Je ne suis pas un aventurier
Je ne suis pas un aventurier. En janvier de cette année, j’ai prononcé cette phrase, parmi d’autres, lors de mon discours de départ de mon précédent service. Service où, à ce jour, je suis resté ancré le plus longtemps : 11 années. Trois ans de jour pour commencer, puis huit de nuit pour finir.
J’ai fait trois fois mon pot de départ en effectifs réduits du fait de la pandémie du Covid. J’ai dit trois fois mon discours. J’ai donc répété cette phrase trois fois : ” Je ne suis pas un aventurier”. Certaines phrases, comme les vagues, se répètent. Mais nous ne les écoutons pas toutes. Parce-qu’elles sont trop nombreuses. Parce-qu’elles se ressemblent toutes. Parce-que nous sommes des araignées emportées par les sillons de nos propres toiles. Les vagues, aussi, sont des toiles. Elles accumulent les jours et les nuits plus qu’elles ne reculent devant elles.
J’avais déjà travaillé de nuit ailleurs, auparavant.
Dans les logements où j’ai vécu, toujours en ville, à ce jour, toujours en banlieue parisienne, j’ai un peu oublié la moyenne, mais j’y suis resté six ou sept années. Toujours dans des appartements, exception faite du pavillon que mes parents avaient acheté à Cergy-Pontoise et où nous avions emménagé. J’avais 17 ans. Et, pour moi, alors, quitter Nanterre et notre immeuble de 18 étages, dans notre cité HLM, cela avait été l’exil. M’éloigner d’une trentaine de kilomètres de ma région natale, les Hauts de Seine, pour cette région du Val-d’Oise, alors décrétée « ville nouvelle ».
Depuis l’esplanade de Paris, à quelques minutes à pied du pavillon de mes parents, par temps clair et ciel dégagé, je pouvais apercevoir la grande Arche de la Défense. C’était tout ce qui me restait à peu près, visuellement, comme contact, de Nanterre.
Il suffit de quelques kilomètres de différence par rapport à notre périmètre familier pour avoir l’impression d’être en quelque sorte « excommunié » du paradis où, pourtant, plus d’une fois, on s’est senti à l’étroit. Plus que la distance que l’on met entre soi et les autres, mais aussi entre certains événements et nous, ce qui compte, c’est le choix que l’on fait et le moment de ce choix. Et, je n’avais pas choisi de partir de Nanterre. Pourtant, à 17 ans, j’y partageais ma chambre avec ma petite sœur et mon petit frère. Il y a mieux comme intimité. D’autant que j’avais été fils unique pendant les neuf premières années de ma vie.
A Cergy-Pontoise, et jusqu’à mon départ de chez mes parents, un départ choisi après mon service militaire, j’allais, de nouveau, avoir ma chambre pour moi. J’allais aussi découvrir le calme. Le silence. Le calme et le silence d’une maison, d’un quartier pavillonnaire, d’une presque campagne, contre le tintamarre commun de la cité et de l’immeuble HLM :
Le jeune qui rôde sa mobylette dans la rue et qui enfile les tours de la cité en augmentant graduellement la vitesse de son engin motorisé avec, bien-sûr, le pot d’échappement pétaradant. Le voisin qui attaque son appartement à la chignole pour du bricolage. Les autres qui claquent la porte de leur appartement car celle-ci se ferme mal. Les gens qui s’engueulent. Les représentants qui électrisent subitement l’atmosphère dans l’appartement au moyen de la sonnette de la porte. Comme s’ils étaient chez eux. Les enfants/ les copains qui, depuis la rue, crient pour appeler leur copain afin qu’il descende jouer avec eux. La musique forte :
Même si, à la maison, on écoutait aussi de la musique à un volume sonore plus ou moins élevé, le tube Où sont les femmes ? De Patrick Juvet, mis et remis en selle, par la plutôt jolie fille aînée ( plus âgée que moi) de nos voisins directs, fait partie, à jamais, de mes souvenirs de Nanterre.
Je ne peux même pas dire si j’ai aimé entendre cette chanson : je n’avais tout simplement pas le choix. C’était comme ça. C’était normal. Et, à Cergy-Pontoise, dans ce pavillon acheté par nos parents, c’était exactement le contraire. Bien qu’il s’agissait d’un coin « civilisé », avec marché, médiathèque, piscine et centre commercial à proximité ( même si, comparativement aux Quatre Temps de la Défense, le centre commercial Les Trois Fontaines a d’abord fait un peu « pitié »), j’ai d’abord eu l’impression d’être arrivé dans un coin paumé. Pourtant, il y avait des gens. Et des jeunes de mon âge. Mais je ne les connaissais pas. Et la densité était moindre qu’à Nanterre.
Depuis mon enfance, je n’ai pas trop de problème pour sympathiser avec les autres. C’est peut-être un trait de mon tempérament. Ou, aussi, une résurgence des colonies de vacances et des centres de loisirs où je suis allé dès mes six ans voire plus tôt. Dans la ville de Cergy-Pontoise, en plus de vingt ans, je ne me suis fait aucun ami en dehors du travail. Tous mes amis de Cergy-Pontoise ont un rapport avec mon travail. J’ai en grande partie rejeté cette ville et ce qu’elle pouvait m’offrir dans le domaine associatif, sportif et autre. Pourtant, j’y ai croisé des gens en bien des circonstances.
Si j’avais été un aventurier, en six mois à Cergy-Pontoise, je me serais reconstitué un réseau d’amis pour remplacer celui dont j’avais été séparé à Nanterre. J’aurais fait le tour du monde à vélo ou à la voile. Je serais parti vivre plusieurs années à l’étranger.
Je serais venu habiter dans Paris lorsque les prix, dans l’ancien, à l’achat, étaient encore supportables : avant l’an 2000.
Je suis prudent. Je peux être méticuleux. Et, je peux être, aussi, particulièrement…. lent. Mais je suis, aussi, assez curieux dans les deux sens : un personnage étrange, pas tout à fait conforme, qui n’avance pas au même rythme. Et qui ne pense et ne s’exprime pas toujours comme on pourrait s’y attendre. Ou l’exiger. Qui semble- et qui est- en retrait des autres mais qui, contre toute attente, peut être attentif aux autres de façon plutôt surprenante.
Cela n’est pas calculé. Les horaires des marées hautes et basses de mes pensées suivent des lunes qui, sans doute, sont peut-être moins communes mais sont aussi faites d’écume. Ce qui peut les rendre plus difficiles à cerner comme à prévoir sur le comptoir des échanges relationnels. Or, ce qui est incompréhensible peut dérouter ou faire peur.
Et dans quel domaine, je travaille ? En psychiatrie et en pédopsychiatrie. Soit un domaine où les personnes, les patients mais aussi les collègues, que l’on rencontre peuvent être susceptibles d’agir comme de penser de manière….incompréhensible. On dirait presque que je le fais exprès, de dérouter mon entourage.
Mais, dans la vie, aussi, nous assistons à bien des phénomènes incompréhensibles.
Incompréhensibles. Mais, aussi, parfois, incompressibles.
Il m’a fallu plus de dix ans entre le moment où je me suis intéressé à la plongée avec bouteille. Et le moment où je me suis lancé en Guadeloupe jusqu’à y passer mes deux premiers niveaux. Pour l’instant, j’ai effectué 39 plongées avec bouteilles dont deux ou trois à quarante mètres.
Il m’a fallu à peu près le même temps ( plus de dix ans) pour me décider à prendre des cours de théâtre et jouer sur scène mais aussi dans des courts-métrages. Idem pour le roller etc….
Mon univers est sans doute celui d’un homme à l’envers. Pourtant, je sais ce qu’est le fait d’avoir des Devoirs et des engagements. Je n’ai pas beaucoup de leçons à recevoir des autres en matière de Devoirs et d’engagements. Pour cela, il me suffit de considérer ma vie, certains de mes sacrifices, même si je ne les ai d’abord pas toujours reconnus comme tels, et regarder un peu comme d’autres vivent autour de moi, pour savoir que je suis très en règle avec mes Devoirs et mes engagements. Voire, peut-être trop.
La pratique de l’apnée, en club, est devenue concrète pour moi il y a quatre ou cinq ans, maintenant. Après d’autres expériences tant personnelles que professionnelles. Là, aussi, il s’est passé un certain nombre d’années entre le moment où j’ai décidé de faire les démarches pour m’inscrire dans un club d’apnée et le jour où je l’ai fait. Evidemment, avant de faire ça, j’avais déjà lu, ou vu, sur des professionnels de l’apnée. Des « professionnels » au sens commun :
Des pratiquants de l’apnée médiatisés pour leurs performances hors-normes lors de certaines compétitions. Des gens que l’on surnomme souvent « L’homme-poisson », « L’homme-dauphin » etc….
Il y avait des femmes, aussi. Audrey Mestre, en particulier.
Si l’aspect « performance » de l’apnée a pu me séduire, comme un mannequin, un beau blouson éclairé en vitrine ou une vedette de cinéma peut aussi nous séduire, il est un autre aspect qui m’a, je crois, le plus « dragué » dans l’apnée :
La maitrise de soi. Le calme. La contemplation. L’apprentissage et la découverte de mes capacités. L’adaptation à un autre environnement. Adaptation, qui, ensuite, sans même y penser, se transpose, dans ma vie terrestre.
Des aptitudes requises mais qui peuvent aussi être développées, sollicitées, par la pratique de la plongée avec bouteille, de la psychiatrie et de la pédopsychiatrie, du théâtre, du massage bien-être, de la lecture, du journalisme cinéma, de l’écriture, du judo et de tout art martial mais aussi de tout sport de combat, diverses rencontres, la vie de couple, de famille ou le fait d’éduquer/d’essayer d’inspirer son enfant.
Il est courant d’opposer des disciplines qui, a priori, semblent antagonistes ou étrangères les unes aux autres. Entre ces disciplines, ces rôles et ces états, je recherche plutôt une certaine complémentarité.
Les personnes qui me connaissent un peu ne seront pas surprises par ce que j’avance.
J’ajouterai que la pratique de ces diverses disciplines – et d’autres- permet d’approfondir une certaine expérience de l’économie du geste, de la pensée, du calme, de la sincérité envers soi-même pour résumer. Et que cette pratique se réalise en « s’immergeant » en soi-même. Mais aussi en apprenant à observer et à ressentir, ce qui nous entoure (êtres, objets, éléments, événements). Et, aussi, en allant à leur rencontre dans la mesure de nos moyens, de nos limites et de nos connaissances.
Je ne suis pas un aventurier. Des quatre ou cinq jours que je viens de passer à Quiberon avec mon club d’apnée, mon troisième stage avec mon club, et mes trois seules sorties en mer de ce type, je suis revenu avec la sensation d’être un peu plus à l’aise dans l’eau en tant qu’apnéiste. Mais je ne suis pas encore autonome.
à suivre….
Franck Unimon, ce mardi 25 Mai 2021.