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Le Daim

Le Daim

 

 

Extension du domaine de la chute ou voyage « pataud », Le Daim, le dernier film de Quentin Dupieux , sorti ce 19 juin 2019, est tout en aimants presque chromés d’anachronismes.

Dans Le Daim, Quentin Dupieux poursuit sa route, sa trève, son rêve américain parallèle dont il continue d’équiper la bande son : C’est étonnant comme ses films emploient la route ou ce qui s’en rapproche mais aussi comme les situations du Daim – comme sans doute de ses autres films- se raccordent bien aux bretelles sonores de quelques titres de son premier album Analog Worms Attack ( livré en 1999, l’année du film Matrix) comme de son premier tube : Flat Beat.

Ecoutez des titres comme Bad Start, No Day Massacre, Last Night A DJ Killed My Dog, trois des titres de son premier album Analog Worms Attack. D’abord, vous constaterez peut-être qu’aujourd’hui où des artistes comme Jain et Aya Nakamura tapent le son, ces trois titres de Quentin Dupieux/ Mr Oizo sont loin d’en être les seconds. Mais aussi qu’ils collent à la peau de Georges tel du plomb dans le fond de la gorge.

Qui est Georges ? Georges est un emballage ou un homme dans la quarantaine, emporté par l’acteur Jean Dujardin sur une autoroute à péage dans une vieille Audi sans électronique. Cette voiture Audi est immatriculée dans le 92. Donc en région parisienne dans le département considéré comme  » le plus riche de France ». La voiture Audi et l’appartenance au département 92 sont à première vue des symboles de réussite économique.

La voiture de Georges date peut-être aussi de l’année 92 ou de la fin des années 90. Si l’on tient compte du modèle automobile mais aussi du tableau de bord.

Georges a des goûts musicaux très sûrs : Dans sa voiture passe « Et si tu n’existais pas », interprétée par Joe Dassin, un chanteur « franco-américain » très années 70-80 (décédé en 1980 d’un « malaise cardiaque » à 41 ans) également très connu pour son titre L’été Indien. Quentin Dupieux laisse filtrer suffisamment de « bizarreries » dans ses films pour que ceux-ci en deviennent multipistes. Les traces qu’on y trouve peuvent donc être les « tracks » de nos sillons personnels. Cela convient à certains spectateurs et à certaines humeurs plutôt qu’à d’autres.

 

« Je promets de ne plus porter de blouson de toute ma vie » semble être le nouvel ordre que Georges veut imposer à celles et ceux qu’il rencontre après qu’il ait passé le péage et changé en quelque sorte de route, de dépression… et de dimension. On peut évidemment jouer sur les mots et voir la « paix-âge » dans le péage. Georges est à ce moment de sa vie où il aspire à trouver un second souffle et à faire….le ménage. Cela commence par cette veste de cadre qu’il porte au début du film et qu’il va remplacer par cette veste en daim achetée au prix fort à un vendeur ( l’acteur Albert Delpy ) facétieux ou tout autant enluminé que lui. En voyant l’acteur Albert Delpy, on se dit que ce personnage du vendeur aurait aussi pu être joué par l’acteur Philippe Nahon ou par l’acteur Jean-François Stévenin. André Dujardin/ Georges, quant à lui, ressemble alors au José Garcia du Extension du domaine de la lutte (1999) adapté par Philippe Harel d’après le livre de Michel Houellebecq. Rôle qui avait permis de découvrir l’aptitude dramatique de José Garcia avant son rôle dans Le Couperet (2005) de Costa-Gavras. Mais c’est un Georges également proche de L’Homme à tête de Chou de Gainsbourg pour la transformation psychique que va connaître son personnage.

Au fait ! Le Daim, ici, c’est peut-être l’équivalent masculin du mot « Dinde ». Georges est un banni du génie. Et il est au ban du monde. On s’abstiendra de voir en lui un sujet d’admiration. Et, c’est pourtant la seule petite lueur qui lui reste : celle de ce petit voyant rouge qui s’allume lorsqu’il met en marche sa caméra numérique et qu’il se voit réalisateur « dans le vrai cinéma ! ». D’autant que « Le numérique, c’est ce qui se fait de mieux ! ».

Si nous voyons en Georges un raté qui se trouve pour monastère un hôtel à la Barton Fink ( des frères Coen) perdu près des montagnes, lui se voit en Cow-Boy conquérant. A travers lui et son personnage en perte de repères qui rappelle aussi le personnage de Vincent Lindon dans La Moustache (2005), Dupieux filme aussi notre impossibilité d’inventer notre vie au jour le jour. Car nos vies sont de plus en plus quadrillées. Par l’urbanisation. Par les technologies modernes et numériques qui sont évacuées, désactivées ( la carte bancaire) ou finissent à la poubelle dans Le Daim :

La scène du téléphone portable rappelle en effet celle du Nokia dans Matrix, à l’époque où Nokia (entreprise finlandaise) était le numéro 1 mondial (« Jusqu’en 2011 ») en téléphonie mobile. Alors qu’aujourd’hui, les marques Samsung (Corée du sud), Apple (Américaine) et Huawei (Chinoise) semblent constituer le trio de tête dans ce domaine. Et l’on peut voir dans Le Daim différents marqueurs d’un monde enrubanné de cellophane dans les années 70-80 :

des Baskets Nike typées années 80, une télévision portative en noir et blanc…

Attirer le regard, exister, s’ancrer, semble de plus en plus difficile dans notre monde de voyeurs et de reflets à couper au montage où beaucoup peut être refait.

Au passage, Dupieux nous parle de la précarité avec le personnage d’Adèle Haenel, monteuse précaire et résignée qui se révèlera être une Rosetta (1999) des Frères Dardenne ou une Christine Blanc du film Elle est des nôtres (2002) de Siegrid Alnoy.

L’actrice Adèle Haenel, en barmaid et dans son rôle, fait de plus en plus penser à l’actrice Mathilde Seigner à force de se rassembler dans cet air renfrogné qui nous l’a présentée et avec lequel elle nous prend en étau. Mais quand elle sourit, elle ressemble à elle-même et c’est très beau. Dupieux nous donne aussi quelques trucs sur le cinéma en nous parlant de l’importance du montage à travers l’exemple du film Pulp Fiction (1994) de Tarantino ( Prénom : Quentin). Il se fait alors- brièvement- l’égal d’un mécano qui éduquerait les futurs acquéreurs et consommateurs de ces moteurs particuliers que sont les images.

Il peut dérouter qu’un artiste comme Dupieux qui maitrise, célèbre les technologies « nouvelles » et assure sa vie économique et personnelle grâce à elles, tienne un tel discours. Mais, au fond, dans les années 90 à l’époque de la « French Touch », en tant que musicien techno, et avant de devenir cinéaste, il exprimait déjà des idées allant dans le sens contraire. Et, à l’écouter, sa techno « sale » au sens noble contrastait par exemple avec la musique « sublimée », proprette et nacrée d’un groupe comme Air et, avec celle, plus tard, d’un groupe comme Daft Punk, dont on ne sait plus aujourd’hui si leur musique nous touche parce qu’elle nous rappelle ce qu’elle a été. Parce qu’elle est devenue une institution et une norme et que tout le monde (beaucoup de monde) la connaît, l’écoute et danse dessus. Ou parce qu’elle nous libère véritablement. En écoutant l’album Homework (1997) des Daft Punk,  je ne me posais pas ce genre de questions.

A la fin de Le Daim, Georges « l’albinos » (voir le film Noi Albinoi réalisé par Dagur Kari en 2002), ressemble à l’acteur Edouard Baer. Puis, un petit peu, à l’acteur Marcelo Mastroianni, capable de jouer « les mecs banals » selon Fellini, je crois.

Peut-être que pour l’acteur André Dujardin, le film Le Daim permettra d’exister davantage, et, mieux, au cinéma.

 

Franck Unimon, ce vendredi 28 juin 2019.

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Sibyl

 

Sibyl un film de Justine Triet

 

Sibyl : « On ne construit que sur la merde ».

 

Sibyl a un métier réfléchi. Psychologue libérale depuis plusieurs années, elle est une professionnelle et une femme autonome et accomplie. Mari parfait jusqu’à l’effacement. Enfants plus que parfaits. Entourage aimant. Pas de problèmes d’argent en vue. Assez soudainement, elle veut quitter tout ça et se remettre à écrire. Peut-être parce-que sa vie fléchée l’ennuie. Peut-être parce-que que sa tête reste le passage obligé d’une routine. Et que cette routine la reconduit vers sa mère, ses 3 grammes d’alcool dans le sang, et la sortie de route qui l’ont fait disparaître et rendue muette à jamais.

Dans son cabinet, comme dans la vie, Sibyl sait écouter les autres et leur parler. Lorsqu’on la regarde vivre extraite de son justaucorps social, Sibyl est un de ces sushis qui défile sur tapis roulant au début du film tandis qu’un de ses amis éditeur lui parle à lui donner le tournis.

 

Film étrange que ce Sibyl de Justine Triet, où l’on s’éponge entre mensonges, fantasmes, perversion, exhibitionnisme et voyeurisme, mélanges prompts à vous égarer. Encore plus peut-être si juste auparavant, à la séance précédente, vous étiez en compagnie de John Wick Parabellum et ses scènes de combat où vous compreniez chaque réplique et chaque mimique. Avec Sibyl, on pourrait se dire que nous sommes en face du énième film français de bobo névrosé pour intellectuels bobos :

Ce film doit être vu avec son microscope, mieux, avec son scanner cérébral portatif en bon état de marche.

 

Regardons de plus près quelques protagonistes principaux : Virginie Efira/ Sibyl est la première raison pour laquelle je suis allé voir ce film. Cela fait plusieurs années que cette actrice nous a fait comprendre que nous avons tout à gagner à nous la fader sur grand écran, elle et son visage de blonde assez fade. Il est assez pratique d’employer des formules toutes faites à propos de certaines actrices et acteurs telles que :

« C’est le comédien le plus doué de sa génération ». Ou « Il peut tout jouer ! ». Hé bien, en voyant le film Sibyl – qui n’est pas un film d’épouvante- on peut se dire que Virginie Efira, également douée pour la comédie, pourrait jouer dans des films d’épouvante ou d’horreur. De cette épouvante bien sous tous rapports et à cheval entre la normalité et la folie. Son jeu dans Sibyl est très propre. Ma scène préférée est sans doute celle de « la pomme d’Amour et du Barbapapa ». Mais j’ai aussi beaucoup aimé une autre scène qui fait penser à une scène de licenciement.

Adèle Exarchopoulos/ Margot Vasilis. La Vie d’Adèle de Kechiche avait été un film presque fait sur mesure pour elle. Elle a tourné dans d’autres films depuis. Dans Sibyl, elle me convainc moyennement dans certaines scènes. Lorsqu’elle pleure par exemple. Pour la première fois, dans son rôle de Margot Vasilis, elle m’a fait penser à l’actrice Ludivine Sagnier plus jeune. Mais en un peu plus « perverse ». Pour le rôle. Dans Sibyl, Margot/ Adèle est selon moi meilleure comédienne lorsqu’elle balade Sibyl que sur le tournage du film réalisé par Mika/ l’actrice Sandra Hüller et où elle est une jeune comédienne qui joue son avenir professionnel.

Gaspar Ulliel/ Igor a gardé un peu de sa « balafre » hannibalienne dans son rôle et ça colle bien. En en montrant moins que Margot Vasilis, son personnage dégage plus d’épaisseur.

Niels Schneider/ Gabriel (comme l’ange Gabriel ?) me plait davantage dans la dernière partie du film : dans la première partie, on le voit jouer ce par quoi il s’est fait connaître en particulier dans le cinéma de Xavier Dolan (l’ambiguïté, la sexualité).

Laure Calamy/la sœur de Sibyl, Paul Hamy/ le mari de Sibyl, Arthur Harari/ Dr Katz, Sandra Hüller/ Mika, la réalisatrice, complètent la liste des rôles principaux. J’aime beaucoup le jeu de l’actrice Laure Calamy en général. Si j’aime la revoir ici, j’aimerais bien qu’elle sorte – un peu- de sa « panoplie » de femme névrosée.

Lors de la séance de John Wick Parabellum, j’avais arrêté de compter à partir de la 8ème scène de combat. En découvrant Sibyl, j’ai assez vite renoncé à savoir ce qui faisait partie des mensonges ou des fantasmes de Sibyl. Le film peut faire penser à l’univers de Catherine Breillat comme à celui d’Atom Egoyan pour cette relation fusionnelle et passionnelle entre les protagonistes. Pour cette façon de nous manipuler en nous laissant croire que nous captons tout alors que nous captons hak ! (rien, le néant ). Ce film est peut-être un regard critique sur le milieu du cinéma et du spectacle au sens large. Je n’ai peut-être pas suffisamment compris ce film pour en parler correctement. Mais j’ai compris que Sibyl est fatiguée de se mentir à elle-même et qu’elle répète souvent aux autres « Tu n’es pas seule » alors qu’elle est elle-même un comptoir de solitude. Cela me rappelle cette chanson de Björk : Army of Me. Il m’avait fallu plusieurs écoutes fois avant de finir par comprendre que Björk s’adressait sûrement à elle-même. Que ce soit lors de ce tournage où Sibyl se rend malgré l’interdit (ou le tabou) déontologique rappelé par le Dr Katz ( tous ses garde-fous sont des hommes dans le film ) :

« Ton rôle à toi, c’est de rester du côté du fantasme ».

Que ce soit lors de ses ébats supposés ou réels avec Gabriel, Sibyl lève une armée contre elle-même. Peut-être qu’il lui faut ça pour enfoncer la forteresse qu’elle a érigée entre sa vie et ce qu’elle est véritablement. Finalement, elle a peut-être plus de points communs qu’il n’y paraît avec John Wick. Sibyl sera peut-être dans le 4ème volet de John Wick. Virginie Efira en est capable.

 

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 31 Mai 2019.

 

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Conséquences

Andrej ( l’acteur Matej Zemljic) au centre, allongé sur son lit.

 

 

 

                                         Conséquences un film de Darko Stante

 

 

Andrej (l’acteur Matej Zemljic) grand et beau jeune homme est fait d’une coque gangsta. Adepte des codes du Rap américain, même si l’histoire se passe en Slovénie , il a la côte auprès des très belles filles qu’il parvient à serrer dans ces soirées pour gosses de riches où il parvient à s’insérer. Sauf que ça dérape. Et l’on retrouve Andrej au tribunal pour mineurs où il a été convoqué avec ses parents.

Au tribunal et devant le regard et l’écran social, l’enveloppe du bel Andrej est ouverte et son identité judiciaire est déballée devant nous. Sa mère raconte qu’Andrej se montre assidu à des soirées en compagnie de jeunes dont il n’a pas les moyens : Andrej priserait une vie de champagne alors qu’il a à peine les moyens de s’offrir une limonade.

A côté de la mère, drone parental le plus fort, le père d’Andrej est un homme déprimé, courbé, qui a depuis longtemps perdu ses derniers combats. Et qui cherchera quelques fois la semonce d’un second souffle en essayant de faire acte de diplomatie entre Andrej et sa mère plutôt que de se confronter à l’un ou à l’autre.

Au tribunal, Andrej « rigole ». Pour lui, tous ses problèmes viennent de sa mère. Nous ne saurons rien du passé d’Andrej et de ses parents. Si le premier long-métrage de Darko Stante nous parle des conséquences de leurs actes, et, en tout premier lieu, de ceux d’Andrej qui se dresse en tant qu’adulte lors de ce film, il éclipse malheureusement comme dans beaucoup d’autres projets cinématographiques, ce qui précède le quotidien de tous ces « héros » que l’on regarde défiler sur nos écrans comme devant nos vies. Dans un film plutôt extrême tel que We Need to Talk about Kevin réalisé par Lynne Ramsay en 2011, on peut ainsi se rappeler cette scène où, déboutée par les pleurs insistants du petit Kévin encore bébé, la mère vient se planter avec celui-ci près d’un chantier où des marteaux-piqueurs en activité viennent la « délivrer » des cris. Cette scène, parmi d’autres, permettra ensuite à la réalisatrice d’expliquer voire de justifier l’évolution de Kévin. Dans Conséquences, où le personnage d’Andrej est bien plus sympathique que le personnage de Kévin, nous sommes privés de cette « trace » historique. Ce qui signifie peut-être pour le réalisateur, que, quelles que soient nos origines familiales et affectives, à l’âge adulte, nous nous devons de faire face à ce que nous sommes et nous accepter comme nous sommes.

Parmi les spectatrices et les spectateurs que nous sommes, il s’en trouvera certainement plusieurs pour lesquels (femmes et hommes) les causes des dérives d’Andrej sont rapidement évidentes. Pourtant, Andrej ressemble à beaucoup d’autres jeunes. Dans un film tel que les X-Men dont la dernière saga (Dark Phoenix ) est actuellement en salles, un professeur Xavier déboulerait pour venir accoster le jeune Andrej pour peu que celui-ci ait des pouvoirs de mutant. Une psychologue comme Sibyl (l’actrice Virginie Efira dans le dernier film de Justine Triet) l’emmènerait peut-être en voyage sur un lieu de tournage ou le suivrait tel un Basquiat dans ses virées nocturnes.

Mais Andrej n’a pas de pouvoir particulier y compris dans le domaine artistique. Tout au plus a-t’il un beau physique qui pourrait peut-être lui permettre de développer une carrière dans le cinéma ou dans le mannequinat. Et cela est visiblement éloigné de son idéal. Sibyl, elle, est trop occupée à essayer de sortir de la boite de son alcoolisme comme à recoudre son couple et sa famille pour s’occuper d’Andrej. Même si les priorités de celui-ci, se faire accepter par celles et ceux qu’il se choisit comme modèles, se faire aimer, leur sont communes. Surtout, que, comme Sibyl, Andrej ne recule devant-presque- rien pour se faire accepter et aimer.

 

Andrej, entre son père et sa mère, à son arrivée au centre de "détention".
Andrej, entre son père et sa mère, à son arrivée au centre de « détention » pour mineurs.

 

 

Le « centre de détention » pour mineurs où Andrej atterrit (faute d’avoir pu obtenir une place dans l’école privée et très sélect pour mutants du professeur Charles Xavier ou un rendez-vous en consultation avec Sibyl) peut avoir des ambitions que l’on peut juger au choix ridicules ( pauvres éducateurs constamment ridiculisés dans le film !) ou hypocrites. Mais au moins ce centre de détention, qui est aussi un lieu d’accueil et de tentative d’apprentissage et d’éducation sociale, existe-t’il. Ce qui reste un peu mieux que d’être accueilli par la rue, la prostitution, la mafia, un combo terroriste ou sectaire. Même s’il est vrai que ce centre « de détention » est peu glamour dans ce qu’il propose : au champagne, alcools, stupéfiants, bonne musique et bonne ambiance succède ici une manufacture miniature assez paumée où le projet principal consiste plutôt à essayer de transformer les jeunes qui y passent en OS sous-qualifiés pour l’usine bien plus qu’en de brillants ingénieurs qui pourront ensuite aspirer être embauchés chez Apple afin de contribuer à faire évoluer ses systèmes d’exploitation et ses divers produits.

 

Andrej, au centre, Zeljko à gauche.

 

Pourquoi ai-je autant de mal à parler de la préférence sexuelle d’Andrej qui semble être le rouage principal de ses problèmes dans ce film ? Je crois que c’est parce-que l’Amour, selon Andrej, c’est se choisir un être ou un implant auquel se soumettre et pour lequel on est prêt à passer à tabac des innocents et des plus faibles qui ont pour principal « défaut » d’être les victimes choisies par l’être « vénéré ». L’être « vénéré » par Andrej dans Conséquences, c’est Zeljko (l’acteur Timon Sturbej). Un jeune homme particulièrement « vénère ». Zeljko, sorte de dandy-maquereau d’origine sociale et culturelle modeste, où pieuvre passée Maitre es- perversion, jouit à la fois par toutes ses pores de la souffrance qu’il peut – faire- infliger à son entourage comme de toutes les opportunités qui passent à sa portée. On peut vraiment dire de Zeljko qu’il n’a pas de limites ou qu’il les repousse comme il respire.

 

Le « hautement » sympathique Zeljko ( l’acteur Timon Sturbej)

 

 

 

A les regarder, Andrej et ses nouveaux « copains » sont des bébés obsédés par la recherche de l’intensité du présent. Mais ce sont des grands bébés (psychopathes) d’autant plus intimidants qu’ils sont terrifiés par le monde et le futur. Ils restent donc entre eux. Leurs « fêtes » ressemblent à des grossières décalcomanies de ce qu’ils considèrent être une belle vie : elles nécessitent souvent des victimes sacrifiées qu’ils ont agressées et pigeonnées. Soit un certain aperçu négatif de ce qui se pratique légalement et couramment- socialement et économiquement- à un plus haut niveau et à une plus grande échelle dans nos pays démocratiques, modernes et civilisés où l’enrichissement, le confort et les privilèges d’une certaine élite politique, industrielle, financière, économique, culturelle, militaire et autre se perpétuent et s’accentuent aussi au détriment de bien d’autres personnes plus ou moins consentantes. Plus ou moins pigeonnées. Plus ou moins agressées, plus ou moins informées, plus ou moins concernées. Et plus ou moins sacrifiées.

 

Une Sibyl sobre et en forme expliquerait peut-être qu’Andrej frappe d’autres personnes comme il frappe à des portes dans l’espoir que quelqu’un l’accepte et le fasse entrer dans une demeure familiale et chaleureuse. A la maison, qu’il fuit d’abord pour des soirées dans d’autres maisons, dominé par sa mère qui domine et éjecte/exècre son père en tant que puissance virile, Andrej supprime son impulsivité qui le pousserait à frapper sa mère. Car il la tuerait sans aucun doute : celle-ci, physiquement, ne ferait pas le poids. Mais, à la maison, c’est elle qui fait et détient la loi. Affronter son père est impossible car celui-ci est déja rompu : un affrontement est possible avec un adversaire de connivence ou de taille à répondre à la violence qu’on lui envoie. Le centre de « détention » où Andrej est envoyé est un peu une « consécration » et une déresponsibilisation pour sa mère. Elle s’y montre d’autant plus à son avantage, plutôt respectable et souriante. Le père, lui, continue de porter son visage et son alliance d’homme raté et humilié. De par ses frasques, Andrej est pointé du doigt. Mais c’est à l’intérieur de la famille qu’il faudrait se rendre afin de faire sortir les transes du mal-être d’Andrej dont l’homosexualité est une explication parmi d’autres. Le personnage de Zeljko, de par sa force masculine dominante, semble peut-être reconstituer l’image fracassée et dévalorisée du père d’Andrej. Or, bien des Amours semblent les meilleurs sommets à même de pouvoir compenser certaines de nos pertes.

 

 

C’est au moins pour cela que, même si les éducateurs- et la juge- dans le film sont déployés à leur désavantage, Conséquences est une œuvre réaliste. L’expérience personnelle et professionnelle du réalisateur en tant qu’éducateur ( Darko Stante est « actuellement tuteur dans un centre de réhabilitation de jeunes en difficulté » ) se retrouve ainsi dans son film dont on aimerait connaître la suite.

Selon notre optimisme ou notre pessimisme, on peut imaginer cette suite en repensant à quelques films déjà réalisés que l’on évoque des personnages qui font ensuite carrière dans certains groupes néonazis ( tels Un Français de Diastème) terroristes ( La Désintégration de Philippe Faucon) sectaires ( The Master de Paul Thomas Anderson). Des films où le trouble identitaire – et la difficulté où l’impossibilité à « se réussir » en tant que personne- conduisent les « héros » à aboutir à la consommation de stupéfiants, au meurtre, aux excès de violence, à la délinquance ou à la manipulation (Le Talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella).

Conséquences est annoncé en salles tantôt le 19 juin 2019 tantôt le 26 juin 2019. C’est-à-dire : bientôt.

Franck Unimon, ce mardi 18 juin 2019.

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Cinéma

Dark Phoenix

 

 

Dark Phoenix, le « dernier » X-Men à ce jour a été réalisé par Simon Kinberg. Sorti en salles la semaine dernière, Dark Phoenix bénéficie d’une bonne critique dans le Télérama numéro 3621 du 8 au 14 juin 2019. C’est dire ! Quelle surprise !

Abonné à Télérama depuis des années, je puis témoigner que cet hebdomadaire aime peu ce genre de grosse production qui est un peu l’équivalent de la pâtée pour chiens pour tout média qui se veut respectueux du 7ème art et éduqué à le goûter comme à le prononcer. Mais il faut rappeler, aussi, que Télérama avait beaucoup aimé le Valerian réalisé par Luc Besson. Lequel Valerian m’avait beaucoup fait penser – aussi- à une campagne de « name dropping » en matière de célébrités invitées, cachetées et plus ou moins cachées. Peut-être par amitié ainsi que pour répondre à cette nécessité de placement de produits plus ou moins consentis car réaliser un film peut coûter très cher. Economiquement et personnellement. Comme pour un mariage, lorsque l’on réalise un film, il faut savoir qui inviter et qui l’on peut se permettre de négliger, pour la suite de sa carrière professionnelle et personnelle. Les femmes et les hommes politiques officiels et officieux savent très bien faire ça qu’ils évoluent à l’échelon international, municipal ou libidinal : c’est dans les couloirs et dans ces zones où s’évaporent les regards et les consciences que l’on dévore le mieux sa proie. Après ça, on a tout le temps de se refaire une beauté et de prendre un certain public pour un champ de pommes grâce à une superbe com’.

« Come » qui, en Anglais, signifie aussi « jouir ». « Come again ! » disent parfois certains chanteurs à leurs choristes ou à leurs musiciens. Et, je vais continuer de dégainer.

On peut aimer le cinéma d’auteur et aimer les films de super-héros. On peut aimer lire Télérama et des journaux à première vue moins prestigieux. On peut aussi également aimer certaines séries telles que Game of Thrones dont la dernière saison s’est terminée il y’a quelques semaines. Et, cela, quels que soient les défauts ajoutés des uns et des autres. Quand il y’en a bien-sûr. On peut aimer le cinéma d’Alejandro Gonzalez Innaritu qui a présidé le dernier festival de Cannes, l’avoir interviewé il y’a plusieurs années pour son film Biutiful, connaître son point de vue- et l’approuver- sur tous ces films de super héros qu’il a aussi critiqué dans son très bon – et oscarisé- Birdman . Et le « trahir ».  En se rendant en salle avec plaisir afin d’aller voir le « dernier » X-Men.

Dans Dark Phoenix, le personnage de Phénix/ Jean Grey est joué par l’actrice Sophie Turner. Jouera-t’elle un jour dans un des films d’Innaritu ?

L’actrice Sophie Turner a été « révélée » par la série Game of Thrones. Game of Thrones est cette super série qui a obtenu un certain nombre de prix et qui a sans doute battu un record historique pour sa capacité à assurer une seconde vie à la carrière de plusieurs de ses actrices et acteurs. Game of Thrones est cette série dont l’issue a tellement déçu un certain nombre de ses fans qu’il circulerait sur le net  la pétition de plus d’un million d’entre eux exigeant une autre fin. Cela pour dire à quel point cette série a touché la vie de beaucoup de personnes dans le monde. Et aussi comme le fait d’en avoir fait partie en tant qu’actrice et acteur est un « plus ».

Rappelons que la très bonne carrière d’une actrice et d’un acteur peut varier du simple au double selon les bons projets auxquels elle/il aura eu la possibilité de participer. Si la qualité de jeu et le travail entrent en compte, le facteur chance, son environnement relationnel et la médiatisation d’une actrice et d’un acteur, sa « rentabilité » ou son côte « bankable » voire sa réputation, comptent tout autant voire davantage : « C’est qui cette actrice ? Je connais pas…. » est beaucoup moins vendeur que : « Ah, oui, c’est celle qui joue dans Game of Thrones… ». Aujourd’hui, en 2019, il faudrait être un professionnel du cinéma mutant ou mourant pour ignorer le nom de la série Game of Thrones.

L’attrait des films de « mutant » et de super-héros, repose beaucoup sur la quête identitaire. Qui suis-je ? A quoi suis-je destiné ? De quoi suis-je véritablement capable ? Comment être aimé et reconnu ? Des préoccupations qui nous concernent tous et qui creusent beaucoup, jusqu’à la souffrance, bien des adolescents et préadolescents. Mais aussi des adultes. D’où le succès de ces films comme de ces autres films qui abordent les mêmes thèmes. Sans doute apprendrons-nous un jour que certains jeunes jihadistes avant de « s’engager » avaient aussi beaucoup prisé des films, sagas et des séries tels que les X-Men, Harry Potter, Matrix , Le Seigneur des Anneaux , Divergente, Hunger Games, Game of Thrones…. Sauf que, eux, aucun professeur Xavier ne les a détectés ou n’a tenté de les sauver.

Pourquoi ?

On sait la raison pour laquelle , pour incarner Jean Grey/ Phénix, l’actrice Sophie Turner a été choisie : Pour effectuer une réplique de son rôle dans Game of Thrones . Mais avec plus de pouvoirs ou de puissance de feu. Quelle imagination !

La puissance de « Sansa Stark »( au fait,  » Stark », en Anglais, c’est proche du mot « Star »,  « étoile »)  dans Dark Phoenix et sa façon d’en digérer la greffe fait d’elle l’égale ou la supérieure d’un Hulk. Mais je parle ici du Hulk réalisé par Ang Lee ( 2003), selon moi plus conforme à « l’âme » du Comics pour sa ruisselante puissance plutôt qu’aux derniers Hulk pourtant drôlement bien troussés par Mark Ruffalo.

Dans le Hulk d’Ang Lee, je repense maintenant à cette scène où David Banner se trouve devant une porte. Derrière cette porte ou ce placard (vu qu’Ang Lee peut être vu comme un réalisateur du « coming out » depuis au moins son film Garçon d’Honneur réalisé en 1993 soit 12 ans avant son Le Secret de Brokeback Mountain ) se trouve la frayeur Hulk.

La mouvance féministe de Dark Phoenix a peut-être plu à Télérama. Et on pourrait sûrement dire que les tergiversations du personnage de Jean Grey/ Phénix sont une des facettes d’une (jeune) femme qui tente de s’émanciper (de la même façon que Sansa Stark dans dans Game of Thrones !) dans un monde de mâles post-Weinstein et contemporain de l’esprit Balance ton porc/ Me Too.

Mais, en matière de féminisme, on remerciera davantage- pour les subtilités de jeu- les rôles tenus par Jennifer Lawrence, qui, une fois de plus, en Raven/ Mystique bonifie ce qu’on lui donne et, encore plus peut-être, Jessica Chastain dans le rôle de Vuk :

Même moyennant un abonnement de cent mille ans à Télérama, je m’abstiendrais de partir en voyage de noces avec le personnage de Vuk proposé par Jessica Chastain. Et il n’y’a rien de sexiste dans le fait de préférer les prestations de Jessica Chastain et de Jennifer Lawrence à celle de Sophie Turner en ce sens qu’il semble très difficile de faire plus chaste et plus puritain que dans Dark Phoenix et les autres X-Men. Les principaux moments proches de la jouissance sont la propriété de Vuk ( Jessica Chastain, rousse dans le civil, couleur de cheveux plutôt mal perçue selon certaines croyances et époques), la force néfaste, ou « double » du lac des cygnes.

Du côté des « bons » et des gentils, c’est ceinture de chasteté et autres expédients. Pour cela, j’invite les spectateurs ou futurs spectateurs à se remémorer l’histoire d’amour de Raven/ Mystique avec Le Fauve. Ainsi que ce conformisme imperturbable- et déroutant pour une œuvre supposée tolérante et futuriste- dès que l’on parle des identités de genre et des préférences sexuelles. Il existe là un vide sémantique constant de film en film. Et ce vide reflète aussi l’impossibilité au moins pour les sagas X-Men à nous montrer ce qui pourrait exister au delà de certaines frontières, en particulier raciales et culturelles, en dépit des bonnes intentions affichées. Soit une saga rétrograde –  nombriliste et très pro-américaine- alors qu’elle se veut visionnaire.

Après m’être ainsi acharné sur l’actrice Sophie Turner et cet article de Télérama, passons à quelques autres singularités de Dark Phoenix qui marche très bien en salles depuis sa sortie en France et qui devance le film Parasite (Palme d’or à Cannes cette année) de Bong Joon-Ho, pour la première place en nombre d’entrées.

Dans Dark Phoenix, le père de Jean Grey/ Phénix en prend pour son prépuce de bout en bout. Lorsque notre vie a mal débuté, il faut bien- aussi- pouvoir s’en prendre à quelqu’un d’autre à un moment donné. Le père de Jean Grey/ Phénix « gagne » le jackpot. Il a tout contre lui, cet homme. On peut même se demander comment il fait pour éviter l’alcoolisme et le suicide. Va-t’il seulement sur Facebook ? Connait-il Game of Thrones ? Cet homme-là a vraiment tout raté. Pendant ce temps-là, le professeur Xavier, notre druide télépathe, continue de jouer les bons samaritains. C’est quelqu’un de bien, le professeur Xavier ! Même si son égo va quand même tâter du désert plutôt que du bourre-sein dans Dark Phoenix, il va s’en remettre. Le père de Jean Grey, lui, va en baver. Tout est fait pour. Quel suspense ! Quel scénario ! Il a perdu sa femme, mère de leur fille ? Oui, c’est très dur. Mais quand même, de là à… Il faut qu’il paie, hein ! Quelle enflure ! Quel lâche ! Ah, ces hommes, tous les mêmes ! Par contre, le professeur Xavier, lui, il est parfait. Indemne du drame vécu par le père et par Jean Grey, il débarque avec son fauteuil roulant, façon chasseur de têtes ou recruteur de talents qui vient faire ses courses et il sauve la mise au père et à Jean (prononcer : « Djin » comme l’esprit voire le saint esprit ou « Jean » comme le titre « Billie Jean » qui va dans les aigus).

Parce que Jean a des pouvoirs particuliers. Et pas uniquement capillaires. Sans ses pouvoirs, Jean Grey finirait sûrement dans un orphelinat ou dans une maison d’accueil mais, ça, c’est chercher la super nova dans le yaourt. Parce-que tout le monde sait que tout le monde a des super pouvoirs et que les super pouvoirs des X-Men sont bien-sûr une métaphore de nos propres pouvoirs que nous méconnaissons.

Et puis, il va absolument falloir faire quelque chose pour tous ces mutants aux super pouvoirs dont l’intelligence stratégique en plein combat est privée de l’ADSL. Il faut tout leur dire ! Quelle faible capacité d’analyse. Tornade, autre figure féministe affichée, je me demande comment, en maitrisant à ce point les éléments, elle peut continuer de se faire bousculer par des vilains de division d’honneur.  ça « sent » la femme battue.

Ce serait peut-être aussi bien d’apprendre à nos « Maitres » du monde américains, que la France, en 2019, c’est un (petit) peu plus que des DS, des Deux Chevaux et la Tour Eiffel. Et que si au monopoly, la Rue de la paix fait partie des rues les plus chères à acheter, dans la vraie vie, ce sont aussi des gens plutôt aisés et privilégiés qui y habitent.

Franck Unimon, ce vendredi 14 juin 2019.

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Cinéma

Redemption Day

CANNES, FRANCE – MAY 21: Actor Gary Dourdan (2nd from L) attends the screening of « Once Upon A Time In Hollywood » during the 72nd annual Cannes Film Festival on May 21, 2019 in Cannes, France. (Photo by Marc Piasecki/FilmMagic)

 

Redemption Day un film de Hicham Hajji

 

Le festival de Cannes 2019 s’est terminé le 25 Mai 2019 sous la présidence du réalisateur Alejandro Gonzales Inarritu. Le palmarès remporté par les films à thématique sociale ou regardant le monde de face est conforme aux engagements du personnage.

Alejandro Gonzalez Innaritu est ce réalisateur que j’avais interviewé – un souvenir marquant dont je parlerai peut-être un jour dans ce blog- à propos de son film Biutiful pour le mensuel Brazil et qui m’avait confirmé, après m’avoir presque cuisiné pour s’assurer que j’avais bien vu son film- et quand ?!- avant de l’interviewer :

« This is not Disney World ! ».

 

Cependant, le festival de Cannes, en coulisses, c’est également un festival où l’on crée des contacts professionnels et où l’on cherche – aussi- des producteurs et des distributeurs.

Hicham Hajji, originaire du Maroc, est dans cette situation du réalisateur qui cherche aujourd’hui des distributeurs pour son premier long métrage : Redemption Day. Et il était donc présent à ce dernier festival de Cannes comme le montre cette photo ( le 2ème à droite à partir de l’acteur Gary Dourdan). Avec ce film, et après avoir été premier assistant réalisateur pendant une dizaine d’années, producteur pendant autant d’années, et réalisé plusieurs courts métrages en particulier pour la pub, Hicham Hajji a décidé de rendre encore plus concrète son envie de réalisation.

Je n’ai pas vu ce film réalisé au Maroc et à New-York et dont le tournage s’est achevé ce 16 Mai à New-York. D’après la fiche technique, il sera sur la table de montage à partir de ce 15 juin 2019 et pourra être livré fin 2019. Il se trouve que le 15 Juin est une date particulière pour moi. Mais ça, c’est mon histoire.

Dans sa note d’intention, Hicham Hajji explique avoir vendu son appartement afin de créer sa société de production : H-Films. Et pour continuer d’augmenter ses chances professionnelles, il est parti s’installer à Los Angeles. Le titre de son film, Redemption Day, a sans doute un rapport avec la chanson de Bob Marley. On peut voir un portrait de Bob Marley dans le court-métrage Chaala réalisé quelques années plus tôt par Hicham Hajji. Bob Marley est un chanteur qui me parle. C’est mon enfance.

Hicham Hajji assume le visage commercial de son film qui se situe dans le registre de l’action à l’américaine où le sujet de la lutte contre le terrorisme, en particulier islamiste, est abordé. Samy Naceri joue le rôle du terroriste. Ce qui pourrait faire penser à un rôle à double sens dans le milieu du cinéma compte tenu de la carrière- plutôt explosive- de celui-ci depuis plusieurs années. Mais on peut aussi voir la présence de Samy Naceri dans ce film comme une belle preuve de survie cinématographique et professionnelle. Dans Rédemption Day  se trouvent aussi d’autres acteurs dont l’itinéraire cinématographique et personnel est plus stable, passé le héros du film qui n’est autre que l’acteur Gary Dourdan, principalement connu pour son rôle dans la série Les Experts bien qu’il ait participé à d’autres projets cinématographiques tels Alien, la Résurrection. Suivent les acteurs Andy Garcia, Ernie Hudson (Oz, SOS Fantômes), Robert Knepper (Prison Break, Jack Reacher, Hunger Games) et Martin Donovan (les films de Hal Hartley tels que The Inbelievable Truth, Simple Men mais aussi…Malcolm X de Spike Lee ).

Derrière ce film qui affiche sa volonté de remporter la bataille économique ( d’être rentable) ainsi que la détermination de son réalisateur, figure aussi un événement personnel :

La mort de la photographe et vidéaste franco-marocaine Leila Alaoui, le 15 janvier 2016, lors d’un attentat terroriste au Burkina Faso alors que mandatée par Amnesty International, celle-ci effectuait un travail sur les droits des femmes au Burkina Faso. Née en 1982 comme Hicham Hajji, Leila Alaoui était la sœur d’un de ses amis. Et selon les propos de la fondation qui porte son nom (la Fondation Leila Alaoui) :

« Son travail explorait la construction d’identité, les diversités culturelles et la migration dans l’espace méditerranéen ».

Même si le film de Hicham Hajji a une autre patte que le travail de Leila Alaoui, souhaitons-lui la meilleure des diffusions. Redemption Day sera sûrement un film qui parlera peut-être mieux à celles et ceux qui refuseront d’aller voir un film comme Le Jeune Ahmed des frères Dardenne, primé à Cannes cette année.

Qu’est-ce qui fait qu’un film ou un projet, plutôt qu’un autre, réussit à sortir et à trouver son public ? C’est à la fois l’histoire du cinéma et de la vie.

Franck Unimon, ce mardi 4 juin 2019.

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Cinéma

Digressions à partir de la série documentaire Paris 8, la fac Hip Hop de Pascal Tessaud

 

 

Digressions à partir de la série documentaire Paris 8, la Fac Hip Hop de Pascal Tessaud

 

On peut être une des pièces du puzzle de l’underground. Tout en l’ignorant.

 

La télé était encore la frontière principale la plus visible de nos vies. En la franchissant, nous apprenions ce que nous devions savoir du monde mais aussi ce dont nous devions nous rappeler. Ainsi, en France, cinquième Puissance Mondiale, les numéros 1 officiels de la chanson s’appelaient Julien Clerc, Gérard Lenorman, Michel Sardou, Alain Souchon, Claude François, Mireille Matthieu, Dalida, Johnny Halliday et d’autres que notre mémoire encourage encore. Et pardonne. C’était avant l’émission The Voice avec les jurés actuels Julien Clerc, Jennifer, Mika et Soprano. C’était un ou deux ans avant l’enracinement de l’événement télévisuel de la série Dallas dans le monde( au moins en occident), en France mais aussi aux Antilles françaises. Avant qu’en Guadeloupe, les paroles d’une chanson dise :

« Sue Ellen Ka Bwè Whisky, Dallas ! » (« Sue Ellen boit du whisky, Dallas ! ».

C’était avant qu’au Sénégal, Youssou N’Dour, dans une de ses chansons, n’évoque les bouleversements sociologiques entraînés par la télé et cette « fameuse émission » qu’était…Dallas ! Avant que Youssou N’Dour, encore, fasse son tube Seven Seconds avec Neneh Cherry.

 

Il était néanmoins des circonstances où même enceinte des éclats de notre quotidien, la télé demeurait dans son enclos ou à quai. Eteinte ou provisoirement quittée.

Cette nuit-là, nous nous étions passés de ses étreintes. Dans l’appartement HLM où nous étions, à Colombes, à quelques minutes à pied de l’hôpital Louis Mourier. Chez des parents, les chansons et les musiques des numéros 1 officiels de la télé française avaient disparu, dissociées des tubes des numéros 1 du moment de la musique antillaise. Nous étions sans doute tous réunis pour un baptême ou une communion. D’un côté, en journée et durant la semaine, la tradition catholique et la langue française, héritages mentaux autant que coloniaux et culturels dominés par la couleur blanche. De l’autre, « entre nous », cette nuit-là comme pour d’autres, la musique  » noire », la danse, le créole, la nourriture et les « pays » de reco-naissance et d’origine redevenaient les sillons d’autres histoires, d’autres corps et d’autres visages absents de la télé – et du cinéma- que nous regardions. Et gardions.

Cette nuit-là, ces considérations m’étaient des langues étrangères que je parlais couramment. Mais je me rappelle du trou noir sonore soudainement produit par le Rapper’s Delight de Sugarhill Gang lors de la soirée. Plus rien d’autre n’existait à part lui. Hormis bien-sûr les silhouettes se glissant dans les fuseaux horaires de sa basse et de sa diction. C’est le seul titre de cette soirée dont je me rappelle quarante ans plus tard. Sans doute parce-que, « Premier » tube mondial de Rap en 1979, Rapper’s Delight a été tellement diffusé qu’il a – comme la plupart des tubes- monopolisé la mémoire et l’attention au détriment de beaucoup d’autres titres et artistes du moment. Mais peut-être aussi parce-que certains titres et tubes sont, plus que d’autres, les branchies sonores qui marquent, épaississent et espacent certains moments de nos vies.

Après Rapper’s Delight de Sugarhill Gang en 1979, le second tube Rap « mondial » (en occident) à marquer la planète fut The Message de Grandmaster Flash en 1982. Il y’a aussi eu l’album Planet Rock d’Afrika Bambaataa mais là, on entrait déjà dans le mouvement Hip-Hop qui, je crois, parlait davantage à quelques connaisseurs. Je « connais » Afrika Bambaataa parce qu’il a été médiatisé. Mais c’est assez relatif. Quant au Dj Kool Herc, moins connu (du grand public dont j’étais et je reste)  je le cite d’après mes recherches. Et aussi parce qu’il fait partie des figures importantes du mouvement Hip-Hop.

Puis, question « tubes » mondiaux dans la sphère Rap/Hip-Hop, allaient suivre The Crown de Stevie Wonder et Gary Bird en 1983. Mais aussi le titre Rock it de Herbie Hancock.

Avec Rapper’s Delight, The Message, la personnalité d’Afrika Bambaataa, les titres The Crown et Rock it (ou voire le tube Last Night A DJ Saved my Life en 1982 du groupe Indeep), je me concentre ici sur ce que mes souvenirs me rendent de l’engouement que ces titres avaient pu susciter au moins en région parisienne à leur sortie dans les années 80. Le titre Rock it, par exemple, avait plus tard servi comme musique lors d’une des attractions du Futuroscope de Poitiers inauguré en 1987.

Mais dans les années 80, à part l’émission Hip Hop, proposée et animée les dimanches par Sidney Duteil à partir de 1984, le mouvement Hip Hop et la musique Rap -ainsi que la couleur d’une manière générale- peinent à entrer dans les mœurs de la chanson, de la télé comme dans les réalisations cinématographiques françaises. Et ce, malgré la marche des Beurs en 1983.

Il y a bien-sûr des exceptions : l’humoriste Pascal Légitimus avec les Inconnus ; le chanteur Karim Kacel ; le groupe Carte de Séjour de Rachid Taha ; La Compagnie Créole ; l’acteur Greg Germain dans Médecins de nuit. Farid Chopel. Des artistes extérieurs à l’univers du mouvement Hip-Hop et Rap. Pascal Légitimus , par exemple, a fait plusieurs parodies de Rap avec ses acolytes Bourdon et Campan qui sont devenus des tubes en France (Auteuil, Neuilly, Passy pour citer un titre). Un groupe comme Chagrin d’Amour avec son tube Chacun fait c’qui lui plait (en 1981) s’inspire aussi du Rap. Mais dans les arcanes officielles de la société française- ainsi que dans sa télévision- le mouvement Hip/Hop et le Rap ne prennent pas dans un premier temps dans les années 80. On pense à une mode. J’ai pensé à une mode.

Des genres musicaux comme la new wave et la « techno » se sont aussi étendus dans les années 80 aux côtés de groupes plus ou moins pop-rock en ce sens qu’ils concilient une certaine mélodie et quelques riffs dansants et insistants. Et ils marchent bien. Depeche Mode. Soft Cell. Duran Duran. Talk-Talk. Tears for fear. INXS. Frankie Goes to Hollywood. Bronski Beat. Ou Police dans un registre punk-Reggae. Culture Club. Simply Red. UB40. Madonna….

Après avoir connu un acmé à la fin des années 70 avec AC/DC en particulier, le crépitement        « Hard-Rock » donne un de ses derniers tubes avec le  Still Loving You du groupe Scorpions en 1984. U2 marque les esprits avec son album War (1983). Michaël Jackson est alors sûrement le meilleur « compromis » pour fédérer pacifiquement non-blancs et blancs autour d’une même musique (son album Thriller sort en 1982) et dans une même salle de concert.

La vibe reggae perd peu à peu son meilleur VRP international avec la mort de Bob Marley en 1981. Même si Jimmy Cliff en 1983 nous est « présenté » comme le nouveau « roi » du Reggae avec son tube Reggae Night. Indirectement, Michaël Jackson récupère peut-être une partie du public « one love » de Bob Marley.

Les années 80 en France, c’est aussi Taxi Girl, Mylène Farmer, Etienne Daho, Alain Bashung. « Encore » Serge Gainsbourg. Vanessa Paradis. Florent Pagny. Renaud. Indochine. Telephone. Patrick Bruel. France Gall et Michel Berger. Daniel Balavoine. Eddy Mitchell. Laurent Voulzy. Jane Birkin. Lio. Chantal Goya. Richard Gotainer. Enrico Macias. Hervé Vilar. Christophe. Patricia Kaas. Francis Cabrel. Jean-Jacques Goldmann. Jeanne Mas.

Les années 80, c’est aussi les  » années Sida »( bien que celui-ci, aujourd’hui, soit toujours présent). Le chômage et le Sida. L’épidémie Sida est officialisée et médiatisée. A la télé, impossible de nous dire comment tout a commencé mais on nous explique d’abord que le Sida touche plutôt les homosexuels et les Haïtiens. Sous-entendu :  » la lie de l’humanité ». C’est en tout cas ce que j’ai retenu à l’époque. J’ai oublié, si, dans le lot, on nous parlait aussi des prostitué(es) et des toxicomanes.  La tragédie- et le scandale politique- du  » sang contaminé » qui touchera et tuera des hémophiles et des hétérosexuels « bien sous tous rapports » arrivera après.

Les années 80, c’est encore le bloc Est/Ouest. La fin de l’URSS va arriver à la fin de la décennie. Bientôt, le mur de Berlin va tomber.

Bien-sûr, tout cela, c’est avant l’ère internet telle qu’on la connait maintenant. Avant la généralisation d’internet, des réseaux sociaux et de la téléphonie mobile.

Mais on reste extérieur au mouvement Hip/Hop et Rap et celui-ci semble alors avoir expiré en France.

La série documentaire Paris 8, la Fac Hip Hop de Pascal Tessaud actuellement disponible sur Arte jusqu’au 7 avril 2022 nous démontre le contraire en dix volets. Dix volets d’une durée moyenne de 7-8 minutes chacun qui nous raconte le prolongement du mouvement Hip Hop en banlieue parisienne dans les années 90 après sa mise à feu dans les années 70-80.

Pascal Tessaud a réalisé le long métrage Brooklyn en 2014. Film auto-produit également consacré au milieu Hip Hop et Rap et présenté au festival de Cannes dans la sélection Acid.  Avant Brooklyn, entre 2002 et 2012, Pascal Tessaud avait auparavant réalisé quatre courts-métrages : Noctambules, L’été de Noura, Faciès, La Ville Lumière . Mais aussi le documentaire Slam, ce qui nous brûle ( 2007). En 2009, il a aussi écrit un livre : Paul Carpita, cinéaste franc-tireur. Cette présentation est un résumé pour introduire le fait que Pascal Tessaud a une culture Hip Hop/ Rap  et cinéma. Toute culture repose sur la production et l’expression ( ou l’émergence) à un moment ou un autre de réflexions sur le monde distribuées par certaines énergies.

La série Paris 8, la Fac Hip Hop relaie ces énergies et ces réflexions.

Aujourd’hui, en 2019, beaucoup de personnes écoutent du Rap. C’est devenu la norme (ou « mainstream »). Il se trouvera bien des personnes qui s’en détournent ou qui expliqueront avoir arrêté d’en écouter. Mais il sera impossible à ces personnes, en France, si elles sont un peu curieuses et « regardent » les média disponibles, d’ignorer totalement quelqu’un parmi les noms d’Orelsan, Eddy de Pretto, PNL, Booba, Kaaris, NTM, IAM, Jul et d’autres. Comme il sera tout à fait possible à beaucoup d’autres, aujourd’hui, de se rendre au concert d’un ou de plusieurs de ces artistes de Rap et de bien d’autres (français ou américains en majorité) alors que cette action était plutôt réservée à une certaine frange au moins de la population et de la société française dans les années 90. Pour des questions de réputation et de fréquentations. Mais aussi pour des questions de « goût » musical et culturel.

En écoutant le premier album Lost& Found (2018) de la chanteuse plus que prometteuse Jorja Smith, on trouve par exemple le titre Lifeboats ( Freestyle). Un titre indiscutablement adossé à un esprit Rap. Sauf qu’en 1990-1991, époque sur laquelle se concentre la série documentaire de Pascal Tessaud, Jorja Smith n’était…pas née.

Un artiste mondialement connu comme Will.i.am fondateur du groupe Black Eyed Peas et co-compositeur (avec David Guetta et Fred Rister) du tube I Gotta Feeling (2009) vendu à des millions d’exemplaires –  et sur lequel a eu lieu le premier Flashmob lors d’une émission d’Oprah Winfrey-  est originellement un Rappeur. Et même Prince, de son vivant, avait versé dans le Rap (réécouter son titre Get off ou, simplement, son tube Sign O The Times en 1987). Mais nous citons ici des artistes mondialement connus (pour Will.i.am et Prince) alors que le propos de Pascal Tessaud est de démontrer que le Hip Hop et le Rap ont été des moyens d’existence et d’expression pour une certaine jeunesse ignorée – ou recalée- des standards de réussite de la société française.

La personnalité de Georges Lapassade se doit d’être nommée. Tant elle est centrale dans la série documentaire ainsi que dans cette initiative d’avoir voulu faire de l’université de Paris 8 située à St-Denis (en banlieue parisienne) une fac Hip-Hop dans les années 90. Lapassade rappelle ces adultes influents (dans tous les sens du terme) qui savent aborder des jeunes pas forcément faciles d’accès. Lapassade rappelle ces adultes établis et reconnus socialement, pourvus d’une certaine autorité, qui savent parler à des jeunes, les valoriser, les « canaliser » et leur donner des moyens pour croire en eux afin de passer de l’adolescence à l’âge adulte. Il manque de tels passeurs dans nos sociétés «modernes » par volonté politique, ignorance….ou lâcheté. Désormais, lorsque l’on entend parler de « passeurs », le plus souvent, c’est pour nous parler de celles et ceux qui escroquent les migrants qui tentent de fuir leur pays afin de survivre.

Le rôle de « passeur » de Lapassade, ici, et de celles et ceux qui ont été ses collègues  -voire ses     « subordonnés » adultes- a bien-sûr été plus proche de celui d’éducateurs. Cela est bien montré dans la série documentaire Paris 8, la Fac Hip-Hop au moyen des archives que Pascal Tessaud a pu récupérer (dix pour cent d’entre elles car les 90 pour cent restantes avaient été détruites !) ou l’on peut apercevoir quelques fois un jeune Mc Solaar, un jeune Ménélik mais aussi un jeune Joey Starr.

Au travers d’interviews, différents acteurs ( tant du côté des anciens professeurs que des rappeurs et des jeunes artistes de cette époque) acceptent de revenir sur cette dynamique :

Cristina Lopes, Juan Massenya, Pascale Obolo, Menelik, Sear (fondateur de Getz Busy), Madj      ( ex-responsable d’Assassin Productions), M’widi ( rappeur au coude à coude dans les années 90 avec Mc Solaar pour sortir un premier album ), Mode 2 ( graffeur), Menelik, Banga, King Bobo, Swen ( de NTM), Driver, Mc Solaar, le fils de Desdemone Bardin et d’autres.

J’aurais aimé que le documentaire nous en dise davantage sur les répercussions du conflit entre Lapassade et Desdemone Bardin. Car on a l’impression que cette rupture entre ces deux «éminences » a peu pesé sur l’aventure fac Hip-Hop alors que ça a dû être le cas.

J’ai beaucoup aimé le spécial portrait( Le Prince du Mic)  sur le Rappeur M’Widi que j’ai découvert. A travers lui, et son intelligente autocritique, c’est le parcours de tous ces artistes ou autres qui « ratent » une carrière que l’on voit. Même si l’avis des ex-Ladies Night nuance cette vision. Lorsqu’elles disent qu’elles n’étaient pas « malléables » et qu’elles n’auraient pas pu être « Un Girl Band ». Ce qui m’a rappelé que Mc Solaar ( et aussi IAM) avaient d’abord mieux marché et été plus acceptés que NTM ( alors appelé le Suprême NTM ) aussi parce qu’ils passaient «mieux » et étaient plus « fréquentables ». NTM avait pu reprocher à Solaar son côté  « premier de la classe » pour ne pas dire « fayot ». Mais ce serait beaucoup sous-estimer la valeur artistique et culturelle d’IAM et de MC Solaar en retenant uniquement le fait qu’ils étaient… »plus fréquentables ». Disons que ça compte- aussi- dans une vie et dans une carrière de savoir/pouvoir se rendre fréquentable devant les  « bonnes » personnes : celles qui peuvent nous ouvrir des portes.

Plus « présentable », en 1998, Mc Solaar avait ainsi fait partie du jury du festival de Cannes présidé par Martin Scorsese. En 1998, il aurait fallu avoir de puissants dons de voyance pour envisager NTM dans le jury du festival de Cannes. Joey Starr et Kool Shen sont entrés dans les mœurs plus tard. Aujourd’hui, Joey Starr est un acteur recherché. Même Kool Shen a tâté du cinéma en tant qu’acteur. Et, je me rappelle aujourd’hui de l’air satisfait de la consoeur journaliste croisée dans un ascenseur au festival de Cannes alors qu’elle m’avait répondu qu’elle allait interviewer…Joey Starr. Pour son rôle dans le film Polisse de Maïwenn. C’était en 2011. Pour ma consoeur journaliste, interviewer Joey Starr, c’était comme faire partie du carré VIP des journalistes.  Mais l’attaché de presse qui s’occupait du film Polisse ( dont Joey Starr était un des acteurs) était fâché avec le mensuel dont j’étais un des journalistes : le mensuel de cinéma Brazil.

Devant ma « consoeur » journaliste en apesanteur, j’avais donné le change. Mais je m’étais senti un peu puni en étant « privé » de Joey Starr. J’étais parti interviewer Valérie Donzelli pour son film La Guerre est déclarée.

Entre 1998, année où Mc Solaar avait fait partie du jury du festival de Cannes ( l’année de L’éternité et un jour de Theo Angelopoulos, de La Vie est belle de Roberto Begnini, de La Vie rêvée des anges d’Eric Zonca, de Festen de Thomas Vinterberg mais aussi de Slam de Marc Levin ) où l’équipe de France de Football black-blanche-beure était devenue championne du Monde pour la première fois de son Histoire, et 2011, la radicalité de NTM a été profitable.

Grâce aussi à certaines rencontres ( Chabat et son documentaire Authentiques NTM : Un An avec le Suprême NTM co-réalisé en 2000 avec Sear de Get Busy ; Béatrice Dalle etc….) et à leurs bons choix. Comme pour toute carrière et pour tout parcours.

Concernant l’époque traitée ( 1990-1991) dans le documentaire Paris 8, la Fac Hip Hop, je crois que ça aurait été mieux de ne pas mettre la vignette dans le générique de fin où Lapassade est qualifié de « traitre ». Les divers témoignages dans le documentaire nous font suffisamment comprendre que Lapassade était aussi mégalo et opportuniste : Il y a ce passage où il dit/dicte au jeune Mc Solaar qu’il est là pour rapper. Et non pour tagguer. En Italie, Lapassade se sert des jeunes rappeurs qu’il a emmenés (dont Mc Solaar et Menelik, pour les plus connus par la suite ) pour faire sa révolution à l’image d’une espèce de Che Guevera « zoulou » du troisième âge un peu pathétique. On comprend  grâce aux témoignages que Lapassade a voulu faire du Hip Hop son trône. Et qu’il l’a chèrement payé à la fin. Avec sa mise au rebut, sa retraite forcée. Sa solitude. Pour cela, je suis très touché par la reconnaissance du rappeur M’Widi et de Swen ( ex-NTM) envers Lapassade. Celui-ci avait néanmoins ouvert ou entrouvert des portes.

J’aurais bien sûr aimé avoir profité des cours d’Anglais de Desdemone Bardin au moyen des textes de Rap américains qu’elle décryptait. Cela m’aurait sûrement plus parlé que certaines lectures et devoirs de version plutôt classiques et assez scolaires que j’ai eu à faire lors de mes courtes études d’Anglais à la fac de Nanterre entre….1989 et 1992.

L’intervention rétrospective de Mc Solaar sur ce passé est très classe. C’est dommage que sa carrière, aujourd’hui, laisse moins transparaître toute cette classe.

Pour conclure, le documentaire A Voix Haute-La Force de la Parole réalisé en 2016 dans la même fac de St-Denis par Stéphane de Freitas et Ladj Ly semble une extension de cette époque et un complément du documentaire de Pascal Tessaud, Paris 8, la Fac Hip Hop.

Franck Unimon, ce mardi 7 Mai 2019.

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Pig

 

Pig Un film de Mani Haghighi

 

« La réalité ne compte pas, c’est ce qu’on en dit qui compte » assène la jeune Annie Nosrati au réalisateur Hassan Kasmai.

 

Lors de cette scène à huis clos, les rapports se sont inversés entre la jeune groupie inconnue et Hassan Kasmai, le réalisateur provocateur et harcelé. Désormais, une vidéo vue 1,7 million de fois sur les réseaux sociaux les séparent. La groupie opportuniste, avec sa vidéo filmée avec son téléphone portable, totalise alors plus de spectateurs que le réalisateur Hassan Kasmai, réduit à tourner des pubs pour insecticides pour avoir osé s’exprimer en tant qu’artiste. Entre-autre avec son film culte : Rendez-vous à l’abattoir

« Avant », la jeune et belle Annie Nosrati, pendant féminin du Mossad, épiait la vie en mouvement d’Hassan Kasmai. Lorsque Hassan (le très bon acteur Hasan Ma’juni), divinité intellectuelle censurée par les autorités, était admirée pour sa rébellion comme pour son originalité. Lors de cette scène nocturne dans la voiture d’Annie Nosrati, au mépris de certaines bienséances (En outre, en Iran, un homme et une femme peuvent difficilement avoir une telle intimité en dehors du mariage) c’est Hassan qui la poursuit. Et elle qui le « tient ».

Hassan Kasmai, homme « jaloux », barbu bedonnant et court sur pattes, la cinquantaine, les cheveux hirsutes, est un suspect parfait dans ce film où un tueur en série décapite l’un après l’autre les réalisateurs iraniens ( et iraniennes) les plus en vue. Les réalisatrices et les réalisateurs, ces « divinités » qui propagent des images et des carrières comme d’autres font les billets de banque ou des records du monde. Dans son film Pig, le réalisateur Mani Haghighi nous apprend qu’en Iran, tout artiste au moins est suspect. Et pour mieux nous faire ressentir la confusion qui s’inscrit dans la société iranienne entre le vrai et le faux, il parchemine son film de faux meurtres- dont le sien !- de réalisateurs iraniens qui existent véritablement :

Le réalisateur Ebrahim Hatamikia ; la réalisatrice Rakhsan Banietemad ; le réalisateur Hamid Nematollah. Par ailleurs, Hamayoun, le seul ami d’Hassan Kasmai est également le nom d’un réalisateur iranien actuel.

A L’instar du personnage de Rorschach dans les Watchmen, Hassan Kasmai arbore un tissu qui reflète ses émotions. Mais au contraire de Rorschach dont le masque reflète le vrai visage, Hassan, lui, porte ses émotions sur ses tee-shirt : AC/DC, Black Sabbath, Kiss…

Hassan Kasmai est un adolescent attardé qui fait chambre à part. C’est aussi un personnage très féminin – dans ce film très féministe- qui voue un amour platonique irrémédiable à son actrice fétiche qui porte un prénom de divinité :

Shiva Mohajer (l’actrice Leila Hatami, toute en douceur et nuances, et également fille d’un réalisateur iranien). Sauf que tout le monde se surveille et que le voyeurisme est une orthodoxie plus puissante que l’empathie dans Pig.

Les premières images du film nous exposent ce paradoxe entre tradition et modernité :

Un quatuor d’adolescentes voilées et « kawaï » tient conférence en marchant dans  Téhéran à propos des derniers potins concernant des célébrités iraniennes (l’actrice Manaz Afshar et l’acteur Mostafa Zamani). Les selfies et les réseaux sociaux n’ont plus de secrets pour elles. Mais cette « évolution » des mœurs apparaît plus comme une sorte de figuration voire de silhouette dans une société dont les visages et les acteurs principaux restent un certain intégrisme, au mieux un certain conservatisme, ainsi qu’une affection passionnelle pour la mort. La mort a plus de valeur que la vie et se montre le plus honorable chemin vers la notoriété et la respectabilité.

Même s’il peut y avoir des ratés devant certaines morts qui suscitent très peu d’émotion, le titre Highway to Hell d’AC/DC semble être appliqué à la lettre :

Lors de ce trajet qu’Hassan accepte de faire en voiture avec le commissaire de police en revenant d’un enterrement.

Les scènes et les dialogues de Pig sont plusieurs fois pilotés par l’absurde, les doubles sens, les fausses pistes et les métaphores. Lors de cette séquence de voiture intérieure, le commissaire de police va jusqu’à se demander -et demander à Hassan- si le fait d’avoir désormais une nouvelle autoroute plus rapide pour se rendre au cimetière peut être le motif des meurtres en série. Comme s’il fallait rentabiliser l’autoroute menant au cimetière. Le film ne nous indique pas s’il faut s’acquitter d’un droit de péage pour emprunter l’autoroute jusqu’au cimetière. La police est bien-sûr présentée comme aussi puissante que bornée et incompétente. Mais le commissaire aux airs de Droopy , également bienveillant et patient, a aussi mis au point un détecteur de melon aussi performant que bien des détecteurs de mensonges. Ce qui est d’autant plus une belle trouvaille qu’Hassan est aussi un réalisateur qui a attrapé la grosse tête.

Dans ce film plus profond qu’il n’y paraît (au début, en bon occidental ignorant de l’Iran, on peut trouver Pig grotesque et avoir l’impression de perdre son temps) on croise aussi la figure historique de Sattar Khan. Et c’est la mère de Hassan, qui parle Turc ?, et supposée avoir perdu la tête qui détiendrait une part de son héritage.

La solitude s’accroît dans cette société pleine de certitudes et de beautés :

Shiva, l’actrice fétiche d’Hassan, est ainsi connue de beaucoup et « espionnée » par ses voisins mais devient invisible- et sans attrait- lorsqu’elle ne tourne pas. Et elle se retrouve aussi particulièrement seule en cas de danger. Sa célébrité et sa carrière d’actrice se sont sans doute édifiées à l’entrée du cul-de-sac de sa vie privée.

Le Farsi est très agréable à entendre. Pourtant, les femmes et les hommes- même lorsqu’ils vivent ensemble- semblent avoir des vies totalement séparées les uns des autres. Il en découle une suspicion pouvant prendre la forme – sur les réseaux sociaux- d’un harcèlement monté sur le modèle d’imprécations religieuses vibrantes jusqu’à l’ivresse.

Quant aux hommes entre eux, hormis Homayoun, le seul ami d’Hassan, ils brillent par une certaine solidarité pour s’adonner à quelques ragots contre un des leurs ou pour, tel le réalisateur Sohrab Saïdi, se combiner à l’emphase. Son cinéma et son style sont si ampoulés et si kitsch qu’il élimine d’emblée les problèmes d’éclairage. C’est néanmoins lui qui déclare :

« Tuer l’Art, c’est tuer l’Amour ».

La sortie du film en dvd est pour ces jours-ci.

Franck Unimon, ce jeudi 2 mai 2019.

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Je vois rouge

 

Je vois rouge un film de Bojina Panayotova (en salles ce 24 avril 2019)

« Elle fait partie de cette génération qui a décidé de fouiner » (le père de la réalisatrice Bojina Panayotova à la mère de celle-ci) ; « je suis devenue un petit soldat à la caméra » (la réalisatrice Bojina Panayotova dans son film Je vois rouge).

En vieillissant, nous nous en remettons de plus en plus à notre expérience. Après tout, si nous avons survécu, c’est bien la preuve, malgré nos erreurs et nos échecs, que nous avons su comment interpréter le monde qui nous entoure. Et c’est ainsi que nous pouvons devenir malgré nous les standardistes et les VRP de certaines croyances et connaissances que nous prenons pour acquises :

La mémoire des poissons rouges tiendrait à peine sept secondes. Les « Millenials » – dont fait assurément partie la réalisatrice Bojina Panayotova née en 1982 en Bulgarie- seraient « sili-clonés » aux réseaux sociaux comme à toute forme de vie ombilico-tabaco-cacao-numérique sur Terre. Ils seraient incapables de rester concentrés plus de huit secondes sur la même action. Il faudrait donc leur écrire des articles calibrés pour des lectures de moins de huit secondes. Ils seraient déconnectés de la geste citoyenne. Leur conscience moyenne serait enfermée dans une bouteille de soda – ou dans une paire de baskets- et attendrait d’en être délivrée.

Les « Millenials » et les plus jeunes seraient de grands déserteurs de l’Histoire.

A ces « croyances », s’oppose le film de Bojina Panayotova. La réalisatrice avait 7 ans- supposé être « l’âge de raison »- lors de la chute du mur de Berlin en 1989. L’Histoire officielle de la chute du mur de Berlin et ses effets sur les pays de l’Est – dont la Bulgarie- ricochent sur son histoire personnelle. En décidant, en 2018, de revenir en Bulgarie sur cette période d’avant la chute du mur de Berlin – et d’avant la séparation de ses parents- Bojina Panayotova, actrice principale de son « film-skype » propose un certain choc cinématographique et culturel.

 

Rien de révolutionnaire d’un point de vue graphique pourtant. Inutile de chercher le nouveau Blade Runner de Ridley Scott (réalisé en 1982, année de naissance de Bojina Panayotova) , Avalon de Mamoru Oshii ( 2001) ou le Sin City : J’ai tué pour elle de Frank Miller et Robert Rodriguez ( 2014) dans Je vois rouge. L’actrice-réalisatrice est tout simplement d’abord porteuse au moins d’une double culture : bulgare et française. Premier atout, premier choc entre la culture bulgare et française, et premier réservoir de création.

Si Je vois rouge aurait probablement pu surmonter et s’inspirer du handicap de la langue, le fait de suffisamment posséder la langue bulgare permet à Bojina Panayotova certaines audaces et certaines rencontres payantes. Telles que ses discussions avec le moniteur d’auto-école.

 

Et l’on devine aussi à travers son film celle qui a bénéficié- tant mieux pour ses ailes- d’un environnement familial et culturel assez privilégié et qui a su voler vers des études plutôt brillantes. Soit des atouts vraisemblables pour faire chargement de confiance avant de se lancer dans certaines ascensions. Son film est une de ces ascensions. Ensuite, son rapport décomplexé à l’image, sa maitrise technique de la mise en scène de sa vie quotidienne, jusqu’à un certain exhibitionnisme, spécifique à la « norme » skype/selfie d’aujourd’hui, tranche très vite à la fois avec la culture du secret communiste dans laquelle ont vécu ses parents en Bulgarie mais aussi avec leurs valeurs. Soit, selon la chronologie que l’on choisira, le second ou le premier atout et choc de son film. Entre la culture communiste de « l’Europe de l’Est » de son pays natal et d’origine a priori dernière grande « vaincue » de l’Histoire, et la culture capitaliste de « l’Europe de l’Ouest » de son pays de jeune adolescente et de femme. Monde dont la défaite est aussi de plus en plus annoncée mais dont les éboulis restent à ce jour dans les angles morts de nos espaces et souvenirs quotidiens, ce qui nous permet de continuer d’exceller dans notre rôle de grands bédouins du déni.

Si le film de Bojina Panayotova met bien en relief certains faux-semblants dans lesquels ses parents et sa famille- autres bédouins du déni- s’étaient fondus parfois à leur insu, il accueille aussi l’ambiguïté et les limites morales de sa démarche alors qu’elle persévère dans ses recherches sur cette époque d’avant la chute du mur de Berlin et d’avant l’exil de ses parents pour la France :

« Ma vérité ne t’appartient pas » ; « Tu sur-joues pour le film. T’as pas honte ?! » lui dira un moment sa mère. Néanmoins, dans les années 80, un tel film nous aurait peut-être plus facilement convaincu (c’était déja notre mode de pensée) que la réelle liberté et le plein respect des droits de l’enfant, de la femme et de l’homme, se trouvent exclusivement- et en permanence- en occident où la réalisatrice continue principalement de mener sa vie avec son compagnon et futur père de leur premier enfant. Mais en 2019, Je vois rouge nous chuchote que le Monde froid et effrayant où s’étendait le mur de Berlin était aussi le Monde d’une certaine naïveté et ignorance feintes ou délibérées.

 

Alors qu’aujourd’hui, si la quête de la réalisatrice d’un peu de vérité comme d’un peu de sincérité des relations s’accompagnent de désillusions et d’assez grandes blessures pour ses proches, nous savons aujourd’hui en occident que de plus en plus de vérités et de libertés continuent de nous échapper. Et nous sommes peut-être autant voire plus déprimés et pessimistes aujourd’hui que certains citoyens des pays de l’est à l’époque du mur de Berlin.

 

Depuis la place rouge de notre nombril de spectateurs, on pourra pourtant durement- et très gratuitement- juger les parents et la famille de Bojina Panayotova et les voir comme des stakhanovistes persistants de l’endoctrinement soviétique. Et du « passé ». Cela nous donnera peut-être l’occasion d’oublier provisoirement notre proximité avec la frontière de certaines de nos – petites et grandes- défaites personnelles et mutuelles. Mais il faudra tout autant, aussi, savoir saluer la très grande patience, le courage aussi, et la généreuse indulgence de l’entourage de Bojina Panayotova. Car celle-ci, leur fille, nièce et petit fille-réalisatrice est, aussi, quelques fois, l’inquisitrice qui leur impose aussi une espèce de thérapie familiale et systémique – ou une sorte de tord-boyaux- assez sauvage. Soit une expérience inversement aussi brutale que la douceur et la juvénilité des traits de son visage : Bojina Panayotova fait en effet bien plus jeune que son âge. Assez proche de la quarantaine au moment de ce tournage, elle en paraît à peine trente. Cette remarque sur son âge a peut-être une importance : pour Bojina Panayotova, ce film est aussi celui d’une certaine maturation en tant que femme et personne. Après être passée de l’est à l’ouest durant son enfance, elle songe sans doute déjà- dès le début du tournage de son film- à passer à l’état de mère et à assurer son avenir ainsi que celui de sa descendance. Je vois rouge bénéficie donc in fine d’une certaine dose de nuance dans son propos. Et son personnage « féminin » est aussi plus optimiste que le personnage de fiction de l’héroïne Ioanna du « film » Peu m’importe si l’histoire nous considère comme des barbares réalisé par le Roumain Radu Jude (sorti en salles ce 20 février 2019, critique disponible sur ce blog).

 

On pourra aussi trouver dans Je vois rouge et dans l’allure de Bojina Panayotova quelques lointaines correspondances avec certaines comédies de Julie Delpy mais aussi avec la roublardise d’un Michaël Moore.

Franck Unimon, ce vendredi 19 avril 2019.

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Cinéma

Synonymes

 

                                       Synonymes un film de Nadav Lapid ( Au cinéma le 27 mars 2019).

« On m’a tout pris ! ».

Yoav a pourtant tout pour lui : Jeune, beau, ancien soldat émérite, cultivé, polyglotte, aimé de ses parents et de sa petite amie, il est un des fleurons de l’utopie socialiste israélienne. Mais il se montre inapte à égaler le modèle de Jason Bourne.

« On m’a tout pris ! ». Yoav, un des héritiers de l’avenir d’Israël, a décidé de quitter son pays, Israël. « Que vas-tu faire ici ? » lui demande un de ses amis. « Je vais être Français » répond t’il dans un Français littéraire, bourgeois et daté.

 

 

 

A lui seul, Yoav résiste à l’expérience et à l’héritage de celles et ceux qui « savent », telle Ruth Elias, rescapée de la Shoah, et qui, à la fin de son témoignage dans le documentaire Les Quatre Sœurs de Claude Lanzmann ( sorti en 2017) affirme :

« Je me sens en sécurité en Israël » ; « Je me battrai pour Israël et mes fils aussi ».

 

 

 

A lui seul, Yoav réfracte l’éclat de ce miracle économique et technologique israélien qui peut faire la couverture d’un hebdomadaire tel Challenges ( numéro 600 du 7 au 13 mars 2019).

 

 

Yoav, la trentaine à peine, veut couper les ponts avec son passé et son pays car ils se sont emparés de son désir. Et c’est en redevenant animal, un animal en fuite, qu’il espère redevenir quelqu’un.

En l’an 2000, dans le portrait qu’elle fait du travail de Frantz Fanon sur les effets de la colonisation française sur les peuples opprimés, l’auteure Alice Cherki cite Lacan à la suite de Fanon :

« Leur inconscient n’était pas celui de leurs souvenirs d’enfance, cela se juxtaposait seulement, leur enfance était rétroactivement vécue dans nos catégories familiales (françaises). C’était l’inconscient qu’on leur avait vendu en même temps que les lois de la colonisation ».

 

 

 

 

Entre exil et voyage pathologique, Yoav essaie de fuir les effets de la colonisation de son propre pays, Israël, sur son inconscient. Et pour cela, il va se donner du mal car, enfin, « être français » est son désir.

La présentation du film est alambiquée ? Difficile à suivre ? Allez voir le film, vous comprendrez. J’étais arrivé avec quelques minutes de retard à la projection du film la première fois. L’attachée de presse m’avait expliqué un peu désolée : « Le film a commencé depuis un moment. Je ne peux pas vous laisser entrer. Vous n’allez pas comprendre… ». Je m’étais mis à rire devant elle, soudainement un peu embarrassée.

 

 

L’attachée de presse avait raison. Je l’ai compris en arrivant, en avance cette fois-ci, lors d’une seconde projection de presse : Yoav ne comprend pas ce qui lui arrive. Le spectateur peut aussi avoir du mal à comprendre ce film ainsi que ces deux autres personnages, Emile et Caroline (les acteurs Quentin Dolmaire et Louise Chevillotte très bien dans leur genre), dont le jeu affecté- au même titre que celui de Yoav – interprété par Tom Mercier- en prime abord dérange, puis étonne, puis captive. Car ces trois-là, Yoav, Emile et Caroline se protègent de la vie dans un cocon qu’ils se font sur mesure. Au même titre que d’autres – juifs israéliens et d’ailleurs- que Yoav rencontre en plein Paris et qui s’accommodent chacun à leur façon de la névrose qui les occupe. Cela donne lieu à quelques scènes que l’on qualifiera de délirantes, comiques, tristes ou surréalistes selon la sensibilité qui nous instruit ou nous occulte. Mais, pour cela, il faudra tenir à ce film- comme à Yoav et aux autres protagonistes- jusqu’au bout.

Synonymes, inspiré de la « vie du réalisateur à Paris au début des années 2000 » est un film sans ambiguïté : La France, malgré ses problèmes, reste selon Nadav Lapid un pays où la vie est une chance pour celle ou celui qui parvient à s’y intégrer.

Franck Unimon, ce mardi 26 mars 2019.

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Cinéma

Le Chant du Loup

 

Le Chant du Loup un film d’Antonin Baudry

Sorti en salles ce 20 février 2019

 

Récemment, un candidat de la version française de l’émission télévisée The Voice a déclaré qu’il préférait rester lui-même plutôt que de chanter de façon contraire et voir les quatre jurés se retourner pour le choisir. Ce candidat était peut-être plus libre qu’Antonin Baudry lorsque celui-ci a réalisé Le Chant du Loup. Car dans Le Chant du Loup, on « apprend » par exemple qu’une femme amoureuse est nécessairement une infirmière dévouée à qui, à la vitesse d’un coup de foudre, on peut confier des secrets d’Etat. D’autant que, étant donné qu’elle est libraire, elle saura lire entre les lignes.

 

L’affiche du film était trop belle : Un sous-marin, un plongeur et François Civil, Omar Sy, Reda Kateb, Matthieu Kassovitz pour les têtes d’affiches. Soit le croisement d’acteurs éprouvés, estimés, que l’on aime regarder jouer.

Le film commence bien. Même si, assez vite, du côté de nos acteurs « connus », ça sonne à côté. Soit leur présence est insuffisamment raccord avec le climat du film. Soit on leur a déjà vu cette expression-là quelque part. Mais c’était sur Terre, dans un autre film ou dans une série télévisée. Le Chant du Loup avait pourtant de beaux atouts. Parmi eux, de la culture :

« Les vivants, les morts et ceux qui sont en mer ». Cette citation d’Aristote ouvre le film.

On y attrape quelques bouts de cette connaissance inhérente à chaque univers mystérieux et celui de la mer et de la marine nationale en sont :

« Un sous-marin bien conduit, ça fait moins de bruit que la mer ».

Chanteraide, surnommé « Chaussette », interprété par François Civil, nous épate bien-sûr par ses dons d’audition comme par son érudition acoustique qui font de lui un mutant qui pourrait postuler en vue de participer à la version française des X-Men.

Les cartes de la géopolitique ont été actualisées. Tout cela est vraisemblable. Mais le film reste entre deux. Il pourrait être raté. Il pourrait être réussi. « Nos » acteurs de premier plan font ici ce qu’ils ont déjà fait. Alors que le but de ce film est quand même de nous emmener dans d’autres ailleurs que ceux proposés généralement par les productions françaises :

Comédies ou « drames ».

Matthieu Kassovitz s’en sort le mieux. Même si son jeu peut ressembler à une extension de son personnage de Malotru dans Le Bureau des Légendes, il lui donne quelques nuances supplémentaires et restitue bien le peu d’humour écrit.

Le Chant du Loup accumule peu à peu certains « défauts » que l’on va d’autant plus lui reprocher que l’on a cru en lui : Vouloir faire ou donner l’impression de vouloir faire « comme » les productions américaines mais en moins bien. Même si, à ce que j’ai lu, ces films ne seraient pas les références principales du réalisateur, j’ai trouvé Le Chant du Loup  « moins » bien que A La Poursuite d’Octobre Rouge réalisé en 1990 par John Mc Tiernan et que le K-19 : Le Piège des profondeurs réalisé en 2002 par Kathryn Bigelow.

La référence cinématographique principale  serait  Le Bateau ( Das Boot) réalisé en 1981 par Wolfgang Petersen. Film dont j’avais entendu parler durant mes années de collège mais que je n’ai toujours pas vu. Wolfgang Petersen a aussi, entre-autres, réalisé Dans la ligne de mire ( 1993) ainsi que Troie ( 2004) pour citer deux autres de ses films connus.

 

Le Chant du Loup est peut-être un film de jeunesse. Avec ce que l’on attribue de façon idéalisée à la jeunesse : Fougue, audace, créativité et force de travail. Il en fallait indiscutablement pour tenter ce genre de film, en France, et en l’écrivant avec ces quatre acteurs principaux aux caractères et aux carrières différentes et qui jouaient peut-être ensemble pour la première fois dans un long métrage.

Matthieu Kassovitz, a été en France l’un des réalisateurs-acteurs chouchous des années 90-2000 (La Haine réalisé par lui, Regarde les Hommes tomber réalisé par Jacques Audiard pour résumer grossièrement sa période 90-2000). Depuis, dans les média, il apparaît comme un personnage plutôt offensif ou contrarié en même temps qu’un réalisateur/producteur/ acteur qui continue de bétonner son CV. Pour le plaisir, je vais à nouveau citer la série Le Bureau des Légendes. En 2008, il a été l’un des producteurs- en même tant qu’acteur- pour le film Louise Michel réalisé par Gustave Kervern et Benoît Delépine. Mais il était très étonnant de le trouver par exemple dans Piégée (2012) de Steven Soderbergh. Comment fait-il ?

Reda Kateb a commencé à se faire connaître par les deux ou trois premières saisons de la série française Engrenages. Une série policière française très méconnue en France pour des raisons aussi très méconnues. Reda Kateb a déjà une belle carrière. Un Prophète de Jacques Audiard ; Qu’un seul Tienne et les autres suivront de Léa Fehner ; Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow ; Qui Vive de Marianne Tardieux ; Frères Ennemis de David Oelhoffen. Et bien d’autres films.

Ensuite, parler d’ Omar Sy, c’est parler de sa période Omar et Fred puis d’Intouchables, bien-sûr mais aussi de Nos Jours Heureux réalisé par les mêmes Toledano et Nakache ; X-Men : Days of Future Past réalisé par Bryan Singer ; Yao (2018) réalisé par Philippe Godeau. Et d’autres films.

François Civil qui a le rôle principal dans Le Chant du Loup est, comme dans le film, le « petit » jeune (François Civil est né en 1990). Celui dont la carrière militaire/cinématographique prend son essor. J’ai découvert l’acteur François Civil seulement avec la série Dix pour cent (à partir de 2015). Il joue très bien également, voire encore mieux, dans Made in France (2016) de Nicolas Boukhrief.

Souvent, l’acteur principal est l’alter ego du réalisateur. Antonin Baudry est un ancien diplomate français né en 1975, auteur (avec l’illustrateur Christophe Blain) sous le pseudonyme Abel Lanzac de la bande dessinée Le Quai d’Orsay. Antonin Baudry a participé à l’écriture du scénario de la version cinématographique de Le Quai d’Orsay, réalisée par Bertrand Tavernier en 2012.

Le Chant du Loup ( 2018) est le premier film d’Antonin Baudry en tant que réalisateur et scénariste exclusif. Souhaitons lui une autre suite dans le cinéma que ce qui arrive au personnage de Chaussette à la fin de Le Chant du Loup. Car son film, en réunissant ces quatre acteurs, ces quatre visages et entités, dans l’univers sonore et visuel encore assez clos du cinéma français, est peut-être la métaphore d’une France qu’il voudrait plus ouverte. Et sans doute l’amorce d’une filmographie réussie.

Franck Unimon, ce lundi 4 mars 2019.