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Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

 

                    Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

« Le plaisir est ma seule ambition Â».

 

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson, Le Monde comme il me parle,  c’est presque se dĂ©vouer Ă  sa propre perdition. C’est comme faire la description de notre dentition de lait en dĂ©cidant que cela pourrait captiver. Pour beaucoup, ça manquera de sel et d’exotisme. Je m’aperçois que son nom parlera spontanĂ©ment aux personnes d’une cinquantaine d’annĂ©es comme Ă  celles en Ăąge d’ĂȘtre en EHPAD.

 

Kersauson est sĂ»rement assez peu connu voire inconnu du grand public d’aujourd’hui. Celui que j’aimerais concerner en prioritĂ© avec cet article. Je parle du public compris grosso modo entre 10 et 35 ans. Puisque internet et les rĂ©seaux sociaux ont contribuĂ© Ă  abaisser l’ñge moyen du public lambda. Kersauson n’est ni Booba, ni Soprano, ni Kenji Girac. Il n’est mĂȘme pas le journaliste animateur Pascal Praud, tentative de croisement tĂȘte Ă  claques entre Donald Trump et Bernard Pivot, martelant sur la chaine de tĂ©lĂ© Cnews ses certitudes de privilĂ©giĂ©. Et Ă  qui il manque un nez de clown pour complĂ©ter le maquillage.

 

Le Mérite

 

Or, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus guidĂ©s par et pour la dictature de l’audience et du like. Il est plus rentable de faire de l’audience que d’essayer de se faire une conscience.  

 

Que l’on ne me parle pas du mĂ©rite, hĂ©ritage incertain qui peut permettre Ă  d’autres de profiter indĂ©finiment de notre crĂ©dulitĂ© comme de notre « gĂ©nĂ©rositĂ© Â» ! Je me rappelle toujours de cette citation que m’avait professĂ©e Spock, un de mes anciens collĂšgues :

 

« Il nous arrive non pas ce que l’on mĂ©rite mais ce qui nous ressemble Â».

Une phrase implacable que je n’ai jamais essayĂ© de dĂ©tourner ou de contredire.

 

Passer des heures sur une entreprise ou sur une action qui nous vaut peu de manifestations d’intĂ©rĂȘt ou pas d’argent revient Ă  se masturber ou Ă  Ă©chouer. 

Cela Ă©quivaut Ă  demeurer  une personne indĂ©sirable.

Si, un jour, mes articles comptent plusieurs milliers de lectrices et de lecteurs, je deviendrai une personne de « valeur Â».  Surtout si ça rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent. Quelles que soient l’originalitĂ© ou les vertus de ce que je produis.

 

Mais j’ai beaucoup de mal Ă  croire Ă  cet avenir. Mes Ă©crits manquent par trop de poitrine, de potins, d’images ad hoc, de sex-tapes, de silicone et de oups ! Et ce n’est pas en parlant de Kersauson aujourd’hui que cela va s’amĂ©liorer. Kersauson n’a mĂȘme pas fait le nĂ©cessaire pour intĂ©grer  l’émission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Les Marseillais !

 

Rien en commun

 

Mais j’ai plaisir Ă  Ă©crire cet article.

 

Kersauson et moi n’avons a priori rien Ă  voir ensemble. Il a l’ñge de mon pĂšre, est issu de la bourgeoisie catholique bretonne. Mais il n’a ni l’histoire ni le corps social (et autre) de mon pĂšre et de ma mĂšre. MĂȘme si, tous les deux, ont eu une Ă©ducation catholique tendance campagnarde et traditionnelle. Ma grand-mĂšre maternelle, originaire des Saintes, connaissait ses priĂšres en latin.  

 

Kersauson a mis le pied sur un bateau de pĂȘche Ă  l’ñge de quatre ans et s’en souvient encore. Il a appris « tĂŽt Â» Ă  nager, sans doute dans la mer, comme ses frĂšres et soeurs.

Je devais avoir entre 6 et 9 ans lorsque je suis allĂ© sur mon premier bateau. C’était dans le bac Ă  sable Ă  cĂŽtĂ© de l’immeuble HLM oĂč nous habitions en banlieue parisienne. A quelques minutes du quartier de la DĂ©fense Ă  vol d’oiseau.

 

J’ai appris Ă  nager vers mes dix ans dans une piscine. Le sel et la mer pour lui, le chlore et le bĂ©ton pour moi comme principaux dĂ©cors d’enfance.

 

Moniteur de voile Ă  13 ans, Kersauson enseignait le bateau Ă  des parisiens (sĂ»rement assez aisĂ©s) de 35 Ă  40 ans. Moi, c’est plutĂŽt vers mes 18-20 ans que j’ai commencĂ© Ă  m’occuper de personnes plus ĂągĂ©es que moi : c’était des patients  dans les hĂŽpitaux et les cliniques. Changer leurs couches, vider leur  bassin, faire leur toilette, prendre soin d’eux
.

 

J’ai pourtant connu la mer plus tĂŽt que certains citadins. Vers 7 ans, lors de mon premier sĂ©jour en Guadeloupe. Mais si, trĂšs tĂŽt, Kersauson est devenu marin, moi, je suis un ultramarin. Lui et moi, ne sommes pas nĂ©s du mĂȘme cĂŽtĂ© de la mer ni pour les mĂȘmes raisons.

La mer a sĂ»rement eu pour lui, assez tĂŽt, des attraits qui ont mis bien plus de temps  Ă  me parvenir.  Je ne vais pas en rajouter sur le sujet. J’en ai dĂ©jĂ  parlĂ© et reparlĂ©. Et lui, comme d’autres, n’y sont pour rien.

 

Kersauson est nĂ© aprĂšs guerre, en 1944, a grandi dans cette ambiance (la guerre d’Indochine, la guerre d’AlgĂ©rie, la guerre du Vietnam) et n’a eu de cesse de lui Ă©chapper.

Je suis nĂ© en 1968. J’ai entendu parler des guerres. J’ai vu des images. J’ai entendu parler de l’esclavage. J’ai vu des images. J’ai plus connu la crise, la peur du chĂŽmage, la peur du racisme, l’épidĂ©mie du Sida, la peur d’une guerre nuclĂ©aire, les attentats. Et, aujourd’hui, le rĂ©chauffement climatique, les attentats, les serres d’internet, l’effondrement, le Covid.

 

Kersauson, et moi, c’est un peu la matiùre et l’antimatiùre.

 

En cherchant un peu dans la vase

 

Pourtant, si je cherche un peu dans la vase, je nous trouve quand mĂȘme un petit peu de limon en commun.

L’ancien collĂšgue Spock que j’ai connu, contrairement Ă  celui de la sĂ©rie Star Trek, est Breton.

C’est pendant qu’il fait son service militaire que Kersauson, Breton, rencontre Eric Tabarly, un autre Breton.

 

C’est pendant mon service militaire que j’entends parler pour la premiĂšre fois de Kersauson. Par un Ă©tudiant en psychologie qui me parle rĂ©guliĂšrement de Brautigan, de Desproges et de Manchette sĂ»rement. Et qui me parle de la culture de Kersauson lorsque celui-ci passe aux Grosses TĂȘtes de Bouvard. Une Ă©mission radiophonique dont j’ai plus entendu parler que je n’ai pris le temps de l’écouter.

 

Je crois que Kersauson a bien dĂ» priser l’univers d’au moins une de ces personnes :

Desproges, Manchette, Brautigan.

 

Pierre Desproges et Jean-Patrick Manchette m’ont fait beaucoup de bien Ă  une certaine pĂ©riode de ma vie. Humour noir et polar, je ne m’en dĂ©fais pas.

 

C’est un Breton que je rencontre une seule fois (l’ami de ChrystĂšle, une copine bretonne de l’école d’infirmiĂšre)  qui m’expliquera calmement, alors que je suis en colĂšre contre la France, que, bien que noir, je suis Français. J’ai alors entre 20 et 21 ans. Et je suis persuadĂ©, jusqu’à cette rencontre, qu’il faut ĂȘtre blanc pour ĂȘtre Français. Ce Breton, dont j’ai oubliĂ© le prĂ©nom, un peu plus ĂągĂ© que moi, conducteur de train pour la SNCF, me remettra sur les rails en me disant simplement :

« Mais
tu es Français ! Â».

C’était Ă  la fin des annĂ©es 80. On n’entendait pas du tout  parler d’un Eric Zemmour ou d’autres. Il avait beaucoup moins d’audience que depuis quelques annĂ©es. Lequel Eric Zemmour, aujourd’hui, a son trĂŽne sur la chaine Cnews et est la pierre philosophale de la PensĂ©e selon un Pascal Praud. Eric Zemmour qui se considĂšre frĂ©quemment comme l’une des personnes les plus lĂ©gitimes pour dire qui peut ĂȘtre Français ou non. Et Ă  quelles conditions. Un de ses vƓux est peut-ĂȘtre d’ĂȘtre le Montesquieu de la question de l’immigration en France.

 

Dans son livre, Le Monde comme il me parle, Kersauson redit son attachement Ă  la PolynĂ©sie française. Mais je sais que, comme lui, le navigateur Moitessier y Ă©tait tout autant attachĂ©. Ainsi qu’Alain Colas. Deux personnes qu’il a connues. Je sais aussi que Tabarly, longtemps cĂ©libataire et sans autre idĂ©e fixe que la mer, s’était quand mĂȘme  achetĂ© une maison et mariĂ© avec une Martiniquaise avec laquelle il a eu une fille. MĂȘme s’il a fini sa vie en mer. Avant d’ĂȘtre repĂȘchĂ©.

 

Ce paragraphe vaut-il Ă  lui tout seul la rĂ©daction et la lecture de cet article ? Toujours est-il que Kersauson est un inconnu des rĂ©seaux sociaux.

 

Inconnu des rĂ©seaux sociaux :

 

 

 

Je n’ai pas vĂ©rifiĂ© mais j’ai du mal Ă  concevoir Kersauson sur Instagram, faisant des selfies ou tĂ©lĂ©chargeant des photos dĂ©nudĂ©es de lui sur OnlyFans. Et il ne fait pas non plus partie du dĂ©cor du jeu The Last of us dont le deuxiĂšme volet, sorti cet Ă©tĂ©,  une des exclusivitĂ©s pour la console de jeu playstation, est un succĂšs avec plusieurs millions de vente.

 

Finalement, mes articles sont peut-ĂȘtre trop hardcore pour pouvoir attirer beaucoup plus de public. Ils sont peut-ĂȘtre aussi un peu trop « mystiques Â». J’ai eu cette intuition- indirecte- en demandant Ă  un jeune rĂ©cemment ce qu’il Ă©coutait comme artistes de Rap. Il m’a d’abord citĂ© un ou deux noms que je ne connaissais pas. Il m’avait prĂ©venu. Puis, il a mentionnĂ© Dinos. Je n’ai rien Ă©coutĂ© de Dinos mais j’ai entendu parler de lui. J’ai alors Ă©voquĂ© Damso dont j’ai Ă©coutĂ© et réécoutĂ© l’album LithopĂ©dion (sorti en 2018) et mis plusieurs de ses titres sur mon baladeur.  Le jeune m’a alors fait comprendre que les textes de Damso Ă©taient en quelque sorte trop hermĂ©tiques pour lui.

Mais au moins Damso a-t’il des milliers voire des millions de vues sur Youtube. Alors que Kersauson
. je n’ai pas fouillĂ© non plus- ce n’est pas le plus grave- mais je ne vois pas Kersauson avoir des milliers de vues ou lancer sa chaine youtube. Afin de nous vendre des mĂ©duses (les sandales en plastique pour la plage) signĂ©es Balenciaga ou une crĂšme solaire bio de la marque Leclerc.

 

J’espĂšre au moins que « Kersau Â», mon Bernard Lavilliers des ocĂ©ans, est encore vivant. Internet, google et wikipĂ©dia m’affirment que « oui Â». Kersauson a au moins une page wikipĂ©dia. Il a peut-ĂȘtre plus que ça sur le net. En Ă©crivant cet article, je me fie beaucoup Ă  mon regard sur lui ainsi que sur le livre dont je parle. Comme d’un autre de ses livres que j’avais lu  il y a quelques annĂ©es, bien avant l’effet « Covid».

 

L’effet « Covid Â»

 

Pourvu, aussi, que Kersauson se prĂ©serve du Covid.  Il a 76 ans cette annĂ©e. Car, alors que la rentrĂ©e (entre-autre, scolaire)  a eu lieu hier et que bien des personnes rechignent Ă  continuer de porter un masque (dont le trĂšs inspirĂ© journaliste Pascal Praud sur Cnews), deux de mes collĂšgues infirmiĂšres sont actuellement en arrĂȘt de travail pour suspicion de covid. La premiĂšre collĂšgue a une soixantaine d’annĂ©es. La seconde, une trentaine d’annĂ©es. Praud en a 54 si j’ai bien entendu. Ou 56.

Un article du journal  » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 2 septembre 2020.

 

Depuis la pandĂ©mie du Covid-19, aussi appelĂ© de plus en plus « la Covid Â», la vente de livres a augmentĂ©. Jeff Bezos, le PDG du site Amazon, premier site de ventes en ligne, (aujourd’hui, homme le plus riche du monde avec une fortune estimĂ©e Ă  200 milliards de dollars selon le magazine Forbes US  citĂ© dans le journal Le Canard EnchaĂźnĂ© de ce mercredi 2 septembre 2020) n’est donc pas le seul Ă  avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© de la pandĂ©mie du Covid qui a par ailleurs mis en faillite d’autres Ă©conomies.

 

Donc, Kersauson, et son livre, Le Monde comme il me parle, auraient pu profiter de « l’effet Covid Â». Mais ce livre, celui dont j’ai prĂ©vu de vous parler, est paru en 2013.

 

Il y a sept ans.  C’est Ă  dire, il y a trĂšs trĂšs longtemps pour beaucoup Ă  l’époque.

 

Mon but, aujourd’hui, est de vous parler d’un homme de 76 ans pratiquement inconnu selon les critĂšres de notoriĂ©tĂ© et de rĂ©ussite sociale typiques d’aujourd’hui. Un homme qui a fait publier un livre en 2013.

Nous sommes le mercredi 2 septembre 2020, jour du dĂ©but du procĂšs des attentats de Charlie Hebdo et de L’Hyper Cacher.

 

 

Mais nous sommes aussi le jour de la sortie du film Police d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, Omar Sy et GrĂ©gory Gadebois. Un film que j’aimerais voir. Un film dont je devrais plutĂŽt vous parler. Au mĂȘme titre que le film Tenet de Christopher Nolan, sorti la semaine derniĂšre. Un des films trĂšs attendus de l’étĂ©, destinĂ© Ă  relancer la frĂ©quentation des salles de cinĂ©ma aprĂšs leur fermeture due au Covid. Un film d’autant plus dĂ©sirĂ© que Christopher Nolan est un rĂ©alisateur reconnu et que l’autre grosse sortie espĂ©rĂ©e, le film Mulan , produit par Disney, ne sortira pas comme prĂ©vu dans les salles de cinĂ©ma. Le PDG de Disney prĂ©fĂ©rant obliger les gens Ă  s’abonner Ă  Disney+ (29, 99 dollars l’abonnement aux Etats-Unis ou 25 euros environ en Europe) pour avoir le droit de voir le film. Au prix fort, une place de cinĂ©ma Ă  Paris peut coĂ»ter entre 10 et 12 euros.

 

 

Tenet, qui dure prĂšs de 2h30,  m’a contrariĂ©. Je suis allĂ© le voir la semaine derniĂšre. Tenet est selon moi la bande annonce des films prĂ©cĂ©dents et futurs de Christopher Nolan dont j’avais aimĂ© les films avant cela. Un film de James Bond sans James Bond. On apprend dans Tenet qu’il suffit de poser sa main sur la pĂ©dale de frein d’une voiture qui file Ă  toute allure pour qu’elle s’arrĂȘte au bout de cinq mĂštres. J’aurais dĂ» m’arrĂȘter de la mĂȘme façon avant de choisir d’aller le regarder. Heureusement qu’il y a Robert Pattinson dans le film ainsi que Elizabeth Debicki que j’avais beaucoup aimĂ©e dans Les Veuves rĂ©alisĂ© en 2018 par Steve McQueen.

 

Distorsions temporelles

 

Nolan affectionne les distorsions temporelles dans ses films. Je le fais aussi dans mes articles :

 

 

En 2013, lorsqu’est paru Le Monde comme il me parle de Kersauson, Omar Sy, un des acteurs du film Police, sorti aujourd’hui,  Ă©tait dĂ©jĂ  devenu un « grand acteur Â».

GrĂące Ă  la grande audience qu’avait connue le film Intouchables rĂ©alisĂ© en
2011 par Olivier Nakache et Eric Toledano. PrĂšs de vingt millions d’entrĂ©es dans les salles de cinĂ©ma seulement en France. Un film qui a permis Ă  Omar Sy de jouer dans une grosse production amĂ©ricaine. Sans le succĂšs d’Intouchables, nous n’aurions pas vu Omar Sy dans le rĂŽle de Bishop dans un film de X-Men (X-Men : Days of future past rĂ©alisĂ© en 2014 par Bryan Singer).

 

J’ai de la sympathie pour Omar Sy. Et cela, bien avant Intouchables. Mais ce n’est pas un acteur qui m’a particuliĂšrement Ă©patĂ© pour son jeu pour l’instant. A la diffĂ©rence de Virginie Efira et de GrĂ©gory Gadebois.

Virginie Efira, d’abord animatrice de tĂ©lĂ©vision pendant une dizaine d’annĂ©es, est plus reconnue aujourd’hui qu’en 2013, annĂ©e de sortie du livre de Kersauson.

J’aime beaucoup le jeu d’actrice de Virginie Efira et ce que je crois percevoir d’elle. Son visage et ses personnages ont une allure plutĂŽt fade au premier regard : ils sont souvent le contraire.

GrĂ©gory Gadebois, passĂ© par la comĂ©die Française, m’a « eu Â» lorsque je l’ai vu dans le AngĂšle et Tony rĂ©alisĂ© par Alix Delaporte en 2011. Je ne me souviens pas de lui dans Go Fast rĂ©alisĂ© en 2008 par Olivier Van Hoofstadt.

 

Je ne me défile pas en parlant de ces trois acteurs.

 

Je continue de parler du livre de Kersauson. Je parle seulement, à ma façon, un petit peu du monde dans lequel était sorti son livre, précisément.

 

Kersauson est Ă©videmment un Ă©minent pratiquant des distorsions temporelles. Et, grĂące Ă  lui, j’ai sans doute compris la raison pour laquelle, sur une des plages du Gosier, en Guadeloupe, j’avais pu ĂȘtre captivĂ© par les vagues. En Ă©tant nĂ©anmoins incapable de l’expliquer Ă  un copain, Eguz, qui m’avait surpris. Pour lui, mon attitude Ă©tait plus suspecte que d’ignorer le corps d’une femme nue. Il y en avait peut-ĂȘtre une, d’ailleurs, dans les environs.

 

Page 12 de Le Monde comme il me parle :

 

« Le chant de la mer, c’est l’éternitĂ© dans l’oreille. Dans l’archipel des Tuamotu, en PolynĂ©sie, j’entends des vagues qui ont des milliers d’annĂ©es. C’est frappant. Ce sont des vagues qui brisent au milieu du plus grand ocĂ©an du monde. Il n y  a pas de marĂ©e ici, alors ces vagues tapent toujours au mĂȘme endroit Â».

 

Tabarly

 

A une époque, adolescent, Kersauson lisait un livre par jour. Il le dit dans Le Monde comme il me parle.

 

J’imagine qu’il est assez peu allĂ© au cinĂ©ma. Page 50 :

 

« (
.) Quand je suis dĂ©mobilisĂ©, je reste avec lui ( Eric Tabarly). Evidemment. Je tombe sur un mec dont le seul programme est de naviguer. Il est certain que je n’allais pas laisser passer ça Â».

 

Page 51 :

 

«  Tabarly avait, pour moi, toutes les clĂ©s du monde que je voulais connaĂźtre. C’était un immense marin et, en mer, un homme dĂ©licieux Ă  vivre Â».

 

Page 54 :

« C’est le temps en mer qui comptait. Et, avec Eric, je passais neuf mois de l’annĂ©e en mer Â».

 

A cette Ă©poque, Ă  la fin des annĂ©es 60, Kersauson avait 23 ou 24 ans. Les virĂ©es entre « potes Â» ou entre « amies Â» que l’on peut connaĂźtre dans les soirĂ©es ou lors de certains sĂ©jours de vacances, se sont dĂ©roulĂ©es autour du monde et sur la mer pour lui. Avec Eric Tabarly, rĂ©fĂ©rence mondiale de la voile.

 

Page 51 :

 

« (
..) Il faut se rendre compte qu’à l’époque, le monde industriel français se demande comment aider Eric Tabarly- tant il est crĂ©atif, ingĂ©nieux. Il suscite la passion. C’est le bureau d’études de chez Dassault qui rĂšgle nos problĂšmes techniques ! Â».

 

 

Le moment des bilans

 

 

Il est facile de comprendre que croiser un mentor comme Tabarly Ă  24 ans laisse une trace. Mais Kersauson Ă©tait dĂ©jĂ  un tĂ©nor lorsqu’ils se sont rencontrĂ©s. Il avait dĂ©ja un aplomb lĂ  ou d’autres avaient des implants. Et, aujourd’hui, en plus, on a besoin de tout un tas d’applis, de consignes et de protections pour aller de l’avant.

J’avais lu MĂ©moires du large, paru en Mai 1998 (dont la rĂ©daction est attribuĂ©e Ă  Eric Tabarly) quelques annĂ©es aprĂšs sa mort. Tabarly est mort en mer en juin 1998.

 Tabarly Ă©tait aussi intraitable que Kersauson dans son rapport Ă  la vie. Kersauson Ă©crit dans Le Monde comme il me parle, page 83 :

«  Ce qui m’a toujours sidĂ©rĂ©, chez l’ĂȘtre humain, c’est le manque de cohĂ©rence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait (
). J’ai toujours tentĂ© de vivre comme je le pensais. Et je m’aperçois que nous ne sommes pas si nombreux dans cette entreprise Â».

 

Tabarly avait la mĂȘme vision de la vie. Il  l’exprimait avec d’autres mots.

 

Que ce soit en lisant Kersauson ou en lisant Tabarly, je me considĂšre comme faisant partie du lot des ruminants. Et c’est peut-ĂȘtre aussi pour cela que je tiens autant Ă  cet article. Il me donne sans doute l’impression d’ĂȘtre un petit peu moins mouton mĂȘme si mon intrĂ©piditĂ© sera un souvenir avant mĂȘme la fin de la rĂ©daction de cet article.

 

« DiffĂ©rence entre la technologie et l’esclavage. Les esclaves ont pleinement conscience qu’ils ne sont pas libres Â» affirme Nicholas Nassim Taleb dont les propos sont citĂ©s par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving ( Pourquoi on devient accro et comment se libĂ©rer), page 65.

 

Un peu plus loin, le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction, terme qui n’a Ă©tĂ© employĂ© par aucun des intervenants, hier, lors du « dĂ©bat Â» animĂ© par Pascal Praud sur Cnews Ă  propos de la consommation de Cannabis. Comme Ă  propos des amendes qui seront dĂ©sormais infligĂ©es automatiquement Ă  toute personne surprise en flagrant dĂ©lit de consommation de cannabis :

D’abord 135 euros d’amende. Ou 200 euros ?

En Ă©coutant Pascal Praud sur Cnews hier ( il a au moins eu la sincĂ©ritĂ© de confesser qu’il n’avait jamais fumĂ© un pĂ©tard de sa vie)  la solution Ă  la consommation de cannabis passe par des amendes dissuasives, donc par la rĂ©pression, et par l’autoritĂ© parentale.

 

Le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction (page 68 de son livre) :

 

«  Un usage rĂ©pĂ©tĂ© malgrĂ© les consĂ©quences nĂ©gatives Â». 

 

Donc, rĂ©primer ne suffira pas Ă  endiguer les addictions au cannabis par exemple. RĂ©primer par le porte-monnaie provoquera une augmentation des agressions sur la voie publique. Puisqu’il faudra que les personnes addict ou dĂ©pendantes se procurent l’argent pour acheter leur substance. J’ai rencontrĂ© au moins un mĂ©decin addictologue qui nous a dit en formation qu’il lui arrivait de faire des prescriptions de produits de substitution pour Ă©viter qu’une personne addict n’agresse des personnes sur la voie publique afin de leur soutirer de l’argent en vue de s’acheter sa dose. On ne parlait pas d’une addiction au cannabis. Mais, selon moi, les consĂ©quences peuvent ĂȘtre les mĂȘmes pour certains usagers de cannabis.

 

Le point commun entre une addiction (avec ou sans substance) et cette « incohĂ©rence Â» par rapport Ă  la vie que pointe un Kersauson ainsi qu’un Tabarly avant lui, c’est que nous sommes trĂšs nombreux Ă  maintenir des habitudes de vie qui ont sur nous des « consĂ©quences nĂ©gatives Â». Par manque d’imagination. Par manque de modĂšle. Par manque de courage ou d’estomac. Par manque d’accompagnement. Par manque d’estime de soi. Par Devoir. Oui, par Devoir. Et Par peur.

 

La Peur

On peut bien-sĂ»r penser Ă  la peur du changement. Comme Ă  la peur partir Ă  l’aventure.

 

Kersauson affirme dans son livre qu’il n’a peur de rien. C’est lĂ  oĂč je lui trouve un cĂŽtĂ© Bernard Lavilliers des ocĂ©ans. Pour sa façon de rouler des mĂ©caniques. Je ne lui conteste pas son courage en mer ou sur la terre. Je crois Ă  son autoritĂ©, Ă  sa dĂ©termination comme ses trĂšs hautes capacitĂ©s d’intimidation et de commandement.

 

Mais avoir peur de rien, ça n’existe pas. Tout le monde a peur de quelque chose, Ă  un moment ou Ă  un autre. Certaines personnes sont fortes pour transcender leur peur. Pour  s’en servir pour accomplir des actions que peu de personnes pourraient rĂ©aliser. Mais on a tous peur de quelque chose.

 

Kersauson a peut-ĂȘtre oubliĂ©. Ou, sĂ»rement qu’il a peur plus tardivement que la majoritĂ©. Mais je ne crois pas Ă  une personne dĂ©pourvue totalement de peur. MĂȘme Tabarly, en mer, a pu avoir peur. Je l’ai lu ou entendu. Sauf que Tabarly, comme Kersauson certainement, et comme quelques autres, une minoritĂ©, font partie des personnes (femmes comme hommes, mais aussi enfants) qui ont une aptitude Ă  se reprendre en main et Ă  fendre leur peur.

 

Je pourrais peut-ĂȘtre ajouter que la personne qui parvient Ă  se reprendre alors qu’elle a des moments de peur est plus grande, et sans doute plus forte, que celle qui ignore complĂštement ce qu’est la peur. Pour moi, la personne qui ignore la peur s’aperçoit beaucoup trop tard qu’elle a peur. Lorsqu’elle s’en rend compte, elle est dĂ©jĂ  bien trop engagĂ©e dans un dĂ©nouement qui dĂ©passe sa volontĂ©.

 

Cette remarque mise Ă  part, je trouve Ă  Kersauson, comme Ă  Tabarly et Ă  celles et ceux qui leur ressemblent une parentĂ© Ă©vidente avec l’esprit chevaleresque ou l’esprit du sabre propre aux SamouraĂŻ et Ă  certains aventuriers. Cela n’a rien d’étonnant.

 

L’esprit du samouraï

 

Dans une vidĂ©o postĂ©e sur Youtube le 13 dĂ©cembre 2019, GregMMA, ancien combattant de MMA, rencontre LĂ©o Tamaki, fondateur de l’école Kishinkai Aikido.

 

GregMMA a rencontrĂ© d’autres combattants d’autres disciplines martiales ou en rapport avec le Combat. La particularitĂ© de cette vidĂ©o (qui compte 310 070 vues alors que j’écris l’article) est l’érudition de LĂ©o Tamaki que j’avais entrevue dans une revue. Erudition Ă  laquelle GregMMA se montre heureusement rĂ©ceptif. L’un des attraits du MMA depuis quelques annĂ©es, c’est d’offrir une palette aussi complĂšte que possible de techniques pour se dĂ©fendre comme pour survivre en cas d’agression. C’est La discipline de combat du moment. MĂȘme si le Krav Maga a aussi une bonne cote.  Mais, comme souvent, des comparaisons se font entre tel ou telle discipline martiale, de Self-DĂ©fense ou de combat en termes d’efficacitĂ© dans des conditions rĂ©elles.

 

Je ne donne aucun scoop en Ă©crivant que le MMA attire sĂ»rement plus d’adhĂ©rents aujourd’hui que l’AĂŻkido qui a souvent l’ image d’un art martial dont les postures sont difficiles Ă  assimiler, qui peut faire penser «  Ă  de la danse Â» et dont l’efficacitĂ© dans la vie rĂ©elle peut ĂȘtre mise en doute  :

 

On ne connaĂźt pas de grand champion actuel dans les sports de combats, ou dans les arts martiaux, qui soit AĂŻkidoka. Steven Seagal, c’est au cinĂ©ma et ça date des annĂ©es 1990-2000. Dans les combats UFC, on ne parle pas d’AĂŻkidoka mĂȘme si les combattants UFC sont souvent polyvalents ou ont gĂ©nĂ©ralement cumulĂ© diffĂ©rentes expĂ©riences de techniques et de distances de combat.

 

Lors de cet Ă©change avec GregMMA, LĂ©o Tamaki confirme que le niveau des pratiquants en AĂŻkido a baissĂ©. Ce qui explique aussi en partie le discrĂ©dit qui touche l’AĂŻkido. Il explique la raison de la baisse de niveau :

 

Les derniers grands Maitres d’AĂŻkido avaient connu la Guerre. Ils l’avaient soit vĂ©cue soit en Ă©taient encore imprĂ©gnĂ©s. A partir de lĂ , pour eux, pratiquer l’AĂŻkido, mĂȘme si, comme souvent, ils avaient pu pratiquer d’autres disciplines martiales auparavant, devait leur permettre d’assurer leur survie. C’était immĂ©diat et trĂšs concret. Cela est trĂšs diffĂ©rent de la dĂ©marche qui consiste Ă  aller pratiquer un sport de combat ou un art martial afin de faire « du sport Â», pour perdre du poids ou pour se remettre en forme.

 

Lorsque Kersauson explique au dĂ©but de son livre qu’il a voulu Ă  tout prix faire de sa vie ce qu’il souhaitait, c’était en rĂ©ponse Ă  la Guerre qui Ă©tait pour lui une expĂ©rience trĂšs concrĂšte. Et qui aurait pu lui prendre sa vie.

Lorsque je suis parti faire mon service militaire, qui Ă©tait encore obligatoire Ă  mon « Ă©poque Â», la guerre Ă©tait dĂ©jĂ  une probabilitĂ© Ă©loignĂ©e. Bien plus Ă©loignĂ©e que pour un Kersauson et les personnes de son Ăąge. MĂȘme s’il a vĂ©cu dans un milieu privilĂ©giĂ©, il avait 18 ans en 1962 lorsque l’AlgĂ©rie est devenue indĂ©pendante. D’ailleurs, je crois qu’un de ses frĂšres est parti faire la Guerre d’AlgĂ©rie.

 

On retrouve chez lui comme chez certains adeptes d’arts martiaux , de self-dĂ©fense ou de sport de combat, cet instinct de survie et de libertĂ© qui l’a poussĂ©, lui, Ă  prendre le large. Quitte Ă  perdre sa vie, autant la perdre en  choisissant de faire quelque chose que l’on aime faire. Surtout qu’autour de lui, il s’aperçoit que les aĂźnĂ©s et les anciens qui devraient ĂȘtre Ă  mĂȘme de l’orienter ont dĂ©gustĂ© (Page 43) :

« Bon, l’ancien monde est mort. S’ouvre Ă  moi une pĂ©riode favorable (
.). J’ai 20 ans, j’ai beaucoup lu et je me dis qu’il y a un loup dans la combine :

Je m’aperçois que les vieux se taisent, ne parlent pas. Et comme ils ont fait le trajet avant, ils devraient nous donner le mode d’emploi pour l’avenir, mais rien ! Ils sont vaincus. Alors, je sens qu’il ne faut surtout pas s’adapter Ă  ce qui existe mais crĂ©er ce qui vous convient Â».

 

Nous ne vivons pas dans un pays en guerre.

 

Jusqu’à maintenant, si l’on excepte le chĂŽmage,  certains attentats et les faits divers, nous avons obtenu une certaine sĂ©curitĂ©. Nous ne vivons pas dans un pays en guerre. MĂȘme si, rĂ©guliĂšrement, on nous parle « d’embrasement Â» des banlieues, « d’insĂ©curitĂ© Â» et «  d’ensauvagement Â» de la France. En tant que citoyens, nous n’avons pas Ă  fournir un effort de guerre en dehors du territoire ou Ă  donner notre vie dans une armĂ©e. En contrepartie, nous sommes une majoritĂ© Ă  avoir acceptĂ© et Ă  accepter  certaines conditions de vie et de travail. Plusieurs de ces conditions de vie et de travail sont discutables voire insupportables.

Face Ă  cela, certaines personnes dĂ©veloppent un instinct de survie lĂ©gal ou illĂ©gal. D’autres s’auto-dĂ©truisent ( par les addictions par exemple mais aussi par les accidents du travail, les maladies professionnelles ou les troubles psychosomatiques). D’autres prennent sur eux et se musĂšlent par Devoir
.jusqu’à ce que cela devienne impossible de prendre sur soi. Que ce soit dans les banlieues. Dans certaines catĂ©gories socio-professionnelles. Ou au travers des gilets jaunes.  

 

Et, on en revient Ă  la toute premiĂšre phrase du livre de Kersauson.

 

Le plaisir est ma seule ambition

 

J’ai encore du mal Ă  admettre que cette premiĂšre phrase est/soit peut-ĂȘtre la plus importante du livre. Sans doute parce-que je reste moins libre que Kersauson, et d’autres, question plaisir.

 

Plus loin, Kersauson explicite aussi la nĂ©cessitĂ© de l’engagement et du Devoir. Car c’est aussi un homme d’engagement et de Devoir.

 

Mais mettre le plaisir au premier plan, ça dĂ©limite les Mondes, les ĂȘtres, leur fonction et leur rĂŽle.

 

Parce- qu’il y a celles et ceux qui s’en remettent au mĂ©rite – comme certaines religions, certaines Ă©ducations et certaines institutions nous y entraĂźnent et nous habituent- et qui sont prĂȘts Ă  accepter bien des sacrifices. Sacrifices qui peuvent se rĂ©vĂ©ler vains. Parce que l’on peut ĂȘtre persĂ©vĂ©rant (e ) et mĂ©ritant ( e) et se faire arnaquer. Moralement. Physiquement. Economiquement. Affectivement. C’est l’histoire assez rĂ©pĂ©tĂ©e, encore toute rĂ©cente, par exemple, des soignants comme on l’a vu pendant l’épidĂ©mie du Covid. Ainsi que l’histoire d’autres professions et de bien des gens qui endurent. Qui prennent sur eux. Qui croient en une Justice divine, Ă©tatique ou politique qui va les rĂ©compenser Ă  la hauteur de leurs efforts et de leurs espoirs.

 

Mais c’est aussi l’histoire rĂ©pĂ©tĂ©e de ces spectateurs chevronnĂ©s que nous sommes tous plus ou moins de notre propre vie. Une vie que nous recherchons par Ă©crans interposĂ©s ou Ă  travers celle des autres. Au lieu d’agir. Il faut se rappeler que nous sommes dans une sociĂ©tĂ© de loisirs. Le loisir, c’est diffĂ©rent du plaisir.

 

Le loisir, c’est diffĂ©rent du plaisir

 

 

Le loisir, ça peut ĂȘtre la pause-pipi, la pause-cigarette ou le jour de formation qui sont accordĂ©s parce-que ça permet ensuite Ă  l’employĂ© de continuer d’accepter des conditions de travail inacceptables.

 

Ça peut aussi consister Ă  laisser le conjoint ou la conjointe sortir avec ses amis ou ses amies pour pouvoir mieux continuer de lui imposer notre passivitĂ© et notre mauvaise humeur rĂ©siduelle.

 

C’est les congĂ©s payĂ©s que l’on donne pour que les citoyens se changent les idĂ©es avant la rentrĂ©e oĂč ils vont se faire imposer, imploser et contrĂŽler plus durement. Bien des personnes qui se prendront une amende pour consommation de cannabis seront aussi des personnes adultes et responsables au casier judiciaire vierge, insĂ©rĂ©es socialement, payant leurs impĂŽts et effectuant leur travail correctement. Se contenter de les matraquer Ă  coups d’amende en cas de consommation de cannabis ne va pas les inciter Ă  arrĂȘter d’en consommer. Ou alors, elles se reporteront peut-ĂȘtre sur d’autres addictions plus autorisĂ©es et plus lĂ©gales (alcool et mĂ©dicaments par exemple
.).

 

Le plaisir, c’est l’intĂ©gralitĂ© d’un moment, d’une expĂ©rience comme d’une rencontre. Cela a Ă  voir avec le libre-arbitre. Et non avec sa version fantasmĂ©e, rabotĂ©e, autorisĂ©e ou diluĂ©e.

 

Il faut des moments de loisirs, bien-sûr. On envoie bien nos enfants au centre de loisirs. Et on peut y connaßtre des plaisirs.

 

Mais dire et affirmer «  Le plaisir est ma seule ambition Â», cela signifie qu’à un moment donnĂ©, on est une personne libre. On dĂ©pend alors trĂšs peu d’un gouvernement, d’un parti politique, d’une religion, d’une Ă©ducation, d’un supĂ©rieur hiĂ©rarchique. Il n’y a, alors, pas grand monde au dessus de nous. Il s’agit alors de s’adresser Ă  nous en consĂ©quence. Faute de quoi, notre histoire se terminera. Et chacun partira de son cĂŽtĂ© dans le meilleur des cas.

 

Page 121 :

 

« Je suis indiffĂ©rent aux fĂ©licitations. C’est une force Â».

 

Page 124 :

 

« Nos contemporains n’ont plus le temps de penser (
.) Ils se sont inventĂ© des vies monstrueuses dont ils sont responsables-partiellement Â». Olivier de Kersauson.

 

 

Article de Franck Unimon, mercredi 2 septembre 2020.

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Addictions Puissants Fonds/ Livres

Ma vie en réalité

 

                                                     Ma vie en rĂ©alitĂ©

Magali Berdah est la crĂ©atrice et dirigeante de Shauna Events :

 

« La plus importante agence de mĂ©dia-influenceurs de France Â».  Nabilla, Jessica Thivenin, Julien Tanti et Ayem Nour font partie de ses « protĂ©gĂ©s Â».

 

Un livre publié en 2018

 

Dans ce livre publiĂ© en 2018 (il y a deux ans), Magali Berdah raconte son histoire jusqu’à sa rĂ©ussite professionnelle, Ă©conomique et personnelle dans l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et de la tĂ©lĂ©. Pourtant, Il y a encore Ă  peu prĂšs cinq ans, Magali Berdah ne connaissait rien Ă  la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© comme au monde de la tĂ©lĂ©. Elle ne faisait pas partie du sĂ©rail. Son histoire est donc celle d’une personne qui, partie de peu, s’est sortie des ronces. C’est sĂ»rement ça et le fait qu’elle nous parle de la tĂ©lĂ© et de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© qui m’a donnĂ© envie d’emprunter son livre Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville. En mĂȘme temps que des livres comme Le Craving Pourquoi on devient accro du Dr Judson Brewer ; Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere; DĂ©veloppement (im)personnel de Julia De FunĂšs.

 

 

Un homme du vingtiĂšme siĂšcle

 

Je me la pĂšte sĂ»rement avec ces titres parce-que je suis un homme du 20Ăšme siĂšcle. J’ai Ă©tĂ© initiĂ© Ă  l’ñge de 9 ans aux bĂ©nĂ©fices de  ce que peut apporter une mĂ©diathĂšque :

 

Ouverture sur le monde, culture, lien social, tranquillitĂ©, recueillement. Des vertus que l’on peut retrouver ailleurs et que Magali Berdah, dans son enfance, comme elle le raconte, a connues par Ă -coups.

 

Une femme du vingtiĂšme siĂšcle

 

Magali Berdah, née en 1981, est aussi une femme du 20Úme siÚcle.

 

Son enfance, c’est celle du divorce, du deuil et de plusieurs sĂ©parations. D’un pĂšre plus maltraitant que sĂ©curisant ; d’une mĂšre qui a Ă©tĂ© absente pendant des annĂ©es puis qui est rĂ©apparue. C’est aussi une enfance dans le sud, sur la CĂŽte d’azur, du cĂŽtĂ© de Nice et de St Tropez oĂč elle a pu vivre plus Ă  l’air libre, au bord de la nature. Loin de certains pavĂ©s HLM, stalactites immobiliĂšres et langagiĂšres qui  semblent figer bien des fuseaux horaires.

 

Les Ă©claircies qu’elle a pu connaĂźtre, elle les doit en grande partie Ă  ses grands-parents maternels, tenants d’un petit commerce. Mais aussi Ă  ses aptitudes scolaires et personnelles. Son sens de la dĂ©brouille et son implication s’étalonnent sur ses premiers jobs d’étĂ© qu’elle dĂ©croche alors qu’elle a Ă  peine dix huit ans. FĂȘtarde la nuit et travailleuse le jour, elle apprend auprĂšs d’aĂźnĂ©s et de professionnels qu’elle s’est choisie. Cela l’emmĂšnera Ă  devenir une trĂšs bonne commerciale, trĂšs bien payĂ©e, dans les assurances et les mutuelles. C’est sĂ»rement une jolie fille, aussi, qui prĂ©sente bien, qui a du culot et qui a le contact social facile. Mais retenons que c’est une bosseuse. Elle nous le rappelle d’ailleurs aprĂšs chacun de ses accouchements (trois, sans compter son avortement) oĂč elle a repris le travail trĂšs vite. Elle nous parle aussi de journĂ©es au cours desquelles elle travaille 16 heures par jour. Et quand elle rentre chez elle, son mari et ses enfants l’attendent.

 

 

Le CV et le visage au moins d’une guerriĂšre et d’une rĂ©siliente

 

 

Si l’on s’en tient Ă  ce rĂ©sumĂ©, Magali Berdah a le CV et le visage au moins d’une guerriĂšre et d’une rĂ©siliente. Mais elle officie dĂ©sormais dans le pot au feu de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, de la tĂ©lĂ©, et est proche de personnalitĂ©s comme Cyril Hanouna. On est donc trĂšs loin ou assez loin de ce que l’on appelle la culture « noble Â» ou « propre sur elle Â». Et Magali Berdah critique l’attitude et le regard mĂ©prisants portĂ©s gĂ©nĂ©ralement sur la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et une certaine tĂ©lĂ©.

 

 

Le début de la téléréalité

 

 

La tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, pour moi, en France, ça commence avec le « Loft Â» : Loana, Steevy, Jean-Edouard
.

 

J’avais complĂštement oubliĂ© que ça s’était passĂ© en 2001, l’annĂ©e du 11 septembre, de l’attentat des «  Twin Towers Â» et de l’émergence mĂ©diatique de Ben Laden, et, avec lui, des attentats islamistes. Dans son livre, Magali Berdah nous le rappelle. A cette Ă©poque, elle avait 20 ans et commençait Ă  s’assumer professionnellement et Ă©conomiquement ou s’assumait dĂ©jĂ  trĂšs bien.

 

Un monde en train de changer

 

 

En 2001, je vivais dĂ©jĂ  chez moi et je n’avais pas de tĂ©lĂ©, par choix. Mais dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč je travaillais alors, il y avait la tĂ©lĂ©. J’ai des souvenirs d’avoir regardĂ© Loft Story dans le service ainsi que des images, quelques mois plus tard, de l’attentat du 11 septembre. Et d’en avoir discutĂ© sans doute avec des jeunes mais, surtout, avec mes collĂšgues de l’époque. On Ă©tait en train de changer de monde d’une façon comme une autre avec le Loft et les attentats du 11 septembre. Comme, depuis plusieurs mois, nous sommes en train de changer de monde avec le Covid-19.

 

Une image

 

Une image, ça vous prend dans les bras. La tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© est pleine d’images. Il y a quelques jours, j’ai tĂątĂ© le terrain en parlant de Magali Berdah et de  Julien Tanti Ă  deux jeunes du service oĂč je travaille. Cela leur disait vaguement quelque chose. Puis l’une des deux a dĂ©clarĂ© :

 

« Quand je me sens bĂȘte, je regarde. Ça me permet de me vider la tĂȘte Â». L’autre jeune prĂ©sente a abondĂ© dans son sens. J’ai fini par comprendre que cela leur servait de dĂ©fouloir moral. Que cela leur remontait le moral de voir Ă  la tĂ©lĂ© des personnes qu’elles considĂ©raient comme plus « bĂȘtes Â» qu’elles.

Pour l’avoir vu, je sais que des adultes peuvent aussi regarder des Ă©missions de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©. Ça m’a fait drĂŽle de voir des NigĂ©rians musulmans d’une trentaine d’annĂ©e, en banlieue parisienne, regarder Les Marseillais. Mais pour eux, venus travailler en France, une Ă©mission comme Les Marseillais offre peut-ĂȘtre quelque chose d’exotique et d’osĂ©. Et puis, ce que l’on voit dans cette Ă©mission est facile Ă  suivre et Ă  comprendre pour toute personne qui a envie de se distraire et qui est dĂ©pourvue de prĂ©tentions intellectuelles ou culturelles apparentes.

 

 

Magali Berdah défend ses protégés

 

 

Lorsque l’on lit Magali Berdah, celle-ci dĂ©fend ses « protĂ©gĂ©s Â». On pourrait se dire :

 

«  Evidemment, elle les dĂ©fend car ils sont un peu ses poules aux Ɠufs d’or. Ils lui permettent de trĂšs bien gagner sa vie. Les millions de followers sur les rĂ©seaux sociaux de plusieurs de ses « poulains Â» permettent bien des placements de produits et lui assurent aussi une trĂšs forte visibilitĂ© sociale dans un monde oĂč, pour rĂ©ussir Ă©conomiquement, il est indispensable d’ĂȘtre trĂšs connu Â».

 

Mais quand on a lu le dĂ©but de son livre, on perçoit une sincĂšre identification de Magali Berdah envers ses « protĂ©gĂ©s Â» :

 

Le destin de la plupart des candidats du Loft de 2001 mais aussi de bien d’autres candidats d’autres Ă©missions de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© ou similaires telles The Voice ou autres, c’est de retourner ensuite au « vide Â», « Ă  l’abandon Â», et  Ă  l’anonymat de leur existence de dĂ©part. Et ça se retrouvait dĂ©ja dans le monde du cinĂ©ma, de la chanson ou du théùtre mĂȘme avant l’arrivĂ©e du Covid.

 

Dominique Besnehard, ancien agent d’acteurs et crĂ©ateur de la sĂ©rie Dix pour cent,  parlait un peu dans son livre Casino d’hiver de ces actrices et acteurs, qui, faute de s’ĂȘtre reposĂ©s uniquement sur leur physique et sur leur jolie frimousse avaient fini par disparaĂźtre du milieu du cinĂ©ma. Et je me rappelle ĂȘtre tombĂ© un jour sur un des anciens acteurs du film L’Esquive d’Abdelatif Kechiche. D’accord, cet acteur avait un rĂŽle trĂšs secondaire dans L’Esquive mais ça m’avait mis assez mal Ă  l’aise de le retrouver, quelques annĂ©es plus tard, Ă  faire le caissier Ă  la Fnac de St Lazare, dans l’indiffĂ©rence la plus totale. Il Ă©tait un caissier parmi d’autres.

 

 

Un certain nombre d’acteurs et d’humoristes que l’on aime « bien Â», avaient un autre mĂ©tier avant de s’engager professionnellement et de percer dans le milieu du cinĂ©ma, du stand up, du théùtre, de l’art et de la culture en gĂ©nĂ©ral. Si je me rappelle bien, MickaĂ«l Youn Ă©tait commercial.

 

Etre Ă  leur place

 

Si on peut se bidonner ou se navrer devant les comportements et les raisonnements de beaucoup de candidats de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, qui sont souvent jeunes, il faut aussi se rappeler que tant d’autres personnes, parmi nous, secrĂštement, honteusement ou non, aimeraient ĂȘtre Ă  leur place. Et gagner, comme certains d’entre eux, les plus cĂ©lĂšbres, cinquante mille euros par mois. Magali Berdah fournit ce chiffre dans son livre.

 

C’est un peu comme l’histoire du dopage dans le sport : le dopage persistera dans le sport et ailleurs car certaines personnes resteront prĂȘtes Ă  tout tenter pour « rĂ©ussir Â». Surtout si elles sont convaincues que leur existence est une dĂ©charge publique. Et que le dopage est un moyen comme un autre qui peut leur permettre de se sortir de ce sentiment d’ĂȘtre une dĂ©charge publique.

 

Pour d’autres, le sexe aura la mĂȘme fonction que le dopage. MĂȘme en pleine Ă©poque de Me Too et de Balance ton porc, je crois que certaines personnes (femmes comme hommes) seront prĂȘtes Ă  coucher si elles sont convaincues que cela peut leur permettre de rĂ©ussir.  Et de rĂ©ussir vite et bien. Quel que soit le milieu professionnel, ces personnes se feront seulement un peu plus discrĂštes et un peu plus prudentes.

 

 

Concernant Loft Story et l’intĂ©rĂȘt que la premiĂšre saison avait suscitĂ©, mais aussi les sarcasmes, je me souviens que l’acteur Daniel Auteuil, dont la carriĂšre d’acteur Ă©tait alors bien plantĂ©e, avait dit qu’il aurait fait Le Loft ou tentĂ© d’y participer s’il avait Ă©tĂ© un jeune acteur qui cherchait Ă  se lancer et Ă  se faire connaĂźtre.

 

 

Compromettre son image

 

Lorsque l’on est optimiste, raisonnable, raisonnĂ©, patient mais aussi fataliste, docile et obĂ©issant, on refuse le dopage ainsi que certaines conduites Ă  risques.  Comme on peut refuser de  prendre le risque de « compromettre Â» son image en participant Ă  une Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© ou Ă  une autre Ă©mission.

 

Mais lorsque l’on recherche l’immĂ©diatetĂ©, l’action, le rĂ©sultat et que l’on tient Ă  sortir du lot, on peut bifurquer vers la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, une certaine tĂ©lĂ© et une certaine cĂ©lĂ©britĂ©. Il y aura d’une part des producteurs, des vendeurs de rĂȘves (proxĂ©nĂštes ou non) et d’autre part un public qui sera demandeur.

 

Magali Berdah, Ă  la lire, s’intercale entre les deux parties : c’est elle qui a permis aux vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© de tirer le meilleur parti financiĂšrement de leur exposition mĂ©diatique. Et lorsqu’on la lit, on se dit « qu’avant elle Â», les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Ă©taient vraiment traitĂ©es un peu comme ces belles filles que l’on voit sur le podium du Tour de France avec leur bouquet de fleurs Ă  remettre au vainqueur.

 

L’évolution du statut financier des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©

 

 

L’évolution du statut financier des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© fait penser Ă  celle qu’ont pu connaĂźtre des sportifs professionnels ou des artistes par exemple. Avant l’athlĂšte amĂ©ricain Carl Lewis, un sprinter de haut niveau gagnait moins bien sa vie. Usain Bolt et bien d’autres athlĂštes de haut niveau peuvent « remercier Â» un Carl Lewis pour l’augmentation de leur train de vie. On peut sans doute faire le mĂȘme rapprochement pour le Rap ainsi que pour la techno. Ou pour certains photographes ou peintres. Entre ce qu’ils peuvent toucher aujourd’hui et il y a vingt ou trente ans. Certains diront sans doute qu’ils gagnent nettement moins d’argent aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans avec le mĂȘme genre de travail. Mais d’autres gagnent sĂ»rement plus d’argent aujourd’hui que s’ils s’étaient faits connaĂźtre il y a vingt ou trente ans. Pour les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, il est manifeste que d’un point de vue salarial il vaut mieux ĂȘtre connu aujourd’hui qu’à l’époque de Loft story en 2001.

 

 

Une motivation aussi trĂšs personnelle

 

Cependant, la motivation de Magali Berdah est aussi trĂšs personnelle. Disponible pratiquement en permanence via son tĂ©lĂ©phone portable, malgrĂ© ses trois enfants et son mari, elle reçoit aussi chez elle plusieurs de ses « protĂ©gĂ©s Â», les week-end.  C’est bien-sĂ»r une trĂšs bonne façon d’apprendre Ă  connaĂźtre ses clients et de crĂ©er avec eux un lien trĂšs personnel.

 

Toutefois, dans mon mĂ©tier, en pĂ©dopsychiatrie, on crierait au manque de distance relationnelle et affective. On parlerait d’un mĂ©lange des genres, vie privĂ©e/vie publique. On Ă©voquerait un cocktail Ă©motionnel addictif. On parlerait aussi des consĂ©quences qu’une telle proximitĂ© – voire une telle fusion- peut causer ou cause. Parmi elles, une forte dĂ©pendance affective qui peut dĂ©boucher sur des Ă©vĂ©nements plus qu’indĂ©sirables lorsque la relation se termine ou doit s’espacer ou se terminer pour une raison ou une autre. Que ce soit la relation Ă  la cĂ©lĂ©britĂ© et Ă  l’exposition mĂ©diatique constante. Ou une relation Ă  une personne Ă  laquelle on s’est beaucoup trop attachĂ©e affectivement.

 

Il y a donc du pour et du contre dans ma façon de voir ce type de relation que peut avoir Magali Berdah avec ses « protĂ©gĂ©s Â».

 

«  Pour Â» : une relation affective n’est pas une science exacte. Bien des personnes sont consentantes, quoiqu’elles disent, pour une relation de dĂ©pendance affective rĂ©ciproque. Que ce soit envers un public ou avec des personnes. Et on peut avoir plus besoin de quelqu’un Ă  mĂȘme de savoir nous prendre dans les bras et nous rĂ©conforter rĂ©guliĂšrement, comme un bĂ©bĂ©, que de quelqu’un qui nous « raisonne Â». MĂȘme si, Magali Berdah, visiblement, donne les deux : elle rĂ©conforte et raisonne ses « poulains Â».

 

Loyauté et vertu morale

 

En lisant Ma vie en rĂ©alitĂ© , je crois aussi au fait que l’on peut faire une carriĂšre dans des programmes tĂ©lĂ© auxquels, a priori, je ne souscris pas, et, pourtant ĂȘtre une personne vĂ©ritablement loyale dans la vie.

Je ne crois pas que les participants, les producteurs et les animateurs d’émissions de tĂ©lĂ©, de théùtre ou de cinĂ©ma plus « nobles Â» soient toujours des modĂšles de vertu morale. Surtout qu’ils peuvent Ă©galement ĂȘtre « ambidextres Â» et parfaitement Ă©voluer dans les diffĂ©rents univers.

 

Le Tsadik

 

J’ai beaucoup aimĂ© ce passage dans son livre, ou, alors surendettĂ©e, et dĂ©primĂ©e, et avant de travailler dans la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, elle va rencontrer un rabbin sur les conseils d’une amie.

Juive par ses grands-parents maternels, Magali Berdah apprend par le Rabbin qu’elle est sous la protection d’un Tsadik, un de ses ancĂȘtres.

Dans le hassidisme, le Tsadik est un « homme juste Â», un «  Saint Â», un «  maĂźtre spirituel Â» qui n’est pas rĂ©compensĂ© de son vivant mais qui peut donner sa protection Ă  un de ses descendants.

J’ai aimĂ© ce passage car il me plait d’imaginer- mĂȘme si je ne suis pas juif ou alors, je l’ignore- qu’un de mes ancĂȘtres puisse me protĂ©ger. Mais aussi que les soignants (je suis soignant) sont sans doute des Ă©quivalents d’un Tsadik et que s’ils en bavent, aujourd’hui, que plus tard, ils pourront peut-ĂȘtre assurer la protection d’un de leurs descendants. Ça peut faire marrer de me voir croire en ce genre de « chose Â». Mais je prĂ©fĂšre aussi croire Ă  ça plutĂŽt que croire Ă  un complot, faire confiance Ă  un dirigeant opportuniste ou Ă  un dealer.

 

J’ai d’abord cru que Magali Berdah Ă©tait juive non-pratiquante. Mais sa rencontre avec le rabbin et sa façon de tomber enceinte « coup sur coup Â» me fait quand mĂȘme penser Ă  l’attitude d’une croyante qui «laisse Â» le destin dĂ©cider. Je parle de ça sans jugement. J’ai connu une catholique pratiquante qui avait la mĂȘme attitude avec le fait d’enfanter. Je souligne ce rapport Ă  la croyance parce qu’il est important pour Magali Berdah. Et que sa « foi Â» lui a sĂ»rement permis de tenir moralement Ă  plusieurs moments de sa vie.

 

Je prĂ©cise Ă©galement que, pour moi, cette protection d’un Tsadik peut se transposer dans n’importe quelle autre religion ainsi que dans bien d’autres cultures.

 

Incapable d’une telle proximitĂ© affective

 

«  Contre Â» : Je m’estime et me sens incapable d’une telle proximitĂ© affective Ă  l’image d’une Magali Berdah avec ses «  vedettes Â». Donc celle qu’elle instaure avec ses protĂ©gĂ©s m’inquiĂšte.  Une des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© dont elle s’occupe l’appelle «  Maman Â». MĂȘme si je comprends l’attitude de Magali Berdah au vu de son histoire personnelle, je m’interroge quant aux retombĂ©es de relations personnelles aussi Ă©troites :

 

Il est impossible de sauver quelqu’un malgrĂ© lui. Et ça demande aussi beaucoup de prĂ©sence et d’énergie. Une telle implication peut ĂȘtre destructrice pour soi-mĂȘme ou pour son entourage. Donc, croire, vouloir ou penser que l’on peut, tout( e)   seul (e), sauver ou soutenir quelqu’un, c’est prendre de grands risques. Mais peut-ĂȘtre que Magali Berdah prend-t’elle plus de prĂ©cautions qu’elle ne le dit pour elle et sa famille. Il est vrai que le fait qu’elle soit mariĂ©e et mĂšre lui impose aussi des limites.  Il lui est donc impossible, si elle Ă©tait tentĂ©e de le faire, de se dĂ©vouer exclusivement Ă  ses « protĂ©gĂ©s Â».

La Norme :

 

NĂ©anmoins, au milieu de ce « pour Â» et de ce « contre, je comprends que ce « support Â» affectif est la Norme dans le milieu de la tĂ©lĂ© et des cĂ©lĂ©britĂ©s en gĂ©nĂ©ral. Et ce qui est peut-ĂȘtre plus effrayant encore, c’est d’apprendre en lisant son livre que lorsque la « mode Â» des influenceurs est apparue en France (il y a environ cinq ans), que, subitement, ses « protĂ©gĂ©s Â» sont devenus attractifs Ă©conomiquement. Et  des producteurs se sont manifestĂ©s pour venir placer leurs billes. Les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© avaient peut-ĂȘtre la tĂȘte « vide Â» mais s’il y avait- beaucoup- de fric Ă  se faire avec eux maintenant qu’ils Ă©taient devenus des influenceuses et des influenceurs. GrĂące Ă  leurs placements de produits via les rĂ©seaux sociaux avec leurs millions de followers, on voulait bien en profiter. Magali Berdah n’en parle pas comme je le fais  avec une certaine ironie. Car cet intĂ©rĂȘt des producteurs pour les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© a permis Ă  sa carriĂšre et Ă  sa notoriĂ©tĂ© de prendre l’ascenseur.

 

Le Buzz ou le mur du son de la Notoriété

 

En 2001, Ă  l’époque du Loft et des attentats de Ben Laden, on Ă©tait trĂšs loin de tout ça. Les rĂ©seaux sociaux n’en n’étaient pas du tout Ă  ce niveau et on ne parlait pas du tout de « followers Â». Je me rappelle d’un des candidats du Loft Ă  qui, aprĂšs l’émission, on avait proposĂ© de travailler
dans un cirque. Il avait fait la gueule.

 

En 2020, Ă  l’époque du Covid-19, on est en plein dans l’ùre des followers et des rĂ©seaux sociaux. Et on peut penser que la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et le pouvoir des rĂ©seaux sociaux va continuer de s’amplifier. Sans forcĂ©ment simplifier le climat social et gĂ©nĂ©ral :

Parmi toutes les rumeurs, toutes les certitudes absolues, tous les emballements mĂ©diatiques et toutes les peurs qui sont semĂ©es de maniĂšre illimitĂ©e, j’ai un tout « petit peu  » de mal Ă  croire que l’Ă©poque des followers et des rĂ©seaux sociaux soit une Ă©poque oĂč l’on court totalement et librement vers l’apaisement et la nuance. 

 

 D’autres empires, aujourd’hui timides voire modĂ©rĂ©s, vont sĂ»rement s’imposer d’ici quelques annĂ©es. Ça me rappelle les premiers tubes du groupe Indochine et de MylĂšne Farmer dans les annĂ©es 80. Vous les trouvez peut-ĂȘtre ringards. Pourtant, Ă  l’époque de leurs tubes Bob Morane et Maman a tort, j’aurais Ă©tĂ© incapable de les imaginer devenir les « icones Â» qu’ils sont devenus. Et puis, il y a sans doute pire comme dictature et comme intĂ©grisme que celle et celui d’un monde oĂč nous devrions tous chanter et danser Ă  des heures imposĂ©es sur  Bob Morane et sur Maman a tort. MĂȘme si ces deux titres sont loin d’ĂȘtre mes titres de chevet.

 

Se rendre incontournable

 

Il est trĂšs difficile de pouvoir dire avec exactitude qui, devenu un peu connu ou encore inconnu aujourd’hui, sera une sommitĂ© dans une vingtaine d’annĂ©es. Les candidates et les candidats du Loft, et les suivants, Ă©taient souvent perçus comme ringards. DĂšs qu’un marchĂ© se crĂ©e, et que l’on en est la cause ou que l’on est prĂ©sent dĂšs l’origine, et que l’on sait se rendre incontournable, la donne change et l’on devient dĂ©sirable et frĂ©quentable. C’est le principe du buzz. Principe qui existait dĂ©jĂ  avant les rĂ©seaux sociaux et la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© mais qui s’est accĂ©lĂ©rĂ© et dĂ©multipliĂ©. On peut dire que le buzz, c’est le mur du son de la notoriĂ©tĂ©. Faire le buzz cela revient Ă  vivre Ă  Mach 1 ou Ă  Mach 2 ou 3. Ça peut faire vibrer. Mais ça fait aussi trembler. AprĂšs avoir lu le livre de Dany LaferriĂšre, Tout bouge autour de moi,  dans lequel il raconte le tremblement de terre Ă  HaĂŻti le 12 janvier 2010 ( il y Ă©tait), on comprend qu’un tremblement, ça change aussi un monde et des personnes. ça ne fait pas que les tuer et les dĂ©truire. 

 

Une histoire déjà vue

 

L’histoire que nous raconte Magali Berdah est une histoire qui s’est dĂ©jĂ  vue et qui se verra encore : une personne crĂ©e un concept. Peu importe qui est cette personne et si ce concept est moralement acceptable ou non. Il suffit que ce concept soit porteur Ă©conomiquement et tout un tas de commerciaux s’en emparent pour le faire connaĂźtre – et monnayer-par le plus grand nombre, ce qui gĂ©nĂšre un intĂ©rĂȘt et un chiffre d’affaires grandissant. Ce faisant, ces commerciaux et celles et ceux qui sont proches d’eux prennent du galon socialement et s’enrichissent Ă©conomiquement.

 

A La recherche du scoop et du popotin du potin

 

J’ai aimĂ© lire Ma vie en rĂ©alitĂ© pour ces quelques raisons. Il se lit trĂšs facilement. Et vite. Si Ă  la fin de son livre, Magali Berdah parle bien-sĂ»r de plusieurs de « ses Â» vedettes, la lectrice ou le lecteur qui serait Ă  la recherche du scoop et du popotin du potin Ă  propos d’Adixia, AnaĂŻs Camizuli, Anthony MatĂ©o, Astrid, AurĂ©lie Dotremont, Jessica Errero, Nikola Lozina, Manon Marsault, Paga, Ricardo, Jaja, Ayem Nour, Nabilla, Milla Jasmine et d’autres sera mieux inspirĂ©(e) de concentrer ses recherches ailleurs. De mon cĂŽtĂ©, j’ai dĂ©couvert la plupart de ces prĂ©noms et de ces noms en lisant ce livre.

 

Franck Unimon, vendredi 21 août 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

               

 

 

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Gémissements

 GĂ©missements.

C’est notre souffle qui nous tient. C’est Ă  dire : trois fois rien. Dans nos pensĂ©es et nos souvenirs se trouvent tant de trajectoires. De ce fait, on ne s’étonnera pas si je fais quelques excursions en des temps et des Ă©vĂ©nements diffĂ©rents et si je me retrouve ensuite Ă  nouveau dans le prĂ©sent.

 

Aujourd’hui, ce mercredi 5 aout 2020 oĂč il a fait entre 29 et 30 degrĂ©s Ă  Paris, je devrais ĂȘtre au cinĂ©ma. J’ai l’impression de le trahir. Il y a tant de films Ă  voir mĂȘme si le nombre de films a Ă©tĂ© restreint. Les salles de cinĂ©ma, pour celles qui ont pu rouvrir depuis le 22 juin,  peinent Ă  s’en sortir Ă©conomiquement.

 

EnrĂŽlĂ©es dans la bobine du cycle Covid-19, les salles de cinĂ©ma ont peu de spectateurs. Je m’en suis aperçu directement le 14 juillet en allant voir Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi. Le film m’a beaucoup plu. J’en parle dans un article qui porte le nom du film sur mon blog: Tout simplement Noir.

 

Mais nous Ă©tions Ă  peine dix spectateurs dans la grande salle de ce multiplexe parisien que je connais depuis plus de vingt ans. C’est vrai que j’y suis allĂ© Ă  la premiĂšre sĂ©ance, celle de 9h et quelques, mais je ne crois pas que l’heure matinale ait jouĂ© tant que ça sur le nombre que nous Ă©tions dans la salle :

 

 Le confinement de plusieurs semaines dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid-19 et l’arrivĂ©e de l’étĂ© au moins ont eu un effet sĂ©cateur sur le nombre des entrĂ©es. En plus, cela fait plusieurs mois qu’il fait beau. Je crois que les gens ont besoin de se rattraper. Ils ont aussi peut-ĂȘtre peur que le couteau d’un autre confinement ne se dĂ©ploie Ă  nouveau sous leur  gorge.  

 

 

Mais on va un petit peu oublier le Devoir ce matin. Ou on va le dĂ©fendre autrement.  On va se faire notre cinĂ©ma Ă  domicile.

 

 

Les photos qui dĂ©filent dans le diaporama sont un assemblage Ă  la fois de quelques photos de vacances, d’ouvrages que je lis, ai essayĂ© de lire ou voudrais lire, du Cd dont la musique m’a inspirĂ©….

 

Et je vais essayer de vous parler d’à peu prùs tout ça à ma façon.

 

 

On va vers l’autre pour essayer de combler ou de soulager un vide. Mais nous ne partons pas du mĂȘme vide. Nous ne portons pas le mĂȘme vide. Et nous ne parlons peut-ĂȘtre mĂȘme pas du mĂȘme vide. Beaucoup de conditions sont donc assez souvent rĂ©unies pour que, dans la vie, nous fassions
.un bide. Et, pourtant, nous connaissons des rĂ©ussites et des possibilitĂ©s de rĂ©ussite. Mais encore faut-il savoir s’en souvenir et s’en apercevoir.

 

 

Je ne connaissais pas du tout Magali Berdah dont j’ai commencĂ© Ă  lire la biographie, Ma Vie en RĂ©alitĂ©. J’en suis Ă  la moitiĂ©. Et j’ai trĂšs vite dĂ©cidĂ© de lire son livre plutĂŽt que celui de Julia De FunĂšs intitulĂ© DĂ©veloppement ( Im) Personnel.  Qu’est-ce que je reproche au livre de Julia De FunĂšs dont j’ai commencĂ© Ă  lire l’ouvrage ?

 

Le fait, d’abord, que l’on sente la « bonne Ă©lĂšve Â» qui a eu des trĂšs bonnes notes lors de ses Ă©tudes supĂ©rieures et qui a, donc, une trĂšs haute opinion d’elle-mĂȘme. Je suis bien-sĂ»r pour avoir des bonnes notes et pour faire des Ă©tudes supĂ©rieures autant que possible. Je suis aussi  favorable  au fait d’avoir de l’estime de soi.  Parce qu’il peut ĂȘtre trĂšs handicapant pour soi-mĂȘme comme pour notre entourage de passer notre vie Ă  avoir peur de tout comme Ă  toujours dĂ©cider que l’on ne sait jamais rien et que l’on ne sait absolument rien faire en toute circonstance.

 

 Mais je ne crois pas Ă  la certitude absolue. Y compris la certitude scolaire.

 

Julia De FunĂšs veut « philosophiquement Â» « dĂ©construire Â» les arnaques des « coaches Â» et des vendeurs de « recettes du bonheur Â» qui font florĂšs. C’est trĂšs bien. Et j’espĂšre bien profiter de ce qu’elle a compris de ces arnaques. Mais elle abat ses certitudes en se servant de sa carte routiĂšre de la philosophie dont elle connaĂźt des itinĂ©raires et des soubresauts par cƓur.  

 

Elle, elle Sait. Et elle va nous dĂ©montrer comme elle Sait  quitte Ă  ce que, pour cela, en la lisant, on ait mal Ă  la tĂȘte en essayant de suivre sa propre pensĂ©e inspirĂ©e de celles de trĂšs grands philosophes qu’elle a dĂ©chiffrĂ©s et qui ont rĂ©solu depuis l’antiquitĂ© le mal dont on essaie de se guĂ©rir aujourd’hui en tombant dans les bras et sur les ouvrages des  commerçants du dĂ©veloppement personnel qu’elle veut confondre.

 

RĂ©sultat immĂ©diat : pour accĂ©der Ă  sa connaissance et profiter de ses lumiĂšres, on comprend dĂšs les premiĂšres pages de son livre qu’il faut avoir la philo dans la peau. On lit son livre comme on pourrait lire un livre de Droit. J’aime la philo. Et j’aime prendre le temps de rĂ©flĂ©chir.

 

 J’aime moins avoir l’impression, lorsque je lis un livre,  de devoir apprendre des lois. En plus, et c’est sĂ»rement un de mes torts, dĂšs les premiĂšres pages, Julia de FunĂšs cite Luc Ferry comme une de ses rĂ©fĂ©rences.  D’abord, je n’ai pas compris tout de suite. J’ai confondu Luc Ferry avec le Jules Ferry de l’école publique. Oui, j’ai fait ça. Ce genre de confusion. Et puis, comme Julia de FunĂšs cite plusieurs fois Luc Ferry en moins de dix pages, j’ai  fini par comprendre.

 

J’ai sĂ»rement de trĂšs trĂšs gros prĂ©jugĂ©s envers Luc Ferry, ancien Ministre de l’Education. Mais, de lui, j’ai surtout retenu qu’il avait une trĂšs belle femme et qu’il savait se faire payer trĂšs cher pour des confĂ©rences sur la philo. Et quand je pense Ă  lui, je « vois Â» surtout quelqu’un de trĂšs suffisant. Je n’ai pas beaucoup aimĂ© ce qu’il a pu dire, dans le journal Les Echos,  ou peut-ĂȘtre plus dans Le Figaro. A savoir, que, selon lui, aprĂšs le confinement, le business reprendrait «  as usual Â» et que, en quelque sorte, les Nicolas Hulot et toutes celles et tous ceux qui pensent comme lui, peuvent aller se rhabiller avec leurs histoires de « Il faut changer le monde et essayer de tirer des enseignements de ce que la pandĂ©mie du Covid a pu nous obliger Ă  comprendre du monde et de la vie Â».

 

On a le droit de critiquer Nicolas Hulot et celles et ceux qui lui ressemblent. On peut critiquer plein de choses sur la maniĂšre dont la pandĂ©mie a Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e et dont elle continue d’ĂȘtre gĂ©rĂ©e. Mais dire que ce sera « business as usual Â» revient Ă  dire que notre monde marche bien tel qu’il est Ă©conomiquement, politiquement, industriellement et socialement ; qu’il est rĂ©glĂ© comme une horloge suisse et que rien ne peut ou ne doit modifier cet ordre et cet Ă©tat du monde dans lequel un Luc Ferry, « philosophe Â» de formation a ses entrĂ©es et ses privilĂšges. MĂȘme si Luc Ferry a sans aucun doute des connaissances et des raisonnements plus qu’honorables, il est vrai que, pour moi, pour l’instant, l’homme qu’il incarne est pour moi un repoussoir. Et voir que, dĂšs le dĂ©but de son livre que j’ai eu pour l’instant un plaisir limitĂ© Ă  lire, Julia de FunĂšs le place sur un piĂ©destal, m’a poussĂ© Ă  fermer son livre et Ă  passer Ă  la biographie de Magali Berdah.

 

Oui, Magali Berdah.

 

Car, la biographie de Magali Berdah, c’est le contraire. Je ne connaissais pas Magali Berdah auparavant. Et en tombant sur son livre Ă  la mĂ©diathĂšque, il y a quelques jours, je me suis dit que je pourrais apprendre quelque chose. De mon Ă©poque. Pour moi. Pour mon blog. Afin de  mieux le promouvoir mais aussi, peut-ĂȘtre, l’orienter diffĂ©remment. Sans pour autant aller dans la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© ou biberonner du Cyril Hanouna que Magali Berdah cite comme un de ses premiers soutiens avant de devenir «  la manageuse Â» des influenceurs et des influenceuses. Avec Julia de FunĂšs, finalement, on est dans une pensĂ©e trĂšs puritaine. PensĂ©e que je partage aussi. Car je ne me fais pas tant que ça une si haute opinion de moi-mĂȘme :

 

Je peux, aussi, ĂȘtre trĂšs trĂšs puritain Ă  ma maniĂšre. Si ! Si !

 

Sauf que avoir un certain sens et une certaine idĂ©e de la moralitĂ© ne suffit pas pour ĂȘtre heureux et pour ce que l’on appelle « rĂ©ussir sa vie Â». Car notre vie se rĂ©sume quand mĂȘme souvent Ă  ces deux questions :

 

Sommes-nous heureux ? Et faisons vraiment nous tout ce que nous pouvons, dans la mesure de nos moyens, pour ĂȘtre heureux ?

Parce-que pour moi, rĂ©ussir sa vie, c’est ça : ĂȘtre heureux autant que possible, le plus longtemps possible et savoir le redevenir si on est malheureux, triste ou dĂ©primĂ©.

 

Et si je veux bien croire que Julia de FunĂšs peut m’aider, aussi, Ă  rĂ©pondre Ă  ces deux questions au moins dans son livre, je crois que Magali Berdah peut Ă©galement y contribuer. Car je ne vois pas pourquoi citer Luc Ferry pourrait suffire Ă  me rendre heureux. 

 

Alors que la biographie de Magali Berdah, elle, est concrĂšte. On peut trouver qu’elle nous raconte sa vie de façon Ă  passer pour une Cosette. On lui reprochera peut-ĂȘtre de trop Ă©taler sa vie privĂ©e, de se donner le beau rĂŽle (celui de la victime, de la personne  moralement intĂšgre ou protectrice) et de s’en servir pour son sens de la Communication et des affaires. Elle est peut-ĂȘtre ou sans doute moins « jolie Â» moralement que ce qu’elle nous donne Ă  entrevoir dans son livre mais elle nous parle aussi d’un monde que l’on connaĂźt :

 

Celui oĂč des personnes vulnĂ©rables (mineures comme adultes), ignorantes, bosseuses et de bonne volontĂ©, peuvent se faire
.arnaquer, kidnapper, trahir etc
..

 

Et Magali Berdah nous raconte aussi comment elle s’en « sort Â». ConcrĂštement. Ainsi que certains de ses fiascos et de ses coups durs. Par des exemples rĂ©pĂ©tĂ©s. Ce qui parle souvent beaucoup mieux qu’en citant des philosophes ou des Anciens Ministres, fussent-ils trĂšs cultivĂ©s et dans le « Vrai Â» lorsqu’ils ( nous) parlent. A moins que ces Anciens Ministres et philosophes ne se parlent, d’abord, Ă  eux-mĂȘmes.

 

Oui, Magali Berdah est beaucoup dans l’affectif. Elle le dit et le fait comprendre avec sa « garde rapprochĂ©e Â» parmi ses collaborateurs. Et elle est Ă  l’aise avec l’argent et le fait d’en gagner beaucoup. Il n’est pas donnĂ© Ă  tout le monde, comme elle, de s’épancher facilement auprĂšs d’autrui. Moi, par exemple, dans la vraie vie, je me confie oralement assez peu. C’est une histoire de pudeur et de mĂ©fiance. Quant Ă  l’argent, en gagner beaucoup n’a pas Ă©tĂ© ma prioritĂ© lorsque j’ai commencĂ© Ă  travailler. Je ferais plutĂŽt partie des personnes qui auraient du mal Ă  mieux mettre en valeur mes articles par exemple.

 

 

 Vis Ă  vis de la « cĂ©lĂ©britĂ© Â», je suis ambivalent :

 

J’aime me mettre en scĂšne et faire le spectacle. Vraiment. Mais j’aime aussi pouvoir ĂȘtre tranquille, pouvoir me retirer et me faire oublier. Soit deux attitudes trĂšs difficilement conciliables qui expliquent par exemple au moins, en partie, la raison pour laquelle mon blog a sĂ»rement (beaucoup) moins de vues qu’il ne pourrait en avoir. Mais aussi la raison pour laquelle, Ă  ce jour, mon activitĂ© de comĂ©dien est plutĂŽt une activitĂ© sous-marine (c’est peut-ĂȘtre aussi pour cela que je pratique l’apnĂ©e) ou sous-cutanĂ©e voire intramusculaire.

 

C’est sĂ»rement aussi pour cela que, certaines fois, je me retrouve Ă  nouveau au moins tĂ©moin de certaines situations qui, dans mon mĂ©tier d’infirmier, restent la norme.

 

Parce-que lorsque l’on est infirmier, on aime assez peu se mettre en scĂšne et prendre toute la lumiĂšre. On est plus dans le don de soi que dans la revendication pour soi. Et ça amĂšne ce rĂ©sultat et cette vĂ©ritĂ© automatiquement renouvelĂ©e :

 

D’autres profitent de cette lumiùre et de cet argent.

 

Dans son livre, Magali Berdah explique qu’elle dĂ©couvre l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et des rĂ©seaux sociaux en rencontrant Jazz, une ancienne candidate de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©,  amie d’une de ses anciennes salariĂ©es, Martine, Ă  qui elle rend un service.

 

A cette Ă©poque, Magali Berdah, mariĂ©e, trois enfants, est surendettĂ©e, et a surtout une expĂ©rience consistante en tant que commerciale et auto-entrepreneuse dans les assurances et les mutuelles. A premiĂšre vue, grossiĂšrement, on dira que cela n’a rien Ă  voir. Sauf que Magali Berdah, est fonceuse, bosseuse, curieuse. Elle a sans doute aussi envie de garantir Ă  ces jeunes vedettes cette protection et cette sĂ©curitĂ© dont elle a manquĂ© enfant.  

 

Magali Berdah offre donc Ă  ces jeunes vedettes son sens des affaires et du commerce ; une certaine indĂ©pendance. Ainsi qu’une prĂ©sence affective permanente qui contraste avec ce monde des marques, des reflets et des images qu’incarnent et vendent ces jeunes vedettes qu’elle protĂšge.

 

Quelques temps plus tĂŽt, alors qu’elle Ă©tait dĂ©primĂ©e du fait de ses problĂšmes professionnels, financiers et personnels rĂ©pĂ©titifs, elle s’était confiĂ©e Ă  une amie. Laquelle lui avait conseillĂ© de consulter un Rav (l’équivalent d’un rabbin) de sa connaissance. Magali Berdah, juive non pratiquante, avait acceptĂ© de le rencontrer. AprĂšs s’ĂȘtre racontĂ©e,  ce Rav, le Rav Eli, lui avait affirmĂ© qu’un de ses ancĂȘtres, du cĂŽtĂ© de son grand-pĂšre maternel, Ă©tait lui-mĂȘme un Rabbin trĂšs « rĂ©putĂ© Â» considĂ©rĂ© comme un Tsadik.

 

Dans le vocabulaire hassidique, le Tsadik est un « homme juste Â». Un Maitre spirituel. L’équivalent d’un Saint. Mais ce Saint n’est pas protĂ©gĂ© par Dieu de son vivant. Par contre, ce Tsadik protĂšgera un « descendant Â» et lui « offrira une vie extraordinaire : qui sort de l’ordinaire Â».

Et le Rav Eli d’apprendre Ă  Magali qu’elle Ă©tait cette personne protĂ©gĂ©e par le Tsadik.

 

Ces propos du Rav Ă©taient-ils sincĂšres ? RelĂšvent-ils de la gonflette morale ou du placebo ? Sont-ils l’équivalent de ces « trucs Â» vendus et proposĂ©s par les coaches « bien-ĂȘtre Â» que Julia De FunĂšs veut «dĂ©construire Â» ?

 

Je prĂ©cise d’abord que je ne suis pas juif. OĂč alors je l’ignore. Mais j’aime beaucoup l’histoire de cette rencontre dans laquelle je vois du conte et de l’universel. Un conte pour adultes. Un conte qu’on aurait pu Ă©videmment transposer autrement en parlant d’une rencontre avec un marabout, un psychologue, un Imam ou toute autre rencontre Ă©tonnante ou mystĂ©rieuse pourvu que ce soit une rencontre hors-norme, hors de nos habitudes et inattendue dans une pĂ©riode de notre vie oĂč l’on a besoin de changement mais oĂč on ne sait pas comment s’y prendre pour donner une autre direction Ă  notre vie.

 

 

Dans cette histoire du Tsadik qui est l’équivalent du Saint, je pense bien-sĂ»r Ă  la vallĂ©e des Saints qu’un ami m’a conseillĂ© d’aller dĂ©couvrir lors de notre sĂ©jour rĂ©cent en Bretagne. On trouvera facilement mon diaporama de la vallĂ©e des Saints sur mon blog. La VallĂ©e des Saints

 

Pour l’instant, je ne vois pas quelles retombĂ©es concrĂštes sur ma vie a pu avoir le fait d’avoir pris la dĂ©cision de me rendre avec ma compagne et ma fille Ă  la vallĂ©e des Saints. Et ma remarque fera sans doute sourire ou ne manquera pas de me faire envisager comme un candidat idĂ©al pour le programme subliminal de n’importe quel gourou foireux et vĂ©nal.

 

Alors, il reste le Tsadik, Ă©quivalent du Saint, qui, je crois, lui, sera plus difficile Ă  contredire et Ă  dĂ©loger, que l’on se moque de moi ou pas :

 

Religion juive ou pas, le soignant, infirmier ou autre, est souvent assimilĂ© au Saint ou Ă  la bonne sƓur. Lorsque l’on regarde les conditions de travail et les conditions salariales d’un infirmier et qu’on les compare Ă  ce que celui-ci donne de sa personne au cours d’une carriĂšre, on « sait Â» que le compte n’y est pas du tout. Et que les infirmiers, comme d’autres corps soignants, sont sous-payĂ©s et sous estimĂ©s comparativement Ă  ce qu’ils donnent. Mais aussi comparativement Ă  ce qu’ils endurent. J’ai dĂ©jĂ  entendu dire que, souvent, dans les ancĂȘtres des soignants, il y a eu un malade, une grande souffrance. Mais on peut aussi penser, Ă  travers l’exemple du Tsadik, qu’un soignant (infirmier ou autre) est un Tsadik et que, lui aussi, donnera sa protection Ă  un de ses descendants un jour ou l’autre.

 

Cette histoire-lĂ  me plait beaucoup et elle m’est inspirĂ©e en lisant la biographie de Magali Berdah. Pas en lisant l’ouvrage de Julia de FunĂšs. J’ai presque envie d’ajouter :

 

« Alors que cela aurait dĂ» ĂȘtre le contraire. A quoi sert-t’il d’avoir autant de connaissances- comme Julia de FunĂšs- si c’est pour plomber l’atmosphĂšre et le moral des gens alors que ceux-ci essaient de trouver des astuces pour s’allĂ©ger, respirer un petit peu mieux et s’octroyer un peu de rĂ©pit avant de devoir reprendre leur labeur ? Â».

 

RĂ©cemment, dimanche aprĂšs-midi, j’ai effectuĂ© un remplacement dans un service. La collĂšgue infirmiĂšre du matin, ai-je appris plus tard, se lĂšve Ă  3 heures du matin lorsqu’elle commence sa journĂ©e de travail Ă  6h45.

 

C’est sans doute rare qu’une infirmiĂšre se lĂšve aussi tĂŽt lorsqu’elle commence Ă  6h45 pour ĂȘtre Ă  l’heure au travail. Mais je l’aurais vu au moins une fois dans ma vie.

 

Ce qui est moins rare, c’est d’avoir appris que cette infirmiĂšre avait pu se faire « dĂ©foncer Â» en plein staff un matin parce-que le travail n’avait pas Ă©tĂ© fait en temps et en heure. Pour quelle raison ?

Peut-ĂȘtre parce qu’elle Ă©tait nouvelle dans le service. Et encore en CDD. Mais, aussi, parce-que le service manque de personnel infirmier. Quatre infirmiers en poste dans le service alors qu’il en manque sept autres. Il y a sept postes d’infirmier vacants dans ce service. Le service tourne donc rĂ©guliĂšrement avec des remplaçants.

 

Ce qui est aussi moins rare, c’est qu’en se faisant « dĂ©foncer Â» en plein staff, cette infirmiĂšre ait subi sans broncher. C’est une Ă©tudiante infirmiĂšre prĂ©sente lors des faits qui, ensuite, en a parlĂ© au collĂšgue infirmier qui m’a racontĂ© ça le dimanche aprĂšs-midi.

 

Ce qui est Ă©galement moins rare c’est d’avoir demandĂ© ce dimanche (j’étais alors prĂ©sent) Ă  cette mĂȘme infirmiĂšre de revenir travailler le lendemain matin sur son jour de repos. Parce qu’il manquait du personnel infirmier le lundi matin.  

 

 Pourquoi je parle de ça ? Le Covid a fait des soignants, officiellement, «  des hĂ©ros Â». Mais des personnes se font « dĂ©foncer Â» cette fois-ci physiquement, sur la place publique lorsqu’ils rappellent Ă  d’autres citoyens de porter- correctement- le masque de prĂ©vention anti-covid. Ou simplement d’un porter un.

 

Pendant ce temps, dans leur service, des soignants continuent de se faire « dĂ©foncer Â» en plein staff comme cette collĂšgue infirmiĂšre. On peut donc dĂ©foncer en plein staff une hĂ©roĂŻne. Et c’est normal.

 

Alors, qu’est-ce qu’il reste aux soignants hĂ©roĂŻques alors qu’ils continuent de se faire dĂ©foncer par leur hiĂ©rarchie ? Il leur reste la dĂ©pression ou le burn-out. Il leur reste les accidents de travail. Il leur reste les congĂ©s longue maladie. Il leur reste la dĂ©mission. Il leur reste la colĂšre ou la contestation. Il leur reste le Tsadik ou son Ă©quivalent. Et c’est en lisant la biographie de Magali Berdah, que je n’ai pas terminĂ©e, que je le comprends. Pas en lisant le livre sĂ»rement trĂšs cultivĂ© de Julia de FunĂšs.

 

Ce matin, ça a fait marrer une de mes jeunes collÚgues infirmiÚres lorsque je leur ai parlé de Magali Berdah. Elle était sans doute gentiment amusée par une de mes nouvelles bizarreries. Pourtant, je ne fais que prolonger à ma façon ce en quoi je crois depuis des années.

 

Miles Davis disait « My mind is not shut Â» : Mon esprit n’est pas fermĂ©. Dans la revue Yashima dont j’ai beaucoup aimĂ© les articles cette fois-ci, il y a entre autres une interview de Kacem Zoughari.

 

Kacem Zoughari est «  docteur en Histoire et Culture du Japon et adepte de Ninjutsu du plus haut niveau Â». J’ai dĂ©couvert l’existence de Kacem Zoughari il y a Ă  peine dix jours par ce magazine Yashima achetĂ© durant mes vacances.

 

Quel rapport entre la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, le monde du fric et du commerce de Magali Berdah et l’ascĂšse martiale Ă  laquelle se tient Kacem Zoughari que je devrais appeler au moins Sensei ou Maitre au vu de ses titres ?  A priori, Ă  la tĂ©lĂ©, ce n’est pas la mĂȘme chaine. Il n’y a aucun rapport si on oppose ces deux personnes et ces deux expĂ©riences selon leur image et leur parcours. Et puis, dans l’interview, Kacem Zoughari dit par exemple :

 

« Quand j’arrive lĂ -bas (au Japon), je pense ĂȘtre bon. J’ai reprĂ©sentĂ© la discipline Ă  Bercy et Ă  la tĂ©lĂ© et je suis ceinture noire. Mais au premier cours chez Ishizuka sensei, on me reprend. On me reprend gentiment, mais j’ai l’impression d’ĂȘtre giflĂ© ! Â».

 

On peut donc ĂȘtre « trĂšs bon Â», bosseur et expĂ©rimentĂ© comme le pense alors Kacem Zoughari et, comme Magali Berdah, dans son domaine professionnel échouer.

 

Or, que l’on Ă©volue dans le commerce ou dans le domaine des arts martiaux ou ailleurs, ce qui va importer, c’est notre rĂ©action par rapport Ă  « l’échec Â». Ce que l’on va ĂȘtre capable d’apprendre et d’accepter de cet Ă©chec.

 

Plus tard, Kacem Zoughari dit :

 

«  (
.) Hatsumi sensei dit parfois : « Tu veux ĂȘtre bon, shuraba ni ike Â». Va oĂč a lieu le carnage Â».

 

On peut penser au « carnage Â» de la guerre. Mais on peut aussi penser au « carnage Â» de la souffrance et de la violence auquel le soignant oĂč le travailleur social est rĂ©guliĂšrement exposĂ©. Et Magali Berdah parle aussi de certaines pĂ©riodes de «  sa vie chaotique Â».

 

Et j’ai particuliĂšrement aimĂ© lorsque Kacem Zoughari dit :

 

« Certains Ă©lĂšves copient le maitre jusque dans ses dĂ©formations de dos, de genou, etc. Au-delĂ  de l’aspect caricatural, c’est mĂȘme dĂ©lĂ©tĂšre pour leur santĂ© ! Ce type de pratiquants intĂ©gristes refuse souvent aussi de voir ce qui se fait ailleurs pour ne pas corrompre l’image qu’ils ont de leur maĂźtre. C’est une grave erreur Â».

 

Bien entendu, je n’attends pas que Kacem Zoughari verse dans l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et dans le monde de Cyril Hanouna. Mais on a compris que selon mes aptitudes et mon Ă©tat d’esprit, je peux trouver des parties de mes besoins et de mes rĂ©ponses tant dans ce qu’enseigne Kacem Zoughari que dans ce que raconte Magali Berdah.

D’autant que Kacem Zoughari confirme aussi :

 

« (
..) car beaucoup d’obstacles se dressent sur la voie d’un adepte. Il y a d’abord les dĂ©sillusions. Le monde martial, comme tout microcosme, comporte de nombreuses personnes Ă  la moralitĂ© douteuse. Il faut alors avoir foi dans les bĂ©nĂ©fices de la pratique pour trouver le recul de se dire que les actes d’un individu ne dĂ©finissent pas la valeur d’une discipline Â».

 

 

Il y aurait bien-sĂ»r davantage Ă  dire de l’interview de Kacem Zoughari et je le ferai peut-ĂȘtre un autre jour.

 

Mais l’article va bientĂŽt se terminer et je veux d’abord rĂ©pondre Ă  des questions que je crois possibles devant certaines des photos :

 

La voix du Raid Ă©crit par Tatiana Brillant (avec la collaboration de Christine Desmoulins), ancienne nĂ©gociatrice du RAID, parce-que je crois que son expĂ©rience peut aussi m’apprendre quelque chose dans mon mĂ©tier comme dans ma vie. Tatiana Brillant, dont, d’ailleurs, le pĂšre est pompier. Et la mĂšre
.infirmiĂšre. Tatiana Brillant qui dit, page 24 :

 

«  (
.) Ayant cette fois accĂšs Ă  mon dossier, j’ai appris que lors des prĂ©cĂ©dents tests j’avais Ă©tĂ© reçue premiĂšre avec l’observation suivante :

 

 Â«  PremiĂšre candidate. Impressionnante malgrĂ© son jeune Ăąge. Bonnes rĂ©actions, empathie naturelle Â».

C’est ainsi que je suis entrĂ©e au RAID le 1er mars 2004. A BiĂšvres, dans l’Essonne, mon rĂȘve se rĂ©alisait ! Tout cela validait Ă  jamais le mantra qui rythme ma vie :

 

« Il ne faut rien s’interdire Â».

 

« L’empathie Â» est une aptitude qui peut ĂȘtre dĂ©valuĂ©e dans un monde oĂč l’image, le statut social, la cĂ©lĂ©britĂ©, la rapiditĂ©, la rentabilitĂ© et le fric remportent souvent le gros lot.

 

Le personnel infirmier sait ce qu’est l’empathie mĂȘme s’il se fait rĂ©guliĂšrement enfler. Parce qu’il est plus dans le sacrifice et le don de soi que dans l’empathie me dira-t’on. Peut-ĂȘtre. Mais on voit Ă  travers Tatiana brillant, Magali Berdah mais aussi Kacem Zoughari, qui l’évoque d’une certaine façon dans un passage de son interview, que « l’empathie Â» est compatible avec la rĂ©ussite professionnelle et personnelle.

 

 

Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere, membre de l’AcadĂ©mie française. Pour le titre. Pour la littĂ©rature. Parce-que je n’ai encore rien lu de lui. Parce qu’il parle d’HaĂŻti, oĂč il se trouvait, lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010 :

 

  «  Des choses vues Â» qui disent l’horreur, mais aussi le sang-froid des HaĂŻtiens. Que reste-il quand tout tombe ? La culture. Et l’énergie d’une forĂȘt de gens remarquables Â».

 

 

Parce qu’HaĂŻti est une Ăźle oĂč j’aurais aimĂ© ĂȘtre allĂ© depuis des annĂ©es. Mais son rĂ©gime politique et sa pauvretĂ© m’ont jusque lĂ  trop inquiĂ©tĂ©. Je suis « entrĂ© Â» un peu Ă  HaĂŻti d’abord par le cinĂ©ma de Raoul Peck dans les annĂ©es 90 par son film, L’Homme sur les quais. J’ai vu d’autres films de lui. Et mĂȘme des sĂ©ries. Je l’ai aussi rencontrĂ© et interviewĂ© deux fois. Une fois lors du festival de Cannes au dĂ©but des annĂ©es 2010. Une autre fois, Ă  Paris.

 

Il y a quelques photos de nos vacances en Bretagne. A la vallĂ©e des Saints ( avec les statues en granit) et aussi Ă  Quiberon, du cĂŽtĂ© du port-Haliguen, oĂč nous sommes passĂ©s avant que le port du masque ne devienne obligatoire dans la rue.

 

Le titre que j’ai choisi sur l’album Nordub  rĂ©alisĂ© par Sly & Robbie et Nils Petter Molvaer feat Eivind Aarset and Vladislav Delay s’appelle :

 

European Express.

 

C’est le septiĂšme titre de l’album. AprĂšs avoir lu des critiques dithyrambiques sur cet album, je me suis dĂ©cidĂ© Ă  l’acheter. J’avais dĂ©jĂ  Ă©coutĂ© deux anciens albums de Nils Petter Molvaer. J’apprĂ©hendais qu’il soit trop prĂ©sent avec ses traversĂ©es Ă©lectroniques et sa trompette qui louche vers Miles mais sans l’attrait de Miles sur moi.

 

Sly and Robbie, depuis leur trajectoire Reggae avec Black Uhuru, Gainsbourg et beaucoup d’autres dans les annĂ©es 70 et 80 ont depuis longtemps dĂ©bouchĂ© dans d’autres atmosphĂšres musicales. J’attendais beaucoup de cet album. J’attendais du Dub. J’ai d’abord Ă©tĂ© dĂ©confit. Puis, en le reprenant en revenant de vacances, il s’est Ă  nouveau vĂ©rifiĂ© que certains albums nous demandent du temps pour entrer dedans.

 

European Express,  de par sa dynamique, est le titre qui m’a semblĂ© le plus appropriĂ© pour cet article.

 

 

Cet article est sans doute plus long qu’il n’aurait dĂ», une fois de plus. Alors, j’espĂšre qu’il ne sera pas trop fastidieux Ă  lire et que les photos qui l’accompagnent vous iront aussi.

Ici, si on le souhaite, on pourra écouter cet article dans sa version audio :

 

 

AprĂšs un concert, il arrivait que Miles engueule certains de ses musiciens aprĂšs qu’ils aient, selon lui, mal jouĂ©. Sans doute estimait-il qu’ils n’avaient pas pris assez de risques. Il leur disait :

 

 Â«  Jouez ce que vous savez jouer ! Â».

 

J’ai Ă©crit ce que je sais Ă©crire. C’est le souffle qui nous tient. C’est Ă  dire : trois fois rien.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 5 aout 2020.

 

 

 

 

 

 

 

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Croire aux fauves

 

                                                      Croire aux fauves

Terminer un livre. Il n y a pas plus illusoire. Il y a l’idĂ©e d’une victoire. Alors que chaque livre devrait nous Ă©jecter de ce genre de croyance. Etre une frontiĂšre, une trajectoire. Et nous rapprocher du rĂȘve.

 

Mais nous ne rĂȘvons plus, nous dit Nastassja Martin dans son livre, Croire aux fauves. Nous laissons les atomes et les pixels de nos vies modernes rĂȘver des traces Ă  notre place.

 

A la fin de ma lecture de Croire aux fauves, il y a quelques jours, j’étais hĂ©bĂ©tĂ© :

 

J’étais incapable de me sortir -d’en parler- de ce livre de 151 pages de taille moyenne.

 

Depuis, j’ai cherchĂ© un autre mĂ©dicament, commencĂ© Ă  tourner d’autres pages sans rĂ©ussir Ă  me dĂ©cider vraiment :

 

Les Chamans ( Hier et Aujourd’hui) de Jean-Patrick Costa.

 

L’ApothĂ©ose des vaincus ( Philosophie et champ jazzistique) de Christian BĂ©thune.

 

Catherine Ringer Et les Rita Mitsouko de Stan Cuesta (avec une prĂ©face d’Alfredo Arias)

 

Ecrit sur la bouche de Claude Olievenstein

 

Deep de James Nestor

 

L’An V de la RĂ©volution algĂ©rienne de Frantz Fanon dont Abdel Raouf Dafri m’a parlĂ© lors de son interview pour son film Qu’un sang impur… qui sort demain ( Interview en apnĂ©e avec Abdel Raouf Dafri ). 

 

Mon pĂšre, ce tueur de Thierry Crouzet

 

 

Alors, je passe un peu d’un livre Ă  un autre, comme un alpiniste passerait d’une montagne Ă  une autre. Dans le Ecrit sur la bouche d’Olivenstein, publiĂ© en 1995, il y a cette phrase, page 15 : « La bouche garde le souvenir de notre passĂ© (
) Â».

Cela peut correspondre avec ce qu’écrit Nastassja Martin en 2019 dans son livre Croire aux fauves, page 113 :

 

«  Le fauve mord la mĂąchoire pour rendre la parole Â».

 

 

Dans Deep, je suis tombĂ© sur ce passage qui raconte que le Capitaine Cook avait embarquĂ© pour un de ses voyages, le chef d’une tribu «  primitive Â». Non seulement, celui-ci lui avait fait dĂ©couvrir un certain nombre de « mondes Â» (d’autres contrĂ©es)  en les lui montrant sur la carte. Mais, quel que soit l’endroit oĂč ils se trouvaient sur la mer, ce « chef Â» restait capable de situer exactement sur la carte l’endroit oĂč se trouvait son « pays Â».

Toujours dans le mĂȘme livre, James Nestor nous parle d’une autre tribu (aborigĂšne ?) qui, dans son langage quotidien, intĂ©grait en permanence les points cardinaux : nord, sud, ouest, est.

 

Si je me fie Ă  ma pensĂ©e cartĂ©sienne d’occidental parisien Ă©duquĂ©, « normal Â», bornĂ© et « responsable Â» de 2020, je dirais que ces sujets et ces livres font partie de mes envies d’exotisme du moment en pleine pĂ©riode des soldes d’hiver. Et que Nastassja Martin, anthropologue, brillante Ă©tudiante, Ă©lĂšve de Philippe Descola, formĂ©e Ă  la psychanalyse, sĂ»rement une trĂšs belle femme Ă  «  l’origine Â», trĂšs bonne alpiniste, russophone et sans doute capable de parler d’autres langues en plus du Français,  d’un ( trĂšs) bon milieu social, guidĂ©e par son arrogance et son sentiment de supĂ©rioritĂ©, s’est Ă  nouveau  aventurĂ©e sur un territoire encore sauvage, dans les montagnes du Kamtchatka ; a fait le voyage de trop en aout 2015 et est tombĂ©e sur un ours qui l’a dĂ©figurĂ©e. Elle lui a rĂ©sistĂ© et, les yeux fermĂ©s, avec son piolet, a rĂ©ussi Ă  le blesser. Autrement, il l’aurait sans doute tuĂ©e. L’ours s’est Ă©chappĂ©. Nastassja Martin est une combattante et une survivante. Elle raconte ce que cette rencontre lui a donnĂ© dans la peur et dans la douleur. Sans voyeurisme et sans exhibitionnisme.

 

Si je laisse tomber cette corde de pensĂ©e, je dirais que je suis en ce moment incapable de regarder un film et de me fixer sur un livre parce-que la poussĂ©e animiste du livre de Nastassja Martin m’épouse et me rappelle une histoire perdue qui vient de loin. Mais je ne l’ai pas encore Ă©crite :

Nous sommes surtout douĂ©s, dĂ©sormais, pour savoir nous repĂ©rer et nous rĂ©pĂ©ter dans des administrations et des magasins. Pour nous cantonner Ă  certaines de nos fonctions et  Ă  certaines actions Ă  des horaires et des pĂ©riodes paramĂ©trĂ©s. Alors que pour vivre nous devrions plus nous inspirer de nos rĂȘves que des murs qui nous regardent.

 

 

Nastassja Martin, encore, dans son Croire aux fauves, page 121 :

 

 

«  (
.) personne n’a Ă©coutĂ© Antonin Artaud qui, pourtant, avait raison. Il faut sortir de l’aliĂ©nation que produit notre civilisation. Mais la drogue, l’alcool, la mĂ©lancolie et in fine la folie et/ou la mort ne sont pas une solution, il faut trouver autre chose. C’est ce que j’ai cherchĂ© dans les forĂȘts du nord, ce que je n’ai que partiellement trouvĂ©, ce que je continue de traquer Â».

 

 

 

Franck Unimon, ce mardi 21 janvier 2020.

 

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Bravo Two Zero

Andy McNab ne devrait pas ĂȘtre un hĂ©ros. Mais il l’est. Et c’est ce qui me donne mauvaise conscience. C’est la raison pour laquelle je parle de son livre Bravo Two Zero maintenant alors que j’en avais terminĂ© la lecture une bonne semaine avant de commencer Ă  lire New York Vertigo  Ă©crit par Patrick Declerck, ouvrage dont j’ai dĂ©jĂ  parlĂ© hier Ă  ma maniĂšre.( RentrĂ©e des classes )

 

Les deux livres se recoupent sĂ»rement dans l’Histoire. Mais les deux hommes,  leurs intentions et leurs actions, diffĂšrent. On pourrait parler de Devoir pour le premier et de choix pour le second. Mais Andy McNab, comme tout hĂ©ros, a  la franchise pour lui. Patrick Declerck, aussi, est fait de franchise. Alors, on dira que l’on prendra pour modĂšle le hĂ©ros de sa prĂ©fĂ©rence si les conditions sont rĂ©unies :

 

D’un cĂŽtĂ©, Andy McNab, Militaire au sein du SAS lors de « la guerre du Golfe » (dĂ©butĂ©e en Aout 1990) contre Saddam Hussein. Officiellement, selon Georges Bush, le PrĂ©sident amĂ©ricain de l’époque, pour  » dĂ©fendre la dĂ©mocratie » ( le prĂ©texte de rechercher et d’Ă©liminer  » des armes de destruction massive » en Irak sera employĂ© en 2002)  alors que bien des occidentaux moyens avaient compris que le but Ă©tait au moins d’assurer aux pays occidentaux l’approvisionnement en pĂ©trole nĂ©cessaire Ă  leur suffisance et Ă  leur croissance.

De l’autre cĂŽtĂ©, Patrick Declerck, anthropologue et psychanalyste, longtemps connu pour son travail sur les SDF, et qui considĂšre que l’espĂšce humaine  » est pourrie ». 

 

Dans son livre, je ne me rappelle pas qu’Andy McNab nous dise en prĂ©ambule qu’il considĂšre l’espĂšce humaine comme  » pourrie ». Nous apprenons qu’il a Ă©tĂ© un enfant adoptĂ© et aussi que lorsque dĂ©bute son rĂ©cit, il a une trentaine d’annĂ©es et a divorcĂ© trois fois. Jill est sa nouvelle compagne et ils ont une fille.

 

Vu que j’ai « dĂ» Â» me rabattre sur un livre d’occasion dans sa version originale, en Anglais, parue en 1993, j’aurais Ă©tĂ© incapable de donner une explication prĂ©cise du SAS. MĂȘme si dĂšs le dĂ©but de son livre -trĂšs bien Ă©crit- oĂč Andy McNab nous raconte les prĂ©paratifs avant son dĂ©part en mission en Irak, il est Ă©vident que lui et « ses Â» 7 hommes sont beaucoup plus que des simples appelĂ©s que l’on envoie au front afin d’y effectuer leurs classes.

En 1990, en France, le service militaire Ă©tait encore obligatoire. Et, deux ans plus tard, lors de mes classes Ă  Beynes, dans un camp militaire semi-disciplinaire, tout appelĂ© avait la possibilitĂ© de s’engager afin d’aller prendre part Ă  la guerre en ex-Yougoslavie. La solde passait Ă  2000 francs par mois contre un peu plus de 500 francs pour l’appelĂ© ordinaire que j’étais. Personne, parmi les appelĂ©s qui effectuaient leur service militaire comme moi, ne s’était portĂ© volontaire. Nous ignorions tous l’affiche qui nous informait de cette possibilitĂ© quelque part prĂšs des douches collectives et froides en ce mois  de dĂ©cembre 1992. Cela avait fait ricaner un caporal : 

 

«  Personne ne veut partir en Bosnie ?! Â».

 

 

SAS ou Special Air Service signifie Forces spĂ©ciales des forces armĂ©es britanniques (source WikipĂ©dia). Je m’y connais mal dans les diffĂ©rentes catĂ©gories d’armĂ©es mais pour avoir lu Bravo Two Zero et vu quelques films, je dirais qu’Andy McNab et « ses Â» 7 hommes sont bien chacun des Ă©quivalents de James Bond ou de Jason Bourne. Et davantage des Jason Bourne pour le cĂŽtĂ© rĂ©aliste comme pour, autant que possible, le fait de s’appliquer au maximum, Ă  se fondre dans le dĂ©cor et Ă  ne pas laisser trop de traces de son passage. 

Si le personnage de Jason Bourne a des problĂšmes de mĂ©moire et est poursuivi par son passĂ© et son identitĂ© qu’il reconstitue avec le feu des affrontements, la mĂ©moire fait dĂšs le dĂ©part partie des armes et des stratĂ©gies de combat d’Andy McNab et de ses hommes pour cette mission en Irak qu’ils prĂ©parent avec autant de minutie que l’on manipule un explosif. D’autant que le but de leur mission est d’aller dĂ©truire des rampes de lancement de missiles SCUD irakiens dirigĂ©s vers des cibles stratĂ©giques israĂ©liennes.

 

Je parle des personnages de James Bond et de Jason Bourne pour que la lectrice ou le lecteur qui lira cet article puisse facilement situer le niveau poussĂ© de formation militaire- l’élite- d’Andy McNab et de ses hommes. Mais il est possible que je sois encore  loin de la vĂ©ritĂ© en matiĂšre de rĂ©alisme :

 

Dans Bravo Two Zero, Ă  plusieurs reprises, Andy McNab nous explique avec pĂ©dagogie que, souvent, au cinĂ©ma, on voit telle action de combat se dĂ©rouler d’une certaine façon, tout en « finesse Â» en quelque sorte. Alors que dans les faits, cela se passe trĂšs diffĂ©remment. Et il nous explique trĂšs bien les faits. Tant d’un point de vue des prĂ©paratifs, de l’adaptation au terrain de la mission, de la fuite, puis lors de la pĂ©riode de captivitĂ© et de tortures par l’armĂ©e irakienne jusqu’à la fin de cette pĂ©riode de captivitĂ©. AprĂšs cette mission racontĂ©e dans Bravo Two Zero, Andy McNab a rĂ©alisĂ© d’autres missions militaires. Depuis, il a raccrochĂ© et est devenu, Ă  ce que j’ai pu lire, un auteur reconnu. Et je le crois facilement aprĂšs avoir lu ce premier ouvrage de lui qui combine connaissance pratique et tactique du terrain, maitrise de la psychologie de combat, trĂšs bonne connaissance des armes, mais aussi de la physiologie du corps humain. Humour et qualitĂ© d’écriture sont aussi de la partie. Il y a donc plein d’atouts dans son rĂ©cit.

 

Ma mauvaise conscience concernant le contenu de Bravo Two Zero  vient du fait qu’avec Andy McNab nous sommes, Ă  nouveau, du cĂŽtĂ© des occidentaux et des vainqueurs dans cette guerre du Golfe. Bien-sĂ»r, Saddam Hussein Ă©tait un dictateur. Et, oui, il faut bien des hommes comme Andy McNab pour faire la guerre et la « gagner Â». Et, oui, devant ce que nous raconte Andy McNab des sĂ©ances de torture rĂ©pĂ©tĂ©es qu’il a subis et du comportement de plusieurs de ses tortionnaires, notre empathie lui est trĂšs vite acquise. Et, Ă  la façon d’un Patrick Declerck qui, dans New York Vertigo, se demande, lui qui s’estime si lĂąche et si mou, ce qu’il aurait fait le 22 dĂ©cembre 2001 lors du vol Paris-Miami face au terroriste Richard Reid, je me pose Ă©videmment la mĂȘme question tant face au terroriste Richard Reid ( finalement, une hĂŽtesse qui l’avait repĂ©rĂ© prend l’initiative de lui sauter dessus puis d’autres personnes se joignent Ă  elle pour le maitriser) qu’à la place d’Andy McNab et de ses hommes.

 

«  Mais en de semblables circonstances, qu’aurais-je fait moi ? VoilĂ  ce Ă  quoi je pense, assis dans mon fauteuil pour schtroumpfs ? Â» se demande Patrick Declerck, anthropologue, psychanalyste et Ă©crivain, en 2012 ( page 45, de New York Vertigo).

 

 

Ma mauvaise conscience devant Bravo Two Zero provient du fait, qu’évidemment, j’aurais Ă©tĂ© incapable de partir volontairement en mission comme Andy McNab. Si j’en avais Ă©tĂ© capable ou si je l’avais souhaitĂ©, je me serais engagĂ© pour partir « faire la guerre Â» en Bosnie fin 1992.

MalgrĂ© mon attachement Ă  l’effort sportif, contrairement Ă  un Patrick Declerck me semble-t’il, je m’entraĂźne Ă  me rĂ©signer ce constat : les groupes et les troupes d’élite, que ce soit dans les armĂ©es, dans le civil, dans les forces de police du monde entier ou dans le privĂ©, sont gĂ©nĂ©ralement constituĂ©s par des individus ( femmes, hommes comme animaux) aux capacitĂ©s physiques et mentales hors-normes donc durement sĂ©lectionnĂ©s. Et durement formĂ©s. MĂȘme des personnes volontaires pour ce genre de vie et d’action Ă©chouent en cours de formation ou  parfois y dĂ©cĂšdent. J-Pierre Roybon en parle un peu dans son livre Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel. ( Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel ).

 

 

Pour ces quelques raisons, critiquer depuis mon salon l’engagement militaire et personnel d’un Andy McNab, de ses hommes et de toutes celles et ceux qui leur ressemblent de par le monde me donne mauvaise conscience :

 

Je devrais soit me contenter de les remercier. Soit me taire. Ou les deux en mĂȘme temps si c’est possible. Parce que ces hommes – et ces femmes- militaires, des forces de police, prennent des risques et meurent afin que je puisse tranquillement continuer ma petite vie civile et seulement me prĂ©occuper de l’heure Ă  laquelle mon bus ou mon train va arriver et si je vais pouvoir y trouver une place assise. Tandis que dans d’autres pays, c’est souvent la guerre, et les civils rasent les murs et les frontiĂšres, afin d’essayer de trouver une vie meilleure et plus calme, comme en France, dans d’autres pays occidentaux ou ailleurs.  

 

Sauf que des Irakiens civils comme militaires auxquels les occidentaux ont dĂ©cidĂ© de faire la guerre en 1990 rappellent eux aussi dans le livre d’Andy McNab qu’ils en ont assez que les occidentaux viennent leur voler leurs matiĂšres premiĂšres telles que le pĂ©trole. Qu’ils en ont assez que les occidentaux tuent leurs femmes et leurs enfants lorsqu’ils refusent cette relation post coloniale qui leur est imposĂ©e. Et que Saddam Hussein, leur grand leader ou leur grand guide, va les sauver et redonner de la Grandeur Ă  leur vie et Ă  leur pays. En France, on a un parti politique et une pensĂ©e intellectuelle, tendance extrĂȘme droite, qui a grosso modo les mĂȘmes propos depuis une bonne dizaine d’annĂ©es ou davantage. Et les reprĂ©sentants de l’un comme l’autre passent facilement Ă  la tĂ©lĂ© comme Ă  la radio et sont bien rĂ©munĂ©rĂ©s. Leurs livres, lorsqu’ils paraissent, se vendent plutĂŽt bien et bĂ©nĂ©ficient d’une promotion plutĂŽt favorable. Leurs armes de destruction massive sont leur prĂ©sence permanente qui « veille » sur nos consciences ou rĂŽde autour d’elles:

Par les patrouilles de leurs paroles, de leurs slogans, de leur image, de leur pouvoir intellectuel, politique et Ă©conomique avec lesquels s’arrangent certains mĂ©dia, les autres classes politiques, d’autres personnes de pouvoir. Et ça passe. On vit et mange avec ça. On grandit avec ça. On Ă©lĂšve nos enfants avec ça. Nous nous faisons coloniser mentalement par ces façons de penser. Lentement et sĂ»rement.

Et on continue de pointer exclusivement du doigt les gens d’ailleurs, et celles et ceux qui, Ă  nos yeux,  leur « ressemblent Â» car tout est de leur faute. Ils seraient apparus sur Terre tout seuls un beau jour :  Saddam Hussein, Khadafi, Ben Laden, leurs semblables,  l’intĂ©grisme islamiste, les terroristes islamistes qu’il faut tous Ă©liminer.

 

 Â«  Those pieces of shit ! Â» comme le dit Patrick Declerck dans New York Vertigo Ă  une femme flic Ă  la « poitrine ballon Â» qui aurait fait rĂȘver le rĂ©alisateur Russ Meyer ( rĂ©alisateur pour lequel, j’ai aussi une grande sympathie lorsque je pense Ă  ses films tels que Vixen ou Super Vixen par exemple).

Et la femme flic Ă  la poitrine-ballon, le jour de la commĂ©moration du 11 septembre 2001, en septembre 2012,  rĂ©pond Ă  Patrick Declerck : « Oh Yeah ! Â».

Je comprends l’émotion de Patrick Declerck le jour de cette commĂ©moration en 2012 surtout en prĂ©sence de cette femme flic Ă  la « poitrine ballon Â». Un an plus tĂŽt, mais en octobre, je m’étais par hasard retrouvĂ© au mĂȘme endroit. Et, subitement, toutes ces images que j’avais vues en boucle Ă  la tĂ©lĂ© le 11 septembre 2001- j’étais au travail dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč je travaillais alors dans les Yvelines- m’ont « parlĂ© Â».

J’ai « entendu Â» les cris de certaines de ces personnes qui s’étaient jetĂ©es dans le vide et dont Patrick Declerck sait trĂšs bien parler dans son New York Vertigo. C’étaient Ă©videmment des cris fantĂŽmes.

Durant mon enfance et mon adolescence, moi, le jeune antillais occidentalisĂ© et influencĂ© par la culture amĂ©ricaine dĂšs sa naissance, j’avais idĂ©alisĂ© la ville de New-York puis m’en Ă©tais Ă©loignĂ©. Et lorsque je la dĂ©couvrais vĂ©ritablement en 2011, Ă  43 ans, avec celle qui, originaire de l’üle de la RĂ©union, allait devenir ma femme, c’était plusieurs annĂ©es aprĂšs le 11 septembre 2001. AprĂšs l’ouragan Katrina Ă  la Nouvelle OrlĂ©ans. AprĂšs avoir connu, en 1990 en pleine guerre du Golfe, mon premier contrĂŽle d’identitĂ© au faciĂšs Ă  la DĂ©fense, quartier oĂč j’avais collectĂ© des bons souvenirs depuis mon enfance jusqu’Ă   mon adolescence.  Si la couleur des souvenirs n’Ă©tait pas contrĂŽlĂ©e pendant la Guerre du Golfe, celle de ma peau l’a Ă©tĂ©. Peut-ĂȘtre aussi parce-que j’avais eu le tort vraisemblable d’ĂȘtre vĂȘtu d’un survĂȘtement.

 La femme d’environ une trentaine d’annĂ©es,  blanche, vĂȘtue d’un tailleur, chaussĂ©e de talons aiguilles, qui sortait comme moi du RER A Ă  la DĂ©fense, et me prĂ©cĂ©dait d’Ă  peine deux mĂštres avait pu prendre l’escalator. Elle avait pu s’élever vers la surface sans supporter le moindre contrĂŽle d’identitĂ© et peut-ĂȘtre, aussi, sans mĂȘme soupçonner mon existence derriĂšre elle. 

 

 

Peut-ĂȘtre que sans la Guerre du Golfe que raconte trĂšs bien Andy McNab dans son Bravo Two Zero et d’autres guerres importĂ©es par l’occident au Moyen-Orient et dans d’autres rĂ©gions du monde au vingtiĂšme siĂšcle mais aussi lors des siĂšcles prĂ©cĂ©dents, Patrick Declerck n’aurait pas Ă©crit son New York Vertigo.  Mais il y aurait eu d’autres guerres. Pour Andy McNab et ses hommes, et tous les autres qui leur ressemblent, cela n’aurait rien changĂ©. Ils y seraient allĂ©s. Parce qu’ils ont besoin de ces guerres :

Stan, originaire d’Afrique du Sud, un des « hommes Â» d’Andy McNab, Ă©tait au dĂ©part Ă©tudiant en mĂ©decine. Il a mis un terme Ă  sa carriĂšre mĂ©dicale pour s’enrĂŽler dans le SAS.  

 

Dans Bravo Two Zero, Andy McNab peut bien rappeler que le Saddam Hussein idĂ©alisĂ© par plusieurs de ses tortionnaires est celui qui a fait gazer des enfants iraniens, Ă  mon avis, il aurait de toute façon Ă©tĂ© volontaire pour sa mission en Irak mĂȘme sans ça. Parce qu’il est des ĂȘtres humains « faits Â» pour la guerre militaire. Pour tuer. MĂȘme si McNab justifie son engagement militaire en Ă©crivant Ă  deux ou trois reprises qu’il est « payĂ© pour ça Â». Personne ne le paie, Ă  la fin de Bravo Two Zero, pour nous apprendre que lui et ses 7 hommes ont abattu «  250 personnes Â» au cours de cette mission.

On est Ă©videmment de son cĂŽtĂ© et du cĂŽtĂ© de ses hommes- et des autres soldats occidentaux- lorsqu’ils se font torturer (sur le sujet des tortures, Bravo Two Zero, se dĂ©roule sur une bonne centaine de pages) et humilier par des militaires irakiens. On peut aussi s’étonner du grand nombre de soldats irakiens prĂ©sents lors de ces sĂ©ances de torture et les voir comme des espĂšces de planquĂ©s trĂšs contents de leur avantage militaire sur leurs prisonniers dĂ©sarmĂ©s, diminuĂ©s, en infĂ©rioritĂ© numĂ©rique et blessĂ©s. Mais Ă  part lorsqu’un soldat irakien  s’en prend  Ă  Andy McNab, aprĂšs la perte de son fils, celui-ci n’exprime aucune empathie pour les hommes, les femmes et les enfants irakiens qui ont subi cette guerre du Golfe. Donc, pour moi, autant que hĂ©ros, Andy McNab, est aussi un psychopathe comme cela peut ĂȘtre compris grossiĂšrement : seuls comptent son camp, sa vision, sa tribu. Sa mission. Les siens. Ses prioritĂ©s. Par certains aspects, il me fait penser au personnage incarnĂ© par Sean Penn dans le film Mystic River rĂ©alisĂ© en 2003 par Clint Eastwood ( un trĂšs bon film Ă  propos duquel j’Ă©crirai peut-ĂȘtre un jour).

Evidemment, c’est parce-qu’il est celui qu’il est qu’Andy McNab a Ă©tĂ© un trĂšs bon soldat et un hĂ©ros et, encore mieux, un survivant. Evidemment, en cas de conflit, d’agression, ou dans un environnement hostile et inconnu,  il vaut mieux ĂȘtre avec un Andy McNab qu’avec un bisounours ou un binoclard intellectuel prĂ©tentieux comme moi qui sera tĂ©tanisĂ©, invalide, et demandera trĂšs vite oĂč se trouvent le coin toilettes et aussi quand le film se termine.

 

Mais il est donnĂ© Ă  une minoritĂ© de personnes de compter parmi ses proches un Andy McNab ou de pouvoir, le moment venu, lui ressembler. C’est autant une mauvaise nouvelle qu’une bonne nouvelle. Le Ying et le Yang. Ni tout noir ni tout blanc. Avant d’y ĂȘtre, personne ne peut vĂ©ritablement savoir de quoi il est vĂ©ritablement fait et de quoi il est capable. Et combien de temps. Femme, homme. Adolescent(e) ou enfant.

 

Surtout, qu’un des autres points forts de Bravo Two Zero, malgrĂ© mes rĂ©serves, est qu’Andy McNab ne roule pas des mĂ©caniques. Lorsqu’il a peur, il l’écrit sans rĂ©serve. Et cela arrive plus d’une fois lors de la pĂ©riode des tortures. «  Fear was everything Â». Lorsqu’il doute, il l’écrit aussi de bout en bout. Pour cela aussi, son ton trancherait avec le rĂ©cit de Chris Ryan, un de « ses Â» hommes lors de cette mission. Je n’ai pas encore lu le rĂ©cit de Chris Ryan. Je lirai d’autres livres d’Andy McNab. Avoir lu Bravo Two Zero en Anglais, malgrĂ© mes limites linguistiques par moments, a sĂ»rement Ă©tĂ© un plus.

 

Franck Unimon, ce mardi 7 janvier 2020. 

 

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Rentrée des classes

 

                                                    RentrĂ©e des classes

La rentrĂ©e des classes s’est bien passĂ©e ce matin. Il y avait du givre sur le pare-brise de certaines voitures. Il faisait plus froid que ce Ă  quoi je m’attendais.

 

Nous sommes arrivĂ©s avec environ cinq minutes d’avance. D’autres parents, une majoritĂ© de mamans, Ă©taient dĂ©jĂ  prĂ©sents.

 

HĂ©bĂ©tĂ© devant l’école, et sĂ»rement aussi par mes pensĂ©es alors que je regardais ma fille s’éloigner dans la cour, je n’ai pas tout de suite entendu lorsque la maman d’une des copines de ma fille m’a saluĂ© et souhaitĂ© «  Bonne annĂ©e ! Â». La petite Ă©tait Ă©galement lĂ , souriante. J’ai remerciĂ© la maman et lui ai aussi adressĂ© les mĂȘmes vƓux. J’avais oubliĂ© ce rituel social auquel je suis pourtant attachĂ©.

 

C’est Ă©galement par surprise que la maitresse de ma fille m’a en quelque sorte adressĂ© ses meilleurs vƓux. Je voulais juste lui dire bonjour et, comme elle avait eu quelques mots pour ma fille venue Ă  sa rencontre, m’assurer que tout allait bien. Et puis, devant moi, avec son sourire et son attention amplifiĂ©es, Ă  en ĂȘtre illuminĂ©e, j’ai compris que mes quelques mots de politesse Ă©taient pour elle une extraordinaire source d’encouragement et de sympathie. C’était le premier jour de la rentrĂ©e des classes, ce lundi 6 janvier 2020, aprĂšs les vacances de NoĂ«l, et, dĂ©jĂ , par son attitude, la maitresse de ma fille signalait qu’elle Ă©tait prĂ©sente au poste et prĂȘte Ă  repartir Ă  l’assaut de l’enseignement avec le sourire. Quelles que soient les difficultĂ©s ! Quel que soit le mal infligĂ© et refait Ă  l’école publique !

 

Je me suis tu. Je me suis contentĂ© d’acquiescer en souriant. Et de partir. En rentrant, j’ai retrouvĂ© la longue file de voitures qui attendait au feu rouge en bas de chez nous. Et j’ai vu filer sur la gauche vers le feu, en short, casque et sac Ă  dos, sur son vĂ©lo, un homme noir qui partait sans doute au travail.

 

 

J’avais prĂ©vu d’écrire la troisiĂšme partie ( CrĂ©dibilitĂ© 2 )  de CrĂ©dibilitĂ© : A L’assaut des PyrĂ©nĂ©es   tout en me demandant si cela aurait un intĂ©rĂȘt particulier pour d’autres. Il a suffi de cette rentrĂ©e de classe de tout Ă  l’heure pour que j’opte de parler d’abord du livre New York Vertigo  de Patrick Declerck que j’ai pris le temps de terminer hier soir avant de me coucher.

Ce qui venait de se passer en ramenant ma fille Ă  l’école m’avait peut-ĂȘtre donnĂ© ma rĂ©ponse devant son pessimisme envers l’HumanitĂ© ( «  L’espĂšce est pourrie Â») qu’il justifiait- Ă  nouveau- simplement et magistralement dans les 120 petites pages de son dernier ouvrage Ă  ce jour.

 

 

 

Avant de lire New York Vertigo  paru en 2018 que j’avais achetĂ© sans doute Ă  sa sortie, j’avais lu quelques commentaires sur le net sur plusieurs de ses livres. Le dithyrambe cĂŽtoyait le sarcasme et la menace fantĂŽme.

 

 

Patrick Declerck fait partie des personnalitĂ©s que j’ai trĂšs vite pensĂ© interviewer pour mon blog balistiqueduquotidien.com. Mais je me suis aussi rapidement dit qu’avant d’essayer de le faire, qu’il faudrait d’abord que mon blog ait du fond. Et, du fond, pour moi, cela peut-ĂȘtre autant bien Ă©tudier l’Ɠuvre et la vie de la personne que l’on souhaite interviewer que, soi-mĂȘme, poser sur la table une partie de son bagage personnel qui va donner envie Ă  la personne interviewĂ©(e) de nous rencontrer et de se livrer. Beaucoup trop d’interviews voire de rencontres se rĂ©sument Ă  un Ă©change de balles de ping-pong, oĂč, d’un cĂŽtĂ©, une personne rĂ©pond Ă  des  demandes et Ă  des sollicitations formulĂ©es par des centaines ou des milliers d’anonymes, qui, dans les grandes lignes, malgrĂ© toute leur sincĂ©ritĂ© et leurs efforts d’originalitĂ©, restent des stĂ©rĂ©otypes. Cet Ă©change, plutĂŽt qu’une rencontre, se limite donc souvent Ă  une fonction promotionnelle. Si toute campagne de promotion compte pour la rĂ©ussite de nos projets (pour ĂȘtre embauchĂ© quelque part ou pour aborder et sĂ©duire une personne qui nous plait, il faut bien d’abord commencer par rĂ©ussir sa promotion personnelle) les vĂ©ritables rencontres, pour s’établir, et durer, ont besoin de plus que des compliments, des promesses et des sourires.  Mais, bien-sĂ»r, tout est affaire de moment, de tempĂ©rament et de prioritĂ© : certaines personnes prĂ©fĂšrent privilĂ©gier, en toutes circonstances, leur promotion et leur satisfaction personnelle. D’autres, peut-ĂȘtre par ignorance ou par faiblesse, vont chercher Ă  bĂątir des rencontres. Y compris, parfois, dans les pires conditions.

 

 

Patrick Declerck avait pu faire « parler Â» de lui en 2001 avec son livre Les NaufragĂ©s de la terre- avec les clochards de Paris. Psychanalyste et anthropologue, il consacrait alors une grosse partie de son temps Ă  la question des SDF. Il a Ă©crit d’autres livres :

Garanti sans moraline, Socrate dans la nuit, ou CrĂąne sur son intervention chirurgicale, alors qu’il Ă©tait Ă©veillĂ©, pour exfiltrer une tumeur.

 

New York Vertigo est le seul livre que j’ai lu de lui. Les NaufragĂ©s de la terre et Garanti sans moraline sont pourtant dans ma bibliothĂšque depuis des annĂ©es. Plus de dix ans en ce qui concerne son livre Les NaufragĂ©s de la terre. Depuis, sur le sujet des SDF, un mĂ©decin-psychiatre spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions m’a conseillĂ© l’ouvrage De la prĂ©caritĂ© sociale Ă  l’auto-exclusion : une confĂ©rence debat Ă©crit par Jean Furtos. Je l’ai aussi achetĂ© mais je ne l’ai pas encore lu.

 

 

«  C’est trop tard ! Â» avait dit Patrick Declerck. 

 

 

Ce jour-lĂ , Patrick Declerck, grand et massif, avait mis dans le magnĂ©toscope une cassette VHS. Sur le tĂ©lĂ©viseur, avec lui, nous avions dĂ©couvert un entretien. Un SDF Ă©tait interviewĂ© par quelqu’un. SitĂŽt l’interview lancĂ©e, Patrick Declerck s’était installĂ© par terre, devant le tĂ©lĂ©viseur, nous tournant pratiquement le dos. DĂ©jĂ  crĂąne rasĂ©, Il portait un long manteau en laine Ă©paisse de couleur sombre. Sortant un calepin, il avait commencĂ© Ă  prendre des notes. C’était la premiĂšre fois que je voyais ça. C’était sĂ»rement la premiĂšre fois que nous voyions, tous, quel que soit notre Ăąge un des intervenants venant nous faire cours avoir ce genre de comportement. Ordinairement, tous les autres intervenants nous faisaient cours en nous faisant face. La plupart du temps, assis sur une chaise ou debout.

 

C’était il y a trente ans. Peut-ĂȘtre un peu plus. Et nous Ă©tions une vingtaine d’élĂšves-infirmiers (ĂągĂ©s de 18-19 ans Ă  30 ans) avec lui dans la salle de cours de l’hĂŽpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre et qui Ă©tait une ancienne prison pour femmes Ă  ce que m’avait dit ma mĂšre. La Maison de Nanterre, oĂč ma mĂšre et deux de mes tantes ont travaillĂ© comme femmes de mĂ©nage (ASH) puis comme aides-soignantes, a longtemps Ă©tĂ© sous la tutelle de la PrĂ©fecture de Paris. Je l’ai connue dĂšs mon enfance avec ses SDF stationnĂ©s Ă  l’arrĂȘt du bus 304 mais aussi avec ses SDF devenus « rĂ©sidents Â» permanents Ă  l’hĂŽpital. Avec son pain qui Ă©tait fait sur place et auquel nous avions droit pendant des annĂ©es alors que ma mĂšre y travaillait.

 

 

«  C’est trop tard ! Â».

 

 

 

C’était trop tard selon Patrick Declerck parce-que l’intervieweur avait trop attendu pour poser au SDF la bonne question.

 

Il me reste peu de souvenirs du contenu du cours de Patrick Declerck. Je crois l’avoir recroisĂ© ensuite, ou avant,  lors de mon stage de quelques semaines au CASH dirigĂ© alors par le Dr Patrick Henry et qui proposait des soins, une consultation sociale et un hĂ©bergement aux SDF qui le souhaitaient. Je me rappelle que la majoritĂ© des SDF rencontrĂ©s, transportĂ©s depuis Paris dans des bus de la RATP, prĂ©fĂ©raient retourner Ă  la rue. Et aussi que l’un d’entre eux qui portait des lunettes, d’origine vietnamienne pour moitiĂ©, avait Ă  son poignet une montre Ă  aiguilles de grande valeur. Cet homme « prĂ©sentait Â» plutĂŽt bien. Il n’avait rien du pochtron ambulant. Il n’était pas- encore- marquĂ© physiquement par l’alcool ou par la vie dans la rue. J’avais alors entre 19 et 21 ans et avant ces Ă©tudes d’infirmier, je venais du lycĂ©e, Bac B, option Economie.  

 

 

Maintenant, et, depuis des annĂ©es, pour Patrick Declerck, «  l’espĂšce (humaine) est pourrie Â». Il ne parle pas des SDF. Je sais qu’il a Ă©crit «  Je les hais autant que je les aime Â». Je sais aussi qu’il dit prĂ©fĂ©rer leur proximitĂ© et celle de bien des marginaux Ă  celle de tant de personnes bien propres sur elles. Son humour noir Ă  la Cioran ou Ă  la Pierre Desproges est une carie morale pour d’autres. Trop de pessimisme et de cynisme dĂ©priment et dĂ©couragent. La princesse LeĂŻa le rappelle dans le dernier Star Wars Ă©pisode IX : l’Ascension de Skylwalker de J.J Abrams, film oĂč mon passage prĂ©fĂ©rĂ© est celui sur l’étoile morte.

Bien des survivalistes affirmeront sĂ»rement aussi que pour s’en sortir, garder le moral fait partie des conditions nĂ©cessaires. Par l’humour, par l’art, par toute activitĂ© et rĂ©crĂ©ation morale, intellectuelle, spirituelle ou physique qui permet de maintenir tout Ă©lan vital et toute forme d’espoir.

Mais avec son aplomb, son expĂ©rience de professionnel de terrain underground et sa culture de phacochĂšre, les arguments de Patrick Declerck nous encornent plusieurs fois. Et, Ă  ce jour, je ne connais pas de matador, qui, dans l’arĂšne ou dans la jungle, se soit prĂ©sentĂ© face Ă  un rhinocĂ©ros.

 

 

La Religion ? «  Une illusion pleine d’avenir Â» selon Freud, son maitre Ă  penser. Et dans son New York Vertigo, Patrick Declerck, Ă  travers le 11 septembre 2001, nous reparle, prĂ©cisĂ©ment et techniquement, voire de façon balistique, des attentats islamistes.

De mon cĂŽtĂ©, mĂȘme s’il est parfaitement autonome, je peux l’aider question religion en tant qu «  illusion pleine d’avenir Â».

Ce week-end, alors que j’écrivais CrĂ©dibilitĂ© 2,  ma compagne m’a appris « l’histoire Â» de « Madame Desbassayns Â» ou Marie Anne ThĂ©rĂšse Ombline Desbassayns nĂ©e Gonneau-Montbrun de l’üle de la RĂ©union.

 

Riche hĂ©ritiĂšre, cette demoiselle Gonneau-Montbrun, en devenant la femme de « Monsieur Desbassayns Â», est ensuite devenue, une fois veuve, «  une grande propriĂ©taire fonciĂšre de l’üle de la RĂ©union Â». GrĂące aussi Ă  ses esclaves.

 

Selon le site wikipédia, on peut lire que son image est controversée à la Réunion.

Elle aurait Ă©tĂ© une fĂ©roce esclavagiste. Pourtant «  DĂšs le XIXĂšme siĂšcle, ses invitĂ©s et ses proches politiques la couvrent d’éloges. Le gouverneur Milius la surnomme mĂȘme «  la seconde providence Â». Et, toujours sur le site wikipĂ©dia, on peut lire que «  Madame Desbassayns Â» Ă©tait «  d’une ferveur religieuse intense Â».  Mais aussi qu’elle a connu le privilĂšge supplĂ©mentaire de dĂ©cĂ©der (Ă  91 ans !) deux ans avant l’abolition de l’esclavage Ă  la RĂ©union ainsi qu’aux Antilles. En lisant ça, comme Patrick Declerck, je me suis aussi dit que «  la religion est une illusion pleine d’avenir Â» et que «  l’espĂšce (humaine) est pourrie Â».

 

Je crois que la religion ou internet sont, j’allais dire, de trĂšs bonnes inventions. Et que la science, aussi, permet de trĂšs bonnes inventions. Mais qu’ensuite, malheureusement, ça tourne mal car ce qui fait la diffĂ©rence, c’est ce que l’on en fait. Ce qui fait la diffĂ©rence, c’est nos intentions lorsque l’on dispose de tels instruments de pouvoir et de contrĂŽle.

 

 

«  Pouvoir et contrĂŽle Â» sont les deux carburants, les deux aimants, du tueur en sĂ©rie m’avait en quelque sorte rĂ©sumĂ© un jour StĂ©phane Bourgoin, spĂ©cialiste des tueurs en sĂ©rie. Mais, contrairement Ă  des chefs religieux, Ă  des industriels ou Ă  des hommes politiques, les tueurs en sĂ©rie sont gĂ©nĂ©ralement privĂ©s de projets pour le monde et la sociĂ©tĂ©. Pour ce que j’ai compris des tueurs en sĂ©rie, leur prioritĂ© est leur « petite Â» entreprise de destruction qui a dĂ©jĂ  suffisamment de rĂ©percussions douloureuses sur leurs victimes et leurs proches.

 

Les chefs religieux, les industriels et les hommes politiques, eux, prĂ©voient leurs projets sur une grande Ă©chelle : une Ă©chelle de masse. Et ça marche. Ça a marchĂ© et ça marchera encore, nous affirme Patrick Declerck dans son New York Vertigo. Et on est obligĂ© de le croire. Car on « sait Â» qu’il a des arguments. Et les quelques uns dont il nous fait l’obole dans son livre sont intraitables et incurables.

 

Patrick Declerck, homme de connaissances autant que d’expĂ©riences de l’ĂȘtre humain, me fait penser Ă  des personnalitĂ©s comme les avocats Jacques Verges (qui Ă©tait rĂ©unionnais) et Eric Dupont-Moretti. Des personnes qui, Ă  un moment de leur vie, me donnent l’impression d’avoir vĂ©cu l’expĂ©rience «  de trop Â» qui les a dĂ©routĂ©s de maniĂšre dĂ©finitive de certaines illusions concernant l’espĂšce humaine. Peut-ĂȘtre que mes comparaisons sont mauvaises et que cela me sera reprochĂ© par les deux vivants qui restent (Declerck et Dupont-Moretti) par leurs dĂ©tracteurs, par leurs proches ou  leurs admirateurs.

 

« L’espĂšce humaine est pourrie Â». Et, pourtant, j’aimerais savoir, si un jour je rencontre Patrick Declerck et Eric Dupont-Moretti, ce qui les maintient encore en vie. Et dans le plaisir. J’imagine facilement Patrick Declerck me rĂ©pondre laconiquement qu’il lui manque tout simplement le courage de se suicider. Ou qu’il cultive une sorte de lĂ©thargie et de jouissance morbide, sorte de protubĂ©rance parallĂšle Ă  sa conscience, Ă  ĂȘtre tĂ©moin de cette Â« dĂ©bauche gĂ©nĂ©rale Â».

 

Et puis, j’ai emmenĂ© ma fille Ă  l’école tout Ă  l’heure. Puis, je suis revenu de l’école.

 

 

 

Dans New-York Vertigo, Patrick Declerck se moque aussi, Ă©tude clinique Ă  l’appui, du prĂ©sident amĂ©ricain actuel, Donald Trump et «  l’exhorte Â» Ă  appuyer sur le bouton rouge car il y aura bientĂŽt dix milliards d’ĂȘtres humains en 2050. Soit dix milliards de reprĂ©sentants de cette espĂšce, notre espĂšce, qui dĂ©truit la planĂšte, tue, viole, massacre.

 

L’humour du dĂ©sespoir.

 

Si Patrick Declerck avait Ă©crit son livre ce mois-ci, il aurait sĂ»rement parlĂ© de la fuite rĂ©cente, mĂ©prisable et cocasse du Japon de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, alors qu’il Ă©tait libĂ©rĂ© sous caution en attente de son jugement lĂ -bas. Pendant ce temps-lĂ , en France, le gouvernement Macron-Philippe manƓuvre pour dĂ©truire la rĂ©sistance sociale. Oui, «  l’espĂšce est pourrie Â».

 

 

Il y aura donc dix milliards d’ĂȘtres humains sur Terre en 2050. Et la Chine sera peut-ĂȘtre alors la PremiĂšre Puissance mondiale incontestĂ©e. Pour l’instant, les Etats-Unis sont encore cette PremiĂšre Puissance mondiale. S’il y a encore une Terre dans trente ans. S’il y a encore des ĂȘtres humains vivants sur Terre dans trente ans. Si je suis aussi obsĂ©dĂ© par la Chine depuis quelques temps, c’est parce-que j’ai perdu ce regard fascinĂ© et sentimental que je pouvais avoir avant sur la Chine et sa culture. Si la culture de la Chine existe bien-sĂ»r et est aussi admirable que bien d’autres cultures, je perçois aujourd’hui davantage ce que la Chine recĂšle comme capitalisme et rĂ©gime politique et social effrayants.

 

Pourtant, je crois ça : face Ă  ces horreurs dont est capable l’ĂȘtre humain, les enfants sont les champions du moment prĂ©sent. Nous, les adultes, Ă  force d’extrapoler, de penser au passĂ© et Ă  ce qui pourrait arriver de pire, nous en arrivons Ă  dĂ©truire notre propre prĂ©sent. Parce- que nous nous faisons dĂ©former et tabasser en permanence dĂšs notre enfance. Et mĂȘme avant. Parce-que c’est un combat titanesque que de sauvegarder, quotidiennement, une once d’enfance saine en soi et de lui Ă©viter la spĂ©culation financiĂšre et commerciale comme la benne Ă  ordures. Et qu’une fois adultes, il arrive que nous perdions ce combat titanesque. Aucun adulte ne peut s’exclamer, comme quelques rares boxeurs, qu’il compte uniquement des victoires dans son parcours personnel.

 

Et je crois aussi que si nous continuons Ă  vivre, Ă  faire des enfants, Ă  nous multiplier sur la Terre, malgrĂ© tous les signaux alarmants qui proviennent de nos propres comportements, c’est parce qu’il existe une raison- qui nous dĂ©passe- qui fait de nous des ĂȘtres douĂ©s pour la vie quelles que soient les conditions.

 

Ce qui est trĂšs difficile Ă  accepter pour l’ĂȘtre humain d’aujourd’hui, c’est le tri sĂ©lectif.

 

MalgrĂ© ou Ă  cause de toute sa science, de toute son Ă©rudition, de toutes ses solutions, l’ĂȘtre humain voudrait pouvoir dĂ©cider de tout et avoir le choix absolu. Or, il doit continuer d’apprendre que ses possibilitĂ©s de choix et de libertĂ©s restent fugaces, volatiles, imprĂ©cises et limitĂ©es.  Qu’il suffit parfois d’une rue, d’une dĂ©cimale, d’une seconde, d’une virgule, d’un regard, d’un mot, pour qu’un tri s’impose Ă  lui  violemment.

A ses choix,  Ă  sa vie ou Ă  celles et ceux de ses voisins et de ses proches. Et, cela,  selon des critĂšres pour lesquels, rien ni personne ne lui demandera son avis.  Notre vie moderne nous fait oublier constamment cet enseignement : nous sommes des corps soumis Ă  un tri plutĂŽt que des fantĂŽmes et cela a un prix.

 

Ce prix peut ĂȘtre insupportable. Car nous croyons en cette illusion que, forts de nos savoirs, de nos connaissances et de notre puissance, que nous pouvons dĂ©cider de ce prix ou le nĂ©gocier. Parce-que, d’une certaine façon, nous nous croyons Ă©ternels ou irremplaçables sur Terre. Et, ça, c’est aussi une sacrĂ©e illusion humaine pleine d’avenir. Contre ça, crier et pleurer peut peut-ĂȘtre soulager pendant quelques temps. Puis, il faudra vivre, si on le peut, parce-que c’est tout ce qui nous restera.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 6 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

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Une autre fin du monde est possible

 

 

 

 

 

 

 

  • Les revoilĂ  ! 

 

Il y a maintenant deux ou trois ans, la lecture de leur livre Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie Ă  l’usage des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes m’avait assommĂ©. Et puis, sous l’effet du dĂ©ni sans doute, la vie avait continuĂ©.

 

Mais les revoilĂ  avec un nouveau livre :

Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) et, cette fois, Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens sont rejoints par Gauthier Chapelle pour la rĂ©daction de ce livre. Et j’ai remis ça. J’ai Ă©galement lu cet ouvrage. Cela m’a pris plus d’un mois. Bien que ce livre puisse se lire en moins d’une semaine.

Tout autant fourni en bibliographies et rĂ©fĂ©rences diverses, Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous Ă  moins de vouloir prendre le risque de passer pour fou, parano, extrĂ©miste, sĂ©ropositif, nĂ©gatif, pessimiste ou pour celle ou celui qui a subitement pĂ©tĂ© plusieurs plombs ou plusieurs cĂąbles en mĂȘme temps. Le sujet a trĂšs mauvaise haleine et transmet des trĂšs trĂšs mauvaises vibrations. Et cela ne se perçoit peut-ĂȘtre pas dans mes articles mais, dans la vie, j’aime plutĂŽt rire et faire rire.

 

  • obĂ©ir

 

 

C’est vraisemblablement pour ces quelques raisons que depuis la fin de sa lecture il y a plusieurs jours maintenant, je me suis abstenu d’en parler. Et que je me suis lancĂ© dans la lecture de Leçons de danse, leçons de vie de Wayne Byars, un ouvrage plus rassurant et pourtant complĂ©mentaire avec le rĂ©cent ouvrage de Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chapelle.

Une autre fin du monde est possible est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous, lorsque vous vivez parmi des gens «normaux », mais qui vous rĂ©veille en pleine nuit pour Ă©crire Ă  son sujet. C’est ce qui est en train de m’arriver. Cela m’est bien sĂ»r arrivĂ© pour d’autres articles diffĂ©rents et plus joyeux, mais c’est ce qui m’arrive pour ce livre. Il est 4h35 et tout Ă  l’heure, ce livre m’a en quelque sorte dit ( oui, certains livres et certains mots me parlent) :

« Franck, le moment est arrivĂ© pour toi de parler de moi. C’est mon tour ! J’ai suffisamment attendu ». Et j’ai dĂ©cidĂ© d’obĂ©ir. 

 

  • Le SymptĂŽme Take Shelter

 

 

Le réalisateur Jeff Nichols, au festival de Cannes en 2011.

 

 

 

J’aimerais encore que ma façon de rĂ©agir Ă  la lecture de ce livre soit dĂ» au symptĂŽme Take Shelter, titre du film du rĂ©alisateur Jeff Nichols oĂč l’acteur Michael Shannon, pĂšre de famille et fils d’une schizophrĂšne, commence Ă  avoir des visions d’une catastrophe Ă  venir. Et, malgrĂ© la dĂ©sapprobation gĂ©nĂ©rale de la communautĂ© et l’incomprĂ©hension de sa femme (l’actrice Jessica Chastain), celui-ci dĂ©cide, en s’endettant, de construire un abri pour sa fille et sa femme.

Dans Take Shelter, il s’agit d’une catastrophe naturelle qui touche leur rĂ©gion ( au Texas, je crois) et non d’un effondrement mondial. Mais Ă  Cannes, alors que mon collĂšgue journaliste, Johan, et moi l’interviewions- je faisais l’interprĂšte- pour le magazine cinĂ©ma Brazil, Jeff Nichols nous avait expliquĂ© qu’en devenant pĂšre lui-mĂȘme, il avait commencĂ© Ă  percevoir le monde comme pouvant ĂȘtre particuliĂšrement menaçant.

Lorsque j’avais lu le prĂ©cĂ©dent ouvrage de Pablo Servigne et RaphaĂ«l Stevens Comment tout peut s’effondrer, j’étais moi-mĂȘme devenu pĂšre. Et les trois auteurs de Une autre fin du monde est possible prĂ©cisent aussi ĂȘtre malgrĂ© tout devenus pĂšres. L’ñge des enfants n’est pas prĂ©cisĂ© mais je suppose que nous parlons Ă  chaque fois d’enfants de moins de dix ans, soit un Ăąge oĂč, dans l’espĂšce humaine, les enfants sont particuliĂšrement vulnĂ©rables. Et leurs parents aussi sans doute. Cette prĂ©cision « psychologique » permettra peut-ĂȘtre de mieux faire comprendre mon Ă©tat d’esprit alors que j’écris sur cet ouvrage.

 

  • Nous sommes peut-ĂȘtre des oies

 

Pour le reste, selon Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chapelle, ainsi que pour d’autres (scientifiques, auteurs et militants
.), l’espĂšce humaine, en 2019, devant l’effondrement serait Ă  peu prĂšs Ă©quivalente Ă  celle de ces oies qui, la veille du repas de NoĂ«l, estimeraient que tout va pour le mieux car elles sont particuliĂšrement choyĂ©es. Ou Ă  ces proies et ces victimes qui, alors qu’elles se rendent Ă  un Ă©vĂ©nement heureux ou anodin, vivent peu aprĂšs une trĂšs mauvaise expĂ©rience qui se rĂ©vĂšlera dĂ©finitive ou traumatisante.

 

  • Plusieurs types de rĂ©actions d’oies

 

Devant de telles suggestions d’avenir que nos trois auteurs ( et d’autres) justifient largement, on a le choix entre plusieurs types de rĂ©actions :

DĂ©ni, colĂšre, dĂ©pression, renoncement, acceptation
.. et Pablo Servigne, RaphaĂ«l Stevens et Gauthier Chappelle le savent pour l’avoir vĂ©cu eux-mĂȘmes. Dans Comment tout peut s’effondrer, ils expliquaient par exemple que leurs relations avaient pu se tendre avec plusieurs de leurs proches.

Dans Une autre fin du monde est possible, ils évoquent un moment cette conséquence relationnelle et affective, page 264 :

« Qui n’a pas dĂ©jĂ  Ă©prouvĂ© des difficultĂ©s Ă  trouver oreille attentive lorsqu’il s’agit de parler d’un possible effondrement ? Lorsqu’on dĂ©couvre tout cela, surtout si c’est dans la solitude, le premier rĂ©flexe est de vouloir le partager rapidement avec des proches pour se sentir moins seul, ou parce qu’on les aime et qu’on estime que cette information est capitale pour leur sĂ©curitĂ©. Mais attention, lorsque les autres ne sont pas prĂȘts Ă  entendre (et c’est souvent le cas) les rĂ©actions sont souvent dĂ©sagrĂ©ables tout comme le sentiment de solitude et d’incomprĂ©hension qui peut en dĂ©couler. La premiĂšre chose Ă  faire est peut-ĂȘtre de prendre le temps d’intĂ©grer tout cela pour soi. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des proches sensibles Ă  cette thĂ©matique peuvent Ă©changer facilement Ă  travers les rĂ©seaux sociaux. Lire un article, un commentaire, un livre ou un documentaire sur un sujet que l’on croyait tabou, et en parler librement, redonne du baume au cƓur ».

 

  • Une oie tĂąte du doigt deux groupes d’entraide

 

J’ai lu et voulu que ce livre soit moins « bon » que le prĂ©cĂ©dent. A un moment, en allant voir deux des sites de groupes d’entraide qu’ils citent, je me suis dit qu’il y avait un cĂŽtĂ© sectaire tout de mĂȘme dans leur façon de rĂ©agir. Mais cela fait aussi partie du dĂ©ni de vouloir voir le mal et des sectes dĂšs qu’il s’agit de changer de comportement et de vision sur notre vie et sur le monde.

 

  • En coloc au colloque

 

RĂ©cemment, un spĂ©cialiste des addictions qui intervenait lors d’un colloque organisĂ© sur le thĂšme de « SpiritualitĂ© et addictions » m’a donnĂ© cette rĂ©ponse simple afin de faire la diffĂ©rence entre un groupe ou un lieu bienveillant et une secte ou un groupe jihadiste (ou extrĂ©miste) qui proposeraient leur « aide » :

 

Liberté, Gratuité et Charité.

 

  • Dans l’arrondissement de la brĂšche

 

Il peut en effet ĂȘtre difficile Ă  la fois de continuer de vivre sa vie en s’abstenant de raser les murs tout en se disant- en mĂȘme temps- que ce monde que nous voyons et que nous avons toujours connu- et construit mentalement- malgrĂ© ses apparences de perpĂ©tuitĂ© toute puissante, a en son foyer une brĂšche d’éphĂ©mĂšre et d’illusoire et que celle-ci grandit de jour en jour que l’on s’en aperçoive ou non. Pour moi, le suicide de Christine Renon, la directrice d’Ă©cole maternelle publique de Pantin dans le 93 rĂ©cemment, la dĂ©gradation des conditions de travail dans l’Ă©cole publique,  la dĂ©gradation continue des conditions de travail dans l’hĂŽpital public depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, la dĂ©gradation des conditions de travail dans la police font partie de l’effondrement. 

Servigne et Stevens l’avaient dĂ©jĂ  bien expliquĂ© dans Comment tout peut s’effondrer :

L’effondrement a dĂ©jĂ  commencĂ©. Que l’on parle du rĂ©chauffement climatique ou de la dĂ©tĂ©rioration de notre monde dans les domaines sociologiques, culturels, politiques, Ă©conomiques et militaires. Avant la grande catastrophe que tout le monde pourra « voir » Ă  l’Ɠil nu ou subir Ă©ventuellement, l’effondrement est avant tout une succession de disparitions, de dĂ©gradations et de tragĂ©dies dont on s’est accommodĂ© ou dont on s’accommode jour aprĂšs jour.

 

  • Les vers puissants

 

Les hommes politiques ( et j’écris « hommes » parce qu’à ce jour, hormis quelques exceptions, les principaux dirigeants politiques de notre monde sont et ont Ă©tĂ© des hommes) et les « Puissants » resteront sur la lancĂ©e de leur vision archaĂŻque du monde comme ils le font depuis des siĂšcles. Au mieux, ils rĂ©agiront dans l’urgence.

Servigne, Stevens et Chapelle nous expliquent ( aprĂšs d’autres sans doute) que «Les trente glorieuses » qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale et qui nous ont toujours Ă©tĂ© dĂ©crites comme une pĂ©riode de grande croissance Ă©conomique seront peut-ĂȘtre surnommĂ©es plus tard « Les trente affreuses » d’un point de vue Ă©cologique. Or, nous sommes toujours calĂ©s sur ce modĂšle de dĂ©veloppement Ă©conomique et industriel qui consiste Ă  asservir et exploiter la terre, les ĂȘtres (humains et non humains), leur vitalitĂ© et leur richesse comme si celles-ci Ă©taient illimitĂ©es et nĂ©gligeables et qu’elles pourraient ĂȘtre remplacĂ©es par des innovations technologiques ou Ă©ventuellement ĂȘtre retrouvĂ©es en abondance sur une autre planĂšte.

 

  • Compost de pommes et solutions

 

Dans Une autre fin du monde, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) Servigne, Stevens et Chapelle s’attachent à proposer des solutions.

 

Parmi elles, l’entraide, la solidaritĂ©, ĂȘtre dans l’art et dans la culture, le retour Ă  une certaine spiritualitĂ© mais aussi rĂ©apprendre Ă  vivre avec la nature et selon la nature.

Les trois auteurs nous rappellent comme nous sommes devenus des citadins forcenĂ©s de plus en plus connectĂ©s et, pourtant, nous sommes de plus en plus coupĂ©s de nous-mĂȘmes et des autres humains et non-humains.

On peut les trouver paradoxaux- peut-ĂȘtre afin de nous rassurer- comme ils peuvent Ă  la fois envisager le pire et dire qu’il y aura beaucoup de morts et de souffrance, Ă©voquer la possible Ă©mergence de bandes armĂ©es, et, en mĂȘme temps, donner l’impression , Ă  les lire, qu’en cas de catastrophe, il nous « suffira » de rester des personnes civilisĂ©es et de faire un travail sur nous-mĂȘmes pour nous en sortir. Alors que ce sera vraisemblablement, un « peu » la panique et la barbarie Ă  certains endroits :

 

  • Nomade’s land 

« L’avenir risque d’ĂȘtre en grande partie nomade » Ă©crivent-ils par exemple (page 264, encore apparemment).

 

  • Superbe parano orientĂ©e sud-ouest avec vue dĂ©gagĂ©e sur la mer, proche de toutes commoditĂ©s

 

RĂ©sumĂ© comme je viens de le faire, ce livre continuera peut-ĂȘtre de passer pour l’ouvrage rĂ©sultant d’un « complot » de survivalistes bobos permettant, il est vrai, l’essor lucratif d’une Ă©conomie de la survie au mĂȘme titre que le Bio, dĂ©sormais, est devenu une trĂšs bonne niche Ă©conomique- et un trĂšs bon investissement comme la fonte de la banquise- pour certains entrepreneurs, certains politiques, certains financiers et certains meneurs religieux ou sectaires. 

 

  • Les premiĂšres impressions…

 

On peut aussi rester sur l’impression premiĂšre qui consiste Ă  voir dans ces «histoires » d’effondrement l’expression d’une certaine parano affirmĂ©e qui ferait son coming out. La parano, on le sait, Ă©tant cette logique, qui, Ă  partir de certains faits rĂ©els, se confectionne et affectionne une seule vĂ©ritĂ©, la sienne, et repousse voire assujettit ou dĂ©truit sans pitiĂ© les autres vĂ©ritĂ©s.

Franck Unimon, ce vendredi 18 octobre 2019.

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La Peur a changé de camp 2Úme partie

 

 

 

La peur a changé de camp, un livre de Frédéric Ploquin paru en 2018.

 

« Ceux qui disent qu’ils n’ont pas peur sont des menteurs » a affirmĂ© l’ancien boxeur français, Fabrice BĂ©nichou, ancien champion du monde. Ces propos sont dans le documentaire Noble Art rĂ©alisĂ© en 2004 par Pascal Deux.

La vie de Fabrice Bénichou a aussi été faite de faillites personnelles et économiques tranchées par des dépressions, des tentatives de suicides, des hospitalisations, des addictions et par une interpellation par les forces de police.

Le film corĂ©en Le Gangster, le flic et l’assassin du rĂ©alisateur Kim Jee-Woon, en salles depuis ce 14 aout, nous montre trois mĂąles dominants, un Mafieux, un flic intrĂ©pide et un tueur en sĂ©rie dont la sĂ©crĂ©tion toute personnelle de testostĂ©rone et d’adrĂ©naline transforme diabĂšte, coma, blessures Ă  l’arme blanche, fractures, hĂ©morragies, fatigue, stress, empathie et peur en eau minĂ©rale facile Ă  avaler et Ă  Ă©liminer ensuite par les voies naturelles.

Dans Le Canard EnchaĂźnĂ© de ce mercredi 21 aout 2019, en premiĂšre page, on peut lire l’article Des chirurgiens dissĂšquent le LBD, qui relate la gravitĂ© des blessures causĂ©es par l’usage des balles de dĂ©fense (LBD) par les policiers :

« Fractures graves » ; « Les mĂȘmes blessures que l’on retrouve chez des individus qui se font frapper Ă  coups de batte de base-ball » ; « L’impact est si fort qu’il est comparable au coup de poing d’un boxeur professionnel ».

Des manifestants participant au mouvement des gilets jaunes ont été blessés par ces balles de défense.

L’auteur de l’article, S. Chalandon, grand reporter, Ă©crivain, a entre-autres rĂ©alisĂ© des reportages dans des zones de « conflit » en Irlande du Nord ainsi qu’au Liban. Il est citĂ© dans le livre Sans Blessures apparentes ( Sans Blessures Apparentes ) ainsi que dans le documentaire du mĂȘme nom du grand reporter Jean-Paul Mari oĂč celui-ci parle du stress post-traumatique longtemps cachĂ© parmi les grands reporters. Parce-que parler de sa douleur morale et de ses cauchemars en revenant d’un reportage oĂč l’on avait Ă©tĂ© le tĂ©moin de scĂšnes de guerre, ça faisait « chochotte » :

On passait pour une faible ou un faible.

Dans son livre hautement détaillé La peur a changé de camp, Frédéric Ploquin, également grand reporter, parle de la peur qui, désormais, et de plus en plus, menotte les femmes et les hommes policiers à leur fonction. En particulier dans les zones fortement urbanisées.

En lisant La peur a changĂ© de camp, j’ai trĂšs vite perçu le trĂšs grand professionnalisme de FrĂ©dĂ©ric Ploquin. Professionnalisme que j’avais dĂ©ja un peu dĂ©couvert Ă  la faveur d’articles lus Ă  propos de certains de ses documentaires sur le grand banditisme. Le but de mon article est d’essayer- en assez peu de pages- de me montrer Ă  peu prĂšs aussi nuancĂ© et complet qu’a pu l’ĂȘtre son ouvrage. Tout en le rendant un peu personnel. Ce qui m’a amenĂ© Ă  parler de l’ancien champion de boxe Fabrice BĂ©nichou, du film corĂ©en Le Gangster, le flic et l’assassin, de l’article de Le Canard EnchaĂźnĂ© sur lequel je suis tombĂ© et, oĂč, cette fois-ci, S. Chalandon parle du sujet prĂ©occupant de l’usage des balles de dĂ©fense.

L’article de S.Ch, cette fois-ci, confirme ce que nous savons et ce que FrĂ©dĂ©ric Ploquin aborde Ă©galement dans son livre :

La police a mauvaise presse. Et les mĂ©dias dĂ©noncent rĂ©guliĂšrement des exemples de bavures policiĂšres ou des manquements de la police aux droits Ă©lĂ©mentaires des citoyens : le respect, l’attention Ă  autrui
.

S. Chalandon est aussi un trĂšs grand professionnel. J’aime la plupart de ses articles dans Le Canard EnchainĂ©. Mon but n’est donc ni de nier la gravitĂ© du contenu de son article et encore moins d’organiser dans ma tĂȘte ou ailleurs un combat de boxe foireux entre son article de quelques lignes et les plus de trois cents pages reprĂ©sentatives de plusieurs mois d’enquĂȘte de l’ouvrage de FrĂ©dĂ©ric Ploquin.

L’article de S. Chalandon rĂ©sume oĂč nous en sommes de plus en plus en France, en tant que citoyens , avec la police, chaque fois que nous manifestons ou exprimons notre mĂ©contentement envers un gouvernement ou  une hiĂ©rarchie dans la rue et en nombre.

Le livre de Ploquin plonge , lui,  directement dans la société française et dans son évolution ainsi que dans celle du monde politique depuis environ ces trente derniÚres années.

Si l’on dĂ©tourne la phrase de l’ancien boxeur Fabrice BĂ©nichou, on peut affirmer que la peur n’a pas de camp. Tout le monde a peur Ă  un moment ou Ă  un autre dans sa vie personnelle ou professionnelle. Et les personnes qui vont affirmer le contraire mentent ou se mentent Ă  elles-mĂȘmes. MĂȘme si cela dure quelques secondes. Dire que l’on n’a jamais peur, c’est comme dire que l’on est immortel. Tout le monde va mourir un jour. Ce qui nous diffĂ©rencie les uns des autres, c’est ce moment oĂč la peur va nous saisir. Et notre façon de rĂ©agir Ă  son influence voire Ă  son « charisme ». Nous pouvons ĂȘtre paralysĂ©s et subir. Ou, au contraire, ĂȘtre « catapultĂ©s » par notre adrĂ©naline, nos rĂ©flexes, notre instinct de survie ou notre sens du devoir. Osciller entre le statut de victime, de survivant, de hĂ©ros
ou d’agresseur.

La police est enfermĂ©e dans l’image et le tiroir de l’agresseur. Ploquin fait remonter des faits qui accrĂ©ditent cette vision de la police.

Et ça commence dĂ©ja entre policiers. Si aujourd’hui, environ un quart des effectifs policiers est de sexe fĂ©minin, la misogynie et la suspicion, au sein de la police, quant aux compĂ©tences rĂ©elles, sur le terrain, des femmes policiers sont encore actives. Mais dans un mĂ©tier oĂč la force physique et frontale revient comme un Ă©lĂ©ment indispensable, cela peut aussi , dans certaines situations, se comprendre.

D’autres fois, la femme flic peut ĂȘtre perçue par ses collĂšgues masculins comme un expĂ©dient sexuel. Il lui faut donc aussi savoir se faire respecter de ses collĂšgues « Ne perds pas ton temps ! » comme en tĂ©moigne une des femmes flics.

Etre Arabe et musulman peut ĂȘtre un atout quand on est flic et que l’on veut se faire passer pour un consommateur et infiltrer un trafic de drogue car les clichĂ©s persistent aussi du cĂŽtĂ© des dĂ©linquants :

Car Etre Arabe et flic, « ça ne matche pas » ( ça ne colle pas). Encore faut-il que les collĂšgues flics (blancs) avec lesquels on travaille pour la mĂȘme maison ( la police) et pour les mĂȘmes raisons ( la Loi, la Justice)  sachent s’y retrouver entre les dĂ©linquants noirs et arabes, une minoritĂ©. Et tous les autres noirs et arabes, citoyens honnĂȘtes et paisibles, la majoritĂ©.

« Encore des Arabes ! » a conclu un des policiers blancs en s’adressant Ă  une de ses collĂšgues policiĂšres, d’origine arabe, aprĂšs les attentats de Mohammed Merah. Comme si celui-ci Ă©tait son frĂšre ou son cousin.

« Qu’est-ce qu’il y’a comme Bougnoules ! » dit un autre policier dans la voiture de fonction alors que lui et ses collĂšgues flics circulent, Ă  l’affĂ»t. Sauf que l’équipe dans le vĂ©hicule est constituĂ©e de deux flics blancs, d’un flic antillais et d’un flic arabe. Lequel flic antillais, quelques minutes plus tĂŽt, a aussi eu droit Ă  une nouvelle ration de pop-corn raciste le concernant en observant la faune alentour. Ces rĂ©actions racistes de certains flics, devenues instinctives, sont tellement caricaturales qu’en les lisant j’ai eu envie de rire. Comme j’avais pu d’abord rire devant le film Dupont Lajoie (1974) d’Yves Boisset en dĂ©couvrant ce que pouvait ĂȘtre une parole raciste dĂ©complexĂ©e (« Ce sont des Arabes, ils nous envahissent ! »). Le meurtre qui arrive rend ensuite le film beaucoup moins drĂŽle. Et, si j’Ă©tais flic,  j’aurais sĂ»rement peu rigolĂ© si, jour aprĂšs jour, patrouille aprĂšs patrouille, j’avais entendu tel collĂšgue policier         ( peu importe sa couleur de peau, son sexe, ses croyances religieuses ou ses origines sociales et culturelles ou son grade ) vider sa bile en matiĂšre d’anthropologie raciste sur les Noirs, les Antillais et les Africains et m’infliger quasi-quotidiennement ce qu’il faut bien voir comme du harcĂšlement.

Ce mĂȘme « harcĂšlement » sans doute mais sous une autre forme dont, sur la voie publique, ensuite, certaines personnes -dĂ©linquantes ou innocentes- s’estiment victimes.

Et je n’ai pas du tout rigolĂ© en voyant le film Un Français (2014) rĂ©alisĂ© par DiastĂšme.

Quarante ans sĂ©parent ces deux trĂšs bons films. Et chacun parle du racisme en France d’une façon diffĂ©rente. Dans le film de Boisset, on est plutĂŽt dans le racisme beauf de l’aprĂšs guerre d’Indochine et d’AlgĂ©rie. Dans le souvenir transi et palpitant de la « Grandeur » (splendeur ?) coloniale de la France. Dans le film de Diasteme, le racisme, sĂ»rement pour partie l’hĂ©ritier du prĂ©cĂ©dent, s’est structurĂ© sous la forme d’une milice qui peut ĂȘtre autonome et vaporiser la peur et le ressentiment dans les quartiers immigrĂ©s apparus depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Dans le film de Diasteme, le racisme se politise, devient agile, et peut agir en toute lĂ©galitĂ© donc en toute impunitĂ©. Ploquin ne va pas jusqu’à aborder ces sujets de cette maniĂšre tant son enquĂȘte est vaste et a nĂ©cessitĂ©- dĂ©jĂ - beaucoup de rencontres et de travail sur le terrain. Aussi, ce matin, en relisant mon article, c’est moi qui complĂšte avec cette petite touche cinĂ©matographique. Un film comme Les MisĂ©rables de Ladjy Ly , primĂ© Ă  Cannes cette annĂ©e et bientĂŽt en salles, apportera sans aucun doute, aprĂšs et avant d’autres films,  un autre regard complĂ©mentaire et documentĂ©  sur un certain type de rapports entre la police et certains quartiers de banlieue. Et Ă  travers eux, sur certains aspects de la sociĂ©tĂ© française d’aujourd’hui. Ou l’inverse.

 

Concernant l’électorat d’extrĂȘme droite dans la police, dans La Peur a changĂ© de camp, il y’a plusieurs versions. Des flics sont pro-extrĂȘme droite. Ce qu’ils voient et vivent de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e dans certains quartiers oĂč les rapports de force sont devenus la norme les acculturent Ă  leurs idĂ©es racistes de dĂ©part ou d’arrivĂ©e. Et pour eux, le « vivre ensemble » est une supercherie compte-tenu de leurs expĂ©riences dans les quartiers sensibles oĂč ils interviennent. D’autant qu’en dehors des heures de travail, on reste plutĂŽt entre flics. Ou en famille plutĂŽt tranquillement chez soi. A essayer de se remettre de la violence du mĂ©tier. Car malgrĂ© la carapace que l’on se crĂ©e, peu Ă  peu, certaines expĂ©riences traumatiques et impossibles Ă  raconter Ă  son supĂ©rieur, au « quidam » voire Ă  sa famille ou Ă  son conjoint ou Ă  sa conjointe, s’incrustent dans les pensĂ©es et les rĂȘves ( des cauchemars).  Voir ou revoir Mel Gibson ou Sylvester Stallone en traumatisĂ©s de guerre dans les films L’Arme Fatale ou Rambo ou des films ou des sĂ©ries policiĂšres rĂ©centes telles True DĂ©tective, ça peut encore ĂȘtre trĂšs tĂ©lĂ©gĂ©nique et donner du plaisir au spectateur. A vivre,  d’un point de vue fantasmatique et physique, c’est une toute autre expĂ©rience. Et elle peut ĂȘtre trĂšs dĂ©sagrĂ©able jusqu’Ă  l’insupportable.

Selon La Peur a changĂ© de camp, d’autres policiers ont votĂ© pour l’ExtrĂȘme-Droite par dĂ©pit et colĂšre.

Ps :  j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apprendre que de plus en plus d’infirmiĂšres et d’infirmiers votaient pour l’ExtrĂȘme droite. Si j’accepte l’idĂ©e que l’on peut, malheureusement, ĂȘtre infirmiĂšre ou infirmier et ĂȘtre raciste ( l’Allemagne nazie nous a bien tristement « enseigné » que l’on pouvait ĂȘtre mĂ©decin et nazi ), je crois aussi Ă  la possibilitĂ© d’un vote de colĂšre, de dĂ©ception et de mĂ©contentement qui peut s’exprimer en votant pour l’ExtrĂȘme Droite.

Et, l’ExtrĂȘme droite serait le seul parti politique qui soutient officiellement la police et saurait vĂ©ritablement en quoi consiste, aujourd’hui, le travail d’un flic en France. Les discours de Marine Le Pen concernant la police seraient Ă©crits par un flic au vu de la bonne connaissance du sujet et des problĂšmes bien des fois rencontrĂ©s sur le terrain par les femmes et les hommes policiers.

Il est nĂ©anmoins un certain nombre de flics antifascistes. Mais qui obĂ©issent aux ordres. Pourtant dans la police, il y’a pire qu’ĂȘtre Arabe, Noir, femme et musulman :

Etre flic et homo. Ça a du mal Ă  passer. Donc, si la police, dans la diversitĂ© de ses rangs, se fait aussi le reflet de la sociĂ©tĂ© française, l’intĂ©gration et les promotions s’obtiennent beaucoup plus difficilement pour certaines et certains. Et il faut aussi se taire sur son homosexualitĂ© et savoir la cacher quand on est flic.

 

 

Parmi les autres causes de dĂ©sagrĂ©ments internes Ă  la profession policiĂšre, Il y’a aussi… les vols entre collĂšgues dans le vestiaire des flics. Argent, VTT, parfum
.

Il est aussi quelques flics ripoux : on informe ses copains cambrioleurs que certaines maisons seront vides de leurs propriĂ©taires durant les vacances. On vole les codes d’accĂšs Ă  certains fichiers sensibles concernant un trafic de drogue.

Il y’a des flics rugueux. Et Ă  une Ă©poque, il pouvait ĂȘtre courant de donner une baffe « thĂ©rapeutique » Ă  quelqu’un qui se rebiffait et parlait mal alors qu’on l’interpelait. Ou parce qu’il s’était abstenu de signaler qu’il portait sur lui une lame ou des stupĂ©fiants lors d’un contrĂŽle.

Il y’a des bavures policiùres.

 

Au total, « Sur les vingt trois mille policiers que comptent Paris et la petite couronne, une centaine passe ainsi chaque annĂ©e au conseil de discipline, dont un tiers pour des faits de corruption ou de consommation de stupĂ©fiants (pour dĂ©tecter la « mauvaise graine », l’administration a dĂ©veloppĂ© ces derniĂšres annĂ©es des tests inopinĂ©s dans les Ă©coles) les autres pour conduite en Ă©tat d’ivresse ou violences conjugales. Les vrais bandits restent heureusement assez rares dans la police mais ces cas isolĂ©s font d’autant plus mal que les mĂ©dias , fans de ripoux, ces personnages souvent rocambolesques qui fascinent tant ils osent tout, leur font une publicitĂ© inversement proportionnelle Ă  celle qui entoure les petits vols au quotidien ».

 

Il est aussi des fois oĂč des policiers interviennent suite Ă  un appel et tombent dans un guet-apens prĂ©parĂ©. Il est d’autres fois oĂč ils se retrouvent en infĂ©rioritĂ© numĂ©rique en terrain hostile alors qu’ils font leur travail : Poursuivre jusqu’à chez lui un dĂ©linquant qui a arrachĂ© une tablette numĂ©rique Ă  son propriĂ©taire aprĂšs l’avoir tabassĂ©. Et se retrouver, Ă  trois ou quatre flics dans l’appartement de l’auteur de l’agression. Alors que de l’autre cĂŽtĂ© de la porte, un « gros noir » se prĂ©sente et dit :

« Ouvre-moi la porte, j’habite ici ! » DerriĂšre cet habitant qui veut « simplement » s’en retourner dans son logis, dans l’immeuble, « trente lutins, torse nu » attendent.

 

Au sein de la police, s’il y’a un problĂšme, il vaut mieux fermer sa gueule afin d’ĂȘtre bien vu. Et, si possible, rĂ©gler ça proprement et discrĂštement. Ou digĂ©rer le tout. Le fait de devoir justifier pratiquement chaque action. Le temps allongĂ© pour s’acquitter de la paperasse. Les contrariĂ©tĂ©s variĂ©es, personnelles et professionnelles, ainsi que les contradictions :

Si la gendarmerie, la rivale, a un type de commandement unifié, la police, elle, compte plusieurs directions et plusieurs services et presque autant de motifs de défiance et de concurrence.

Pourtant, il faut bien qu’à un moment ou Ă  un autre, les flics parlent et se parlent entre eux. Ils ont trĂšs peu la possibilitĂ© de s’épancher devant des psychologues ou des oreilles discrĂštes, disponibles et bienveillantes :

« Notre quotidien, ce n’est pas de s’amuser Ă  frapper les gens, c’est de ramasser la cervelle d’un jeune percutĂ© par une voiture et d’embarquer du pochtron » rappelle utilement une gardienne de la paix. Qui peut mieux comprendre ce que tu vis qu’un autre flic ? ».

« Alors que les militaires disposent de 15 800 personnels de santĂ© pour 140 000 personnes, les 150 000 policiers n’ont Ă  leur disposition que 284 mĂ©decins et infirmiers ».

Les commissaires Ă  « l’ancienne » qui allaient boire un coup avec leur Ă©quipe et prenaient le temps de s’enquĂ©rir de la vie personnelle de leurs troupes sont de plus en plus rares. L’obsession du chiffre et de la promotion qui y est associĂ©e les a soit poussĂ©s vers la retraite, envoyĂ©s sur une autre planĂšte oĂč l’administration/l’administratif et le monde politique sont oppressants.

Si les flics sont souvent des femmes et des hommes qui s’engagent par idĂ©al de Justice, ils sont rĂ©guliĂšrement déçus par le manque de considĂ©ration de leur hiĂ©rarchie. Les flics qui sont intervenus lors des attentats terroristes « du » Bataclan ont reçu une mĂ©daille « deux ans et deux mois plus tard ». Des promotions sont accordĂ©es Ă  la tĂȘte du client. La direction s’adresse aux flics principalement pour les recadrer et les engueuler. TrĂšs rarement pour les fĂ©liciter. La Justice rendue par les juges est perçue comme laxiste et mĂ©prisante Ă  leur encontre. Une certaine solidaritĂ© et un sens du devoir demeurent entre flics mais l’esprit du collectif serait moins fort qu’ « avant ».

 

Les hommes politiques se servent de la police comme d’une bonne Ă  tout faire. Comme tout faire pour donner une bonne image de leurs dĂ©cisions ministĂ©rielles et gouvernementales. Nicolas Sarkozy, Maitre Karcher, les a par exemple karchĂ©risĂ©s et les a entubĂ©s :

Il a pris leur vote électoral pour devenir Président de la République. Il a réduit leurs effectifs. Désormais, il faudrait faire aussi bien voire mieux mais avec moins de personnel. Sarkozy a accentué le rÚgne du chiffre et du rendement- qui lui préexistait- au sein de la police en réservant une prime aux « meilleurs» flics :

Celles et ceux qui ramÚneront le plus de « baballes » de chiffres.

Un des Maitres Ă  penser de Nicolas Sarkozy, Claude GuĂ©ant, lui, s’est servi dans les caisses de la police.

François Hollande, une fois Ă©lu PrĂ©sident de la RĂ©publique,  les a dĂ©savouĂ©s en prenant par exemple mĂ©diatiquement position pour le jeune « ThĂ©o » sans prendre le temps de tout comprendre et de tout savoir du dĂ©roulement de l’interpellation.  Il aurait suffi de regarder et d’interprĂ©ter certaines images vidĂ©os de l’intervention au prĂ©alable.

AprĂšs les attentats terroristes, il a fallu combler un manque de personnel de toute urgence. Le prĂ©sident de la RĂ©publique, prĂ©cĂ©dent, Nicolas Sarkozy, ayant dĂ©cidĂ© de diminuer les effectifs policiers. La formation d’un policier, ordinairement d’un an, est alors passĂ©e ( exceptionnellement ?) Ă  six mois. Si au cours de sa formation, un flic s’entraĂźne au tir en moyenne une fois par semaine, dĂšs lors qu’il est diplĂŽmĂ© et en activitĂ©, ce chiffre tombe Ă  environ trois entraĂźnements de tir par an en raison de son emploi du temps chargĂ©. Il est difficile dans ces conditions- selon un moniteur de tir de la police- d’ĂȘtre serein et maitre de soi lorsque l’on est flic, que l’on porte une arme et que l’on doit s’en servir alors que l’on est devenu la cible de jeunes dĂ©linquants (cocktail molotov, aquarium avec poisson, rĂ©frigĂ©rateur, pavĂ©s
.) et des terroristes capables de venir vous agresser jusqu’à votre domicile.

Ce qui, « avant » ne se produisait pas.

 

« Avant », c’était aussi lorsque les anciens prenaient le temps de former les nouveaux flics, qui, au sortir de l’école, ne savent pas grand chose du mĂ©tier. En pratique. Comme dans bien d’autres mĂ©tiers. Cette passation entre anciens et nouveaux flics se fait de moins en moins.

MĂȘme le casting d’origine des flics a changĂ© : « Avant », une bonne majoritĂ© des flics de la rĂ©gion parisienne Ă©tait d’origine ouvriĂšre. Aujourd’hui, il y’a de plus en plus de jeunes provinciaux d’un milieu social assez confortable dont certains sont accompagnĂ©s Ă  leur entrĂ©e Ă  l’école de police par leurs parents.

Les jeunes flics de « maintenant » supporteraient moins bien les contraintes du mĂ©tier (horaires, conditions de travail) que leurs prĂ©dĂ©cesseurs. Ils sont aussi plus Ă  l’aise avec les rĂ©seaux sociaux et ont sĂ»rement contribuĂ© Ă  cette manifestation de flics- qui ont dĂ» dissimuler leur visage pour Ă©viter d’ĂȘtre reconnus par leur hiĂ©rarchie ainsi que par de potentiels agresseurs- autour de l’Arc de Triomphe Ă  l’automne 2016 pour exprimer le mĂ©contentement de la profession malgrĂ© leur devoir de rĂ©serve.

 

En face, aussi, ça a changé : les délinquants vont délibérément au contact des flics. Ils sont plus durs et plus agressifs que leurs anciens.

Les hommes politiques, eux aussi, ont changĂ©. Le dernier Ministre de l’IntĂ©rieur qui a eu une bonne cote auprĂšs de la police s’appelle Pierre Joxe et il Ă©tait socialiste. Apparemment, Charles Pasqua ensuite avait Ă©tĂ© assez bien vĂ©cu. Et, rĂ©cemment, Bernard Cazeneuve Ă©tait , contrairement aux apparences, plutĂŽt bon avec la police. Autrement, les hommes politiques s’y connaissent principalement en mĂ©dias et en plan de carriĂšre. Ils sont aussi en poste pour une durĂ©e courte. Par contre, ils ne connaissent rien au travail sur le terrain. Ils n’y connaissent rien au travail qui se fait dans la police au mĂȘme titre qu’ils n’y connaissent rien en ce qui concerne le bon fonctionnement d’une centrale nuclĂ©aire. Par contre, ils savent parler, se faire filmer avec le beau costume, la belle lumiĂšre. Et, ils savent Ă©couter les directeurs gĂ©nĂ©raux et les conseillers qui leur assurent que tout va bien sur le terrain. Pour le prouver, ils ont des chiffres. On leur fournit des chiffres. Sachant que, dĂ©sormais, on privilĂ©gie le nombre d’intervention pour faire du chiffre.

Plus on fait d’interventions, plus on fait du chiffre et plus on « dĂ©montre » que l’on est efficace. Et plus on augmente ses chances d’ĂȘtre bien vu de sa hiĂ©rarchie, donc d’ĂȘtre promu. Mais aussi de toucher une prime :

195 euros par trimestre lorsque l’on est « en bas de l’échelle ». « Entre 15 000 et 20 000 euros par an pour un patron d’arrondissement parisien ».

Dans le livre de Ploquin, j’ai aussi lu que certains commissaires avaient demandĂ© – et obtenu- d’ĂȘtre payĂ©s davantage en Ă©tant moins nombreux. ça me fait penser Ă  ces collĂšgues infirmiĂšres et infirmiers qui acceptent d’ĂȘtre mieux payĂ©s en clinique en Ă©tant moins nombreux et en faisant des journĂ©es de travail plus longues. Et aussi plus nombreuses. Dans une clinique, on pourrait travailler un certain nombre de jours d’affilĂ©e sans prendre de jour de congĂ©. Dans un hĂŽpital public, la lĂ©gislation du travail nous impose, pour notre santĂ©, de prendre un jour de congĂ© Ă  partir d’un certain nombre de jours et de nuits travaillĂ©es. A ce jour, et pour l’instant, j’estime que le travail qui se pratique dans une clinique psychiatrique (oĂč l’on est trĂšs bon pour faire du chiffre et de l’abattage) est par exemple de moins bonne qualitĂ© relationnelle avec le patient qu’à l’hĂŽpital public. Lequel hĂŽpital public est de plus en plus sommĂ© de s’aligner sur le modĂšle de l’entreprise et de la clinique privĂ©e.

Dans la police, on fait plus de chiffre en interpellant des personnes en situation irrĂ©guliĂšre pour leurs papiers ou en interceptant un fumeur de joint qu’en dirigeant une enquĂȘte qui prend deux Ă  trois mois avant d’obtenir un Ă©ventuel rĂ©sultat. J’imagine que le flic qui m’a interceptĂ© aprĂšs mon passage de la porte de validation qui m’avait tant contrariĂ© (voir mon article C’est Comportemental !) Ă©tait soit puni par sa hiĂ©rarchie ou faisait du chiffre.

 

Le chiffre devance la compĂ©tence. C’est vrai pour les rĂ©sultats Ă  la fin des formations dans la police : si l’on a une trĂšs bonne note, on peut choisir l’affection que l’on souhaite. Et fuir les commissariats qui craignent sur des secteurs oĂč les dĂ©linquants multirĂ©cidivistes se sentent chez eux car peu sanctionnĂ©s par la Justice quels que soient leurs Ă©tats de fait : vols, menaces, agressions physiques sur agent, injures, dĂ©gradations
.

 

Pour les politiciens, tout va bien puisque c’est « qu’on » leur dit et c’est aussi ce qu’ils brĂ»lent d’entendre. Pour les politiciens, les syndicats policiers exagĂšrent les faits. Et les flics sont des trouillards. Ou des canidĂ©s qu’il faut bien tenir en laisse afin d’éviter de nouvelles Ă©meutes dans les quartiers, ce qui serait mauvais pour l’image de la police et dĂ©sastreux pour n’importe quel candidat Ă  l’approche des Ă©lections.

 

A mesure de cet article, d’agresseur, le flic est devenu victime. Entre les deux, il est aussi hĂ©ros mais cela est peu exposĂ© dans les mĂ©dias. Par choix de certains mĂ©dias. Par intermittence aussi : Ploquin rappelle qu’aprĂšs les attentats terroristes, pendant un temps, les flics et les CRS Ă©taient vus comme des hĂ©ros par les Français. Puis, cette « histoire d’amour » pour les forces de l’ordre s’est Ă  nouveau ternie.

Il est une autre raison pour laquelle les faits hĂ©roĂŻques policiers disparaissent de la circulation : la jalousie entre collĂšgues. La jalousie entre services d’intervention. Tel collĂšgue qui brille dans les mĂ©dias est susceptible de susciter la jalousie d’un ou plusieurs collĂšgues gradĂ©s. Ou d’une autre institution qui a mal digĂ©rĂ© une affaire passĂ©e et qui peut profiter d’une «opportunitĂ© » pour salir la rĂ©putation d’un professionnel jusque lĂ  approuvĂ© officiellement.

 

En conclusion, les agents de police souffrent souvent de manque de respect et d’attention de la part de leur hiĂ©rarchie (du commissaire au Ministre), de leurs collĂšgues et des citoyens. De leur cĂŽtĂ©, bien des citoyens, gratuitement ou Ă  raison, leur reprochent les mĂȘmes exactions.

« Aux yeux de l’administration, le flic doit ĂȘtre bon Ă  tout faire ou alors il n’est bon Ă  rien ».

Je crois que beaucoup de citoyens, s’ils remplacent le mot « flic » par la fonction professionnelle qu’ils occupent peuvent aussi se retrouver dans cette phrase. Sauf que le flic, lui, est entre deux. Autant je plains Ă©videmment les victimes de bavures policiĂšres, autant j’ai aussi l’impression qu’il est bien des fois oĂč la femme et l’homme flic, mĂȘme bien disposĂ© Ă  l’égard de l’humanitĂ© et du citoyen, est Ă  la place du con dĂšs lors qu’au dessus de lui un supĂ©rieur pond un ordre ou une directive sans queue ni tĂȘte.

Dans le film corĂ©en Le gangster, le flic et l’assassin, le flic intrĂ©pide (et aussi trĂšs tĂȘte Ă  claques) rĂ©ussit facilement Ă  se soustraire aux ordres de son patron incompĂ©tent et corrompu et conserve sa libertĂ© d’action et de commandement. Mais il s’agit d’une fiction oĂč la sociĂ©tĂ© corĂ©enne apparaĂźt nĂ©anmoins si rĂ©glĂ©e et si cadenassĂ©e, que dans les faits, en CorĂ©e comme en France, je crois qu’un tel flic aurait Ă©tĂ© dĂ©mis de ses fonctions, ou mutĂ© avant que l’assassin soit identifiĂ©.

Mais concernant l’enquĂȘte de Ploquin, il est Ă©tonnant de voir comme ces femmes et ces hommes flics qui- malgrĂ© eux- voient l’envers du dĂ©cor d’une sociĂ©tĂ© et ses travers sont aussi vus Ă  l’envers -et de travers- par celles et ceux qu’ils se sont aussi vouĂ©s Ă  dĂ©fendre et Ă  protĂ©ger :

« Une grappe de jeunes filles lĂ©gĂšrement alcoolisĂ©es trinquent et multiplient les selfies Ă  la terrasse d’une brasserie de la place de Clichy, Ă  Paris. L’humeur est gaie et lĂ©gĂšre, la vie presque belle, mais dans leur voiture, Ă  quelques encablures, trois policiers de la BAC de nuit ne voient pas le monde en rose : voilĂ  des victimes idĂ©ales pour ces arracheurs de portables qui frĂŽlent en coup de vent les terrasses et disparaissent avec leur butin. A l’affĂ»t, les « Baceux » guettent le premier mouvement suspect, une posture, un regard, un type qui ferait tache dans le dĂ©cor, capuche sur la tĂȘte, pas vraiment lĂ  pour boire un coup ».

« Au petit jour, l’équipage devra encore sĂ©curiser les clients des boĂźtes homos du Marais, proies sur mesure pour toutes sortes de prĂ©dateurs ».

« Entre les mauvais regards qui dĂ©bouchent sur un Ɠil en moins, les coups de couteau pour une cigarette, les vols avec violence, ceux qui finissent dans les eaux d’un fleuve pour n’en pas remonter, la vie nocturne donne au flic une image assez radicale de l’ñme humaine. Tout au moins une idĂ©e assez prĂ©cise de ce que le peuple urbain compte de dĂ©jantĂ©s et d’agresseurs. Il y’a la face visible de l’iceberg et le reste, poursuit ce brigadier que ses amis surnomment « Le Hibou », nuiteux depuis plus de dix ans. En surface, tout le monde il est beau et gentil ».

 

Ces extraits de La Peur a changĂ© de camp impose l’idĂ©e qu’à faire ce mĂ©tier de flic, on « devient » plus ou moins ce milieu inversĂ©, tordu et bizarre dans lequel on Ă©volue. Puisqu’il faut s’y adapter en permanence avant d’en revenir. Ce milieu que le citoyen lambda peut se permettre d’ignorer,  dont il perçoit parfois une infime surface, et qu’il peut ĂȘtre tentĂ© d’expĂ©rimenter au risque de se faire briser.

RegardĂ©s comme celles et ceux qui se risquent dans ce milieu de vie et de mort, et mĂȘme s’ils sont volontaires, les femmes et les hommes flics sont aussi des ĂȘtres sacrifiĂ©s. Bien plus que ce qu’eux mĂȘmes ou leurs proches avaient pu prĂ©voir en entrant dans la police. Car comme le dit un des tĂ©moins lors de cette enquĂȘte, le point fort de la police, c’est sa rĂ©activitĂ©. Pas sa capacitĂ© d’anticipation. Et celles et ceux qui devraient faire montre d’anticipation, les dĂ©cideurs, sont sur d’autres plans.

« La culture de la maison, c’est la rĂ©activitĂ©. Elle est tellement ancrĂ©e que l’on frise l’aberration. J’ai toujours martelĂ© l’idĂ©e qu’il fallait faire preuve d’anticipation mais la police ne sait pas faire ». (un ancien policier, fils de policier).

 

Je regarde Ă©videmment la police d’un autre Ɠil depuis la lecture La Peur a changĂ© de camp. Mais il n’est pas certain que tous les agents de police le sachent.

Il y’a quelques jours, lorsque j’ai traversĂ© la route avec ma fille prĂšs de notre immeuble, une voiture de police Ă©tait arrĂȘtĂ©e au feu rouge. Assez rĂ©guliĂšrement dans ma ville, Argenteuil, je vois ou entends une voiture de police. Au cours de ma lecture de La Peur a changĂ© de camp, j’ai repensĂ© Ă  un ancien copain, d’origine indienne, qui vivait  à Sarcelles il y’a plus de dix ans. Goguenard, il m’avait dit une de ces  fois oĂč j’Ă©tais allĂ© chez lui,  entendre « tous les jours » la sirĂšne d’une voiture de police. Son rĂȘve Ă©tait alors d’aller vivre en PolynĂ©sie et de se rendre rĂ©guliĂšrement Ă  la mer afin de pratiquer palmes, masque et tuba. Il est finalement parti s’installer et se marier Ă  PondichĂ©ry.

Le livre de Ploquin m’a permis de relativiser encore davantage le climat de vie Ă  Argenteuil. MĂȘme si celle-ci, malgrĂ© ses divers atouts, conserve gĂ©nĂ©ralement une mauvaise image dans la presse par exemple en raison, sĂ»rement, du nombre d’incivilitĂ©s qui s’y pratiquent et auxquels j’assiste quelques fois malgrĂ© moi et de certains trafics qui y sont Ă  l’oeuvre. Mais la rĂ©putation d’une ville, d’une personne, comme de la carriĂšre d’un flic, quels que soient ses mĂ©rites, peut ĂȘtre sĂ©vĂšrement et durablement entachĂ©e par certains Ă©vĂ©nements et quelques Ă©lĂ©ments.

 

Nous nous sommes avancĂ©s sur le passage piĂ©tons, ma fille et moi. Nous Ă©tions tous les deux porteurs de notre casque Ă  vĂ©lo et d’une paire de lunettes noires. Je tenais le siĂšge enfant que j’allais ensuite installer Ă  l’arriĂšre de mon vĂ©lo. Ma fille, quant Ă  elle, portait la pompe Ă  vĂ©lo. La femme flic au volant de la voiture a un moment regardĂ© dans notre direction. Elle aussi portait des lunettes noires. Je me suis demandĂ© si elle avait pu, un moment, nous suspecter d’un dĂ©lit quelconque. MĂȘme si cette femme flic ainsi que ses collĂšgues ne m’inspiraient pas de peur particuliĂšre, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© par l’absence de sourire sur son visage. Mais elle a peut-ĂȘtre aussi Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©e de me voir la regarder sans un sourire. Ou se demander la raison pour laquelle je la regardais tout en traversant la route.

Franck Unimon, jeudi 22 aout 2019.

Pour complĂ©ter, on peut aussi lire dans l’ordre que l’on souhaite les articles Tenir le rythme, La Peur a changĂ© de camp, Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel.

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La Peur a changé de camp

 

 

 

 

La peur a changé de camp, un livre de Frédéric Ploquin paru en 2018.

 

 

C’est en commençant Ă  travailler dans un service de pĂ©dopsychiatrie que j’ai- frontalement et dĂšs le dĂ©but- dĂ©couvert la « conviction » de territoire :

 

Cette attitude ferme et de dĂ©fi qui consiste Ă  vous faire comprendre que vous ĂȘtes le nouveau venu. Que vous ĂȘtes incompĂ©tent pour reprĂ©senter la Loi, l’autoritĂ© et la connaissance, ici. Que vous devez en quelque sorte la fermer et vous soumettre, ici. Car vous n’ĂȘtes pas sur votre territoire. Vous ĂȘtes un Ă©tranger. Un outsider. A moins que vous ne parveniez Ă  faire vos preuves.

 

C’est une jeune de 15 ou 16 ans qui m’avait fait ressentir ça. Elle pouvait ĂȘtre insolente mais pas forcĂ©ment si mĂ©chante que cela. Plusieurs annĂ©es plus tard ( c’Ă©tait fin 2000) je crois pouvoir encore me rappeler de son prĂ©nom.

Cependant, ce n’est pas avec elle que par la suite, mes collĂšgues et moi avions eu le plus de difficultĂ©s relationnelles. Cette jeune Ă©tait ensuite  dĂ©finitivement « sortie » du service quelques jours plus tard et nous ne l’avions plus revue.

Fin 2000, j’avais pourtant la trentaine. Soit le double de l’ Ăąge de cette jeune. Mais ça n’était pas un problĂšme :

Avec son assurance- et l’Intelligence– de celle qui Ă©tait dĂ©ja sur les lieux avant mon arrivĂ©e, et le fait que je prenais mes marques dans le service, elle avait rĂ©ussi en une remarque Ă  prendre un certain ascendant sur moi.

Je venais d’arriver par mutation en tant que titulaire dans ce service. Auparavant, nĂ©anmoins, j’avais fait des Ă©tudes d’infirmier dĂšs ma sortie du lycĂ©e. Cela m’avait donc quelque peu dĂ©niaisĂ©. J’avais aussi dĂ©jĂ  un peu voyagĂ© Ă  l’étranger, fait quelques Ă©tudes dans d’autres domaines. J’avais aussi au prĂ©alable exercĂ© dans divers Ă©tablissements de soins en tant qu’infirmier intĂ©rimaire, vacataire. Mais aussi en tant qu’infirmier titulaire : dans un service fermĂ© d’hospitalisation en psychiatrie adulte et, cela, dĂšs mon service militaire alors obligatoire.

Dans mes 20 ans, j’avais dĂ©couvert le travail de nuit en tant que soignant vacataire dans le service d’une clinique privĂ©e. Les patients avaient en moyenne l’ñge de mes grands-parents soit le triple de mon Ăąge. Lors de mes nuits de douze heures, j’étais responsable d’eux, seul soignant sur deux Ă©tages. En cas de problĂšme, je pouvais solliciter mes collĂšgues du dessus, Ă©galement seuls dans leur service. Cela Ă©tait une rĂšgle assez implicite : car je ne me souviens pas que la direction qui m’avait employĂ© pour ces vacations ait beaucoup insistĂ© pour me le faire savoir. Le mĂ©decin d’astreinte, lui, arriverait de chez lui au bout d’une heure ou deux si on l’appelait. J’en ai fait l’expĂ©rience. Je me rappelle encore de lui dĂ©bouchant tranquillement dans le service en espadrilles, avec sa cigarette maĂŻs allumĂ©e dans la bouche, alors que je m’inquiĂ©tais pour une grand-mĂšre tombĂ©e sur la tĂȘte depuis son lit. Elle avait une belle bosse.

Trente ans plus tard, cette clinique existe toujours. Elle fait aujourd’hui partie d’un groupe privĂ© florissant qui possĂšde plusieurs cliniques : OrpĂ©a ou Korian. Pour certaines entreprises privĂ©es, ou laboratoires, le secteur de la santĂ© est un marchĂ© juteux en termes de bĂ©nĂ©fices.  Aujourd’hui, plus qu’hier et moins que demain, les hĂŽpitaux publics ont pris pour modĂšle ces entreprises privĂ©es. Les hĂŽpitaux publics se sont donc mis sur les rails afin de se rapprocher le plus possible de ces modĂšles de rĂ©ussite et de profit Ă©conomique.

Je me sens tenu de rappeler que l’on dĂ©cide rarement de devenir infirmier dans le but de devenir millionnaire ou afin de se faire de l’argent sur le dos, la souffrance et le dĂ©sespoir des autres, soignants inclus.  Ou alors, il s’agit trĂšs certainement d’infirmiers que j’ai peu cĂŽtoyĂ©s, qui reprĂ©sentent Ă  mon avis une minoritĂ© ou qui se sont en quelque sorte reconvertis ou quelque peu Ă©loignĂ©s de cette temporalitĂ© particuliĂšre oĂč nous « sommes » vraiment avec les patients et les autres. Et non le temps de quelques secondes et de quelques formules interchangeables faites d’ Ă©lĂ©ments de langage impersonnels.

 

 

Enfin, Ă  titre personnel, un an avant d’arriver dans ce nouveau service de pĂ©dopsychiatrie, pour permettre Ă  ma sƓur (de neuf ans ma cadette) et Ă  notre frĂšre (de 14 ans mon benjamin) d’avoir un toit et de poursuivre leurs Ă©tudes et de s’installer dans leur vie d’adulte, j’avais rendu mon appartement de cĂ©libataire et obtenu de la mairie de notre ville un appartement non loin de notre ancienne maison familiale, vendue pour cause de mutation de notre pĂšre dans notre pays d’origine : la Guadeloupe.

 

Plusieurs de mes ex-collĂšgues de psychiatrie adulte, pourtant des professionnels plus expĂ©rimentĂ©s que moi pour certaines et certains, de l’infirmier au mĂ©decin chef, m’avaient regardĂ© partir pour l’aventure de la pĂ©dopsychiatrie ( dans un service fermĂ© de soins et d’accueil urgents) avec une certaine rĂ©serve polie voire avec une admiration qui m’avait Ă©tonnĂ© :

j’étais un novice en tant qu’infirmier en pĂ©dopsychiatrie. On aurait presque dit que c’Ă©tait comme si j’avais annoncĂ© Ă  mes anciens collĂšgues de psychiatrie adulte que j’allais descendre en rappel au fond d’un gouffre dont j’ignorais tout. Et, il est vrai qu’à mes dĂ©buts dans ce service, j’ai dĂ» apprendre beaucoup. Et aussi, rapidement, apprendre Ă  affirmer mon autoritĂ©. Cette jeune de 15 ou 16 ans, et d’autres jeunes, me l’avaient trĂšs vite fait comprendre d’une façon ou d’une autre. Peu importait ce Ă  quoi on ressemblait et ce que l’on avait pu vivre et connaĂźtre auparavant ni ce que l’on Ă©tait dans notre vie personnelle par ailleurs. Il importait, dans ce service, de savoir s’affirmer en tant qu’adulte et en tant que reprĂ©sentant de l’AutoritĂ©. Que l’on soit une femme ou un homme. Que l’on mesure 1m60 ou 1m80. Que l’on porte des lunettes ou non. Que l’on soit blanc, arabe ou noir. Que l’on soit musulman pratiquant, catholique ou athĂ©e. Que l’on soit homo ou hĂ©tĂ©ro. Que l’on ait 20 ou 35 ans. PigĂ© ? Et, cela Ă©tait une rĂšgle implicite, instinctive. Immuable. Incontournable.

Ce que je raconte lĂ  semble trĂšs bien s’appliquer Ă  l’univers de la police dont parle FrĂ©dĂ©ric Ploquin dans son livre. MĂȘme si, Ă©videmment, il est d’autres univers professionnels avec lesquels on pourra trouver des points communs.

 

 

 

Aujourd’hui alors que j’ai quittĂ© ce service de pĂ©dopsychiatrie (aprĂšs quatre annĂ©es de pratique), je garde de cette expĂ©rience intense un souvenir fait de considĂ©ration et d’attachement. Pour cette Ă©poque. Pour mes anciens collĂšgues. Pour les jeunes rencontrĂ©s et un certain nombre de situations faciles et difficiles. Mais je me souviens, aussi, que c’est dans ce service oĂč j’avais fait l’expĂ©rience, comme la plupart de mes collĂšgues d’alors, de ces tests et rapports de force rĂ©pĂ©tĂ©s, usants et blessants entre certains jeunes difficiles- que nous essayions pourtant « d’aider »- et nous :

Insultes, menaces de mort, agressions physiques, intimidations, crachats et destruction des lieux avaient Ă©tĂ© le moyeu de certaines de nos relations avec quelques jeunes qui Ă©taient heureusement une minoritĂ©. A ce jour, je n’ai pas connu d’Ă©quivalent devant cette forme « d’avalanches » d’insultes, de menaces de mort, d’agressions physiques, d’intimidations, de crachats et de destruction des lieux vĂ©cues dans ce service. Ainsi qu’Ă  propos de cette nĂ©cessitĂ© de savoir rappeler constamment un certain cadre et certaines limites. MĂȘme lorsque tout se passait « bien ».

Il est vrai qu’en quittant ce service, je me suis dispensĂ© de rechercher un poste  prĂ©sentant les mĂȘmes caractĂ©ristiques ou d’y rester aussi « longtemps » : quatre annĂ©es dans un tel service Ă©tant une durĂ©e plus longue que dans d’autres. MĂȘme si ces troubles du comportement Ă©taient le fait, je le rappelle, d’une minoritĂ© des jeunes hospitalisĂ©s. Et qu’il y’a eu aussi des pĂ©riodes calmes et avec moins d’accrocs relationnels- ou plus supportables- avec la majoritĂ© des jeunes rencontrĂ©s.

 

Mais cette minoritĂ© difficile suffisait un certain nombre de fois Ă  tout oblitĂ©rer ou Ă  nous dĂ©stabiliser lorsque la violence et l’affrontement se faisaient les principaux modes de relations.

Car nous étions soignants et pas matons, CRS, vigiles, gardes du corps et encore moins là pour pratiquer la boxe, du MMA ou du Ju-jitsu brésilien ou du judo.

Car nous étions dans un hÎpital et pas dans la rue ou dans une famille dysfonctionnelle.

Pendant ce temps-lĂ , d’autres patients, plus « calmes » et plus faciles, devaient certaines fois ĂȘtre un peu dĂ©laissĂ©s afin que nous puissions nous concentrer sur cette patiente ou ce patient difficile. La rĂ©pĂ©tition de ces actes ou de ces propos volontaires et violents Ă©taient d’autant plus dĂ©concertants qu’ils Ă©manaient, pour la plupart, de mĂŽmes ĂągĂ©s en moyenne de 10 Ă  13 ou 14 ans, parfois plus. Un Ăąge que nous avions eus et oĂč, jamais, nous ne nous serions permis d’avoir le mĂȘme genre d’attitudes envers nos pairs, envers des adultes et des lieux, quelles que puissent ĂȘtre nos difficultĂ©s et nos impasses Ă©motionnelles et personnelles. Et je parle ici « uniquement » des actes de violence que ces jeunes ont pu porter contre autrui (patients ou soignants) ou contre les locaux. Il y’avait aussi les actes violents que certains de ces jeunes rĂ©alisaient contre eux-mĂȘmes et que nous nous efforcions de canaliser ou de prĂ©voir. Il y’avait aussi ces comportements Ă  risque tels que la fugue que d’autres pouvaient avoir en raison de leurs troubles du discernement.

 

Certaines situations frontales vĂ©cues avec plusieurs de ces  jeunes  » violents » ont donc Ă©tĂ© des chocs. Culturels, moraux, intellectuels, psychologiques. Et physiques. Plusieurs collĂšgues ont ainsi Ă©tĂ© en arrĂȘt de travail suite Ă  une agression. Ces situations ont aussi Ă©tĂ© l’occasion d’apprentissages de part et d’autres. Elles ont aussi sans aucun doute amenĂ© le fondement d’une solidaritĂ© particuliĂšre entre collĂšgues. Ce qui explique sĂ»rement le fait qu’à ce jour, mĂȘme si pour la plupart nous travaillons dĂ©sormais dans d’autres services voire dans d’autres rĂ©gions, il nous reste un quelque chose de cette unitĂ© ou de cette amitiĂ©. Et nos retrouvailles le temps d’un pique-nique l’an passĂ© par exemple, pour celles et ceux qui y Ă©taient, une dizaine d’annĂ©es aprĂšs avoir quittĂ© ce service, en atteste.

Ce matin, c’est ce que m’inspire Ă  l’écriture le livre La Peur a changĂ© de camp de FrĂ©dĂ©ric Ploquin. Ce livre, que je n’ai pas fini de lire, parle
de la dĂ©gradation gĂ©nĂ©rale et progressive des conditions de travail des flics. On me dira sans doute- y compris parmi mes pairs infirmiĂšres et infirmiers- qu’il n’y’a aucun rapport entre le travail d’un flic et celui d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins psychiatriques ou pĂ©dopsychiatriques. Et que mon goĂ»t pour le cinĂ©ma m’aura fait perdre pied ainsi que le contact avec la bobine du rĂ©el.

Alors, je commencerai par rappeler qu’il arrive que soit reprochĂ© Ă  la psychiatrie d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale d’ĂȘtre abusive et coercitive au dĂ©triment de la libertĂ© et de la santĂ© de personnes vulnĂ©rables :

Et, j’invite chacune et chacun Ă  se remĂ©morer certains documentaires, reportages, expĂ©riences personnelles ou faits divers montrant la psychiatrie sous un visage tragique, choquant et dĂ©favorable. Ou sensationnel.

Je rappellerai aussi que certains modes d’hospitalisation en psychiatrie sous contrainte mettent le soignant, qu’il le veuille ou non, dans la position de celle ou celui qui doit faire respecter la Loi et qui a, aussi, un certain Pouvoir :

Parce-que le patient (et/ ou son entourage et sa famille) est un danger pour autrui et/ou pour lui. Mais aussi parce-que le patient (et/ ou son entourage et sa famille), d’aprĂšs la situation rencontrĂ©e et son comportement, a dĂ©montrĂ© un manque de discernement qui l’empĂȘche de reconnaĂźtre la gravitĂ© de ses troubles du comportement et/ou de jugement. Et de donner son consentement pour recevoir certains soins.

 

Il me semble qu’aprĂšs ces deux rappels, on commence dĂ©jĂ  Ă  mieux comprendre en quoi, par moments, le travail d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins psychiatriques, peut ressembler ou donner l’impression de ressembler Ă  un travail de « flic ». Surtout si l’on exerce dans un service de soins fermĂ© et que certaines restrictions sont imposĂ©es – mĂȘme si elles sont gĂ©nĂ©ralement expliquĂ©es au prĂ©alable- aux patients :

Pas de tĂ©lĂ©phone ou alors des appels tĂ©lĂ©phoniques limitĂ©s et parfois en prĂ©sence des soignants ; pas de sortie du service pendant quelques temps ou sous condition et accompagnĂ© d’un ou de plusieurs soignants lorsque cela est possible ; le droit de fumer Ă  certaines heures et en certains lieux ; relations sexuelles interdites dans le service etc
..

Cette analogie apparente entre le mĂ©tier de flic, voire de maton,  et celui d’infirmier voire d’éducateur en soins psychiatriques et pĂ©dopsychiatriques peut expliquer certains « affrontements » avec le patient et/ou son entourage :

Fort heureusement, ces « affrontements » entre patient et soignants peuvent ĂȘtre provisoires et minoritaires. Le temps de faire connaissance et d’apprendre Ă  connaĂźtre les soignants qui sont des individus inconnus dont on ignore au dĂ©but, quel que puisse ĂȘtre leur discours de prĂ©sentation, les rĂ©elles intentions. Le temps de dĂ©cider si l’on va faire alliance ou non avec les soignants ou si l’on va rester « fidĂšle » ou « loyal » aux codes de conduite que l’on a toujours suivi jusque lĂ  et qui nous ont permis jusqu’alors d’exister, d’ĂȘtre acceptĂ©, de nous affirmer et de survivre dehors. Le temps de certaines crises qui permettent au patient d’exprimer un mal-ĂȘtre, une impuissance ou un dĂ©sespoir, plus ou moins longtemps contenus, et dont le corps soignant prĂ©sent devient alors
le rĂ©cepteur.

Et ce qui diffĂ©rencie un soignant d’un flic ou d’un individu lambda non-prĂ©parĂ© ou non-formĂ©, c’est le type de relation.  Le type d’action et de rĂŽle face Ă  la violence exprimĂ©e.  C’est le fait que le soignant va essayer de comprendre cette violence. Il va essayer de la retraduire et d’amener le patient Ă  saisir que cette violence qui lui Ă©chappe, alors qu’il croit sans doute la contrĂŽler, le handicape plus qu’elle ne lui sert. Il va essayer – quand c’est possible- de la « divertir », de la dĂ©tourner voire de la  canaliser.

Il va aussi essayer d’encourager le patient Ă  employer son Ă©nergie vers d’autres projets que ceux menant Ă  la destruction.

Cela est Ă©videmment bien plus facile Ă  thĂ©oriser qu’à rĂ©aliser : puisqu’il arrive que ces patients que l’on veut « aider » agressent les soignants fautifs d’ĂȘtre ces interlocuteurs imparfaits et constants. Fautifs de rappeler certaines rĂšgles et certaines limites. Fautifs de rappeler certains faits. Fautifs d’ĂȘtre celles et ceux qui dĂ©tiennent la clĂ© qui ouvrent et ferment les portes.

Il est aussi des personnes de la sociĂ©tĂ© civile, ni infirmiers, ni Ă©ducateurs, ni psychologues, ni mĂ©decins, qui excellent Ă  aider et soutenir bien des personnes en difficultĂ© morale et sociale. Mais cela se passe alors en dehors de l’enceinte de l’hĂŽpital et dans  un certain angle mort de la connaissance et de l’expĂ©rience hospitaliĂšre. Pour le pire ( sectes, groupuscules extrĂ©mistes,  et autres) ou pour le meilleur.

 

Fort malheureusement, aussi, Ă  l’hĂŽpital, certains de ces « affrontements » avec certains patients et/ou leur entourage et famille, peuvent plus ou moins durer, plus ou moins « planer » dans l’atmosphĂšre d’un service et peser en restant Ă  la limite du supportable.

Un des autres points communs du travail de flic avec le mĂ©tier de soignant en psychiatrie mais aussi dans d’autres disciplines de soins (somatiques comme mentales) est de voir l’envers du dĂ©cor d’une sociĂ©tĂ©. Dans cet envers du dĂ©cor, il n’y’a nul maquillage, campagne de communication ou de place pour la mise en scĂšne. On s’y rĂ©vĂšle avec nos viscĂšres, nos faiblesses, nos limites, nos mauvais profils comme avec nos forces morales et autres. Pratiquement sans faux semblant. On pourra dire de mĂȘme avec les mĂ©tiers de pompiers ou d’assistante sociale pour citer quelques unes de ces professions oĂč l’on est au contact, Ă  visage dĂ©couvert, avec la vie et l’intimitĂ© des gens. Et c’est, ici, le but principal de cet article :

 

Lire, en plein mois d’aoĂ»t, La peur a changĂ© de camp , de FrĂ©dĂ©ric Ploquin, grand reporter, spĂ©cialiste du grand banditisme, de sujets ayant trait Ă  la police et au renseignement, mais aussi rĂ©alisateur de reportages ?!

Il est  des lectures plus relaxantes et plus ensoleillĂ©es. Et, j’ai hĂ©sitĂ© Ă  en commencer la lecture (il me reste deux cents pages Ă  lire) avant ce samedi oĂč il pleut. D’autant qu’avec le mouvement des gilets jaunes mais aussi du fait de certaines bavures policiĂšres, les flics, comme souvent, voire comme toujours, ont une trĂšs mauvaise image. Surtout si l’on ajoute, une ou deux (voire beaucoup plus) expĂ©riences personnelles dĂ©sagrĂ©ables que l’on a pu vivre soi- mĂȘme ( je relate une de mes expĂ©riences personnelles assez rĂ©cente dans l’article Tenant du titre et, surtout, dans l’article C’est Comportemental ! ) ou dont on a Ă©tĂ© le tĂ©moin ou dont on a entendu parler.

 

Le livre de Frédéric Ploquin explique aussi les raisons de certaines erreurs et dérives policiÚres. Lesquelles raisons sont bien-sûr multiples et aussi personnelles :

De mĂȘme qu’il y’a de trĂšs bons flics, il y’a aussi des trĂšs mauvais flics.

Mais celles et ceux qui dĂ©cident, au dessus de leurs tĂȘtes, ont aussi leur part de responsabilitĂ©. Sauf que ces dĂ©cideurs et dĂ©cideuses, mĂȘme lorsqu’ils font des erreurs ou font certains choix politiques dĂ©lĂ©tĂšres, peuvent tranquillement poursuivre leur carriĂšre en restant Ă  l’abri contrairement aux policiers qui restent sur le terrain et doivent en rendre compte.

Je me doute bien que pour certaines et certains, les flics resteront des ennemis et « doivent » rester ces femmes et ces hommes responsables de tous les travers ou ces « fourmis » qu’il faudrait Ă©craser et dĂ©membrer une Ă  une. Je me doute aussi que pour certaines et certains, nuancer l’image de la police, c’est trahir et passer pour un gogo sans honneur et amnĂ©sique tout prĂȘt de se faire enrĂŽler comme boy ou serviteur bĂ©nĂ©vole au service du Rassemblement National ( ex-Front National) ou autre nostalgique nazi et esclavagiste.

Pourtant, Ă  mesure que je lis ce livre oĂč FrĂ©dĂ©ric Ploquin parle pourtant de la police, et rien que de la police, je m’aperçois que les conditions de travail dĂ©gradĂ©es de la police dont il parle, ressemblent Ă  ces mĂȘmes conditions de travail dĂ©gradĂ©es que connaissent depuis plusieurs annĂ©es les services publics de l’école et des hĂŽpitaux dans une sociĂ©tĂ© de plus en plus inĂ©galitaire. Pour ne parler que de la dĂ©gradation des conditions de travail dans les Ă©coles publiques et dans les hĂŽpitaux publics.

D’autres services publics sont sans doute touchĂ©s par les mĂȘmes dĂ©gradations des conditions de travail : qu’il s’agisse des transports ou de certaines entreprises publiques aujourd’hui privatisĂ©es
.

Comment continuer de s’abstenir de faire le rapprochement en lisant La Peur a changĂ© de camp ?

Nous sommes au mois d’aoĂ»t. C’est encore les vacances. Le livre de FrĂ©dĂ©ric Ploquin dĂ©taille et explique les raisons pour lesquelles, la rentrĂ©e et le retour de vacances seront suivis, comme souvent depuis plusieurs annĂ©es, malheureusement, de certaines crises sociales et autres.

Parce que certaines de nos Ă©lites continuent de mĂ©priser et de mĂ©connaĂźtre l’avenir. Ainsi que toute ou partie de nos histoires, de nos valeurs et de nos espoirs. Ce qui explique l’ascension sans filtre et apparemment sans frein de certains extrĂ©mismes et de certaines peurs. Pendant le mois d’aoĂ»t mais aussi lors des autres mois de l’annĂ©e.

En attendant d’autres articles sur des thĂšmes diffĂ©rents, et je l’espĂšre plus lĂ©gers,  on pourra trouver Ă  celui-ci une continuitĂ© avec mon article sur le livre Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel.

Franck Unimon, ce samedi 17 aout 2019.

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Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel

 

 

 

 

 

Tandis que ma fille faisait sa sieste hier aprĂšs-midi, j’ai terminĂ© le livre Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel , publiĂ© en 2013, de J-Pierre Roybon, ancien nageur de combat. Il me restait Ă  peine vingt ou trente pages Ă  lire.

 

Dans les débuts de son livre, J-P Roybon, 65 ans en 2013 lorsque son livre a été publié, se sent obligé de prévenir, page 9 :

« Je ne suis ni Ă©crivain, ni bardĂ© de diplĂŽmes universitaires mais seulement dĂ©tenteur d’un certificat d’études primaires ». Sans doute des restes du « mauvais » Ă©lĂšve qu’il Ă©tait, dans une autre vie, dans cette Ă©cole obligatoire qu’il n’avait pas choisie et qui ne lui correspondait pas comme Ă  tant d’autres hier, aujourd’hui et demain.

Je soussignĂ©, moi, Franck Unimon, l’apprenti-Ă©crivain anonyme connu seulement de lui-mĂȘme, le plus ou moins universitaire avortĂ©, le littĂ©raire, et sans doute aussi l’artiste ratĂ©, je dĂ©clare avoir eu plaisir Ă  lire son Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel comme je peux avoir plaisir Ă  Ă©couter certaines personnes qui ne sont pas de mon monde extĂ©rieur et immĂ©diat. A premiĂšre vue.

 

Je me suis retrouvĂ© dans certaines de ces valeurs qui tiennent J-Pierre Roybon en tant qu’homme et militaire :

J’ai dĂ©jĂ  pensĂ© que mon pĂšre aurait pu ĂȘtre militaire compte-tenu de sa rigiditĂ© et de sa « rusticitĂ© ». Dans son rĂ©cit, J-Pierre Roybon , alias Royco, insiste Ă  plusieurs reprises sur le point qu’un bon nageur de combat se doit d’ĂȘtre « rustique ». En plus de dĂ©montrer de sĂ©rieuses aptitudes physiques, mentales, morales, techniques ainsi qu’ Ă  la pratique de la solidaritĂ© et
obĂ©issance aux ordres.

 

Dans les faits, mon pĂšre (de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration que J-Pierre Roybon et de quatre ans son aĂźnĂ©) avait Ă©tĂ© exemptĂ© de son service militaire car il Ă©tait devenu « fou » au moment de le faire ou aprĂšs avoir Ă©chouĂ© au bac. J’ai un peu oubliĂ© la chronologie aujourd’hui. Par contre, j’ai fait mon service militaire mĂȘme si j’ai passĂ© la plus grande partie de mon service militaire Ă  exercer en tant qu’infirmier diplĂŽmĂ© d’Etat
en psychiatrie : pas mal pour quelqu’un dont le pĂšre Ă©tait devenu « fou » une gĂ©nĂ©ration plus tĂŽt au moment de faire son service militaire ou aprĂšs avoir Ă©chouĂ© au bac !

Pendant mon service militaire- encore obligatoire alors- je me suis un moment demandĂ© si j’allais m’engager. En tant qu’infirmier. Non pour des raisons patriotiques ou guerriĂšres. Je n’ai jamais Ă©tĂ© sĂ©duit par les attraits du clairon nous commandant de servir de chair Ă  canon pour quelques dĂ©cideurs protĂ©gĂ©s et dont les motivations profondes m’étaient Ă©trangĂšres. Peut-ĂȘtre aussi que ma filiation antillaise ainsi qu’avec l’histoire de l’esclavage m’a fait grandir dans une certaine mĂ©fiance envers la Nation française et blanche. Et je reste sceptique devant le sacrifice (« oscarisĂ© » pour Denzel Washington) lors de la guerre de sĂ©cession de certains esclaves noirs amĂ©ricains dans le film Glory rĂ©alisĂ© en 1989 par Edward Zwick.

 

A Lourdes, pendant mon service militaire en 1993, on nous avait ainsi servi des dĂ©filĂ©s militaires de diffĂ©rents pays et des images montĂ©es afin de nous sensibiliser Ă  l’horreur- rĂ©elle- de la guerre au Kosovo. Si d’autres appelĂ©s venus comme moi Ă  Lourdes avaient alors manifestĂ© leur bruyant et enthousiaste patriotisme ainsi que leur Ă©motion, j’étais restĂ© discrĂštement perplexe devant la mise en scĂšne de ces dĂ©filĂ©s militaires comme devant les images- et la musique- que l’on nous avait prĂ©sentĂ©es.

NĂ©anmoins, en lisant le livre de J-P Roybon, il m’est apparu que j’étais aussi attachĂ© Ă  ce qu’il dĂ©crit en matiĂšre d’abnĂ©gation de soi, d’efforts, d’entrainement physique et mental intense, d’éducation personnelle, de rite initiatique et d’apprentissage de la vie d’adulte et de la rencontre d’amis vĂ©ritables et durables. Comme on peut le dire quelques fois crument :

Lorsque l’on en chie avec quelqu’un, on apprend Ă  se connaĂźtre et il est impossible de se mentir Ă  soi-mĂȘme comme aux autres. Et J-P Roybon, lors de ses diverses formations, en a « chiĂ© » avec d’autres.

Dans son rĂ©cit, on retrouve donc de maniĂšre amplifiĂ©e ces valeurs- et d’autres- que l’on peut admirer et courtiser lorsque l’on regarde la figure des samouraĂŻ ou de toutes ces femmes et ces hommes combattants qui sont au rendez-vous de certains codes d’honneur et actes hĂ©roĂŻques. Quelle que soit leur place vis-Ă -vis de la « Loi » :

Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme rĂ©sistant lors de la Seconde guerre Mondiale ou lors de la guerre d’AlgĂ©rie, cĂŽtĂ© algĂ©rien. Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme esclave qui marronne. D’une personne dĂ©portĂ©e qui s’Ă©chappe d’un camp de concentration. D’une victime qui se soustrait Ă  son agresseur. Qu’il s’agisse d’un soldat ou d’un SamouraĂŻ.

Bien-sĂ»r, au cinĂ©ma, on peut penser aux yakuzas tels que nous les a montrĂ©s un rĂ©alisateur comme Takeshi Kitano dans ses films Sonatine, Hana-Bi , Aniki, mon frĂšre ou autres. Mais on peut aussi penser au personnage interprĂ©tĂ© par De Niro dans Heat de Michael Mann. Au personnage de garde du corps puis de tueur tenu par Denzel Washington dans Man on Fire de Tony Scott. Ou au rĂŽle tenu par l’acteur Mads Mikkelsen dans le film Michael Kholhaas rĂ©alisĂ© en 2013 par Arnaud des PalliĂšres. On peut aussi penser Ă  la premiĂšre heure du film Jeanne d’Arc de Luc Besson. On peut Ă©galement penser Ă  certains intellectuels qui, Ă  certains moments de l’Histoire, ont fait entendre leur voix, leur conscience et leur identitĂ© : Les AimĂ© CĂ©saire, Gilbert Gratiant, Dany LaferriĂšre et d’autres dont les musiciens et chanteurs Arthur H et Nicolas Repac ont mis en musique certains des textes et poĂšmes dans le trĂšs bel album L’Or noir sorti en 2012.

 

 

 

On peut bien-sĂ»r penser Ă  beaucoup d’autres figures fĂ©minines, masculines, historiques, contemporaines ou « fictives » qu’elles soient connues, oubliĂ©es ou inconnues, consensuelles, contrastĂ©es ou transgenres, chacun et chacune choisissant ses modĂšles selon ses propres critĂšres, besoins et urgences personnelles et morales. Certaines personnes penseront Ă  l’exemple de Simone Veil, d’autres Ă  la navigatrice Ellen Mac Arthur, Ă  la militante Angela Davis, Ă  l’artiste Nina Simone, ou Ă  PJ Harvey, Lady Gaga, Madonna, Beyoncé .

 

 

Ma vie personnelle et ma personnalitĂ© ont connu, connaissent et accomplissent un engagement moins extrĂȘme que ces exemples rĂ©els ou fictifs. J’ai pourtant connu des moments de ma vie oĂč je me dirigeais vers ce genre d’engagement ou de rapport Ă  la vie. Et oĂč j’étais plus « rustique ». Plus engagĂ©. Plus dur au mal. Je pense par exemple Ă  ces deux ou trois annĂ©es de ma vie, ou, adolescent, je m’entraĂźnais avec assiduitĂ© Ă  l’athlĂ©tisme avec certains copains. Et oĂč j’aurais Ă©tĂ© capable- sans dopage- de donner encore plus de ma personne si mes rĂ©sultats m’y avaient encouragĂ© et que ma forme physique et morale me l’avaient permis.

Je pense aussi Ă©videmment au moins Ă  mes Ă©tudes d’infirmier d’Etat qui, dĂšs la sortie du lycĂ©e, avant mes 18 ans, m’ont fait rentrer dans la tĂȘte une vision et une expĂ©rience du Monde et de la vie bien diffĂ©rente de celle que l’on peut s’en faire en allant au lycĂ©e, Ă  l’universitĂ© ou en effectuant des Ă©tudes oĂč sang, viscĂšres, Ă©liminations de l’organisme et diverses maladies et Ă©tats de santĂ© restent, sauf drame familial et personnel, une expĂ©rience limitĂ©e dans l’espace et le temps ou circonscrite Ă  la lecture d’un livre, la vision d’un film, d’un reportage ou Ă  la dĂ©couverte d’un fait divers dans les mĂ©dia et les rĂ©seaux sociaux.

Pour avoir passĂ© trois ans Ă  la Fac aprĂšs l’obtention de mon diplĂŽme d’Etat d’infirmier, je peux tĂ©moigner que mon regard sur le monde et sur la vie Ă©tait assez diffĂ©rent de celui d’un certain nombre de mes sympathiques camarades de DEUG d’Anglais. J’avais pourtant Ă  peine deux ou trois ans de plus que la majoritĂ© d’entre eux. Et si j’étais sorti du lycĂ©e comme eux en arrivant Ă  la fac, j’aurais sans aucun doute Ă©tĂ© dans le mĂȘme Ă©tat d’esprit que la plupart d’entre eux. MĂȘme si j’avais pu y cĂŽtoyer un camarade se rendant avec ses parents au KĂ©nya pour y faire un safari durant les vacances de NoĂ«l, une autre dont le rĂȘve Ă©tait que ses parents lui achĂštent un cheval avec le box qui va avec. MĂȘme si j’avais pu voir une Ă©tudiante engueuler – telles de vulgaires gouvernantes- deux secrĂ©taires de l’Ăąge de sa mĂšre au motif que lors des dates de partiels de rattrapage elle serait…en vacances !

 

Je crois que mon « dĂ©calage » mental avec mes camarades de l’universitĂ©, sans doute dĂ©jĂ  Ă  l’Ɠuvre en sourdine bien avant, m’a en fait poursuivi, rattrapĂ© et s’est accentuĂ© Ă  mesure de mes annĂ©es d’exercice infirmier et de ma vie d’adulte. Dans mes relations personnelles mais aussi professionnelles :

Signe que je suis encore un naïf et un « gentil », je reste étonné devant la vanité de certaines relations et rencontres dont je parle un peu dans mon article Paranoïa Sociale.

 

Il est aussi vrai qu’à mon niveau, je me suis « embourgeoisĂ© ». Je me suis dĂ©tendu avec les annĂ©es et « laissĂ© aller ». Je le vois Ă  des indices trĂšs simples qui pourraient faire sourire mais qui, moi, me gĂȘnent un peu :

J’estime avoir entre trois et cinq kilos en trop et avoir un peu de ventre. Et j’ai beaucoup de mal Ă  les perdre. La solution, pourtant simple, qui consiste Ă  se dĂ©penser physiquement, intensivement, de maniĂšre rĂ©guliĂšre, me rĂ©siste. Pourtant, j’aime faire du sport. Et je suis capable d’en faire seul, peu importe la tempĂ©rature extĂ©rieure. Avec une prĂ©fĂ©rence, quand mĂȘme, pour les tempĂ©ratures basses lorsqu’il s’agit de courir Ă  l’extĂ©rieur.

J’ai aussi un dĂ©couvert bancaire chronique. Avec les annĂ©es, j’ai accumulĂ© des objets dont je ne me sers pas ou trĂšs peu. Si je m’étais dispensĂ© de la moitiĂ© voire du quart d’entre eux, mon solde bancaire serait sans doute crĂ©diteur et cela jusqu’Ă  ma mort voire au-delĂ .

Je continue pourtant assez rĂ©guliĂšrement de me trousser de jolies petites histoires oĂč il est question de nouveaux objets Ă  acquĂ©rir.

Nous avons dĂ» obtenir un crĂ©dit immobilier pour l’achat de notre appartement.

 

« Avant », j’aurais sans doute dĂ©jĂ  perdu ces kilos et ce ventre. « Avant », je me serais habillĂ© comme un chien. J’aurais mangĂ© du pain industriel et achetĂ© les paquets de gĂąteaux ou de biscuits les moins chers au kilo.

« Avant », je serais demeurĂ© locataire de mon appartement. Je n’aurais pas fait d’enfant. Je ne me serais pas mariĂ©.

 

Mais j’aurais quand mĂȘme Ă©tĂ© incapable de supporter les entraĂźnements et les risques que J-P Roybon nous dĂ©crit lors de sa formation de nageur de combat. Comme j’aurais Ă©tĂ© incapable d’obtenir la multitude de qualifications qu’il a obtenues. Et je n’aurais pas pu, je crois, dĂ©sirer comme lui mettre en pratique ce qu’il a appris pour son « mĂ©tier des armes ». Car contrairement Ă  lui, Ă  la destruction, j’ai dĂšs le dĂ©but prĂ©fĂ©ré la reconstruction, la guĂ©rison. L’apaisement. La comprĂ©hension. L’intellectualisation du Monde qui m’entoure. Ou Ă  peu prĂšs tout ce qui pouvait me permettre de m’en rapprocher. C’est peut-ĂȘtre seulement une question de tempĂ©rament. Ou de paquetage Ă©motionnel personnel.

MĂȘme si dans son rĂ©cit, il ne dit rien concernant un Ă©ventuel besoin de revanche familial qu’il aurait eu Ă  satisfaire suite Ă  un conflit armĂ© passĂ© ou Ă  un drame intime ( viol, agression, meurtre d’un des membres de la famille). MĂȘme s’il parle quand mĂȘme de quelqu’un de sa famille ou de son entourage qui a eu un parcours militaire, il parle de son « destin » militaire comme d’un rĂȘve qu’il faisait depuis son enfance. Les posters dans sa chambre et autres trophĂ©es de la mer en attestaient.

C’est un fait : lĂ  oĂč certains rĂȘvent de guerres, d’autres rĂȘvent de paix. Enfant, je sais que je rĂȘvais beaucoup. Mais je ne rĂȘvais pas de guerres et pas de la mer non plus.

De mon cĂŽtĂ©, question violence familiale et intrafamiliale, sociale, et personnelle, j’estime avoir Ă©tĂ© suffisamment « nourri » dĂšs ma naissance : esclavage, milieu social modeste voire pauvre et rural, rejet de ma mĂšre par sa famille avant ses 18 ans car enceinte( fausse couche), immigration de mes parents noirs de peau- et « Français » en mĂ©tropole (la France, ex-pays colonisateur) depuis leur Guadeloupe natale depuis des gĂ©nĂ©rations, immeuble HLM en banlieue parisienne, etc
.

 

Et afin de prĂ©venir- ou d’éclaircir- Ă  nouveau ce malentendu courant :

Je ne vois aucune vocation dans ma dĂ©cision, avant mes 18 ans, de faire des Ă©tudes d’infirmier d’Etat. C’est simplement qu’en raison de mon milieu social moyen et de la vision du Monde, du marchĂ© du travail et de la vie, disons, un peu anxiogĂšne, que m’ont transmis mes parents ( mes oncles et tantes, des cousines et des cousins, et avant eux, mes grands-parents et sans doute mes ancĂȘtres)  j’ai optĂ© pour un repli stratĂ©gique et plus « sĂ»r » dans le fonctionnariat et des Ă©tudes d’infirmier d’Etat. Lesquelles Ă©tudes, je le rappelle, sont au dĂ©part principalement orientĂ©es vers la mĂ©decine et la chirurgie et non sur le travail psychique et psychiatrique qui Ă©tait et reste, lui, plutĂŽt perçu de maniĂšre pĂ©jorative.

Je suis un infirmier diplĂŽmĂ© d’Etat qui, Ă  un moment donnĂ©, a choisi de travailler en psychiatrie. Dans les annĂ©es 90. A une Ă©poque oĂč j’étais plus « rustique » que maintenant.

Le caractĂšre ou le tempĂ©rament plus ou moins « rustique » de mes parents les a Ă  la fois pourvus- comme pour tant d’autres parents et individus- de cette robustesse qui leur a Ă©vitĂ© alcoolisme, dĂ©pression, dĂ©linquance, chĂŽmage, cancer et autres dĂ©faillances humaines. Et on retrouve sans aucun doute cette robustesse et cette « rusticité » chez les pionniers, les explorateurs, les aventuriers, les guerriers, les survivants mais aussi chez bien des hĂ©roĂŻnes, hĂ©ros et sauveteurs. Ainsi que chez beaucoup d’autres personnes « normales » que nous connaissons et rencontrons ou auxquelles nous devons beaucoup. Raison pour laquelle il faut essayer de se garder de juger de maniĂšre expĂ©ditive celles et ceux que l’on a spontanĂ©ment envie de qualifier de personnes « bourrines » ou peu Ă©duquĂ©es parce qu’elles manqueraient de dĂ©licatesse, de discussion, de charme ou de sex-appeal.

Je repense au navigateur Eric Tabarly qui rĂ©pondait de maniĂšre laconique aux interviews. Je repense Ă  VĂ©lo, un cousin Ă©loignĂ© du cĂŽtĂ© de ma mĂšre, que je n’ai jamais rencontrĂ©, mort pauvre, sans doute alcoolique et SDF. VĂ©lo, Maitre Ka, est aujourd’hui une rĂ©fĂ©rence dans la musique antillaise. Et moi, plus lettrĂ© que lui, si on met un tambour devant moi, je ne sais mĂȘme pas oĂč poser mes doigts et c’est alors moi, « l’üle-lettrĂ©e ». Bien-sĂ»r, c’est dĂ©jĂ  bien que je connaisse son nom ainsi que celui d’Alain PĂ©ters dont la trajectoire a finalement Ă©tĂ© assez jumelle. C’est peut-ĂȘtre pour ça, d’ailleurs, que l’histoire personnelle de ce dernier me parle autant. Alain PĂ©ters et VĂ©lo font peut-ĂȘtre partie de mes Twin Towers intĂ©rieures que le Monde a vu s’effondrer le 11 septembre 2001.

 

Mes parents, eux, ont sĂ»rement flĂ©chi plus d’une fois. Mais ils sont restĂ©s droits. Ils ne sont pas tombĂ©s comme ces tours immenses, arrogantes et voyantes. Et lorsque j’écris que les Twin Towers Ă©taient « arrogantes et voyantes », j’écris ici ce que j’imagine de ce qu’elles devaient inspirer aux intĂ©gristes qui les ont dĂ©truites et qui voudraient aussi dĂ©truire les femmes sans voile : si cela avait tenu Ă  moi, les Twin Towers seraient toujours prĂ©sentes. Comme mes parents, mes premiĂšres Twin Towers, sont aujourd’hui toujours prĂ©sents.

 

NĂ©anmoins le caractĂšre ou le tempĂ©rament plus ou moins « rustique » de mes parents fait aussi qu’ils ont fait et font partie de ces nombreuses personnes qui n’ont jamais consultĂ© et ne consulteront jamais un psychologue ou un professionnel lui ressemblant en cas de dĂ©tresse ou de souffrance morale. Et qu’ils n’ont donc jamais considĂ©rĂ© que cela pourrait Ă©ventuellement servir Ă  un de leurs enfants.

 

Aujourd’hui et demain, il subsiste et subsistera des parents hermĂ©tiques Ă  la psychĂ© telle qu’on l’apprĂ©hende en occident. Pour ces quelques raisons, je crois ĂȘtre suffisamment Ă©quipĂ© pour comprendre l’esprit qui a pu animer J-Pierre Roybon lors de son apprentissage militaire et tel qu’il nous le dĂ©crit dans son livre que j’ai bien aimĂ©. MĂȘme si, contrairement Ă  lui, je ne suis pas un guerrier. Du moins, est-ce ce que je crois ou ai besoin de croire et de me trousser comme histoire.

 

Dans une des conclusions de son livre, il écrit, page 443 :

« Certes, ma vie personnelle n’a pas Ă©tĂ© Ă  la hauteur de mes rĂ©ussites militaires mais les joies que m’avaient procurĂ©es ces annĂ©es sous les drapeaux ont su combler certaines dĂ©sillusions ».

Un peu plus loin, il confie son regret, devant la fin de la guerre du Vietnam, d’avoir Ă©tĂ© en quelque sorte « privĂ© » de guerre sur le terrain et de la possibilitĂ© de mettre en pratique ce qu’il avait appris. S’il est nĂ© en 1948, J-P Roybon mentionne trĂšs indirectement et de trĂšs loin Mai 1968 et les mouvements pacifistes et hippies des annĂ©es 60 par ce biais :

Seulement pour dire comme cette transformation du Monde, de la SociĂ©tĂ© et de la Politique l’ont privĂ©, lui et d’autres, de certaines sagas militaires. Et aussi que certaines valeurs d’honnĂȘtetĂ©, d’engagement, de courage, de respect du drapeau et de la Marseillaise, se sont perdues. A ce stade, et mĂȘme avant, on peut craindre que son tĂ©moignage soit portĂ© par un courant profondĂ©ment frontiste, raciste, passĂ©iste, colonial et paramilitaire.

Sauf qu’il refuse l’aventure de l’Afrique, substitut aux militaires engagĂ©s en manque d’action pour cause de fin de guerre du Vietnam comme il nous l’explique en quelques lignes, page 444 :

« En 1973, la signature des accords de Paris mettait fin au conflit en prĂ©voyant le retrait des forces US dans un dĂ©lai de 60 jours. Tout Ă©tait pliĂ©, terminĂ©. Les combattants super-entraĂźnĂ©s que nous Ă©tions devenus n’auraient donc pas la possibilitĂ© de mettre en pratique ce Ă  quoi ils Ă©taient destinĂ©s ; en fait nous Ă©tions des pur-sang interdits de courses. Alors plutĂŽt que d’aller brouter l’herbe des hippodromes ou terminer dans un haras uniquement pour la reproduction Ă©quine, autant reprendre la vie sauvage vers des horizons nouveaux. L’Afrique en ce temps-lĂ  offrait ces perspectives, pour des hommes aux « aptitudes particuliĂšres », mais la formation qui avait Ă©tĂ© la mienne m’interdisait moralement de me battre en Ă©change d’un chĂšque, fut-il trĂšs consĂ©quent
 Comme d’autres camarades, sans attendre l’ñge de la retraite, je me suis remis en question et j’ai alors quittĂ© la Marine pour la vie civile. L’appel de la mer Ă©tait toujours trĂšs fort pour moi et en fonction de mes qualifications, je n’avais que l’embarras du choix pour trouver un travail dans le milieu sous-marin ».

 

Dans ce choix que J-P Roybon fait de refuser, comme plusieurs de ses camarades, de devenir mercenaire, j’ai immĂ©diatement pensĂ© Ă  la personnalitĂ© d’un Bob Denard dont les agissements avaient pu ĂȘtre mĂ©diatisĂ©s dans les annĂ©es 80-90. Sur un autre terrain et dans un autre cadre, cela peut aussi expliquer que Ange Mancini , ex-patron du Raid, ex-prĂ©fet de la Martinique, Ă  la retraite depuis 2013, soit depuis associĂ© au groupe BollorĂ© en Afrique pour la construction d’un chemin de fer de « 3000 kms en Afrique de l’Ouest ».

Ange Mancini est l’aĂźnĂ© de quatre ans de J-P Roybon. Mais les deux hommes, de la mĂȘme gĂ©nĂ©ration, ont sĂ»rement bien des points communs dans leur parcours personnel et professionnel. BollorĂ©, quant Ă  lui, pour des gĂ©nĂ©rations plus « jeunes », nĂ©es dans les annĂ©es 60 et aprĂšs, c’est le fossoyeur d’un certain esprit Canal+, d’une certaine insolence et fantaisie. La fin d’un Monde ou du Monde. D’une certaine façon, on peut dire que BollorĂ© a officialisĂ© le retour d’une certaine rusticitĂ© -mais dans le mauvais sens du terme- dans le milieu de la politique, de la tĂ©lĂ©, de l’économie, de l’art de s’exprimer et du divertissement. Du fric. Lorsque le groupe Chic chante  » Le Freak, c’est chic », quarante ans plus tard, ça peut toujours entraĂźner et faire danser malgrĂ© le jeu de mot Monstre/ fric. Mais lorsque BollorĂ© a commencĂ© Ă  agir sur Canal+, danser signifiait ĂȘtre Ă©jectĂ© de la piste de la chaine cryptĂ©e. Etre dĂ©classĂ© et dĂ©gradĂ©. Partir Ă  la casse.

 

Un peu plus loin, J-P Roybon Ă©crit, page 445 : « (
.) Dans cette ambiance trĂšs particuliĂšre qui se trouvait en total dĂ©calage avec mes plongĂ©es civiles ou militaires, j’appris Ă  construire ou reconstruire des ouvrages portuaires que j’avais Ă©tĂ© prĂ©cĂ©demment formĂ© Ă  dĂ©molir, activitĂ© dans laquelle je m’étais montrĂ© assez compĂ©tent(
) ». « (
.) Mon nouveau statut m’emmena dans l’ocĂ©an pacifique, sur les sites nuclĂ©aires ainsi que les Ăźles ou atolls sur lesquels mes services Ă©taient demandĂ©s, puisque j’étais responsable des plongeurs polynĂ©siens de l’AMM ( Arrondissement Mixte de Mururoa). Je rencontrai alors les peuples de la mer et je dois avouer qu’ils m’ont beaucoup appris, dans un domaine oĂč je pensais tout connaĂźtre ».

 

« (
) Bien des annĂ©es plus tard, je quittai le monde professionnel et de nouvelles aventures beaucoup plus paisibles s’ouvraient Ă  moi car comme tout plongeur ayant eu le privilĂšge de voir et connaĂźtre ce qu’il y’a de mieux sous la surface des mers, au fil du temps je suis devenu un contemplatif « subaquatique ».

 

Elle est peut-ĂȘtre lĂ , la principale diffĂ©rence entre un guerrier, une personne qui s’agite et consomme, un terroriste et un pacifiste :

les trois premiers ont besoin d’action pour espĂ©rer s’accomplir et s’apaiser quitte Ă  tout raser autour d’eux s’il le faut. Le dernier, lui, cherche davantage Ă  maintenir le calme en lui et autour de lui et Ă  accĂ©der Ă  la contemplation.

Finalement, le rĂ©cit de J-P Roybon est une autre version de la quĂȘte du Ying et du Yang. Et il semble qu’aprĂšs bien des Ă©preuves, il s’en soit rapprochĂ©.

Franck Unimon, ce vendredi 9 aout 2019. 13h08.