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Un acte politique

Photo prise ce mercredi 18 aout 2021 à Argenteuil, non loin de la mairie et de la médiathÚque.

                                                 Un acte politique

La foule

 

 

« Tout acte est politique Â». Nous avons tous entendu ça un jour. A partir de lĂ , tirer la chasse d’eau dans les toilettes ou laisser dĂ©border la cuvette des chiottes- sans les nettoyer- peut aussi ĂȘtre vu comme un acte politique. Pisser par terre sans essuyer, aussi. 

 

Je n’ai pas de passĂ© de militant politique. J’ai trĂšs peu mouillĂ© le maillot dans des manifestations ou dans des assemblĂ©es syndicales, associatives ou autres. Je me mĂ©fie des mouvements de foule et de groupe. Il y a bien-sĂ»r ma conversion trĂšs facile au « thĂ©orĂšme Â» de l’humoriste Pierre Desproges qui expliquait que pour connaĂźtre le quotient intellectuel d’un groupe ou d’une foule, qu’il fallait le diviser par le nombre de personnes qui le ou la constituait.

 

Mais il y ‘a d’autres paramĂštres qui comptent pour moi et qui rejoignent ce « thĂ©orĂšme Â».

 

Une foule, Ă  moins d’y aller en famille, c’est beaucoup de personnes inconnues. On peut bien sĂ»r y faire des rencontres indispensables. Mais, le plus souvent, la plus grande partie de celles et ceux que nous avons cĂŽtoyĂ©es restent pour nous des anonymes. On est moins maitre de soi dans une foule. En terme de repli, d’esprit critique mais aussi pour nos dĂ©cisions.

 

D’une certaine façon, se mĂȘler Ă  la foule, c’est lui faire confiance. Et, tout le monde qui constitue cette foule se livre Ă  cette confiance assez aveugle. On suit le mouvement. Ça peut donner Ă  vivre des moments trĂšs agrĂ©ables, de liesse ou de grande communion.  Pacifique ou destructrice. Ça peut aussi revenir Ă  se retrouver dans une cuvette remplie de dĂ©sherbant lorsque ça dĂ©rape. Ou lorsque la peur remplace solidement le fragile sĂ©diment d’union.

 

Les incendies du Monde

 

Ces deux-trois derniers jours, on parle de plus en plus des incendies en Chine, en Russie et dans une autre partie du Monde. Tout cela est liĂ© Ă  la dĂ©sertification et au rĂ©chauffement climatique. On parle aussi des Talibans qui ont repris l’Afghanistan depuis le dĂ©part des derniĂšres troupes militaires amĂ©ricaines. L’opticien avec lequel j’ai mes habitudes m’a parlĂ© des conditions de vie qui se sont particuliĂšrement dĂ©gradĂ©es au Liban ces derniĂšres semaines. Il est trĂšs difficile d’y trouver du pain. De l’essence pour les voitures. Les gens ont droit Ă  vingt litres d’essence. Les coupures d’Ă©lectricitĂ© sont frĂ©quentes. La retraite n’existe pas au Liban. On y travaille jusqu’Ă  la mort. Son grand-pĂšre, atteint d’un cancer, travaillait encore une semaine avant sa mort.  

 

Ces sujets- et d’autres- sont inquiĂ©tants. Ils permettent aussi de parler d’autres sujets que la pandĂ©mie du Covid, des pro-vaccins, des anti-vaccins, et des dĂ©sunions profondes que ces sujets causent.

 

Mais sans parler de ça, et avant mĂȘme que de nouveaux actes terroristes n’assombrissent encore plus nos visages, quelques Ă©vĂ©nements quotidiens banals nous montrent dĂ©jĂ  que notre union gĂ©nĂ©rale a une composition assez voisine de celle de certains de ces produits que l’on achĂšte en grande surface.

 

Il y a un peu plus de trois ans, alors que l’on parlait davantage des attentats terroristes islamistes, une jeune femme avait dĂ» subir l’insistance d’un homme en public. C’était dans le mĂ©tro Ă  une heure de pointe. L’homme Ă©tait un « beau bĂ©bĂ© Â», d’un mĂštre quatre vingt Ă  un mĂštre quatre vingt dix. Il devait porter un vĂȘtement militaire pour que je me sois imaginĂ© qu’il devait ĂȘtre du genre engagĂ© dans l’armĂ©e. Laquelle lui permettait sans doute d’avoir des rĂšgles de vie. Une tenue de route. Des ordres Ă  appliquer. Une discipline.

 

LĂ , livrĂ© Ă  lui-mĂȘme, parachutĂ© dans la vie et l’isolement social,  il avait bu quelques biĂšres. En canettes ou en petites bouteilles de verre. Il Ă©tait plus lourdaud qu’un pervers Ă  la Fourniret. Mais il Ă©tait nĂ©anmoins imposant, intimidant et Ă  cĂŽtĂ© de la plaque.

La jeune femme avait peine Ă  se soustraire de ses « avances Â». Dans le mĂ©tro qui s’ébrouait, sur la ligne 4, personne ne bougeait. Un de ces mĂ©tros « serpent Â» oĂč toutes les voitures communiquent entre elles.

 

C’est en entrant dans le mĂ©tro et en m’asseyant  Ă  quelques mĂštres que j’ai vu ça. Ce jour-lĂ , je n’ai pas rĂ©flĂ©chi. Parce-que pour agir « juste Â», c’est cela le paradoxe, que ce soit en amour, lors d’une dispute ou pour aider quelqu’un, il faut aussi savoir
ne pas rĂ©flĂ©chir. Savoir se faire confiance. S’exprimer comme ça nous vient.

 

L’homme aux lunettes jaunes

 

Ce jour-lĂ , j’ai Ă©tĂ© suffisamment confiant pour, trĂšs vite, faire signe Ă  la jeune femme de venir s’asseoir Ă  cĂŽtĂ© de moi. Une place Ă©tait libre. La jeune femme a vu mon geste puisqu’elle s’est dĂ©placĂ©e jusqu’à moi. Je ne suis plus sĂ»r qu’elle se soit assise Ă  cĂŽtĂ© de moi. Mais je sais lui avoir parlĂ© et lui avoir demandĂ© oĂč elle voulait descendre. C’était une ou deux stations de mĂ©tro plus loin.

Quelque chose dans mon attitude avait vraiment dĂ» lui inspirer confiance car, Ă  cette Ă©poque, je portais des lunettes de vue plus ou moins Ă  double foyer dont les premiers verres Ă©taient de couleur jaune. Si j’était plutĂŽt content de mon choix alors, aujourd’hui, lorsque je revois certaines photos de moi avec ces lunettes, je me dis que je n’étais pas du tout Ă  mon avantage.

 

Le gros bĂ©bĂ©, lui, seul sur la piste, comme si une femme l’avait plantĂ© en plein slow, s’était un peu Ă©nervĂ©. Il avait jetĂ© sa canette de biĂšre par terre. De la mousse avait coulĂ©. Il avait fait quelques pas  dans notre direction. Un autre homme, plus jeune que moi, plus petit que notre « gorille Â», mais aussi plutĂŽt longiligne s’était comme mis sur la trajectoire de « l’envahisseur Â». Lequel avait aboyĂ© des propos ou des menaces que notre deuxiĂšme homme, notre deuxiĂšme ligne, avait laissĂ© passer. Puis, ça avait Ă©tĂ© « tout Â».

 

Notre jeune femme avait pu sortir du mĂ©tro. Je serais incapable de la dĂ©crire. Je me rappelle qu’un homme, un peu plus loin, m’avait ensuite adressĂ© un regard. Comme si, pour lui, j’avais pu constituer une forme de soutien. Alors que j’estimais ĂȘtre presque rien. Je ne sais pas de quoi j’aurais Ă©tĂ© capable si notre « homme Â» avait Ă©tĂ© agressif physiquement envers moi. Je n’y avais pas rĂ©flĂ©chi en faisant signe Ă  cette jeune femme. Je n’avais pas eu le temps d’avoir peur. Mais j’avais eu le temps de me dire qu’en cas de nouvel attentat (ce devait ĂȘtre aprĂšs l’attentat du Bataclan), la plupart de ces personnes prĂ©sentes dans ce mĂ©tro, ce jour-lĂ , seraient parties dans tous les sens. Et que les terroristes auraient pu en faire ce qu’ils voulaient. Dans les rues de Paris et au Bataclan, les terroristes avaient pris leur pied en tirant sur des gens Ă  balles rĂ©elles comme dans une fĂȘte foraine. Dans ce qui venait de se passer avec cette jeune femme, je ne voyais pas de quel genre d’Ă©chappatoire nous aurions pu disposer face Ă  un scĂ©nario terroriste identique Ă  celui du Bataclan. Et, cela, les terroristes le savent. L’Etat, aussi. 

L’Ami de quelqu’un

 

C’est aussi pour cela, sĂ»rement, que je me mĂ©fie des foules. Lors d’une action commune, je prĂ©fĂšre ĂȘtre entourĂ© de peu de personnes et bien les connaĂźtre. Et, Ă©videmment, plus cette action commune sera dĂ©licate, plus j’aurai sans doute besoin de bien connaĂźtre ces personnes qui m’entourent afin de pouvoir mieux me coordonner avec elles. On critique trĂšs souvent les personnes qui, dans les transports en commun, ne bougent pas en cas d’agression. Cette « passivitĂ© Â» s’explique aussi par le fait que toutes ces personnes entre elles ne se connaissent pas et ne connaissent pas la victime. Et, l’agresseur ou les agresseurs profitent  aussi de cette brĂšche. De cette opportunitĂ©.

 

Aujourd’hui, on se dit facilement ĂȘtre l’ami de quelqu’un. Mais c’est une formule. Y compris une formule de politesse. Il est facile d’ĂȘtre l’ami de quelqu’un lorsque tout sourit. Et c’est agrĂ©able, aussi. On ne peut pas souhaiter rester en permanence sur le qui-vive et dans la mĂ©fiance. On ne peut pas passer son temps Ă  devoir ramper constamment dans la boue et le froid, en pleine nuit, le ventre vide, afin d’échapper Ă  des furies. Ou juste pour se rendre Ă  une sĂ©ance de cinĂ©ma ou pour prendre un verre dans un bar avec quelqu’un.

 

L’anomalie

 

Aujourd’hui, j’ai raccompagnĂ© ma fille Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville. J’ai vite renoncĂ© Ă  faire remarquer aux bibliothĂ©caires que je « connais Â» et qui me « connaissent Â» qu’il y a une grosse anomalie dans le fait que des gens comme moi, non vaccinĂ©s contre le Covid, soient dĂ©sormais interdits d’accĂšs de la mĂ©diathĂšque. Je crois que faire part de cette anomalie aux bibliothĂ©caires les mettrait mal Ă  l’aise. Je me suis contentĂ© de les saluer de loin. Nous nous sommes souris. Je me suis aussi demandĂ© combien de fois faudrait-il que des usagers familiers comme moi repassent et restent ainsi presqu’à la « porte Â» de la mĂ©diathĂšque pour que l’une ou l’un d’entre eux, Ă  un moment donnĂ©, finissent par se dire qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette situation. Je me suis aussi demandĂ© combien de temps, si j’étais Ă  leur place, ou lorsque je suis Ă  leur place dans mon travail, me faudrait-il/me faut-il, pour m’apercevoir qu’il y a quelque chose qui cloche dans ma conduite au regard de certaines situations.

 

L’anomalie est  que la mairie de ma ville ne propose aucune alternative. Car les impĂŽts que je paie depuis des annĂ©es contribuent au financement des institutions publiques comme les mĂ©diathĂšques et les hĂŽpitaux publics. L’Etat et donc la mairie de ma ville n’ont donc aucune lĂ©gitimitĂ© Ă  m’interdire totalement l’accĂšs Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville. Ou, ils se doivent de me proposer un service alternatif. Car je paie pour ce service public avec mes impĂŽts. Or, depuis plusieurs jours maintenant, l’Etat prend l’argent de mes impĂŽts mais ne me rend pas le service pour lequel mes impĂŽts- et ceux des autres citoyens vaccinĂ©s et non-vaccinĂ©s contre le Covid- le paient. Et, la mairie de ma ville se comporte donc comme un exĂ©cutant zĂ©lĂ© de l’Etat. C’est un exĂ©cutant de poids mais, aussi, un exĂ©cutant dĂ©cĂ©rĂ©brĂ© qui manque totalement de recul. Et qui manque, lĂ , Ă  sa mission d’inclusion sociale et culturelle.

Lorsqu’une entreprise prend l’argent ou reçoit de l’argent de ses actionnaires, elle lui doit des contreparties. Sauf si les actions n’ont plus de valeur. Dans ce cas, les actionnaires ont perdu leur argent. Refuser l’accĂšs Ă  des institutions publiques Ă  des personnes qui paient leurs impĂŽts parce-qu’, actuellement, ces personnes ne fournissent pas de passe sanitaire ou de test PCR ou antigĂ©nique nĂ©gatif, cela signifie aussi que, pour l’Etat, les “actions” du service public n’ont aucune valeur. 

 

C’est presque le contenu du mail que j’ai envoyĂ© tout Ă  l’heure Ă  la mairie de ma ville.  Je ne sais pas quand ce mail sera lu. Nous sommes en plein mois d’aout, pendant les grandes vacances. Et, je ne suis personne. Je n’ai pas des millions de vues sur une chaine Youtube. Je n’ai aucun ami dans les sphĂšres politiques, mĂ©diatiques ou dans le monde des affaires. Mais mon mail est sans doute un acte politique. Et, je n’ai pas prĂ©vu d’aller boire de la biĂšre dans un mĂ©tro en attendant que l’on me rĂ©ponde.

 

Franck Unimon, ce mercredi 18 aout 2021.

 

 

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Mes impĂŽts

Photo prise le 6 aout 2021 Ă  Argenteuil. J’ai revu cette affiche quelques jours plus tard Ă  Paris. Le message est que les baisers “profonds” sont Ă  “jeter” puisque susceptibles d’ĂȘtre transporteurs du virus du Covid. C’est un hasard si le vĂ©hicule de transport se trouvait lĂ  au moment oĂč j’ai pris la photo.

Mes impĂŽts

Mais, au fait ! Moi, le non-vaccinĂ©, coupable de vivre encore sans passe-sanitaire


Tous les mois, depuis des annĂ©es, je paie bien des impĂŽts ? Et, maintenant que le prĂ©lĂšvement de l’impĂŽt sur le revenu se fait Ă  la source, chaque mois, sur mon salaire, sont bien prĂ©levĂ©s mes impĂŽts ?

 

 

 

Mes impĂŽts participent aussi au financement des hĂŽpitaux publics, des bibliothĂšques et autres services
.alors, je paie pour ça mais je n’y ai plus le droit depuis quelques jours ( En allant Ă  la mĂ©diathĂšque ce samedi 14 aout 2021). Sauf pour les urgences Ă  l’hĂŽpital.

Ça fait penser un peu Ă  du racket dans un pays supposĂ© Ă©galitaire. Ou ça pousse Ă  croire que l’Etat, au moins, et celles et ceux qui appliquent ces nouvelles mesures s’assoient sur certaines lois. Sans penser Ă  mal, bien-sĂ»r.

 

On a le droit d’ĂȘtre pro-vaccin et mĂȘme d’ĂȘtre persuadĂ© que les anti-vaccins sont des crĂ©tins, des illuminĂ©s, et tout ce qui s’ensuit. Mais cette histoire d’impĂŽts devrait faire rĂ©flĂ©chir n’importe qui. Mais, apparemment, pas trop. La rĂ©flexion semble se limiter Ă  : seringue ou pas seringue. Pas au delĂ .

A cĂŽtĂ© de ça, les nouvelles mesures sanitaires (passe sanitaire obligatoire) sont appliquĂ©es sans discernement. De l’Etat au simple employĂ© qui ne fait qu’executer 
.

Bonne nuit.

 

La mĂȘme affiche qu’au dĂ©but de cet article, photographiĂ©e cette fois quatre jours plus tard Ă  Paris, le 10 aout 2021. Sortie Ă  Paris qui m’a ensuite inspirĂ© l’article “Paris sans passe : Atterrissage ethnique”.

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 15 aout 2021.

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En allant à la médiathÚque ce samedi 14 aout 2021

 

En allant à la médiathÚque ce samedi 14 aout 2021

 

La peur d’un complot

 

 

En allant Ă  la mĂ©diathĂšque ce samedi 14 aout 2021, je savais que je ne pourrais y entrer dĂ©sormais. DĂ©sormais, un passe sanitaire est obligatoire Ă  l’entrĂ©e. « Ou un rĂ©sultat nĂ©gatif Ă  un test PCR ou antigĂ©nique Â» a ajoutĂ© la bibliothĂ©caire qui a ajoutĂ© avoir reconnu ma voix lorsque je l’ai appelĂ©e par son prĂ©nom.

 

14 ans que je me rends Ă  cette mĂ©diathĂšque. Cette fois, je faisais le trajet pour y accompagner ma fille qui, fort heureusement, maintenant, connaĂźt l’endroit et la plupart des gens qui y travaillent. Cette situation oĂč je la « dĂ©pose Â» Ă  l’entrĂ©e de la mĂ©diathĂšque et reviens ensuite la chercher est bien-sĂ»r un bon moyen d’autonomisation pour elle. « D’autres parents font comme ça, aussi Â» m’avait Ă©galement dit la mĂȘme bibliothĂ©caire au tĂ©lĂ©phone.

 

Au prĂ©alable, j’avais expliquĂ© le « topo Â» Ă  ma fille. En quelques mots. Elle avait pris ça calmement et Ă©tait plutĂŽt contente de dĂ©couvrir qu’elle pourrait utiliser la carte de prĂȘt, toute seule. Pour le dvd du dessin animĂ© Trolls 2, ce serait Ă  elle qu’il reviendrait d’aller solliciter la bibliothĂ©caire afin de lui demander si elle pourrait le rĂ©emprunter. Car elle n’avait pas eu le temps de le regarder.

 

En nous rapprochant de la mĂ©diathĂšque, je suis tombĂ© sur ce panneau de la Licra contre l’antisĂ©mitisme. Je comprends la campagne contre l’antisĂ©mitisme. Mais j’ai Ă©tĂ© surpris par la pĂ©riode d’apparition de ce panneau. Pourquoi maintenant, un 14 aout ? Alors qu’une bonne partie des gens sont, en principe, en vacances. Et puis, je ne saisissais pas cette phrase qui Ă©tait apparemment un tĂ©moignage :

 

« En m’associant Ă  la peur d’un complot, on donne un visage Ă  l’antisĂ©mitisme Â».

 

Signé David.

 

Aujourd’hui, le mot « complot Â» est directement associĂ© Ă  celles et ceux qui sont contre les vaccins anti-Covid ou qui expriment des doutes Ă  leur sujet.

 

Et, puis, cet homme sur la photo donne l’impression que c’est lui, l’antisĂ©mite. Puisque c’est son visage qui apparaĂźt. Or, il est supposĂ© ĂȘtre juif. Qu’est-ce que c’est que ce message contradictoire ?! Cette phrase sĂ»rement sincĂšre et pourtant si alambiquĂ©e que j’avais du mal Ă  la dĂ©crypter ?!

 

Passer de ce « Je Â» implicite ( “En”)  Ă  « On Â». Quel flou ! Comment la Licra avait t’elle pu lancer une campagne avec des propos aussi ambigus ? Ou bien, avais-je mal vu ?

 

Je ne savais plus. Je ne sais plus.

 

Rester dans la mĂȘme histoire

 

J’ai pris le temps de prendre cette affiche en photo. Puis, j’ai rejoint ma fille. Avant de traverser la route, je me suis dit :

 

« Peu importe que l’on ait (la) raison ou qu’on l’ait perdue : la folie, c’est rester dans la mĂȘme histoire en se blottissant contre l’impossibilitĂ© ou la difficultĂ© d’en sortir. En la voyant comme le rĂ©servoir de l’HumanitĂ© et l’intĂ©gralitĂ© de nos vies Â».

 

A partir de ce 12 juillet 2021, avec un gros pic dĂ©but aout, j’ai beaucoup parlĂ© du Covid et des vaccins dans mes derniers articles. C’est « normal Â», ce sujet nous occupe tous. Et il va continuer de le faire. Mais ne parler que de « lui Â» et des vaccins, c’est s’immerger soi-mĂȘme la tĂȘte dans une marmite et l’y laisser cuire.

 

Je parlerai donc Ă  nouveau du Covid dans mes articles. Mais, autant que possible, moins. Parce-que je ne crois pas qu’en plein conflit armĂ©, en prison ou en d’autres circonstances de vie difficiles que les gens qui survivent et s’en sortent le mieux ne passent leur temps qu’à parler de ce qui se trouve ou de ce qui peut bien encore se trouver au fond de la marmite. Et de sa fabrication, de son volume rĂ©el mais aussi de sa couleur. Ce genre d’informations, mĂȘme en nous concentrant, nous dĂ©passe : le volume rĂ©el de la marmite, sa profondeur exacte
.tout cela, nous ne l’apprendrons, si nous sommes encore prĂ©sents Ă  cette date, que lorsque  notre histoire avec cette marmite sera rĂ©ellement terminĂ©e. Or, pour l’instant, cette histoire est encore en cours.

 

Combattre, rĂ©sister, s’évader

 

Quant Ă  la façon de combattre, de rĂ©sister, ou de s’évader, il en existe plusieurs. Rarement une seule Ă  ce que j’ai compris. Et, il convient de rĂ©ussir Ă  trouver celle qui nous correspond le mieux.

 

A quelques mĂštres devant l’entrĂ©e de la mĂ©diathĂšque, une table dehors. DerriĂšre elle, une bibliothĂ©caire que je connaissais bien-sĂ»r. J’ai fait mes derniĂšres recommandations Ă  ma fille et lui ai dit l’heure Ă  laquelle j’allais revenir la chercher. La bibliothĂ©caire, pĂ©dagogue, lui a traduit :

 

« Donc, ça te fait trois quarts d’heure Â». Je ne pouvais pas faire plus pour cette fois.

 

Je suis allĂ© faire quelques courses chez le marchand de primeurs. Je suis passĂ© Ă  la bonne heure. J’étais le seul client.

 

A mon retour, j’ai essayĂ© de voir avec la bibliothĂ©caire comment me faire Ă  ces nouvelles rĂšgles. Elle m’a confirmĂ© que je pouvais faire des rĂ©servations sur le site de la mĂ©diathĂšque. Mais m’a expliquĂ© qu’ils n’étaient pas assez nombreux en personnels pour organiser un « Drive Â». Il faudrait donc que quelqu’un qui dispose d’un passe sanitaire, ou ma fille, aille chercher les documents rĂ©servĂ©s Ă  ma place. Ce genre de solution n’a rien d’exceptionnel. A l’extrĂȘme, je « sais Â» que dans certains conflits armĂ©s, des parents ont pu cacher des armes dans les cartables de leurs enfants afin que ceux-ci passent les contrĂŽles. LĂ , il s’agirait juste de me porter quelques livres ou cds. Cela pourrait ĂȘtre assez gratifiant pour ma fille. Mais cela m’emballe modĂ©rĂ©ment. Et, de la solliciter pour ça. Mais, aussi, de solliciter qui que ce soit d’autre.

 

Si j’étais gravement malade, trĂšs occupĂ© ou un grand criminel recherchĂ© dans toute la France, je pourrais Ă  la limite recourir Ă  cette « mĂ©thode Â». Mais, lĂ , je suis parfaitement en Ă©tat pour effectuer mes dĂ©marches moi-mĂȘme. Mon casier judiciaire est vierge.

Sauf que les rĂšgles ont changĂ© depuis le 9 aout. Je peux entrer dans n’importe quelle Fnac de France avec mon masque anti-Covid. J’ai vu il y a quelques jours que j’aurais pu entrer dans une bibliothĂšque en plein Paris sans passe sanitaire. Dans le 1er arrondissement. Si je cherche bien,  il doit donc y avoir encore d’autres bibliothĂšques oĂč il est toujours possible d’entrer sans passe sanitaire, en portant un masque anti Covid.

Certaines mairies par contre, comme celle de ma ville, font peut-ĂȘtre du zĂšle en matiĂšre de mesures sanitaires. Je n’ai pas les moyens de m’y opposer. Pour l’instant, je n’ai donc plus le droit d’entrer dans la mĂ©diathĂšque de ma ville et, un peu, de ma vie.

 

A partager

 

Ma fille et moi sommes ensuite repartis. Elle, insouciante, et c’est normal, moi, plus partagĂ© mais aussi discret que possible pour ne pas la concerner par cette situation particuliĂšre.

 

PartagĂ© parce-que je ne sais pas combien de temps il sera autorisĂ© qu’elle puisse accĂ©der Ă  la mĂ©diathĂšque sans passe sanitaire ou autre restriction qui ne finit de s’ajouter Ă  notre quotidien. PartagĂ© parce-que, d’une certaine façon, je fais peser sur ma fille les consĂ©quences d’une dĂ©cision qui ne devrait regarder que les adultes entre eux. Or, cette pandĂ©mie n’est pas seulement sanitaire. Elle est aussi sociĂ©tale et imprĂšgne tous les rayons et toutes les Ă©tagĂšres sur lesquels reposent toutes les cultures que nous empruntons, dĂ©nigrons ou ignorons.

 

Franck Unimon, ce dimanche 15 aout 2021.

 

 

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Seine de crime

Photo prise ce lundi 9 aout 2021.

 

Seine de crime

 

 

C’était le jour. Il m’a fallu plusieurs mois pour passer avec ma fille devant ce viaduc.

 

Viaduc oĂč, le 8 mars de cette annĂ©e, la jeune Alisha, piĂ©gĂ©e par une amie de son lycĂ©e, avait Ă©tĂ© passĂ©e Ă  tabac puis jetĂ©e quelques mĂštres plus bas dans la Seine. Fleuve dans lequel elle a dĂ©cĂ©dĂ© en Ă©tat de choc sous les effets conjuguĂ©s de l’hypothermie, de l’épuisement et du dĂ©sespoir.

 

C’était la troisiĂšme fois dans ma vie, aujourd’hui, que je repassais devant ce viaduc.

 

J’ai connu cet endroit par ce crime.

 

Autrement, prĂšs de lĂ  se trouve un chemin de halage, le long de la Seine, qui mĂšne Ă  peu prĂšs jusqu’à St-Denis en partant d’Argenteuil.  Des gens s’y promĂšnent, font leur footing ou y circulent Ă  vĂ©lo. Au dessus de ce viaduc, l’autoroute A15 qui dirige vers le Val d’Oise au delĂ  dans un sens. Et vers Paris et d’autres dĂ©partements d’üle de France dans l’autre sens. De l’autre cĂŽtĂ© de la Seine, Gennevilliers et sa zone portuaire et industrielle avec ses containers. Un lieu de croisements et de directions. Un dĂ©potoir, aussi.

 

Je sais qu’il ne faut pas rester sur de mauvaises impressions. Mais, jusque lĂ , je n’étais pas prĂȘt Ă  les traverser avec ma fille. C’est fait. Ce viaduc est Ă  Argenteuil oĂč nous habitons.

 

AprĂšs avoir rejoint la ville d’Epinay sur Seine, nous sommes allĂ©s jusqu’au centre Ă©questre de Villeneuve la Garenne.

 

A notre retour, je me suis arrĂȘtĂ© un peu pour prendre cette photo. Sans dire un seul mot de ce qui s’était passĂ© lĂ . A la place, j’ai rappelĂ© Ă  ma fille que pour repartir il y avait une cĂŽte Ă  monter. Elle a essayĂ© de la franchir sur son vĂ©lo. Mais c’était trop difficile pour elle. Je suis descendu de mon vĂ©lo et l’ai attendue. Nous avons continuĂ© Ă  pied jusqu’à ce que nous puissions remonter tous les deux sur notre vĂ©lo pour rentrer.

 

Alisha n’est pas remontĂ©e. Et, elle n’est pas rentrĂ©e. ( Marche jusqu’au viaduc)

 

Franck Unimon, ce mardi 10 aout 2021.

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Avant de rentrer

 

                                                        Avant de rentrer

 

Avant de rentrer, j’ai passĂ© quelques minutes dans la rue Ă  remuer le ciel.

 

Je trouve que depuis le mois de mars, il y a, de nouveau, comme l’annĂ©e derniĂšre, une trĂšs belle luminositĂ© dehors. Et, tout Ă  l’heure prĂšs du boulevard oĂč se trouve notre immeuble, en regardant vers la gare, le ciel Ă©tait beau. ChargĂ© de nuages et d’histoires. ClairsemĂ© de liserĂ©s de lumiĂšre. Avec le soleil, qui, cachĂ© par les nuages, devenait lune.

Et les gens passaient Ă  pied sans regarder pour aller Ă  la gare. Les voitures tournaient. Les bus passaient. Pendant que d’autres personnes, debout, faisaient la queue devant le laboratoire d’analyses mĂ©dicales.

 

Je me suis dit que c’était parce-que, nous, les ĂȘtres humains, nous sommes devenus incapables de faire attention Ă  ce qui se passe dans le ciel, mais aussi de l’admirer, que nous sommes devenus malades. Que nous avons besoin de faire des analyses. Que nous avons besoin de toutes sortes de drogues. Que nous avons besoins de consoles de jeux.

 

J’ai profitĂ© de ces quelques minutes, dehors, Ă  prendre des photos et Ă  essayer de saisir le soleil. MĂȘme si, en soi, cette partie de la ville n’est pas jolie.

 

Car je me suis dit que tant que j’étais capable d’ĂȘtre content de moments pareils, que tout allait bien. Que je me portais encore suffisamment bien. MĂȘme si, je suis aussi rĂ©guliĂšrement et souvent toutes ces personnes qui, en bien des circonstances, partent faire des analyses mĂ©dicales. Prennent des drogues. Tournent dans leur voiture. Prennent le bus.

 

Sans regarder.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 30 avril 2021.

 

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Chemin de halage

Sur le chemin de halage entre Argenteuil et Epinay sur Seine. Vers Argenteuil et la A15, ce mercredi 7 avril 2021, un peu avant midi.

                                                      Chemin de halage

 

Je suis parti interroger mon corps. J’avais besoin d’informations. Il a bien voulu se laisser faire. MĂȘme si, au prĂ©alable, il m’a fallu tout un tas de prĂ©paratifs. C’en Ă©tait ridicule. C’était beaucoup plus simple lorsque j’étais plus jeune.

Mais, lĂ , avais-je les bonnes chaussures ? Mes chaussettes Ă©taient-elles assez minces pour ne pas trop martyriser mes petits pieds ? Car les baskets, pendant le footing, avec le poids du corps et l’afflux du sang, ça comprime.

La veste. Avais-je la bonne veste ? Non, pas ce k-Way- lĂ  dans lequel j’allais suer tel un champignon rissolĂ© mais plutĂŽt celle en goretex. Si je l’avais achetĂ©e, c’était bien pour qu’elle me serve. Ah, oui, mes clĂ©s. Juste celles dont j’avais besoin. Je n’aime pas quand ça fait bling-bling quand je cours. Peut-ĂȘtre parce-que je crains que l’on confonde le bruit des clochettes avec celui du mouvement de recul de mes testicules.

Et, la petite compote, facile Ă  avaler, ça peut servir en cas d’hypoglycĂ©mie. Avale-donc un peu d’eau avant de partir. Tu as la bouche sĂšche. Et un petit bout de chocolat, aussi, car la matinĂ©e est avancĂ©e. Tu as pris ton petit-dĂ©jeuner il y a plus de quatre heures. Et, on dirait que tu commences Ă  avoir faim


 

J’ai rajoutĂ© un masque anti-covid que j’ai mis dans une de mes poches. J’ai ouvert la porte de l’appartement et me suis engagĂ© sur le palier
.une pensĂ©e.

 

J’allais partir sans mes clĂ©s posĂ©es Ă  l’entrĂ©e.

 

J’ai attrapĂ© mes clĂ©s, un peu contrariĂ©. Enfin, j’étais prĂȘt. Un vrai mariĂ©. 

 

Dehors, la tempĂ©rature extĂ©rieure Ă©tait de 7 degrĂ©s. Mais, plus froid, ça n’aurait rien changĂ©. Je reste Ă©tonnĂ© de voir que certaines personnes attendent qu’il fasse chaud pour sortir le vĂ©lo ou faire un peu de sport. « Viens, on va se mettre au sport, il fait beau, aujourd’hui Â». Mais lorsque les tempĂ©ratures augmentent, notre corps se dĂ©shydrate plus vite. C’est rapidement la transe ou le sauna. Il faut ĂȘtre entraĂźnĂ©, condamnĂ© ou se prĂ©parer Ă  aller courir dans le dĂ©sert pour sortir faire du sport en pleine chaleur. Ou, bien-sĂ»r, ne rien changer Ă  sa vie sportive habituelle lorsque l’on a en une. Cela est assez oubliĂ©, mais l’un des propos du sport est aussi de nous prĂ©parer Ă  nous adapter Ă  notre environnement immĂ©diat (riviĂšre, escalade, barriĂšre de corail ou autre obstacle naturel ou mental se trouvant sur notre passage…). Cela dĂ©passe le simple fait de perdre des calories et du gras afin d’ĂȘtre suffisamment “slim” pour la sĂ©ance plage ou photo. La pratique sportive, seule, ne suffit pas Ă  faire de nous des aventuriers ou des guerriers redoutables. Mais elle peut nous aider Ă  nous Ă©lever au delĂ  de certaines de nos faiblesses.

 

Ces faiblesses peuvent aussi bien ĂȘtre d’avoir le souffle court ou d’avoir le rĂ©flexe de facilement croire ou penser que tout ce qui vient de nous est forcĂ©ment nul. Pratiquer rĂ©guliĂšrement et Ă  son rythme. En restant proche de la limite du plaisir. Cette rĂšgle est valable pour beaucoup de disciplines. 

 

A « l’ancienne Â» :

 

Je fais toujours mes footing Ă  « l’ancienne Â» : comme je l’ai appris Ă  l’adolescence.

Pas d’écouteurs dans les oreilles. Pas de podomĂštre. Pas de cardio frĂ©quencemĂštres, de montre connectĂ©e. Je prĂ©fĂšre. 

Si je laisse mon tĂ©lĂ©phone portable allumĂ©, c’est davantage pour connaĂźtre la distance parcourue, peut-ĂȘtre en cas d’appel ou de message important. Ou pour faire des photos. Surtout, aujourd’hui. Il fait beau. Et, ce matin, vers 7h, j’ai repensĂ© au viaduc oĂč la jeune Alisha est morte le 8 mars dernier.

 

Si je ne disais que ça, je paraitrais ĂȘtre sous l’emprise d’un atavisme morbide.

 

Inconsolable

 

 

Lorsque ce matin, j’ai eu l’idĂ©e d’y retourner, j’ai d’abord pensĂ© appeler cet article Inconsolable. Dans la musique que j’écoute dĂ©sormais, Jimi Hendrix avait remplacĂ© AgnĂšs Obel depuis longtemps. AgnĂšs Obel dont un critique avait Ă©crit, il y a quelques annĂ©es, qu’au dĂ©but d’un de ses concerts, concert auquel il avait assistĂ©, il avait d’abord eu l’impression qu’elle sortait d’un rĂ©frigĂ©rateur. Tant sa musique Ă©tait froide. Si j’avais aimĂ© et enviĂ© cet humour, le critique avait nĂ©anmoins remarquĂ© qu’à mesure de l’écoute, la musique d’Obel avait fini par l’atteindre.

 

En Ă©coutant Jimi Hendrix, ce laveur de solo, ce technicien de toute notre surface cĂ©rĂ©brale mais aussi crĂ©pusculaire, j’avais fini par comprendre la raison pour laquelle, mĂȘme si j’ai dansĂ© sur ses titres, j’ai toujours conservĂ© une rĂ©serve envers Prince, ce gĂ©nie musical. Je me rappelle d’un article oĂč l’on parlait de la guitare de Prince, comme de son « arme de destruction massive Â». Mettez vos oreilles au contact du coffret Songs for Groovy Children , lors des concerts donnĂ©s par Jimi Hendrix fin 1969, dĂ©but 1970 et vous changerez d’avis. Prince devait avoir 12 ou 13 ans en 1969. Il a sĂ»rement entendu parler de ce concert, et encore plus d’Hendrix.

Quand je pense qu’il a fallu payer « seulement Â» 6 dollars ( les dollars de l’époque) pour voir Hendrix en concert en 1969.

 

Un de mes collĂšgues m’a dit rĂ©cemment : « Lorsque des gens disent que Prince Ă©tait un trĂšs grand guitariste, ils mentent. MĂȘme si c’était un gĂ©nie Â». On peut trouver ce jugement ingrat. A moins d’avoir Ă©coutĂ© Hendrix et de se rappeler, Ă  nouveau, qu’Eric « God Â» Clapton, lui-mĂȘme, avait pris peur en dĂ©couvrant Hendrix sur scĂšne en Angleterre, dans son royaume uni. J’ai lu que Clapton peut raconter qu’il avait en quelque sorte trouvĂ© son rythme de croisiĂšre avec son groupe (loin d’ĂȘtre des musiciens amateurs) et qu’il se croyait Ă©tabli. Lorsque Hendrix, arrivant des Etats-Unis, a dĂ©barquĂ© sur scĂšne. Hendrix qui avait, Ă  ses dĂ©buts, tournĂ© un peu avec Ike Turner, avant que celui-ci, selon certains dires, en aurait eu assez. Car Hendrix prenait trop de solos. En Ă©coutant le coffret de Songs For Groovy Children, la durĂ©e des titres ( plusieurs dĂ©passent la dizaine de minutes) et la “longueur” des solos de Jimi Hendrix, on peut s’amuser Ă  imaginer la tĂȘte d’Ike Turner s’il avait Ă©tĂ© sur scĂšne dans ces moments-lĂ . 

Hendrix n’Ă©tait pas un artiste de foire. Et il Ă©tait encore moins prĂȘt Ă  rester enfermĂ© dans une cage tel un hamster auquel on viendrait parler de temps en temps. Sa musique, dans ce coffret, m’a tellement consolĂ© qu’en l’écoutant, j’avais envie de pleurer. Le bibliothĂ©caire Ă  qui j’en ai parlĂ© a paru surpris. Alors qu’il avait Ă©tĂ© le premier Ă  avoir un air un peu navrĂ©, lorsqu’il y a quelques mois, je m’Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă  emprunter une anthologie de Johnny Halliday. Oui, Johnny Halliday. Dans un magazine de musique rĂ©putĂ©, j’avais lu une bonne critique sur un de ses albums qui datait des annĂ©es 60 ou 70. Je “savais” peut-ĂȘtre dĂ©ja que Johnny avait sollicitĂ© Hendrix afin que celui-ci fasse sa premiĂšre partie. Par contre, je savais beaucoup moins que Johnny et Jacques Brel Ă©taient trĂšs proches. Dans la musique, comme en art et dans la vie d’une façon gĂ©nĂ©rale, les gens les plus ouverts et les plus rock’n’roll, peuvent ressembler assez  peu Ă  celles et ceux Ă  qui l’on s’attendait en prime abord. 

Bien que nos yeux soient souvent des guichets ouverts, nous regardons souvent celles et ceux qui nous entourent tels des aveugles…

 

Tout amateur de musique attend ces moments oĂč l’artiste va lĂącher un solo. Et oĂč ce solo le saisira le plus longtemps possible. Dans le coffret Songs for Groovy Children, Hendrix en lĂąche, des solos. Ce faisant, il les tient en laisse bien au delĂ  de la durĂ©e rĂ©glementaire. Et, sa voix ! Ce Blues. Solo/voix, solo/voix. Cela pourrait ĂȘtre deux personnes. C’en est une. Et, avec Hendrix, ses deux autres musiciens, basse, chant, batterie qui suivent et sont loin d’ĂȘtre des scissions secondaires.

 

 

Cependant, avant Jimi Hendrix, j’avais rĂ©Ă©coutĂ© le Zouk de Jean-Michel Rotin. Un autre style. Un artiste plus “rĂ©cent”, encore vivant, que j’ai sans doute trĂšs mal prĂ©sentĂ©.

 

 

Depuis, Jimi a Ă©tĂ© remplacĂ© ( le coffret Songs for Groovy Children, fastueux) par le concert d’Aretha Franklin Live at filmore West. J’ai empruntĂ© ce cd, avec d’autres, avant que le nouveau confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie ne « close Â» Ă  nouveau les mĂ©diathĂšques et autres lieux estimĂ©s « non essentiels Â».

Non-essentiels :

 

 Les deux artistes, Jimi Hendrix et Aretha Franklin ont rĂ©alisĂ© ces performances sur scĂšne vraisemblablement dans le mĂȘme festival, mais Ă  un ou deux ans d’intervalle.

 

 

On imagine un certain nombre de duos entre deux artistes que l’on aime bien. MĂȘme si, souvent pour des histoires d’ego et de sous, la plupart de ces duos ou de ces collaborations, sont morts nĂ©s. Un artiste en plein Ă©panouissement poursuit souvent une trajectoire vers ce qu’il pense ĂȘtre son chemin. Et, personne ne peut ou ne doit le faire en dĂ©vier, sauf s’il le dĂ©cide. Aretha Franklin, par exemple, Ă  ce que j’ai lu, toute croyante et fervente chanteuse de Gospel qu’elle Ă©tait, n’aspirait Ă  rien d’autre qu’ĂȘtre la meilleure et a considĂ©rĂ© d’autres chanteuses comme ses rivales, forcĂ©ment moins lĂ©gitimes qu’elle (Natalie Cole, Diana Ross
.)

 

 Ce matin, j’ai pensĂ© Ă  un duo Jimi Hendrix/ Aretha Franklin. Il n’y avait peut-ĂȘtre pas de rivalitĂ© entre les deux. Je ne sais pas s’ils se sont parlĂ©s ou rencontrĂ©s.

 

AprĂšs Aretha Franklin, j’ai Ă©coutĂ© le dernier album d’Aya Nakamura. Aujourd’hui, Aya Nakamura est une vedette internationale. On a pu voir des images du footballeur brĂ©silien, Neymar, superstar du Foot, et de l’équipe du PSG, danser sur son titre Djadja. Youtube n’existait pas Ă  l’époque d’Aretha Franklin et de Jimi Hendrix.

 

 

 

J’aime la musique d’Aya Nakamura. Et ce n’est pas la premiĂšre fois que je la cite. Mais en dĂ©couvrant son album (achetĂ©  hier Ă  la Fnac St Lazare demeurĂ©e ouverte, en pleine pandĂ©mie du Covid, alors que la mĂ©diathĂšque de ma ville, pour les mĂȘmes raisons, a Ă©tĂ© obligĂ©e de fermer son accĂšs au public depuis samedi dernier), j’ai bien Ă©tĂ© obligĂ© de constater que, comme me l’avait fait remarquer un des employĂ©s de la mĂȘme Fnac il y a environ deux ans, les paroles des chansons d’Aya Nakamura sont loin d’ĂȘtre
. des.prophĂ©ties.  Les gros mots ne me dĂ©rangent pas. C’est surtout le projet des textes :

 

«  Je t’ai aimĂ©. Tu m’as dĂ©sirĂ©. Tu m’as menti. Tu m’as trahi. Tu m’as pris pour une conne. Tu parles sur moi. Tiens, prends, ça dans ta figure. Et encore, ça. Je suis libre, j’ai de la fibre, je t’emmerde. Et je peux vivre sans toi. En plus, j’ai beaucoup de succĂšs. Et, toi, tu n’as rien. Qui te connaĂźt ?!  Tchip !».

 

ça fait trois albums que ça dure, et ça peut encore continuer comme ça longtemps puisque ses chansons ont du succĂšs. Je ne discute pas les atouts de sa musique. En Ă©coutant ses paroles, je comprends qu’une certaine jeunesse, en grande partie fĂ©minine dans un monde encore rĂ©glĂ© par et pour les hommes, puisse s’identifier Ă  ses Ă©mois ainsi qu’Ă  ses “exploits” ( sexuels, affectifs, Ă©conomiques ou autres).

Et puis, la musique d’Aya Nakamura donne particuliĂšrement envie de danser, toutes gĂ©nĂ©rations confondues. Ce qui est important pour toute personne qui aime danser ou qui est plutĂŽt Ă  l’aise pour le faire. Ce que peut avoir beaucoup de mal Ă  comprendre toutes celles et ceux, pour qui, le simple fait de taper nerveusement du pied suffit pour danser. Mais aussi celles et ceux qui voudraient dĂ©cortiquer du Shakespeare ou, pourquoi pas, du CĂ©saire, en toute circonstance.

La musique d’Aya Nakamura emballe tout le corps Ses titres, limitĂ©s Ă  3 ou 4 minutes, semblent Ă©tudiĂ©s pour ça. Ses phrases sont trĂšs simples Ă  retenir. Et, j’imagine trĂšs facilement un public conquis rĂ©pĂ©ter ses paroles en choeur en plein concert avec une trĂšs grande spontanĂ©itĂ© libĂ©ratrice. Et, aussi, frondeuse. 

 

Je constate bien, depuis que j’ai commencĂ© Ă  Ă©couter son album hier que deux ou trois titres me pendent Ă  l’oreille, tels Doudou ou Mon chĂ©ri, au moins. Si bien que je dois faire un effort pour remettre l’album d’Aretha Franklin afin de bien choisir le titre que je compte vous prĂ©senter. Alors que, spontanĂ©ment, j’ai surtout envie de remettre le Cd d’Aya Nakamura. Alors que je « sais Â» comme l’album live d’Aretha Franklin est plus que bon. Et qu’Aya Nakamura n’approchera sans doute jamais de sa voix les contrĂ©es et les inspirations qu’Aretha est allĂ©e chercher et a fait descendre sur terre pour qu’on puisse les entendre. Mais aussi, que mĂȘme en matiĂšre de “vice”,  Soeur Aretha Ă©tait encore bien plus indocile que petite soeur Aya. Amen.

 

Travailler, travailler, travailler :

 

Je ne doute pas non plus qu’Aya Nakamura soit une travailleuse dans sa veine artistique et musicale. Ainsi que celles et ceux qui l’entourent et la conseillent plutît bien.

 

 

 

Dans le dernier numĂ©ro du magazine Self &Dragon, il est demandĂ© au comĂ©dien Bruno Putzulu, un comĂ©dien dont j’aime beaucoup le travail et que j’avais aimĂ© voir au cinĂ©ma dans le film L’AppĂąt, film qui m’avait marquĂ© Ă  sa sortie au dĂ©but des annĂ©es 90, de feu Bertrand Tavernier- rĂ©alisateur dĂ©cĂ©dĂ© rĂ©cemment – les conseils qu’il pourrait donner Ă  quelqu’un voulant se lancer dans le mĂ©tier de comĂ©dien.

 

 

Pour pouvoir espĂ©rer rĂ©ussir dans le mĂ©tier de comĂ©dien, Putzulu commence par rĂ©pondre qu’il conseillerait Ă  un (e) apprenti( e ) comĂ©dien (ne) de :

« Travailler, travailler, travailler Â».

Putzulu connaĂźt Ă©videmment son sujet. Mais je vais pourtant le contredire. D’abord, en tant que comĂ©dien, mĂȘme s’il vit de son mĂ©tier, il fait partie de ces trĂšs bons comĂ©diens, qui sont Ă  mon avis sous-employĂ©s. Des comĂ©diens auxquels on ne propose pas des « grands rĂŽles Â» leur permettant d’étaler vĂ©ritablement ce qu’ils savent faire. Parce-que l’on ne pense pas Ă  eux. Parce-que l’on ne les choisit pas. Et, cela n’a rien Ă  voir avec leur capacitĂ© de travail.

 

Et que l’on ne me parle pas de la « grĂące Â». Parce-que, personne ne trouve Samuel Jackson ou Joey Starr ou Jean-Pascal Zadi Tout simplement Noir), ni mĂȘme Omar Sy Yao, Police-un film d’Anne Fontaine ) gracieux. Pourtant, personne, aujourd’hui, ne contestera leur « particularitĂ© Â», leur « originalitĂ© Â», leur « style Â», leur « personnalitĂ© Â» ou leur « talent Â». Parce-que, entre leurs dĂ©buts, et maintenant, ils ont chacun, de diffĂ©rentes façons, rencontrĂ© le succĂšs. Et se sont rendus “dĂ©sirables”. 

 

Et, le succĂšs, tout comme le dĂ©sir, lorsque tu Ă©volues dans un domaine artistique et public, ça se respecte voire ça se gĂšre ou ça se craint. Car cela reprĂ©sente un jackpot Ă©conomique potentiel si tu fais partie du “deal” ou de l’entourage immĂ©diat du poulain ou de la pouliche qui est trĂšs en vue ou qui peut remporter d’autres grands prix. 

 

Que tu t’appelles Aya Nakamura, Aretha Franklin ou Jean-Pascal Zadi. Peu importe le message que tu passes ou que tu essaies de faire passer. Peu importe que, dans le cas d’une Aretha Franklin, Martin Luther King soit venu dormir chez ton pĂšre, lors de certains meeting, ou que tu aies fait des concerts, gratuitement, en soutien pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les annĂ©es 60. Ou que, comme Aya Nakamura, tu parles de ruptures sentimentales, et de mecs qui n’assurent pas.

 

Le succĂšs, ça se respecte, et, il n’y a pas de rĂšgle Ă©tablie pour y parvenir. On peut se dĂ©foncer toute sa vie pour rĂ©ussir. Y compris avec son derriĂšre. Et Ă©chouer. C’est ça, le secret que tout le monde connaĂźt. Et pour enterrer un peu plus l’idĂ©e selon laquelle, la grĂące permettrait de diffĂ©rencier une personne qui en a d’une autre qui en serait dĂ©pourvue, on va se rappeler que, pour certaines et certains, la grĂące est tout de mĂȘme bien mise sur orbite, ou “aidĂ©e”, par l’entourage stratĂ©gique que l’on connaĂźt, et le moment, aussi, oĂč l’on apparaĂźt en public. Ensuite, c’est Ă  nous de jouer. Soit on fait tout de travers. Soit on “fait le travail” pour lequel on a Ă©tĂ© prĂ©parĂ©. 

 

Cependant, pour rĂ©ussir, il faut bien, Ă  un moment ou Ă  un autre, rencontrer, dĂ©cider ou dĂ©rider quelqu’un qui jettera sur notre trajet un peu de cette de poudre magique qui nous permettra de rĂ©ussir. Et, rĂ©ussir, qu’on le veuille ou non, cela signifiera toujours rĂ©ussir Ă©conomiquement. 

Ce que n’ont toujours pas compris quantitĂ©s d’idĂ©alistes et d’abrutis- dont je fais partie- qui se condamnent d’eux-mĂȘmes. C’est parce-que je me suis condamnĂ© Ă  faire partie des invisibles et des ratĂ©s du box-office Ă©conomique que je fais partie des abrutis.  

 

 

Si des professions comme les professions soignantes sont maltraitĂ©es de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e, c’est aussi, parce-que, Ă  moins d’ĂȘtre une personnalitĂ© trĂšs mĂ©diatisĂ©e ( ça existe parmi quelques soignants gĂ©nĂ©ralement mĂ©decins ou psychologues), la majoritĂ© des soignants sont des anonymes, donc, Ă©loignĂ©s du “succĂšs” public mais, surtout, Ă©conomique. Lorsque l’on contribue Ă  sauver une vie, par exemple, cela ne fait pas des millions d’entrĂ©es au box-office. Cela ne fait pas vendre de la pub, du pop corn ou du coca-cola. Il n’existe pas de festival de Cannes du soin qui serait convoitĂ© et visitĂ© par des millions de spectateurs, avec limousine, grandes cĂ©lĂ©britĂ©s et retransmission mĂ©diatisĂ©e dans le monde entier de l’Ă©vĂ©nement. Alors, au mieux, on “admire” les soignants ou on les applaudit. Et, tout ordinairement, on peut les nĂ©gliger. On peut aussi les plaindre car cela ne coĂ»te pas grand chose non plus. Pourtant, les soignants, comme bien d’autres gens, des artistes inconnus, ou d’autres personnes exerçant dans d’autres professions, sont des travailleurs. Mais pas de petite poudre magique pour eux afin d’amĂ©liorer leur statut ou leurs conditions de travail. Pour eux, et pour tant d’autres- les invisibles et les ratĂ©s du box-office de la rĂ©ussite Ă©conomique- la vie sera dure. Les conditions de travail. Le salaire. L’Ă©pargne ou la retraite. La santĂ©. Tout sera susceptible d’ĂȘtre dur ou de le devenir pour eux, s’ils n’apprennent pas Ă  encaisser et Ă  esquiver.

A un moment donnĂ©, soit, on sait encaisser. Soit, on se fait lessiver. 

Enfin, si les polars connaissent autant de succĂšs, c’est aussi parce qu’ils racontent souvent l’histoire de grĂąces et d’innocences qui ont Ă©tĂ© saccagĂ©es. Et nous connaissons, intimement, ce genre de vĂ©ritĂ©s. Donc, travailler, travailler, travailler, ne suffit pas.

 

C’est Ă©tonnant comme le simple fait de reprendre les footing peut  vous dĂ©vergonder. J’étais plus Ă©teint que ça en partant courir ce matin.

La “petite” Aya Nakamura, elle, avait compris tout ça bien plus tĂŽt que moi, et sans avoir besoin de faire des footing. C’est pour ça qu’elle a rĂ©ussi et, qu’aujourd’hui, elle peut nous faire danser.

 

 

 

La librairie Presse Papier :

Il y a quelques jours, un collĂšgue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion Ă  la mort d’Alisha ( Marche jusqu’au viaduc). Mais c’était pour lui un Ă©vĂ©nement comme un autre. Il a vite occupĂ© ses pensĂ©es Ă  tenir sa tasse de cafĂ© ou Ă  d’autres sujets. ( Quelques jours plus tard, sans que cela ait Ă©videmment de rapport avec le dĂ©cĂšs de la jeune Alisha,  j’apprenais que ce collĂšgue avait attrapĂ© le Covid)

Ce matin, en allant acheter le journal dans la librairie du centre-ville, j’ai pris le temps de discuter avec le gĂ©rant et un habituĂ©. Les deux hommes se connaissent bien visiblement. Le premier habite Argenteuil depuis quarante ans. Le second, enseignant Ă  la retraite, est nĂ© Ă  Argenteuil. Militant, je l’ai dĂ©jĂ  vu distribuer des tracts Ă  la sortie de l’école. Il m’a appris ce matin ĂȘtre Ă  l’origine de la crĂ©ation du salon du livre d’Argenteuil. Mais aussi de l’association Lire sous les couvertures.

 

Mais il m’a appris davantage : la voie expresse qui, aujourd’hui, coupe les Argenteuillais des berges de la Seine n’existait pas avant
.1970. Grosso modo, lorsque Jimi Hendrix a fait son concert fin 1969 et dĂ©but 1970 ( le concert d’Aretha Franklin date de 1971), il existait une promenade le long de la Seine. On organisait mĂȘme des cross sur cette promenade qui aurait existĂ© de 1820 Ă  1970.

 

Sur le chemin de halage, vers Argenteuil, ce mercredi 7 avril 2021. Sur la fin de mon footing, de retour d’Epinay Sur Seine. C’est sous ce viaduc que le 8 mars, Alisha….

 

 

Tout Ă  son rĂ©cit, D m’a parlĂ© du chemin de halage du cĂŽtĂ© du viaduc. Marcheur, D s’est enthousiasmĂ© pour le travail « extraordinaire Â» qui avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© sur ce chemin de halage pour le rendre agrĂ©able. Il m’a confirmĂ© briĂšvement. Oui, c’était bien lĂ , sous le viaduc qu’il y avait eu le fait divers
.puis, il a poursuivi son argumentaire concernant la façon dont l’amĂ©nagement de la ville Ă©tait mal gĂ©rĂ©. D m’a appris qu’il avait un blog, trĂšs bien fait, alimentĂ© rĂ©guliĂšrement, dans lequel il parlait d’Argenteuil. Il m’a invitĂ© Ă  le lire. Je lui ai aussi parlĂ© du mien mais cela n’a pas paru lui parler plus que ça. Je ne sais pas si D prĂ©fĂšre Ă©couter Aya Nakamura ou lire son blog. Je ne sais pas non plus si elle en a un. Par contre, en quittant la librairie, je savais que j’allais retourner au viaduc. J’ai un moment pensĂ© Ă  faire le parcours Ă  vĂ©lo afin de bien profiter de la Seine sans trop me fatiguer. Puis, je me suis rapidement dit que ce serait une bonne occasion de reprendre le footing. Afin de voir oĂč j’en Ă©tais.

 

Le chemin de halage :

Je m’étais mis en tĂȘte de courir trente minutes pour une reprise. Sans aucune idĂ©e du temps qu’il me faudrait pour arriver au viaduc.

 

Les dix premiĂšres minutes ont Ă©tĂ© un peu inconfortables. Car mon corps n’était plus habituĂ© au footing. Mais, trĂšs vite, j’ai perçu que mon cƓur, lui, Ă©tait au rendez-vous. Peut-ĂȘtre les effets de mes trajets Ă  vĂ©lo depuis bientĂŽt deux mois depuis la gare St-Lazare pour aller Ă  la travail. A chaque fois, Ă  l’aller comme au retour, trente minutes de vĂ©lo.

 

 

Il m’a fallu douze minutes, Ă  allure douce, pour arriver au viaduc. J’avais le soleil de face. J’ai continuĂ© sur le chemin de halage jusqu’à arriver Ă  Epinay sur Seine, ville de tournage de cinĂ©ma. Mais ville, aussi, oĂč se trouve une clinique psychiatrique oĂč il a pu m’arriver de faire des vacations. Je pouvais alors m’y rendre en environ vingt minutes en voiture. LĂ , j’avais mis Ă  peu prĂšs trente trois minutes en footing. A vĂ©lo, j’en aurais sĂ»rement pour 20 minutes, peut-ĂȘtre quinze, par le chemin de halage. Le centre Aqua92 de Villeneuve-la-Garenne, oĂč les trois fosses et le bassin de 2,20 de profondeur, permettent de pratiquer apnĂ©e et plongĂ©e n’était pas si loin que ça. MĂȘme s’il devait rester quinze Ă  vingt minutes de footing pour y arriver.

 

Je me suis arrĂȘtĂ© pour marcher. Prendre le temps de souffler. Quelques photos. AprĂšs dix minutes, je suis reparti en sens inverse. A l’aller comme au retour, les gens que j’ai croisĂ©s, promeneurs, coureurs, Ă©taient enclins Ă  dire bonjour. L’absorption des relations sociales par le confinement et la pandĂ©mie favorisaient peut-ĂȘtre ces Ă©changes simples.

 

 

Je prenais des photos de ce “bateau-Ă©cole” lorsque G…, me voyant faire, a ouvert la porte pour me renseigner. Elle m’a donnĂ© quelques explications, m’a remis une brochure avec les tarifs. Puis, je suis reparti.

 

Je commençais Ă  en avoir plein les cuisses. L’acide lactique. Ça m’a Ă©tonnĂ© parce-que je ne courais pas particuliĂšrement vite. Cela devait venir du manque d’entraĂźnement, sans doute.

 

A l’approche du viaduc, j’ai ralenti. Encore quelques photos. J’étais prĂšs du mur des fleurs Ă  la mĂ©moire d’Alisha, lorsque la sirĂšne du premier mercredi du mois a retenti. Je ne pouvais pas filmer meilleure minute de silence qu’avec cette sirĂšne.

 

 

 

Devant tout ce bleu, tout ce soleil, je me suis dit que la mort d’Alisha, d’une certaine maniĂšre Ă©tait un sacrifice. Et, qu’est-ce qu’un sacrifice, si ce n’est une mort- ou un soleil- qui permet Ă  d’autres de vivre ou qui leur indique le chemin qu’ils doivent suivre pour continuer de vivre ?

 

Photo ce mercredi 7 avril 2021, depuis l’endroit oĂč le 8 mars, Alisha a Ă©tĂ© poussĂ©e dans la Seine aprĂšs avoir Ă©tĂ© tabassĂ©e.

 

 

AprĂšs la minute de silence, j’ai fait le tour du viaduc dans le sens inverse de la derniĂšre fois sans m’attarder. En faisant ça instinctivement, j’ai eu la soudaine impression de dĂ©faire le cercle de la mort.

 

MĂȘme endroit que la photo prĂ©cĂ©dente, ce mercredi 7 avril 2021. En regardant dans la direction d’Epinay-sur-Seine.

 

Evidemment, je n’irai pas expliquer ça aux parents d’Alisha, ni à ses proches ou à celles et ceux qui l’ont connue de prùs. Et, je ne crois pas que j’aimerais que quelqu’un vienne me tenir ce genre de propos si je perdais une personne chùre.

 

Ce mercredi 7 avril 2021, en rentrant sur Argenteuil vers la fin de mon footing.

 

 

Pourtant, sans cette mort le 8 mars, je ne serais pas venu jusqu’à ce viaduc. Je n’aurais peut-ĂȘtre jamais pris ce chemin de halage alors que cela fait dĂ©jĂ  14 ans que je vis Ă  Argenteuil.

Ce chemin de halage, je l’avais supposĂ© depuis Epinay Sur Seine oĂč je m’étais rendu en voiture ou Ă  vĂ©lo. Mais sans savoir qu’il pouvait aller jusqu’à Argenteuil.

Et, j’avais dĂ©jĂ  entendu un Argenteuillais, adepte du footing, en parler, il y a trois ou quatre annĂ©es, mais cela Ă©tait restĂ© trĂšs abstrait pour moi. Je n’imaginais pas un tel chemin, aussi Ă©tendu, aussi large, aussi agrĂ©able. Et, Ă  travers tout le bleu de ce mercredi 7 avril,  je comprends qu’Alisha, le 8 mars, ait pu trĂšs facilement accepter de suivre celle qui a servi d’appĂąt, comme le titre du film de Bertrand Tavernier qui avait Ă©tĂ© inspirĂ© d’un fait divers. 

Lorsque je suis venu ici pour la premiĂšre fois ( Marche jusqu’au viaduc ),  il faisait plus sombre. Et je m’Ă©tais dit qu’Alisha avait vraiment dĂ» se sentir en confiance pour venir dans un endroit pareil. Mais le 8 mars, il faisait peut-ĂȘtre beau.

 

Lorsque l’on compare les photos que j’ai faites de cet endroit la premiĂšre fois que j’y suis venu, le 16 mars, avec celles de ce mercredi 7 avril, on remarque que la lumiĂšre et l’atmosphĂšre sont trĂšs opposĂ©es. Ce mercredi 7 avril, la lumiĂšre est trĂšs belle. J’ai postĂ© une des photos de ce jour, prise depuis le chemin de halage ( celle qui ouvre cet article) sur ma page Facebook, et elle a plu Ă  plusieurs personnes. Elle me plait aussi. Tout ce bleu. Ce soleil. 

Comme ces photos prises deux jours diffĂ©rents, malgrĂ© tout le bĂ©ton dont l’ĂȘtre humain s’entoure, notre nature se lĂ©zarde et mue. Ces mues ne sautent pas aux yeux Ă  premiĂšre vue. Elles sont d’abord invisibles, souterraines, imperceptibles, lĂ©gitimes ou illĂ©gitimes. Mais elles surviendront, pour le pire ou le meilleur, si elles trouvent un moyen ou un chemin pour s’affirmer et s’affranchir de nos secrets.  De nos codes. De nos limites.

Ces mues, nos changements, de comportement, tenteront de s’adapter et de s’habituer au grand jour et au monde. Ils seront parfois aussi violents qu’Ă©phĂ©mĂšres. On peut d’abord penser Ă  des crimes ou Ă  des actes monstrueux. Mais on peut aussi penser Ă  certaines carriĂšres fulgurantes :

Jimi Hendrix est mort ultra-cĂ©lĂšbre Ă  27 ans alors qu’il ne pratiquait la guitare que depuis une douzaine d’annĂ©es…… on nous parle encore d’Amy Winehouse, de Janis Joplin, de tel acteur ou tel actrice “parti(e) trop vite…” . On peut aussi penser Ă  des aventuriers de l’extrĂȘme morts trop jeunes tels que l’apnĂ©iste LoĂŻc Leferme . Ou mĂȘme Ă  l’apnĂ©iste… Audrey Mestre.

 

En m’éloignant du viaduc, un homme noir d’une soixante d’annĂ©es semblant venir de nulle part, partait comme moi. Il marchait et avait du mal Ă  remonter la pente. Il avait baissĂ© son masque anti-covid sĂ»rement pour mieux reprendre son souffle. Je l’ai dĂ©passĂ© en reprenant mon trot. Ce faisant, je l’ai saluĂ©. Il m’a rĂ©pondu, un peu Ă©tonnĂ©. Puis, je l’ai distancĂ©. Je serai peut-ĂȘtre ce vieil homme, un jour.

 

Lorsque j’ai retrouvĂ© la route d’Epinay, en allant vers Argenteuil, un bus 361 m’a dĂ©passĂ©. Puis, j’en ai un croisĂ© un autre un peu plus loin. A l’aller, aussi, j’avais croisĂ© un 361. Cet itinĂ©raire est vraiment bien desservi par le bus.

 

En rentrant chez moi, je suis repassĂ© devant le hammam. Il avait l’air ouvert. Je me suis dit que j’y retournerais. Et que cela me permettrait, aussi, de profiter de leur trĂšs bon thĂ© Ă  la menthe.

 

Franck Unimon, ce mercredi 7 avril 2021.( complété et finalisé ce mardi 13 avril 2021).

 

 

 

 

 

 

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Faire son marché

 

 

                                                   Faire son marchĂ©

 

 

Lorsque l’on est assurĂ© d’avoir le ventre plein, on peut trouver plus sĂ©duisant que l’étalage d’un stand de marchĂ© derriĂšre des bĂąches en plastique.

 

En 1960, sur le marchĂ© d’HĂ©loĂŻse  de la ville d’Argenteuil, il y avait des moutons, des chĂšvres, de la volaille. Et une brocante.

 

C
, agriculteur et producteur, Ă©tait prĂ©sent. C’était avant l’édification de la salle des fĂȘtes Jean Vilar aujourd’hui plus ou moins menacĂ©e de destruction selon les divers projets hĂŽteliers – de luxe- et commerciaux du maire, Georges Mothron. Afin, officiellement, de tenter d’augmenter l’attractivitĂ© de la ville.

 

C
est le le doyen des commerçants. Il me raconte un peu avant tout ça.  Il y a deux ans maintenant, Ă  peu prĂšs, je le lui avais demandĂ©. Il avait acceptĂ© Ă  condition de ne pas faire de politique.  Puis, c’était moi, le jeune, qui, comme tous les jeunes, avait dĂ©laissĂ© ce qui lui avait prĂ©existĂ©.  J’avais toujours trouvĂ© mieux Ă  vivre, Ă  Ă©crire ou Ă  faire ailleurs.

 

En revenant quelques fois sur le marchĂ©, je venais lui dire bonjour et lui rappeler que je reviendrais. Comme une bouchĂ©e de politesse qu’on adresse Ă  quelqu’un pour le faire patienter au bord d’une piste de danse. Alors que cette personne ne nous a rien demandĂ©. Alors que l’on se croit le gardien de l’éternitĂ©. Mais on n’est jamais rien d’autre que le plus grand gardien de nos infirmitĂ©s.

 

Puis, du temps est passĂ©. J’ai arrĂȘtĂ© de venir sur le marchĂ©. Ensuite, il y a eu cette mĂȘlĂ©e -ou cette Ă©pidĂ©mie- qui, plus vite que la Junk food, a rempli nos assiettes et nos viscĂšres avec du mastic Ă  partir de mars 2020.  Toutes les pistes de danse se sont vidĂ©es. C’était l’annĂ©e derniĂšre.

 

Heureusement, C
a encore tout son temps et toute sa tĂȘte. Peut-ĂȘtre plus que beaucoup d’autres qui ont pourtant moins que ses 84 ans.

 

Il fait 0°C, ce dimanche 10 janvier 2021, lorsqu’enfin, j’honore ce que je m’étais dit Ă  moi-mĂȘme. J’arrive un peu avant 9 heures. J’aurais voulu venir plus tĂŽt. Il y aura davantage de monde Ă  partir de 10 heures.  C
lui, s’est levĂ© Ă  4h30 et est sur le marchĂ© depuis 6h30. Il partira Ă  13h30 et m’annonce :

 

« Ceux dehors partent Ă  15 heures Â».

 

Je lui demande : « Comment faites-vous avec le froid ? Â».

C
rigole : «  Comme tout le monde ! Â».

 

Il est aussi sur le marchĂ© d’Ermont deux fois par semaine. Ses fils ont leur stand sur les marchĂ©s de St Denis, Puteaux, sur le marchĂ© des BergĂšres Ă  Nanterre et aussi Ă  Paris. Il me fait les Ă©loges du marchĂ© des BergĂšres. C’est celui de mon enfance. Je n’y suis pas retournĂ© depuis des dĂ©cennies.  A cette Ă©poque, dans les annĂ©es 70, cette partie de Nanterre Ă©tait sĂ»rement plus populaire qu’aujourd’hui. Il m’invite Ă  y aller.

 

Sur le marchĂ© d’Argenteuil, il paie son abonnement 250 euros pour 15 jours. Pour l’instant, personne ne peut prendre sa succession car la mairie tient absolument Ă  trouver un producteur. Il y en a de moins en moins, m’affirme C. Il a connu le grand-oncle du maire d’Argenteuil actuel. Ce grand-oncle vendait des fruits et des lĂ©gumes. Tout comme le grand-pĂšre.

Le grand-oncle a vendu son corps de ferme Ă  Argenteuil puis est parti vivre dans le Vexin. Mothron, le maire actuel (prĂ©cĂ©demment dĂ©jĂ  Ă©dile plusieurs fois de la ville) n’a pas pris la suite de son grand-pĂšre et de son grand-oncle. Il est devenu ingĂ©nieur. Et maire.

Le neveu du maire, m’apprend C, vend du cafĂ© un peu plus loin, sur le marchĂ©.

 

Sur le marchĂ© d’Ermont, c’est diffĂ©rent. C a pris la suite de ses parents. Et, il tient Ă  « prolonger le plus longtemps possible Â».

 

Un habituĂ©, d’origine arabe, arrive. Il porte un liserĂ© de moustache. AprĂšs avoir saluĂ© C, il sort une bouteille dont il nous apprend la composition : de l’eau, du miel et des agrumes. Il dit en boire tous les jours :

« C’est ça, notre pharmacie ! Â» dĂ©clare-t’il en dĂ©signant les fruits vendus par C et la poissonnerie voisine. Il refusera de faire le vaccin anti-Covid quand il deviendra obligatoire ! Quitte Ă  rester chez lui !

 

C, avec un grand sourire tranquille, rĂ©pond : « Moi, je le ferai Â».

L’homme poursuit :

« J’ai plus de 60 ans. Je me porte bien
 Â».

C s’esclaffe et me prend Ă  tĂ©moin : «  Il est jeune ! Â».

 

Une femme d’origine antillaise passe rapidement devant le stand :

« Salut Papy ! Â».

« Salut, ma belle ! Â» rĂ©pond C.

 

AprĂšs avoir pris quelques fruits, le client argumente :

« Je suis mĂ©decin
.mĂȘme si je ne suis pas reconnu Â» ajoute-il un peu Ă  voix baisse comme Ă  lui-mĂȘme.

 

J’avais oubliĂ© toute cette dramaturgie que l’on peut obtenir dans un marchĂ©. Il suffit de s’y promener.

 

J’ai bien sĂ»r pris des fruits Ă  C. Des pommes, des poires, des kakis. Et je l’ai remerciĂ©. Il a acceptĂ© facilement que je prenne son stand en photo. Mais quand j’ai parlĂ© de le photographier, il a disparu. Au point que je me demande si je l’ai inventĂ©. Et aussi, si c’est bien lui qui m’a laissĂ© ce texte :

 

                                                      Vols ancrĂ©s

 

MĂȘme si ce sont souvent les mĂȘmes, nos pensĂ©es sont des milliers d’oiseaux qui en enfantent d’autres. Il faut apprendre Ă  regarder pour savoir, selon nos prioritĂ©s, sur lesquels s’appuyer pour s’orienter. Ils ne se valent pas tous. Certains sont des leurres. D’autres, des impasses. Mais ils proviennent tous de nos cages et cherchent tous Ă  retrouver l’atmosphĂšre oĂč ils Ă©taient avant de nous rencontrer. Car nous les avons capturĂ©s. Nous avons besoin de nos pensĂ©es comme des oiseaux car ils savent toujours oĂč se trouve le ciel. Et nous, sans eux, nous ne savons pas.

 

Ecrire, c’est dĂ©placer nos cages. C’est plonger dans la page certains oiseaux plutĂŽt que d’autres et permettre Ă  d’autres,  qui les regardent et les Ă©coutent, de trouver leur direction et, peut-ĂȘtre, de trouer certaines interdictions qui les clouaient Ă  l’impuissance.

Photo prise devant le conservatoire d’Argenteuil, ce lundi 25 janvier 2021.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 27 janvier 2021.  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Sur le marché de Dieu

Le marchĂ© d’Argenteuil, Boulevard d’HĂ©loĂŻse, ce vendredi 8 janvier 2021.

 

Sur le marchĂ© de Dieu                                                  

 

“Certains estiment avoir Ă©tĂ© secourus parce qu’ils ont Ă©tĂ© Ă©lus.

D’autres estiment avoir le droit de tuer parce qu’ils ont Ă©tĂ© Ă©lus.

MoralitĂ© : Dieu nous sauvera tous”.

 

Hier matin, j’avais quittĂ© ce dĂ©lirium trĂšs mince ainsi que ma colĂšre envers Dieu et certains de ses adeptes, lorsqu’à l’entrĂ©e de l’école de ma fille, je me suis adressĂ© au directeur.

Celui-ci m’a rĂ©pondu qu’il partageait  mon inquiĂ©tude. Les absences rĂ©pĂ©tĂ©es de la maitresse depuis la rentrĂ©e au mois de septembre ne lui permettaient pas, jusqu’alors, de « visibilitĂ© Â». Mais, celle-ci Ă©tant dĂ©sormais officiellement en congĂ©, depuis ce mois de janvier, du fait de sa grossesse, il allait pouvoir vĂ©ritablement faire les dĂ©marches.  Pour obtenir une remplaçante ou un remplaçant attitrĂ© (e). Mais, impossible pour lui de savoir quand cette remplaçante ou ce remplaçant arriverait.

 

Il m’a conseillĂ© de me rendre sur le site du CNED, en accĂšs libre, afin de trouver des cours en rapport avec la scolaritĂ© de ma fille. Tout en reconnaissant que cela ne vaudrait pas la prĂ©sence d’une maitresse ou d’un maitre. Il a ajoutĂ© que si la nomination d’une remplaçante ou d’un remplaçant traĂźnait, qu’il solliciterait l’association des parents d’élĂšves ou FCPE dont il se trouve que je suis un des membres intermittents.

 

MalgrĂ© ses Ă©lĂ©ments de langage, j’ai cru en la sincĂ©ritĂ© du nouveau directeur de l’école publique oĂč ma fille est scolarisĂ©e. Croisant la maitresse de l’annĂ©e derniĂšre de ma fille, nous nous sommes mutuellement adressĂ©s nos vƓux de bonne annĂ©e. Celle-ci m’a dit qu’elle espĂ©rait vraiment qu’il y aurait une remplaçante ou un remplaçant pour la classe de ma fille.

 

AprÚs ça, je me suis rendu dans mon service, à Paris, à quarante cinq minutes de là en transports en commun. Pour mon pot de départ. Dans quelques jours, je commencerai dans un nouvel établissement.

J’étais en retard Ă  mon pot de dĂ©part mais j’ai choisi de prendre mon temps.  Au lieu de dĂ©buter Ă  10h comme je l’avais annoncĂ©, mon pot a plutĂŽt dĂ©butĂ© vers 10h50. Il devait se terminer pour midi.

 

En raison des mesures sanitaires dues Ă  la pandĂ©mie, nous Ă©tions un nombre limitĂ© de personnes dans la salle Ă  manger du service. Pas plus de quinze. Cela n’avait rien Ă  voir avec ces pots de dĂ©part d’ Â« avant Â», oĂč nous pouvions ĂȘtre une quarantaine ou beaucoup plus dans une mĂȘme salle et sans masques. Mais, alors, que courent angoisse et polĂ©miques Ă  propos de la nĂ©cessitĂ© –ou non- de la vaccination anti-covid, ce pot de dĂ©part, mĂȘme s’il signifiait la fin de mon histoire dans ce « pays Â» qu’ a Ă©tĂ© ce service, Ă©tait pour moi capital.  Dans ce contexte oĂč nos peurs deviennent nos plus vibrantes ambitions, ou nos nouveaux extrĂ©mismes, tout moment de rĂ©jouissance, en respectant les gestes barriĂšres, est un acte de rĂ©sistance. Je crois que dans toute Ă©preuve, les fĂȘtes et les pĂ©riodes de pause permettent- en prenant  certaines prĂ©cautions- de passer des caps difficiles. Cela peut nĂ©cessiter parfois de l’entraĂźnement ou de devoir produire certains efforts pour s’obliger Ă  continuer de vivre alors que notre premier rĂ©flexe- ou notre humeur- serait d’attendre dans un coin. 

 

A chaque fin d’annĂ©e, nous achetons des objets de « bonheur Â». Nous en offrons par affection. Mais nous en offrons aussi par obligation. 

Mon Ăąge ou le corona circus fait que les cadeaux qui m’ont le plus portĂ© pendant mon pot de dĂ©part- et aussi en dehors de lui- ont d’abord Ă©tĂ© ces collĂšgues prĂ©sents, leurs regards, leurs sourires, leurs rires ainsi que leurs mots en public ou en apartĂ©.

 

Je suis revenu le soir pour dire au revoir Ă  d’autres collĂšgues. A nouveau, des moments qui comptent. MĂȘme si j’étais fatiguĂ© en rentrant chez moi, pendant les horaires du couvre-feu. A la gare St-Lazare, en attendant l’affichage de la voie de mon train de 23h43, il y avait pratiquement autant voire plus d’agents de sĂ©curitĂ© que de « voyageurs Â».  Je me suis partiellement endormi dans le train comme d’autres fois. Mais je me suis rĂ©veillĂ© au bon endroit et au bon moment.

 

Ce matin, aprĂšs avoir emmenĂ© Ă  nouveau ma fille Ă  l’école, je suis retournĂ© au marchĂ© d’Argenteuil.  Pour la premiĂšre fois depuis le premier confinement de mi-mars 2020. Dehors, il faisait un degrĂ© celsius. 

Sur le marchĂ© d’Argenteuil, Bd HĂ©loĂŻse, ce vendredi 8 janvier 2021.

 

 

J’ai Ă©tĂ© content de le revoir. Lui, le doyen du marchĂ©, avec ses plus de 80 ans. Il connaĂźt le marchĂ© d’Argenteuil depuis environ cinquante ans. Il y a bientĂŽt deux ans maintenant, je lui avais dit que je reviendrais l’interroger. Pour mon blog. Il avait acceptĂ©. Mais je ne l’avais pas fait. Nous avons pris rendez-vous pour ce dimanche oĂč il sera sur le marchĂ© Ă  partir de 6h30.

 

Devant la poissonnerie, une femme m’a interpellĂ©, tout sourire. Je l’avais connue quelques annĂ©es plus tĂŽt Ă  l’atelier d’écriture animĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque d’Argenteuil. Il Ă©tait arrivĂ© de nous recroiser par la suite dans la ville. Avec son masque sur le visage, je ne l’avais pas reconnue. InfirmiĂšre anesthĂ©siste Ă  la retraite, elle m’a appris continuer de faire quelques vacations Ă  l’hĂŽpital d’Ermont. Elle avait pris sa retraite aprĂšs quinze ans et quelques mois d’activitĂ© professionnelle aprĂšs avoir Ă©tĂ© maman trois fois.

Elle m’a expliquĂ©, un peu ironique, que son nombre de vacations Ă©tait limitĂ©. Plus on a travaillĂ© en tant qu’infirmiĂšre durant sa carriĂšre et plus on peut faire de vacations, une fois Ă  la retraite. Elle se trouve dans la situation inverse.

 

Elle m’a dit que les noix de st Jacques se congelaient trĂšs bien. Qu’elle les faisait dĂ©congeler dans du lait de vache et un peu d’eau, la veille pour le lendemain.

 

Plus loin, la commerçante Ă  qui j’achetais des pains aux dattes ainsi que des Msemen m’a appris que son pĂšre Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ© en avril. Il avait 75 ans. Elle m’a prĂ©cisĂ© qu’il n’était pas mort du coronavirus. Avant de mourir, celui-ci lui a dit de continuer son commerce :

 

« MĂȘme si c’est un euro, gagne-le avec ton travail Â». Je voyais bien qui Ă©tait son pĂšre, assez souvent lĂ , avec deux de ses frĂšres et, quelques fois, une de ses jeunes sƓurs.

 

Trente ans qu’elle est lĂ . Je me souviens que deux ou trois ans plus tĂŽt, elle m’avait expliquĂ© comme le froid lui rentrait dedans alors qu’elle travaillait sur le marchĂ©. Je lui avais conseillĂ© de se procurer l’équivalent d’une polaire. Elle m’avait Ă©coutĂ© avec attention. Mais je doute qu’elle n’ait fait le dĂ©placement pour s’acheter le vĂȘtement en question.

 

La dame qui faisait les Msemen et les pains aux dattes a arrĂȘtĂ©. C’était dĂ©jĂ  le cas avant la pandĂ©mie.  Je m’étais dĂ©placĂ© une ou deux fois en vain jusqu’au marchĂ©.

La pĂątissiĂšre,  ĂągĂ©e de 66 ans, que je n’ai jamais vue, a des problĂšmes de santĂ© avec son bras. Notre «virtuose Â» des pains aux dattes et des Msemen, ai-je appris ce matin, les faisait bĂ©nĂ©volement, sans rien dire. Pour aider des pauvres. L’argent donnĂ© pour acheter ses pains aux dattes et ses Msemen permettait d’aider des pauvres.

 

Sur le marchĂ©, d’autres personnes font aussi des Msemen continue la commerçante, qui vend aussi du pain et des croissants, mais ce n’est pas fait de façon traditionnelle et c’est moins bon. J’acquiesce.

 

Avant de la quitter, elle me demande si ça va bien pour moi. Ma famille. Si j’ai une famille. Et, elle me souhaite le meilleur et de prendre soin de moi, Inch Allah. Je pars en la saluant.

 

Alors que, mes courses contre moi, je me rapproche de l’avenue Gabriel PĂ©ri, je laisse passer un homme derriĂšre moi. Casquette type bĂ©ret, baskets Nike, Jeans, manteau type redingote, l’homme Ă©lĂ©gant me remercie rapidement. Un sac de pain Ă  la main, il revient vraisemblablement aussi du marchĂ©. C’est alors que je vois sa silhouette s’éloigner devant moi que je crois le reconnaĂźtre.

Quelques annĂ©es plus tĂŽt, cet homme tenait une boulangerie-pĂątisserie, de l’autre cĂŽtĂ© de l’ avenue Gabriel PĂ©ri, quelques dizaines de mĂštres devant nous. Issu d’un milieu modeste peut-ĂȘtre de la ville d’Argenteuil oĂč il est sans doute nĂ© et a vĂ©cu bien plus longtemps que moi, il avait rĂ©ussi Ă  faire une Ă©cole dans la restauration plutĂŽt prestigieuse. Son portrait avait Ă©tĂ© fait dans le magazine local – gratuit- quelques mois aprĂšs l’ouverture de son commerce.

Je faisais partie de « ses Â» clients. Ses produits Ă©taient bons voire trĂšs bons. Pourtant, chaque fois que j’avais essayĂ© de nouer une forme de contact un peu personnel avec lui, il avait toujours esquivĂ©, mĂ©fiant. Etrange pour un commerçant qui a plutĂŽt intĂ©rĂȘt Ă  fidĂ©liser sa clientĂšle. Chez le marchand de primeurs du centre ville oĂč j’ai mes habitudes, et oĂč il avait les siennes, je l’avais vu, une fois, s’empiffrer comme un crevard, de quelques bouchĂ©es d’un fruit. Hilare, il avait Ă©tĂ© content de son coup. Comme celui qui, gamin, avait beaucoup manquĂ©. Sauf qu’il Ă©tait alors un commerçant respectĂ© et plutĂŽt en bons termes avec le marchand de primeurs.

 

A Argenteuil, le bail commercial de la premiĂšre annĂ©e est offert par la ville. A la fin de cette premiĂšre annĂ©e, « notre Â» boulanger-pĂątissier avait disparu. Un jour, on avait retrouvĂ© son commerce fermĂ©. Le marchand de primeurs m’avait appris que notre homme aurait Ă©tĂ© infidĂšle Ă  sa femme. Laquelle tenait rĂ©guliĂšrement la caisse.

Ce matin, alors que je marche derriĂšre notre homme, je le vois qui regarde une premiĂšre femme, de l’autre cĂŽtĂ© de la rue. Alors qu’il traverse le boulevard Gabriel PĂ©ri et s’arrĂȘte au milieu afin de laisser passer les voitures,  Ă  quelques mĂštres, sur sa droite, une femme lui fait face. Nouveau regard trĂšs concernĂ© de notre boulanger-pĂątissier.

 

Il m’arrive aussi de regarder les femmes de façon aussi pavlovienne. Mais je repense Ă  l’historique de       « notre Â» homme.  A la façon dont il a coulĂ© sa propre entreprise -qui ne demandait qu’à marcher- pour s’enfuir.  Puis, pour rĂ©apparaĂźtre plus tard dans la ville, incognito, comme s’il lui Ă©tait impossible de s’en dissocier. Tout ça, pour mater comme un affamĂ© ou un mendiant la moindre femme qu’il aperçoit. PrĂ©fĂ©rer les miettes Ă  un festin. PrĂ©fĂ©rer les oubliettes Ă  un destin…. Je me dis que cela est pour lui une addiction. On ne peut pas bien nourrir les autres avec sa boulangerie et sa pĂątisserie si l’on pĂ©trit en soi -en permanence- un gouffre. 

 

Pourtant, il a une belle allure et marche bien plus vite que moi. A cause de mon masque et de mon souffle, j’ai de la buĂ©e sur mes lunettes. Je ne fais donc que l’apercevoir pour la derniĂšre fois avant qu’il n’entre dans un immeuble qui borde le boulevard Gabriel PĂ©ri oĂč se trouvait son commerce.  Je ne peux pas affirmer que c’était vĂ©ritablement lui. Cependant, Dieu, lui,  n’a jamais de buĂ©e devant les yeux. Et, il le sauvera aussi.

Sur le marchĂ© d’Argenteuil, Bd HĂ©loĂŻse, ce vendredi 8 janvier 2021.

 

Franck Unimon, ce vendredi 8 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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M

 

                                                               M

Je devrais ĂȘtre couchĂ©. Il est cinq heures du matin. Je « dormais Â». J’ai bien des lĂąchetĂ©s et bien des faiblesses. Mais lorsque j’ai un texte ou un article Ă  Ă©crire, je me lĂšve. C’est l’avantage de ces mĂ©langes entre le sommeil et les pensĂ©es : cela nous met des phrases dans la tĂȘte.

Ensuite, c’est à nous qu’il revient de choisir. Nous censurer et nous rendormir. Ou nous lever et les exprimer.

 

 

Ce n’est pas la premiùre fois que je me lùve en pleine nuit. Ou en plein jour.

 

 

Nous avons revu M, sans doute cet Ă©tĂ©, dans son nouvel appartement.  Dans une nouvelle ville. Avec son nouveau compagnon. Et son second enfant. Nous la voyons beaucoup moins qu’avant lorsqu’elle habitait dans la mĂȘme ville que nous.

 

Auparavant, il nous arrivait de nous croiser prĂšs de la gare d’Argenteuil lorsqu’elle revenait du travail ou dans la ville, carrĂ©ment. M fait partie de ces personnes que l’on pouvait rencontrer dans une des rues d’Argenteuil en allant faire une course. Il suffit que deux ou trois personnes de ce profil s’en aillent pour que, trĂšs vite, on se sente plus seuls dans une ville. E, par exemple, travaillait Ă  la mĂ©diathĂšque du Val d’Argenteuil. Mais je l’avais connue au club de boxe française oĂč, pendant un temps, elle avait Ă©tĂ© assidue.

 

VoilĂ©e, convertie Ă  l’Islam, et alors cĂ©libataire, E  habitait encore plus prĂšs de chez nous. Je la croisais rĂ©guliĂšrement dans la ville Ă©galement. Ou Ă  la mĂ©diathĂšque oĂč, hilare, elle prolongeait facilement la durĂ©e de mes prĂȘts. Pour nous saluer, nous nous serrions la main. Nous rigolions et discutions bien ensemble, en toute intelligence.

 

Puis, un jour, j’ai Ă  peine reconnu E. Elle s’avançait en direction de la gare alors que je m’en Ă©loignais. MaquillĂ©e, dĂ©voilĂ©e, portant une jupe, E s’était sĂ©parĂ©e de l’Islam. Elle m’avait fait la bise.

En quelques mots, elle m’avait racontĂ© s’ĂȘtre faite « humilier Â» en tant que femme lors de sa pratique de l’Islam. Depuis, elle s’était mise en couple avec quelqu’un qu’elle connaissait depuis des annĂ©es. Peu aprĂšs, E a quittĂ© Argenteuil pour le VĂ©sinet ou Chatou oĂč elle a retrouvĂ© un emploi de bibliothĂ©caire.

 

Ensuite, elle est devenue mĂšre. Aujourd’hui, elle a deux enfants et vit avec son compagnon Ă  la Rochelle d’oĂč, de temps Ă  autre, elle envoie des photos qui donnent envie. Un jardin, un potager, de l’espace, la mer.

 

 

Avant, je rencontrais K, aussi. ComĂ©dienne, metteure en scĂšne, prof de thĂ©Ăątre. Elle et moi, nous Ă©tions rencontrĂ©s en thĂ©rapie de groupe, Ă  Argenteuil. A une Ă©poque, oĂč, aprĂšs une Ă©niĂšme rupture amoureuse, je m’étais dit qu’une thĂ©rapie s’imposait.

K, aussi, a quittĂ© Argenteuil avec son compagnon et pĂšre de leurs deux enfants. Pour Cormeilles en Parisis. C’est plus prĂšs que la Rochelle. Mais on se voit beaucoup moins. Peut-ĂȘtre une fois par an. Quand je me rends Ă  la journĂ©e des associations d’Argenteuil qui se dĂ©roule chaque annĂ©e sur le parking de la salle des fĂȘtes Jean Vilar ainsi que dans la salle des fĂȘtes Jean Vilar. Laquelle salle des fĂȘtes Jean Vilar est menacĂ©e d’ĂȘtre dĂ©truite. Le maire Georges Mothron et son Ă©quipe ont pour projet de mettre Ă  la place un hĂŽtel de luxe, quelques commerces, dont une Fnac, ainsi qu’une salle de cinĂ©ma afin de rendre la ville plus attractive. Si ce projet se rĂ©alisait, la librairie Presse Papier (restĂ©e ouverte malgrĂ© le confinement) situĂ©e Ă  l’entrĂ©e de la ville serait aussitĂŽt concurrencĂ©e par la Fnac. Et le centre culturel Le Figuier Blanc, qui projette des films, pourrait l’ĂȘtre par la salle de cinĂ©mas.

 

 

K m’a un jour rĂ©pondu avoir quittĂ© Argenteuil car elle en avait « marre Â» des pauvres. Ce ne sont pas les pauvres en eux-mĂȘmes dont K a eu marre, Ă  Argenteuil. Je pense que c’est plutĂŽt des incivilitĂ©s rĂ©guliĂšres. De certains comportements. Du bruit.  Sans doute de certains trafics, aussi.

 

Locataire en appartement Ă  Argenteuil, K et son compagnon sont devenus propriĂ©taires Ă  Cormeilles En Parisis. Comme certains parents des copains et des copines de l’école maternelle de ma fille qui ont rapidement fait le nĂ©cessaire pour faire admettre leurs enfants dans l’école privĂ©e Ste-GeneviĂšve de la ville, M, K et E font partie de ces forces vives qui, pour diverses raisons, un jour, se retirent d’un endroit. Ensuite, mĂȘme si l’on peut faire d’autres rencontres, et que l’on connaĂźt d’autres personnes toujours prĂ©sentes dans notre environnement immĂ©diat, c’est une affaire entre soi et soi. De choix et d’espoir. Mais tout dĂ©part, comme toute sĂ©paration, nous Ă©loigne et nous sĂ©pare un peu de nous-mĂȘmes.

 

 

Cet Ă©tĂ©, aprĂšs environ quarante minutes de route, nous sommes arrivĂ©s dans le nouvel habitat de M.  C’est un ensemble d’immeubles avec parking. Nous avions du mal Ă  trouver oĂč nous garer. Car beaucoup de places Ă©taient privĂ©es. En m’approchant de M, descendue Ă  notre rencontre, j’hĂ©sitais sur l’attitude Ă  avoir concernant
. Â« les gestes barriĂšres Â». M a tranchĂ© :

 

« C’est bon ! Â». Et nous nous sommes fait la bise. Je n’ai pas cherchĂ© Ă  contredire M. Je n’en n’avais mĂȘme pas envie. M, c’est un char d’assaut. Et, Ă  propos de la vie et de la mort, M est la mĂ©moire directe, et la plus proche, de cette expĂ©rience que nous avons connue ensemble concernant ces sujets. On pourra toujours argumenter que notre attitude a Ă©tĂ© parfaitement irresponsable en pleine pĂ©riode du Covid et alors que nous avons des enfants plutĂŽt jeunes. Mais chaque rencontre dicte ses rĂšgles.

 

M et nous, nous nous sommes rencontrĂ©s Ă  la maternitĂ© de l’hĂŽpital d’Argenteuil. Tout le monde a entendu parler de la maternitĂ©, de la grossesse, d’un accouchement et de la naissance d’un enfant. Le plus souvent, ça se passe « plutĂŽt bien Â» lorsque la grossesse se rĂ©alise. Pour M et nous, la grossesse a effectivement eu lieu. Mais l’accouchement  a Ă©tĂ© prĂ©maturĂ©. Nos deux filles ont Ă©tĂ© de grandes prĂ©maturĂ©es. La prĂ©maturitĂ©, c’est devenu banal quand on en parle. Une personne m’avait par exemple dit :

« Je connais quelqu’un qui a eu un enfant prĂ©maturĂ© Â». Et quelqu’un d’autre m’avait dit aussi : «  Ma niĂšce, Ă  sa naissance, pesait 540 grammes. Elle Ă©tait Ă  peine plus grosse qu’un steak. Aujourd’hui, elle va trĂšs bien, elle a deux ( ou quatre) enfants Â». C’était des marques de sympathie et d’encouragement.

 

La prĂ©maturitĂ© de nos filles, cependant, cela a Ă©tĂ© un petit peu notre VendĂ©e Globe Ă©motionnel. Un mois et demi d’hĂŽpital en rĂ©animation puis en soins intensifs pour la fille de M. Deux mois et demi pour la nĂŽtre. Des visites quotidiennes. Des appels tĂ©lĂ©phoniques quotidiens. Soit le contraire d’une vie «normale Â» oĂč, souvent, aprĂšs quelques jours d’hospitalisation, la mĂšre repart Ă  la maison avec son enfant ou ses enfants. Puis, ensuite, la « rĂ©adaptation Â» Ă  la maison et Ă  la vie extĂ©rieure pour tout le monde Ă  la sortie du bĂ©bĂ© de l’hĂŽpital.

 

M reprĂ©sente ça pour nous. Et, sans doute que nous reprĂ©sentons ça aussi pour elle. Nous discutons ou avons assez peu discutĂ© de cette « Ă©poque Â», elle et nous. Ou, alors, j’étais absent Ă  ce moment-lĂ . Mais il est facile de concevoir que cette « Ă©poque Â», nous l’avons encore dans la peau. D’une façon ou d’une autre. Alors, il Ă©tait impossible de ne pas nous faire la bise en nous revoyant.

 

Nous avons passé une bonne aprÚs-midi chez M et son nouveau compagnon, avec leurs enfants.

 

Franck Unimon, ce samedi 21 novembre 2020. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Les Chinois

Oeuvre de Thibaut Dapoigny.

 

                                                            Les Chinois

 

 

A vue d’Ɠil, il y a peu de Chinois dans ma ville. Mais, souvent, lorsque j’en vois, ils tiennent un commerce ou y sont employĂ©s :

 

Traiteur alimentaire, poissonnerie (mauvaise), salon d’esthĂ©tique, buraliste PMU, produits (alimentaires) exotiques, marchand de vĂȘtements ou de maroquinerie. 

 

Ils font partie des commerçants de la ville parmi les Kebab, opĂ©rateurs et rĂ©parateurs de tĂ©lĂ©phonie, autres restaurants et magasins de vĂȘtements, boulangeries, pharmacies, supermarchĂ©s, marchĂ©s, boucheries, marchand de primeurs, enseigne Babou, opticiens, agences immobiliĂšres, banques physiques, quelques hĂŽtels, cafĂ©s, Quicket Mac Do qui donnent sur la rue.

 

Pour parler des quelques commerces que l’on peut dĂ©couvrir lorsque, depuis la gare d’Argenteuil, on se dirige vers le centre-ville. 

 

Les Chinois vivent plutĂŽt en retrait. On n’entend pas parler d’eux. Aucun terroriste islamiste d’origine chinoise, recensĂ© Ă  ce jour. Pas de lien connu ou mĂ©diatisĂ© avec le trafic de cannabis. Aucun d’entre eux non plus parmi les figures connues des gilets jaunes. Oui, la blague est facile, presque factice et limite raciste. Mais je vais rapidement me sortir de cette ambiguĂŻtĂ© :

 

RĂ©cemment, une de mes collĂšgues m’a appris qu’un de ses amis, d’origine chinoise, s’en prend plein la tĂȘte. Celui-ci travaille en Seine et Marne- c’est en banlieue parisienne- dans un supermarchĂ© en tant qu’employĂ©. Il  s’occupe des rayons. Il se fait insulter.

 

Il lui est reprochĂ© la pandĂ©mie du Covid ! Ni plus, ni moins.

 

Rebattre les cartes de la vie ordinaire

 

En France, la pandĂ©mie du Covid a rebattu les cartes de notre vie ordinaire et de notre mĂ©moire depuis la mi-Mars 2020. Nous connaissons notre deuxiĂšme reconfinement, aprĂšs quelques jours de couvre-feu, pour cause de deuxiĂšme vague depuis le dĂ©but de ce mois de novembre. Aujourd’hui, nous sommes le dimanche 8 novembre 2020. Et une troisiĂšme et quatriĂšme vague sont dĂ©jĂ  annoncĂ©es.

 

Conclusion : en France au moins, certains Chinois n’ont pas fini d’entendre parler du Covid. On nous parle bien d’un vaccin qui nous protĂ©gerait. Mais cela prendra du temps et puis, les vaccins et la santĂ© publique sont un business comme un autre. On en trouvera peut-ĂȘtre un jour en vente libre sur les marchĂ©s et dans les supermarchĂ©s. Lorsque nous serons morts, pour celles et ceux qui peuvent lire cet article aujourd’hui, ou condamnĂ©s.

 

Nous vivons donc sous certaines contraintes qui Ă©taient inimaginables il y a encore quelques mois. J’ai tendance Ă  croire que nous pouvons connaĂźtre pire mĂȘme si, je l’espĂšre, ce ne sera pas pour tout de suite. Aux Etats-Unis, ce week-end, nous avons Ă©chappĂ© Ă  la rĂ©Ă©lection de Donald Trump. Ce qui est a priori, pour moi, un certain soulagement.  Mais si Donald Trump fait peur, on a peur pour Joe Biden.

Photo prise Ă  Argenteuil, en novembre 2018.

 

Et puis :

Imaginons un Etat constituĂ© comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis qui dĂ©ciderait de passer des contrats avec des terroristes, comme on peut le faire avec une boite privĂ©e :

 

Le but serait de commander les gens par la peur. De leur dicter ce qu’ils doivent manger, lire, boire, penser et consommer. A qui et quand.  De quelle heure Ă  quelle heure. Dans quelles proportions. Mais aussi, quand ils peuvent se reproduire. Et, tout cela, pour le « bien Â» de l’économie et des actionnaires. Vous avez-encore- le droit de vous dire que je vais trop loin ou que j’ai  mangĂ© beaucoup trop de foin ce matin. AprĂšs, ce sera peut-ĂȘtre trop tard.

 

En attendant, comme celles et ceux qui le peuvent encore, les Chinois bossent. Comme l’humoriste Bun Hay Mean- dont j’aime beaucoup l’humour- qui peut nous dire :

 

« Nous, les Chinois, avec notre petite bite, on vous a bien ni-quĂ©s ! Vous n’avez rien senti ! Â». 

L’extrait ci-dessous n’est pas celui auquel je pensais mais il donne une idĂ©e de l’humour de Bun Hay Mean dans un de ses spectacles rĂ©cents ( 2020 ou 2019, visiblement). 

 

 Spike Lee, aussi, nous parle des Asiatiques qui bossent. Dans son film, rĂ©alisĂ© en 1989 : Do The Right Thing. MĂȘme si, dans cet extrait, il est question d’un commerçant corĂ©en et non d’un commerçant chinois. 

 

Mais les Chinois ne sont pas les seuls Ă  bosser. Avant le film de Spike Lee, il y avait eu, en France, le trĂšs bon Pierre Desproges avec son sketch Rachid

Dans son sketch, Rachid, Desproges nous parle du racisme qui, en France, touche les Arabes. Le Front National dirigĂ© alors par Jean-Marie Le Pen obtenait alors de plus en plus de voix dans la France socialiste du PrĂ©sident François Mitterrand ( 1981-1995). Et certaines personnes considĂ©raient les Arabes comme des fainĂ©ants.  Alors, dans son sketch, Desproges « s’étonne » comme, pour des fainĂ©ants, bien des Arabes travaillent dur. Son sketch date des annĂ©es 80, probablement en 1985 ou en 1986 ( Desproges est mort le 18 avril 1988) Ă  l’époque oĂč les mĂ©diathĂšques n’étaient pas remplacĂ©es par internet. Je vous propose de le retrouver
sur internet. Et de l’écouter et de le regarder. Rire, rĂ©flexion et Ă©motion sont garantis. MĂȘme si la façon de bouger et d’occuper la scĂšne est trĂšs diffĂ©rente de celle de Bun Hay Mean. Trente ans sĂ©parent les deux humoristes. 

 

 

Vers l’oasis :

 

 

Hier matin, samedi, je suis allĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville. En raison de la pandĂ©mie, il Ă©tait possible de s’y rendre de 11h30 Ă  12H30 ou de 16h30 Ă  17h30 pour venir y chercher un ouvrage que l’on avait commandĂ©. En temps habituel, les samedis, la mĂ©diathĂšque est ouverte de 10h Ă  18h.

 

AprĂšs avoir discutĂ© un peu avec un des bibliothĂ©caires, comme j’avais quelques courses Ă  faire, je me suis offert un petit pĂ©riple. J’avais sur moi toutes les feuilles d’attestation de dĂ©placement provisoire. Je n’en n’ai pas rempli une seule. J’avais besoin de prendre l’air. J’en avais assez de devoir prendre le temps d’écrire sur une feuille ce que je vais faire. Et quand. Et oĂč. Et pourquoi. Et avec qui. Et dans quelle position. Et pendant combien de temps. Ce que j’écris est trĂšs grave car je donne un mauvais exemple de comportement civique en pleine pĂ©riode de pandĂ©mie. Mais c’est la premiĂšre fois que je le fais. Et, surtout, il s’agissait de marcher un peu dans ma ville Ă  l’heure de midi.

 

 

Mon masque sur le visage- oui, je porte toujours mon masque sur mon nez et ma bouche lorsque je sors !- j’ai un peu improvisĂ© dans les rues. Jusqu’à arriver devant ce magasin de produits exotiques tenus par des Chinois oĂč je n’étais pas allĂ© depuis une bonne annĂ©e. Ou plus.

 

Photo prise prĂšs du Louvre, ce 5 novembre 2020.

Il Ă©tait ouvert. Cela se voyait d’assez loin avec l’enseigne lumineuse, au dessus du magasin, qui clignotait. Dans notre monde de plus en plus fermĂ© par la peur, voir un magasin ou un lieu ouvert peut donner l’impression de se retrouver devant une oasis. Ce que bien des commerces, bien des pubs, certains programmes politiques, Ă©conomiques ou religieux nous promettent.  

 

Sur la droite de « l’oasis Â», un chien agenouillĂ© et enchaĂźnĂ©. Etait-ce l’un des chiens de l’enfer ? Il avait l’air plutĂŽt gentil. Sauf qu’il n’était pas lĂ , les derniĂšres fois.

 

AprĂšs avoir dit bonjour Ă  la dame, j’ai Ă  peine eu le temps d’aller dans les rayons que celle-ci m’a demandĂ© avec une certaine inquiĂ©tude
de mettre du gel hydro-alcoolique sur mes mains. J’ai alors vu le flacon devant elle ainsi que le mot nous invitant Ă  l’utiliser.

 

Mais il y avait plus. Lors de mes prĂ©cĂ©dentes venues, il suffisait de faire son tour et de choisir ses articles. LĂ ,  il a presque fallu que j’annonce mes intentions d’achat dĂšs le dĂ©part. Cela m’a fait penser Ă  de la rapine rĂ©pĂ©tĂ©e dont le magasin a pu avoir Ă  se plaindre.

 

J’ai apparemment su rassurer car, ensuite, la dame m’a laissĂ© fureter entre les Ă©talages.

J’étais devant le rayon des surgelĂ©s lorsque je l’ai entendue dire Ă  voix haute :

 

« Il faut mettre votre masque ! Â». Peu aprĂšs, j’ai vu dĂ©bouler un homme peut-ĂȘtre d’origine pakistanaise ou bangladaise en tenue traditionnelle longue et sandales. Il est restĂ© peu de temps.

 

La date de pĂ©remption du produit surgelĂ© que je regardais Ă©tait dĂ©passĂ©e de quelques jours : Octobre 2020. J’en ai parlĂ© Ă  la vendeuse. Elle s’en est Ă©tonnĂ©e. Un peu plus tĂŽt, elle m’avait expliquĂ© qu’en ce moment, ils avaient de moindres approvisionnements.

 

Elle m’a proposĂ© de me faire un prix. Cinq euros au lieu de six euros quatre vingts.

 

 

J’ai acceptĂ©.

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 8 novembre 2020.