeter » puisque susceptibles d’être transporteurs du virus du Covid. C’est un hasard si le véhicule de transport se trouvait là au moment où j’ai pris la photo.
Mes impôts
Mais, au fait ! Moi, le non-vacciné, coupable de vivre encore sans passe-sanitaire…
Tous les mois, depuis des années, je paie bien des impôts ? Et, maintenant que le prélèvement de l’impôt sur le revenu se fait à la source, chaque mois, sur mon salaire, sont bien prélevés mes impôts ?
Mes impôts participent aussi au financement des hôpitaux publics, des bibliothèques et autres services….alors, je paie pour ça mais je n’y ai plus le droit depuis quelques jours ( En allant à la médiathèque ce samedi 14 aout 2021). Sauf pour les urgences à l’hôpital.
Ça fait penser un peu à du racket dans un pays supposé égalitaire. Ou ça pousse à croire que l’Etat, au moins, et celles et ceux qui appliquent ces nouvelles mesures s’assoient sur certaines lois. Sans penser à mal, bien-sûr.
On a le droit d’être pro-vaccin et même d’être persuadé que les anti-vaccins sont des crétins, des illuminés, et tout ce qui s’ensuit. Mais cette histoire d’impôts devrait faire réfléchir n’importe qui. Mais, apparemment, pas trop. La réflexion semble se limiter à : seringue ou pas seringue. Pas au delà.
A côté de ça, les nouvelles mesures sanitaires (passe sanitaire obligatoire) sont appliquées sans discernement. De l’Etat au simple employé qui ne fait qu’executer ….
Bonne nuit.
La même affiche qu’au début de cet article, photographiée cette fois quatre jours plus tard à Paris, le 10 aout 2021. Sortie à Paris qui m’a ensuite inspiré l’article « Paris sans passe : Atterrissage ethnique ».
En allant à la médiathèque ce samedi 14 aout 2021, je savais que je ne pourrais y entrer désormais. Désormais, un passe sanitaire est obligatoire à l’entrée. « Ou un résultat négatif à un test PCR ou antigénique » a ajouté la bibliothécaire qui a ajouté avoir reconnu ma voix lorsque je l’ai appelée par son prénom.
14 ans que je me rends à cette médiathèque. Cette fois, je faisais le trajet pour y accompagner ma fille qui, fort heureusement, maintenant, connaît l’endroit et la plupart des gens qui y travaillent. Cette situation où je la « dépose » à l’entrée de la médiathèque et reviens ensuite la chercher est bien-sûr un bon moyen d’autonomisation pour elle. « D’autres parents font comme ça, aussi » m’avait également dit la même bibliothécaire au téléphone.
Au préalable, j’avais expliqué le « topo » à ma fille. En quelques mots. Elle avait pris ça calmement et était plutôt contente de découvrir qu’elle pourrait utiliser la carte de prêt, toute seule. Pour le dvd du dessin animé Trolls 2, ce serait à elle qu’il reviendrait d’aller solliciter la bibliothécaire afin de lui demander si elle pourrait le réemprunter. Car elle n’avait pas eu le temps de le regarder.
En nous rapprochant de la médiathèque, je suis tombé sur ce panneau de la Licra contre l’antisémitisme. Je comprends la campagne contre l’antisémitisme. Mais j’ai été surpris par la période d’apparition de ce panneau. Pourquoi maintenant, un 14 aout ? Alors qu’une bonne partie des gens sont, en principe, en vacances. Et puis, je ne saisissais pas cette phrase qui était apparemment un témoignage :
« En m’associant à la peur d’un complot, on donne un visage à l’antisémitisme ».
Signé David.
Aujourd’hui, le mot « complot » est directement associé à celles et ceux qui sont contre les vaccins anti-Covid ou qui expriment des doutes à leur sujet.
Et, puis, cet homme sur la photo donne l’impression que c’est lui, l’antisémite. Puisque c’est son visage qui apparaît. Or, il est supposé être juif. Qu’est-ce que c’est que ce message contradictoire ?! Cette phrase sûrement sincère et pourtant si alambiquée que j’avais du mal à la décrypter ?!
Passer de ce « Je » implicite ( « En ») à « On ». Quel flou ! Comment la Licra avait t’elle pu lancer une campagne avec des propos aussi ambigus ? Ou bien, avais-je mal vu ?
Je ne savais plus. Je ne sais plus.
Rester dans la même histoire
J’ai pris le temps de prendre cette affiche en photo. Puis, j’ai rejoint ma fille. Avant de traverser la route, je me suis dit :
« Peu importe que l’on ait (la) raison ou qu’on l’ait perdue : la folie, c’est rester dans la même histoire en se blottissant contre l’impossibilité ou la difficulté d’en sortir. En la voyant comme le réservoir de l’Humanité et l’intégralité de nos vies ».
A partir de ce 12 juillet 2021, avec un gros pic début aout, j’ai beaucoup parlé du Covid et des vaccins dans mes derniers articles. C’est « normal », ce sujet nous occupe tous. Et il va continuer de le faire. Mais ne parler que de « lui » et des vaccins, c’est s’immerger soi-même la tête dans une marmite et l’y laisser cuire.
Je parlerai donc à nouveau du Covid dans mes articles. Mais, autant que possible, moins. Parce-que je ne crois pas qu’en plein conflit armé, en prison ou en d’autres circonstances de vie difficiles que les gens qui survivent et s’en sortent le mieux ne passent leur temps qu’à parler de ce qui se trouve ou de ce qui peut bien encore se trouver au fond de la marmite. Et de sa fabrication, de son volume réel mais aussi de sa couleur. Ce genre d’informations, même en nous concentrant, nous dépasse : le volume réel de la marmite, sa profondeur exacte….tout cela, nous ne l’apprendrons, si nous sommes encore présents à cette date, que lorsque notre histoire avec cette marmite sera réellement terminée. Or, pour l’instant, cette histoire est encore en cours.
Combattre, résister, s’évader
Quant à la façon de combattre, de résister, ou de s’évader, il en existe plusieurs. Rarement une seule à ce que j’ai compris. Et, il convient de réussir à trouver celle qui nous correspond le mieux.
A quelques mètres devant l’entrée de la médiathèque, une table dehors. Derrière elle, une bibliothécaire que je connaissais bien-sûr. J’ai fait mes dernières recommandations à ma fille et lui ai dit l’heure à laquelle j’allais revenir la chercher. La bibliothécaire, pédagogue, lui a traduit :
« Donc, ça te fait trois quarts d’heure ». Je ne pouvais pas faire plus pour cette fois.
Je suis allé faire quelques courses chez le marchand de primeurs. Je suis passé à la bonne heure. J’étais le seul client.
A mon retour, j’ai essayé de voir avec la bibliothécaire comment me faire à ces nouvelles règles. Elle m’a confirmé que je pouvais faire des réservations sur le site de la médiathèque. Mais m’a expliqué qu’ils n’étaient pas assez nombreux en personnels pour organiser un « Drive ». Il faudrait donc que quelqu’un qui dispose d’un passe sanitaire, ou ma fille, aille chercher les documents réservés à ma place. Ce genre de solution n’a rien d’exceptionnel. A l’extrême, je « sais » que dans certains conflits armés, des parents ont pu cacher des armes dans les cartables de leurs enfants afin que ceux-ci passent les contrôles. Là, il s’agirait juste de me porter quelques livres ou cds. Cela pourrait être assez gratifiant pour ma fille. Mais cela m’emballe modérément. Et, de la solliciter pour ça. Mais, aussi, de solliciter qui que ce soit d’autre.
Si j’étais gravement malade, très occupé ou un grand criminel recherché dans toute la France, je pourrais à la limite recourir à cette « méthode ». Mais, là, je suis parfaitement en état pour effectuer mes démarches moi-même. Mon casier judiciaire est vierge.
Sauf que les règles ont changé depuis le 9 aout. Je peux entrer dans n’importe quelle Fnac de France avec mon masque anti-Covid. J’ai vu il y a quelques jours que j’aurais pu entrer dans une bibliothèque en plein Paris sans passe sanitaire. Dans le 1er arrondissement. Si je cherche bien, il doit donc y avoir encore d’autres bibliothèques où il est toujours possible d’entrer sans passe sanitaire, en portant un masque anti Covid.
Certaines mairies par contre, comme celle de ma ville, font peut-être du zèle en matière de mesures sanitaires. Je n’ai pas les moyens de m’y opposer. Pour l’instant, je n’ai donc plus le droit d’entrer dans la médiathèque de ma ville et, un peu, de ma vie.
A partager
Ma fille et moi sommes ensuite repartis. Elle, insouciante, et c’est normal, moi, plus partagé mais aussi discret que possible pour ne pas la concerner par cette situation particulière.
Partagé parce-que je ne sais pas combien de temps il sera autorisé qu’elle puisse accéder à la médiathèque sans passe sanitaire ou autre restriction qui ne finit de s’ajouter à notre quotidien. Partagé parce-que, d’une certaine façon, je fais peser sur ma fille les conséquences d’une décision qui ne devrait regarder que les adultes entre eux. Or, cette pandémie n’est pas seulement sanitaire. Elle est aussi sociétale et imprègne tous les rayons et toutes les étagères sur lesquels reposent toutes les cultures que nous empruntons, dénigrons ou ignorons.
C’était le jour. Il m’a fallu plusieurs mois pour passer avec ma fille devant ce viaduc.
Viaduc où, le 8 mars de cette année, la jeune Alisha, piégée par une amie de son lycée, avait été passée à tabac puis jetée quelques mètres plus bas dans la Seine. Fleuve dans lequel elle a décédé en état de choc sous les effets conjugués de l’hypothermie, de l’épuisement et du désespoir.
C’était la troisième fois dans ma vie, aujourd’hui, que je repassais devant ce viaduc.
J’ai connu cet endroit par ce crime.
Autrement, près de là se trouve un chemin de halage, le long de la Seine, qui mène à peu près jusqu’à St-Denis en partant d’Argenteuil. Des gens s’y promènent, font leur footing ou y circulent à vélo. Au dessus de ce viaduc, l’autoroute A15 qui dirige vers le Val d’Oise au delà dans un sens. Et vers Paris et d’autres départements d’île de France dans l’autre sens. De l’autre côté de la Seine, Gennevilliers et sa zone portuaire et industrielle avec ses containers. Un lieu de croisements et de directions. Un dépotoir, aussi.
Je sais qu’il ne faut pas rester sur de mauvaises impressions. Mais, jusque là, je n’étais pas prêt à les traverser avec ma fille. C’est fait. Ce viaduc est à Argenteuil où nous habitons.
Après avoir rejoint la ville d’Epinay sur Seine, nous sommes allés jusqu’au centre équestre de Villeneuve la Garenne.
A notre retour, je me suis arrêté un peu pour prendre cette photo. Sans dire un seul mot de ce qui s’était passé là. A la place, j’ai rappelé à ma fille que pour repartir il y avait une côte à monter. Elle a essayé de la franchir sur son vélo. Mais c’était trop difficile pour elle. Je suis descendu de mon vélo et l’ai attendue. Nous avons continué à pied jusqu’à ce que nous puissions remonter tous les deux sur notre vélo pour rentrer.
Avant de rentrer, j’ai passé quelques minutes dans la rue à remuer le ciel.
Je trouve que depuis le mois de mars, il y a, de nouveau, comme l’année dernière, une très belle luminosité dehors. Et, tout à l’heure près du boulevard où se trouve notre immeuble, en regardant vers la gare, le ciel était beau. Chargé de nuages et d’histoires. Clairsemé de liserés de lumière. Avec le soleil, qui, caché par les nuages, devenait lune.
Et les gens passaient à pied sans regarder pour aller à la gare. Les voitures tournaient. Les bus passaient. Pendant que d’autres personnes, debout, faisaient la queue devant le laboratoire d’analyses médicales.
Je me suis dit que c’était parce-que, nous, les êtres humains, nous sommes devenus incapables de faire attention à ce qui se passe dans le ciel, mais aussi de l’admirer, que nous sommes devenus malades. Que nous avons besoin de faire des analyses. Que nous avons besoin de toutes sortes de drogues. Que nous avons besoins de consoles de jeux.
J’ai profité de ces quelques minutes, dehors, à prendre des photos et à essayer de saisir le soleil. Même si, en soi, cette partie de la ville n’est pas jolie.
Car je me suis dit que tant que j’étais capable d’être content de moments pareils, que tout allait bien. Que je me portais encore suffisamment bien. Même si, je suis aussi régulièrement et souvent toutes ces personnes qui, en bien des circonstances, partent faire des analyses médicales. Prennent des drogues. Tournent dans leur voiture. Prennent le bus.
Sur le chemin de halage entre Argenteuil et Epinay sur Seine. Vers Argenteuil et la A15, ce mercredi 7 avril 2021, un peu avant midi.
Chemin de halage
Je suis parti interroger mon corps. J’avais besoin d’informations. Il a bien voulu se laisser faire. Même si, au préalable, il m’a fallu tout un tas de préparatifs. C’en était ridicule. C’était beaucoup plus simple lorsque j’étais plus jeune.
Mais, là, avais-je les bonnes chaussures ? Mes chaussettes étaient-elles assez minces pour ne pas trop martyriser mes petits pieds ? Car les baskets, pendant le footing, avec le poids du corps et l’afflux du sang, ça comprime.
La veste. Avais-je la bonne veste ? Non, pas ce k-Way- là dans lequel j’allais suer tel un champignon rissolé mais plutôt celle en goretex. Si je l’avais achetée, c’était bien pour qu’elle me serve. Ah, oui, mes clés. Juste celles dont j’avais besoin. Je n’aime pas quand ça fait bling-bling quand je cours. Peut-être parce-que je crains que l’on confonde le bruit des clochettes avec celui du mouvement de recul de mes testicules.
Et, la petite compote, facile à avaler, ça peut servir en cas d’hypoglycémie. Avale-donc un peu d’eau avant de partir. Tu as la bouche sèche. Et un petit bout de chocolat, aussi, car la matinée est avancée. Tu as pris ton petit-déjeuner il y a plus de quatre heures. Et, on dirait que tu commences à avoir faim…
J’ai rajouté un masque anti-covid que j’ai mis dans une de mes poches. J’ai ouvert la porte de l’appartement et me suis engagé sur le palier….une pensée.
J’allais partir sans mes clés posées à l’entrée.
J’ai attrapé mes clés, un peu contrarié. Enfin, j’étais prêt. Un vrai marié.
Dehors, la température extérieure était de 7 degrés. Mais, plus froid, ça n’aurait rien changé. Je reste étonné de voir que certaines personnes attendent qu’il fasse chaud pour sortir le vélo ou faire un peu de sport. « Viens, on va se mettre au sport, il fait beau, aujourd’hui ». Mais lorsque les températures augmentent, notre corps se déshydrate plus vite. C’est rapidement la transe ou le sauna. Il faut être entraîné, condamné ou se préparer à aller courir dans le désert pour sortir faire du sport en pleine chaleur. Ou, bien-sûr, ne rien changer à sa vie sportive habituelle lorsque l’on a en une. Cela est assez oublié, mais l’un des propos du sport est aussi de nous préparer à nous adapter à notre environnement immédiat (rivière, escalade, barrière de corail ou autre obstacle naturel ou mental se trouvant sur notre passage…). Cela dépasse le simple fait de perdre des calories et du gras afin d’être suffisamment « slim » pour la séance plage ou photo. La pratique sportive, seule, ne suffit pas à faire de nous des aventuriers ou des guerriers redoutables. Mais elle peut nous aider à nous élever au delà de certaines de nos faiblesses.
Ces faiblesses peuvent aussi bien être d’avoir le souffle court ou d’avoir le réflexe de facilement croire ou penser que tout ce qui vient de nous est forcément nul. Pratiquer régulièrement et à son rythme. En restant proche de la limite du plaisir. Cette règle est valable pour beaucoup de disciplines.
A « l’ancienne » :
Je fais toujours mes footing à « l’ancienne » : comme je l’ai appris à l’adolescence.
Pas d’écouteurs dans les oreilles. Pas de podomètre. Pas de cardio fréquencemètres, de montre connectée. Je préfère.
Si je laisse mon téléphone portable allumé, c’est davantage pour connaître la distance parcourue, peut-être en cas d’appel ou de message important. Ou pour faire des photos. Surtout, aujourd’hui. Il fait beau. Et, ce matin, vers 7h, j’ai repensé au viaduc où la jeune Alisha est morte le 8 mars dernier.
Si je ne disais que ça, je paraitrais être sous l’emprise d’un atavisme morbide.
Inconsolable
Lorsque ce matin, j’ai eu l’idée d’y retourner, j’ai d’abord pensé appeler cet article Inconsolable. Dans la musique que j’écoute désormais, Jimi Hendrix avait remplacé Agnès Obel depuis longtemps. Agnès Obel dont un critique avait écrit, il y a quelques années, qu’au début d’un de ses concerts, concert auquel il avait assisté, il avait d’abord eu l’impression qu’elle sortait d’un réfrigérateur. Tant sa musique était froide. Si j’avais aimé et envié cet humour, le critique avait néanmoins remarqué qu’à mesure de l’écoute, la musique d’Obel avait fini par l’atteindre.
En écoutant Jimi Hendrix, ce laveur de solo, ce technicien de toute notre surface cérébrale mais aussi crépusculaire, j’avais fini par comprendre la raison pour laquelle, même si j’ai dansé sur ses titres, j’ai toujours conservé une réserve envers Prince, ce génie musical. Je me rappelle d’un article où l’on parlait de la guitare de Prince, comme de son « arme de destruction massive ». Mettez vos oreilles au contact du coffret Songs for Groovy Children , lors des concerts donnés par Jimi Hendrix fin 1969, début 1970 et vous changerez d’avis. Prince devait avoir 12 ou 13 ans en 1969. Il a sûrement entendu parler de ce concert, et encore plus d’Hendrix.
Quand je pense qu’il a fallu payer « seulement » 6 dollars ( les dollars de l’époque) pour voir Hendrix en concert en 1969.
Un de mes collègues m’a dit récemment : « Lorsque des gens disent que Prince était un très grand guitariste, ils mentent. Même si c’était un génie ». On peut trouver ce jugement ingrat. A moins d’avoir écouté Hendrix et de se rappeler, à nouveau, qu’Eric « God » Clapton, lui-même, avait pris peur en découvrant Hendrix sur scène en Angleterre, dans son royaume uni. J’ai lu que Clapton peut raconter qu’il avait en quelque sorte trouvé son rythme de croisière avec son groupe (loin d’être des musiciens amateurs) et qu’il se croyait établi. Lorsque Hendrix, arrivant des Etats-Unis, a débarqué sur scène. Hendrix qui avait, à ses débuts, tourné un peu avec Ike Turner, avant que celui-ci, selon certains dires, en aurait eu assez. Car Hendrix prenait trop de solos. En écoutant le coffret de Songs For Groovy Children, la durée des titres ( plusieurs dépassent la dizaine de minutes) et la « longueur » des solos de Jimi Hendrix, on peut s’amuser à imaginer la tête d’Ike Turner s’il avait été sur scène dans ces moments-là.
Hendrix n’était pas un artiste de foire. Et il était encore moins prêt à rester enfermé dans une cage tel un hamster auquel on viendrait parler de temps en temps.Sa musique, dans ce coffret, m’a tellement consolé qu’en l’écoutant, j’avais envie de pleurer. Le bibliothécaire à qui j’en ai parlé a paru surpris. Alors qu’il avait été le premier à avoir un air un peu navré, lorsqu’il y a quelques mois, je m’étais décidé à emprunter une anthologie de Johnny Halliday. Oui, Johnny Halliday. Dans un magazine de musique réputé, j’avais lu une bonne critique sur un de ses albums qui datait des années 60 ou 70. Je « savais » peut-être déja que Johnny avait sollicité Hendrix afin que celui-ci fasse sa première partie. Par contre, je savais beaucoup moins que Johnny et Jacques Brel étaient très proches. Dans la musique, comme en art et dans la vie d’une façon générale, les gens les plus ouverts et les plus rock’n’roll, peuvent ressembler assez peu à celles et ceux à qui l’on s’attendait en prime abord.
Bien que nos yeux soient souvent des guichets ouverts, nous regardons souvent celles et ceux qui nous entourent tels des aveugles…
Tout amateur de musique attend ces moments où l’artiste va lâcher un solo. Et où ce solo le saisira le plus longtemps possible. Dans le coffret Songs for Groovy Children, Hendrix en lâche, des solos. Ce faisant, il les tient en laisse bien au delà de la durée réglementaire. Et, sa voix ! Ce Blues. Solo/voix, solo/voix. Cela pourrait être deux personnes. C’en est une. Et, avec Hendrix, ses deux autres musiciens, basse, chant, batterie qui suivent et sont loin d’être des scissions secondaires.
Cependant, avant Jimi Hendrix, j’avais réécouté le Zouk de Jean-Michel Rotin. Un autre style. Un artiste plus « récent », encore vivant, que j’ai sans doute très mal présenté.
Depuis, Jimi a été remplacé ( le coffret Songs for Groovy Children, fastueux) par le concert d’ArethaFranklinLive at filmore West. J’ai emprunté ce cd, avec d’autres, avant que le nouveau confinement dû à la pandémie ne « close » à nouveau les médiathèques et autres lieux estimés « non essentiels ».
Non-essentiels :
Les deux artistes, Jimi Hendrix et Aretha Franklin ont réalisé ces performances sur scène vraisemblablement dans le même festival, mais à un ou deux ans d’intervalle.
On imagine un certain nombre de duos entre deux artistes que l’on aime bien. Même si, souvent pour des histoires d’ego et de sous, la plupart de ces duos ou de ces collaborations, sont morts nés. Un artiste en plein épanouissement poursuit souvent une trajectoire vers ce qu’il pense être son chemin. Et, personne ne peut ou ne doit le faire en dévier, sauf s’il le décide. Aretha Franklin, par exemple, à ce que j’ai lu, toute croyante et fervente chanteuse de Gospel qu’elle était, n’aspirait à rien d’autre qu’être la meilleure et a considéré d’autres chanteuses comme ses rivales, forcément moins légitimes qu’elle (Natalie Cole, Diana Ross….)
Ce matin, j’ai pensé à un duo Jimi Hendrix/ Aretha Franklin. Il n’y avait peut-être pas de rivalité entre les deux. Je ne sais pas s’ils se sont parlés ou rencontrés.
Après Aretha Franklin, j’ai écouté le dernier album d’Aya Nakamura. Aujourd’hui, Aya Nakamura est une vedette internationale. On a pu voir des images du footballeur brésilien, Neymar, superstar du Foot, et de l’équipe du PSG, danser sur son titre Djadja. Youtube n’existait pas à l’époque d’Aretha Franklin et de Jimi Hendrix.
J’aime la musique d’Aya Nakamura. Et ce n’est pas la première fois que je la cite. Mais en découvrant son album (acheté hier à la Fnac St Lazare demeurée ouverte, en pleine pandémie du Covid, alors que la médiathèque de ma ville, pour les mêmes raisons, a été obligée de fermer son accès au public depuis samedi dernier), j’ai bien été obligé de constater que, comme me l’avait fait remarquer un des employés de la même Fnac il y a environ deux ans, les paroles des chansons d’Aya Nakamura sont loin d’être…. des.prophéties. Les gros mots ne me dérangent pas. C’est surtout le projet des textes :
« Je t’ai aimé. Tu m’as désiré. Tu m’as menti. Tu m’as trahi. Tu m’as pris pour une conne. Tu parles sur moi. Tiens, prends, ça dans ta figure. Et encore, ça. Je suis libre, j’ai de la fibre, je t’emmerde. Et je peux vivre sans toi. En plus, j’ai beaucoup de succès. Et, toi, tu n’as rien. Qui te connaît ?! Tchip !».
ça fait trois albums que ça dure, et ça peut encore continuer comme ça longtemps puisque ses chansons ont du succès. Je ne discute pas les atouts de sa musique. En écoutant ses paroles, je comprends qu’une certaine jeunesse, en grande partie féminine dans un monde encore réglé par et pour les hommes, puisse s’identifier à ses émois ainsi qu’à ses « exploits » ( sexuels, affectifs, économiques ou autres).
Et puis, la musique d’Aya Nakamura donne particulièrement envie de danser, toutes générations confondues. Ce qui est important pour toute personne qui aime danser ou qui est plutôt à l’aise pour le faire. Ce que peut avoir beaucoup de mal à comprendre toutes celles et ceux, pour qui, le simple fait de taper nerveusement du pied suffit pour danser. Mais aussi celles et ceux qui voudraient décortiquer du Shakespeare ou, pourquoi pas, du Césaire, en toute circonstance.
La musique d’Aya Nakamura emballe tout le corps. Ses titres, limités à 3 ou 4 minutes, semblent étudiés pour ça. Ses phrases sont très simples à retenir. Et, j’imagine très facilement un public conquis répéter ses paroles en choeur en plein concert avec une très grande spontanéité libératrice. Et, aussi, frondeuse.
Je constate bien, depuis que j’ai commencé à écouter son album hier que deux ou trois titres me pendent à l’oreille, tels Doudou ou Mon chéri, au moins. Si bien que je dois faire un effort pour remettre l’album d’Aretha Franklin afin de bien choisir le titre que je compte vous présenter. Alors que, spontanément, j’ai surtout envie de remettre le Cd d’Aya Nakamura. Alors que je « sais » comme l’album live d’Aretha Franklin est plus que bon. Et qu’Aya Nakamura n’approchera sans doute jamais de sa voix les contrées et les inspirations qu’Aretha est allée chercher et a fait descendre sur terre pour qu’on puisse les entendre. Mais aussi, que même en matière de « vice », Soeur Aretha était encore bien plus indocile que petite soeur Aya. Amen.
Travailler, travailler, travailler :
Je ne doute pas non plus qu’Aya Nakamura soit une travailleuse dans sa veine artistique et musicale. Ainsi que celles et ceux qui l’entourent et la conseillent plutôt bien.
Dans le dernier numéro du magazine Self &Dragon, il est demandé au comédien Bruno Putzulu, un comédien dont j’aime beaucoup le travail et que j’avais aimé voir au cinéma dans le film L’Appât, film qui m’avait marqué à sa sortie au début des années 90, de feu Bertrand Tavernier- réalisateur décédé récemment – les conseils qu’il pourrait donner à quelqu’un voulant se lancer dans le métier de comédien.
Pour pouvoir espérer réussir dans le métier de comédien, Putzulu commence par répondre qu’il conseillerait à un (e) apprenti( e ) comédien (ne) de :
« Travailler, travailler, travailler ».
Putzulu connaît évidemment son sujet. Mais je vais pourtant le contredire. D’abord, en tant que comédien, même s’il vit de son métier, il fait partie de ces très bons comédiens, qui sont à mon avis sous-employés. Des comédiens auxquels on ne propose pas des « grands rôles » leur permettant d’étaler véritablement ce qu’ils savent faire. Parce-que l’on ne pense pas à eux. Parce-que l’on ne les choisit pas. Et, cela n’a rien à voir avec leur capacité de travail.
Et que l’on ne me parle pas de la « grâce ». Parce-que, personne ne trouve Samuel Jackson ou JoeyStarr ou Jean-Pascal Zadi ( Tout simplement Noir), ni même Omar Sy ( Yao, Police-un film d’Anne Fontaine ) gracieux. Pourtant, personne, aujourd’hui, ne contestera leur « particularité », leur « originalité », leur « style », leur « personnalité » ou leur « talent ». Parce-que, entre leurs débuts, et maintenant, ils ont chacun, de différentes façons, rencontré le succès. Et se sont rendus « désirables ».
Et, le succès, tout comme le désir, lorsque tu évolues dans un domaine artistique et public, ça serespecte voire ça se gère ou ça se craint. Car cela représente un jackpot économique potentiel si tu fais partie du « deal » ou de l’entourage immédiat du poulain ou de la pouliche qui est très en vue ou qui peut remporter d’autres grands prix.
Que tu t’appelles Aya Nakamura, Aretha Franklin ou Jean-Pascal Zadi. Peu importe le message que tu passes ou que tu essaies de faire passer. Peu importe que, dans le cas d’une Aretha Franklin, Martin Luther King soit venu dormir chez ton père, lors de certains meeting, ou que tu aies fait des concerts, gratuitement, en soutien pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les années 60. Ou que, comme Aya Nakamura, tu parles de ruptures sentimentales, et de mecs qui n’assurent pas.
Le succès, ça se respecte, et, il n’y a pas de règle établie pour y parvenir. On peut se défoncer toute sa vie pour réussir. Y compris avec son derrière. Et échouer. C’est ça, le secret que tout le monde connaît. Et pour enterrer un peu plus l’idée selon laquelle, la grâce permettrait de différencier une personne qui en a d’une autre qui en serait dépourvue, on va se rappeler que, pour certaines et certains, la grâce est tout de même bien mise sur orbite, ou « aidée », par l’entourage stratégique que l’on connaît, et le moment, aussi, où l’on apparaît en public. Ensuite, c’est à nous de jouer. Soit on fait tout de travers. Soit on « fait le travail » pour lequel on a été préparé.
Cependant, pour réussir, il faut bien, à un moment ou à un autre, rencontrer, décider ou dérider quelqu’un qui jettera sur notre trajet un peu de cette de poudre magique qui nous permettra de réussir. Et, réussir, qu’on le veuille ou non, cela signifiera toujours réussir économiquement.
Ce que n’ont toujours pas compris quantités d’idéalistes et d’abrutis- dont je fais partie- qui se condamnent d’eux-mêmes. C’est parce-que je me suis condamné à faire partie des invisibles et des ratés du box-office économique que je fais partie des abrutis.
Si des professions comme les professions soignantes sont maltraitées de manière répétée, c’est aussi, parce-que, à moins d’être une personnalité très médiatisée ( ça existe parmi quelques soignants généralement médecins ou psychologues), la majorité des soignants sont des anonymes, donc, éloignés du « succès » public mais, surtout, économique. Lorsque l’on contribue à sauver une vie, par exemple, cela ne fait pas des millions d’entrées au box-office. Cela ne fait pas vendre de la pub, du pop corn ou du coca-cola. Il n’existe pas de festival de Cannes du soin qui serait convoité et visité par des millions de spectateurs, avec limousine, grandes célébrités et retransmission médiatisée dans le monde entier de l’événement. Alors, au mieux, on « admire » les soignants ou on les applaudit. Et, tout ordinairement, on peut les négliger. On peut aussi les plaindre car cela ne coûte pas grand chose non plus. Pourtant, les soignants, comme bien d’autres gens, des artistes inconnus, ou d’autres personnes exerçant dans d’autres professions, sont des travailleurs. Mais pas de petite poudre magique pour eux afin d’améliorer leur statut ou leurs conditions de travail. Pour eux, et pour tant d’autres- les invisibles et les ratés du box-office de la réussite économique- la vie sera dure. Les conditions de travail. Le salaire. L’épargne ou la retraite. La santé. Tout sera susceptible d’être dur ou de le devenir pour eux, s’ils n’apprennent pas à encaisser et à esquiver.
A un moment donné, soit, on sait encaisser. Soit, on se fait lessiver.
Enfin, si les polars connaissent autant de succès, c’est aussi parce qu’ils racontent souvent l’histoire de grâces et d’innocences qui ont été saccagées. Et nous connaissons, intimement, ce genre de vérités. Donc, travailler, travailler, travailler, ne suffit pas.
C’est étonnant comme le simple fait de reprendre les footing peut vous dévergonder. J’étais plus éteint que ça en partant courir ce matin.
La « petite » Aya Nakamura, elle, avait compris tout ça bien plus tôt que moi, et sans avoir besoin de faire des footing. C’est pour ça qu’elle a réussi et, qu’aujourd’hui, elle peut nous faire danser.
La librairie Presse Papier :
Il y a quelques jours, un collègue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion à la mort d’Alisha ( Marche jusqu’au viaduc). Mais c’était pour lui un événement comme un autre. Il a vite occupé ses pensées à tenir sa tasse de café ou à d’autres sujets. ( Quelques jours plus tard, sans que cela ait évidemment de rapport avec le décès de la jeune Alisha, j’apprenais que ce collègue avait attrapé le Covid)
Ce matin, en allant acheter le journal dans la librairie du centre-ville, j’ai pris le temps de discuter avec le gérant et un habitué. Les deux hommes se connaissent bien visiblement. Le premier habite Argenteuil depuis quarante ans. Le second, enseignant à la retraite, est né à Argenteuil. Militant, je l’ai déjà vu distribuer des tracts à la sortie de l’école. Il m’a appris ce matin être à l’origine de la création du salon du livre d’Argenteuil. Mais aussi de l’association Lire sous les couvertures.
Mais il m’a appris davantage : la voie expresse qui, aujourd’hui, coupe les Argenteuillais des berges de la Seine n’existait pas avant….1970. Grosso modo, lorsque Jimi Hendrix a fait son concert fin 1969 et début 1970 ( le concert d’Aretha Franklin date de 1971), il existait une promenade le long de la Seine. On organisait même des cross sur cette promenade qui aurait existé de 1820 à 1970.
Sur le chemin de halage, vers Argenteuil, ce mercredi 7 avril 2021. Sur la fin de mon footing, de retour d’Epinay Sur Seine. C’est sous ce viaduc que le 8 mars, Alisha….
Tout à son récit, D m’a parlé du chemin de halage du côté du viaduc. Marcheur, D s’est enthousiasmé pour le travail « extraordinaire » qui avait été réalisé sur ce chemin de halage pour le rendre agréable. Il m’a confirmé brièvement. Oui, c’était bien là, sous le viaduc qu’il y avait eu le fait divers….puis, il a poursuivi son argumentaire concernant la façon dont l’aménagement de la ville était mal géré. D m’a appris qu’il avait un blog, très bien fait, alimenté régulièrement, dans lequel il parlait d’Argenteuil. Il m’a invité à le lire. Je lui ai aussi parlé du mien mais cela n’a pas paru lui parler plus que ça. Je ne sais pas si D préfère écouter Aya Nakamura ou lire son blog. Je ne sais pas non plus si elle en a un. Par contre, en quittant la librairie, je savais que j’allais retourner au viaduc. J’ai un moment pensé à faire le parcours à vélo afin de bien profiter de la Seine sans trop me fatiguer. Puis, je me suis rapidement dit que ce serait une bonne occasion de reprendre le footing. Afin de voir où j’en étais.
Le chemin de halage :
Je m’étais mis en tête de courir trente minutes pour une reprise. Sans aucune idée du temps qu’il me faudrait pour arriver au viaduc.
Les dix premières minutes ont été un peu inconfortables. Car mon corps n’était plus habitué au footing. Mais, très vite, j’ai perçu que mon cœur, lui, était au rendez-vous. Peut-être les effets de mes trajets à vélo depuis bientôt deux mois depuis la gare St-Lazare pour aller à la travail. A chaque fois, à l’aller comme au retour, trente minutes de vélo.
Il m’a fallu douze minutes, à allure douce, pour arriver au viaduc. J’avais le soleil de face. J’ai continué sur le chemin de halage jusqu’à arriver à Epinay sur Seine, ville de tournage de cinéma. Mais ville, aussi, où se trouve une clinique psychiatrique où il a pu m’arriver de faire des vacations. Je pouvais alors m’y rendre en environ vingt minutes en voiture. Là, j’avais mis à peu près trente trois minutes en footing. A vélo, j’en aurais sûrement pour 20 minutes, peut-être quinze, par le chemin de halage. Le centre Aqua92 de Villeneuve-la-Garenne, où les trois fosses et le bassin de 2,20 de profondeur, permettent de pratiquer apnée et plongée n’était pas si loin que ça. Même s’il devait rester quinze à vingt minutes de footing pour y arriver.
Je me suis arrêté pour marcher. Prendre le temps de souffler. Quelques photos. Après dix minutes, je suis reparti en sens inverse. A l’aller comme au retour, les gens que j’ai croisés, promeneurs, coureurs, étaient enclins à dire bonjour. L’absorption des relations sociales par le confinement et la pandémie favorisaient peut-être ces échanges simples.
Je prenais des photos de ce « bateau-école » lorsque G…, me voyant faire, a ouvert la porte pour me renseigner. Elle m’a donné quelques explications, m’a remis une brochure avec les tarifs. Puis, je suis reparti.
Je commençais à en avoir plein les cuisses. L’acide lactique. Ça m’a étonné parce-que je ne courais pas particulièrement vite. Cela devait venir du manque d’entraînement, sans doute.
A l’approche du viaduc, j’ai ralenti. Encore quelques photos. J’étais près du mur des fleurs à la mémoire d’Alisha, lorsque la sirène du premier mercredi du mois a retenti. Je ne pouvais pas filmer meilleure minute de silence qu’avec cette sirène.
Devant tout ce bleu, tout ce soleil, je me suis dit que la mort d’Alisha, d’une certaine manière était un sacrifice. Et, qu’est-ce qu’un sacrifice, si ce n’est une mort- ou un soleil- qui permet à d’autres de vivre ou qui leur indique le chemin qu’ils doivent suivre pour continuer de vivre ?
Photo ce mercredi 7 avril 2021, depuis l’endroit où le 8 mars, Alisha a été poussée dans la Seine après avoir été tabassée.
Après la minute de silence, j’ai fait le tour du viaduc dans le sens inverse de la dernière fois sans m’attarder. En faisant ça instinctivement, j’ai eu la soudaine impression de défaire le cercle de la mort.
Même endroit que la photo précédente, ce mercredi 7 avril 2021. En regardant dans la direction d’Epinay-sur-Seine.
Evidemment, je n’irai pas expliquer ça aux parents d’Alisha, ni à ses proches ou à celles et ceux qui l’ont connue de près. Et, je ne crois pas que j’aimerais que quelqu’un vienne me tenir ce genre de propos si je perdais une personne chère.
Ce mercredi 7 avril 2021, en rentrant sur Argenteuil vers la fin de mon footing.
Pourtant, sans cette mort le 8 mars, je ne serais pas venu jusqu’à ce viaduc. Je n’aurais peut-être jamais pris ce chemin de halage alors que cela fait déjà 14 ans que je vis à Argenteuil.
Ce chemin de halage, je l’avais supposé depuis Epinay Sur Seine où je m’étais rendu en voiture ou à vélo. Mais sans savoir qu’il pouvait aller jusqu’à Argenteuil.
Et, j’avais déjà entendu un Argenteuillais, adepte du footing, en parler, il y a trois ou quatre années, mais cela était resté très abstrait pour moi. Je n’imaginais pas un tel chemin, aussi étendu, aussi large, aussi agréable. Et, à travers tout le bleu de ce mercredi 7 avril, je comprends qu’Alisha, le 8 mars, ait pu très facilement accepter de suivre celle qui a servi d’appât, comme le titre du film de Bertrand Tavernier qui avait été inspiré d’un fait divers.
Lorsque je suis venu ici pour la première fois ( Marche jusqu’au viaduc ), il faisait plus sombre. Et je m’étais dit qu’Alisha avait vraiment dû se sentir en confiance pour venir dans un endroit pareil. Mais le 8 mars, il faisait peut-être beau.
Lorsque l’on compare les photos que j’ai faites de cet endroit la première fois que j’y suis venu, le 16 mars, avec celles de ce mercredi 7 avril, on remarque que la lumière et l’atmosphère sont très opposées. Ce mercredi 7 avril, la lumière est très belle. J’ai posté une des photos de ce jour, prise depuis le chemin de halage ( celle qui ouvre cet article) sur ma page Facebook, et elle a plu à plusieurs personnes. Elle me plait aussi. Tout ce bleu. Ce soleil.
Comme ces photos prises deux jours différents, malgré tout le béton dont l’être humain s’entoure, notre nature se lézarde et mue. Ces mues ne sautent pas aux yeux à première vue. Elles sont d’abord invisibles, souterraines, imperceptibles, légitimes ou illégitimes. Mais elles surviendront, pour le pire ou le meilleur, si elles trouvent un moyen ou un chemin pour s’affirmer et s’affranchir de nos secrets. De nos codes. De nos limites.
Ces mues, nos changements, de comportement, tenteront de s’adapter et de s’habituer au grand jour et au monde. Ils seront parfois aussi violents qu’éphémères. On peut d’abord penser à des crimes ou à des actes monstrueux. Mais on peut aussi penser à certaines carrières fulgurantes :
Jimi Hendrix est mort ultra-célèbre à 27 ans alors qu’il ne pratiquait la guitare que depuis une douzaine d’années…… on nous parle encore d’Amy Winehouse, de Janis Joplin, de tel acteur ou tel actrice « parti(e) trop vite… » . On peut aussi penser à des aventuriers de l’extrême morts trop jeunes tels que l’apnéiste LoïcLeferme . Ou même à l’apnéiste… Audrey Mestre.
En m’éloignant du viaduc, un homme noir d’une soixante d’années semblant venir de nulle part, partait comme moi. Il marchait et avait du mal à remonter la pente. Il avait baissé son masque anti-covid sûrement pour mieux reprendre son souffle. Je l’ai dépassé en reprenant mon trot. Ce faisant, je l’ai salué. Il m’a répondu, un peu étonné. Puis, je l’ai distancé. Je serai peut-être ce vieil homme, un jour.
Lorsque j’ai retrouvé la route d’Epinay, en allant vers Argenteuil, un bus 361 m’a dépassé. Puis, j’en ai un croisé un autre un peu plus loin. A l’aller, aussi, j’avais croisé un 361. Cet itinéraire est vraiment bien desservi par le bus.
En rentrant chez moi, je suis repassé devant le hammam. Il avait l’air ouvert. Je me suis dit que j’y retournerais. Et que cela me permettrait, aussi, de profiter de leur très bon thé à la menthe.
Franck Unimon, ce mercredi 7 avril 2021.( complété et finalisé ce mardi 13 avril 2021).
Lorsque l’on est assuré d’avoir le ventre plein, on peut trouver plus séduisant que l’étalage d’un stand de marché derrière des bâches en plastique.
En 1960, sur le marché d’Héloïse de la ville d’Argenteuil, il y avait des moutons, des chèvres, de la volaille. Et une brocante.
C…, agriculteur et producteur, était présent. C’était avant l’édification de la salle des fêtes Jean Vilar aujourd’hui plus ou moins menacée de destruction selon les divers projets hôteliers – de luxe- et commerciaux du maire, Georges Mothron. Afin, officiellement, de tenter d’augmenter l’attractivité de la ville.
C…est le le doyen des commerçants. Il me raconte un peu avant tout ça. Il y a deux ans maintenant, à peu près, je le lui avais demandé. Il avait accepté à condition de ne pas faire de politique. Puis, c’était moi, le jeune, qui, comme tous les jeunes, avait délaissé ce qui lui avait préexisté. J’avais toujours trouvé mieux à vivre, à écrire ou à faire ailleurs.
En revenant quelques fois sur le marché, je venais lui dire bonjour et lui rappeler que je reviendrais. Comme une bouchée de politesse qu’on adresse à quelqu’un pour le faire patienter au bord d’une piste de danse. Alors que cette personne ne nous a rien demandé. Alors que l’on se croit le gardien de l’éternité. Mais on n’est jamais rien d’autre que le plus grand gardien de nos infirmités.
Puis, du temps est passé. J’ai arrêté de venir sur le marché. Ensuite, il y a eu cette mêlée -ou cette épidémie- qui, plus vite que la Junk food, a rempli nos assiettes et nos viscères avec du mastic à partir de mars 2020. Toutes les pistes de danse se sont vidées. C’était l’année dernière.
Heureusement, C…a encore tout son temps et toute sa tête. Peut-être plus que beaucoup d’autres qui ont pourtant moins que ses 84 ans.
Il fait 0°C, ce dimanche 10 janvier 2021, lorsqu’enfin, j’honore ce que je m’étais dit à moi-même. J’arrive un peu avant 9 heures. J’aurais voulu venir plus tôt. Il y aura davantage de monde à partir de 10 heures. C…lui, s’est levé à 4h30 et est sur le marché depuis 6h30. Il partira à 13h30 et m’annonce :
« Ceux dehors partent à 15 heures ».
Je lui demande : « Comment faites-vous avec le froid ? ».
C…rigole : « Comme tout le monde ! ».
Il est aussi sur le marché d’Ermont deux fois par semaine. Ses fils ont leur stand sur les marchés de St Denis, Puteaux, sur le marché des Bergères à Nanterre et aussi à Paris. Il me fait les éloges du marché des Bergères. C’est celui de mon enfance. Je n’y suis pas retourné depuis des décennies. A cette époque, dans les années 70, cette partie de Nanterre était sûrement plus populaire qu’aujourd’hui. Il m’invite à y aller.
Sur le marché d’Argenteuil, il paie son abonnement 250 euros pour 15 jours. Pour l’instant, personne ne peut prendre sa succession car la mairie tient absolument à trouver un producteur. Il y en a de moins en moins, m’affirme C. Il a connu le grand-oncle du maire d’Argenteuil actuel. Ce grand-oncle vendait des fruits et des légumes. Tout comme le grand-père.
Le grand-oncle a vendu son corps de ferme à Argenteuil puis est parti vivre dans le Vexin. Mothron, le maire actuel (précédemment déjà édile plusieurs fois de la ville) n’a pas pris la suite de son grand-père et de son grand-oncle. Il est devenu ingénieur. Et maire.
Le neveu du maire, m’apprend C, vend du café un peu plus loin, sur le marché.
Sur le marché d’Ermont, c’est différent. C a pris la suite de ses parents. Et, il tient à « prolonger le plus longtemps possible ».
Un habitué, d’origine arabe, arrive. Il porte un liseré de moustache. Après avoir salué C, il sort une bouteille dont il nous apprend la composition : de l’eau, du miel et des agrumes. Il dit en boire tous les jours :
« C’est ça, notre pharmacie ! » déclare-t’il en désignant les fruits vendus par C et la poissonnerie voisine. Il refusera de faire le vaccin anti-Covid quand il deviendra obligatoire ! Quitte à rester chez lui !
C, avec un grand sourire tranquille, répond : « Moi, je le ferai ».
L’homme poursuit :
« J’ai plus de 60 ans. Je me porte bien… ».
C s’esclaffe et me prend à témoin : « Il est jeune ! ».
Une femme d’origine antillaise passe rapidement devant le stand :
« Salut Papy ! ».
« Salut, ma belle ! » répond C.
Après avoir pris quelques fruits, le client argumente :
« Je suis médecin….même si je ne suis pas reconnu » ajoute-il un peu à voix baisse comme à lui-même.
J’avais oublié toute cette dramaturgie que l’on peut obtenir dans un marché. Il suffit de s’y promener.
J’ai bien sûr pris des fruits à C. Des pommes, des poires, des kakis. Et je l’ai remercié. Il a accepté facilement que je prenne son stand en photo. Mais quand j’ai parlé de le photographier, il a disparu. Au point que je me demande si je l’ai inventé. Et aussi, si c’est bien lui qui m’a laissé ce texte :
Vols ancrés
Même si ce sont souvent les mêmes, nos pensées sont des milliers d’oiseaux qui en enfantent d’autres. Il faut apprendre à regarder pour savoir, selon nos priorités, sur lesquels s’appuyer pour s’orienter. Ils ne se valent pas tous. Certains sont des leurres. D’autres, des impasses. Mais ils proviennent tous de nos cages et cherchent tous à retrouver l’atmosphère où ils étaient avant de nous rencontrer. Car nous les avons capturés. Nous avons besoin de nos pensées comme des oiseaux car ils savent toujours où se trouve le ciel. Et nous, sans eux, nous ne savons pas.
Ecrire, c’est déplacer nos cages. C’est plonger dans la page certains oiseaux plutôt que d’autres et permettre à d’autres, qui les regardent et les écoutent, de trouver leur direction et, peut-être, de trouer certaines interdictions qui les clouaient à l’impuissance.
Photo prise devant le conservatoire d’Argenteuil, ce lundi 25 janvier 2021.
Le marché d’Argenteuil, Boulevard d’Héloïse, ce vendredi 8 janvier 2021.
Sur le marché de Dieu
« Certains estiment avoir été secourus parce qu’ils ont été élus.
D’autres estiment avoir le droit de tuer parce qu’ils ont été élus.
Moralité : Dieu nous sauvera tous ».
Hier matin, j’avais quitté ce délirium très mince ainsi que ma colère envers Dieu et certains de ses adeptes, lorsqu’à l’entrée de l’école de ma fille, je me suis adressé au directeur.
Celui-ci m’a répondu qu’il partageait mon inquiétude. Les absences répétées de la maitresse depuis la rentrée au mois de septembre ne lui permettaient pas, jusqu’alors, de « visibilité ». Mais, celle-ci étant désormais officiellement en congé, depuis ce mois de janvier, du fait de sa grossesse, il allait pouvoir véritablement faire les démarches. Pour obtenir une remplaçante ou un remplaçant attitré (e). Mais, impossible pour lui de savoir quand cette remplaçante ou ce remplaçant arriverait.
Il m’a conseillé de me rendre sur le site du CNED, en accès libre, afin de trouver des cours en rapport avec la scolarité de ma fille. Tout en reconnaissant que cela ne vaudrait pas la présence d’une maitresse ou d’un maitre. Il a ajouté que si la nomination d’une remplaçante ou d’un remplaçant traînait, qu’il solliciterait l’association des parents d’élèves ou FCPE dont il se trouve que je suis un des membres intermittents.
Malgré ses éléments de langage, j’ai cru en la sincérité du nouveau directeur de l’école publique où ma fille est scolarisée. Croisant la maitresse de l’année dernière de ma fille, nous nous sommes mutuellement adressés nos vœux de bonne année. Celle-ci m’a dit qu’elle espérait vraiment qu’il y aurait une remplaçante ou un remplaçant pour la classe de ma fille.
Après ça, je me suis rendu dans mon service, à Paris, à quarante cinq minutes de là en transports en commun. Pour mon pot de départ. Dans quelques jours, je commencerai dans un nouvel établissement.
J’étais en retard à mon pot de départ mais j’ai choisi de prendre mon temps. Au lieu de débuter à 10h comme je l’avais annoncé, mon pot a plutôt débuté vers 10h50. Il devait se terminer pour midi.
En raison des mesures sanitaires dues à la pandémie, nous étions un nombre limité de personnes dans la salle à manger du service. Pas plus de quinze. Cela n’avait rien à voir avec ces pots de départ d’ « avant », où nous pouvions être une quarantaine ou beaucoup plus dans une même salle et sans masques. Mais, alors, que courent angoisse et polémiques à propos de la nécessité –ou non- de la vaccination anti-covid, ce pot de départ, même s’il signifiait la fin de mon histoire dans ce « pays » qu’ a été ce service, était pour moi capital. Dans ce contexte où nos peurs deviennent nos plus vibrantes ambitions, ou nos nouveaux extrémismes, tout moment de réjouissance, en respectant les gestes barrières, est un acte de résistance. Je crois que dans toute épreuve, les fêtes et les périodes de pause permettent- en prenant certaines précautions- de passer des caps difficiles. Cela peut nécessiter parfois de l’entraînement ou de devoir produire certains efforts pour s’obliger à continuer de vivre alors que notre premier réflexe- ou notre humeur- serait d’attendre dans un coin.
A chaque fin d’année, nous achetons des objets de « bonheur ». Nous en offrons par affection. Mais nous en offrons aussi par obligation.
Mon âge ou le corona circus fait que les cadeaux qui m’ont le plus porté pendant mon pot de départ- et aussi en dehors de lui- ont d’abord été ces collègues présents, leurs regards, leurs sourires, leurs rires ainsi que leurs mots en public ou en aparté.
Je suis revenu le soir pour dire au revoir à d’autres collègues. A nouveau, des moments qui comptent. Même si j’étais fatigué en rentrant chez moi, pendant les horaires du couvre-feu. A la gare St-Lazare, en attendant l’affichage de la voie de mon train de 23h43, il y avait pratiquement autant voire plus d’agents de sécurité que de « voyageurs ». Je me suis partiellement endormi dans le train comme d’autres fois. Mais je me suis réveillé au bon endroit et au bon moment.
Ce matin, après avoir emmené à nouveau ma fille à l’école, je suis retourné au marché d’Argenteuil. Pour la première fois depuis le premier confinement de mi-mars 2020. Dehors, il faisait un degré celsius.
Sur le marché d’Argenteuil, Bd Héloïse, ce vendredi 8 janvier 2021.
J’ai été content de le revoir. Lui, le doyen du marché, avec ses plus de 80 ans. Il connaît le marché d’Argenteuil depuis environ cinquante ans. Il y a bientôt deux ans maintenant, je lui avais dit que je reviendrais l’interroger. Pour mon blog. Il avait accepté. Mais je ne l’avais pas fait. Nous avons pris rendez-vous pour ce dimanche où il sera sur le marché à partir de 6h30.
Devant la poissonnerie, une femme m’a interpellé, tout sourire. Je l’avais connue quelques années plus tôt à l’atelier d’écriture animé à la médiathèque d’Argenteuil. Il était arrivé de nous recroiser par la suite dans la ville. Avec son masque sur le visage, je ne l’avais pas reconnue. Infirmière anesthésiste à la retraite, elle m’a appris continuer de faire quelques vacations à l’hôpital d’Ermont. Elle avait pris sa retraite après quinze ans et quelques mois d’activité professionnelle après avoir été maman trois fois.
Elle m’a expliqué, un peu ironique, que son nombre de vacations était limité. Plus on a travaillé en tant qu’infirmière durant sa carrière et plus on peut faire de vacations, une fois à la retraite. Elle se trouve dans la situation inverse.
Elle m’a dit que les noix de st Jacques se congelaient très bien. Qu’elle les faisait décongeler dans du lait de vache et un peu d’eau, la veille pour le lendemain.
Plus loin, la commerçante à qui j’achetais des pains aux dattes ainsi que des Msemen m’a appris que son père était décédé en avril. Il avait 75 ans. Elle m’a précisé qu’il n’était pas mort du coronavirus. Avant de mourir, celui-ci lui a dit de continuer son commerce :
« Même si c’est un euro, gagne-le avec ton travail ». Je voyais bien qui était son père, assez souvent là, avec deux de ses frères et, quelques fois, une de ses jeunes sœurs.
Trente ans qu’elle est là. Je me souviens que deux ou trois ans plus tôt, elle m’avait expliqué comme le froid lui rentrait dedans alors qu’elle travaillait sur le marché. Je lui avais conseillé de se procurer l’équivalent d’une polaire. Elle m’avait écouté avec attention. Mais je doute qu’elle n’ait fait le déplacement pour s’acheter le vêtement en question.
La dame qui faisait les Msemen et les pains aux dattes a arrêté. C’était déjà le cas avant la pandémie. Je m’étais déplacé une ou deux fois en vain jusqu’au marché.
La pâtissière, âgée de 66 ans, que je n’ai jamais vue, a des problèmes de santé avec son bras. Notre «virtuose » des pains aux dattes et des Msemen, ai-je appris ce matin, les faisait bénévolement, sans rien dire. Pour aider des pauvres. L’argent donné pour acheter ses pains aux dattes et ses Msemen permettait d’aider des pauvres.
Sur le marché, d’autres personnes font aussi des Msemen continue la commerçante, qui vend aussi du pain et des croissants, mais ce n’est pas fait de façon traditionnelle et c’est moins bon. J’acquiesce.
Avant de la quitter, elle me demande si ça va bien pour moi. Ma famille. Si j’ai une famille. Et, elle me souhaite le meilleur et de prendre soin de moi, Inch Allah. Je pars en la saluant.
Alors que, mes courses contre moi, je me rapproche de l’avenue Gabriel Péri, je laisse passer un homme derrière moi. Casquette type béret, baskets Nike, Jeans, manteau type redingote, l’homme élégant me remercie rapidement. Un sac de pain à la main, il revient vraisemblablement aussi du marché. C’est alors que je vois sa silhouette s’éloigner devant moi que je crois le reconnaître.
Quelques années plus tôt, cet homme tenait une boulangerie-pâtisserie, de l’autre côté de l’ avenue Gabriel Péri, quelques dizaines de mètres devant nous. Issu d’un milieu modeste peut-être de la ville d’Argenteuil où il est sans doute né et a vécu bien plus longtemps que moi, il avait réussi à faire une école dans la restauration plutôt prestigieuse. Son portrait avait été fait dans le magazine local – gratuit- quelques mois après l’ouverture de son commerce.
Je faisais partie de « ses » clients. Ses produits étaient bons voire très bons. Pourtant, chaque fois que j’avais essayé de nouer une forme de contact un peu personnel avec lui, il avait toujours esquivé, méfiant. Etrange pour un commerçant qui a plutôt intérêt à fidéliser sa clientèle. Chez le marchand de primeurs du centre ville où j’ai mes habitudes, et où il avait les siennes, je l’avais vu, une fois, s’empiffrer comme un crevard, de quelques bouchées d’un fruit. Hilare, il avait été content de son coup. Comme celui qui, gamin, avait beaucoup manqué. Sauf qu’il était alors un commerçant respecté et plutôt en bons termes avec le marchand de primeurs.
A Argenteuil, le bail commercial de la première année est offert par la ville. A la fin de cette première année, « notre » boulanger-pâtissier avait disparu. Un jour, on avait retrouvé son commerce fermé. Le marchand de primeurs m’avait appris que notre homme aurait été infidèle à sa femme. Laquelle tenait régulièrement la caisse.
Ce matin, alors que je marche derrière notre homme, je le vois qui regarde une première femme, de l’autre côté de la rue. Alors qu’il traverse le boulevard Gabriel Péri et s’arrête au milieu afin de laisser passer les voitures, à quelques mètres, sur sa droite, une femme lui fait face. Nouveau regard très concerné de notre boulanger-pâtissier.
Il m’arrive aussi de regarder les femmes de façon aussi pavlovienne. Mais je repense à l’historique de « notre » homme. A la façon dont il a coulé sa propre entreprise -qui ne demandait qu’à marcher- pour s’enfuir. Puis, pour réapparaître plus tard dans la ville, incognito, comme s’il lui était impossible de s’en dissocier. Tout ça, pour mater comme un affamé ou un mendiant la moindre femme qu’il aperçoit. Préférer les miettes à un festin. Préférer les oubliettes à un destin…. Je me dis que cela est pour lui une addiction. On ne peut pas bien nourrir les autres avec sa boulangerie et sa pâtisserie si l’on pétrit en soi -en permanence- un gouffre.
Pourtant, il a une belle allure et marche bien plus vite que moi. A cause de mon masque et de mon souffle, j’ai de la buée sur mes lunettes. Je ne fais donc que l’apercevoir pour la dernière fois avant qu’il n’entre dans un immeuble qui borde le boulevard Gabriel Péri où se trouvait son commerce. Je ne peux pas affirmer que c’était véritablement lui. Cependant, Dieu, lui, n’a jamais de buée devant les yeux. Et, il le sauvera aussi.
Sur le marché d’Argenteuil, Bd Héloïse, ce vendredi 8 janvier 2021.
Je devrais être couché. Il est cinq heures du matin. Je « dormais ». J’ai bien des lâchetés et bien des faiblesses. Mais lorsque j’ai un texte ou un article à écrire, je me lève. C’est l’avantage de ces mélanges entre le sommeil et les pensées : cela nous met des phrases dans la tête.
Ensuite, c’est à nous qu’il revient de choisir. Nous censurer et nous rendormir. Ou nous lever et les exprimer.
Ce n’est pas la première fois que je me lève en pleine nuit. Ou en plein jour.
Nous avons revu M, sans doute cet été, dans son nouvel appartement. Dans une nouvelle ville. Avec son nouveau compagnon. Et son second enfant. Nous la voyons beaucoup moins qu’avant lorsqu’elle habitait dans la même ville que nous.
Auparavant, il nous arrivait de nous croiser près de la gare d’Argenteuil lorsqu’elle revenait du travail ou dans la ville, carrément. M fait partie de ces personnes que l’on pouvait rencontrer dans une des rues d’Argenteuil en allant faire une course. Il suffit que deux ou trois personnes de ce profil s’en aillent pour que, très vite, on se sente plus seuls dans une ville. E, par exemple, travaillait à la médiathèque du Val d’Argenteuil. Mais je l’avais connue au club de boxe française où, pendant un temps, elle avait été assidue.
Voilée, convertie à l’Islam, et alors célibataire, E habitait encore plus près de chez nous. Je la croisais régulièrement dans la ville également. Ou à la médiathèque où, hilare, elle prolongeait facilement la durée de mes prêts. Pour nous saluer, nous nous serrions la main. Nous rigolions et discutions bien ensemble, en toute intelligence.
Puis, un jour, j’ai à peine reconnu E. Elle s’avançait en direction de la gare alors que je m’en éloignais. Maquillée, dévoilée, portant une jupe, E s’était séparée de l’Islam. Elle m’avait fait la bise.
En quelques mots, elle m’avait raconté s’être faite « humilier » en tant que femme lors de sa pratique de l’Islam. Depuis, elle s’était mise en couple avec quelqu’un qu’elle connaissait depuis des années. Peu après, E a quitté Argenteuil pour le Vésinet ou Chatou où elle a retrouvé un emploi de bibliothécaire.
Ensuite, elle est devenue mère. Aujourd’hui, elle a deux enfants et vit avec son compagnon à la Rochelle d’où, de temps à autre, elle envoie des photos qui donnent envie. Un jardin, un potager, de l’espace, la mer.
Avant, je rencontrais K, aussi. Comédienne, metteure en scène, prof de théâtre. Elle et moi, nous étions rencontrés en thérapie de groupe, à Argenteuil. A une époque, où, après une énième rupture amoureuse, je m’étais dit qu’une thérapie s’imposait.
K, aussi, a quitté Argenteuil avec son compagnon et père de leurs deux enfants. Pour Cormeilles en Parisis. C’est plus près que la Rochelle. Mais on se voit beaucoup moins. Peut-être une fois par an. Quand je me rends à la journée des associations d’Argenteuil qui se déroule chaque année sur le parking de la salle des fêtes Jean Vilar ainsi que dans la salle des fêtes Jean Vilar. Laquelle salle des fêtes Jean Vilar est menacée d’être détruite. Le maire Georges Mothron et son équipe ont pour projet de mettre à la place un hôtel de luxe, quelques commerces, dont une Fnac, ainsi qu’une salle de cinéma afin de rendre la ville plus attractive. Si ce projet se réalisait, la librairie Presse Papier (restée ouverte malgré le confinement) située à l’entrée de la ville serait aussitôt concurrencée par la Fnac. Et le centre culturel Le Figuier Blanc, qui projette des films, pourrait l’être par la salle de cinémas.
K m’a un jour répondu avoir quitté Argenteuil car elle en avait « marre » des pauvres. Ce ne sont pas les pauvres en eux-mêmes dont K a eu marre, à Argenteuil. Je pense que c’est plutôt des incivilités régulières. De certains comportements. Du bruit. Sans doute de certains trafics, aussi.
Locataire en appartement à Argenteuil, K et son compagnon sont devenus propriétaires à Cormeilles En Parisis. Comme certains parents des copains et des copines de l’école maternelle de ma fille qui ont rapidement fait le nécessaire pour faire admettre leurs enfants dans l’école privée Ste-Geneviève de la ville, M, K et E font partie de ces forces vives qui, pour diverses raisons, un jour, se retirent d’un endroit. Ensuite, même si l’on peut faire d’autres rencontres, et que l’on connaît d’autres personnes toujours présentes dans notre environnement immédiat, c’est une affaire entre soi et soi. De choix et d’espoir. Mais tout départ, comme toute séparation, nous éloigne et nous sépare un peu de nous-mêmes.
Cet été, après environ quarante minutes de route, nous sommes arrivés dans le nouvel habitat de M. C’est un ensemble d’immeubles avec parking. Nous avions du mal à trouver où nous garer. Car beaucoup de places étaient privées. En m’approchant de M, descendue à notre rencontre, j’hésitais sur l’attitude à avoir concernant…. « les gestes barrières ». M a tranché :
« C’est bon ! ». Et nous nous sommes fait la bise. Je n’ai pas cherché à contredire M. Je n’en n’avais même pas envie. M, c’est un char d’assaut. Et, à propos de la vie et de la mort, M est la mémoire directe, et la plus proche, de cette expérience que nous avons connue ensemble concernant ces sujets. On pourra toujours argumenter que notre attitude a été parfaitement irresponsable en pleine période du Covid et alors que nous avons des enfants plutôt jeunes. Mais chaque rencontre dicte ses règles.
M et nous, nous nous sommes rencontrés à la maternité de l’hôpital d’Argenteuil. Tout le monde a entendu parler de la maternité, de la grossesse, d’un accouchement et de la naissance d’un enfant. Le plus souvent, ça se passe « plutôt bien » lorsque la grossesse se réalise. Pour M et nous, la grossesse a effectivement eu lieu. Mais l’accouchement a été prématuré. Nos deux filles ont été de grandes prématurées. La prématurité, c’est devenu banal quand on en parle. Une personne m’avait par exemple dit :
« Je connais quelqu’un qui a eu un enfant prématuré ». Et quelqu’un d’autre m’avait dit aussi : « Ma nièce, à sa naissance, pesait 540 grammes. Elle était à peine plus grosse qu’un steak. Aujourd’hui, elle va très bien, elle a deux ( ou quatre) enfants ». C’était des marques de sympathie et d’encouragement.
La prématurité de nos filles, cependant, cela a été un petit peu notre Vendée Globe émotionnel. Un mois et demi d’hôpital en réanimation puis en soins intensifs pour la fille de M. Deux mois et demi pour la nôtre. Des visites quotidiennes. Des appels téléphoniques quotidiens. Soit le contraire d’une vie «normale » où, souvent, après quelques jours d’hospitalisation, la mère repart à la maison avec son enfant ou ses enfants. Puis, ensuite, la « réadaptation » à la maison et à la vie extérieure pour tout le monde à la sortie du bébé de l’hôpital.
M représente ça pour nous. Et, sans doute que nous représentons ça aussi pour elle. Nous discutons ou avons assez peu discuté de cette « époque », elle et nous. Ou, alors, j’étais absent à ce moment-là. Mais il est facile de concevoir que cette « époque », nous l’avons encore dans la peau. D’une façon ou d’une autre. Alors, il était impossible de ne pas nous faire la bise en nous revoyant.
Nous avons passé une bonne après-midi chez M et son nouveau compagnon, avec leurs enfants.