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Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

 

                    Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle

« Le plaisir est ma seule ambition Â».

 

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson

 

Parler d’un des derniers livres de Kersauson, Le Monde comme il me parle,  c’est presque se dĂ©vouer Ă  sa propre perdition. C’est comme faire la description de notre dentition de lait en dĂ©cidant que cela pourrait captiver. Pour beaucoup, ça manquera de sel et d’exotisme. Je m’aperçois que son nom parlera spontanĂ©ment aux personnes d’une cinquantaine d’annĂ©es comme Ă  celles en âge d’être en EHPAD.

 

Kersauson est sûrement assez peu connu voire inconnu du grand public d’aujourd’hui. Celui que j’aimerais concerner en priorité avec cet article. Je parle du public compris grosso modo entre 10 et 35 ans. Puisque internet et les réseaux sociaux ont contribué à abaisser l’âge moyen du public lambda. Kersauson n’est ni Booba, ni Soprano, ni Kenji Girac. Il n’est même pas le journaliste animateur Pascal Praud, tentative de croisement tête à claques entre Donald Trump et Bernard Pivot, martelant sur la chaine de télé Cnews ses certitudes de privilégié. Et à qui il manque un nez de clown pour compléter le maquillage.

 

Le Mérite

 

Or, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus guidĂ©s par et pour la dictature de l’audience et du like. Il est plus rentable de faire de l’audience que d’essayer de se faire une conscience.  

 

Que l’on ne me parle pas du mĂ©rite, hĂ©ritage incertain qui peut permettre Ă  d’autres de profiter indĂ©finiment de notre crĂ©dulitĂ© comme de notre « gĂ©nĂ©rositĂ© Â» ! Je me rappelle toujours de cette citation que m’avait professĂ©e Spock, un de mes anciens collègues :

 

« Il nous arrive non pas ce que l’on mĂ©rite mais ce qui nous ressemble Â».

Une phrase implacable que je n’ai jamais essayé de détourner ou de contredire.

 

Passer des heures sur une entreprise ou sur une action qui nous vaut peu de manifestations d’intĂ©rĂŞt ou pas d’argent revient Ă  se masturber ou Ă  Ă©chouer. 

Cela Ă©quivaut Ă  demeurer  une personne indĂ©sirable.

Si, un jour, mes articles comptent plusieurs milliers de lectrices et de lecteurs, je deviendrai une personne de « valeur Â».  Surtout si ça rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent. Quelles que soient l’originalitĂ© ou les vertus de ce que je produis.

 

Mais j’ai beaucoup de mal Ă  croire Ă  cet avenir. Mes Ă©crits manquent par trop de poitrine, de potins, d’images ad hoc, de sex-tapes, de silicone et de oups ! Et ce n’est pas en parlant de Kersauson aujourd’hui que cela va s’amĂ©liorer. Kersauson n’a mĂŞme pas fait le nĂ©cessaire pour intĂ©grer  l’émission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Les Marseillais !

 

Rien en commun

 

Mais j’ai plaisir à écrire cet article.

 

Kersauson et moi n’avons a priori rien Ă  voir ensemble. Il a l’âge de mon père, est issu de la bourgeoisie catholique bretonne. Mais il n’a ni l’histoire ni le corps social (et autre) de mon père et de ma mère. MĂŞme si, tous les deux, ont eu une Ă©ducation catholique tendance campagnarde et traditionnelle. Ma grand-mère maternelle, originaire des Saintes, connaissait ses prières en latin.  

 

Kersauson a mis le pied sur un bateau de pĂŞche Ă  l’âge de quatre ans et s’en souvient encore. Il a appris « tĂ´t Â» Ă  nager, sans doute dans la mer, comme ses frères et soeurs.

Je devais avoir entre 6 et 9 ans lorsque je suis allé sur mon premier bateau. C’était dans le bac à sable à côté de l’immeuble HLM où nous habitions en banlieue parisienne. A quelques minutes du quartier de la Défense à vol d’oiseau.

 

J’ai appris à nager vers mes dix ans dans une piscine. Le sel et la mer pour lui, le chlore et le béton pour moi comme principaux décors d’enfance.

 

Moniteur de voile Ă  13 ans, Kersauson enseignait le bateau Ă  des parisiens (sĂ»rement assez aisĂ©s) de 35 Ă  40 ans. Moi, c’est plutĂ´t vers mes 18-20 ans que j’ai commencĂ© Ă  m’occuper de personnes plus âgĂ©es que moi : c’était des patients  dans les hĂ´pitaux et les cliniques. Changer leurs couches, vider leur  bassin, faire leur toilette, prendre soin d’eux….

 

J’ai pourtant connu la mer plus tôt que certains citadins. Vers 7 ans, lors de mon premier séjour en Guadeloupe. Mais si, très tôt, Kersauson est devenu marin, moi, je suis un ultramarin. Lui et moi, ne sommes pas nés du même côté de la mer ni pour les mêmes raisons.

La mer a sĂ»rement eu pour lui, assez tĂ´t, des attraits qui ont mis bien plus de temps  Ă  me parvenir.  Je ne vais pas en rajouter sur le sujet. J’en ai dĂ©jĂ  parlĂ© et reparlĂ©. Et lui, comme d’autres, n’y sont pour rien.

 

Kersauson est né après guerre, en 1944, a grandi dans cette ambiance (la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam) et n’a eu de cesse de lui échapper.

Je suis né en 1968. J’ai entendu parler des guerres. J’ai vu des images. J’ai entendu parler de l’esclavage. J’ai vu des images. J’ai plus connu la crise, la peur du chômage, la peur du racisme, l’épidémie du Sida, la peur d’une guerre nucléaire, les attentats. Et, aujourd’hui, le réchauffement climatique, les attentats, les serres d’internet, l’effondrement, le Covid.

 

Kersauson, et moi, c’est un peu la matière et l’antimatière.

 

En cherchant un peu dans la vase

 

Pourtant, si je cherche un peu dans la vase, je nous trouve quand mĂŞme un petit peu de limon en commun.

L’ancien collègue Spock que j’ai connu, contrairement Ă  celui de la sĂ©rie Star Trek, est Breton.

C’est pendant qu’il fait son service militaire que Kersauson, Breton, rencontre Eric Tabarly, un autre Breton.

 

C’est pendant mon service militaire que j’entends parler pour la première fois de Kersauson. Par un étudiant en psychologie qui me parle régulièrement de Brautigan, de Desproges et de Manchette sûrement. Et qui me parle de la culture de Kersauson lorsque celui-ci passe aux Grosses Têtes de Bouvard. Une émission radiophonique dont j’ai plus entendu parler que je n’ai pris le temps de l’écouter.

 

Je crois que Kersauson a bien dĂ» priser l’univers d’au moins une de ces personnes :

Desproges, Manchette, Brautigan.

 

Pierre Desproges et Jean-Patrick Manchette m’ont fait beaucoup de bien à une certaine période de ma vie. Humour noir et polar, je ne m’en défais pas.

 

C’est un Breton que je rencontre une seule fois (l’ami de Chrystèle, une copine bretonne de l’école d’infirmière)  qui m’expliquera calmement, alors que je suis en colère contre la France, que, bien que noir, je suis Français. J’ai alors entre 20 et 21 ans. Et je suis persuadĂ©, jusqu’à cette rencontre, qu’il faut ĂŞtre blanc pour ĂŞtre Français. Ce Breton, dont j’ai oubliĂ© le prĂ©nom, un peu plus âgĂ© que moi, conducteur de train pour la SNCF, me remettra sur les rails en me disant simplement :

« Mais…tu es Français ! Â».

C’était Ă  la fin des annĂ©es 80. On n’entendait pas du tout  parler d’un Eric Zemmour ou d’autres. Il avait beaucoup moins d’audience que depuis quelques annĂ©es. Lequel Eric Zemmour, aujourd’hui, a son trĂ´ne sur la chaine Cnews et est la pierre philosophale de la PensĂ©e selon un Pascal Praud. Eric Zemmour qui se considère frĂ©quemment comme l’une des personnes les plus lĂ©gitimes pour dire qui peut ĂŞtre Français ou non. Et Ă  quelles conditions. Un de ses vĹ“ux est peut-ĂŞtre d’être le Montesquieu de la question de l’immigration en France.

 

Dans son livre, Le Monde comme il me parle, Kersauson redit son attachement Ă  la PolynĂ©sie française. Mais je sais que, comme lui, le navigateur Moitessier y Ă©tait tout autant attachĂ©. Ainsi qu’Alain Colas. Deux personnes qu’il a connues. Je sais aussi que Tabarly, longtemps cĂ©libataire et sans autre idĂ©e fixe que la mer, s’était quand mĂŞme  achetĂ© une maison et mariĂ© avec une Martiniquaise avec laquelle il a eu une fille. MĂŞme s’il a fini sa vie en mer. Avant d’être repĂŞchĂ©.

 

Ce paragraphe vaut-il Ă  lui tout seul la rĂ©daction et la lecture de cet article ? Toujours est-il que Kersauson est un inconnu des rĂ©seaux sociaux.

 

Inconnu des rĂ©seaux sociaux :

 

 

 

Je n’ai pas vĂ©rifiĂ© mais j’ai du mal Ă  concevoir Kersauson sur Instagram, faisant des selfies ou tĂ©lĂ©chargeant des photos dĂ©nudĂ©es de lui sur OnlyFans. Et il ne fait pas non plus partie du dĂ©cor du jeu The Last of us dont le deuxième volet, sorti cet Ă©tĂ©,  une des exclusivitĂ©s pour la console de jeu playstation, est un succès avec plusieurs millions de vente.

 

Finalement, mes articles sont peut-ĂŞtre trop hardcore pour pouvoir attirer beaucoup plus de public. Ils sont peut-ĂŞtre aussi un peu trop « mystiques Â». J’ai eu cette intuition- indirecte- en demandant Ă  un jeune rĂ©cemment ce qu’il Ă©coutait comme artistes de Rap. Il m’a d’abord citĂ© un ou deux noms que je ne connaissais pas. Il m’avait prĂ©venu. Puis, il a mentionnĂ© Dinos. Je n’ai rien Ă©coutĂ© de Dinos mais j’ai entendu parler de lui. J’ai alors Ă©voquĂ© Damso dont j’ai Ă©coutĂ© et réécoutĂ© l’album LithopĂ©dion (sorti en 2018) et mis plusieurs de ses titres sur mon baladeur.  Le jeune m’a alors fait comprendre que les textes de Damso Ă©taient en quelque sorte trop hermĂ©tiques pour lui.

Mais au moins Damso a-t’il des milliers voire des millions de vues sur Youtube. Alors que Kersauson…. je n’ai pas fouillé non plus- ce n’est pas le plus grave- mais je ne vois pas Kersauson avoir des milliers de vues ou lancer sa chaine youtube. Afin de nous vendre des méduses (les sandales en plastique pour la plage) signées Balenciaga ou une crème solaire bio de la marque Leclerc.

 

J’espère au moins que « Kersau Â», mon Bernard Lavilliers des ocĂ©ans, est encore vivant. Internet, google et wikipĂ©dia m’affirment que « oui Â». Kersauson a au moins une page wikipĂ©dia. Il a peut-ĂŞtre plus que ça sur le net. En Ă©crivant cet article, je me fie beaucoup Ă  mon regard sur lui ainsi que sur le livre dont je parle. Comme d’un autre de ses livres que j’avais lu  il y a quelques annĂ©es, bien avant l’effet « Covid».

 

L’effet « Covid Â»

 

Pourvu, aussi, que Kersauson se prĂ©serve du Covid.  Il a 76 ans cette annĂ©e. Car, alors que la rentrĂ©e (entre-autre, scolaire)  a eu lieu hier et que bien des personnes rechignent Ă  continuer de porter un masque (dont le très inspirĂ© journaliste Pascal Praud sur Cnews), deux de mes collègues infirmières sont actuellement en arrĂŞt de travail pour suspicion de covid. La première collègue a une soixantaine d’annĂ©es. La seconde, une trentaine d’annĂ©es. Praud en a 54 si j’ai bien entendu. Ou 56.

Un article du journal  » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 2 septembre 2020.

 

Depuis la pandĂ©mie du Covid-19, aussi appelĂ© de plus en plus « la Covid Â», la vente de livres a augmentĂ©. Jeff Bezos, le PDG du site Amazon, premier site de ventes en ligne, (aujourd’hui, homme le plus riche du monde avec une fortune estimĂ©e Ă  200 milliards de dollars selon le magazine Forbes US  citĂ© dans le journal Le Canard EnchaĂ®nĂ© de ce mercredi 2 septembre 2020) n’est donc pas le seul Ă  avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© de la pandĂ©mie du Covid qui a par ailleurs mis en faillite d’autres Ă©conomies.

 

Donc, Kersauson, et son livre, Le Monde comme il me parle, auraient pu profiter de « l’effet Covid Â». Mais ce livre, celui dont j’ai prĂ©vu de vous parler, est paru en 2013.

 

Il y a sept ans.  C’est Ă  dire, il y a très très longtemps pour beaucoup Ă  l’époque.

 

Mon but, aujourd’hui, est de vous parler d’un homme de 76 ans pratiquement inconnu selon les critères de notoriĂ©tĂ© et de rĂ©ussite sociale typiques d’aujourd’hui. Un homme qui a fait publier un livre en 2013.

Nous sommes le mercredi 2 septembre 2020, jour du début du procès des attentats de Charlie Hebdo et de L’Hyper Cacher.

 

 

Mais nous sommes aussi le jour de la sortie du film Police d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois. Un film que j’aimerais voir. Un film dont je devrais plutôt vous parler. Au même titre que le film Tenet de Christopher Nolan, sorti la semaine dernière. Un des films très attendus de l’été, destiné à relancer la fréquentation des salles de cinéma après leur fermeture due au Covid. Un film d’autant plus désiré que Christopher Nolan est un réalisateur reconnu et que l’autre grosse sortie espérée, le film Mulan , produit par Disney, ne sortira pas comme prévu dans les salles de cinéma. Le PDG de Disney préférant obliger les gens à s’abonner à Disney+ (29, 99 dollars l’abonnement aux Etats-Unis ou 25 euros environ en Europe) pour avoir le droit de voir le film. Au prix fort, une place de cinéma à Paris peut coûter entre 10 et 12 euros.

 

 

Tenet, qui dure près de 2h30,  m’a contrariĂ©. Je suis allĂ© le voir la semaine dernière. Tenet est selon moi la bande annonce des films prĂ©cĂ©dents et futurs de Christopher Nolan dont j’avais aimĂ© les films avant cela. Un film de James Bond sans James Bond. On apprend dans Tenet qu’il suffit de poser sa main sur la pĂ©dale de frein d’une voiture qui file Ă  toute allure pour qu’elle s’arrĂŞte au bout de cinq mètres. J’aurais dĂ» m’arrĂŞter de la mĂŞme façon avant de choisir d’aller le regarder. Heureusement qu’il y a Robert Pattinson dans le film ainsi que Elizabeth Debicki que j’avais beaucoup aimĂ©e dans Les Veuves rĂ©alisĂ© en 2018 par Steve McQueen.

 

Distorsions temporelles

 

Nolan affectionne les distorsions temporelles dans ses films. Je le fais aussi dans mes articles :

 

 

En 2013, lorsqu’est paru Le Monde comme il me parle de Kersauson, Omar Sy, un des acteurs du film Police, sorti aujourd’hui,  Ă©tait dĂ©jĂ  devenu un « grand acteur Â».

Grâce Ă  la grande audience qu’avait connue le film Intouchables rĂ©alisĂ© en…2011 par Olivier Nakache et Eric Toledano. Près de vingt millions d’entrĂ©es dans les salles de cinĂ©ma seulement en France. Un film qui a permis Ă  Omar Sy de jouer dans une grosse production amĂ©ricaine. Sans le succès d’Intouchables, nous n’aurions pas vu Omar Sy dans le rĂ´le de Bishop dans un film de X-Men (X-Men : Days of future past rĂ©alisĂ© en 2014 par Bryan Singer).

 

J’ai de la sympathie pour Omar Sy. Et cela, bien avant Intouchables. Mais ce n’est pas un acteur qui m’a particulièrement épaté pour son jeu pour l’instant. A la différence de Virginie Efira et de Grégory Gadebois.

Virginie Efira, d’abord animatrice de télévision pendant une dizaine d’années, est plus reconnue aujourd’hui qu’en 2013, année de sortie du livre de Kersauson.

J’aime beaucoup le jeu d’actrice de Virginie Efira et ce que je crois percevoir d’elle. Son visage et ses personnages ont une allure plutĂ´t fade au premier regard : ils sont souvent le contraire.

GrĂ©gory Gadebois, passĂ© par la comĂ©die Française, m’a « eu Â» lorsque je l’ai vu dans le Angèle et Tony rĂ©alisĂ© par Alix Delaporte en 2011. Je ne me souviens pas de lui dans Go Fast rĂ©alisĂ© en 2008 par Olivier Van Hoofstadt.

 

Je ne me défile pas en parlant de ces trois acteurs.

 

Je continue de parler du livre de Kersauson. Je parle seulement, à ma façon, un petit peu du monde dans lequel était sorti son livre, précisément.

 

Kersauson est évidemment un éminent pratiquant des distorsions temporelles. Et, grâce à lui, j’ai sans doute compris la raison pour laquelle, sur une des plages du Gosier, en Guadeloupe, j’avais pu être captivé par les vagues. En étant néanmoins incapable de l’expliquer à un copain, Eguz, qui m’avait surpris. Pour lui, mon attitude était plus suspecte que d’ignorer le corps d’une femme nue. Il y en avait peut-être une, d’ailleurs, dans les environs.

 

Page 12 de Le Monde comme il me parle :

 

« Le chant de la mer, c’est l’éternitĂ© dans l’oreille. Dans l’archipel des Tuamotu, en PolynĂ©sie, j’entends des vagues qui ont des milliers d’annĂ©es. C’est frappant. Ce sont des vagues qui brisent au milieu du plus grand ocĂ©an du monde. Il n y  a pas de marĂ©e ici, alors ces vagues tapent toujours au mĂŞme endroit Â».

 

Tabarly

 

A une époque, adolescent, Kersauson lisait un livre par jour. Il le dit dans Le Monde comme il me parle.

 

J’imagine qu’il est assez peu allĂ© au cinĂ©ma. Page 50 :

 

« (….) Quand je suis dĂ©mobilisĂ©, je reste avec lui ( Eric Tabarly). Evidemment. Je tombe sur un mec dont le seul programme est de naviguer. Il est certain que je n’allais pas laisser passer ça Â».

 

Page 51 :

 

«  Tabarly avait, pour moi, toutes les clĂ©s du monde que je voulais connaĂ®tre. C’était un immense marin et, en mer, un homme dĂ©licieux Ă  vivre Â».

 

Page 54 :

« C’est le temps en mer qui comptait. Et, avec Eric, je passais neuf mois de l’annĂ©e en mer Â».

 

A cette Ă©poque, Ă  la fin des annĂ©es 60, Kersauson avait 23 ou 24 ans. Les virĂ©es entre « potes Â» ou entre « amies Â» que l’on peut connaĂ®tre dans les soirĂ©es ou lors de certains sĂ©jours de vacances, se sont dĂ©roulĂ©es autour du monde et sur la mer pour lui. Avec Eric Tabarly, rĂ©fĂ©rence mondiale de la voile.

 

Page 51 :

 

« (…..) Il faut se rendre compte qu’à l’époque, le monde industriel français se demande comment aider Eric Tabarly- tant il est crĂ©atif, ingĂ©nieux. Il suscite la passion. C’est le bureau d’études de chez Dassault qui règle nos problèmes techniques ! Â».

 

 

Le moment des bilans

 

 

Il est facile de comprendre que croiser un mentor comme Tabarly à 24 ans laisse une trace. Mais Kersauson était déjà un ténor lorsqu’ils se sont rencontrés. Il avait déja un aplomb là ou d’autres avaient des implants. Et, aujourd’hui, en plus, on a besoin de tout un tas d’applis, de consignes et de protections pour aller de l’avant.

J’avais lu Mémoires du large, paru en Mai 1998 (dont la rédaction est attribuée à Eric Tabarly) quelques années après sa mort. Tabarly est mort en mer en juin 1998.

 Tabarly Ă©tait aussi intraitable que Kersauson dans son rapport Ă  la vie. Kersauson Ă©crit dans Le Monde comme il me parle, page 83 :

«  Ce qui m’a toujours sidĂ©rĂ©, chez l’être humain, c’est le manque de cohĂ©rence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait (…). J’ai toujours tentĂ© de vivre comme je le pensais. Et je m’aperçois que nous ne sommes pas si nombreux dans cette entreprise Â».

 

Tabarly avait la mĂŞme vision de la vie. Il  l’exprimait avec d’autres mots.

 

Que ce soit en lisant Kersauson ou en lisant Tabarly, je me considère comme faisant partie du lot des ruminants. Et c’est peut-être aussi pour cela que je tiens autant à cet article. Il me donne sans doute l’impression d’être un petit peu moins mouton même si mon intrépidité sera un souvenir avant même la fin de la rédaction de cet article.

 

« DiffĂ©rence entre la technologie et l’esclavage. Les esclaves ont pleinement conscience qu’ils ne sont pas libres Â» affirme Nicholas Nassim Taleb dont les propos sont citĂ©s par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving ( Pourquoi on devient accro et comment se libĂ©rer), page 65.

 

Un peu plus loin, le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction, terme qui n’a Ă©tĂ© employĂ© par aucun des intervenants, hier, lors du « dĂ©bat Â» animĂ© par Pascal Praud sur Cnews Ă  propos de la consommation de Cannabis. Comme Ă  propos des amendes qui seront dĂ©sormais infligĂ©es automatiquement Ă  toute personne surprise en flagrant dĂ©lit de consommation de cannabis :

D’abord 135 euros d’amende. Ou 200 euros ?

En Ă©coutant Pascal Praud sur Cnews hier ( il a au moins eu la sincĂ©ritĂ© de confesser qu’il n’avait jamais fumĂ© un pĂ©tard de sa vie)  la solution Ă  la consommation de cannabis passe par des amendes dissuasives, donc par la rĂ©pression, et par l’autoritĂ© parentale.

 

Le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction (page 68 de son livre) :

 

«  Un usage rĂ©pĂ©tĂ© malgrĂ© les consĂ©quences nĂ©gatives Â». 

 

Donc, rĂ©primer ne suffira pas Ă  endiguer les addictions au cannabis par exemple. RĂ©primer par le porte-monnaie provoquera une augmentation des agressions sur la voie publique. Puisqu’il faudra que les personnes addict ou dĂ©pendantes se procurent l’argent pour acheter leur substance. J’ai rencontrĂ© au moins un mĂ©decin addictologue qui nous a dit en formation qu’il lui arrivait de faire des prescriptions de produits de substitution pour Ă©viter qu’une personne addict n’agresse des personnes sur la voie publique afin de leur soutirer de l’argent en vue de s’acheter sa dose. On ne parlait pas d’une addiction au cannabis. Mais, selon moi, les consĂ©quences peuvent ĂŞtre les mĂŞmes pour certains usagers de cannabis.

 

Le point commun entre une addiction (avec ou sans substance) et cette « incohĂ©rence Â» par rapport Ă  la vie que pointe un Kersauson ainsi qu’un Tabarly avant lui, c’est que nous sommes très nombreux Ă  maintenir des habitudes de vie qui ont sur nous des « consĂ©quences nĂ©gatives Â». Par manque d’imagination. Par manque de modèle. Par manque de courage ou d’estomac. Par manque d’accompagnement. Par manque d’estime de soi. Par Devoir. Oui, par Devoir. Et Par peur.

 

La Peur

On peut bien-sûr penser à la peur du changement. Comme à la peur partir à l’aventure.

 

Kersauson affirme dans son livre qu’il n’a peur de rien. C’est là où je lui trouve un côté Bernard Lavilliers des océans. Pour sa façon de rouler des mécaniques. Je ne lui conteste pas son courage en mer ou sur la terre. Je crois à son autorité, à sa détermination comme ses très hautes capacités d’intimidation et de commandement.

 

Mais avoir peur de rien, ça n’existe pas. Tout le monde a peur de quelque chose, Ă  un moment ou Ă  un autre. Certaines personnes sont fortes pour transcender leur peur. Pour  s’en servir pour accomplir des actions que peu de personnes pourraient rĂ©aliser. Mais on a tous peur de quelque chose.

 

Kersauson a peut-être oublié. Ou, sûrement qu’il a peur plus tardivement que la majorité. Mais je ne crois pas à une personne dépourvue totalement de peur. Même Tabarly, en mer, a pu avoir peur. Je l’ai lu ou entendu. Sauf que Tabarly, comme Kersauson certainement, et comme quelques autres, une minorité, font partie des personnes (femmes comme hommes, mais aussi enfants) qui ont une aptitude à se reprendre en main et à fendre leur peur.

 

Je pourrais peut-être ajouter que la personne qui parvient à se reprendre alors qu’elle a des moments de peur est plus grande, et sans doute plus forte, que celle qui ignore complètement ce qu’est la peur. Pour moi, la personne qui ignore la peur s’aperçoit beaucoup trop tard qu’elle a peur. Lorsqu’elle s’en rend compte, elle est déjà bien trop engagée dans un dénouement qui dépasse sa volonté.

 

Cette remarque mise à part, je trouve à Kersauson, comme à Tabarly et à celles et ceux qui leur ressemblent une parenté évidente avec l’esprit chevaleresque ou l’esprit du sabre propre aux Samouraï et à certains aventuriers. Cela n’a rien d’étonnant.

 

L’esprit du samouraï

 

Dans une vidéo postée sur Youtube le 13 décembre 2019, GregMMA, ancien combattant de MMA, rencontre Léo Tamaki, fondateur de l’école Kishinkai Aikido.

 

GregMMA a rencontrĂ© d’autres combattants d’autres disciplines martiales ou en rapport avec le Combat. La particularitĂ© de cette vidĂ©o (qui compte 310 070 vues alors que j’écris l’article) est l’érudition de LĂ©o Tamaki que j’avais entrevue dans une revue. Erudition Ă  laquelle GregMMA se montre heureusement rĂ©ceptif. L’un des attraits du MMA depuis quelques annĂ©es, c’est d’offrir une palette aussi complète que possible de techniques pour se dĂ©fendre comme pour survivre en cas d’agression. C’est La discipline de combat du moment. MĂŞme si le Krav Maga a aussi une bonne cote.  Mais, comme souvent, des comparaisons se font entre tel ou telle discipline martiale, de Self-DĂ©fense ou de combat en termes d’efficacitĂ© dans des conditions rĂ©elles.

 

Je ne donne aucun scoop en Ă©crivant que le MMA attire sĂ»rement plus d’adhĂ©rents aujourd’hui que l’AĂŻkido qui a souvent l’ image d’un art martial dont les postures sont difficiles Ă  assimiler, qui peut faire penser «  Ă  de la danse Â» et dont l’efficacitĂ© dans la vie rĂ©elle peut ĂŞtre mise en doute  :

 

On ne connaît pas de grand champion actuel dans les sports de combats, ou dans les arts martiaux, qui soit Aïkidoka. Steven Seagal, c’est au cinéma et ça date des années 1990-2000. Dans les combats UFC, on ne parle pas d’Aïkidoka même si les combattants UFC sont souvent polyvalents ou ont généralement cumulé différentes expériences de techniques et de distances de combat.

 

Lors de cet Ă©change avec GregMMA, LĂ©o Tamaki confirme que le niveau des pratiquants en AĂŻkido a baissĂ©. Ce qui explique aussi en partie le discrĂ©dit qui touche l’AĂŻkido. Il explique la raison de la baisse de niveau :

 

Les derniers grands Maitres d’AĂŻkido avaient connu la Guerre. Ils l’avaient soit vĂ©cue soit en Ă©taient encore imprĂ©gnĂ©s. A partir de lĂ , pour eux, pratiquer l’AĂŻkido, mĂŞme si, comme souvent, ils avaient pu pratiquer d’autres disciplines martiales auparavant, devait leur permettre d’assurer leur survie. C’était immĂ©diat et très concret. Cela est très diffĂ©rent de la dĂ©marche qui consiste Ă  aller pratiquer un sport de combat ou un art martial afin de faire « du sport Â», pour perdre du poids ou pour se remettre en forme.

 

Lorsque Kersauson explique au début de son livre qu’il a voulu à tout prix faire de sa vie ce qu’il souhaitait, c’était en réponse à la Guerre qui était pour lui une expérience très concrète. Et qui aurait pu lui prendre sa vie.

Lorsque je suis parti faire mon service militaire, qui Ă©tait encore obligatoire Ă  mon « Ă©poque Â», la guerre Ă©tait dĂ©jĂ  une probabilitĂ© Ă©loignĂ©e. Bien plus Ă©loignĂ©e que pour un Kersauson et les personnes de son âge. MĂŞme s’il a vĂ©cu dans un milieu privilĂ©giĂ©, il avait 18 ans en 1962 lorsque l’AlgĂ©rie est devenue indĂ©pendante. D’ailleurs, je crois qu’un de ses frères est parti faire la Guerre d’AlgĂ©rie.

 

On retrouve chez lui comme chez certains adeptes d’arts martiaux , de self-dĂ©fense ou de sport de combat, cet instinct de survie et de libertĂ© qui l’a poussĂ©, lui, Ă  prendre le large. Quitte Ă  perdre sa vie, autant la perdre en  choisissant de faire quelque chose que l’on aime faire. Surtout qu’autour de lui, il s’aperçoit que les aĂ®nĂ©s et les anciens qui devraient ĂŞtre Ă  mĂŞme de l’orienter ont dĂ©gustĂ© (Page 43) :

« Bon, l’ancien monde est mort. S’ouvre Ă  moi une pĂ©riode favorable (….). J’ai 20 ans, j’ai beaucoup lu et je me dis qu’il y a un loup dans la combine :

Je m’aperçois que les vieux se taisent, ne parlent pas. Et comme ils ont fait le trajet avant, ils devraient nous donner le mode d’emploi pour l’avenir, mais rien ! Ils sont vaincus. Alors, je sens qu’il ne faut surtout pas s’adapter Ă  ce qui existe mais crĂ©er ce qui vous convient Â».

 

Nous ne vivons pas dans un pays en guerre.

 

Jusqu’à maintenant, si l’on excepte le chĂ´mage,  certains attentats et les faits divers, nous avons obtenu une certaine sĂ©curitĂ©. Nous ne vivons pas dans un pays en guerre. MĂŞme si, rĂ©gulièrement, on nous parle « d’embrasement Â» des banlieues, « d’insĂ©curitĂ© Â» et «  d’ensauvagement Â» de la France. En tant que citoyens, nous n’avons pas Ă  fournir un effort de guerre en dehors du territoire ou Ă  donner notre vie dans une armĂ©e. En contrepartie, nous sommes une majoritĂ© Ă  avoir acceptĂ© et Ă  accepter  certaines conditions de vie et de travail. Plusieurs de ces conditions de vie et de travail sont discutables voire insupportables.

Face Ă  cela, certaines personnes dĂ©veloppent un instinct de survie lĂ©gal ou illĂ©gal. D’autres s’auto-dĂ©truisent ( par les addictions par exemple mais aussi par les accidents du travail, les maladies professionnelles ou les troubles psychosomatiques). D’autres prennent sur eux et se musèlent par Devoir….jusqu’à ce que cela devienne impossible de prendre sur soi. Que ce soit dans les banlieues. Dans certaines catĂ©gories socio-professionnelles. Ou au travers des gilets jaunes.  

 

Et, on en revient à la toute première phrase du livre de Kersauson.

 

Le plaisir est ma seule ambition

 

J’ai encore du mal à admettre que cette première phrase est/soit peut-être la plus importante du livre. Sans doute parce-que je reste moins libre que Kersauson, et d’autres, question plaisir.

 

Plus loin, Kersauson explicite aussi la nécessité de l’engagement et du Devoir. Car c’est aussi un homme d’engagement et de Devoir.

 

Mais mettre le plaisir au premier plan, ça délimite les Mondes, les êtres, leur fonction et leur rôle.

 

Parce- qu’il y a celles et ceux qui s’en remettent au mĂ©rite – comme certaines religions, certaines Ă©ducations et certaines institutions nous y entraĂ®nent et nous habituent- et qui sont prĂŞts Ă  accepter bien des sacrifices. Sacrifices qui peuvent se rĂ©vĂ©ler vains. Parce que l’on peut ĂŞtre persĂ©vĂ©rant (e ) et mĂ©ritant ( e) et se faire arnaquer. Moralement. Physiquement. Economiquement. Affectivement. C’est l’histoire assez rĂ©pĂ©tĂ©e, encore toute rĂ©cente, par exemple, des soignants comme on l’a vu pendant l’épidĂ©mie du Covid. Ainsi que l’histoire d’autres professions et de bien des gens qui endurent. Qui prennent sur eux. Qui croient en une Justice divine, Ă©tatique ou politique qui va les rĂ©compenser Ă  la hauteur de leurs efforts et de leurs espoirs.

 

Mais c’est aussi l’histoire répétée de ces spectateurs chevronnés que nous sommes tous plus ou moins de notre propre vie. Une vie que nous recherchons par écrans interposés ou à travers celle des autres. Au lieu d’agir. Il faut se rappeler que nous sommes dans une société de loisirs. Le loisir, c’est différent du plaisir.

 

Le loisir, c’est différent du plaisir

 

 

Le loisir, ça peut être la pause-pipi, la pause-cigarette ou le jour de formation qui sont accordés parce-que ça permet ensuite à l’employé de continuer d’accepter des conditions de travail inacceptables.

 

Ça peut aussi consister à laisser le conjoint ou la conjointe sortir avec ses amis ou ses amies pour pouvoir mieux continuer de lui imposer notre passivité et notre mauvaise humeur résiduelle.

 

C’est les congés payés que l’on donne pour que les citoyens se changent les idées avant la rentrée où ils vont se faire imposer, imploser et contrôler plus durement. Bien des personnes qui se prendront une amende pour consommation de cannabis seront aussi des personnes adultes et responsables au casier judiciaire vierge, insérées socialement, payant leurs impôts et effectuant leur travail correctement. Se contenter de les matraquer à coups d’amende en cas de consommation de cannabis ne va pas les inciter à arrêter d’en consommer. Ou alors, elles se reporteront peut-être sur d’autres addictions plus autorisées et plus légales (alcool et médicaments par exemple….).

 

Le plaisir, c’est l’intégralité d’un moment, d’une expérience comme d’une rencontre. Cela a à voir avec le libre-arbitre. Et non avec sa version fantasmée, rabotée, autorisée ou diluée.

 

Il faut des moments de loisirs, bien-sûr. On envoie bien nos enfants au centre de loisirs. Et on peut y connaître des plaisirs.

 

Mais dire et affirmer «  Le plaisir est ma seule ambition Â», cela signifie qu’à un moment donnĂ©, on est une personne libre. On dĂ©pend alors très peu d’un gouvernement, d’un parti politique, d’une religion, d’une Ă©ducation, d’un supĂ©rieur hiĂ©rarchique. Il n’y a, alors, pas grand monde au dessus de nous. Il s’agit alors de s’adresser Ă  nous en consĂ©quence. Faute de quoi, notre histoire se terminera. Et chacun partira de son cĂ´tĂ© dans le meilleur des cas.

 

Page 121 :

 

« Je suis indiffĂ©rent aux fĂ©licitations. C’est une force Â».

 

Page 124 :

 

« Nos contemporains n’ont plus le temps de penser (….) Ils se sont inventĂ© des vies monstrueuses dont ils sont responsables-partiellement Â». Olivier de Kersauson.

 

 

Article de Franck Unimon, mercredi 2 septembre 2020.

Catégories
Addictions Puissants Fonds/ Livres

Ma vie en réalité

 

                                                     Ma vie en rĂ©alitĂ©

Magali Berdah est la crĂ©atrice et dirigeante de Shauna Events :

 

« La plus importante agence de mĂ©dia-influenceurs de France Â».  Nabilla, Jessica Thivenin, Julien Tanti et Ayem Nour font partie de ses « protĂ©gĂ©s Â».

 

Un livre publié en 2018

 

Dans ce livre publiĂ© en 2018 (il y a deux ans), Magali Berdah raconte son histoire jusqu’à sa rĂ©ussite professionnelle, Ă©conomique et personnelle dans l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et de la tĂ©lĂ©. Pourtant, Il y a encore Ă  peu près cinq ans, Magali Berdah ne connaissait rien Ă  la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© comme au monde de la tĂ©lĂ©. Elle ne faisait pas partie du sĂ©rail. Son histoire est donc celle d’une personne qui, partie de peu, s’est sortie des ronces. C’est sĂ»rement ça et le fait qu’elle nous parle de la tĂ©lĂ© et de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© qui m’a donnĂ© envie d’emprunter son livre Ă  la mĂ©diathèque de ma ville. En mĂŞme temps que des livres comme Le Craving Pourquoi on devient accro du Dr Judson Brewer ; Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere; DĂ©veloppement (im)personnel de Julia De Funès.

 

 

Un homme du vingtième siècle

 

Je me la pète sĂ»rement avec ces titres parce-que je suis un homme du 20ème siècle. J’ai Ă©tĂ© initiĂ© Ă  l’âge de 9 ans aux bĂ©nĂ©fices de  ce que peut apporter une mĂ©diathèque :

 

Ouverture sur le monde, culture, lien social, tranquillité, recueillement. Des vertus que l’on peut retrouver ailleurs et que Magali Berdah, dans son enfance, comme elle le raconte, a connues par à-coups.

 

Une femme du vingtième siècle

 

Magali Berdah, née en 1981, est aussi une femme du 20ème siècle.

 

Son enfance, c’est celle du divorce, du deuil et de plusieurs sĂ©parations. D’un père plus maltraitant que sĂ©curisant ; d’une mère qui a Ă©tĂ© absente pendant des annĂ©es puis qui est rĂ©apparue. C’est aussi une enfance dans le sud, sur la CĂ´te d’azur, du cĂ´tĂ© de Nice et de St Tropez oĂą elle a pu vivre plus Ă  l’air libre, au bord de la nature. Loin de certains pavĂ©s HLM, stalactites immobilières et langagières qui  semblent figer bien des fuseaux horaires.

 

Les éclaircies qu’elle a pu connaître, elle les doit en grande partie à ses grands-parents maternels, tenants d’un petit commerce. Mais aussi à ses aptitudes scolaires et personnelles. Son sens de la débrouille et son implication s’étalonnent sur ses premiers jobs d’été qu’elle décroche alors qu’elle a à peine dix huit ans. Fêtarde la nuit et travailleuse le jour, elle apprend auprès d’aînés et de professionnels qu’elle s’est choisie. Cela l’emmènera à devenir une très bonne commerciale, très bien payée, dans les assurances et les mutuelles. C’est sûrement une jolie fille, aussi, qui présente bien, qui a du culot et qui a le contact social facile. Mais retenons que c’est une bosseuse. Elle nous le rappelle d’ailleurs après chacun de ses accouchements (trois, sans compter son avortement) où elle a repris le travail très vite. Elle nous parle aussi de journées au cours desquelles elle travaille 16 heures par jour. Et quand elle rentre chez elle, son mari et ses enfants l’attendent.

 

 

Le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une résiliente

 

 

Si l’on s’en tient Ă  ce rĂ©sumĂ©, Magali Berdah a le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une rĂ©siliente. Mais elle officie dĂ©sormais dans le pot au feu de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, de la tĂ©lĂ©, et est proche de personnalitĂ©s comme Cyril Hanouna. On est donc très loin ou assez loin de ce que l’on appelle la culture « noble Â» ou « propre sur elle Â». Et Magali Berdah critique l’attitude et le regard mĂ©prisants portĂ©s gĂ©nĂ©ralement sur la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et une certaine tĂ©lĂ©.

 

 

Le début de la téléréalité

 

 

La tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, pour moi, en France, ça commence avec le « Loft Â» : Loana, Steevy, Jean-Edouard….

 

J’avais complètement oubliĂ© que ça s’était passĂ© en 2001, l’annĂ©e du 11 septembre, de l’attentat des «  Twin Towers Â» et de l’émergence mĂ©diatique de Ben Laden, et, avec lui, des attentats islamistes. Dans son livre, Magali Berdah nous le rappelle. A cette Ă©poque, elle avait 20 ans et commençait Ă  s’assumer professionnellement et Ă©conomiquement ou s’assumait dĂ©jĂ  très bien.

 

Un monde en train de changer

 

 

En 2001, je vivais déjà chez moi et je n’avais pas de télé, par choix. Mais dans le service de pédopsychiatrie où je travaillais alors, il y avait la télé. J’ai des souvenirs d’avoir regardé Loft Story dans le service ainsi que des images, quelques mois plus tard, de l’attentat du 11 septembre. Et d’en avoir discuté sans doute avec des jeunes mais, surtout, avec mes collègues de l’époque. On était en train de changer de monde d’une façon comme une autre avec le Loft et les attentats du 11 septembre. Comme, depuis plusieurs mois, nous sommes en train de changer de monde avec le Covid-19.

 

Une image

 

Une image, ça vous prend dans les bras. La tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© est pleine d’images. Il y a quelques jours, j’ai tâtĂ© le terrain en parlant de Magali Berdah et de  Julien Tanti Ă  deux jeunes du service oĂą je travaille. Cela leur disait vaguement quelque chose. Puis l’une des deux a dĂ©clarĂ© :

 

« Quand je me sens bĂŞte, je regarde. Ça me permet de me vider la tĂŞte Â». L’autre jeune prĂ©sente a abondĂ© dans son sens. J’ai fini par comprendre que cela leur servait de dĂ©fouloir moral. Que cela leur remontait le moral de voir Ă  la tĂ©lĂ© des personnes qu’elles considĂ©raient comme plus « bĂŞtes Â» qu’elles.

Pour l’avoir vu, je sais que des adultes peuvent aussi regarder des émissions de téléréalité. Ça m’a fait drôle de voir des Nigérians musulmans d’une trentaine d’année, en banlieue parisienne, regarder Les Marseillais. Mais pour eux, venus travailler en France, une émission comme Les Marseillais offre peut-être quelque chose d’exotique et d’osé. Et puis, ce que l’on voit dans cette émission est facile à suivre et à comprendre pour toute personne qui a envie de se distraire et qui est dépourvue de prétentions intellectuelles ou culturelles apparentes.

 

 

Magali Berdah défend ses protégés

 

 

Lorsque l’on lit Magali Berdah, celle-ci dĂ©fend ses « protĂ©gĂ©s Â». On pourrait se dire :

 

«  Evidemment, elle les dĂ©fend car ils sont un peu ses poules aux Ĺ“ufs d’or. Ils lui permettent de très bien gagner sa vie. Les millions de followers sur les rĂ©seaux sociaux de plusieurs de ses « poulains Â» permettent bien des placements de produits et lui assurent aussi une très forte visibilitĂ© sociale dans un monde oĂą, pour rĂ©ussir Ă©conomiquement, il est indispensable d’être très connu Â».

 

Mais quand on a lu le dĂ©but de son livre, on perçoit une sincère identification de Magali Berdah envers ses « protĂ©gĂ©s Â» :

 

Le destin de la plupart des candidats du Loft de 2001 mais aussi de bien d’autres candidats d’autres Ă©missions de tĂ©lĂ©-rĂ©alitĂ© ou similaires telles The Voice ou autres, c’est de retourner ensuite au « vide Â», « Ă  l’abandon Â», et  Ă  l’anonymat de leur existence de dĂ©part. Et ça se retrouvait dĂ©ja dans le monde du cinĂ©ma, de la chanson ou du théâtre mĂŞme avant l’arrivĂ©e du Covid.

 

Dominique Besnehard, ancien agent d’acteurs et crĂ©ateur de la sĂ©rie Dix pour cent,  parlait un peu dans son livre Casino d’hiver de ces actrices et acteurs, qui, faute de s’être reposĂ©s uniquement sur leur physique et sur leur jolie frimousse avaient fini par disparaĂ®tre du milieu du cinĂ©ma. Et je me rappelle ĂŞtre tombĂ© un jour sur un des anciens acteurs du film L’Esquive d’Abdelatif Kechiche. D’accord, cet acteur avait un rĂ´le très secondaire dans L’Esquive mais ça m’avait mis assez mal Ă  l’aise de le retrouver, quelques annĂ©es plus tard, Ă  faire le caissier Ă  la Fnac de St Lazare, dans l’indiffĂ©rence la plus totale. Il Ă©tait un caissier parmi d’autres.

 

 

Un certain nombre d’acteurs et d’humoristes que l’on aime « bien Â», avaient un autre mĂ©tier avant de s’engager professionnellement et de percer dans le milieu du cinĂ©ma, du stand up, du théâtre, de l’art et de la culture en gĂ©nĂ©ral. Si je me rappelle bien, MickaĂ«l Youn Ă©tait commercial.

 

Etre Ă  leur place

 

Si on peut se bidonner ou se navrer devant les comportements et les raisonnements de beaucoup de candidats de téléréalité, qui sont souvent jeunes, il faut aussi se rappeler que tant d’autres personnes, parmi nous, secrètement, honteusement ou non, aimeraient être à leur place. Et gagner, comme certains d’entre eux, les plus célèbres, cinquante mille euros par mois. Magali Berdah fournit ce chiffre dans son livre.

 

C’est un peu comme l’histoire du dopage dans le sport : le dopage persistera dans le sport et ailleurs car certaines personnes resteront prĂŞtes Ă  tout tenter pour « rĂ©ussir Â». Surtout si elles sont convaincues que leur existence est une dĂ©charge publique. Et que le dopage est un moyen comme un autre qui peut leur permettre de se sortir de ce sentiment d’être une dĂ©charge publique.

 

Pour d’autres, le sexe aura la mĂŞme fonction que le dopage. MĂŞme en pleine Ă©poque de Me Too et de Balance ton porc, je crois que certaines personnes (femmes comme hommes) seront prĂŞtes Ă  coucher si elles sont convaincues que cela peut leur permettre de rĂ©ussir.  Et de rĂ©ussir vite et bien. Quel que soit le milieu professionnel, ces personnes se feront seulement un peu plus discrètes et un peu plus prudentes.

 

 

Concernant Loft Story et l’intérêt que la première saison avait suscité, mais aussi les sarcasmes, je me souviens que l’acteur Daniel Auteuil, dont la carrière d’acteur était alors bien plantée, avait dit qu’il aurait fait Le Loft ou tenté d’y participer s’il avait été un jeune acteur qui cherchait à se lancer et à se faire connaître.

 

 

Compromettre son image

 

Lorsque l’on est optimiste, raisonnable, raisonnĂ©, patient mais aussi fataliste, docile et obĂ©issant, on refuse le dopage ainsi que certaines conduites Ă  risques.  Comme on peut refuser de  prendre le risque de « compromettre Â» son image en participant Ă  une Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© ou Ă  une autre Ă©mission.

 

Mais lorsque l’on recherche l’immédiateté, l’action, le résultat et que l’on tient à sortir du lot, on peut bifurquer vers la téléréalité, une certaine télé et une certaine célébrité. Il y aura d’une part des producteurs, des vendeurs de rêves (proxénètes ou non) et d’autre part un public qui sera demandeur.

 

Magali Berdah, Ă  la lire, s’intercale entre les deux parties : c’est elle qui a permis aux vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© de tirer le meilleur parti financièrement de leur exposition mĂ©diatique. Et lorsqu’on la lit, on se dit « qu’avant elle Â», les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© Ă©taient vraiment traitĂ©es un peu comme ces belles filles que l’on voit sur le podium du Tour de France avec leur bouquet de fleurs Ă  remettre au vainqueur.

 

L’évolution du statut financier des vedettes de téléréalité

 

 

L’évolution du statut financier des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© fait penser Ă  celle qu’ont pu connaĂ®tre des sportifs professionnels ou des artistes par exemple. Avant l’athlète amĂ©ricain Carl Lewis, un sprinter de haut niveau gagnait moins bien sa vie. Usain Bolt et bien d’autres athlètes de haut niveau peuvent « remercier Â» un Carl Lewis pour l’augmentation de leur train de vie. On peut sans doute faire le mĂŞme rapprochement pour le Rap ainsi que pour la techno. Ou pour certains photographes ou peintres. Entre ce qu’ils peuvent toucher aujourd’hui et il y a vingt ou trente ans. Certains diront sans doute qu’ils gagnent nettement moins d’argent aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans avec le mĂŞme genre de travail. Mais d’autres gagnent sĂ»rement plus d’argent aujourd’hui que s’ils s’étaient faits connaĂ®tre il y a vingt ou trente ans. Pour les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, il est manifeste que d’un point de vue salarial il vaut mieux ĂŞtre connu aujourd’hui qu’à l’époque de Loft story en 2001.

 

 

Une motivation aussi très personnelle

 

Cependant, la motivation de Magali Berdah est aussi très personnelle. Disponible pratiquement en permanence via son tĂ©lĂ©phone portable, malgrĂ© ses trois enfants et son mari, elle reçoit aussi chez elle plusieurs de ses « protĂ©gĂ©s Â», les week-end.  C’est bien-sĂ»r une très bonne façon d’apprendre Ă  connaĂ®tre ses clients et de crĂ©er avec eux un lien très personnel.

 

Toutefois, dans mon métier, en pédopsychiatrie, on crierait au manque de distance relationnelle et affective. On parlerait d’un mélange des genres, vie privée/vie publique. On évoquerait un cocktail émotionnel addictif. On parlerait aussi des conséquences qu’une telle proximité – voire une telle fusion- peut causer ou cause. Parmi elles, une forte dépendance affective qui peut déboucher sur des événements plus qu’indésirables lorsque la relation se termine ou doit s’espacer ou se terminer pour une raison ou une autre. Que ce soit la relation à la célébrité et à l’exposition médiatique constante. Ou une relation à une personne à laquelle on s’est beaucoup trop attachée affectivement.

 

Il y a donc du pour et du contre dans ma façon de voir ce type de relation que peut avoir Magali Berdah avec ses « protĂ©gĂ©s Â».

 

«  Pour Â» : une relation affective n’est pas une science exacte. Bien des personnes sont consentantes, quoiqu’elles disent, pour une relation de dĂ©pendance affective rĂ©ciproque. Que ce soit envers un public ou avec des personnes. Et on peut avoir plus besoin de quelqu’un Ă  mĂŞme de savoir nous prendre dans les bras et nous rĂ©conforter rĂ©gulièrement, comme un bĂ©bĂ©, que de quelqu’un qui nous « raisonne Â». MĂŞme si, Magali Berdah, visiblement, donne les deux : elle rĂ©conforte et raisonne ses « poulains Â».

 

Loyauté et vertu morale

 

En lisant Ma vie en réalité , je crois aussi au fait que l’on peut faire une carrière dans des programmes télé auxquels, a priori, je ne souscris pas, et, pourtant être une personne véritablement loyale dans la vie.

Je ne crois pas que les participants, les producteurs et les animateurs d’émissions de tĂ©lĂ©, de théâtre ou de cinĂ©ma plus « nobles Â» soient toujours des modèles de vertu morale. Surtout qu’ils peuvent Ă©galement ĂŞtre « ambidextres Â» et parfaitement Ă©voluer dans les diffĂ©rents univers.

 

Le Tsadik

 

J’ai beaucoup aimé ce passage dans son livre, ou, alors surendettée, et déprimée, et avant de travailler dans la téléréalité, elle va rencontrer un rabbin sur les conseils d’une amie.

Juive par ses grands-parents maternels, Magali Berdah apprend par le Rabbin qu’elle est sous la protection d’un Tsadik, un de ses ancêtres.

Dans le hassidisme, le Tsadik est un « homme juste Â», un «  Saint Â», un «  maĂ®tre spirituel Â» qui n’est pas rĂ©compensĂ© de son vivant mais qui peut donner sa protection Ă  un de ses descendants.

J’ai aimĂ© ce passage car il me plait d’imaginer- mĂŞme si je ne suis pas juif ou alors, je l’ignore- qu’un de mes ancĂŞtres puisse me protĂ©ger. Mais aussi que les soignants (je suis soignant) sont sans doute des Ă©quivalents d’un Tsadik et que s’ils en bavent, aujourd’hui, que plus tard, ils pourront peut-ĂŞtre assurer la protection d’un de leurs descendants. Ça peut faire marrer de me voir croire en ce genre de « chose Â». Mais je prĂ©fère aussi croire Ă  ça plutĂ´t que croire Ă  un complot, faire confiance Ă  un dirigeant opportuniste ou Ă  un dealer.

 

J’ai d’abord cru que Magali Berdah Ă©tait juive non-pratiquante. Mais sa rencontre avec le rabbin et sa façon de tomber enceinte « coup sur coup Â» me fait quand mĂŞme penser Ă  l’attitude d’une croyante qui «laisse Â» le destin dĂ©cider. Je parle de ça sans jugement. J’ai connu une catholique pratiquante qui avait la mĂŞme attitude avec le fait d’enfanter. Je souligne ce rapport Ă  la croyance parce qu’il est important pour Magali Berdah. Et que sa « foi Â» lui a sĂ»rement permis de tenir moralement Ă  plusieurs moments de sa vie.

 

Je précise également que, pour moi, cette protection d’un Tsadik peut se transposer dans n’importe quelle autre religion ainsi que dans bien d’autres cultures.

 

Incapable d’une telle proximité affective

 

«  Contre Â» : Je m’estime et me sens incapable d’une telle proximitĂ© affective Ă  l’image d’une Magali Berdah avec ses «  vedettes Â». Donc celle qu’elle instaure avec ses protĂ©gĂ©s m’inquiète.  Une des vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© dont elle s’occupe l’appelle «  Maman Â». MĂŞme si je comprends l’attitude de Magali Berdah au vu de son histoire personnelle, je m’interroge quant aux retombĂ©es de relations personnelles aussi Ă©troites :

 

Il est impossible de sauver quelqu’un malgrĂ© lui. Et ça demande aussi beaucoup de prĂ©sence et d’énergie. Une telle implication peut ĂŞtre destructrice pour soi-mĂŞme ou pour son entourage. Donc, croire, vouloir ou penser que l’on peut, tout( e)   seul (e), sauver ou soutenir quelqu’un, c’est prendre de grands risques. Mais peut-ĂŞtre que Magali Berdah prend-t’elle plus de prĂ©cautions qu’elle ne le dit pour elle et sa famille. Il est vrai que le fait qu’elle soit mariĂ©e et mère lui impose aussi des limites.  Il lui est donc impossible, si elle Ă©tait tentĂ©e de le faire, de se dĂ©vouer exclusivement Ă  ses « protĂ©gĂ©s Â».

La Norme :

 

NĂ©anmoins, au milieu de ce « pour Â» et de ce « contre, je comprends que ce « support Â» affectif est la Norme dans le milieu de la tĂ©lĂ© et des cĂ©lĂ©britĂ©s en gĂ©nĂ©ral. Et ce qui est peut-ĂŞtre plus effrayant encore, c’est d’apprendre en lisant son livre que lorsque la « mode Â» des influenceurs est apparue en France (il y a environ cinq ans), que, subitement, ses « protĂ©gĂ©s Â» sont devenus attractifs Ă©conomiquement. Et  des producteurs se sont manifestĂ©s pour venir placer leurs billes. Les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© avaient peut-ĂŞtre la tĂŞte « vide Â» mais s’il y avait- beaucoup- de fric Ă  se faire avec eux maintenant qu’ils Ă©taient devenus des influenceuses et des influenceurs. Grâce Ă  leurs placements de produits via les rĂ©seaux sociaux avec leurs millions de followers, on voulait bien en profiter. Magali Berdah n’en parle pas comme je le fais  avec une certaine ironie. Car cet intĂ©rĂŞt des producteurs pour les vedettes de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© a permis Ă  sa carrière et Ă  sa notoriĂ©tĂ© de prendre l’ascenseur.

 

Le Buzz ou le mur du son de la Notoriété

 

En 2001, Ă  l’époque du Loft et des attentats de Ben Laden, on Ă©tait très loin de tout ça. Les rĂ©seaux sociaux n’en n’étaient pas du tout Ă  ce niveau et on ne parlait pas du tout de « followers Â». Je me rappelle d’un des candidats du Loft Ă  qui, après l’émission, on avait proposĂ© de travailler…dans un cirque. Il avait fait la gueule.

 

En 2020, à l’époque du Covid-19, on est en plein dans l’ère des followers et des réseaux sociaux. Et on peut penser que la téléréalité et le pouvoir des réseaux sociaux va continuer de s’amplifier. Sans forcément simplifier le climat social et général :

Parmi toutes les rumeurs, toutes les certitudes absolues, tous les emballements mĂ©diatiques et toutes les peurs qui sont semĂ©es de manière illimitĂ©e, j’ai un tout « petit peu  » de mal Ă  croire que l’Ă©poque des followers et des rĂ©seaux sociaux soit une Ă©poque oĂą l’on court totalement et librement vers l’apaisement et la nuance. 

 

 D’autres empires, aujourd’hui timides voire modĂ©rĂ©s, vont sĂ»rement s’imposer d’ici quelques annĂ©es. Ça me rappelle les premiers tubes du groupe Indochine et de Mylène Farmer dans les annĂ©es 80. Vous les trouvez peut-ĂŞtre ringards. Pourtant, Ă  l’époque de leurs tubes Bob Morane et Maman a tort, j’aurais Ă©tĂ© incapable de les imaginer devenir les « icones Â» qu’ils sont devenus. Et puis, il y a sans doute pire comme dictature et comme intĂ©grisme que celle et celui d’un monde oĂą nous devrions tous chanter et danser Ă  des heures imposĂ©es sur  Bob Morane et sur Maman a tort. MĂŞme si ces deux titres sont loin d’ĂŞtre mes titres de chevet.

 

Se rendre incontournable

 

Il est très difficile de pouvoir dire avec exactitude qui, devenu un peu connu ou encore inconnu aujourd’hui, sera une sommitĂ© dans une vingtaine d’annĂ©es. Les candidates et les candidats du Loft, et les suivants, Ă©taient souvent perçus comme ringards. Dès qu’un marchĂ© se crĂ©e, et que l’on en est la cause ou que l’on est prĂ©sent dès l’origine, et que l’on sait se rendre incontournable, la donne change et l’on devient dĂ©sirable et frĂ©quentable. C’est le principe du buzz. Principe qui existait dĂ©jĂ  avant les rĂ©seaux sociaux et la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© mais qui s’est accĂ©lĂ©rĂ© et dĂ©multipliĂ©. On peut dire que le buzz, c’est le mur du son de la notoriĂ©tĂ©. Faire le buzz cela revient Ă  vivre Ă  Mach 1 ou Ă  Mach 2 ou 3. Ça peut faire vibrer. Mais ça fait aussi trembler. Après avoir lu le livre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi,  dans lequel il raconte le tremblement de terre Ă  HaĂŻti le 12 janvier 2010 ( il y Ă©tait), on comprend qu’un tremblement, ça change aussi un monde et des personnes. ça ne fait pas que les tuer et les dĂ©truire. 

 

Une histoire déjà vue

 

L’histoire que nous raconte Magali Berdah est une histoire qui s’est dĂ©jĂ  vue et qui se verra encore : une personne crĂ©e un concept. Peu importe qui est cette personne et si ce concept est moralement acceptable ou non. Il suffit que ce concept soit porteur Ă©conomiquement et tout un tas de commerciaux s’en emparent pour le faire connaĂ®tre – et monnayer-par le plus grand nombre, ce qui gĂ©nère un intĂ©rĂŞt et un chiffre d’affaires grandissant. Ce faisant, ces commerciaux et celles et ceux qui sont proches d’eux prennent du galon socialement et s’enrichissent Ă©conomiquement.

 

A La recherche du scoop et du popotin du potin

 

J’ai aimĂ© lire Ma vie en rĂ©alitĂ© pour ces quelques raisons. Il se lit très facilement. Et vite. Si Ă  la fin de son livre, Magali Berdah parle bien-sĂ»r de plusieurs de « ses Â» vedettes, la lectrice ou le lecteur qui serait Ă  la recherche du scoop et du popotin du potin Ă  propos d’Adixia, AnaĂŻs Camizuli, Anthony MatĂ©o, Astrid, AurĂ©lie Dotremont, Jessica Errero, Nikola Lozina, Manon Marsault, Paga, Ricardo, Jaja, Ayem Nour, Nabilla, Milla Jasmine et d’autres sera mieux inspirĂ©(e) de concentrer ses recherches ailleurs. De mon cĂ´tĂ©, j’ai dĂ©couvert la plupart de ces prĂ©noms et de ces noms en lisant ce livre.

 

Franck Unimon, vendredi 21 août 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

               

 

 

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Gémissements

 GĂ©missements.

C’est notre souffle qui nous tient. C’est Ă  dire : trois fois rien. Dans nos pensĂ©es et nos souvenirs se trouvent tant de trajectoires. De ce fait, on ne s’étonnera pas si je fais quelques excursions en des temps et des Ă©vĂ©nements diffĂ©rents et si je me retrouve ensuite Ă  nouveau dans le prĂ©sent.

 

Aujourd’hui, ce mercredi 5 aout 2020 oĂą il a fait entre 29 et 30 degrĂ©s Ă  Paris, je devrais ĂŞtre au cinĂ©ma. J’ai l’impression de le trahir. Il y a tant de films Ă  voir mĂŞme si le nombre de films a Ă©tĂ© restreint. Les salles de cinĂ©ma, pour celles qui ont pu rouvrir depuis le 22 juin,  peinent Ă  s’en sortir Ă©conomiquement.

 

EnrĂ´lĂ©es dans la bobine du cycle Covid-19, les salles de cinĂ©ma ont peu de spectateurs. Je m’en suis aperçu directement le 14 juillet en allant voir Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi. Le film m’a beaucoup plu. J’en parle dans un article qui porte le nom du film sur mon blog: Tout simplement Noir.

 

Mais nous Ă©tions Ă  peine dix spectateurs dans la grande salle de ce multiplexe parisien que je connais depuis plus de vingt ans. C’est vrai que j’y suis allĂ© Ă  la première sĂ©ance, celle de 9h et quelques, mais je ne crois pas que l’heure matinale ait jouĂ© tant que ça sur le nombre que nous Ă©tions dans la salle :

 

 Le confinement de plusieurs semaines dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid-19 et l’arrivĂ©e de l’étĂ© au moins ont eu un effet sĂ©cateur sur le nombre des entrĂ©es. En plus, cela fait plusieurs mois qu’il fait beau. Je crois que les gens ont besoin de se rattraper. Ils ont aussi peut-ĂŞtre peur que le couteau d’un autre confinement ne se dĂ©ploie Ă  nouveau sous leur  gorge.  

 

 

Mais on va un petit peu oublier le Devoir ce matin. Ou on va le dĂ©fendre autrement.  On va se faire notre cinĂ©ma Ă  domicile.

 

 

Les photos qui dĂ©filent dans le diaporama sont un assemblage Ă  la fois de quelques photos de vacances, d’ouvrages que je lis, ai essayĂ© de lire ou voudrais lire, du Cd dont la musique m’a inspirĂ©….

 

Et je vais essayer de vous parler d’à peu près tout ça à ma façon.

 

 

On va vers l’autre pour essayer de combler ou de soulager un vide. Mais nous ne partons pas du même vide. Nous ne portons pas le même vide. Et nous ne parlons peut-être même pas du même vide. Beaucoup de conditions sont donc assez souvent réunies pour que, dans la vie, nous fassions….un bide. Et, pourtant, nous connaissons des réussites et des possibilités de réussite. Mais encore faut-il savoir s’en souvenir et s’en apercevoir.

 

 

Je ne connaissais pas du tout Magali Berdah dont j’ai commencĂ© Ă  lire la biographie, Ma Vie en RĂ©alitĂ©. J’en suis Ă  la moitiĂ©. Et j’ai très vite dĂ©cidĂ© de lire son livre plutĂ´t que celui de Julia De Funès intitulĂ© DĂ©veloppement ( Im) Personnel.  Qu’est-ce que je reproche au livre de Julia De Funès dont j’ai commencĂ© Ă  lire l’ouvrage ?

 

Le fait, d’abord, que l’on sente la « bonne Ă©lève Â» qui a eu des très bonnes notes lors de ses Ă©tudes supĂ©rieures et qui a, donc, une très haute opinion d’elle-mĂŞme. Je suis bien-sĂ»r pour avoir des bonnes notes et pour faire des Ă©tudes supĂ©rieures autant que possible. Je suis aussi  favorable  au fait d’avoir de l’estime de soi.  Parce qu’il peut ĂŞtre très handicapant pour soi-mĂŞme comme pour notre entourage de passer notre vie Ă  avoir peur de tout comme Ă  toujours dĂ©cider que l’on ne sait jamais rien et que l’on ne sait absolument rien faire en toute circonstance.

 

 Mais je ne crois pas Ă  la certitude absolue. Y compris la certitude scolaire.

 

Julia De Funès veut « philosophiquement Â» « dĂ©construire Â» les arnaques des « coaches Â» et des vendeurs de « recettes du bonheur Â» qui font florès. C’est très bien. Et j’espère bien profiter de ce qu’elle a compris de ces arnaques. Mais elle abat ses certitudes en se servant de sa carte routière de la philosophie dont elle connaĂ®t des itinĂ©raires et des soubresauts par cĹ“ur.  

 

Elle, elle Sait. Et elle va nous dĂ©montrer comme elle Sait  quitte Ă  ce que, pour cela, en la lisant, on ait mal Ă  la tĂŞte en essayant de suivre sa propre pensĂ©e inspirĂ©e de celles de très grands philosophes qu’elle a dĂ©chiffrĂ©s et qui ont rĂ©solu depuis l’antiquitĂ© le mal dont on essaie de se guĂ©rir aujourd’hui en tombant dans les bras et sur les ouvrages des  commerçants du dĂ©veloppement personnel qu’elle veut confondre.

 

RĂ©sultat immĂ©diat : pour accĂ©der Ă  sa connaissance et profiter de ses lumières, on comprend dès les premières pages de son livre qu’il faut avoir la philo dans la peau. On lit son livre comme on pourrait lire un livre de Droit. J’aime la philo. Et j’aime prendre le temps de rĂ©flĂ©chir.

 

 J’aime moins avoir l’impression, lorsque je lis un livre,  de devoir apprendre des lois. En plus, et c’est sĂ»rement un de mes torts, dès les premières pages, Julia de Funès cite Luc Ferry comme une de ses rĂ©fĂ©rences.  D’abord, je n’ai pas compris tout de suite. J’ai confondu Luc Ferry avec le Jules Ferry de l’école publique. Oui, j’ai fait ça. Ce genre de confusion. Et puis, comme Julia de Funès cite plusieurs fois Luc Ferry en moins de dix pages, j’ai  fini par comprendre.

 

J’ai sĂ»rement de très très gros prĂ©jugĂ©s envers Luc Ferry, ancien Ministre de l’Education. Mais, de lui, j’ai surtout retenu qu’il avait une très belle femme et qu’il savait se faire payer très cher pour des confĂ©rences sur la philo. Et quand je pense Ă  lui, je « vois Â» surtout quelqu’un de très suffisant. Je n’ai pas beaucoup aimĂ© ce qu’il a pu dire, dans le journal Les Echos,  ou peut-ĂŞtre plus dans Le Figaro. A savoir, que, selon lui, après le confinement, le business reprendrait «  as usual Â» et que, en quelque sorte, les Nicolas Hulot et toutes celles et tous ceux qui pensent comme lui, peuvent aller se rhabiller avec leurs histoires de « Il faut changer le monde et essayer de tirer des enseignements de ce que la pandĂ©mie du Covid a pu nous obliger Ă  comprendre du monde et de la vie Â».

 

On a le droit de critiquer Nicolas Hulot et celles et ceux qui lui ressemblent. On peut critiquer plein de choses sur la manière dont la pandĂ©mie a Ă©tĂ© gĂ©rĂ©e et dont elle continue d’être gĂ©rĂ©e. Mais dire que ce sera « business as usual Â» revient Ă  dire que notre monde marche bien tel qu’il est Ă©conomiquement, politiquement, industriellement et socialement ; qu’il est rĂ©glĂ© comme une horloge suisse et que rien ne peut ou ne doit modifier cet ordre et cet Ă©tat du monde dans lequel un Luc Ferry, « philosophe Â» de formation a ses entrĂ©es et ses privilèges. MĂŞme si Luc Ferry a sans aucun doute des connaissances et des raisonnements plus qu’honorables, il est vrai que, pour moi, pour l’instant, l’homme qu’il incarne est pour moi un repoussoir. Et voir que, dès le dĂ©but de son livre que j’ai eu pour l’instant un plaisir limitĂ© Ă  lire, Julia de Funès le place sur un piĂ©destal, m’a poussĂ© Ă  fermer son livre et Ă  passer Ă  la biographie de Magali Berdah.

 

Oui, Magali Berdah.

 

Car, la biographie de Magali Berdah, c’est le contraire. Je ne connaissais pas Magali Berdah auparavant. Et en tombant sur son livre Ă  la mĂ©diathèque, il y a quelques jours, je me suis dit que je pourrais apprendre quelque chose. De mon Ă©poque. Pour moi. Pour mon blog. Afin de  mieux le promouvoir mais aussi, peut-ĂŞtre, l’orienter diffĂ©remment. Sans pour autant aller dans la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© ou biberonner du Cyril Hanouna que Magali Berdah cite comme un de ses premiers soutiens avant de devenir «  la manageuse Â» des influenceurs et des influenceuses. Avec Julia de Funès, finalement, on est dans une pensĂ©e très puritaine. PensĂ©e que je partage aussi. Car je ne me fais pas tant que ça une si haute opinion de moi-mĂŞme :

 

Je peux, aussi, ĂŞtre très très puritain Ă  ma manière. Si ! Si !

 

Sauf que avoir un certain sens et une certaine idĂ©e de la moralitĂ© ne suffit pas pour ĂŞtre heureux et pour ce que l’on appelle « rĂ©ussir sa vie Â». Car notre vie se rĂ©sume quand mĂŞme souvent Ă  ces deux questions :

 

Sommes-nous heureux ? Et faisons vraiment nous tout ce que nous pouvons, dans la mesure de nos moyens, pour ĂŞtre heureux ?

Parce-que pour moi, rĂ©ussir sa vie, c’est ça : ĂŞtre heureux autant que possible, le plus longtemps possible et savoir le redevenir si on est malheureux, triste ou dĂ©primĂ©.

 

Et si je veux bien croire que Julia de Funès peut m’aider, aussi, Ă  rĂ©pondre Ă  ces deux questions au moins dans son livre, je crois que Magali Berdah peut Ă©galement y contribuer. Car je ne vois pas pourquoi citer Luc Ferry pourrait suffire Ă  me rendre heureux. 

 

Alors que la biographie de Magali Berdah, elle, est concrète. On peut trouver qu’elle nous raconte sa vie de façon Ă  passer pour une Cosette. On lui reprochera peut-ĂŞtre de trop Ă©taler sa vie privĂ©e, de se donner le beau rĂ´le (celui de la victime, de la personne  moralement intègre ou protectrice) et de s’en servir pour son sens de la Communication et des affaires. Elle est peut-ĂŞtre ou sans doute moins « jolie Â» moralement que ce qu’elle nous donne Ă  entrevoir dans son livre mais elle nous parle aussi d’un monde que l’on connaĂ®t :

 

Celui où des personnes vulnérables (mineures comme adultes), ignorantes, bosseuses et de bonne volonté, peuvent se faire….arnaquer, kidnapper, trahir etc…..

 

Et Magali Berdah nous raconte aussi comment elle s’en « sort Â». Concrètement. Ainsi que certains de ses fiascos et de ses coups durs. Par des exemples rĂ©pĂ©tĂ©s. Ce qui parle souvent beaucoup mieux qu’en citant des philosophes ou des Anciens Ministres, fussent-ils très cultivĂ©s et dans le « Vrai Â» lorsqu’ils ( nous) parlent. A moins que ces Anciens Ministres et philosophes ne se parlent, d’abord, Ă  eux-mĂŞmes.

 

Oui, Magali Berdah est beaucoup dans l’affectif. Elle le dit et le fait comprendre avec sa « garde rapprochĂ©e Â» parmi ses collaborateurs. Et elle est Ă  l’aise avec l’argent et le fait d’en gagner beaucoup. Il n’est pas donnĂ© Ă  tout le monde, comme elle, de s’épancher facilement auprès d’autrui. Moi, par exemple, dans la vraie vie, je me confie oralement assez peu. C’est une histoire de pudeur et de mĂ©fiance. Quant Ă  l’argent, en gagner beaucoup n’a pas Ă©tĂ© ma prioritĂ© lorsque j’ai commencĂ© Ă  travailler. Je ferais plutĂ´t partie des personnes qui auraient du mal Ă  mieux mettre en valeur mes articles par exemple.

 

 

 Vis Ă  vis de la « cĂ©lĂ©britĂ© Â», je suis ambivalent :

 

J’aime me mettre en scène et faire le spectacle. Vraiment. Mais j’aime aussi pouvoir être tranquille, pouvoir me retirer et me faire oublier. Soit deux attitudes très difficilement conciliables qui expliquent par exemple au moins, en partie, la raison pour laquelle mon blog a sûrement (beaucoup) moins de vues qu’il ne pourrait en avoir. Mais aussi la raison pour laquelle, à ce jour, mon activité de comédien est plutôt une activité sous-marine (c’est peut-être aussi pour cela que je pratique l’apnée) ou sous-cutanée voire intramusculaire.

 

C’est sûrement aussi pour cela que, certaines fois, je me retrouve à nouveau au moins témoin de certaines situations qui, dans mon métier d’infirmier, restent la norme.

 

Parce-que lorsque l’on est infirmier, on aime assez peu se mettre en scène et prendre toute la lumière. On est plus dans le don de soi que dans la revendication pour soi. Et ça amène ce rĂ©sultat et cette vĂ©ritĂ© automatiquement renouvelĂ©e :

 

D’autres profitent de cette lumière et de cet argent.

 

Dans son livre, Magali Berdah explique qu’elle dĂ©couvre l’univers de la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© et des rĂ©seaux sociaux en rencontrant Jazz, une ancienne candidate de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©,  amie d’une de ses anciennes salariĂ©es, Martine, Ă  qui elle rend un service.

 

A cette Ă©poque, Magali Berdah, mariĂ©e, trois enfants, est surendettĂ©e, et a surtout une expĂ©rience consistante en tant que commerciale et auto-entrepreneuse dans les assurances et les mutuelles. A première vue, grossièrement, on dira que cela n’a rien Ă  voir. Sauf que Magali Berdah, est fonceuse, bosseuse, curieuse. Elle a sans doute aussi envie de garantir Ă  ces jeunes vedettes cette protection et cette sĂ©curitĂ© dont elle a manquĂ© enfant.  

 

Magali Berdah offre donc Ă  ces jeunes vedettes son sens des affaires et du commerce ; une certaine indĂ©pendance. Ainsi qu’une prĂ©sence affective permanente qui contraste avec ce monde des marques, des reflets et des images qu’incarnent et vendent ces jeunes vedettes qu’elle protège.

 

Quelques temps plus tĂ´t, alors qu’elle Ă©tait dĂ©primĂ©e du fait de ses problèmes professionnels, financiers et personnels rĂ©pĂ©titifs, elle s’était confiĂ©e Ă  une amie. Laquelle lui avait conseillĂ© de consulter un Rav (l’équivalent d’un rabbin) de sa connaissance. Magali Berdah, juive non pratiquante, avait acceptĂ© de le rencontrer. Après s’être racontĂ©e,  ce Rav, le Rav Eli, lui avait affirmĂ© qu’un de ses ancĂŞtres, du cĂ´tĂ© de son grand-père maternel, Ă©tait lui-mĂŞme un Rabbin très « rĂ©putĂ© Â» considĂ©rĂ© comme un Tsadik.

 

Dans le vocabulaire hassidique, le Tsadik est un « homme juste Â». Un Maitre spirituel. L’équivalent d’un Saint. Mais ce Saint n’est pas protĂ©gĂ© par Dieu de son vivant. Par contre, ce Tsadik protègera un « descendant Â» et lui « offrira une vie extraordinaire : qui sort de l’ordinaire Â».

Et le Rav Eli d’apprendre à Magali qu’elle était cette personne protégée par le Tsadik.

 

Ces propos du Rav Ă©taient-ils sincères ? Relèvent-ils de la gonflette morale ou du placebo ? Sont-ils l’équivalent de ces « trucs Â» vendus et proposĂ©s par les coaches « bien-ĂŞtre Â» que Julia De Funès veut «dĂ©construire Â» ?

 

Je précise d’abord que je ne suis pas juif. Où alors je l’ignore. Mais j’aime beaucoup l’histoire de cette rencontre dans laquelle je vois du conte et de l’universel. Un conte pour adultes. Un conte qu’on aurait pu évidemment transposer autrement en parlant d’une rencontre avec un marabout, un psychologue, un Imam ou toute autre rencontre étonnante ou mystérieuse pourvu que ce soit une rencontre hors-norme, hors de nos habitudes et inattendue dans une période de notre vie où l’on a besoin de changement mais où on ne sait pas comment s’y prendre pour donner une autre direction à notre vie.

 

 

Dans cette histoire du Tsadik qui est l’équivalent du Saint, je pense bien-sĂ»r Ă  la vallĂ©e des Saints qu’un ami m’a conseillĂ© d’aller dĂ©couvrir lors de notre sĂ©jour rĂ©cent en Bretagne. On trouvera facilement mon diaporama de la vallĂ©e des Saints sur mon blog. La VallĂ©e des Saints

 

Pour l’instant, je ne vois pas quelles retombées concrètes sur ma vie a pu avoir le fait d’avoir pris la décision de me rendre avec ma compagne et ma fille à la vallée des Saints. Et ma remarque fera sans doute sourire ou ne manquera pas de me faire envisager comme un candidat idéal pour le programme subliminal de n’importe quel gourou foireux et vénal.

 

Alors, il reste le Tsadik, Ă©quivalent du Saint, qui, je crois, lui, sera plus difficile Ă  contredire et Ă  dĂ©loger, que l’on se moque de moi ou pas :

 

Religion juive ou pas, le soignant, infirmier ou autre, est souvent assimilĂ© au Saint ou Ă  la bonne sĹ“ur. Lorsque l’on regarde les conditions de travail et les conditions salariales d’un infirmier et qu’on les compare Ă  ce que celui-ci donne de sa personne au cours d’une carrière, on « sait Â» que le compte n’y est pas du tout. Et que les infirmiers, comme d’autres corps soignants, sont sous-payĂ©s et sous estimĂ©s comparativement Ă  ce qu’ils donnent. Mais aussi comparativement Ă  ce qu’ils endurent. J’ai dĂ©jĂ  entendu dire que, souvent, dans les ancĂŞtres des soignants, il y a eu un malade, une grande souffrance. Mais on peut aussi penser, Ă  travers l’exemple du Tsadik, qu’un soignant (infirmier ou autre) est un Tsadik et que, lui aussi, donnera sa protection Ă  un de ses descendants un jour ou l’autre.

 

Cette histoire-lĂ  me plait beaucoup et elle m’est inspirĂ©e en lisant la biographie de Magali Berdah. Pas en lisant l’ouvrage de Julia de Funès. J’ai presque envie d’ajouter :

 

« Alors que cela aurait dĂ» ĂŞtre le contraire. A quoi sert-t’il d’avoir autant de connaissances- comme Julia de Funès- si c’est pour plomber l’atmosphère et le moral des gens alors que ceux-ci essaient de trouver des astuces pour s’allĂ©ger, respirer un petit peu mieux et s’octroyer un peu de rĂ©pit avant de devoir reprendre leur labeur ? Â».

 

Récemment, dimanche après-midi, j’ai effectué un remplacement dans un service. La collègue infirmière du matin, ai-je appris plus tard, se lève à 3 heures du matin lorsqu’elle commence sa journée de travail à 6h45.

 

C’est sans doute rare qu’une infirmière se lève aussi tôt lorsqu’elle commence à 6h45 pour être à l’heure au travail. Mais je l’aurais vu au moins une fois dans ma vie.

 

Ce qui est moins rare, c’est d’avoir appris que cette infirmière avait pu se faire « dĂ©foncer Â» en plein staff un matin parce-que le travail n’avait pas Ă©tĂ© fait en temps et en heure. Pour quelle raison ?

Peut-être parce qu’elle était nouvelle dans le service. Et encore en CDD. Mais, aussi, parce-que le service manque de personnel infirmier. Quatre infirmiers en poste dans le service alors qu’il en manque sept autres. Il y a sept postes d’infirmier vacants dans ce service. Le service tourne donc régulièrement avec des remplaçants.

 

Ce qui est aussi moins rare, c’est qu’en se faisant « dĂ©foncer Â» en plein staff, cette infirmière ait subi sans broncher. C’est une Ă©tudiante infirmière prĂ©sente lors des faits qui, ensuite, en a parlĂ© au collègue infirmier qui m’a racontĂ© ça le dimanche après-midi.

 

Ce qui est Ă©galement moins rare c’est d’avoir demandĂ© ce dimanche (j’étais alors prĂ©sent) Ă  cette mĂŞme infirmière de revenir travailler le lendemain matin sur son jour de repos. Parce qu’il manquait du personnel infirmier le lundi matin.  

 

 Pourquoi je parle de ça ? Le Covid a fait des soignants, officiellement, «  des hĂ©ros Â». Mais des personnes se font « dĂ©foncer Â» cette fois-ci physiquement, sur la place publique lorsqu’ils rappellent Ă  d’autres citoyens de porter- correctement- le masque de prĂ©vention anti-covid. Ou simplement d’un porter un.

 

Pendant ce temps, dans leur service, des soignants continuent de se faire « dĂ©foncer Â» en plein staff comme cette collègue infirmière. On peut donc dĂ©foncer en plein staff une hĂ©roĂŻne. Et c’est normal.

 

Alors, qu’est-ce qu’il reste aux soignants hĂ©roĂŻques alors qu’ils continuent de se faire dĂ©foncer par leur hiĂ©rarchie ? Il leur reste la dĂ©pression ou le burn-out. Il leur reste les accidents de travail. Il leur reste les congĂ©s longue maladie. Il leur reste la dĂ©mission. Il leur reste la colère ou la contestation. Il leur reste le Tsadik ou son Ă©quivalent. Et c’est en lisant la biographie de Magali Berdah, que je n’ai pas terminĂ©e, que je le comprends. Pas en lisant le livre sĂ»rement très cultivĂ© de Julia de Funès.

 

Ce matin, ça a fait marrer une de mes jeunes collègues infirmières lorsque je leur ai parlé de Magali Berdah. Elle était sans doute gentiment amusée par une de mes nouvelles bizarreries. Pourtant, je ne fais que prolonger à ma façon ce en quoi je crois depuis des années.

 

Miles Davis disait « My mind is not shut Â» : Mon esprit n’est pas fermĂ©. Dans la revue Yashima dont j’ai beaucoup aimĂ© les articles cette fois-ci, il y a entre autres une interview de Kacem Zoughari.

 

Kacem Zoughari est «  docteur en Histoire et Culture du Japon et adepte de Ninjutsu du plus haut niveau Â». J’ai dĂ©couvert l’existence de Kacem Zoughari il y a Ă  peine dix jours par ce magazine Yashima achetĂ© durant mes vacances.

 

Quel rapport entre la tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©, le monde du fric et du commerce de Magali Berdah et l’ascèse martiale Ă  laquelle se tient Kacem Zoughari que je devrais appeler au moins Sensei ou Maitre au vu de ses titres ?  A priori, Ă  la tĂ©lĂ©, ce n’est pas la mĂŞme chaine. Il n’y a aucun rapport si on oppose ces deux personnes et ces deux expĂ©riences selon leur image et leur parcours. Et puis, dans l’interview, Kacem Zoughari dit par exemple :

 

« Quand j’arrive lĂ -bas (au Japon), je pense ĂŞtre bon. J’ai reprĂ©sentĂ© la discipline Ă  Bercy et Ă  la tĂ©lĂ© et je suis ceinture noire. Mais au premier cours chez Ishizuka sensei, on me reprend. On me reprend gentiment, mais j’ai l’impression d’être giflĂ© ! Â».

 

On peut donc ĂŞtre « très bon Â», bosseur et expĂ©rimentĂ© comme le pense alors Kacem Zoughari et, comme Magali Berdah, dans son domaine professionnel…échouer.

 

Or, que l’on Ă©volue dans le commerce ou dans le domaine des arts martiaux ou ailleurs, ce qui va importer, c’est notre rĂ©action par rapport Ă  « l’échec Â». Ce que l’on va ĂŞtre capable d’apprendre et d’accepter de cet Ă©chec.

 

Plus tard, Kacem Zoughari dit :

 

«  (….) Hatsumi sensei dit parfois : « Tu veux ĂŞtre bon, shuraba ni ike Â». Va oĂą a lieu le carnage Â».

 

On peut penser au « carnage Â» de la guerre. Mais on peut aussi penser au « carnage Â» de la souffrance et de la violence auquel le soignant oĂą le travailleur social est rĂ©gulièrement exposĂ©. Et Magali Berdah parle aussi de certaines pĂ©riodes de «  sa vie chaotique Â».

 

Et j’ai particulièrement aimĂ© lorsque Kacem Zoughari dit :

 

« Certains Ă©lèves copient le maitre jusque dans ses dĂ©formations de dos, de genou, etc. Au-delĂ  de l’aspect caricatural, c’est mĂŞme dĂ©lĂ©tère pour leur santĂ© ! Ce type de pratiquants intĂ©gristes refuse souvent aussi de voir ce qui se fait ailleurs pour ne pas corrompre l’image qu’ils ont de leur maĂ®tre. C’est une grave erreur Â».

 

Bien entendu, je n’attends pas que Kacem Zoughari verse dans l’univers de la téléréalité et dans le monde de Cyril Hanouna. Mais on a compris que selon mes aptitudes et mon état d’esprit, je peux trouver des parties de mes besoins et de mes réponses tant dans ce qu’enseigne Kacem Zoughari que dans ce que raconte Magali Berdah.

D’autant que Kacem Zoughari confirme aussi :

 

« (…..) car beaucoup d’obstacles se dressent sur la voie d’un adepte. Il y a d’abord les dĂ©sillusions. Le monde martial, comme tout microcosme, comporte de nombreuses personnes Ă  la moralitĂ© douteuse. Il faut alors avoir foi dans les bĂ©nĂ©fices de la pratique pour trouver le recul de se dire que les actes d’un individu ne dĂ©finissent pas la valeur d’une discipline Â».

 

 

Il y aurait bien-sûr davantage à dire de l’interview de Kacem Zoughari et je le ferai peut-être un autre jour.

 

Mais l’article va bientĂ´t se terminer et je veux d’abord rĂ©pondre Ă  des questions que je crois possibles devant certaines des photos :

 

La voix du Raid Ă©crit par Tatiana Brillant (avec la collaboration de Christine Desmoulins), ancienne nĂ©gociatrice du RAID, parce-que je crois que son expĂ©rience peut aussi m’apprendre quelque chose dans mon mĂ©tier comme dans ma vie. Tatiana Brillant, dont, d’ailleurs, le père est pompier. Et la mère….infirmière. Tatiana Brillant qui dit, page 24 :

 

«  (….) Ayant cette fois accès Ă  mon dossier, j’ai appris que lors des prĂ©cĂ©dents tests j’avais Ă©tĂ© reçue première avec l’observation suivante :

 

 Â«  Première candidate. Impressionnante malgrĂ© son jeune âge. Bonnes rĂ©actions, empathie naturelle Â».

C’est ainsi que je suis entrĂ©e au RAID le 1er mars 2004. A Bièvres, dans l’Essonne, mon rĂŞve se rĂ©alisait ! Tout cela validait Ă  jamais le mantra qui rythme ma vie :

 

« Il ne faut rien s’interdire Â».

 

« L’empathie Â» est une aptitude qui peut ĂŞtre dĂ©valuĂ©e dans un monde oĂą l’image, le statut social, la cĂ©lĂ©britĂ©, la rapiditĂ©, la rentabilitĂ© et le fric remportent souvent le gros lot.

 

Le personnel infirmier sait ce qu’est l’empathie mĂŞme s’il se fait rĂ©gulièrement enfler. Parce qu’il est plus dans le sacrifice et le don de soi que dans l’empathie me dira-t’on. Peut-ĂŞtre. Mais on voit Ă  travers Tatiana brillant, Magali Berdah mais aussi Kacem Zoughari, qui l’évoque d’une certaine façon dans un passage de son interview, que « l’empathie Â» est compatible avec la rĂ©ussite professionnelle et personnelle.

 

 

Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere, membre de l’AcadĂ©mie française. Pour le titre. Pour la littĂ©rature. Parce-que je n’ai encore rien lu de lui. Parce qu’il parle d’HaĂŻti, oĂą il se trouvait, lors du tremblement de terre du 12 janvier 2010 :

 

  «  Des choses vues Â» qui disent l’horreur, mais aussi le sang-froid des HaĂŻtiens. Que reste-il quand tout tombe ? La culture. Et l’énergie d’une forĂŞt de gens remarquables Â».

 

 

Parce qu’HaĂŻti est une Ă®le oĂą j’aurais aimĂ© ĂŞtre allĂ© depuis des annĂ©es. Mais son rĂ©gime politique et sa pauvretĂ© m’ont jusque lĂ  trop inquiĂ©tĂ©. Je suis « entrĂ© Â» un peu Ă  HaĂŻti d’abord par le cinĂ©ma de Raoul Peck dans les annĂ©es 90 par son film, L’Homme sur les quais. J’ai vu d’autres films de lui. Et mĂŞme des sĂ©ries. Je l’ai aussi rencontrĂ© et interviewĂ© deux fois. Une fois lors du festival de Cannes au dĂ©but des annĂ©es 2010. Une autre fois, Ă  Paris.

 

Il y a quelques photos de nos vacances en Bretagne. A la vallée des Saints ( avec les statues en granit) et aussi à Quiberon, du côté du port-Haliguen, où nous sommes passés avant que le port du masque ne devienne obligatoire dans la rue.

 

Le titre que j’ai choisi sur l’album Nordub  rĂ©alisĂ© par Sly & Robbie et Nils Petter Molvaer feat Eivind Aarset and Vladislav Delay s’appelle :

 

European Express.

 

C’est le septième titre de l’album. Après avoir lu des critiques dithyrambiques sur cet album, je me suis décidé à l’acheter. J’avais déjà écouté deux anciens albums de Nils Petter Molvaer. J’appréhendais qu’il soit trop présent avec ses traversées électroniques et sa trompette qui louche vers Miles mais sans l’attrait de Miles sur moi.

 

Sly and Robbie, depuis leur trajectoire Reggae avec Black Uhuru, Gainsbourg et beaucoup d’autres dans les années 70 et 80 ont depuis longtemps débouché dans d’autres atmosphères musicales. J’attendais beaucoup de cet album. J’attendais du Dub. J’ai d’abord été déconfit. Puis, en le reprenant en revenant de vacances, il s’est à nouveau vérifié que certains albums nous demandent du temps pour entrer dedans.

 

European Express,  de par sa dynamique, est le titre qui m’a semblĂ© le plus appropriĂ© pour cet article.

 

 

Cet article est sans doute plus long qu’il n’aurait dû, une fois de plus. Alors, j’espère qu’il ne sera pas trop fastidieux à lire et que les photos qui l’accompagnent vous iront aussi.

Ici, si on le souhaite, on pourra écouter cet article dans sa version audio :

 

 

Après un concert, il arrivait que Miles engueule certains de ses musiciens après qu’ils aient, selon lui, mal jouĂ©. Sans doute estimait-il qu’ils n’avaient pas pris assez de risques. Il leur disait :

 

 Â«  Jouez ce que vous savez jouer ! Â».

 

J’ai Ă©crit ce que je sais Ă©crire. C’est le souffle qui nous tient. C’est Ă  dire : trois fois rien.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 5 aout 2020.

 

 

 

 

 

 

 

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Croire aux fauves

 

                                                      Croire aux fauves

Terminer un livre. Il n y a pas plus illusoire. Il y a l’idée d’une victoire. Alors que chaque livre devrait nous éjecter de ce genre de croyance. Etre une frontière, une trajectoire. Et nous rapprocher du rêve.

 

Mais nous ne rĂŞvons plus, nous dit Nastassja Martin dans son livre, Croire aux fauves. Nous laissons les atomes et les pixels de nos vies modernes rĂŞver des traces Ă  notre place.

 

A la fin de ma lecture de Croire aux fauves, il y a quelques jours, j’étais hĂ©bĂ©tĂ© :

 

J’étais incapable de me sortir -d’en parler- de ce livre de 151 pages de taille moyenne.

 

Depuis, j’ai cherchĂ© un autre mĂ©dicament, commencĂ© Ă  tourner d’autres pages sans rĂ©ussir Ă  me dĂ©cider vraiment :

 

Les Chamans ( Hier et Aujourd’hui) de Jean-Patrick Costa.

 

L’Apothéose des vaincus ( Philosophie et champ jazzistique) de Christian Béthune.

 

Catherine Ringer Et les Rita Mitsouko de Stan Cuesta (avec une préface d’Alfredo Arias)

 

Ecrit sur la bouche de Claude Olievenstein

 

Deep de James Nestor

 

L’An V de la RĂ©volution algĂ©rienne de Frantz Fanon dont Abdel Raouf Dafri m’a parlĂ© lors de son interview pour son film Qu’un sang impur… qui sort demain ( Interview en apnĂ©e avec Abdel Raouf Dafri ). 

 

Mon père, ce tueur de Thierry Crouzet

 

 

Alors, je passe un peu d’un livre Ă  un autre, comme un alpiniste passerait d’une montagne Ă  une autre. Dans le Ecrit sur la bouche d’Olivenstein, publiĂ© en 1995, il y a cette phrase, page 15 : « La bouche garde le souvenir de notre passĂ© (…) Â».

Cela peut correspondre avec ce qu’écrit Nastassja Martin en 2019 dans son livre Croire aux fauves, page 113 :

 

«  Le fauve mord la mâchoire pour rendre la parole Â».

 

 

Dans Deep, je suis tombĂ© sur ce passage qui raconte que le Capitaine Cook avait embarquĂ© pour un de ses voyages, le chef d’une tribu «  primitive Â». Non seulement, celui-ci lui avait fait dĂ©couvrir un certain nombre de « mondes Â» (d’autres contrĂ©es)  en les lui montrant sur la carte. Mais, quel que soit l’endroit oĂą ils se trouvaient sur la mer, ce « chef Â» restait capable de situer exactement sur la carte l’endroit oĂą se trouvait son « pays Â».

Toujours dans le mĂŞme livre, James Nestor nous parle d’une autre tribu (aborigène ?) qui, dans son langage quotidien, intĂ©grait en permanence les points cardinaux : nord, sud, ouest, est.

 

Si je me fie Ă  ma pensĂ©e cartĂ©sienne d’occidental parisien Ă©duquĂ©, « normal Â», bornĂ© et « responsable Â» de 2020, je dirais que ces sujets et ces livres font partie de mes envies d’exotisme du moment en pleine pĂ©riode des soldes d’hiver. Et que Nastassja Martin, anthropologue, brillante Ă©tudiante, Ă©lève de Philippe Descola, formĂ©e Ă  la psychanalyse, sĂ»rement une très belle femme Ă  «  l’origine Â», très bonne alpiniste, russophone et sans doute capable de parler d’autres langues en plus du Français,  d’un ( très) bon milieu social, guidĂ©e par son arrogance et son sentiment de supĂ©rioritĂ©, s’est Ă  nouveau  aventurĂ©e sur un territoire encore sauvage, dans les montagnes du Kamtchatka ; a fait le voyage de trop en aout 2015 et est tombĂ©e sur un ours qui l’a dĂ©figurĂ©e. Elle lui a rĂ©sistĂ© et, les yeux fermĂ©s, avec son piolet, a rĂ©ussi Ă  le blesser. Autrement, il l’aurait sans doute tuĂ©e. L’ours s’est Ă©chappĂ©. Nastassja Martin est une combattante et une survivante. Elle raconte ce que cette rencontre lui a donnĂ© dans la peur et dans la douleur. Sans voyeurisme et sans exhibitionnisme.

 

Si je laisse tomber cette corde de pensĂ©e, je dirais que je suis en ce moment incapable de regarder un film et de me fixer sur un livre parce-que la poussĂ©e animiste du livre de Nastassja Martin m’épouse et me rappelle une histoire perdue qui vient de loin. Mais je ne l’ai pas encore Ă©crite :

Nous sommes surtout douĂ©s, dĂ©sormais, pour savoir nous repĂ©rer et nous rĂ©pĂ©ter dans des administrations et des magasins. Pour nous cantonner Ă  certaines de nos fonctions et  Ă  certaines actions Ă  des horaires et des pĂ©riodes paramĂ©trĂ©s. Alors que pour vivre nous devrions plus nous inspirer de nos rĂŞves que des murs qui nous regardent.

 

 

Nastassja Martin, encore, dans son Croire aux fauves, page 121 :

 

 

«  (….) personne n’a Ă©coutĂ© Antonin Artaud qui, pourtant, avait raison. Il faut sortir de l’aliĂ©nation que produit notre civilisation. Mais la drogue, l’alcool, la mĂ©lancolie et in fine la folie et/ou la mort ne sont pas une solution, il faut trouver autre chose. C’est ce que j’ai cherchĂ© dans les forĂŞts du nord, ce que je n’ai que partiellement trouvĂ©, ce que je continue de traquer Â».

 

 

 

Franck Unimon, ce mardi 21 janvier 2020.

 

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Bravo Two Zero

Andy McNab ne devrait pas ĂŞtre un hĂ©ros. Mais il l’est. Et c’est ce qui me donne mauvaise conscience. C’est la raison pour laquelle je parle de son livre Bravo Two Zero maintenant alors que j’en avais terminĂ© la lecture une bonne semaine avant de commencer Ă  lire New York Vertigo  Ă©crit par Patrick Declerck, ouvrage dont j’ai dĂ©jĂ  parlĂ© hier Ă  ma manière.( RentrĂ©e des classes )

 

Les deux livres se recoupent sĂ»rement dans l’Histoire. Mais les deux hommes,  leurs intentions et leurs actions, diffèrent. On pourrait parler de Devoir pour le premier et de choix pour le second. Mais Andy McNab, comme tout hĂ©ros, a  la franchise pour lui. Patrick Declerck, aussi, est fait de franchise. Alors, on dira que l’on prendra pour modèle le hĂ©ros de sa prĂ©fĂ©rence si les conditions sont rĂ©unies :

 

D’un cĂ´tĂ©, Andy McNab, Militaire au sein du SAS lors de « la guerre du Golfe » (dĂ©butĂ©e en Aout 1990) contre Saddam Hussein. Officiellement, selon Georges Bush, le PrĂ©sident amĂ©ricain de l’époque, pour  » dĂ©fendre la dĂ©mocratie » ( le prĂ©texte de rechercher et d’Ă©liminer  » des armes de destruction massive » en Irak sera employĂ© en 2002)  alors que bien des occidentaux moyens avaient compris que le but Ă©tait au moins d’assurer aux pays occidentaux l’approvisionnement en pĂ©trole nĂ©cessaire Ă  leur suffisance et Ă  leur croissance.

De l’autre cĂ´tĂ©, Patrick Declerck, anthropologue et psychanalyste, longtemps connu pour son travail sur les SDF, et qui considère que l’espèce humaine  » est pourrie ». 

 

Dans son livre, je ne me rappelle pas qu’Andy McNab nous dise en prĂ©ambule qu’il considère l’espèce humaine comme  » pourrie ». Nous apprenons qu’il a Ă©tĂ© un enfant adoptĂ© et aussi que lorsque dĂ©bute son rĂ©cit, il a une trentaine d’annĂ©es et a divorcĂ© trois fois. Jill est sa nouvelle compagne et ils ont une fille.

 

Vu que j’ai « dĂ» Â» me rabattre sur un livre d’occasion dans sa version originale, en Anglais, parue en 1993, j’aurais Ă©tĂ© incapable de donner une explication prĂ©cise du SAS. MĂŞme si dès le dĂ©but de son livre -très bien Ă©crit- oĂą Andy McNab nous raconte les prĂ©paratifs avant son dĂ©part en mission en Irak, il est Ă©vident que lui et « ses Â» 7 hommes sont beaucoup plus que des simples appelĂ©s que l’on envoie au front afin d’y effectuer leurs classes.

En 1990, en France, le service militaire Ă©tait encore obligatoire. Et, deux ans plus tard, lors de mes classes Ă  Beynes, dans un camp militaire semi-disciplinaire, tout appelĂ© avait la possibilitĂ© de s’engager afin d’aller prendre part Ă  la guerre en ex-Yougoslavie. La solde passait Ă  2000 francs par mois contre un peu plus de 500 francs pour l’appelĂ© ordinaire que j’étais. Personne, parmi les appelĂ©s qui effectuaient leur service militaire comme moi, ne s’était portĂ© volontaire. Nous ignorions tous l’affiche qui nous informait de cette possibilitĂ© quelque part près des douches collectives et froides en ce mois  de dĂ©cembre 1992. Cela avait fait ricaner un caporal : 

 

«  Personne ne veut partir en Bosnie ?! Â».

 

 

SAS ou Special Air Service signifie Forces spĂ©ciales des forces armĂ©es britanniques (source WikipĂ©dia). Je m’y connais mal dans les diffĂ©rentes catĂ©gories d’armĂ©es mais pour avoir lu Bravo Two Zero et vu quelques films, je dirais qu’Andy McNab et « ses Â» 7 hommes sont bien chacun des Ă©quivalents de James Bond ou de Jason Bourne. Et davantage des Jason Bourne pour le cĂ´tĂ© rĂ©aliste comme pour, autant que possible, le fait de s’appliquer au maximum, Ă  se fondre dans le dĂ©cor et Ă  ne pas laisser trop de traces de son passage. 

Si le personnage de Jason Bourne a des problèmes de mémoire et est poursuivi par son passé et son identité qu’il reconstitue avec le feu des affrontements, la mémoire fait dès le départ partie des armes et des stratégies de combat d’Andy McNab et de ses hommes pour cette mission en Irak qu’ils préparent avec autant de minutie que l’on manipule un explosif. D’autant que le but de leur mission est d’aller détruire des rampes de lancement de missiles SCUD irakiens dirigés vers des cibles stratégiques israéliennes.

 

Je parle des personnages de James Bond et de Jason Bourne pour que la lectrice ou le lecteur qui lira cet article puisse facilement situer le niveau poussĂ© de formation militaire- l’élite- d’Andy McNab et de ses hommes. Mais il est possible que je sois encore  loin de la vĂ©ritĂ© en matière de rĂ©alisme :

 

Dans Bravo Two Zero, Ă  plusieurs reprises, Andy McNab nous explique avec pĂ©dagogie que, souvent, au cinĂ©ma, on voit telle action de combat se dĂ©rouler d’une certaine façon, tout en « finesse Â» en quelque sorte. Alors que dans les faits, cela se passe très diffĂ©remment. Et il nous explique très bien les faits. Tant d’un point de vue des prĂ©paratifs, de l’adaptation au terrain de la mission, de la fuite, puis lors de la pĂ©riode de captivitĂ© et de tortures par l’armĂ©e irakienne jusqu’à la fin de cette pĂ©riode de captivitĂ©. Après cette mission racontĂ©e dans Bravo Two Zero, Andy McNab a rĂ©alisĂ© d’autres missions militaires. Depuis, il a raccrochĂ© et est devenu, Ă  ce que j’ai pu lire, un auteur reconnu. Et je le crois facilement après avoir lu ce premier ouvrage de lui qui combine connaissance pratique et tactique du terrain, maitrise de la psychologie de combat, très bonne connaissance des armes, mais aussi de la physiologie du corps humain. Humour et qualitĂ© d’écriture sont aussi de la partie. Il y a donc plein d’atouts dans son rĂ©cit.

 

Ma mauvaise conscience concernant le contenu de Bravo Two Zero  vient du fait qu’avec Andy McNab nous sommes, Ă  nouveau, du cĂ´tĂ© des occidentaux et des vainqueurs dans cette guerre du Golfe. Bien-sĂ»r, Saddam Hussein Ă©tait un dictateur. Et, oui, il faut bien des hommes comme Andy McNab pour faire la guerre et la « gagner Â». Et, oui, devant ce que nous raconte Andy McNab des sĂ©ances de torture rĂ©pĂ©tĂ©es qu’il a subis et du comportement de plusieurs de ses tortionnaires, notre empathie lui est très vite acquise. Et, Ă  la façon d’un Patrick Declerck qui, dans New York Vertigo, se demande, lui qui s’estime si lâche et si mou, ce qu’il aurait fait le 22 dĂ©cembre 2001 lors du vol Paris-Miami face au terroriste Richard Reid, je me pose Ă©videmment la mĂŞme question tant face au terroriste Richard Reid ( finalement, une hĂ´tesse qui l’avait repĂ©rĂ© prend l’initiative de lui sauter dessus puis d’autres personnes se joignent Ă  elle pour le maitriser) qu’à la place d’Andy McNab et de ses hommes.

 

«  Mais en de semblables circonstances, qu’aurais-je fait moi ? VoilĂ  ce Ă  quoi je pense, assis dans mon fauteuil pour schtroumpfs ? Â» se demande Patrick Declerck, anthropologue, psychanalyste et Ă©crivain, en 2012 ( page 45, de New York Vertigo).

 

 

Ma mauvaise conscience devant Bravo Two Zero provient du fait, qu’évidemment, j’aurais Ă©tĂ© incapable de partir volontairement en mission comme Andy McNab. Si j’en avais Ă©tĂ© capable ou si je l’avais souhaitĂ©, je me serais engagĂ© pour partir « faire la guerre Â» en Bosnie fin 1992.

MalgrĂ© mon attachement Ă  l’effort sportif, contrairement Ă  un Patrick Declerck me semble-t’il, je m’entraĂ®ne Ă  me rĂ©signer ce constat : les groupes et les troupes d’élite, que ce soit dans les armĂ©es, dans le civil, dans les forces de police du monde entier ou dans le privĂ©, sont gĂ©nĂ©ralement constituĂ©s par des individus ( femmes, hommes comme animaux) aux capacitĂ©s physiques et mentales hors-normes donc durement sĂ©lectionnĂ©s. Et durement formĂ©s. MĂŞme des personnes volontaires pour ce genre de vie et d’action Ă©chouent en cours de formation ou  parfois y dĂ©cèdent. J-Pierre Roybon en parle un peu dans son livre Mes rĂŞves avaient un goĂ»t de sel. ( Mes rĂŞves avaient un goĂ»t de sel ).

 

 

Pour ces quelques raisons, critiquer depuis mon salon l’engagement militaire et personnel d’un Andy McNab, de ses hommes et de toutes celles et ceux qui leur ressemblent de par le monde me donne mauvaise conscience :

 

Je devrais soit me contenter de les remercier. Soit me taire. Ou les deux en mĂŞme temps si c’est possible. Parce que ces hommes – et ces femmes- militaires, des forces de police, prennent des risques et meurent afin que je puisse tranquillement continuer ma petite vie civile et seulement me prĂ©occuper de l’heure Ă  laquelle mon bus ou mon train va arriver et si je vais pouvoir y trouver une place assise. Tandis que dans d’autres pays, c’est souvent la guerre, et les civils rasent les murs et les frontières, afin d’essayer de trouver une vie meilleure et plus calme, comme en France, dans d’autres pays occidentaux ou ailleurs.  

 

Sauf que des Irakiens civils comme militaires auxquels les occidentaux ont dĂ©cidĂ© de faire la guerre en 1990 rappellent eux aussi dans le livre d’Andy McNab qu’ils en ont assez que les occidentaux viennent leur voler leurs matières premières telles que le pĂ©trole. Qu’ils en ont assez que les occidentaux tuent leurs femmes et leurs enfants lorsqu’ils refusent cette relation post coloniale qui leur est imposĂ©e. Et que Saddam Hussein, leur grand leader ou leur grand guide, va les sauver et redonner de la Grandeur Ă  leur vie et Ă  leur pays. En France, on a un parti politique et une pensĂ©e intellectuelle, tendance extrĂŞme droite, qui a grosso modo les mĂŞmes propos depuis une bonne dizaine d’annĂ©es ou davantage. Et les reprĂ©sentants de l’un comme l’autre passent facilement Ă  la tĂ©lĂ© comme Ă  la radio et sont bien rĂ©munĂ©rĂ©s. Leurs livres, lorsqu’ils paraissent, se vendent plutĂ´t bien et bĂ©nĂ©ficient d’une promotion plutĂ´t favorable. Leurs armes de destruction massive sont leur prĂ©sence permanente qui « veille » sur nos consciences ou rĂ´de autour d’elles:

Par les patrouilles de leurs paroles, de leurs slogans, de leur image, de leur pouvoir intellectuel, politique et économique avec lesquels s’arrangent certains média, les autres classes politiques, d’autres personnes de pouvoir. Et ça passe. On vit et mange avec ça. On grandit avec ça. On élève nos enfants avec ça. Nous nous faisons coloniser mentalement par ces façons de penser. Lentement et sûrement.

Et on continue de pointer exclusivement du doigt les gens d’ailleurs, et celles et ceux qui, Ă  nos yeux,  leur « ressemblent Â» car tout est de leur faute. Ils seraient apparus sur Terre tout seuls un beau jour :  Saddam Hussein, Khadafi, Ben Laden, leurs semblables,  l’intĂ©grisme islamiste, les terroristes islamistes qu’il faut tous Ă©liminer.

 

 Â«  Those pieces of shit ! Â» comme le dit Patrick Declerck dans New York Vertigo Ă  une femme flic Ă  la « poitrine ballon Â» qui aurait fait rĂŞver le rĂ©alisateur Russ Meyer ( rĂ©alisateur pour lequel, j’ai aussi une grande sympathie lorsque je pense Ă  ses films tels que Vixen ou Super Vixen par exemple).

Et la femme flic Ă  la poitrine-ballon, le jour de la commĂ©moration du 11 septembre 2001, en septembre 2012,  rĂ©pond Ă  Patrick Declerck : « Oh Yeah ! Â».

Je comprends l’émotion de Patrick Declerck le jour de cette commĂ©moration en 2012 surtout en prĂ©sence de cette femme flic Ă  la « poitrine ballon Â». Un an plus tĂ´t, mais en octobre, je m’étais par hasard retrouvĂ© au mĂŞme endroit. Et, subitement, toutes ces images que j’avais vues en boucle Ă  la tĂ©lĂ© le 11 septembre 2001- j’étais au travail dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂą je travaillais alors dans les Yvelines- m’ont « parlĂ© Â».

J’ai « entendu Â» les cris de certaines de ces personnes qui s’étaient jetĂ©es dans le vide et dont Patrick Declerck sait très bien parler dans son New York Vertigo. C’étaient Ă©videmment des cris fantĂ´mes.

Durant mon enfance et mon adolescence, moi, le jeune antillais occidentalisĂ© et influencĂ© par la culture amĂ©ricaine dès sa naissance, j’avais idĂ©alisĂ© la ville de New-York puis m’en Ă©tais Ă©loignĂ©. Et lorsque je la dĂ©couvrais vĂ©ritablement en 2011, Ă  43 ans, avec celle qui, originaire de l’île de la RĂ©union, allait devenir ma femme, c’était plusieurs annĂ©es après le 11 septembre 2001. Après l’ouragan Katrina Ă  la Nouvelle OrlĂ©ans. Après avoir connu, en 1990 en pleine guerre du Golfe, mon premier contrĂ´le d’identitĂ© au faciès Ă  la DĂ©fense, quartier oĂą j’avais collectĂ© des bons souvenirs depuis mon enfance jusqu’Ă   mon adolescence.  Si la couleur des souvenirs n’Ă©tait pas contrĂ´lĂ©e pendant la Guerre du Golfe, celle de ma peau l’a Ă©tĂ©. Peut-ĂŞtre aussi parce-que j’avais eu le tort vraisemblable d’ĂŞtre vĂŞtu d’un survĂŞtement.

 La femme d’environ une trentaine d’annĂ©es,  blanche, vĂŞtue d’un tailleur, chaussĂ©e de talons aiguilles, qui sortait comme moi du RER A Ă  la DĂ©fense, et me prĂ©cĂ©dait d’Ă  peine deux mètres avait pu prendre l’escalator. Elle avait pu s’élever vers la surface sans supporter le moindre contrĂ´le d’identitĂ© et peut-ĂŞtre, aussi, sans mĂŞme soupçonner mon existence derrière elle. 

 

 

Peut-ĂŞtre que sans la Guerre du Golfe que raconte très bien Andy McNab dans son Bravo Two Zero et d’autres guerres importĂ©es par l’occident au Moyen-Orient et dans d’autres rĂ©gions du monde au vingtième siècle mais aussi lors des siècles prĂ©cĂ©dents, Patrick Declerck n’aurait pas Ă©crit son New York Vertigo.  Mais il y aurait eu d’autres guerres. Pour Andy McNab et ses hommes, et tous les autres qui leur ressemblent, cela n’aurait rien changĂ©. Ils y seraient allĂ©s. Parce qu’ils ont besoin de ces guerres :

Stan, originaire d’Afrique du Sud, un des « hommes Â» d’Andy McNab, Ă©tait au dĂ©part Ă©tudiant en mĂ©decine. Il a mis un terme Ă  sa carrière mĂ©dicale pour s’enrĂ´ler dans le SAS.  

 

Dans Bravo Two Zero, Andy McNab peut bien rappeler que le Saddam Hussein idĂ©alisĂ© par plusieurs de ses tortionnaires est celui qui a fait gazer des enfants iraniens, Ă  mon avis, il aurait de toute façon Ă©tĂ© volontaire pour sa mission en Irak mĂŞme sans ça. Parce qu’il est des ĂŞtres humains « faits Â» pour la guerre militaire. Pour tuer. MĂŞme si McNab justifie son engagement militaire en Ă©crivant Ă  deux ou trois reprises qu’il est « payĂ© pour ça Â». Personne ne le paie, Ă  la fin de Bravo Two Zero, pour nous apprendre que lui et ses 7 hommes ont abattu «  250 personnes Â» au cours de cette mission.

On est Ă©videmment de son cĂ´tĂ© et du cĂ´tĂ© de ses hommes- et des autres soldats occidentaux- lorsqu’ils se font torturer (sur le sujet des tortures, Bravo Two Zero, se dĂ©roule sur une bonne centaine de pages) et humilier par des militaires irakiens. On peut aussi s’étonner du grand nombre de soldats irakiens prĂ©sents lors de ces sĂ©ances de torture et les voir comme des espèces de planquĂ©s très contents de leur avantage militaire sur leurs prisonniers dĂ©sarmĂ©s, diminuĂ©s, en infĂ©rioritĂ© numĂ©rique et blessĂ©s. Mais Ă  part lorsqu’un soldat irakien  s’en prend  Ă  Andy McNab, après la perte de son fils, celui-ci n’exprime aucune empathie pour les hommes, les femmes et les enfants irakiens qui ont subi cette guerre du Golfe. Donc, pour moi, autant que hĂ©ros, Andy McNab, est aussi un psychopathe comme cela peut ĂŞtre compris grossièrement : seuls comptent son camp, sa vision, sa tribu. Sa mission. Les siens. Ses prioritĂ©s. Par certains aspects, il me fait penser au personnage incarnĂ© par Sean Penn dans le film Mystic River rĂ©alisĂ© en 2003 par Clint Eastwood ( un très bon film Ă  propos duquel j’Ă©crirai peut-ĂŞtre un jour).

Evidemment, c’est parce-qu’il est celui qu’il est qu’Andy McNab a Ă©tĂ© un très bon soldat et un hĂ©ros et, encore mieux, un survivant. Evidemment, en cas de conflit, d’agression, ou dans un environnement hostile et inconnu,  il vaut mieux ĂŞtre avec un Andy McNab qu’avec un bisounours ou un binoclard intellectuel prĂ©tentieux comme moi qui sera tĂ©tanisĂ©, invalide, et demandera très vite oĂą se trouvent le coin toilettes et aussi quand le film se termine.

 

Mais il est donné à une minorité de personnes de compter parmi ses proches un Andy McNab ou de pouvoir, le moment venu, lui ressembler. C’est autant une mauvaise nouvelle qu’une bonne nouvelle. Le Ying et le Yang. Ni tout noir ni tout blanc. Avant d’y être, personne ne peut véritablement savoir de quoi il est véritablement fait et de quoi il est capable. Et combien de temps. Femme, homme. Adolescent(e) ou enfant.

 

Surtout, qu’un des autres points forts de Bravo Two Zero, malgrĂ© mes rĂ©serves, est qu’Andy McNab ne roule pas des mĂ©caniques. Lorsqu’il a peur, il l’écrit sans rĂ©serve. Et cela arrive plus d’une fois lors de la pĂ©riode des tortures. «  Fear was everything Â». Lorsqu’il doute, il l’écrit aussi de bout en bout. Pour cela aussi, son ton trancherait avec le rĂ©cit de Chris Ryan, un de « ses Â» hommes lors de cette mission. Je n’ai pas encore lu le rĂ©cit de Chris Ryan. Je lirai d’autres livres d’Andy McNab. Avoir lu Bravo Two Zero en Anglais, malgrĂ© mes limites linguistiques par moments, a sĂ»rement Ă©tĂ© un plus.

 

Franck Unimon, ce mardi 7 janvier 2020. 

 

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Rentrée des classes

 

                                                    RentrĂ©e des classes

La rentrée des classes s’est bien passée ce matin. Il y avait du givre sur le pare-brise de certaines voitures. Il faisait plus froid que ce à quoi je m’attendais.

 

Nous sommes arrivés avec environ cinq minutes d’avance. D’autres parents, une majorité de mamans, étaient déjà présents.

 

HĂ©bĂ©tĂ© devant l’école, et sĂ»rement aussi par mes pensĂ©es alors que je regardais ma fille s’éloigner dans la cour, je n’ai pas tout de suite entendu lorsque la maman d’une des copines de ma fille m’a saluĂ© et souhaitĂ© «  Bonne annĂ©e ! Â». La petite Ă©tait Ă©galement lĂ , souriante. J’ai remerciĂ© la maman et lui ai aussi adressĂ© les mĂŞmes vĹ“ux. J’avais oubliĂ© ce rituel social auquel je suis pourtant attachĂ©.

 

C’est Ă©galement par surprise que la maitresse de ma fille m’a en quelque sorte adressĂ© ses meilleurs vĹ“ux. Je voulais juste lui dire bonjour et, comme elle avait eu quelques mots pour ma fille venue Ă  sa rencontre, m’assurer que tout allait bien. Et puis, devant moi, avec son sourire et son attention amplifiĂ©es, Ă  en ĂŞtre illuminĂ©e, j’ai compris que mes quelques mots de politesse Ă©taient pour elle une extraordinaire source d’encouragement et de sympathie. C’était le premier jour de la rentrĂ©e des classes, ce lundi 6 janvier 2020, après les vacances de NoĂ«l, et, dĂ©jĂ , par son attitude, la maitresse de ma fille signalait qu’elle Ă©tait prĂ©sente au poste et prĂŞte Ă  repartir Ă  l’assaut de l’enseignement avec le sourire. Quelles que soient les difficultĂ©s ! Quel que soit le mal infligĂ© et refait Ă  l’école publique !

 

Je me suis tu. Je me suis contenté d’acquiescer en souriant. Et de partir. En rentrant, j’ai retrouvé la longue file de voitures qui attendait au feu rouge en bas de chez nous. Et j’ai vu filer sur la gauche vers le feu, en short, casque et sac à dos, sur son vélo, un homme noir qui partait sans doute au travail.

 

 

J’avais prĂ©vu d’écrire la troisième partie ( CrĂ©dibilitĂ© 2 )  de CrĂ©dibilitĂ© : A L’assaut des PyrĂ©nĂ©es   tout en me demandant si cela aurait un intĂ©rĂŞt particulier pour d’autres. Il a suffi de cette rentrĂ©e de classe de tout Ă  l’heure pour que j’opte de parler d’abord du livre New York Vertigo  de Patrick Declerck que j’ai pris le temps de terminer hier soir avant de me coucher.

Ce qui venait de se passer en ramenant ma fille Ă  l’école m’avait peut-ĂŞtre donnĂ© ma rĂ©ponse devant son pessimisme envers l’HumanitĂ© ( «  L’espèce est pourrie Â») qu’il justifiait- Ă  nouveau- simplement et magistralement dans les 120 petites pages de son dernier ouvrage Ă  ce jour.

 

 

 

Avant de lire New York Vertigo  paru en 2018 que j’avais achetĂ© sans doute Ă  sa sortie, j’avais lu quelques commentaires sur le net sur plusieurs de ses livres. Le dithyrambe cĂ´toyait le sarcasme et la menace fantĂ´me.

 

 

Patrick Declerck fait partie des personnalitĂ©s que j’ai très vite pensĂ© interviewer pour mon blog balistiqueduquotidien.com. Mais je me suis aussi rapidement dit qu’avant d’essayer de le faire, qu’il faudrait d’abord que mon blog ait du fond. Et, du fond, pour moi, cela peut-ĂŞtre autant bien Ă©tudier l’œuvre et la vie de la personne que l’on souhaite interviewer que, soi-mĂŞme, poser sur la table une partie de son bagage personnel qui va donner envie Ă  la personne interviewĂ©(e) de nous rencontrer et de se livrer. Beaucoup trop d’interviews voire de rencontres se rĂ©sument Ă  un Ă©change de balles de ping-pong, oĂą, d’un cĂ´tĂ©, une personne rĂ©pond Ă  des  demandes et Ă  des sollicitations formulĂ©es par des centaines ou des milliers d’anonymes, qui, dans les grandes lignes, malgrĂ© toute leur sincĂ©ritĂ© et leurs efforts d’originalitĂ©, restent des stĂ©rĂ©otypes. Cet Ă©change, plutĂ´t qu’une rencontre, se limite donc souvent Ă  une fonction promotionnelle. Si toute campagne de promotion compte pour la rĂ©ussite de nos projets (pour ĂŞtre embauchĂ© quelque part ou pour aborder et sĂ©duire une personne qui nous plait, il faut bien d’abord commencer par rĂ©ussir sa promotion personnelle) les vĂ©ritables rencontres, pour s’établir, et durer, ont besoin de plus que des compliments, des promesses et des sourires.  Mais, bien-sĂ»r, tout est affaire de moment, de tempĂ©rament et de prioritĂ© : certaines personnes prĂ©fèrent privilĂ©gier, en toutes circonstances, leur promotion et leur satisfaction personnelle. D’autres, peut-ĂŞtre par ignorance ou par faiblesse, vont chercher Ă  bâtir des rencontres. Y compris, parfois, dans les pires conditions.

 

 

Patrick Declerck avait pu faire « parler Â» de lui en 2001 avec son livre Les NaufragĂ©s de la terre- avec les clochards de Paris. Psychanalyste et anthropologue, il consacrait alors une grosse partie de son temps Ă  la question des SDF. Il a Ă©crit d’autres livres :

Garanti sans moraline, Socrate dans la nuit, ou Crâne sur son intervention chirurgicale, alors qu’il était éveillé, pour exfiltrer une tumeur.

 

New York Vertigo est le seul livre que j’ai lu de lui. Les NaufragĂ©s de la terre et Garanti sans moraline sont pourtant dans ma bibliothèque depuis des annĂ©es. Plus de dix ans en ce qui concerne son livre Les NaufragĂ©s de la terre. Depuis, sur le sujet des SDF, un mĂ©decin-psychiatre spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions m’a conseillĂ© l’ouvrage De la prĂ©caritĂ© sociale Ă  l’auto-exclusion : une confĂ©rence debat Ă©crit par Jean Furtos. Je l’ai aussi achetĂ© mais je ne l’ai pas encore lu.

 

 

«  C’est trop tard ! Â» avait dit Patrick Declerck. 

 

 

Ce jour-là, Patrick Declerck, grand et massif, avait mis dans le magnétoscope une cassette VHS. Sur le téléviseur, avec lui, nous avions découvert un entretien. Un SDF était interviewé par quelqu’un. Sitôt l’interview lancée, Patrick Declerck s’était installé par terre, devant le téléviseur, nous tournant pratiquement le dos. Déjà crâne rasé, Il portait un long manteau en laine épaisse de couleur sombre. Sortant un calepin, il avait commencé à prendre des notes. C’était la première fois que je voyais ça. C’était sûrement la première fois que nous voyions, tous, quel que soit notre âge un des intervenants venant nous faire cours avoir ce genre de comportement. Ordinairement, tous les autres intervenants nous faisaient cours en nous faisant face. La plupart du temps, assis sur une chaise ou debout.

 

C’était il y a trente ans. Peut-ĂŞtre un peu plus. Et nous Ă©tions une vingtaine d’élèves-infirmiers (âgĂ©s de 18-19 ans Ă  30 ans) avec lui dans la salle de cours de l’hĂ´pital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre et qui Ă©tait une ancienne prison pour femmes Ă  ce que m’avait dit ma mère. La Maison de Nanterre, oĂą ma mère et deux de mes tantes ont travaillĂ© comme femmes de mĂ©nage (ASH) puis comme aides-soignantes, a longtemps Ă©tĂ© sous la tutelle de la PrĂ©fecture de Paris. Je l’ai connue dès mon enfance avec ses SDF stationnĂ©s Ă  l’arrĂŞt du bus 304 mais aussi avec ses SDF devenus « rĂ©sidents Â» permanents Ă  l’hĂ´pital. Avec son pain qui Ă©tait fait sur place et auquel nous avions droit pendant des annĂ©es alors que ma mère y travaillait.

 

 

«  C’est trop tard ! Â».

 

 

 

C’était trop tard selon Patrick Declerck parce-que l’intervieweur avait trop attendu pour poser au SDF la bonne question.

 

Il me reste peu de souvenirs du contenu du cours de Patrick Declerck. Je crois l’avoir recroisĂ© ensuite, ou avant,  lors de mon stage de quelques semaines au CASH dirigĂ© alors par le Dr Patrick Henry et qui proposait des soins, une consultation sociale et un hĂ©bergement aux SDF qui le souhaitaient. Je me rappelle que la majoritĂ© des SDF rencontrĂ©s, transportĂ©s depuis Paris dans des bus de la RATP, prĂ©fĂ©raient retourner Ă  la rue. Et aussi que l’un d’entre eux qui portait des lunettes, d’origine vietnamienne pour moitiĂ©, avait Ă  son poignet une montre Ă  aiguilles de grande valeur. Cet homme « prĂ©sentait Â» plutĂ´t bien. Il n’avait rien du pochtron ambulant. Il n’était pas- encore- marquĂ© physiquement par l’alcool ou par la vie dans la rue. J’avais alors entre 19 et 21 ans et avant ces Ă©tudes d’infirmier, je venais du lycĂ©e, Bac B, option Economie.  

 

 

Maintenant, et, depuis des annĂ©es, pour Patrick Declerck, «  l’espèce (humaine) est pourrie Â». Il ne parle pas des SDF. Je sais qu’il a Ă©crit «  Je les hais autant que je les aime Â». Je sais aussi qu’il dit prĂ©fĂ©rer leur proximitĂ© et celle de bien des marginaux Ă  celle de tant de personnes bien propres sur elles. Son humour noir Ă  la Cioran ou Ă  la Pierre Desproges est une carie morale pour d’autres. Trop de pessimisme et de cynisme dĂ©priment et dĂ©couragent. La princesse LeĂŻa le rappelle dans le dernier Star Wars Ă©pisode IX : l’Ascension de Skylwalker de J.J Abrams, film oĂą mon passage prĂ©fĂ©rĂ© est celui sur l’étoile morte.

Bien des survivalistes affirmeront sûrement aussi que pour s’en sortir, garder le moral fait partie des conditions nécessaires. Par l’humour, par l’art, par toute activité et récréation morale, intellectuelle, spirituelle ou physique qui permet de maintenir tout élan vital et toute forme d’espoir.

Mais avec son aplomb, son expérience de professionnel de terrain underground et sa culture de phacochère, les arguments de Patrick Declerck nous encornent plusieurs fois. Et, à ce jour, je ne connais pas de matador, qui, dans l’arène ou dans la jungle, se soit présenté face à un rhinocéros.

 

 

La Religion ? «  Une illusion pleine d’avenir Â» selon Freud, son maitre Ă  penser. Et dans son New York Vertigo, Patrick Declerck, Ă  travers le 11 septembre 2001, nous reparle, prĂ©cisĂ©ment et techniquement, voire de façon balistique, des attentats islamistes.

De mon cĂ´tĂ©, mĂŞme s’il est parfaitement autonome, je peux l’aider question religion en tant qu «  illusion pleine d’avenir Â».

Ce week-end, alors que j’écrivais CrĂ©dibilitĂ© 2,  ma compagne m’a appris « l’histoire Â» de « Madame Desbassayns Â» ou Marie Anne ThĂ©rèse Ombline Desbassayns nĂ©e Gonneau-Montbrun de l’île de la RĂ©union.

 

Riche hĂ©ritière, cette demoiselle Gonneau-Montbrun, en devenant la femme de « Monsieur Desbassayns Â», est ensuite devenue, une fois veuve, «  une grande propriĂ©taire foncière de l’île de la RĂ©union Â». Grâce aussi Ă  ses esclaves.

 

Selon le site wikipédia, on peut lire que son image est controversée à la Réunion.

Elle aurait Ă©tĂ© une fĂ©roce esclavagiste. Pourtant «  Dès le XIXème siècle, ses invitĂ©s et ses proches politiques la couvrent d’éloges. Le gouverneur Milius la surnomme mĂŞme «  la seconde providence Â». Et, toujours sur le site wikipĂ©dia, on peut lire que «  Madame Desbassayns Â» Ă©tait «  d’une ferveur religieuse intense Â».  Mais aussi qu’elle a connu le privilège supplĂ©mentaire de dĂ©cĂ©der (Ă  91 ans !) deux ans avant l’abolition de l’esclavage Ă  la RĂ©union ainsi qu’aux Antilles. En lisant ça, comme Patrick Declerck, je me suis aussi dit que «  la religion est une illusion pleine d’avenir Â» et que «  l’espèce (humaine) est pourrie Â».

 

Je crois que la religion ou internet sont, j’allais dire, de très bonnes inventions. Et que la science, aussi, permet de très bonnes inventions. Mais qu’ensuite, malheureusement, ça tourne mal car ce qui fait la différence, c’est ce que l’on en fait. Ce qui fait la différence, c’est nos intentions lorsque l’on dispose de tels instruments de pouvoir et de contrôle.

 

 

«  Pouvoir et contrĂ´le Â» sont les deux carburants, les deux aimants, du tueur en sĂ©rie m’avait en quelque sorte rĂ©sumĂ© un jour StĂ©phane Bourgoin, spĂ©cialiste des tueurs en sĂ©rie. Mais, contrairement Ă  des chefs religieux, Ă  des industriels ou Ă  des hommes politiques, les tueurs en sĂ©rie sont gĂ©nĂ©ralement privĂ©s de projets pour le monde et la sociĂ©tĂ©. Pour ce que j’ai compris des tueurs en sĂ©rie, leur prioritĂ© est leur « petite Â» entreprise de destruction qui a dĂ©jĂ  suffisamment de rĂ©percussions douloureuses sur leurs victimes et leurs proches.

 

Les chefs religieux, les industriels et les hommes politiques, eux, prĂ©voient leurs projets sur une grande Ă©chelle : une Ă©chelle de masse. Et ça marche. Ça a marchĂ© et ça marchera encore, nous affirme Patrick Declerck dans son New York Vertigo. Et on est obligĂ© de le croire. Car on « sait Â» qu’il a des arguments. Et les quelques uns dont il nous fait l’obole dans son livre sont intraitables et incurables.

 

Patrick Declerck, homme de connaissances autant que d’expĂ©riences de l’être humain, me fait penser Ă  des personnalitĂ©s comme les avocats Jacques Verges (qui Ă©tait rĂ©unionnais) et Eric Dupont-Moretti. Des personnes qui, Ă  un moment de leur vie, me donnent l’impression d’avoir vĂ©cu l’expĂ©rience «  de trop Â» qui les a dĂ©routĂ©s de manière dĂ©finitive de certaines illusions concernant l’espèce humaine. Peut-ĂŞtre que mes comparaisons sont mauvaises et que cela me sera reprochĂ© par les deux vivants qui restent (Declerck et Dupont-Moretti) par leurs dĂ©tracteurs, par leurs proches ou  leurs admirateurs.

 

« L’espèce humaine est pourrie Â». Et, pourtant, j’aimerais savoir, si un jour je rencontre Patrick Declerck et Eric Dupont-Moretti, ce qui les maintient encore en vie. Et dans le plaisir. J’imagine facilement Patrick Declerck me rĂ©pondre laconiquement qu’il lui manque tout simplement le courage de se suicider. Ou qu’il cultive une sorte de lĂ©thargie et de jouissance morbide, sorte de protubĂ©rance parallèle Ă  sa conscience, Ă  ĂŞtre tĂ©moin de cette Â« dĂ©bauche gĂ©nĂ©rale Â».

 

Et puis, j’ai emmené ma fille à l’école tout à l’heure. Puis, je suis revenu de l’école.

 

 

 

Dans New-York Vertigo, Patrick Declerck se moque aussi, Ă©tude clinique Ă  l’appui, du prĂ©sident amĂ©ricain actuel, Donald Trump et «  l’exhorte Â» Ă  appuyer sur le bouton rouge car il y aura bientĂ´t dix milliards d’êtres humains en 2050. Soit dix milliards de reprĂ©sentants de cette espèce, notre espèce, qui dĂ©truit la planète, tue, viole, massacre.

 

L’humour du désespoir.

 

Si Patrick Declerck avait Ă©crit son livre ce mois-ci, il aurait sĂ»rement parlĂ© de la fuite rĂ©cente, mĂ©prisable et cocasse du Japon de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, alors qu’il Ă©tait libĂ©rĂ© sous caution en attente de son jugement lĂ -bas. Pendant ce temps-lĂ , en France, le gouvernement Macron-Philippe manĹ“uvre pour dĂ©truire la rĂ©sistance sociale. Oui, «  l’espèce est pourrie Â».

 

 

Il y aura donc dix milliards d’êtres humains sur Terre en 2050. Et la Chine sera peut-être alors la Première Puissance mondiale incontestée. Pour l’instant, les Etats-Unis sont encore cette Première Puissance mondiale. S’il y a encore une Terre dans trente ans. S’il y a encore des êtres humains vivants sur Terre dans trente ans. Si je suis aussi obsédé par la Chine depuis quelques temps, c’est parce-que j’ai perdu ce regard fasciné et sentimental que je pouvais avoir avant sur la Chine et sa culture. Si la culture de la Chine existe bien-sûr et est aussi admirable que bien d’autres cultures, je perçois aujourd’hui davantage ce que la Chine recèle comme capitalisme et régime politique et social effrayants.

 

Pourtant, je crois ça : face Ă  ces horreurs dont est capable l’être humain, les enfants sont les champions du moment prĂ©sent. Nous, les adultes, Ă  force d’extrapoler, de penser au passĂ© et Ă  ce qui pourrait arriver de pire, nous en arrivons Ă  dĂ©truire notre propre prĂ©sent. Parce- que nous nous faisons dĂ©former et tabasser en permanence dès notre enfance. Et mĂŞme avant. Parce-que c’est un combat titanesque que de sauvegarder, quotidiennement, une once d’enfance saine en soi et de lui Ă©viter la spĂ©culation financière et commerciale comme la benne Ă  ordures. Et qu’une fois adultes, il arrive que nous perdions ce combat titanesque. Aucun adulte ne peut s’exclamer, comme quelques rares boxeurs, qu’il compte uniquement des victoires dans son parcours personnel.

 

Et je crois aussi que si nous continuons à vivre, à faire des enfants, à nous multiplier sur la Terre, malgré tous les signaux alarmants qui proviennent de nos propres comportements, c’est parce qu’il existe une raison- qui nous dépasse- qui fait de nous des êtres doués pour la vie quelles que soient les conditions.

 

Ce qui est très difficile à accepter pour l’être humain d’aujourd’hui, c’est le tri sélectif.

 

MalgrĂ© ou Ă  cause de toute sa science, de toute son Ă©rudition, de toutes ses solutions, l’être humain voudrait pouvoir dĂ©cider de tout et avoir le choix absolu. Or, il doit continuer d’apprendre que ses possibilitĂ©s de choix et de libertĂ©s restent fugaces, volatiles, imprĂ©cises et limitĂ©es.  Qu’il suffit parfois d’une rue, d’une dĂ©cimale, d’une seconde, d’une virgule, d’un regard, d’un mot, pour qu’un tri s’impose Ă  lui  violemment.

A ses choix,  Ă  sa vie ou Ă  celles et ceux de ses voisins et de ses proches. Et, cela,  selon des critères pour lesquels, rien ni personne ne lui demandera son avis.  Notre vie moderne nous fait oublier constamment cet enseignement : nous sommes des corps soumis Ă  un tri plutĂ´t que des fantĂ´mes et cela a un prix.

 

Ce prix peut être insupportable. Car nous croyons en cette illusion que, forts de nos savoirs, de nos connaissances et de notre puissance, que nous pouvons décider de ce prix ou le négocier. Parce-que, d’une certaine façon, nous nous croyons éternels ou irremplaçables sur Terre. Et, ça, c’est aussi une sacrée illusion humaine pleine d’avenir. Contre ça, crier et pleurer peut peut-être soulager pendant quelques temps. Puis, il faudra vivre, si on le peut, parce-que c’est tout ce qui nous restera.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 6 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

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Une autre fin du monde est possible

 

 

 

 

 

 

 

  • Les revoilĂ  ! 

 

Il y a maintenant deux ou trois ans, la lecture de leur livre Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie Ă  l’usage des gĂ©nĂ©rations prĂ©sentes m’avait assommĂ©. Et puis, sous l’effet du dĂ©ni sans doute, la vie avait continuĂ©.

 

Mais les revoilĂ  avec un nouveau livre :

Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) et, cette fois, Pablo Servigne et Raphaël Stevens sont rejoints par Gauthier Chapelle pour la rédaction de ce livre. Et j’ai remis ça. J’ai également lu cet ouvrage. Cela m’a pris plus d’un mois. Bien que ce livre puisse se lire en moins d’une semaine.

Tout autant fourni en bibliographies et références diverses, Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous à moins de vouloir prendre le risque de passer pour fou, parano, extrémiste, séropositif, négatif, pessimiste ou pour celle ou celui qui a subitement pété plusieurs plombs ou plusieurs câbles en même temps. Le sujet a très mauvaise haleine et transmet des très très mauvaises vibrations. Et cela ne se perçoit peut-être pas dans mes articles mais, dans la vie, j’aime plutôt rire et faire rire.

 

  • obĂ©ir

 

 

C’est vraisemblablement pour ces quelques raisons que depuis la fin de sa lecture il y a plusieurs jours maintenant, je me suis abstenu d’en parler. Et que je me suis lancé dans la lecture de Leçons de danse, leçons de vie de Wayne Byars, un ouvrage plus rassurant et pourtant complémentaire avec le récent ouvrage de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle.

Une autre fin du monde est possible est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous, lorsque vous vivez parmi des gens «normaux », mais qui vous réveille en pleine nuit pour écrire à son sujet. C’est ce qui est en train de m’arriver. Cela m’est bien sûr arrivé pour d’autres articles différents et plus joyeux, mais c’est ce qui m’arrive pour ce livre. Il est 4h35 et tout à l’heure, ce livre m’a en quelque sorte dit ( oui, certains livres et certains mots me parlent) :

« Franck, le moment est arrivĂ© pour toi de parler de moi. C’est mon tour ! J’ai suffisamment attendu ». Et j’ai dĂ©cidĂ© d’obĂ©ir. 

 

  • Le SymptĂ´me Take Shelter

 

 

Le réalisateur Jeff Nichols, au festival de Cannes en 2011.

 

 

 

J’aimerais encore que ma façon de réagir à la lecture de ce livre soit dû au symptôme Take Shelter, titre du film du réalisateur Jeff Nichols où l’acteur Michael Shannon, père de famille et fils d’une schizophrène, commence à avoir des visions d’une catastrophe à venir. Et, malgré la désapprobation générale de la communauté et l’incompréhension de sa femme (l’actrice Jessica Chastain), celui-ci décide, en s’endettant, de construire un abri pour sa fille et sa femme.

Dans Take Shelter, il s’agit d’une catastrophe naturelle qui touche leur région ( au Texas, je crois) et non d’un effondrement mondial. Mais à Cannes, alors que mon collègue journaliste, Johan, et moi l’interviewions- je faisais l’interprète- pour le magazine cinéma Brazil, Jeff Nichols nous avait expliqué qu’en devenant père lui-même, il avait commencé à percevoir le monde comme pouvant être particulièrement menaçant.

Lorsque j’avais lu le précédent ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens Comment tout peut s’effondrer, j’étais moi-même devenu père. Et les trois auteurs de Une autre fin du monde est possible précisent aussi être malgré tout devenus pères. L’âge des enfants n’est pas précisé mais je suppose que nous parlons à chaque fois d’enfants de moins de dix ans, soit un âge où, dans l’espèce humaine, les enfants sont particulièrement vulnérables. Et leurs parents aussi sans doute. Cette précision « psychologique » permettra peut-être de mieux faire comprendre mon état d’esprit alors que j’écris sur cet ouvrage.

 

  • Nous sommes peut-ĂŞtre des oies

 

Pour le reste, selon Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, ainsi que pour d’autres (scientifiques, auteurs et militants….), l’espèce humaine, en 2019, devant l’effondrement serait à peu près équivalente à celle de ces oies qui, la veille du repas de Noël, estimeraient que tout va pour le mieux car elles sont particulièrement choyées. Ou à ces proies et ces victimes qui, alors qu’elles se rendent à un événement heureux ou anodin, vivent peu après une très mauvaise expérience qui se révèlera définitive ou traumatisante.

 

  • Plusieurs types de rĂ©actions d’oies

 

Devant de telles suggestions d’avenir que nos trois auteurs ( et d’autres) justifient largement, on a le choix entre plusieurs types de réactions :

Déni, colère, dépression, renoncement, acceptation….. et Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chappelle le savent pour l’avoir vécu eux-mêmes. Dans Comment tout peut s’effondrer, ils expliquaient par exemple que leurs relations avaient pu se tendre avec plusieurs de leurs proches.

Dans Une autre fin du monde est possible, ils évoquent un moment cette conséquence relationnelle et affective, page 264 :

« Qui n’a pas déjà éprouvé des difficultés à trouver oreille attentive lorsqu’il s’agit de parler d’un possible effondrement ? Lorsqu’on découvre tout cela, surtout si c’est dans la solitude, le premier réflexe est de vouloir le partager rapidement avec des proches pour se sentir moins seul, ou parce qu’on les aime et qu’on estime que cette information est capitale pour leur sécurité. Mais attention, lorsque les autres ne sont pas prêts à entendre (et c’est souvent le cas) les réactions sont souvent désagréables tout comme le sentiment de solitude et d’incompréhension qui peut en découler. La première chose à faire est peut-être de prendre le temps d’intégrer tout cela pour soi. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des proches sensibles à cette thématique peuvent échanger facilement à travers les réseaux sociaux. Lire un article, un commentaire, un livre ou un documentaire sur un sujet que l’on croyait tabou, et en parler librement, redonne du baume au cœur ».

 

  • Une oie tâte du doigt deux groupes d’entraide

 

J’ai lu et voulu que ce livre soit moins « bon » que le précédent. A un moment, en allant voir deux des sites de groupes d’entraide qu’ils citent, je me suis dit qu’il y avait un côté sectaire tout de même dans leur façon de réagir. Mais cela fait aussi partie du déni de vouloir voir le mal et des sectes dès qu’il s’agit de changer de comportement et de vision sur notre vie et sur le monde.

 

  • En coloc au colloque

 

Récemment, un spécialiste des addictions qui intervenait lors d’un colloque organisé sur le thème de « Spiritualité et addictions » m’a donné cette réponse simple afin de faire la différence entre un groupe ou un lieu bienveillant et une secte ou un groupe jihadiste (ou extrémiste) qui proposeraient leur « aide » :

 

Liberté, Gratuité et Charité.

 

  • Dans l’arrondissement de la brèche

 

Il peut en effet ĂŞtre difficile Ă  la fois de continuer de vivre sa vie en s’abstenant de raser les murs tout en se disant- en mĂŞme temps- que ce monde que nous voyons et que nous avons toujours connu- et construit mentalement- malgrĂ© ses apparences de perpĂ©tuitĂ© toute puissante, a en son foyer une brèche d’éphĂ©mère et d’illusoire et que celle-ci grandit de jour en jour que l’on s’en aperçoive ou non. Pour moi, le suicide de Christine Renon, la directrice d’Ă©cole maternelle publique de Pantin dans le 93 rĂ©cemment, la dĂ©gradation des conditions de travail dans l’Ă©cole publique,  la dĂ©gradation continue des conditions de travail dans l’hĂ´pital public depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es, la dĂ©gradation des conditions de travail dans la police font partie de l’effondrement. 

Servigne et Stevens l’avaient déjà bien expliqué dans Comment tout peut s’effondrer :

L’effondrement a déjà commencé. Que l’on parle du réchauffement climatique ou de la détérioration de notre monde dans les domaines sociologiques, culturels, politiques, économiques et militaires. Avant la grande catastrophe que tout le monde pourra « voir » à l’œil nu ou subir éventuellement, l’effondrement est avant tout une succession de disparitions, de dégradations et de tragédies dont on s’est accommodé ou dont on s’accommode jour après jour.

 

  • Les vers puissants

 

Les hommes politiques ( et j’écris « hommes » parce qu’à ce jour, hormis quelques exceptions, les principaux dirigeants politiques de notre monde sont et ont été des hommes) et les « Puissants » resteront sur la lancée de leur vision archaïque du monde comme ils le font depuis des siècles. Au mieux, ils réagiront dans l’urgence.

Servigne, Stevens et Chapelle nous expliquent ( après d’autres sans doute) que «Les trente glorieuses » qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale et qui nous ont toujours été décrites comme une période de grande croissance économique seront peut-être surnommées plus tard « Les trente affreuses » d’un point de vue écologique. Or, nous sommes toujours calés sur ce modèle de développement économique et industriel qui consiste à asservir et exploiter la terre, les êtres (humains et non humains), leur vitalité et leur richesse comme si celles-ci étaient illimitées et négligeables et qu’elles pourraient être remplacées par des innovations technologiques ou éventuellement être retrouvées en abondance sur une autre planète.

 

  • Compost de pommes et solutions

 

Dans Une autre fin du monde, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) Servigne, Stevens et Chapelle s’attachent à proposer des solutions.

 

Parmi elles, l’entraide, la solidaritĂ©, ĂŞtre dans l’art et dans la culture, le retour Ă  une certaine spiritualitĂ© mais aussi rĂ©apprendre Ă  vivre avec la nature et selon la nature.

Les trois auteurs nous rappellent comme nous sommes devenus des citadins forcenés de plus en plus connectés et, pourtant, nous sommes de plus en plus coupés de nous-mêmes et des autres humains et non-humains.

On peut les trouver paradoxaux- peut-être afin de nous rassurer- comme ils peuvent à la fois envisager le pire et dire qu’il y aura beaucoup de morts et de souffrance, évoquer la possible émergence de bandes armées, et, en même temps, donner l’impression , à les lire, qu’en cas de catastrophe, il nous « suffira » de rester des personnes civilisées et de faire un travail sur nous-mêmes pour nous en sortir. Alors que ce sera vraisemblablement, un « peu » la panique et la barbarie à certains endroits :

 

  • Nomade’s land 

« L’avenir risque d’être en grande partie nomade » écrivent-ils par exemple (page 264, encore apparemment).

 

  • Superbe parano orientĂ©e sud-ouest avec vue dĂ©gagĂ©e sur la mer, proche de toutes commoditĂ©s

 

RĂ©sumĂ© comme je viens de le faire, ce livre continuera peut-ĂŞtre de passer pour l’ouvrage rĂ©sultant d’un « complot » de survivalistes bobos permettant, il est vrai, l’essor lucratif d’une Ă©conomie de la survie au mĂŞme titre que le Bio, dĂ©sormais, est devenu une très bonne niche Ă©conomique- et un très bon investissement comme la fonte de la banquise- pour certains entrepreneurs, certains politiques, certains financiers et certains meneurs religieux ou sectaires. 

 

  • Les premières impressions…

 

On peut aussi rester sur l’impression première qui consiste à voir dans ces «histoires » d’effondrement l’expression d’une certaine parano affirmée qui ferait son coming out. La parano, on le sait, étant cette logique, qui, à partir de certains faits réels, se confectionne et affectionne une seule vérité, la sienne, et repousse voire assujettit ou détruit sans pitié les autres vérités.

Franck Unimon, ce vendredi 18 octobre 2019.

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La Peur a changé de camp 2ème partie

 

 

 

La peur a changé de camp, un livre de Frédéric Ploquin paru en 2018.

 

« Ceux qui disent qu’ils n’ont pas peur sont des menteurs » a affirmé l’ancien boxeur français, Fabrice Bénichou, ancien champion du monde. Ces propos sont dans le documentaire Noble Art réalisé en 2004 par Pascal Deux.

La vie de Fabrice Bénichou a aussi été faite de faillites personnelles et économiques tranchées par des dépressions, des tentatives de suicides, des hospitalisations, des addictions et par une interpellation par les forces de police.

Le film coréen Le Gangster, le flic et l’assassin du réalisateur Kim Jee-Woon, en salles depuis ce 14 aout, nous montre trois mâles dominants, un Mafieux, un flic intrépide et un tueur en série dont la sécrétion toute personnelle de testostérone et d’adrénaline transforme diabète, coma, blessures à l’arme blanche, fractures, hémorragies, fatigue, stress, empathie et peur en eau minérale facile à avaler et à éliminer ensuite par les voies naturelles.

Dans Le Canard Enchaîné de ce mercredi 21 aout 2019, en première page, on peut lire l’article Des chirurgiens dissèquent le LBD, qui relate la gravité des blessures causées par l’usage des balles de défense (LBD) par les policiers :

« Fractures graves » ; « Les mêmes blessures que l’on retrouve chez des individus qui se font frapper à coups de batte de base-ball » ; « L’impact est si fort qu’il est comparable au coup de poing d’un boxeur professionnel ».

Des manifestants participant au mouvement des gilets jaunes ont été blessés par ces balles de défense.

L’auteur de l’article, S. Chalandon, grand reporter, écrivain, a entre-autres réalisé des reportages dans des zones de « conflit » en Irlande du Nord ainsi qu’au Liban. Il est cité dans le livre Sans Blessures apparentes ( Sans Blessures Apparentes ) ainsi que dans le documentaire du même nom du grand reporter Jean-Paul Mari où celui-ci parle du stress post-traumatique longtemps caché parmi les grands reporters. Parce-que parler de sa douleur morale et de ses cauchemars en revenant d’un reportage où l’on avait été le témoin de scènes de guerre, ça faisait « chochotte » :

On passait pour une faible ou un faible.

Dans son livre hautement détaillé La peur a changé de camp, Frédéric Ploquin, également grand reporter, parle de la peur qui, désormais, et de plus en plus, menotte les femmes et les hommes policiers à leur fonction. En particulier dans les zones fortement urbanisées.

En lisant La peur a changé de camp, j’ai très vite perçu le très grand professionnalisme de Frédéric Ploquin. Professionnalisme que j’avais déja un peu découvert à la faveur d’articles lus à propos de certains de ses documentaires sur le grand banditisme. Le but de mon article est d’essayer- en assez peu de pages- de me montrer à peu près aussi nuancé et complet qu’a pu l’être son ouvrage. Tout en le rendant un peu personnel. Ce qui m’a amené à parler de l’ancien champion de boxe Fabrice Bénichou, du film coréen Le Gangster, le flic et l’assassin, de l’article de Le Canard Enchaîné sur lequel je suis tombé et, où, cette fois-ci, S. Chalandon parle du sujet préoccupant de l’usage des balles de défense.

L’article de S.Ch, cette fois-ci, confirme ce que nous savons et ce que Frédéric Ploquin aborde également dans son livre :

La police a mauvaise presse. Et les médias dénoncent régulièrement des exemples de bavures policières ou des manquements de la police aux droits élémentaires des citoyens : le respect, l’attention à autrui….

S. Chalandon est aussi un très grand professionnel. J’aime la plupart de ses articles dans Le Canard Enchainé. Mon but n’est donc ni de nier la gravité du contenu de son article et encore moins d’organiser dans ma tête ou ailleurs un combat de boxe foireux entre son article de quelques lignes et les plus de trois cents pages représentatives de plusieurs mois d’enquête de l’ouvrage de Frédéric Ploquin.

L’article de S. Chalandon résume où nous en sommes de plus en plus en France, en tant que citoyens , avec la police, chaque fois que nous manifestons ou exprimons notre mécontentement envers un gouvernement ou  une hiérarchie dans la rue et en nombre.

Le livre de Ploquin plonge , lui,  directement dans la société française et dans son évolution ainsi que dans celle du monde politique depuis environ ces trente dernières années.

Si l’on détourne la phrase de l’ancien boxeur Fabrice Bénichou, on peut affirmer que la peur n’a pas de camp. Tout le monde a peur à un moment ou à un autre dans sa vie personnelle ou professionnelle. Et les personnes qui vont affirmer le contraire mentent ou se mentent à elles-mêmes. Même si cela dure quelques secondes. Dire que l’on n’a jamais peur, c’est comme dire que l’on est immortel. Tout le monde va mourir un jour. Ce qui nous différencie les uns des autres, c’est ce moment où la peur va nous saisir. Et notre façon de réagir à son influence voire à son « charisme ». Nous pouvons être paralysés et subir. Ou, au contraire, être « catapultés » par notre adrénaline, nos réflexes, notre instinct de survie ou notre sens du devoir. Osciller entre le statut de victime, de survivant, de héros…ou d’agresseur.

La police est enfermée dans l’image et le tiroir de l’agresseur. Ploquin fait remonter des faits qui accréditent cette vision de la police.

Et ça commence déja entre policiers. Si aujourd’hui, environ un quart des effectifs policiers est de sexe féminin, la misogynie et la suspicion, au sein de la police, quant aux compétences réelles, sur le terrain, des femmes policiers sont encore actives. Mais dans un métier où la force physique et frontale revient comme un élément indispensable, cela peut aussi , dans certaines situations, se comprendre.

D’autres fois, la femme flic peut être perçue par ses collègues masculins comme un expédient sexuel. Il lui faut donc aussi savoir se faire respecter de ses collègues « Ne perds pas ton temps ! » comme en témoigne une des femmes flics.

Etre Arabe et musulman peut être un atout quand on est flic et que l’on veut se faire passer pour un consommateur et infiltrer un trafic de drogue car les clichés persistent aussi du côté des délinquants :

Car Etre Arabe et flic, « ça ne matche pas » ( ça ne colle pas). Encore faut-il que les collègues flics (blancs) avec lesquels on travaille pour la même maison ( la police) et pour les mêmes raisons ( la Loi, la Justice)  sachent s’y retrouver entre les délinquants noirs et arabes, une minorité. Et tous les autres noirs et arabes, citoyens honnêtes et paisibles, la majorité.

« Encore des Arabes ! » a conclu un des policiers blancs en s’adressant à une de ses collègues policières, d’origine arabe, après les attentats de Mohammed Merah. Comme si celui-ci était son frère ou son cousin.

« Qu’est-ce qu’il y’a comme Bougnoules ! » dit un autre policier dans la voiture de fonction alors que lui et ses collègues flics circulent, Ă  l’affĂ»t. Sauf que l’équipe dans le vĂ©hicule est constituĂ©e de deux flics blancs, d’un flic antillais et d’un flic arabe. Lequel flic antillais, quelques minutes plus tĂ´t, a aussi eu droit Ă  une nouvelle ration de pop-corn raciste le concernant en observant la faune alentour. Ces rĂ©actions racistes de certains flics, devenues instinctives, sont tellement caricaturales qu’en les lisant j’ai eu envie de rire. Comme j’avais pu d’abord rire devant le film Dupont Lajoie (1974) d’Yves Boisset en dĂ©couvrant ce que pouvait ĂŞtre une parole raciste dĂ©complexĂ©e (« Ce sont des Arabes, ils nous envahissent ! »). Le meurtre qui arrive rend ensuite le film beaucoup moins drĂ´le. Et, si j’Ă©tais flic,  j’aurais sĂ»rement peu rigolĂ© si, jour après jour, patrouille après patrouille, j’avais entendu tel collègue policier         ( peu importe sa couleur de peau, son sexe, ses croyances religieuses ou ses origines sociales et culturelles ou son grade ) vider sa bile en matière d’anthropologie raciste sur les Noirs, les Antillais et les Africains et m’infliger quasi-quotidiennement ce qu’il faut bien voir comme du harcèlement.

Ce même « harcèlement » sans doute mais sous une autre forme dont, sur la voie publique, ensuite, certaines personnes -délinquantes ou innocentes- s’estiment victimes.

Et je n’ai pas du tout rigolé en voyant le film Un Français (2014) réalisé par Diastème.

Quarante ans séparent ces deux très bons films. Et chacun parle du racisme en France d’une façon différente. Dans le film de Boisset, on est plutôt dans le racisme beauf de l’après guerre d’Indochine et d’Algérie. Dans le souvenir transi et palpitant de la « Grandeur » (splendeur ?) coloniale de la France. Dans le film de Diasteme, le racisme, sûrement pour partie l’héritier du précédent, s’est structuré sous la forme d’une milice qui peut être autonome et vaporiser la peur et le ressentiment dans les quartiers immigrés apparus depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Dans le film de Diasteme, le racisme se politise, devient agile, et peut agir en toute lĂ©galitĂ© donc en toute impunitĂ©. Ploquin ne va pas jusqu’à aborder ces sujets de cette manière tant son enquĂŞte est vaste et a nĂ©cessitĂ©- dĂ©jĂ - beaucoup de rencontres et de travail sur le terrain. Aussi, ce matin, en relisant mon article, c’est moi qui complète avec cette petite touche cinĂ©matographique. Un film comme Les MisĂ©rables de Ladjy Ly , primĂ© Ă  Cannes cette annĂ©e et bientĂ´t en salles, apportera sans aucun doute, après et avant d’autres films,  un autre regard complĂ©mentaire et documentĂ©  sur un certain type de rapports entre la police et certains quartiers de banlieue. Et Ă  travers eux, sur certains aspects de la sociĂ©tĂ© française d’aujourd’hui. Ou l’inverse.

 

Concernant l’électorat d’extrĂŞme droite dans la police, dans La Peur a changĂ© de camp, il y’a plusieurs versions. Des flics sont pro-extrĂŞme droite. Ce qu’ils voient et vivent de manière rĂ©pĂ©tĂ©e dans certains quartiers oĂą les rapports de force sont devenus la norme les acculturent Ă  leurs idĂ©es racistes de dĂ©part ou d’arrivĂ©e. Et pour eux, le « vivre ensemble » est une supercherie compte-tenu de leurs expĂ©riences dans les quartiers sensibles oĂą ils interviennent. D’autant qu’en dehors des heures de travail, on reste plutĂ´t entre flics. Ou en famille plutĂ´t tranquillement chez soi. A essayer de se remettre de la violence du mĂ©tier. Car malgrĂ© la carapace que l’on se crĂ©e, peu Ă  peu, certaines expĂ©riences traumatiques et impossibles Ă  raconter Ă  son supĂ©rieur, au « quidam » voire Ă  sa famille ou Ă  son conjoint ou Ă  sa conjointe, s’incrustent dans les pensĂ©es et les rĂŞves ( des cauchemars).  Voir ou revoir Mel Gibson ou Sylvester Stallone en traumatisĂ©s de guerre dans les films L’Arme Fatale ou Rambo ou des films ou des sĂ©ries policières rĂ©centes telles True DĂ©tective, ça peut encore ĂŞtre très tĂ©lĂ©gĂ©nique et donner du plaisir au spectateur. A vivre,  d’un point de vue fantasmatique et physique, c’est une toute autre expĂ©rience. Et elle peut ĂŞtre très dĂ©sagrĂ©able jusqu’Ă  l’insupportable.

Selon La Peur a changé de camp, d’autres policiers ont voté pour l’Extrême-Droite par dépit et colère.

Ps :  j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apprendre que de plus en plus d’infirmières et d’infirmiers votaient pour l’ExtrĂŞme droite. Si j’accepte l’idĂ©e que l’on peut, malheureusement, ĂŞtre infirmière ou infirmier et ĂŞtre raciste ( l’Allemagne nazie nous a bien tristement « enseigné » que l’on pouvait ĂŞtre mĂ©decin et nazi ), je crois aussi Ă  la possibilitĂ© d’un vote de colère, de dĂ©ception et de mĂ©contentement qui peut s’exprimer en votant pour l’ExtrĂŞme Droite.

Et, l’Extrême droite serait le seul parti politique qui soutient officiellement la police et saurait véritablement en quoi consiste, aujourd’hui, le travail d’un flic en France. Les discours de Marine Le Pen concernant la police seraient écrits par un flic au vu de la bonne connaissance du sujet et des problèmes bien des fois rencontrés sur le terrain par les femmes et les hommes policiers.

Il est néanmoins un certain nombre de flics antifascistes. Mais qui obéissent aux ordres. Pourtant dans la police, il y’a pire qu’être Arabe, Noir, femme et musulman :

Etre flic et homo. Ça a du mal à passer. Donc, si la police, dans la diversité de ses rangs, se fait aussi le reflet de la société française, l’intégration et les promotions s’obtiennent beaucoup plus difficilement pour certaines et certains. Et il faut aussi se taire sur son homosexualité et savoir la cacher quand on est flic.

 

 

Parmi les autres causes de dĂ©sagrĂ©ments internes Ă  la profession policière, Il y’a aussi… les vols entre collègues dans le vestiaire des flics. Argent, VTT, parfum….

Il est aussi quelques flics ripoux : on informe ses copains cambrioleurs que certaines maisons seront vides de leurs propriétaires durant les vacances. On vole les codes d’accès à certains fichiers sensibles concernant un trafic de drogue.

Il y’a des flics rugueux. Et à une époque, il pouvait être courant de donner une baffe « thérapeutique » à quelqu’un qui se rebiffait et parlait mal alors qu’on l’interpelait. Ou parce qu’il s’était abstenu de signaler qu’il portait sur lui une lame ou des stupéfiants lors d’un contrôle.

Il y’a des bavures policières.

 

Au total, « Sur les vingt trois mille policiers que comptent Paris et la petite couronne, une centaine passe ainsi chaque année au conseil de discipline, dont un tiers pour des faits de corruption ou de consommation de stupéfiants (pour détecter la « mauvaise graine », l’administration a développé ces dernières années des tests inopinés dans les écoles) les autres pour conduite en état d’ivresse ou violences conjugales. Les vrais bandits restent heureusement assez rares dans la police mais ces cas isolés font d’autant plus mal que les médias , fans de ripoux, ces personnages souvent rocambolesques qui fascinent tant ils osent tout, leur font une publicité inversement proportionnelle à celle qui entoure les petits vols au quotidien ».

 

Il est aussi des fois où des policiers interviennent suite à un appel et tombent dans un guet-apens préparé. Il est d’autres fois où ils se retrouvent en infériorité numérique en terrain hostile alors qu’ils font leur travail : Poursuivre jusqu’à chez lui un délinquant qui a arraché une tablette numérique à son propriétaire après l’avoir tabassé. Et se retrouver, à trois ou quatre flics dans l’appartement de l’auteur de l’agression. Alors que de l’autre côté de la porte, un « gros noir » se présente et dit :

« Ouvre-moi la porte, j’habite ici ! » Derrière cet habitant qui veut « simplement » s’en retourner dans son logis, dans l’immeuble, « trente lutins, torse nu » attendent.

 

Au sein de la police, s’il y’a un problème, il vaut mieux fermer sa gueule afin d’être bien vu. Et, si possible, régler ça proprement et discrètement. Ou digérer le tout. Le fait de devoir justifier pratiquement chaque action. Le temps allongé pour s’acquitter de la paperasse. Les contrariétés variées, personnelles et professionnelles, ainsi que les contradictions :

Si la gendarmerie, la rivale, a un type de commandement unifié, la police, elle, compte plusieurs directions et plusieurs services et presque autant de motifs de défiance et de concurrence.

Pourtant, il faut bien qu’à un moment ou à un autre, les flics parlent et se parlent entre eux. Ils ont très peu la possibilité de s’épancher devant des psychologues ou des oreilles discrètes, disponibles et bienveillantes :

« Notre quotidien, ce n’est pas de s’amuser à frapper les gens, c’est de ramasser la cervelle d’un jeune percuté par une voiture et d’embarquer du pochtron » rappelle utilement une gardienne de la paix. Qui peut mieux comprendre ce que tu vis qu’un autre flic ? ».

« Alors que les militaires disposent de 15 800 personnels de santé pour 140 000 personnes, les 150 000 policiers n’ont à leur disposition que 284 médecins et infirmiers ».

Les commissaires à « l’ancienne » qui allaient boire un coup avec leur équipe et prenaient le temps de s’enquérir de la vie personnelle de leurs troupes sont de plus en plus rares. L’obsession du chiffre et de la promotion qui y est associée les a soit poussés vers la retraite, envoyés sur une autre planète où l’administration/l’administratif et le monde politique sont oppressants.

Si les flics sont souvent des femmes et des hommes qui s’engagent par idéal de Justice, ils sont régulièrement déçus par le manque de considération de leur hiérarchie. Les flics qui sont intervenus lors des attentats terroristes « du » Bataclan ont reçu une médaille « deux ans et deux mois plus tard ». Des promotions sont accordées à la tête du client. La direction s’adresse aux flics principalement pour les recadrer et les engueuler. Très rarement pour les féliciter. La Justice rendue par les juges est perçue comme laxiste et méprisante à leur encontre. Une certaine solidarité et un sens du devoir demeurent entre flics mais l’esprit du collectif serait moins fort qu’ « avant ».

 

Les hommes politiques se servent de la police comme d’une bonne à tout faire. Comme tout faire pour donner une bonne image de leurs décisions ministérielles et gouvernementales. Nicolas Sarkozy, Maitre Karcher, les a par exemple karchérisés et les a entubés :

Il a pris leur vote électoral pour devenir Président de la République. Il a réduit leurs effectifs. Désormais, il faudrait faire aussi bien voire mieux mais avec moins de personnel. Sarkozy a accentué le règne du chiffre et du rendement- qui lui préexistait- au sein de la police en réservant une prime aux « meilleurs» flics :

Celles et ceux qui ramèneront le plus de « baballes » de chiffres.

Un des Maitres à penser de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, lui, s’est servi dans les caisses de la police.

François Hollande, une fois Ă©lu PrĂ©sident de la RĂ©publique,  les a dĂ©savouĂ©s en prenant par exemple mĂ©diatiquement position pour le jeune « ThĂ©o » sans prendre le temps de tout comprendre et de tout savoir du dĂ©roulement de l’interpellation.  Il aurait suffi de regarder et d’interprĂ©ter certaines images vidĂ©os de l’intervention au prĂ©alable.

Après les attentats terroristes, il a fallu combler un manque de personnel de toute urgence. Le prĂ©sident de la RĂ©publique, prĂ©cĂ©dent, Nicolas Sarkozy, ayant dĂ©cidĂ© de diminuer les effectifs policiers. La formation d’un policier, ordinairement d’un an, est alors passĂ©e ( exceptionnellement ?) Ă  six mois. Si au cours de sa formation, un flic s’entraĂ®ne au tir en moyenne une fois par semaine, dès lors qu’il est diplĂ´mĂ© et en activitĂ©, ce chiffre tombe Ă  environ trois entraĂ®nements de tir par an en raison de son emploi du temps chargĂ©. Il est difficile dans ces conditions- selon un moniteur de tir de la police- d’être serein et maitre de soi lorsque l’on est flic, que l’on porte une arme et que l’on doit s’en servir alors que l’on est devenu la cible de jeunes dĂ©linquants (cocktail molotov, aquarium avec poisson, rĂ©frigĂ©rateur, pavĂ©s….) et des terroristes capables de venir vous agresser jusqu’à votre domicile.

Ce qui, « avant » ne se produisait pas.

 

« Avant », c’était aussi lorsque les anciens prenaient le temps de former les nouveaux flics, qui, au sortir de l’école, ne savent pas grand chose du métier. En pratique. Comme dans bien d’autres métiers. Cette passation entre anciens et nouveaux flics se fait de moins en moins.

Même le casting d’origine des flics a changé : « Avant », une bonne majorité des flics de la région parisienne était d’origine ouvrière. Aujourd’hui, il y’a de plus en plus de jeunes provinciaux d’un milieu social assez confortable dont certains sont accompagnés à leur entrée à l’école de police par leurs parents.

Les jeunes flics de « maintenant » supporteraient moins bien les contraintes du mĂ©tier (horaires, conditions de travail) que leurs prĂ©dĂ©cesseurs. Ils sont aussi plus Ă  l’aise avec les rĂ©seaux sociaux et ont sĂ»rement contribuĂ© Ă  cette manifestation de flics- qui ont dĂ» dissimuler leur visage pour Ă©viter d’ĂŞtre reconnus par leur hiĂ©rarchie ainsi que par de potentiels agresseurs- autour de l’Arc de Triomphe Ă  l’automne 2016 pour exprimer le mĂ©contentement de la profession malgrĂ© leur devoir de rĂ©serve.

 

En face, aussi, ça a changé : les délinquants vont délibérément au contact des flics. Ils sont plus durs et plus agressifs que leurs anciens.

Les hommes politiques, eux aussi, ont changé. Le dernier Ministre de l’Intérieur qui a eu une bonne cote auprès de la police s’appelle Pierre Joxe et il était socialiste. Apparemment, Charles Pasqua ensuite avait été assez bien vécu. Et, récemment, Bernard Cazeneuve était , contrairement aux apparences, plutôt bon avec la police. Autrement, les hommes politiques s’y connaissent principalement en médias et en plan de carrière. Ils sont aussi en poste pour une durée courte. Par contre, ils ne connaissent rien au travail sur le terrain. Ils n’y connaissent rien au travail qui se fait dans la police au même titre qu’ils n’y connaissent rien en ce qui concerne le bon fonctionnement d’une centrale nucléaire. Par contre, ils savent parler, se faire filmer avec le beau costume, la belle lumière. Et, ils savent écouter les directeurs généraux et les conseillers qui leur assurent que tout va bien sur le terrain. Pour le prouver, ils ont des chiffres. On leur fournit des chiffres. Sachant que, désormais, on privilégie le nombre d’intervention pour faire du chiffre.

Plus on fait d’interventions, plus on fait du chiffre et plus on « démontre » que l’on est efficace. Et plus on augmente ses chances d’être bien vu de sa hiérarchie, donc d’être promu. Mais aussi de toucher une prime :

195 euros par trimestre lorsque l’on est « en bas de l’échelle ». « Entre 15 000 et 20 000 euros par an pour un patron d’arrondissement parisien ».

Dans le livre de Ploquin, j’ai aussi lu que certains commissaires avaient demandé – et obtenu- d’être payés davantage en étant moins nombreux. ça me fait penser à ces collègues infirmières et infirmiers qui acceptent d’être mieux payés en clinique en étant moins nombreux et en faisant des journées de travail plus longues. Et aussi plus nombreuses. Dans une clinique, on pourrait travailler un certain nombre de jours d’affilée sans prendre de jour de congé. Dans un hôpital public, la législation du travail nous impose, pour notre santé, de prendre un jour de congé à partir d’un certain nombre de jours et de nuits travaillées. A ce jour, et pour l’instant, j’estime que le travail qui se pratique dans une clinique psychiatrique (où l’on est très bon pour faire du chiffre et de l’abattage) est par exemple de moins bonne qualité relationnelle avec le patient qu’à l’hôpital public. Lequel hôpital public est de plus en plus sommé de s’aligner sur le modèle de l’entreprise et de la clinique privée.

Dans la police, on fait plus de chiffre en interpellant des personnes en situation irrégulière pour leurs papiers ou en interceptant un fumeur de joint qu’en dirigeant une enquête qui prend deux à trois mois avant d’obtenir un éventuel résultat. J’imagine que le flic qui m’a intercepté après mon passage de la porte de validation qui m’avait tant contrarié (voir mon article C’est Comportemental !) était soit puni par sa hiérarchie ou faisait du chiffre.

 

Le chiffre devance la compétence. C’est vrai pour les résultats à la fin des formations dans la police : si l’on a une très bonne note, on peut choisir l’affection que l’on souhaite. Et fuir les commissariats qui craignent sur des secteurs où les délinquants multirécidivistes se sentent chez eux car peu sanctionnés par la Justice quels que soient leurs états de fait : vols, menaces, agressions physiques sur agent, injures, dégradations….

 

Pour les politiciens, tout va bien puisque c’est « qu’on » leur dit et c’est aussi ce qu’ils brûlent d’entendre. Pour les politiciens, les syndicats policiers exagèrent les faits. Et les flics sont des trouillards. Ou des canidés qu’il faut bien tenir en laisse afin d’éviter de nouvelles émeutes dans les quartiers, ce qui serait mauvais pour l’image de la police et désastreux pour n’importe quel candidat à l’approche des élections.

 

A mesure de cet article, d’agresseur, le flic est devenu victime. Entre les deux, il est aussi héros mais cela est peu exposé dans les médias. Par choix de certains médias. Par intermittence aussi : Ploquin rappelle qu’après les attentats terroristes, pendant un temps, les flics et les CRS étaient vus comme des héros par les Français. Puis, cette « histoire d’amour » pour les forces de l’ordre s’est à nouveau ternie.

Il est une autre raison pour laquelle les faits héroïques policiers disparaissent de la circulation : la jalousie entre collègues. La jalousie entre services d’intervention. Tel collègue qui brille dans les médias est susceptible de susciter la jalousie d’un ou plusieurs collègues gradés. Ou d’une autre institution qui a mal digéré une affaire passée et qui peut profiter d’une «opportunité » pour salir la réputation d’un professionnel jusque là approuvé officiellement.

 

En conclusion, les agents de police souffrent souvent de manque de respect et d’attention de la part de leur hiérarchie (du commissaire au Ministre), de leurs collègues et des citoyens. De leur côté, bien des citoyens, gratuitement ou à raison, leur reprochent les mêmes exactions.

« Aux yeux de l’administration, le flic doit être bon à tout faire ou alors il n’est bon à rien ».

Je crois que beaucoup de citoyens, s’ils remplacent le mot « flic » par la fonction professionnelle qu’ils occupent peuvent aussi se retrouver dans cette phrase. Sauf que le flic, lui, est entre deux. Autant je plains évidemment les victimes de bavures policières, autant j’ai aussi l’impression qu’il est bien des fois où la femme et l’homme flic, même bien disposé à l’égard de l’humanité et du citoyen, est à la place du con dès lors qu’au dessus de lui un supérieur pond un ordre ou une directive sans queue ni tête.

Dans le film coréen Le gangster, le flic et l’assassin, le flic intrépide (et aussi très tête à claques) réussit facilement à se soustraire aux ordres de son patron incompétent et corrompu et conserve sa liberté d’action et de commandement. Mais il s’agit d’une fiction où la société coréenne apparaît néanmoins si réglée et si cadenassée, que dans les faits, en Corée comme en France, je crois qu’un tel flic aurait été démis de ses fonctions, ou muté avant que l’assassin soit identifié.

Mais concernant l’enquête de Ploquin, il est étonnant de voir comme ces femmes et ces hommes flics qui- malgré eux- voient l’envers du décor d’une société et ses travers sont aussi vus à l’envers -et de travers- par celles et ceux qu’ils se sont aussi voués à défendre et à protéger :

« Une grappe de jeunes filles légèrement alcoolisées trinquent et multiplient les selfies à la terrasse d’une brasserie de la place de Clichy, à Paris. L’humeur est gaie et légère, la vie presque belle, mais dans leur voiture, à quelques encablures, trois policiers de la BAC de nuit ne voient pas le monde en rose : voilà des victimes idéales pour ces arracheurs de portables qui frôlent en coup de vent les terrasses et disparaissent avec leur butin. A l’affût, les « Baceux » guettent le premier mouvement suspect, une posture, un regard, un type qui ferait tache dans le décor, capuche sur la tête, pas vraiment là pour boire un coup ».

« Au petit jour, l’équipage devra encore sécuriser les clients des boîtes homos du Marais, proies sur mesure pour toutes sortes de prédateurs ».

« Entre les mauvais regards qui débouchent sur un œil en moins, les coups de couteau pour une cigarette, les vols avec violence, ceux qui finissent dans les eaux d’un fleuve pour n’en pas remonter, la vie nocturne donne au flic une image assez radicale de l’âme humaine. Tout au moins une idée assez précise de ce que le peuple urbain compte de déjantés et d’agresseurs. Il y’a la face visible de l’iceberg et le reste, poursuit ce brigadier que ses amis surnomment « Le Hibou », nuiteux depuis plus de dix ans. En surface, tout le monde il est beau et gentil ».

 

Ces extraits de La Peur a changé de camp impose l’idée qu’à faire ce métier de flic, on « devient » plus ou moins ce milieu inversé, tordu et bizarre dans lequel on évolue. Puisqu’il faut s’y adapter en permanence avant d’en revenir. Ce milieu que le citoyen lambda peut se permettre d’ignorer,  dont il perçoit parfois une infime surface, et qu’il peut être tenté d’expérimenter au risque de se faire briser.

Regardés comme celles et ceux qui se risquent dans ce milieu de vie et de mort, et même s’ils sont volontaires, les femmes et les hommes flics sont aussi des êtres sacrifiés. Bien plus que ce qu’eux mêmes ou leurs proches avaient pu prévoir en entrant dans la police. Car comme le dit un des témoins lors de cette enquête, le point fort de la police, c’est sa réactivité. Pas sa capacité d’anticipation. Et celles et ceux qui devraient faire montre d’anticipation, les décideurs, sont sur d’autres plans.

« La culture de la maison, c’est la réactivité. Elle est tellement ancrée que l’on frise l’aberration. J’ai toujours martelé l’idée qu’il fallait faire preuve d’anticipation mais la police ne sait pas faire ». (un ancien policier, fils de policier).

 

Je regarde évidemment la police d’un autre œil depuis la lecture La Peur a changé de camp. Mais il n’est pas certain que tous les agents de police le sachent.

Il y’a quelques jours, lorsque j’ai traversĂ© la route avec ma fille près de notre immeuble, une voiture de police Ă©tait arrĂŞtĂ©e au feu rouge. Assez rĂ©gulièrement dans ma ville, Argenteuil, je vois ou entends une voiture de police. Au cours de ma lecture de La Peur a changĂ© de camp, j’ai repensĂ© Ă  un ancien copain, d’origine indienne, qui vivait  à Sarcelles il y’a plus de dix ans. Goguenard, il m’avait dit une de ces  fois oĂą j’Ă©tais allĂ© chez lui,  entendre « tous les jours » la sirène d’une voiture de police. Son rĂŞve Ă©tait alors d’aller vivre en PolynĂ©sie et de se rendre rĂ©gulièrement Ă  la mer afin de pratiquer palmes, masque et tuba. Il est finalement parti s’installer et se marier Ă  PondichĂ©ry.

Le livre de Ploquin m’a permis de relativiser encore davantage le climat de vie Ă  Argenteuil. MĂŞme si celle-ci, malgrĂ© ses divers atouts, conserve gĂ©nĂ©ralement une mauvaise image dans la presse par exemple en raison, sĂ»rement, du nombre d’incivilitĂ©s qui s’y pratiquent et auxquels j’assiste quelques fois malgrĂ© moi et de certains trafics qui y sont Ă  l’oeuvre. Mais la rĂ©putation d’une ville, d’une personne, comme de la carrière d’un flic, quels que soient ses mĂ©rites, peut ĂŞtre sĂ©vèrement et durablement entachĂ©e par certains Ă©vĂ©nements et quelques Ă©lĂ©ments.

 

Nous nous sommes avancés sur le passage piétons, ma fille et moi. Nous étions tous les deux porteurs de notre casque à vélo et d’une paire de lunettes noires. Je tenais le siège enfant que j’allais ensuite installer à l’arrière de mon vélo. Ma fille, quant à elle, portait la pompe à vélo. La femme flic au volant de la voiture a un moment regardé dans notre direction. Elle aussi portait des lunettes noires. Je me suis demandé si elle avait pu, un moment, nous suspecter d’un délit quelconque. Même si cette femme flic ainsi que ses collègues ne m’inspiraient pas de peur particulière, j’ai été étonné par l’absence de sourire sur son visage. Mais elle a peut-être aussi été étonnée de me voir la regarder sans un sourire. Ou se demander la raison pour laquelle je la regardais tout en traversant la route.

Franck Unimon, jeudi 22 aout 2019.

Pour complĂ©ter, on peut aussi lire dans l’ordre que l’on souhaite les articles Tenir le rythme, La Peur a changĂ© de camp, Mes rĂŞves avaient un goĂ»t de sel.

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Puissants Fonds/ Livres

La Peur a changé de camp

 

 

 

 

La peur a changé de camp, un livre de Frédéric Ploquin paru en 2018.

 

 

C’est en commençant à travailler dans un service de pédopsychiatrie que j’ai- frontalement et dès le début- découvert la « conviction » de territoire :

 

Cette attitude ferme et de défi qui consiste à vous faire comprendre que vous êtes le nouveau venu. Que vous êtes incompétent pour représenter la Loi, l’autorité et la connaissance, ici. Que vous devez en quelque sorte la fermer et vous soumettre, ici. Car vous n’êtes pas sur votre territoire. Vous êtes un étranger. Un outsider. A moins que vous ne parveniez à faire vos preuves.

 

C’est une jeune de 15 ou 16 ans qui m’avait fait ressentir ça. Elle pouvait ĂŞtre insolente mais pas forcĂ©ment si mĂ©chante que cela. Plusieurs annĂ©es plus tard ( c’Ă©tait fin 2000) je crois pouvoir encore me rappeler de son prĂ©nom.

Cependant, ce n’est pas avec elle que par la suite, mes collègues et moi avions eu le plus de difficultĂ©s relationnelles. Cette jeune Ă©tait ensuite  dĂ©finitivement « sortie » du service quelques jours plus tard et nous ne l’avions plus revue.

Fin 2000, j’avais pourtant la trentaine. Soit le double de l’ âge de cette jeune. Mais ça n’était pas un problème :

Avec son assurance- et l’Intelligence– de celle qui Ă©tait dĂ©ja sur les lieux avant mon arrivĂ©e, et le fait que je prenais mes marques dans le service, elle avait rĂ©ussi en une remarque Ă  prendre un certain ascendant sur moi.

Je venais d’arriver par mutation en tant que titulaire dans ce service. Auparavant, néanmoins, j’avais fait des études d’infirmier dès ma sortie du lycée. Cela m’avait donc quelque peu déniaisé. J’avais aussi déjà un peu voyagé à l’étranger, fait quelques études dans d’autres domaines. J’avais aussi au préalable exercé dans divers établissements de soins en tant qu’infirmier intérimaire, vacataire. Mais aussi en tant qu’infirmier titulaire : dans un service fermé d’hospitalisation en psychiatrie adulte et, cela, dès mon service militaire alors obligatoire.

Dans mes 20 ans, j’avais découvert le travail de nuit en tant que soignant vacataire dans le service d’une clinique privée. Les patients avaient en moyenne l’âge de mes grands-parents soit le triple de mon âge. Lors de mes nuits de douze heures, j’étais responsable d’eux, seul soignant sur deux étages. En cas de problème, je pouvais solliciter mes collègues du dessus, également seuls dans leur service. Cela était une règle assez implicite : car je ne me souviens pas que la direction qui m’avait employé pour ces vacations ait beaucoup insisté pour me le faire savoir. Le médecin d’astreinte, lui, arriverait de chez lui au bout d’une heure ou deux si on l’appelait. J’en ai fait l’expérience. Je me rappelle encore de lui débouchant tranquillement dans le service en espadrilles, avec sa cigarette maïs allumée dans la bouche, alors que je m’inquiétais pour une grand-mère tombée sur la tête depuis son lit. Elle avait une belle bosse.

Trente ans plus tard, cette clinique existe toujours. Elle fait aujourd’hui partie d’un groupe privĂ© florissant qui possède plusieurs cliniques : OrpĂ©a ou Korian. Pour certaines entreprises privĂ©es, ou laboratoires, le secteur de la santĂ© est un marchĂ© juteux en termes de bĂ©nĂ©fices.  Aujourd’hui, plus qu’hier et moins que demain, les hĂ´pitaux publics ont pris pour modèle ces entreprises privĂ©es. Les hĂ´pitaux publics se sont donc mis sur les rails afin de se rapprocher le plus possible de ces modèles de rĂ©ussite et de profit Ă©conomique.

Je me sens tenu de rappeler que l’on dĂ©cide rarement de devenir infirmier dans le but de devenir millionnaire ou afin de se faire de l’argent sur le dos, la souffrance et le dĂ©sespoir des autres, soignants inclus.  Ou alors, il s’agit très certainement d’infirmiers que j’ai peu cĂ´toyĂ©s, qui reprĂ©sentent Ă  mon avis une minoritĂ© ou qui se sont en quelque sorte reconvertis ou quelque peu Ă©loignĂ©s de cette temporalitĂ© particulière oĂą nous « sommes » vraiment avec les patients et les autres. Et non le temps de quelques secondes et de quelques formules interchangeables faites d’ Ă©lĂ©ments de langage impersonnels.

 

 

Enfin, à titre personnel, un an avant d’arriver dans ce nouveau service de pédopsychiatrie, pour permettre à ma sœur (de neuf ans ma cadette) et à notre frère (de 14 ans mon benjamin) d’avoir un toit et de poursuivre leurs études et de s’installer dans leur vie d’adulte, j’avais rendu mon appartement de célibataire et obtenu de la mairie de notre ville un appartement non loin de notre ancienne maison familiale, vendue pour cause de mutation de notre père dans notre pays d’origine : la Guadeloupe.

 

Plusieurs de mes ex-collègues de psychiatrie adulte, pourtant des professionnels plus expérimentés que moi pour certaines et certains, de l’infirmier au médecin chef, m’avaient regardé partir pour l’aventure de la pédopsychiatrie ( dans un service fermé de soins et d’accueil urgents) avec une certaine réserve polie voire avec une admiration qui m’avait étonné :

j’étais un novice en tant qu’infirmier en pĂ©dopsychiatrie. On aurait presque dit que c’Ă©tait comme si j’avais annoncĂ© Ă  mes anciens collègues de psychiatrie adulte que j’allais descendre en rappel au fond d’un gouffre dont j’ignorais tout. Et, il est vrai qu’à mes dĂ©buts dans ce service, j’ai dĂ» apprendre beaucoup. Et aussi, rapidement, apprendre Ă  affirmer mon autoritĂ©. Cette jeune de 15 ou 16 ans, et d’autres jeunes, me l’avaient très vite fait comprendre d’une façon ou d’une autre. Peu importait ce Ă  quoi on ressemblait et ce que l’on avait pu vivre et connaĂ®tre auparavant ni ce que l’on Ă©tait dans notre vie personnelle par ailleurs. Il importait, dans ce service, de savoir s’affirmer en tant qu’adulte et en tant que reprĂ©sentant de l’AutoritĂ©. Que l’on soit une femme ou un homme. Que l’on mesure 1m60 ou 1m80. Que l’on porte des lunettes ou non. Que l’on soit blanc, arabe ou noir. Que l’on soit musulman pratiquant, catholique ou athĂ©e. Que l’on soit homo ou hĂ©tĂ©ro. Que l’on ait 20 ou 35 ans. PigĂ© ? Et, cela Ă©tait une règle implicite, instinctive. Immuable. Incontournable.

Ce que je raconte lĂ  semble très bien s’appliquer Ă  l’univers de la police dont parle FrĂ©dĂ©ric Ploquin dans son livre. MĂŞme si, Ă©videmment, il est d’autres univers professionnels avec lesquels on pourra trouver des points communs.

 

 

 

Aujourd’hui alors que j’ai quitté ce service de pédopsychiatrie (après quatre années de pratique), je garde de cette expérience intense un souvenir fait de considération et d’attachement. Pour cette époque. Pour mes anciens collègues. Pour les jeunes rencontrés et un certain nombre de situations faciles et difficiles. Mais je me souviens, aussi, que c’est dans ce service où j’avais fait l’expérience, comme la plupart de mes collègues d’alors, de ces tests et rapports de force répétés, usants et blessants entre certains jeunes difficiles- que nous essayions pourtant « d’aider »- et nous :

Insultes, menaces de mort, agressions physiques, intimidations, crachats et destruction des lieux avaient Ă©tĂ© le moyeu de certaines de nos relations avec quelques jeunes qui Ă©taient heureusement une minoritĂ©. A ce jour, je n’ai pas connu d’Ă©quivalent devant cette forme « d’avalanches » d’insultes, de menaces de mort, d’agressions physiques, d’intimidations, de crachats et de destruction des lieux vĂ©cues dans ce service. Ainsi qu’Ă  propos de cette nĂ©cessitĂ© de savoir rappeler constamment un certain cadre et certaines limites. MĂŞme lorsque tout se passait « bien ».

Il est vrai qu’en quittant ce service, je me suis dispensĂ© de rechercher un poste  prĂ©sentant les mĂŞmes caractĂ©ristiques ou d’y rester aussi « longtemps » : quatre annĂ©es dans un tel service Ă©tant une durĂ©e plus longue que dans d’autres. MĂŞme si ces troubles du comportement Ă©taient le fait, je le rappelle, d’une minoritĂ© des jeunes hospitalisĂ©s. Et qu’il y’a eu aussi des pĂ©riodes calmes et avec moins d’accrocs relationnels- ou plus supportables- avec la majoritĂ© des jeunes rencontrĂ©s.

 

Mais cette minorité difficile suffisait un certain nombre de fois à tout oblitérer ou à nous déstabiliser lorsque la violence et l’affrontement se faisaient les principaux modes de relations.

Car nous étions soignants et pas matons, CRS, vigiles, gardes du corps et encore moins là pour pratiquer la boxe, du MMA ou du Ju-jitsu brésilien ou du judo.

Car nous étions dans un hôpital et pas dans la rue ou dans une famille dysfonctionnelle.

Pendant ce temps-lĂ , d’autres patients, plus « calmes » et plus faciles, devaient certaines fois ĂŞtre un peu dĂ©laissĂ©s afin que nous puissions nous concentrer sur cette patiente ou ce patient difficile. La rĂ©pĂ©tition de ces actes ou de ces propos volontaires et violents Ă©taient d’autant plus dĂ©concertants qu’ils Ă©manaient, pour la plupart, de mĂ´mes âgĂ©s en moyenne de 10 Ă  13 ou 14 ans, parfois plus. Un âge que nous avions eus et oĂą, jamais, nous ne nous serions permis d’avoir le mĂŞme genre d’attitudes envers nos pairs, envers des adultes et des lieux, quelles que puissent ĂŞtre nos difficultĂ©s et nos impasses Ă©motionnelles et personnelles. Et je parle ici « uniquement » des actes de violence que ces jeunes ont pu porter contre autrui (patients ou soignants) ou contre les locaux. Il y’avait aussi les actes violents que certains de ces jeunes rĂ©alisaient contre eux-mĂŞmes et que nous nous efforcions de canaliser ou de prĂ©voir. Il y’avait aussi ces comportements Ă  risque tels que la fugue que d’autres pouvaient avoir en raison de leurs troubles du discernement.

 

Certaines situations frontales vécues avec plusieurs de ces  jeunes  » violents » ont donc été des chocs. Culturels, moraux, intellectuels, psychologiques. Et physiques. Plusieurs collègues ont ainsi été en arrêt de travail suite à une agression. Ces situations ont aussi été l’occasion d’apprentissages de part et d’autres. Elles ont aussi sans aucun doute amené le fondement d’une solidarité particulière entre collègues. Ce qui explique sûrement le fait qu’à ce jour, même si pour la plupart nous travaillons désormais dans d’autres services voire dans d’autres régions, il nous reste un quelque chose de cette unité ou de cette amitié. Et nos retrouvailles le temps d’un pique-nique l’an passé par exemple, pour celles et ceux qui y étaient, une dizaine d’années après avoir quitté ce service, en atteste.

Ce matin, c’est ce que m’inspire Ă  l’écriture le livre La Peur a changĂ© de camp de FrĂ©dĂ©ric Ploquin. Ce livre, que je n’ai pas fini de lire, parle…de la dĂ©gradation gĂ©nĂ©rale et progressive des conditions de travail des flics. On me dira sans doute- y compris parmi mes pairs infirmières et infirmiers- qu’il n’y’a aucun rapport entre le travail d’un flic et celui d’une infirmière ou d’un infirmier en soins psychiatriques ou pĂ©dopsychiatriques. Et que mon goĂ»t pour le cinĂ©ma m’aura fait perdre pied ainsi que le contact avec la bobine du rĂ©el.

Alors, je commencerai par rappeler qu’il arrive que soit reproché à la psychiatrie d’une manière générale d’être abusive et coercitive au détriment de la liberté et de la santé de personnes vulnérables :

Et, j’invite chacune et chacun à se remémorer certains documentaires, reportages, expériences personnelles ou faits divers montrant la psychiatrie sous un visage tragique, choquant et défavorable. Ou sensationnel.

Je rappellerai aussi que certains modes d’hospitalisation en psychiatrie sous contrainte mettent le soignant, qu’il le veuille ou non, dans la position de celle ou celui qui doit faire respecter la Loi et qui a, aussi, un certain Pouvoir :

Parce-que le patient (et/ ou son entourage et sa famille) est un danger pour autrui et/ou pour lui. Mais aussi parce-que le patient (et/ ou son entourage et sa famille), d’après la situation rencontrée et son comportement, a démontré un manque de discernement qui l’empêche de reconnaître la gravité de ses troubles du comportement et/ou de jugement. Et de donner son consentement pour recevoir certains soins.

 

Il me semble qu’après ces deux rappels, on commence déjà à mieux comprendre en quoi, par moments, le travail d’une infirmière ou d’un infirmier en soins psychiatriques, peut ressembler ou donner l’impression de ressembler à un travail de « flic ». Surtout si l’on exerce dans un service de soins fermé et que certaines restrictions sont imposées – même si elles sont généralement expliquées au préalable- aux patients :

Pas de téléphone ou alors des appels téléphoniques limités et parfois en présence des soignants ; pas de sortie du service pendant quelques temps ou sous condition et accompagné d’un ou de plusieurs soignants lorsque cela est possible ; le droit de fumer à certaines heures et en certains lieux ; relations sexuelles interdites dans le service etc…..

Cette analogie apparente entre le métier de flic, voire de maton,  et celui d’infirmier voire d’éducateur en soins psychiatriques et pédopsychiatriques peut expliquer certains « affrontements » avec le patient et/ou son entourage :

Fort heureusement, ces « affrontements » entre patient et soignants peuvent être provisoires et minoritaires. Le temps de faire connaissance et d’apprendre à connaître les soignants qui sont des individus inconnus dont on ignore au début, quel que puisse être leur discours de présentation, les réelles intentions. Le temps de décider si l’on va faire alliance ou non avec les soignants ou si l’on va rester « fidèle » ou « loyal » aux codes de conduite que l’on a toujours suivi jusque là et qui nous ont permis jusqu’alors d’exister, d’être accepté, de nous affirmer et de survivre dehors. Le temps de certaines crises qui permettent au patient d’exprimer un mal-être, une impuissance ou un désespoir, plus ou moins longtemps contenus, et dont le corps soignant présent devient alors…le récepteur.

Et ce qui diffĂ©rencie un soignant d’un flic ou d’un individu lambda non-prĂ©parĂ© ou non-formĂ©, c’est le type de relation.  Le type d’action et de rĂ´le face Ă  la violence exprimĂ©e.  C’est le fait que le soignant va essayer de comprendre cette violence. Il va essayer de la retraduire et d’amener le patient Ă  saisir que cette violence qui lui Ă©chappe, alors qu’il croit sans doute la contrĂ´ler, le handicape plus qu’elle ne lui sert. Il va essayer – quand c’est possible- de la « divertir », de la dĂ©tourner voire de la  canaliser.

Il va aussi essayer d’encourager le patient à employer son énergie vers d’autres projets que ceux menant à la destruction.

Cela est évidemment bien plus facile à théoriser qu’à réaliser : puisqu’il arrive que ces patients que l’on veut « aider » agressent les soignants fautifs d’être ces interlocuteurs imparfaits et constants. Fautifs de rappeler certaines règles et certaines limites. Fautifs de rappeler certains faits. Fautifs d’être celles et ceux qui détiennent la clé qui ouvrent et ferment les portes.

Il est aussi des personnes de la sociĂ©tĂ© civile, ni infirmiers, ni Ă©ducateurs, ni psychologues, ni mĂ©decins, qui excellent Ă  aider et soutenir bien des personnes en difficultĂ© morale et sociale. Mais cela se passe alors en dehors de l’enceinte de l’hĂ´pital et dans  un certain angle mort de la connaissance et de l’expĂ©rience hospitalière. Pour le pire ( sectes, groupuscules extrĂ©mistes,  et autres) ou pour le meilleur.

 

Fort malheureusement, aussi, Ă  l’hĂ´pital, certains de ces « affrontements » avec certains patients et/ou leur entourage et famille, peuvent plus ou moins durer, plus ou moins « planer » dans l’atmosphère d’un service et peser en restant Ă  la limite du supportable.

Un des autres points communs du travail de flic avec le métier de soignant en psychiatrie mais aussi dans d’autres disciplines de soins (somatiques comme mentales) est de voir l’envers du décor d’une société. Dans cet envers du décor, il n’y’a nul maquillage, campagne de communication ou de place pour la mise en scène. On s’y révèle avec nos viscères, nos faiblesses, nos limites, nos mauvais profils comme avec nos forces morales et autres. Pratiquement sans faux semblant. On pourra dire de même avec les métiers de pompiers ou d’assistante sociale pour citer quelques unes de ces professions où l’on est au contact, à visage découvert, avec la vie et l’intimité des gens. Et c’est, ici, le but principal de cet article :

 

Lire, en plein mois d’août, La peur a changé de camp , de Frédéric Ploquin, grand reporter, spécialiste du grand banditisme, de sujets ayant trait à la police et au renseignement, mais aussi réalisateur de reportages ?!

Il est  des lectures plus relaxantes et plus ensoleillĂ©es. Et, j’ai hĂ©sitĂ© Ă  en commencer la lecture (il me reste deux cents pages Ă  lire) avant ce samedi oĂą il pleut. D’autant qu’avec le mouvement des gilets jaunes mais aussi du fait de certaines bavures policières, les flics, comme souvent, voire comme toujours, ont une très mauvaise image. Surtout si l’on ajoute, une ou deux (voire beaucoup plus) expĂ©riences personnelles dĂ©sagrĂ©ables que l’on a pu vivre soi- mĂŞme ( je relate une de mes expĂ©riences personnelles assez rĂ©cente dans l’article Tenant du titre et, surtout, dans l’article C’est Comportemental ! ) ou dont on a Ă©tĂ© le tĂ©moin ou dont on a entendu parler.

 

Le livre de Frédéric Ploquin explique aussi les raisons de certaines erreurs et dérives policières. Lesquelles raisons sont bien-sûr multiples et aussi personnelles :

De même qu’il y’a de très bons flics, il y’a aussi des très mauvais flics.

Mais celles et ceux qui décident, au dessus de leurs têtes, ont aussi leur part de responsabilité. Sauf que ces décideurs et décideuses, même lorsqu’ils font des erreurs ou font certains choix politiques délétères, peuvent tranquillement poursuivre leur carrière en restant à l’abri contrairement aux policiers qui restent sur le terrain et doivent en rendre compte.

Je me doute bien que pour certaines et certains, les flics resteront des ennemis et « doivent » rester ces femmes et ces hommes responsables de tous les travers ou ces « fourmis » qu’il faudrait Ă©craser et dĂ©membrer une Ă  une. Je me doute aussi que pour certaines et certains, nuancer l’image de la police, c’est trahir et passer pour un gogo sans honneur et amnĂ©sique tout prĂŞt de se faire enrĂ´ler comme boy ou serviteur bĂ©nĂ©vole au service du Rassemblement National ( ex-Front National) ou autre nostalgique nazi et esclavagiste.

Pourtant, à mesure que je lis ce livre où Frédéric Ploquin parle pourtant de la police, et rien que de la police, je m’aperçois que les conditions de travail dégradées de la police dont il parle, ressemblent à ces mêmes conditions de travail dégradées que connaissent depuis plusieurs années les services publics de l’école et des hôpitaux dans une société de plus en plus inégalitaire. Pour ne parler que de la dégradation des conditions de travail dans les écoles publiques et dans les hôpitaux publics.

D’autres services publics sont sans doute touchés par les mêmes dégradations des conditions de travail : qu’il s’agisse des transports ou de certaines entreprises publiques aujourd’hui privatisées….

Comment continuer de s’abstenir de faire le rapprochement en lisant La Peur a changé de camp ?

Nous sommes au mois d’août. C’est encore les vacances. Le livre de Frédéric Ploquin détaille et explique les raisons pour lesquelles, la rentrée et le retour de vacances seront suivis, comme souvent depuis plusieurs années, malheureusement, de certaines crises sociales et autres.

Parce que certaines de nos élites continuent de mépriser et de méconnaître l’avenir. Ainsi que toute ou partie de nos histoires, de nos valeurs et de nos espoirs. Ce qui explique l’ascension sans filtre et apparemment sans frein de certains extrémismes et de certaines peurs. Pendant le mois d’août mais aussi lors des autres mois de l’année.

En attendant d’autres articles sur des thèmes diffĂ©rents, et je l’espère plus lĂ©gers,  on pourra trouver Ă  celui-ci une continuitĂ© avec mon article sur le livre Mes rĂŞves avaient un goĂ»t de sel.

Franck Unimon, ce samedi 17 aout 2019.

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Puissants Fonds/ Livres

Mes rêves avaient un goût de sel

 

 

 

 

 

Tandis que ma fille faisait sa sieste hier après-midi, j’ai terminé le livre Mes rêves avaient un goût de sel , publié en 2013, de J-Pierre Roybon, ancien nageur de combat. Il me restait à peine vingt ou trente pages à lire.

 

Dans les débuts de son livre, J-P Roybon, 65 ans en 2013 lorsque son livre a été publié, se sent obligé de prévenir, page 9 :

« Je ne suis ni écrivain, ni bardé de diplômes universitaires mais seulement détenteur d’un certificat d’études primaires ». Sans doute des restes du « mauvais » élève qu’il était, dans une autre vie, dans cette école obligatoire qu’il n’avait pas choisie et qui ne lui correspondait pas comme à tant d’autres hier, aujourd’hui et demain.

Je soussigné, moi, Franck Unimon, l’apprenti-écrivain anonyme connu seulement de lui-même, le plus ou moins universitaire avorté, le littéraire, et sans doute aussi l’artiste raté, je déclare avoir eu plaisir à lire son Mes rêves avaient un goût de sel comme je peux avoir plaisir à écouter certaines personnes qui ne sont pas de mon monde extérieur et immédiat. A première vue.

 

Je me suis retrouvé dans certaines de ces valeurs qui tiennent J-Pierre Roybon en tant qu’homme et militaire :

J’ai déjà pensé que mon père aurait pu être militaire compte-tenu de sa rigidité et de sa « rusticité ». Dans son récit, J-Pierre Roybon , alias Royco, insiste à plusieurs reprises sur le point qu’un bon nageur de combat se doit d’être « rustique ». En plus de démontrer de sérieuses aptitudes physiques, mentales, morales, techniques ainsi qu’ à la pratique de la solidarité et…obéissance aux ordres.

 

Dans les faits, mon père (de la même génération que J-Pierre Roybon et de quatre ans son aîné) avait été exempté de son service militaire car il était devenu « fou » au moment de le faire ou après avoir échoué au bac. J’ai un peu oublié la chronologie aujourd’hui. Par contre, j’ai fait mon service militaire même si j’ai passé la plus grande partie de mon service militaire à exercer en tant qu’infirmier diplômé d’Etat…en psychiatrie : pas mal pour quelqu’un dont le père était devenu « fou » une génération plus tôt au moment de faire son service militaire ou après avoir échoué au bac !

Pendant mon service militaire- encore obligatoire alors- je me suis un moment demandé si j’allais m’engager. En tant qu’infirmier. Non pour des raisons patriotiques ou guerrières. Je n’ai jamais été séduit par les attraits du clairon nous commandant de servir de chair à canon pour quelques décideurs protégés et dont les motivations profondes m’étaient étrangères. Peut-être aussi que ma filiation antillaise ainsi qu’avec l’histoire de l’esclavage m’a fait grandir dans une certaine méfiance envers la Nation française et blanche. Et je reste sceptique devant le sacrifice (« oscarisé » pour Denzel Washington) lors de la guerre de sécession de certains esclaves noirs américains dans le film Glory réalisé en 1989 par Edward Zwick.

 

A Lourdes, pendant mon service militaire en 1993, on nous avait ainsi servi des défilés militaires de différents pays et des images montées afin de nous sensibiliser à l’horreur- réelle- de la guerre au Kosovo. Si d’autres appelés venus comme moi à Lourdes avaient alors manifesté leur bruyant et enthousiaste patriotisme ainsi que leur émotion, j’étais resté discrètement perplexe devant la mise en scène de ces défilés militaires comme devant les images- et la musique- que l’on nous avait présentées.

Néanmoins, en lisant le livre de J-P Roybon, il m’est apparu que j’étais aussi attaché à ce qu’il décrit en matière d’abnégation de soi, d’efforts, d’entrainement physique et mental intense, d’éducation personnelle, de rite initiatique et d’apprentissage de la vie d’adulte et de la rencontre d’amis véritables et durables. Comme on peut le dire quelques fois crument :

Lorsque l’on en chie avec quelqu’un, on apprend à se connaître et il est impossible de se mentir à soi-même comme aux autres. Et J-P Roybon, lors de ses diverses formations, en a « chié » avec d’autres.

Dans son récit, on retrouve donc de manière amplifiée ces valeurs- et d’autres- que l’on peut admirer et courtiser lorsque l’on regarde la figure des samouraï ou de toutes ces femmes et ces hommes combattants qui sont au rendez-vous de certains codes d’honneur et actes héroïques. Quelle que soit leur place vis-à-vis de la « Loi » :

Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme rĂ©sistant lors de la Seconde guerre Mondiale ou lors de la guerre d’AlgĂ©rie, cĂ´tĂ© algĂ©rien. Qu’il s’agisse d’une femme ou d’un homme esclave qui marronne. D’une personne dĂ©portĂ©e qui s’Ă©chappe d’un camp de concentration. D’une victime qui se soustrait Ă  son agresseur. Qu’il s’agisse d’un soldat ou d’un SamouraĂŻ.

Bien-sûr, au cinéma, on peut penser aux yakuzas tels que nous les a montrés un réalisateur comme Takeshi Kitano dans ses films Sonatine, Hana-Bi , Aniki, mon frère ou autres. Mais on peut aussi penser au personnage interprété par De Niro dans Heat de Michael Mann. Au personnage de garde du corps puis de tueur tenu par Denzel Washington dans Man on Fire de Tony Scott. Ou au rôle tenu par l’acteur Mads Mikkelsen dans le film Michael Kholhaas réalisé en 2013 par Arnaud des Pallières. On peut aussi penser à la première heure du film Jeanne d’Arc de Luc Besson. On peut également penser à certains intellectuels qui, à certains moments de l’Histoire, ont fait entendre leur voix, leur conscience et leur identité : Les Aimé Césaire, Gilbert Gratiant, Dany Laferrière et d’autres dont les musiciens et chanteurs Arthur H et Nicolas Repac ont mis en musique certains des textes et poèmes dans le très bel album L’Or noir sorti en 2012.

 

 

 

On peut bien-sûr penser à beaucoup d’autres figures féminines, masculines, historiques, contemporaines ou « fictives » qu’elles soient connues, oubliées ou inconnues, consensuelles, contrastées ou transgenres, chacun et chacune choisissant ses modèles selon ses propres critères, besoins et urgences personnelles et morales. Certaines personnes penseront à l’exemple de Simone Veil, d’autres à la navigatrice Ellen Mac Arthur, à la militante Angela Davis, à l’artiste Nina Simone, ou à PJ Harvey, Lady Gaga, Madonna, Beyoncé….

 

 

Ma vie personnelle et ma personnalité ont connu, connaissent et accomplissent un engagement moins extrême que ces exemples réels ou fictifs. J’ai pourtant connu des moments de ma vie où je me dirigeais vers ce genre d’engagement ou de rapport à la vie. Et où j’étais plus « rustique ». Plus engagé. Plus dur au mal. Je pense par exemple à ces deux ou trois années de ma vie, ou, adolescent, je m’entraînais avec assiduité à l’athlétisme avec certains copains. Et où j’aurais été capable- sans dopage- de donner encore plus de ma personne si mes résultats m’y avaient encouragé et que ma forme physique et morale me l’avaient permis.

Je pense aussi Ă©videmment au moins Ă  mes Ă©tudes d’infirmier d’Etat qui, dès la sortie du lycĂ©e, avant mes 18 ans, m’ont fait rentrer dans la tĂŞte une vision et une expĂ©rience du Monde et de la vie bien diffĂ©rente de celle que l’on peut s’en faire en allant au lycĂ©e, Ă  l’universitĂ© ou en effectuant des Ă©tudes oĂą sang, viscères, Ă©liminations de l’organisme et diverses maladies et Ă©tats de santĂ© restent, sauf drame familial et personnel, une expĂ©rience limitĂ©e dans l’espace et le temps ou circonscrite Ă  la lecture d’un livre, la vision d’un film, d’un reportage ou Ă  la dĂ©couverte d’un fait divers dans les mĂ©dia et les rĂ©seaux sociaux.

Pour avoir passĂ© trois ans Ă  la Fac après l’obtention de mon diplĂ´me d’Etat d’infirmier, je peux tĂ©moigner que mon regard sur le monde et sur la vie Ă©tait assez diffĂ©rent de celui d’un certain nombre de mes sympathiques camarades de DEUG d’Anglais. J’avais pourtant Ă  peine deux ou trois ans de plus que la majoritĂ© d’entre eux. Et si j’étais sorti du lycĂ©e comme eux en arrivant Ă  la fac, j’aurais sans aucun doute Ă©tĂ© dans le mĂŞme Ă©tat d’esprit que la plupart d’entre eux. MĂŞme si j’avais pu y cĂ´toyer un camarade se rendant avec ses parents au KĂ©nya pour y faire un safari durant les vacances de NoĂ«l, une autre dont le rĂŞve Ă©tait que ses parents lui achètent un cheval avec le box qui va avec. MĂŞme si j’avais pu voir une Ă©tudiante engueuler – telles de vulgaires gouvernantes- deux secrĂ©taires de l’âge de sa mère au motif que lors des dates de partiels de rattrapage elle serait…en vacances !

 

Je crois que mon « dĂ©calage » mental avec mes camarades de l’universitĂ©, sans doute dĂ©jĂ  Ă  l’œuvre en sourdine bien avant, m’a en fait poursuivi, rattrapĂ© et s’est accentuĂ© Ă  mesure de mes annĂ©es d’exercice infirmier et de ma vie d’adulte. Dans mes relations personnelles mais aussi professionnelles :

Signe que je suis encore un naïf et un « gentil », je reste étonné devant la vanité de certaines relations et rencontres dont je parle un peu dans mon article Paranoïa Sociale.

 

Il est aussi vrai qu’à mon niveau, je me suis « embourgeoisé ». Je me suis détendu avec les années et « laissé aller ». Je le vois à des indices très simples qui pourraient faire sourire mais qui, moi, me gênent un peu :

J’estime avoir entre trois et cinq kilos en trop et avoir un peu de ventre. Et j’ai beaucoup de mal à les perdre. La solution, pourtant simple, qui consiste à se dépenser physiquement, intensivement, de manière régulière, me résiste. Pourtant, j’aime faire du sport. Et je suis capable d’en faire seul, peu importe la température extérieure. Avec une préférence, quand même, pour les températures basses lorsqu’il s’agit de courir à l’extérieur.

J’ai aussi un dĂ©couvert bancaire chronique. Avec les annĂ©es, j’ai accumulĂ© des objets dont je ne me sers pas ou très peu. Si je m’étais dispensĂ© de la moitiĂ© voire du quart d’entre eux, mon solde bancaire serait sans doute crĂ©diteur et cela jusqu’Ă  ma mort voire au-delĂ .

Je continue pourtant assez régulièrement de me trousser de jolies petites histoires où il est question de nouveaux objets à acquérir.

Nous avons dû obtenir un crédit immobilier pour l’achat de notre appartement.

 

« Avant », j’aurais sans doute déjà perdu ces kilos et ce ventre. « Avant », je me serais habillé comme un chien. J’aurais mangé du pain industriel et acheté les paquets de gâteaux ou de biscuits les moins chers au kilo.

« Avant », je serais demeurĂ© locataire de mon appartement. Je n’aurais pas fait d’enfant. Je ne me serais pas mariĂ©.

 

Mais j’aurais quand même été incapable de supporter les entraînements et les risques que J-P Roybon nous décrit lors de sa formation de nageur de combat. Comme j’aurais été incapable d’obtenir la multitude de qualifications qu’il a obtenues. Et je n’aurais pas pu, je crois, désirer comme lui mettre en pratique ce qu’il a appris pour son « métier des armes ». Car contrairement à lui, à la destruction, j’ai dès le début préféré…la reconstruction, la guérison. L’apaisement. La compréhension. L’intellectualisation du Monde qui m’entoure. Ou à peu près tout ce qui pouvait me permettre de m’en rapprocher. C’est peut-être seulement une question de tempérament. Ou de paquetage émotionnel personnel.

Même si dans son récit, il ne dit rien concernant un éventuel besoin de revanche familial qu’il aurait eu à satisfaire suite à un conflit armé passé ou à un drame intime ( viol, agression, meurtre d’un des membres de la famille). Même s’il parle quand même de quelqu’un de sa famille ou de son entourage qui a eu un parcours militaire, il parle de son « destin » militaire comme d’un rêve qu’il faisait depuis son enfance. Les posters dans sa chambre et autres trophées de la mer en attestaient.

C’est un fait : là où certains rêvent de guerres, d’autres rêvent de paix. Enfant, je sais que je rêvais beaucoup. Mais je ne rêvais pas de guerres et pas de la mer non plus.

De mon côté, question violence familiale et intrafamiliale, sociale, et personnelle, j’estime avoir été suffisamment « nourri » dès ma naissance : esclavage, milieu social modeste voire pauvre et rural, rejet de ma mère par sa famille avant ses 18 ans car enceinte( fausse couche), immigration de mes parents noirs de peau- et « Français » en métropole (la France, ex-pays colonisateur) depuis leur Guadeloupe natale depuis des générations, immeuble HLM en banlieue parisienne, etc….

 

Et afin de prévenir- ou d’éclaircir- à nouveau ce malentendu courant :

Je ne vois aucune vocation dans ma décision, avant mes 18 ans, de faire des études d’infirmier d’Etat. C’est simplement qu’en raison de mon milieu social moyen et de la vision du Monde, du marché du travail et de la vie, disons, un peu anxiogène, que m’ont transmis mes parents ( mes oncles et tantes, des cousines et des cousins, et avant eux, mes grands-parents et sans doute mes ancêtres)  j’ai opté pour un repli stratégique et plus « sûr » dans le fonctionnariat et des études d’infirmier d’Etat. Lesquelles études, je le rappelle, sont au départ principalement orientées vers la médecine et la chirurgie et non sur le travail psychique et psychiatrique qui était et reste, lui, plutôt perçu de manière péjorative.

Je suis un infirmier diplômé d’Etat qui, à un moment donné, a choisi de travailler en psychiatrie. Dans les années 90. A une époque où j’étais plus « rustique » que maintenant.

Le caractère ou le tempérament plus ou moins « rustique » de mes parents les a à la fois pourvus- comme pour tant d’autres parents et individus- de cette robustesse qui leur a évité alcoolisme, dépression, délinquance, chômage, cancer et autres défaillances humaines. Et on retrouve sans aucun doute cette robustesse et cette « rusticité » chez les pionniers, les explorateurs, les aventuriers, les guerriers, les survivants mais aussi chez bien des héroïnes, héros et sauveteurs. Ainsi que chez beaucoup d’autres personnes « normales » que nous connaissons et rencontrons ou auxquelles nous devons beaucoup. Raison pour laquelle il faut essayer de se garder de juger de manière expéditive celles et ceux que l’on a spontanément envie de qualifier de personnes « bourrines » ou peu éduquées parce qu’elles manqueraient de délicatesse, de discussion, de charme ou de sex-appeal.

Je repense au navigateur Eric Tabarly qui répondait de manière laconique aux interviews. Je repense à Vélo, un cousin éloigné du côté de ma mère, que je n’ai jamais rencontré, mort pauvre, sans doute alcoolique et SDF. Vélo, Maitre Ka, est aujourd’hui une référence dans la musique antillaise. Et moi, plus lettré que lui, si on met un tambour devant moi, je ne sais même pas où poser mes doigts et c’est alors moi, « l’île-lettrée ». Bien-sûr, c’est déjà bien que je connaisse son nom ainsi que celui d’Alain Péters dont la trajectoire a finalement été assez jumelle. C’est peut-être pour ça, d’ailleurs, que l’histoire personnelle de ce dernier me parle autant. Alain Péters et Vélo font peut-être partie de mes Twin Towers intérieures que le Monde a vu s’effondrer le 11 septembre 2001.

 

Mes parents, eux, ont sûrement fléchi plus d’une fois. Mais ils sont restés droits. Ils ne sont pas tombés comme ces tours immenses, arrogantes et voyantes. Et lorsque j’écris que les Twin Towers étaient « arrogantes et voyantes », j’écris ici ce que j’imagine de ce qu’elles devaient inspirer aux intégristes qui les ont détruites et qui voudraient aussi détruire les femmes sans voile : si cela avait tenu à moi, les Twin Towers seraient toujours présentes. Comme mes parents, mes premières Twin Towers, sont aujourd’hui toujours présents.

 

Néanmoins le caractère ou le tempérament plus ou moins « rustique » de mes parents fait aussi qu’ils ont fait et font partie de ces nombreuses personnes qui n’ont jamais consulté et ne consulteront jamais un psychologue ou un professionnel lui ressemblant en cas de détresse ou de souffrance morale. Et qu’ils n’ont donc jamais considéré que cela pourrait éventuellement servir à un de leurs enfants.

 

Aujourd’hui et demain, il subsiste et subsistera des parents hermétiques à la psyché telle qu’on l’appréhende en occident. Pour ces quelques raisons, je crois être suffisamment équipé pour comprendre l’esprit qui a pu animer J-Pierre Roybon lors de son apprentissage militaire et tel qu’il nous le décrit dans son livre que j’ai bien aimé. Même si, contrairement à lui, je ne suis pas un guerrier. Du moins, est-ce ce que je crois ou ai besoin de croire et de me trousser comme histoire.

 

Dans une des conclusions de son livre, il écrit, page 443 :

« Certes, ma vie personnelle n’a pas été à la hauteur de mes réussites militaires mais les joies que m’avaient procurées ces années sous les drapeaux ont su combler certaines désillusions ».

Un peu plus loin, il confie son regret, devant la fin de la guerre du Vietnam, d’avoir été en quelque sorte « privé » de guerre sur le terrain et de la possibilité de mettre en pratique ce qu’il avait appris. S’il est né en 1948, J-P Roybon mentionne très indirectement et de très loin Mai 1968 et les mouvements pacifistes et hippies des années 60 par ce biais :

Seulement pour dire comme cette transformation du Monde, de la Société et de la Politique l’ont privé, lui et d’autres, de certaines sagas militaires. Et aussi que certaines valeurs d’honnêteté, d’engagement, de courage, de respect du drapeau et de la Marseillaise, se sont perdues. A ce stade, et même avant, on peut craindre que son témoignage soit porté par un courant profondément frontiste, raciste, passéiste, colonial et paramilitaire.

Sauf qu’il refuse l’aventure de l’Afrique, substitut aux militaires engagés en manque d’action pour cause de fin de guerre du Vietnam comme il nous l’explique en quelques lignes, page 444 :

« En 1973, la signature des accords de Paris mettait fin au conflit en prévoyant le retrait des forces US dans un délai de 60 jours. Tout était plié, terminé. Les combattants super-entraînés que nous étions devenus n’auraient donc pas la possibilité de mettre en pratique ce à quoi ils étaient destinés ; en fait nous étions des pur-sang interdits de courses. Alors plutôt que d’aller brouter l’herbe des hippodromes ou terminer dans un haras uniquement pour la reproduction équine, autant reprendre la vie sauvage vers des horizons nouveaux. L’Afrique en ce temps-là offrait ces perspectives, pour des hommes aux « aptitudes particulières », mais la formation qui avait été la mienne m’interdisait moralement de me battre en échange d’un chèque, fut-il très conséquent… Comme d’autres camarades, sans attendre l’âge de la retraite, je me suis remis en question et j’ai alors quitté la Marine pour la vie civile. L’appel de la mer était toujours très fort pour moi et en fonction de mes qualifications, je n’avais que l’embarras du choix pour trouver un travail dans le milieu sous-marin ».

 

Dans ce choix que J-P Roybon fait de refuser, comme plusieurs de ses camarades, de devenir mercenaire, j’ai immédiatement pensé à la personnalité d’un Bob Denard dont les agissements avaient pu être médiatisés dans les années 80-90. Sur un autre terrain et dans un autre cadre, cela peut aussi expliquer que Ange Mancini , ex-patron du Raid, ex-préfet de la Martinique, à la retraite depuis 2013, soit depuis associé au groupe Bolloré en Afrique pour la construction d’un chemin de fer de « 3000 kms en Afrique de l’Ouest ».

Ange Mancini est l’aĂ®nĂ© de quatre ans de J-P Roybon. Mais les deux hommes, de la mĂŞme gĂ©nĂ©ration, ont sĂ»rement bien des points communs dans leur parcours personnel et professionnel. BollorĂ©, quant Ă  lui, pour des gĂ©nĂ©rations plus « jeunes », nĂ©es dans les annĂ©es 60 et après, c’est le fossoyeur d’un certain esprit Canal+, d’une certaine insolence et fantaisie. La fin d’un Monde ou du Monde. D’une certaine façon, on peut dire que BollorĂ© a officialisĂ© le retour d’une certaine rusticitĂ© -mais dans le mauvais sens du terme- dans le milieu de la politique, de la tĂ©lĂ©, de l’économie, de l’art de s’exprimer et du divertissement. Du fric. Lorsque le groupe Chic chante  » Le Freak, c’est chic », quarante ans plus tard, ça peut toujours entraĂ®ner et faire danser malgrĂ© le jeu de mot Monstre/ fric. Mais lorsque BollorĂ© a commencĂ© Ă  agir sur Canal+, danser signifiait ĂŞtre Ă©jectĂ© de la piste de la chaine cryptĂ©e. Etre dĂ©classĂ© et dĂ©gradĂ©. Partir Ă  la casse.

 

Un peu plus loin, J-P Roybon écrit, page 445 : « (….) Dans cette ambiance très particulière qui se trouvait en total décalage avec mes plongées civiles ou militaires, j’appris à construire ou reconstruire des ouvrages portuaires que j’avais été précédemment formé à démolir, activité dans laquelle je m’étais montré assez compétent(…) ». « (….) Mon nouveau statut m’emmena dans l’océan pacifique, sur les sites nucléaires ainsi que les îles ou atolls sur lesquels mes services étaient demandés, puisque j’étais responsable des plongeurs polynésiens de l’AMM ( Arrondissement Mixte de Mururoa). Je rencontrai alors les peuples de la mer et je dois avouer qu’ils m’ont beaucoup appris, dans un domaine où je pensais tout connaître ».

 

« (…) Bien des années plus tard, je quittai le monde professionnel et de nouvelles aventures beaucoup plus paisibles s’ouvraient à moi car comme tout plongeur ayant eu le privilège de voir et connaître ce qu’il y’a de mieux sous la surface des mers, au fil du temps je suis devenu un contemplatif « subaquatique ».

 

Elle est peut-être là, la principale différence entre un guerrier, une personne qui s’agite et consomme, un terroriste et un pacifiste :

les trois premiers ont besoin d’action pour espérer s’accomplir et s’apaiser quitte à tout raser autour d’eux s’il le faut. Le dernier, lui, cherche davantage à maintenir le calme en lui et autour de lui et à accéder à la contemplation.

Finalement, le récit de J-P Roybon est une autre version de la quête du Ying et du Yang. Et il semble qu’après bien des épreuves, il s’en soit rapproché.

Franck Unimon, ce vendredi 9 aout 2019. 13h08.