Servir
Le Cerveau humain
Au cours de mon article Trois Maitres + Un , je me suis escrimé à expliquer que je recherchais des Maitres qui pourraient me permettre de me bonifier. Et, que je n’étais pas un esclave recherchant son Maitre esclavagiste.
Si, en tant qu’homme à peau noire et de condition sociale moyenne et commune, je préfère sans hésitation vivre aujourd’hui plutôt qu’il y a deux cents ans en France, en repensant un tout petit peu tout à l’heure à l’article Trois Maitres + Un , j’en suis arrivé à la conclusion que, quoique nous pensions, souhaitions et affirmions, nous servons des régiments de Maitres depuis le commencement de notre existence.
Et, cela a sans doute toujours été pour l’être humain. Quelle que soit sa couleur de peau, sa culture, ses rites, son ethnie ou sa géographie. Au point que, rapidement, on s’y perd parmi tous ses Maitres que l’on sert.
D’abord, en nommant mon précédent article Trois Maitres + Un, je me suis trompé. Officiellement, si je me réfère avec exactitude à des Maitres d’Arts martiaux que je suis allé rencontrer, ou avec lesquels j’ai pratiqué une séance sous leur responsabilité, c’est plutôt Quatre Maitres + Un que mon article aurait dû avoir pour titre.
Car j’avais oublié de mentionner Sifu Roger Itier qui est le premier Maitre que j’avais fait la démarche d’aller rencontrer. Avant Sensei Jean-Pierre Vignau.
Je n’oublie pas mon premier prof de Judo, Pascal Fleury, désormais Sensei. Sauf que, comme je l’ai expliqué, Pascal n’était pas Sensei quand j’ai débuté le judo, il y a trente ans, sous son égide. D’abord à l’université de Nanterre après mes études d’infirmier puis, très vite, sur sa suggestion, dans le club où il enseignait- et enseigne toujours- le judo à Paris, au gymnase Michel Lecomte, à la suite de sa « petite » sœur, la championne olympique de judo, Cathy Fleury.
Et, je vais aussi me servir de cet « oubli » de Sifu Roger Itier pour constituer mon article.
Le cerveau humain, notre cerveau, tel que nous l’utilisons généralement, peut se concentrer sur un nombre limité d’opérations. Des neurologistes pourront l’expliquer. Des magiciens ou des arnaqueurs, aussi. Pour ma part, c’est la lecture récente d’une interview d’un magicien, qui utilise aussi l’hypnose lors de ses spectacles, qui me l’a rappelé. Mais certains réalisateurs de cinéma savent aussi jouer avec les angles morts de notre regard et de notre cerveau pour mieux nous surprendre et nous «manipuler», avec notre consentement, pour nous divertir.
Dans mon article Trois Maitres + Un , j’ai oublié de citer Sifu Roger Itier parce qu’au delà d’un certain nombre d’informations, notre cerveau fait le tri pour se fixer sur celles que nos pensées et nos émotions distinguent comme prioritaires en fonction de la situation. Et, aussi, parce-que, d’un point de vue affectif, si je reconnais l’expertise de Sifu Roger Itier, sa très grande culture, sa maitrise pédagogique et sa très bonne qualité d’accueil, je me sens plus attiré par des arts martiaux « japonais ». Même si j’ai un peu appris que certains arts martiaux « japonais », tels que le karaté, doivent beaucoup à des arts martiaux chinois. Mais, aussi, simplement, que les arts martiaux, d’où qu’ils « sortent », peuvent se compléter ou complètent l’éducation et la formation de ces mêmes Maitres d’Arts martiaux que j’ai pu citer ou que je peux regarder.
Je sais par exemple que Sensei Jean-Pierre Vignau, Sensei Léo Tamaki, Sensei Régis Soavi et sans doute Sifu Roger Itier ont tâté, pratiqué, de plusieurs arts martiaux et sports de combats, souvent en parallèle, pendant environ une dizaine d’années à chaque fois avant de « s’arrêter » à un moment donné sur un Art martial plus spécifiquement. Je ne connais pas suffisamment le parcours martial de Sensei Manon Soavi pour en parler.
Le spectateur ou l’admirateur lambda, devant des Maitres d’arts martiaux ou devant des pratiquants émérites de sports de combats, va peut-être principalement retenir l’éclat physique ou sportif de la performance réalisée. Sauf que cette « performance » physique ou cette espèce d’alchimie martiale devient possible techniquement,tactiquement et d’un point de vue fonctionnel du fait d’une pratique régulière et multipliée.
Grâce à cette pratique régulière multipliée, voire démultipliée, le cerveau de l’auteur ou de l’autrice de la « performance » a évolué au point de pouvoir se permettre des connexions et des créations de solutions psychomotrices quasi-instantanées. Lesquelles solutions quasi-instantanées sont adaptées à des situations de danger et d’impasse que le spectateur ou l’admirateur lambda, placé devant dans les mêmes situations, aurait peut-être autant de possibilités de réussir que nous n’en n’avons de gagner au loto lorsque nous y jouons pour la première fois.
Ces connexions et créations cérébrales quasi-instantanées « harmonisées » avec les aptitudes physiques et émotionnelles de leur autrice ou auteur ne sont pas des analyses d’ordre économique ou philosophique qui découlent de statistiques ou de modélisations préétablies. Mais bien des adaptations humaines en temps réel. Une situation se présente avec son lot de stimuli et d’informations diverses et pressantes, le pratiquant « élargi » par ses expériences- et son évolution qui en a résulté- réagit et s’adapte assez vite. La pratiquante ou le pratiquant « élargi » et qui s’est bonifié ne tergiverse pas pour prendre telle décision. Pour réaliser et s’engager dans telle action- adéquate- à tel moment. Elle ou il ne se dit pas : « Oh, non, si je fais ça, je vais rater mon métro qui arrive à telle heure » ; « Oh, non, je vais salir mon beau pantalon blanc tout neuf que j’ai pris beaucoup de temps à repasser ».
Cette façon de s’adapter à des situations de plus en plus délicates, à mesure que l’expérience du pratiquant augmente, se transpose dans notre vie de tous les jours. Et dans tous les métiers où dans tous ces moments où nous avons certaines responsabilités. Une motarde régulière- et prudente– depuis une dizaine d’années aura certainement plus d’aptitudes à garder son sang froid et à prendre les bonnes décisions si un automobiliste déboite subitement devant elle comparativement à un jeune motard chien fou persuadé d’être un champion du monde de moto. D’un côté, vous aurez une personne compétente qui saura déjà respecter les bonnes distances et se rappeler qu’elle est mortelle. D’un autre côté, vous aurez un meurtrier ou un suicidaire qui s’ignore.
Avec cette illustration, il serait facile de résumer en se disant que ce jeune motard est l’esclave de son ego. S’il n’y avait que l’ego qui soit notre Maitre….
Car si nous avons des Maitres assez permanents tels que notre ego, nous avons aussi, je trouve, d’autres Maitres, seulement transitoires, mais néanmoins persistants dans notre existence.
En emmenant ma fille à l’école, ce matin
Nous sommes un lundi. Comme beaucoup d’adultes, ce lundi matin, j’ai emmené ma fille à son école. La pandémie du Covid semble derrière nous. Même s’il reste encore bien des gestes (port du masque à certains endroits, rappels de l’obligation du pass sanitaire ou de la nécessité de la vaccination contre le Covid sur des écrans de la ville ou dans des spots d’informations dans les trains ou dans les gares…) l’ambiance générale, depuis fin aout, début septembre, consiste sans ambiguïté à « tourner la page ». Aujourd’hui, dans les journaux, il faut chercher – quand il y en a- des articles relatifs au Covid et aux vaccins ou traitements anti Covid. En France, dans les média, on ne parle pas trop non plus de la catastrophe sanitaire aux Antilles ou dans les Dom du fait du Covid parce-que la majorité des gens n’y sont pas vaccinés contre le Covid. En abordant à nouveau le sujet de la pandémie, alors que la majorité des gens l’a aujourd’hui délaissé, je « montre » que la pandémie du Covid est en partie restée Maitre de certains endroits de ma mémoire. Même si, hier, chez moi, je n’ai rien fait de délibéré pour, parmi plusieurs piles de journaux, retomber sur un ancien exemplaire du journal gratuit 20 Minutes daté du 9 juin 2021.
Dans cet exemplaire du journal gratuit 20 minutes, en première page, on faisait allusion de façon décontractée à la fin fin du confinement. Plusieurs pages plus loin, le sujet portait sur la réouverture des terrasses et des restaurants dans l’article Une forme de libération pour les relations. Et un ou deux autres articles traitaient aussi du Covid et de ses à côtés : les relations amoureuses (l’article Un vaccin pour avoir sa dose « d’amour et de sexe » ), une infirmière « soupçonnée de fournir des certificats de vaccination…sans avoir vacciné ».
Un autre article, « Le télétravail entraîne un vrai changement de culture » abordait, lui, la stratégie suivie par certaines entreprises pour remédier au confinement de ses employés. La veille, le 8 juin, « au cours d’un déplacement à Tain-l’Hermitage » (dans la Drôme), le Président Emmanuel Macron s’était fait « gifler par un homme présent dans la foule ». L’article La Classe politique encaisse les claques en parle.
C’était seulement il y a quatre mois. Cela m’a paru très très loin.
La perception du temps et des événements par notre cerveau nous permet aussi d’évacuer plus facilement certaines expériences, ultra sensibles il y a quelques mois, anecdotiques quelques mois plus tard. C’est souvent pareil avec les histoires d’amour ou chargées d’affectivité et d’émotions particulières. Sauf lorsque l’issue a été trop douloureuse.
Le cerveau des personnes victimes d’un stress post-traumatique, telles que celles victimes des attentats du 13 novembre 2015 dont le jugement se poursuit à Paris, lui, continue de vivre et de revivre l’événement traumatique comme s’il était toujours présent et, aussi, comme s’il pouvait à nouveau se reproduire. Pour certaines de ces victimes, leur cerveau a comme perdu de sa plus grande capacité à recevoir de nouvelles informations, plus apaisantes, de la vie et du monde. Le 9 juin 2021, pour beaucoup de personnes et moi, cela paraît déjà très loin. Le 13 novembre 2015, pour les personnes qui ont vécu ces attentats ou qui en ont été traumatisées, c’est encore tout « frais » ou encore « trop chaud ».
Comme il n’y a pas eu d’incident ou de surprise extraordinaire pour moi alors que j’ai emmené ma fille à son école, mon cerveau a déjà oublié une bonne partie de ce qui a pu se passer durant le trajet pour retenir certains aspects du réveil de ma fille, de ses préparatifs et de ce qui s’est passé ou dit jusqu’à l’école. Ma fille, bien-sûr, aura sûrement une mémoire différente de ce qui s’est passé. Et, elle m’en parlera peut-être un jour ou peut-être cette après-midi lorsque je retournerai la chercher.
Il est néanmoins un « événement » qui m’a marqué alors que je revenais de l’école.
L’événement qui m’a marqué :
En revenant de l’école, j’ai cru faire une bonne affaire en déplaçant ma voiture afin de la rapprocher de chez nous, dans la rue. J’ai donc pris ma voiture, me suis retrouvé derrière une file d’autres véhicules qui attendaient au feu rouge. Puisque c’était l’heure de pointe où beaucoup de personnes partaient au travail. Alors que je reprendrai le travail demain, de nuit.
Dans la rue, plus proche, où je croyais avoir vu deux bonnes places, en fait, il n’y avait pas de quoi se garer. Il y avait bien un espace vide les deux fois entre deux voitures. Lorsque j’avais aperçu ces deux espaces à une vingtaine de mètres au minimum en emmenant ma fille à l’école, j’avais cru qu’il y avait de quoi se garer. Ordinairement, je ne me trompe pas. Ce matin, je me suis trompé. J’ai donc dû repartir et me garer ailleurs. Presque aussi loin que là où j’avais garé ma voiture initialement. Puisqu’entre-temps, une automobiliste ou un automobiliste avait rangé sa voiture là où était encore la mienne avant que je ne décide de la déplacer. Ce genre de déconvenue arrive. Il y a pire. Même si j’aurais pu me contenter de laisser ma voiture là où elle était au départ, bien garée. Mais un peu loin de chez moi.
Avant de rentrer, je me suis décidé pour aller m’acheter des lames de rasoir. Je me suis rasé hier soir. Et, j’avais envie de prévoir. Lorsque j’éprouverai à nouveau le besoin de me raser, c’est agréable de savoir que l’on a ce qu’il faut sous la main. C’est ici que ça commence.
Des lames de rasoir, j’en achète depuis des années. Il n’y a pas de risque mortel à aller acheter des lames de rasoir. Il n’est pas encore nécessaire de pratiquer un art martial ou un sport de combat, ou de courir très vite, pour aller acheter des lames de rasoir au péril de sa vie.
Mais, ce matin, j’ai eu soudainement besoin de me demander :
« Et, si, un jour, il n’y a plus de lames de rasoir, je ferais comment ? ». Aussitôt, je me suis dit. Hé bien, je ferais sans doute sans. Je porterais davantage la barbe. Mais comme il y a les lames de rasoir que je recherche près de chez moi en attendant, j’y vais. C’est là où j’ai retrouvé un de mes très nombreux Maitres. Un supermarché.
Pendant que j’y étais pour m’acheter des lames de rasoir, j’en ai « profité », aussi, pour m’acheter un peu de chocolat.
J’en ai profité ? Qui en a véritablement le plus profité ?
Le supermarché est un Maitre qui, comme chaque Maitre, a ses particularités. Lui, ses particularités, c’est qu’il est toujours au même endroit. Ou très facilement reconnaissable, comme ses « jumeaux », lorsque je vais dans un autre endroit, une autre ville. A certaines heures ouvrables.
Ce supermarché, près de chez moi, je l’ai aperçu un jour, comme une de ces places de parking vides ou que j’ai crues vides, près de chez moi. Mon cerveau l’a localisé et mémorisé. Et, dès que j’ai besoin de quelque chose en particulier que je sais pouvoir trouver chez lui, j’y vais. Aux heures ouvrables que j’ai aussi mémorisées. Elles sont souvent faciles à retenir pour mon cerveau.
On peut bien mettre une petite musique d’ambiance choisie, modifier la disposition des rayons, changer en partie le personnel (j’ai appris ce matin qu’un des vigiles sympathiques qui me demandait assez régulièrement « Et, comment, elle va, la petite ? » est parti depuis au moins six mois, du jour au lendemain, et qu’il travaille maintenant à Paris), j’y retournerai. Je suis un client que l’on pourrait appeler « fidélisé » ou suffisamment fidélisé.
Je « viens » moins souvent qu’auparavant. Parce qu’entre temps, j’ai commencé à fréquenter d’autres Maitres, un peu plus éloignés, qui me donnent le sentiment d’être moins chers et de me faire économiser lorsque je réalise de « grandes courses ». Mais, aussi, peut-être, parce-que ma fille ayant grandi, je m’autorise plus facilement, aujourd’hui, à augmenter mes distances de déplacement lorsque je pars faire des courses.
Néanmoins, dès que je veux effectuer de petites courses rapides près de chez moi, surtout aux heures assez creuses, je retourne chez ce Maitre. Ainsi que chez un ou deux autres, dont un petit marché, pas très loin de chez moi. Et ça tourne comme ça.
« Mon but, c’est de décourager ! »
J’ai bien sûr plus d’estime personnelle pour les Maitres d’Arts martiaux que j’ai cités récemment que pour les supermarchés. Néanmoins, ma vie, telle que je l’ai choisie et telle que je la pratique depuis des années, depuis mon enfance, me rend mes Maitres supermarchés ou marchés indispensables. On parlera de la société de consommation, et dans ce domaine, mes Maitres supermarchés et marchés, en connaissent des rayons, c’est vrai.
Et, malgré les travers que ces Maitres entretiennent en moi, je ne me rêve pas encore vivant isolé à cinquante kilomètres de la première bourgade où je pourrais acheter un peu de pain et un peu de beurre. Car nous avons tellement d’autres Maitres par ailleurs que nous avons adoptés avec les années dont certains ont déjà pris le relais de plusieurs de nos Maitres « traditionnels » ou « classiques ». La télévision, nos téléphones portables, nos ordinateurs, internet, nos employeurs. Certaines de nos relations et de nos habitudes. Notre ego.
Sensei Jean-Pierre Vignau m’avait dit, lors d’une de nos premières rencontres :
« Mon but, c’est de décourager ». Plusieurs mois plus tard, je continue de repenser à cette phrase de temps à autre. Pour moi, le but de Jean-Pierre est de décourager l’ego. Pourquoi viens-tu pratiquer ? Tes intentions sont elles sincères ? As-tu vraiment besoin de pratiquer avec moi ? Pourquoi ?! Si tes intentions sont profondes et que c’est le moment pour toi, tu tiendras. Autrement, tu partiras.
Jean-Pierre peut être décrit comme « un personnage » ou perçu comme un « malade mental » du fait de certaines de ses positions. Mais, jusqu’alors, Jean-Pierre m’a toujours bien accueilli. Je suis allé le rencontrer les deux premières fois chez lui. C’était en plein confinement. J’ai lu sa biographie ainsi que le dernier livre sorti à son propos.
Si j’ai cru percevoir une première pointe d’animosité ou de contrariété chez lui, mais qu’il a vite réfrénée, c’était au téléphone il y a quelques semaines. Quand je venais de lui apprendre que je n’étais pas – alors- vacciné contre le Covid et que, de ce fait, je ne pouvais pas pour l’instant, prendre des cours avec lui. Le Jean-Pierre que je suis allé saluer la semaine dernière- j’étais alors doublement vacciné contre le Covid- après avoir passé du temps au Dojo Tenshin- Ecole Itsuo Tsuda était à nouveau un Jean-Pierre, disposé et simple. S’absentant de son cours quelques instants pour venir me saluer. Visiblement touché par ma visite. Paraissant aminci. Ce qu’il m’a confirmé, me répondant simplement :
« J’ai perdu cinq kilos car je voulais maigrir ».
Sensei Jean-Pierre Vignau a 75 ans peut-être un peu plus. Sensei Régis Soavi, 71. Souvent, je trouve, les Maitres d’Arts martiaux vivent vieux. Au delà de 80 ans. Néanmoins, le Temps est un de nos Maitres. Et, si nous avons tous des Maitres, il est des périodes dans notre vie où nous avons la possibilité de choisir de servir certains de nos Maitres plutôt que d’autres.
Servir
Choisir sa ou son Maitre, c’est, aussi savoir la servir ou le servir. Ce verbe, « Servir », est virulent dans une démocratie. Servir/Maitre, là, aussi, on a de quoi avoir peur. On peut penser à la servilité, à la servitude. Et, pourtant, nous servons tous quelqu’un ou quelque chose. Mais, là, aussi, il importe de savoir qui, quand et pourquoi.
J’aurai pris beaucoup de temps, deux ou trois mois, pour lire la biographie de l’ancien officier légionnaire parachutiste Helie de Saint Marc, écrite par un de ses neveux, l’historien Laurent Beccaria.
Beccaria, mon aîné de cinq ans, est né en 1963. Helie de Saint Marc, décédé aujourd’hui, était encore vivant lorsque Laurent Beccaria, historien de formation, lui a consacré cette biographie en 1988. Beccaria avait alors 25 ans lorsqu’il a confronté Helie de Saint Marc à plusieurs épisodes de sa vie. De Saint Marc, né en 1922, avait 66 ans en 1988. Il est décédé en 2013.
Beccaria, pour la rédaction de cet ouvrage, avait aussi rencontré diverses personnes, dont des militaires de carrière, qui avaient connu Hélie de Saint Marc. A l’époque, où, à peine majeur, celui-ci était devenu résistant sous l’occupation nazie. Pendant sa déportation au camp de concentration à Buchenwald. Pendant la guerre d’Indochine. Pendant la guerre d’Algérie où Hélie de Saint Marc avait fait partie des officiers militaires qui, sur sollicitation du Général Challe, avaient organisé le putsch contre le Général de Gaulle en Algérie en avril 1961 afin que celle-ci reste française.
Les intentions de Helie de Saint Marc (lesquelles intentions n’étaient pas partagées par d’autres « putschistes » qui, eux, voulaient surtout garder l’Algérie au bénéfice exclusif de la France et des Français) étaient de sauver les harkis de l’exécution qui les attendait en cas d’indépendance de l’Algérie. De donner plus de droits aux Algériens à égalité avec les Français. Ainsi que d’assurer la victoire militaire de l’armée française. Helie de Saint Marc fut ensuite jugé pour avoir participé à ce putsch, condamné, puis réhabilité dans ses droits dix à quinze ans après sa condamnation.
La vie et la carrière militaire d’un Helie de Saint Marc, qui a aussi écrit des livres plutôt reconnus pour leur valeur de témoignage comme pour leur valeur littéraire, sont faites d’un engagement et d’une loyauté qui dépassent largement ceux de l’individu lambda, qui, comme moi, tout à l’heure, est allé tranquillement s’acheter ses lames de rasoir dans un pays en paix.
Helie de Saint Marc avait choisi cette vie de militaire puis de légionnaire parachutiste. Avant cela, il avait été déporté, avait failli mourir deux ou trois fois pendant sa déportation à Buchenwald. Sans ce vécu de déporté, donné à la faim, à la maladie et à l’impuissance, peut-être n’aurait-il pas eu, ensuite, cette volonté de s’engager comme il l’a fait dans l’armée. Ou en tant que militaire et légionnaire, il a ensuite tué. Ainsi que commandé dont des légionnaires de nationalité allemande, qui, quelques années plus tôt, au camp de Buchenwald, auraient pu faire partie de ses tortionnaires.
En tant que militaire, il s’est aussi lié avec des populations indigènes. Il a également été blessé. Il a vu mourir. Puis, sur ordre, en Indochine, Il a dû abandonner des personnes qui s’étaient engagées pour la France tout en sachant, comme d’autres, que toutes ces personnes qui s’étaient dévouées à la France, allaient être exécutées par les vainqueurs du conflit.
En Algérie, De Saint Marc a à nouveau commandé, sans doute tué et fait tuer. Vu à nouveau mourir. De Saint Marc était opposé à la torture. Et, s’il a connu ou croisé le lieutenant Le Pen, le père “de”, leurs opinions politiques et humanitaires étaient différentes. Dans la biographie de Laurent Beccaria, témoignages à l’appui de militaires mais aussi de journalistes, De Saint Marc est décrit comme un “idéaliste” mais aussi comme le contraire d’un fanatique.
Toutes les personnes qui, aujourd’hui, demain ou hier, en France ou ailleurs, militaires ou non, ressemblent à Helie de Saint Marc et qui sont prêtes à mourir pour servir un pays ou des valeurs sont à mon avis plus libres que l’individu que je suis qui a peur de se faire mal mais aussi de la mort.
Pourtant, à mon niveau, comme chaque individu lambda, je sers aussi quelqu’un ou quelque chose. La loyauté et l’engagement, on les retrouve aussi chez toute personne impliquée et consciencieuse dès lors qu’elle va chercher à assumer une responsabilité qui lui est confiée. Un Maitre d’Art martial, un militaire, un pompier, un policier, un gendarme évoluent dans ces activités humaines où des femmes et des hommes engagent ou peuvent engager directement leur corps et leur vie en poussant la loyauté et l’engagement plus loin que l’individu lambda. Le terroriste et le fanatique, aussi.
D’où l’importance de savoir choisir ses Maitres lorsque l’on commence à servir. Mais pour pouvoir choisir ses Maitres, il faut déjà comprendre que nous avons besoin de Maitres. Or, comme l’a dit Sensei Jean-Pierre Vignau, « avant de m’appeler Maitre, il faut déjà en avoir connu plusieurs ».
Connaître un Maitre, le fréquenter, et apprendre à se connaître, puisque c’est souvent pour cela que l’on va vers un Maitre, cela prend du temps. Cela ne se fait pas en quelques clics, quelques flirts et quelques sms. Donc, connaître plusieurs Maitres, plusieurs vies….
Servir, ensuite. Un militaire, un pompier, un policier ou un gendarme n’ont pas beaucoup de latitude pour ce qui est de décider de choisir qui elles ou ils vont servir. Que ce soit leurs supérieurs directs ou politiques. Elles et ils ont le choix entre obéir. Mourir. Vivre. Réussir. Echouer ou démissionner. L’employée ou l’employé lambda qui part tranquillement faire ses courses au supermarché….
Franck Unimon, lundi 18 octobre 2021.