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Et, ça marche ?

 

 

Et, ça marche ?

 

C’est la question que m’a posée le premier journaliste cinéma rencontré lorsque je me suis rendu à ma première projection de presse depuis sept ans. C’était avant de voir le film Kabullywood de Louis Meunier qui sortira le 6 février 2019. Un film à propos duquel j’ai écrit dans la rubrique Cinéma : https://balistiqueduquotidien.com/kabullywood-sort…e-6-fevrier-2019

 

Mon confrère journaliste voulait savoir si tenir un blog valait le coup (coût). Devant sa question, moi qui étais plutôt à ma joie de retrouver le canal des projections de presse, je me suis senti pris au dépourvu et tenu de rendre des cendres, lourdé par une logique comptable terre à terre et néanmoins nécessaire.

J’ai répondu que c’étaient les débuts du blog. Ce qui était et reste vrai. Poliment, mon «confrère» m’a alors souhaité bonne chance avec ce que ce « bonne chance » comportait de scepticisme.

 

La presse va mal d’une manière générale depuis plusieurs années. Les personnels des médiathèques, par exemple, se désolent du fait que notre rapport à la culture ait changé ces vingt dernières années. On lit moins. On est plus impatient. On écoute la musique autrement, de manière dématérialisée, en accéléré. Affûtés par les nouveautés grand public, on montrerait moins de curiosité.

Et il existe tout un tas de média qui parlent déjà de cinéma. Alors, lancer un blog fin 2018 où je parlerai de cinéma peut intriguer et en intriguera d’autres à l’image de ce confrère, journaliste cinéma.

Par ailleurs, il semble admis qu’une période de deux ans soit le minimum avant de pouvoir espérer rendre viable l’existence d’un blog comme de toute entreprise que l’on créé. En deux ans, on a le temps de se résigner ou de se voir confirmer que l’on tient le bon projet, celui qui marche et qui nous correspond.

En un mois, depuis l’ouverture de ce blog, j’ai publié vingt articles. Soit une assez bonne moyenne rédactionnelle. Mon meilleur « score » en termes d’audience a été de 45 lecteurs par jour. Cela peut sembler dérisoire en regard avec les milliers de lecteurs ou d’abonnés de certains blogs, sites ou chaines Youtube. Mais chaque lecteur compte. Je crois du reste que chaque lecteur, même contrarié, est un lecteur. Un allié.

Je suis un peu étonné de m’exprimer comme un politicien pourrait le faire avec des électeurs. Pourtant, concrètement, c’est encourageant de voir que l’on a été lu par des lectrices/ lecteurs. De recevoir des avis, des impressions. J’en ai reçus.

Et même s’il importe de faire au plus vite du « chiffre » en termes de lectrices/ lecteurs et d’abonnés afin de constituer une spirale vertueuse de personnes qui va contribuer à faire connaître le blog de plus en plus, pour l’instant, je ne m’inquiète pas :

Cet été, avant de lancer le blog, j’avais expliqué à Jamila Ouzahir (l’attachée de presse revue par hasard dans le métro et qui m’a encouragé dès le début) que je parlerais de cinéma mais aussi d’autres sujets.

Pour qu’un blog «  marche », j’ai cru comprendre qu’il fallait le personnaliser et, aussi, parler de soi. Je parle trop de moi ? Tous les jours, sur les réseaux sociaux, mais aussi sur leur lieu de travail, des milliers voire des millions de personnes parlent d’elles. Tous les jours, nos navigations sur internet et sur le Web, nos achats au moins au moyen de nos cartes bancaires ainsi que nos déplacements ne serait-ce que par les transports en commun donnent quantité d’informations et parlent de celles et ceux que nous sommes. Si l’on doit savoir qui je suis, je préfère encore être celui qui choisit les sujets que je veux voir abordés au moment où je l’ai décidé.

Certains de mes articles sont longs ? C’est un défaut. Ainsi qu’une particularité. Cela fait partie de mon grain. Il y’a environ trente ans maintenant, le CD était supposé exterminer le vinyle définitivement. Aujourd’hui, même si le vinyle reste minoritaire et en cours chez des « puristes», sa persistance indique qu’on lui trouve des propriétés uniques que la perfection sacrificielle du CD ou les caractéristiques du MP3 ont exclu. Mais le meilleur exemple est sûrement celui du livre qui a beaucoup mieux résisté au numérique et à la dématérialisation. La longueur de certains de mes articles provient sûrement d’une certaine tradition- papier- du livre. Elle peut de ce fait convenir à celles et ceux qui ont du mal à se satisfaire de la brièveté de certains contenus et aiment prendre leur temps pour lire.

Mais ce qui plait à certains et déplait à d’autres est le contraire d’une science exacte. Ce qui rebute certaines et certains aujourd’hui conviendra peut-être demain, dans quelques jours ou dans quelques semaines, à d’autres voire aux mêmes. D’autres, enfin, sont peut-être tout simplement indisponibles en cette période de fin d’année.

En attendant, mon rôle est d’avoir des idées, de faire montre d’une certaine perspicacité, d’une certaine originalité et de sincérité.

Et, j’ai des idées. D’articles courts et longs. Pour mieux faire connaître mon blog. Mais aussi en termes de rubriques que j’ajouterai au fur et à mesure.

Pour l’instant, je n’ai publié aucune vidéo sur mon blog parce-que plus j’écris et moins j’ai envie de me montrer : c’est une question de dynamique. Plus j’écris et plus je me sens tout mou à l’image. Même ma voix me redoute. J’ai pourtant une expérience du jeu d’acteur.

Je comprends qu’écrire et jouer face caméra sont deux actions et deux énergies distinctes. Elles peuvent se conjuguer mais, pour l’instant, je me sens divisé entre les deux. Et puis, l’une comme l’autre de ces deux actions (écrire et jouer) pour être effectuée de façon à peu près satisfaisante, demande du temps. J’ai bien deux ou trois vidéos à montrer que certains ont déjà vues mais il m’ennuie de me dire qu’après elles, ce sera le vide car je n’aurai rien d’autre – pour l’instant- à proposer. Je comprends donc qu’en écrivant cette vingtaine d’articles et quelques autres, j’ai beaucoup été dans ma tête et que je dois, pour retrouver le plaisir du jeu d’acteur, retourner un peu plus dans mon corps.

 

Alors, est-ce que ça va marcher ? Pour le savoir, il faudra d’abord que j’aie posé sur la table tous mes atouts. Ce que je suis très loin d’avoir fait. Et il faudra bien-sûr que l’on continue de venir sur balistiqueduquotidien.com

Bonnes fêtes de fin d’année !

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 23 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

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Pour la rubrique cinéma de mon blog désormais rebaptisé Balistique du quotidien, j’avais prévu ce matin d’aller voir deux films au cinéma. Afin d’alléger un peu le contenu de certains de mes articles. Et aussi parce-que j’ai bien l’intention de parler cinéma sur ce blog. Et puis, il m’est soudainement apparu évident que la meilleure façon de démarrer ma rubrique cinéma consistait à m’inspirer de mon expérience de journaliste cinéma pour le mensuel papier Brazil. Lequel a cessé de paraître fin juin 2011 si je ne me trompe.

 

Le train du deuil et de la nostalgie de la fin de cette aventure journalistique me semble aujourd’hui, ce mardi 18 septembre 2018, passé. 7 ans pour le passage d’un train, cela est un délai plutôt raisonnable.

 

Avant mon expérience de journaliste cinéma pour Brazil, j’étais un cinéphile parmi d’autres. Bien que cinéphile assez « tardivement ». Ma mère m’a raconté qu’elle et mon père m’emmenaient avec eux lorsqu’ils allaient au cinéma à Paris. Dans les années 70. Car la place était gratuite pour moi et parce-que j’étais un enfant « sage ». Je devais vraiment être très petit (entre mes trois et six ans m’a récemment répondu ma mère) car je n’ai aucun souvenir de séance cinéma avec eux hormis quelques bribes d’un film où le « héros » était une voiture coccinelle du nom de « Choupette ».

A la maison, devant la télé en noir et blanc dont la troisième chaine avait déserté, mes parents étaient plutôt portés sur certaines comédies françaises avec Bourvil et Fernandel. Mais ils avaient aussi une certaine fascination pour les films américains à tendance polar ou western. Ou pour les films de Bruce Lee. Et moi, à 20h30, après le journal des informations, j’avais obligation d’aller me coucher.

 

Je disposais néanmoins de mes plages télévision. A condition que celles-ci soient compatibles avec l’agenda de mon père en termes de retransmission d’événements sportifs à la télé. Si la voie était libre, les samedis après-midis, j’avais par exemple droit à l’émission Samedi est à vous, à Temps X lorsque les frères Bogdanoff étaient jeunes, beaux et sans silicone. Et, j’étais là devant l’écran lorsqu’arriva la saga Goldorak et tout ce qu’elle suscita d’engouement et de nouveauté, amenant avec elle toutes ces caravanes de séries japonaises (Candy, Heidi, Albator, Sandokan) et ignorant tout de leur provenance comme de ce qu’elles pouvaient éventuellement représenter comme « menace » culturelle ou tout simplement commerciale pour des œuvres telles que La Petite Maison dans la Prairie, Amicalement Vôtre, Les Mystères de l’Ouest, Arsène Lupin ou Vidocq….

Plus tard, à partir de l’adolescence, répondant peut-être déjà à un certain appel d’obsolescence programmée, je me suis aussi beaucoup abruti devant la télé. Je me suis beaucoup vu me mettre minable, les dimanches après-midis, en regardant jusqu’au bout et sans rémission les émissions (ré) animées par Jacques Martin. Depuis L’homme qui prend des risques en passant par Incroyable mais vrai jusqu’au Thé Dansant.

Je savais que ce que je regardais était mauvais, très mauvais, que je savais lire et écrire, que je perdais mon temps. Mais je restais là, fidèle au poste, accroché à la lucarne du téléviseur familial qui me semblait être mon seul subterfuge contre l’ennui.

Lequel téléviseur, remplaçant le précédent, était désormais pourvu de la couleur et de la télécommande. Néanmoins, je restais un téléspectateur pédestre et méthodique, dévot jusqu’au-boutiste de la chaine et du programme choisis, totalement sectaire envers l’idée du zapping et la réprouvant même, quelle dégénérescence ! , lorsque mon frère, mon benjamin de 14 ans, s’y adonnerait parfois compulsivement devant moi.

 

Le grand avantage de toutes ces mauvaises cuites télévisuelles alors que j’ingérais toutes les versions françaises de ce que je regardais comme des hosties et du petit lait, c’est qu’en quittant mes parents pour aller emménager chez moi, je me suis aussitôt sevré de la télé. Je n’ai jamais acheté de téléviseur. En acheter n’a jamais fait partie de mes projets. Il est quantité de dépenses dont j’aurais dû me passer et j’ai encore bien des efforts à faire en termes de dépenses. Je perçois la consommation « ordinaire » que nous pratiquons quasiment quotidiennement pour divers achats comme une addiction soit l’équivalent   d’un «  apprentissage pathologique » assimilé depuis des années et qui nous fait du tort. Néanmoins, nous avons aussi des moments de lucidité. J’ai toujours été perplexe devant les (grandes) sommes qu’acceptent de donner mes contemporains en vue d’acquérir un téléviseur. Et j’ai éprouvé une grande fierté à pouvoir être dispensé de payer la redevance télé pendant des années.

Aujourd’hui, nous avons bien un téléviseur à la maison. Mais c’est celui que possédait ma compagne alors que nous nous sommes rencontrés. Je n’ai jamais estimé que cela pourrait constituer un motif recevable afin de la répudier. D’autre part, son téléviseur nous sert d’écran pour regarder des Blu-Ray et des dvds voire des cassettes VHS. Et lorsque notre fille se met subitement en arrêt à à peine cinquante centimètres d’un téléviseur allumé de manière automatique chez des amis ou dans de la famille, je me transforme en vigie qui la fait battre en retrait de deux ou trois mètres. Ma compagne adopte la même attitude même si, assez amusée, elle ne manque pas de (me) rappeler quelques fois que lorsque je passe devant un téléviseur allumé, je me transforme aussi en statue comme notre fille.

Je suis devenu cinéphile lors de ma deuxième ou troisième année d’école d’infirmier. J’avais 20 ans.

J’allais au cinéma généralement seul. Et, après mon diplôme d’infirmier, j’ai connu une période où je voyais un film par jour en moyenne. En voir deux d’affilée était tout autant normal. En version originale. Du jour où j’ai arrêté de regarder la télé et ses versions françaises au profit du cinéma en version originale, il m’est devenu très difficile ensuite de supporter la version française d’un film. Car notre cerveau et notre oreille décèlent très vite le travail de faussaire de la version française aussi bonne soit-elle.

J’ai rencontré Christophe Goffette, le rédacteur en chef de Brazil début 2009 aux Cinglés du cinéma à Argenteuil. Cela faisait 20 ans que je me rendais dans des salles de cinéma. Et autant d’années que j’écrivais dans mon coin, imposant par moments mes éclairs de « génie » littéraire à quelques courageuses et courageux, ou malchanceux, parmi mes proches et moins proches. Perspicaces, toutefois, plusieurs maisons d’édition ont préféré égarer ou me restituer mes manuscrits.

Avec, parfois, cette réponse que j’arrachais et, qui, bien que polie, était pour moi très humiliante : « Trop de lieux communs…. ». Mais ces maisons d’édition avaient raison. J’étais quelqu’un de commun ou un original qui échouait à rendre évidente et captivante sa particularité.

 

En 2009, j’habitais à Argenteuil depuis bientôt deux ans. Malgré ses atouts, Argenteuil est selon moi une ville qui continue de beaucoup subir son image. Cela a peut-être aussi contribué à nous rapprocher, elle et moi. Même si, vis-à-vis d’elle, je peux osciller entre sentiment de saturation et attachement.

 

Habiter à Argenteuil était un gros avantage pour se rendre aux Cinglés du cinéma. Cela fait des années que cette manifestation s’y déroule à la salle des fêtes Jean Vilar, non loin du conservatoire. Et, désormais, j’avais juste une rue à traverser pour, en trois à quatre minutes, m’y trouver.

J’ai néanmoins failli ne me pas me rendre à cette édition des Cinglés du cinéma.

J’étais déprimé. Ma copine de l’époque m’avait quitté. Ma vie sentimentale continuait d’être insatisfaisante. Je n’étais pas un génie.

J’ai oublié comment je m’y suis pris avec moi-même pour me porter jusqu’aux Cinglés du cinéma. Je me suis sûrement dit que j’allais juste y passer.

En furetant parmi les exposants, je suis tombé sur Christophe Goffette avec lequel le contact a d’emblée été très simple et très sympathique en parlant cinéma. Plusieurs numéros de Brazil figuraient sur son stand. Je n’y ai pas prêté d’attention particulière.

Je me rappelle davantage d’un visiteur, un personnage, conversant avec Christophe puis commençant à délivrer son érudition à propos d’un film de genre que très peu de personnes avaient vu et où il était question d’un Batman gay. Un moment hilarant que j’aurais aimé enregistrer ou, à défaut, que j’aurais dû retranscrire aussitôt. Puis, j’étais allé dans d’autres rayons et étais repassé à son stand afin de lui acheter quelques dvds. Cette fois-ci, un autre cinéphile discutait avec lui. En les écoutant, j’ai cru comprendre qu’il était possible d’écrire pour Brazil. J’ai alors interpellé Christophe :

« Vous cherchez des personnes pour écrire ? ». Il s’est défendu, tout sourire :

« Mais je ne cherche pas ! ». Ce qui signifiait que le contenu et le style de Brazil

( « Le cinéma sans concession$ » ) correspondaient aux besoins de bien des cinéphiles qui en avaient assez d’une presse cinéma policée et normothymique.

Contrairement à l’autre cinéphile présent, je connaissais Brazil vaguement.

Contrairement à l’autre cinéphile présent, sitôt rentré chez moi, j’ai envoyé un mail à Christophe comme convenu dans lequel je me présentais un peu. Environ une à deux semaines plus tard, Christophe m’a envoyé par mail une liste de films à voir en avant-première dans des salles dédiées aux professionnels de la presse. Il s’agissait de réelles avant-premières. De séances qui se déroulaient un voire deux mois avant la sortie des films en salle. Néanmoins, aucun de ces films ou de ces réalisateurs ne me parlait. Il s’agissait pour la plupart de petites productions et de cinéma d’auteur dont, très certainement, le grand public a peu entendu parler car il s’agit de réalisations assez peu diffusées dans les salles et non-éligibles au succès commercial.

Même si Brazil frayait dans le cinéma d’auteur et le cinéma de genre(s), il est vraisemblable que Christophe me testait.

Ma première réaction a plutôt été de croire qu’il s’agissait d’un canular : je croyais modérément à l’existence de ces séances de presse dans ces rues proches des Champs- Elysées dont, jusqu’alors, j’avais ignoré l’existence.

Christophe m’avait dit de joindre par téléphone les attachées de presse concernées et de m’annoncer comme journaliste de Brazil. C’est ce que j’ai fait. Et, en me rendant sur place, je me suis aperçu que tout était vrai.

Je crois que le premier film que j’ai « critiqué » était un film se déroulant en Azerbaïdjan ou en Ouzbékistan (Non ! Il s’agit du film Tulpan réalisé en 2006 par Sergey Dvortsevoy au Kazakhstan et distribué en 2009). Après avoir lu mon texte, bienveillant, Christophe m’avait répondu que l’on sentait que je me retenais encore un peu mais que ça allait venir par la suite.

Christophe m’avait aussi d’emblée prévenu que tous les journalistes de Brazil étaient bénévoles. Cela ne m’a jamais dérangé durant les deux ans et demi de mon expérience avec Brazil car nous avions une très grande liberté d’expression que je n’ai pas retrouvée par la suite. Et aussi parce-que cette expérience m’a permis d’interviewer des réalisateurs et des acteurs (et aussi de me rendre dans certains endroits) que je n’aurais jamais rencontrés si j’avais été stagiaire ou même pigiste dans d’autres médias papiers officiels qui existent encore à ce jour.

Et en écrivant cela, je dis plusieurs choses : l’arrêt de Brazil fin juin 2011 a été passionnément mal vécu par plusieurs de mes anciens collègues journalistes de Brazil. A tort ou à raison, plusieurs de mes anciens collègues journalistes de Brazil en ont beaucoup voulu à Christophe de la fin de Brazil. Pour ma part, j’ai comparé la fin du mensuel Brazil …à une rupture amoureuse mais aussi à la fermeture d’une usine dans une ville ou une commune dont toute l’activité économique et sociale dépendait. Ce qui était forcément douloureux. Mais quelques expériences de vie m’avaient appris que dès lors qu’une rupture amoureuse est inéluctable, qu’il est beaucoup moins douloureux de l’accepter.

 

On peut me voir comme l’idiot ou le grand naïf de l’histoire. Et je veux bien croire que ma « sympathie » voire ma « loyauté » envers Christophe Goffette a pu, aussi, m’isoler ou me coûter en termes d’opportunités journalistiques puisque beaucoup est aussi affaire de relations, d’alliances et de réseaux dans ce milieu. Pour le reste, ma dépendance envers l’expérience et l’époque Brazil m’a certainement empêché de voir comme de m’ouvrir à d’autres opportunités ou d’autres média. J’avais sûrement besoin d’un temps de deuil plus long et plus lent que d’autres. Car il est bien deux ou trois autres anciens collègues de Brazil qui ont su persévérer et, depuis, évoluer dans le journalisme du cinéma tandis que d’autres, déjà versés et reconnus dans ce milieu, avaient bien moins besoin que moi d’un dispositif comme Brazil pour se faire connaître de la profession. D’autres, aussi, semblent avoir délaissé le journalisme cinéma. Enfin, je dois ajouter que mon humour, noir, absurde, à froid, mes bizarreries ou ma folie mais aussi ma timidité me rendent quelques fois peu performant en matière de séduction sociale. Par exemple, lorsque je sors d’une séance cinéma, je peux avoir beaucoup de mal à partager ce que je viens de voir. J’ai besoin de garder mes impressions, avec une certaine exclusivité, pour pouvoir les écrire. Et je peux aussi avoir besoin de temps pour laisser infuser. Je suis plutôt pressé de m’isoler, si je suis inspiré, pour écrire.

Ce genre d’attitude ou d’incartade est assez contre-productif en termes d’échanges sociaux avec des collègues journalistes par exemple. Et sauf si ceux-ci nous connaissent bien ou ont la possibilité de nous connaître et de passer avec nous quelques moments informels et agréables, ou tout simplement sociables, à force de rencontres répétées dans des festivals ou autres lieux dévolus au cinéma, nous passons inaperçus ou pour quelqu’un de peu attractif.

 

Pour compléter le tableau, il convient sans doute aussi de dire qu’il existe une ligne de démarcation non-dite mais bien concrète entre la caste, jugée inférieure, des journalistes cinéma bénévoles et celle, estimée supérieure, des journalistes cinéma ou critiques de cinéma officiels et professionnels. On perçoit l’existence de cette séparation entre ces deux « castes » dans l’accueil que peuvent réserver certaines et certains attachés de presse à des journalistes cinéma patentés qui ont pour eux d’officier au sein d’un journal qui jouit soit d’un certain prestige intellectuel ou d’une grande puissance de diffusion économique et commerciale voire des deux lorsque cela se produit. On peut alors entendre des attachées et des attachés de presse donner cérémonieusement du « Monsieur » à un journaliste « réputé » ou «  connu » comme on s’adresserait à un vicomte ou à un monarque au 18 ème siècle. Si je reconnais à un certain nombre de ces journalistes ou critiques cinéma reconnus une connaissance, une certaine conscience du cinéma ainsi qu’une aptitude à les transmettre, je crois aussi qu’après avoir lu un certain nombre de leurs articles pour certains, qu’après avoir vu un certain nombre de films et qu’après avoir connu soi-même- et continuer de le faire- un certain nombre d’expériences dans différents domaines de l’existence (culturels et autres) qu’on acquiert soi-même une certaine conscience et une certaine connaissance de ce que l’on voit, comprend et de ce que l’on ressent. Ainsi que sa façon toute personnelle, inconditionnelle, et vivante, de les transmettre.

Et, je crois aussi qu’il est des fois ou des journalistes ou critiques cinémas labellisés et « reconnus » ont des trous de connaissance et de conscience ou, tout simplement, des insuffisances bien que celles-ci soient évidemment humaines. Par exemple, dès qu’il s’agit de parler d’un film sur une certaine banlieue comme cela avait pu être le cas pour le film L’Esquive de Kechiche, soit un univers extérieur visiblement à certains des journalistes ou critiques cinéma « reconnus » que j’ai lus, j’ai déjà pu être désagréablement surpris par la qualité de leurs écrits aussi bienveillants et encourageants soient-ils. Je ne peux pas me considérer comme un spécialiste de la jeunesse de la banlieue ou d’une certaine banlieue : je fais désormais partie des « vieux » et je suis inséré professionnellement depuis des années. Pourtant, à lire certains articles à propos de L’Esquive de Kechiche, il m’avait sauté aux yeux que les journalistes ou critiques de cinéma « reconnus » dont je lisais les critiques depuis des années étaient alors plutôt poussifs ou dépassés.

Un autre aspect me dérange dans cette espèce de monarchie laquée des journalistes et critiques de cinéma certifiés. Et cela me dérange dans d’autres milieux que dans celui du journalisme cinéma : disposer d’un grand bagage intellectuel et culturel, c’est très bien. Et je suis preneur en termes d’apprentissage. Mais si on le transmet principalement de manière hautement cérébrale, corsetée, froide de telle façon que cela détourne de la lecture, de l’écoute, du sujet ou du film dont on parle, quel est le but ? De s’aimer soi plus que les autres ?

Pour beaucoup s’aimer, il est manifeste que certains journalistes ou critiques cinéma professionnels s’aiment beaucoup. Un jour, avant une projection de presse, j’ai rencontré l’un d’entre eux. Nous avions un peu de temps pour discuter. Et, celui-ci s’est montré très sympathique, chaleureux, allant même jusqu’à aller me chercher un exemplaire du dossier de presse lorsque l’attaché(e ) de presse est arrivé (e ). J’étais si enjoué devant une rencontre si avenante et si agréable que je me suis présenté en toute sincérité :

« Journaliste bénévole. L’avantage, c’est qu’on est libre ». Il était autodidacte ? Moi, aussi. Le journaliste cinéma ne m’a rien répondu.

Je l’ai revu à d’autres projections de presse. Il ne me voyait pas. Ou me saluait du bout des lèvres lorsque nous nous croisions. Il lui est arrivé de passer juste devant moi sur le quai du métro sans me voir comme si j’étais un passager parmi d’autres. Je l’ai vu se montrer très sympathique, très drôle, voire avenant avec d’autres journalistes cinéma ainsi qu’avec certaines attachées de presse. Un exercice de drague qui avait tourné à son désavantage ? Peut-être mais je ne crois pas que ce soit la principale raison.

Amnésique, alors ? Hypermétrope ? Lunaire ? L’une des dernières fois où je me souviens l’avoir vu et où, en me voyant, il m’a reconnu et salué sans trop de difficulté c’était, c’était….au festival de Cannes. Muni d’un badge de journaliste tout comme lui, quoiqu’avec un badge d’une couleur moins avantageuse que le sien sans doute, je prenais le même chemin que lui pour me rendre à la même projection de presse que lui. Et, me voyant dans ce lieu tout de même assez prestigieux qu’est le festival de Cannes, cet homme, journaliste cinéma patenté et sûrement toujours en activité , avait dû estimer que, tout de même, j’étais un peu du même milieu ou de la même caste que lui. J’ai constaté un peu le même effet sur une attachée de presse dont je parle « mieux » un peu plus bas. Mais là où je me suis illusionné quant au fait, désormais, de commencer à faire partie de ce milieu du journalisme cinéma, c’est que deux à trois semaines plus tard, Christophe nous apprenait la fin de Brazil.

Néanmoins, j’ai toujours privilégié ma gratitude envers Christophe même si j’ai quand même connu des expériences journalistiques par la suite avec le site Format Court, principalement, qui m’ont donné une certaine satisfaction. Après avoir rencontré sa rédactrice en chef, Katia Bayer, dans le point Presse….du festival de Cannes. J’ai aussi écrit deux ou trois articles pour un magazine étudiant. Et, après Brazil, j’ai un peu écrit pour le site Cinespagne. Ce qui m’a permis de me rendre à un festival du cinéma à Marseille, une ville qui m’est particulière. J’essayais,  alors, de me maintenir et de me diversifier dans le journalisme cinéma. Et d’y retrouver ce que j’avais pu vivre avec le journal Brazil. Et, cela, en demeurant au plus près de celui que j’étais. Mais le contexte était différent. J’étais sûrement lassé, aussi, de courir après les films, les événements ( festivals, projections et autres)  le texte et tout cela, en outre, bénévolement.

Ma lassitude a été telle que si j’ai pris soin de prévenir Katia que j’allais désormais arrêter de co-animer avec elle les soirées mensuelles de courts-métrages  de Format Court au cinéma Le Studio des Ursulines, j’ai coupé tout contact sans préavis  avec Thomas, le rédacteur en chef du site Cinespagne.com.  Même si j’ai peu écrit pour le site cette attitude ne me ressemble pas. Je profite donc de cet article, même s’il ne le lira probablement jamais et qu’il a sans doute depuis bien d’autres préoccupations, pour présenter mes excuses à Thomas pour ce comportement. C’était il y’a un peu plus de cinq ans.

 

Brazil a été une expérience extraordinaire. Je dois rappeler, aussi, qu’il s’agissait d’un mensuel papier. Je reste très attaché à la presse papier. Je suis peut-être vieux jeu mais je lui trouve un aspect plus prestigieux que la presse numérique. Je me contredis peut-être car j’écris aujourd’hui depuis mon blog. Et, j’ai aimé écrire en ligne pour Format Court.  Les deux supports ( papier et numérique ) sont bien-sûr complémentaires.

De l’expérience journalistique avec Brazil, je concède que, oui, un peu plus de rigueur à propos de la rédaction des articles aurait été bienvenu un certain nombre de fois. Cette rigueur m’a été profitable en écrivant pour Format Court. Même si j’ai plusieurs fois mal pris le fait que Katia me demande de corriger certains passages de mes articles. Et, je veux bien croire qu’il a bien dû y avoir des fois où je me suis montré désagréable compte-tenu de la trop haute importance que j’attribuais à mon intelligence.

Pourtant, même si je doute qu’un autre journal aurait pu me donner la même latitude que celle que j’ai pu connaître dans Brazil, j’ai toujours su et pensé, aussi, que j’étais plus dans mon élément en tant que journaliste qu’en tant que rédacteur en chef. Etre rédacteur en chef est une charge dont je me dispensais très bien que ce soit à Brazil , à Format Court ou ailleurs.

Concernant les reproches faits à Christophe à la fin de Brazil, je n’avais pas de raisons pour les partager. Christophe a toujours tenu ses engagements envers moi à l’époque Brazil.

Exemple : sûrement pour régler des comptes parce-que Christophe avait critiqué dans un de ses éditos sur le thème « Voici pourquoi vous ne lirez jamais d’interview de telle actrice française dans Brazil », l’attitude d’une certaine grande vedette du cinéma français qu’elle représentait (obtenir la couverture de Brazil contre une interview) une attachée de presse m’avait finalement privé d’accréditation pour un festival. Christophe m’avait alors dit :

« Ne t’inquiète pas. Tu iras dans un festival bien mieux que celui-là…. ». Quelques mois plus tard, Christophe m’apprenait que j’allais…au festival de Cannes.

Aujourd’hui, si je m’exprime depuis ce blog, c’est bien-sûr ma façon de m’affirmer un peu plus en tant qu’individu et en tant que journaliste. Dans le but d’essayer de m’acquitter de ces minutes où nos aventures se limitent à des sacrifices au service du futile et de l’artifice. Mais si ce blog est un moyen de transmettre, de faire connaissance (s) et de (faire) rire, c’est en en sachant, aussi, ce que je dois et à qui je le dois à Brazil ou ailleurs.

 

Ce préambule est sans doute un peu long. Mais je crois qu’il a son importance.

 

Autrement, Hirokazu Kore-Eda, vous connaissez ?

Le voici.

J’ai pris cette photo après l’avoir interviewé en mars ou avril 2009. Ma première interview pour Brazil. La photo a été prise à contre-jour donc on voit à peine le visage de Kore-Eda. Toutes mes excuses. Je n’ai pas osé le faire se déplacer d’autant que cette photo relevait de mon initiative. Le mensuel avait un très bon photographe, Eddy Brière, et je suis certain que sans moi, Christophe aurait obtenu des photos de Kore-Eda bien plus présentables. Cette photo a néanmoins paru dans Brazil.

Ici, même si cela a un caractère frustrant, je trouve que cette photo donne un petit plus à Kore-Eda d’avoir son visage un peu dans la pénombre. Par ailleurs, on voit bien l’intérieur plutôt luxueux, feutré et spacieux, de cet hôtel. Impossible, à moins de connaître cet hôtel, de deviner que nous nous trouvons là du côté d’ Odéon où a eu lieu l’interview. Un hôtel où je n’aurais jamais mis les pieds sans cette interview. Je n’en n’ai pas les moyens et suis si peu habitué à ce genre d’endroit que, spontanément, pour moi-même, je me tournerais plutôt vers des Formule 1 ou des hôtels Ibis.

Kore-Eda, réalisateur japonais, a été palme d’or au festival de Cannes cette année 2018 pour son film Une Affaire de famille (sorti en salles ce 12 décembre soit depuis dix jours  puisque nous sommes le 22 décembre 2018 lorsque je corrige et complète cet article). Lorsque je le rencontre dans cet hôtel en mars ou avril 2009, c’est pour parler de son film Still Walking ( 2008) réalisé quatre ans après son film Nobody knows ( 2004) qui l’a fait connaître.

J’avais intitulé mon interview pour Brazil de Hirokazu Kore-Eda : échos d’une mère. Et, dans le chapo, je présentais l’interview de la façon suivante ( Brazil# 18- mai 2009, page 56) :

« La rupture et la perte nous poussent souvent à certains engagements. Kore-Eda a réalisé Still Walking après le décès de sa mère. Et il tient à présenter ce film au moins comme le portrait d’une mère, mais aussi comme différent de ses précédentes réalisations ».

On sait ce que les Premières fois ont de mémorable. Pour moi qui avais fait un voyage au Japon dix ans auparavant, voyage que je qualifie d’extraordinaire, faire ma première interview de journaliste cinéma avec Kore-Eda, réalisateur japonais, avait immédiatement un côté extraordinaire, voire, pourquoi pas, surnaturel.

Et puis, officiellement, journaliste cinéma n’était pas mon métier. A cette époque, j’étais infirmier en poste dans un Centre Médico Psychologique (CMP) pour enfant et adolescents en banlieue parisienne. En gros : avec des collègues éducateurs, je faisais la ronde avec des enfants de trois à six ans en chantant par exemple « Dansons la capucine… ». Ou nous faisions de la peinture et des dessins. Ou nous leur racontions des contes où les emmenions dans des aires de jeu. La plupart de ces enfants avaient soit un retard de langage, soit un retard de psychomotricité ou d’autres difficultés «  du développement ».

Là, pour cette interview de Kore-Eda, changement de décor et de corps. Ces deux mondes, celui de l’infirmier et du journaliste cinéma, n’ont rien à voir ?

D’abord, j’aime ces écarts entre deux univers. J’aime changer de casquette. Ensuite, je réfute totalement ces certitudes qui consistent à opposer systématiquement deux univers qu’a priori tout éloigne. Rien à voir, vraiment, mon métier de journaliste cinéma avec celui d’infirmier ?

Un des grands principes de l’interview, c’est de s’intéresser à autrui et de l’écouter. Comme de l’observer. C’est normalement la base du métier d’acteur, du scénariste ou du réalisateur. Mais c’est aussi la base du métier d’infirmier. Et l’infirmière et l’infirmier ont bien des fois à s’employer pour interviewer qui un patient-client, qui sa famille, qui son entourage, ou d’autres collègues, et, cela, dans toutes sortes de situations (urgentes ou non). Cela se vérifie en soins somatiques. Cela se vérifie encore plus en psychiatrie, spécialité où j’ai, à ce jour, effectué, la plus grande partie de ma carrière.

Donc, faire une interview, une infirmière ou un infirmier, en est tout à fait capable. Ce qui change ici, c’est plutôt le médium et le contexte ou le décor : à l’hôpital, le médium, c’est le trouble, la pathologie ou la maladie qui provoque la rencontre entre le patient-client et l’équipe soignante.

Avec Kore-Eda, le médium, c’est le cinéma. Et le contexte ou le décor, cet hôtel où je l’ai rencontré hors festival. Mais même en changeant de médium de contexte et de décor, les thèmes qui concernent les femmes, les hommes et les enfants de ce monde restent les mêmes. A savoir, la vie, la mort. La vie, la mort, les infirmières et les infirmiers trempent dedans concrètement dans leur service. Donc, à moins de se trouver face à une infirmière ou un infirmier indisponible ou en burn out, si vous voulez vous exprimer à propos de sujets comme la vie, la mort avec une infirmière ou un infirmier, vous avez normalement une interlocutrice ou un interlocuteur ad hoc. Ce qui change, c’est la manière d’en parler, le moment et le lieu. C’est là qu’intervient la cinéphilie ou la culture cinématographique afin d’avoir un langage commun et d’éviter de vouloir réaliser la thérapie du réalisateur ou de l’acteur que vous rencontrez alors que vous êtes là…pour l’interviewer en tant que journaliste cinéma.

Fort heureusement, il y’a des garde-fous au cas où, au lieu d’effectuer une interview, on commencerait à se prendre pour un psychanalyste fou. D’abord, le réalisateur ou l’acteur que l’on interviewe. On peut lui faire confiance pour nous faire comprendre que l’on est hors-sujet. Ou alors, il y’a aussi l’attachée de presse qui peut jouer ce rôle-là.

Et puis, vu que je parle à peine quelques mots de Japonais, était présente une traductrice (qui préfèrerait peut-être être considérée comme « interprète »), Catherine Cadou ; laquelle, lors des présentations préliminaires à l’interview, s’était annoncée comme ayant travaillé (c’était une amie) avec «  Kurosawa, le Grand ». Pourquoi « Kurosawa, le Grand » ? Un autre réalisateur japonais, Kiyoshi Kurosowa, auteur de très bons films

( Tokyo Sonata, Shokuzai….), plus jeune, est toujours en activité. Akira Kurosowa « Le Grand » est une référence mondiale pour le cinéma : il a par exemple réalisé Les 7 Samouraïs qui a inspiré ensuite les remake américains Les 7 Mercenaires.

Que m’avait dit Catherine Cadou, l’interprète, à la fin de mon interview ?

« C’est bien. Vous avez tout ». En effet, j’avais préparé mes questions et les avais dactylographiées. J’étais venu avec mon enregistreur numérique et mon appareil photo.

Catherine Cadou de m’expliquer aussi que certains journalistes, lorsqu’ils arrivaient, savaient à peine de quelle histoire ils parlaient ou avaient oublié le nom de tel personnage.

Et que m’avait appris Kore-Eda lors de l’interview ? Au moins qu’il y’a une certaine logique dans nos parcours personnels. Logique que des personnes formées à la thérapie systémique pourraient tout aussi bien expliciter. Exemple avec cet extrait des propos de Kore-Eda lors de l’interview de ce jour-là ( Brazil # 18-mai 2009, page 57) :

«  (….) Une fille élevée dans une famille comme celle-ci décidera forcément d’épouser un type qui sera l’opposé de son père. Elle ne voudra pas vivre le genre de vie qu’a connue sa mère qui était sous la coupe du père. Donc, elle se choisira forcément un mari comme le sien. Le fils, Ryôta, qui est le fils cadet, était libre. Dans la mesure où son frère aîné était celui qui devait reprendre le cabinet du père, Ryôta n’ayant pas de problème d’argent – c’est une famille assez aisée- il allait forcément choisir une voie artistique, ce qui est tout à fait logique. Après, qu’il tombe sur une épouse qui, justement, travaille dans ce domaine-là….

Mon but n’a pas été d’essayer de reconstituer une société japonaise microscopique…c’est plutôt de la logique : à partir de ce type de parents, on a ce type d’enfants (……) ».

A l’heure où j’écris, j’ignore encore comment m’y prendre exactement avec cette rubrique cinéma. Je crois que revenir sur cette expérience Brazil avec des photos de réalisateurs et d’actrices et d’acteurs accompagnées de mes témoignages in situ a du bon. Mais je ne voudrais pas lasser celles et ceux qui lisent. Alors peut-être que j’opterai pour une alternance avec tantôt ces « retours en arrière » à l’époque Brazil avec des réalisateurs et des actrices et acteurs toujours en activité dans leur majorité et tantôt des films vus récemment ou non.

 

Franck, ce mardi 18 septembre 2018.

 

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Echos Statiques

La Vocation et le Talent

 

 

La « Vocation » est peut-être Le mot que je hais à parler du métier d’infirmier (voir mon article sur le documentaire De Chaque Instant de Nicolas Philibert dans la catégorie Cinéma).

La « Vocation » est pour moi une assignation. L’équivalent de la médaille de chocolat ou de la quatrième place. Du distributeur automatique sur lequel il suffit d’appuyer et qui est «  là pour ça ! ».

C’est un lot de consolation que récupère celle ou celui, souvent plus persuadé(e) que les autres qu’il/elle vaut moins qu’eux. Un leurre.

La « Vocation », c’est ce qui pousse à croire que l’on obtient sa juste récompense au mérite : qu’en se taisant, en endurant, en acceptant tout et n’importe quoi, parfois de n’importe qui, un jour, notre consécration, notre prince ou notre princesse viendra. Alors, toutes celles et tous ceux que l’on aime seront là pour fêter avec nous ce moment éternel.

La « Vocation », c’est ce qui incite à s’excuser d’exister, de respirer, de penser. On craint souvent ou toujours de déranger, d’être incongru, inapproprié, d’avoir mal agi ou de mal agir.

 

Dans son livre Le Fils du pauvre , Mouloud Feraoun écrit ce passage :

«  (…..) Pénétré de mon importance dès l’âge de cinq ans, j’abusai bientôt de mes droits. Je devins immédiatement un tyran pour la plus petite de mes sœurs, mon aînée de deux ans. (….) Elle avait un bon naturel qui lui permettait d’essuyer mes coups et d’accepter mes moqueries avec une mansuétude peu imaginable chez un enfant de son âge. Toutefois, on ne manqua pas de lui inculquer la croyance que sa docilité était un devoir et mon attitude un droit. Chaque fois qu’il lui arrivait de se plaindre, elle recevait une réponse invariable : « N’est-ce-pas ton frère ? Quelle chance pour toi d’avoir un frère ! Que Dieu te le garde ! Ne pleure plus, va l’embrasser ».

Grâce à ce procédé, elle avait fini par croire inséparable la formule «  Que Dieu te le garde » du nom du frère et il était touchant de l’entendre dire à ma mère en pleurant :

-C’est mon frère, que Dieu me le garde, qui a mangé ma part de viande – Mon frère, que Dieu me le garde, a déchiré mon foulard.

Petite sœur, qui es maintenant mère de famille, ton vœu a été exaucé. Dieu t’a gardé ton mauvais frère ».

Le Fils du pauvre, publié en 1954, relate un passé en Kabylie alors que l’auteur était enfant presque cinquante ans avant l’indépendance de l’Algérie en 1962. J’ai déjà parlé dans ce blog (dans la catégorie  Puissants Fonds) du journal que celui-ci a tenu durant la guerre d’Algérie avant d’être assassiné par l’OAS à El-Biar, près d’Alger.

 

Récemment, un siècle plus tard, lors de ce mois de décembre 2018, une de mes collègues, lors d’une de ces discussions confidentielles qu’il est possible d’avoir lorsque l’on se sent suffisamment en confiance nous a appris qu’il était d’usage dans sa famille qu’elle soit celle, au moment de Noël, qui faisait des cadeaux à tous. Elle était un peu triste. Mais sans revendiquer quoique ce soit. Je suis sûr que, rétrospectivement, elle est capable de s’en vouloir d’avoir eu la  « faiblesse » de nous en parler. A notre autre collègue et moi. Et, je suis aussi sûr qu’elle est capable de m’en vouloir de parler d’elle. J’en prends néanmoins le risque car j’ai été et suis comme elle. Et tant d’autres sont comme elle : persuadés que les rôles de servants et de figurants leur sont dévolus.

Nous étions pourtant à Paris, capitale culturelle et touristique, renommée internationalement, entre adultes de plus de quarante ans, porteurs de divers vécus, de rencontres et de voyages de par le monde. Et notre collègue n’est pas la descendante cachée de la sœur de Mouloud Feraoun.

Très vite, discrètement, mon autre collègue et moi avons décidé d’essayer de réparer ça : lors de notre dernière nuit de travail cette année avec cette collègue, nous lui avons fait quelques cadeaux. L’une s’est chargée des achats. Je me suis occupé de la musique d’ambiance. Nous avons bien-sûr partagé les frais.

Notre collègue a été surprise et touchée. Et, elle s’est presque excusée pour ces attentions que nous lui avons portées. C’est aussi ça, la vocation. L’attitude de cette collègue un peu embarrassée d’avoir « bénéficié » de nos attentions. La nôtre qui a consisté à spontanément essayer d’atténuer un certain sentiment d’injustice et une certaine peine que nous avons perçue sans attendre, en retour, de recevoir une récompense ou une reconnaissance quelconques. Bien-sûr, on pourra toujours nous dire que ma collègue et moi nous sommes identifiés en notre autre collègue et qu’en lui faisant ces cadeaux, nous nous les sommes faits à nous-mêmes et aux enfants que nous sommes demeurés. Et ce sera aussi vrai comme pour la plupart des cadeaux que nous faisons d’une manière générale à notre entourage.

 

Le talent, c’est à mon sens, avoir la conviction, à un moment ou à un autre, que tout ce qui nous arrive ou peut nous arriver de bien est notre droit. La différence principale entre la « vocation » et le « talent » à mes yeux est la quantité de confiance – et donc de légitimité- que l’on est capable de produire et de se procurer en soi et par les autres. Faute de confiance en soi et d’un sentiment de légitimité, et livrés aux seules muses de la mésestime de soi, nous voilà les élèves appliqués et préférés de la culpabilité et de l’autodénigrement, rotondes de notre impuissance et de nos défaites à venir qui nous confirmeront que nous sommes bien « nuls » et illégitimes pour de nouvelles entreprises comme pour d’autres horizons.

Dans cet extrait de Le Fils du pauvre, l’auteur représente le talent. Et, il se décrit lui-même comme un «  enfant gâté ». Sa sœur tyrannisée représente, elle, la vocation.

On a compris où je veux en venir :

On peut remplacer le mot «  frère » par le mot « emploi », « patron », « gouvernement », « salaire », «  maison », « mari », « femme ». «  ami(e ) », « copain/copine » ou « pantalon » ça marche aussi.

Ce passage du livre de Mouloud Feraoun nous rappelle comme beaucoup de nos apprentissages, de nos soumissions futures mais aussi de nos révoltes, sont la suite de notre enfance que l’on ait vingt, trente, quarante, cinquante ou soixante dix ans. Que l’on soit de droite ou de gauche. Que l’on soit une femme ou un homme. Que l’on soit valide ou invalide. Névrosé ou psychotique. Que l’on soit hétéro ou homo. Que l’on soit riche ou pauvre. Que l’on soit blanc, noir, arabe ou jaune. Que l’on soit catholique ou musulman. Que l’on soit célibataire ou en couple. Avec ou sans enfants.

Les gilets jaunes ? Oui, les gilets jaunes. Et d’autres. Hier ou demain. Qu’ils se manifestent par la violence physique, matérielle ou non. Violence physique et matérielle, je le rappelle, que je désapprouve. Parce-que j’en ai encore les moyens. Physiquement, moralement et matériellement. Pour l’instant. Voir mon article Privilégié dans la catégorie  Echos statiques.

On peut se défaire de l’engrenage d’une certaine violence que l’on a connue jeune, tôt, trop tôt. C’est l’affaire de la résilience, du travail thérapeutique, de la prise de conscience, de la réflexion, de l’apaisement.

 

Lorsque cela est possible.

 

Cela peut être un travail long et lent dans un monde qui va vite. Ou qui semble aller très vite puisque nous sommes plus séduits par la nouveauté et le résultat final que par tout ce qui peut leur précéder pour les obtenir. Puisque ce que d’autres « réussissent » peut nous sembler facile et rapide à réaliser.

 

Dans son film En Liberté sur lequel je n’ai pas encore écrit, Pierre Salvadori nous montre à nouveau des êtres inadaptés ou qui ont du mal à se réinsérer. En particulier, le personnage tenu par Pio Marmaï, employé modèle (un vrai « diamant ») accusé à tort d’un délit et qui sort de prison après plusieurs années. Vers la fin du film, sa compagne (jouée par Audrey Tautou), éreintée par ce droit à vivre par lequel il justifie tous ses actes de violence lui dit :

« T’es revenu innocent avec la cruauté des victimes ! ».

C’est cette cruauté-là que celles et ceux qui ont la vocation d’infirmier (et de soignant) acceptent parfois ou souvent, pendant des années, de recevoir et de retenir pour éviter de la retourner à celles et ceux qui l’infligent. Et s’ils ont du talent, ils parviennent quelques fois à la transformer en art.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 19 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma

Utoya, 22 juillet

                                          Utoya, 22 juillet, Film sorti en salles le 12 décembre 2018.

 

 

Erik Poppe, le réalisateur, rappelle que ce film est une fiction inspirée par les témoignages des victimes (et de leurs proches) du massacre sur l’île Utoya en Norvège le 22 juillet 2011.

 

 

Pour la fiction, on peut trouver une petite parenté avec Hunger Games d’autant plus que le personnage de Kaja, « l’héroïne » de Utoya, 22 juillet a un faux air de Jennifer Lawrence. Mais il a sûrement été assez difficile, même si thérapeutique, pour les acteurs et actrices (tueur inclus) d’endosser les rôles des victimes d’Utoya.

Pour le cinéma, on pourra se rapprocher du film Elephant de Gus Van Sant (palme d’or à Cannes en 2003) inspiré de la tuerie au lycée de Columbine en 1999. Sauf que les deux meurtriers du lycée de Columbine ont été reconnus comme des tueurs de masse et qu’ils ont agi aux Etats-Unis, pays où la législation sur les armes peut rendre celles-ci aussi accessibles que certains produits de consommation courants. (voir le film Les Veuves de Steve McQueen )

Dans mes souvenirs, Elephant déroulait une atmosphère en suspension à l’intérieur de laquelle, des lycéens livrés à eux-mêmes se faisaient tuer sans que l’on ait le temps d’apprendre à les connaître un peu.

Dans Utoya, 22 juillet, le réalisateur humanise davantage ses victimes avant que le terroriste ne démarre son activité meurtrière en tenue de policier. Quelques heures plus tôt, il avait déclenché un attentat à Oslo. Dans le film, on ne verra jamais son visage. On n’entendra jamais son nom. On apercevra sa silhouette, quelques secondes, de loin, depuis le contrebas d’une falaise, vers la fin du film. C’est plus respectueux des victimes et aussi des faits : personne n’a eu l’idée de lui tirer le portrait alors qu’il abattait ces jeunes idéalistes de gauche.

Même s’il arrive que l’on aperçoive quelques corps inconscients ou blessés, Utoya, 22 juillet s’attache principalement à rester proche des victimes qui se cachent, essaient de comprendre ce qui se passe, fuient ou tentent de prendre des décisions.

Après dix minutes de détonations par à coups, plusieurs spectatrices et spectateurs (il m’a semblé qu’il y’avait un petit peu plus de femmes que d’hommes) dans la salle ont commencé à soupirer tant la situation était stressante. Quant à moi, depuis mon siège confortable et sécurisé de spectateur, il m’a pris l’envie de saisir une grosse branche d’arbre mort afin d’aller la fracasser sur la nuque de l’agresseur. Non par héroïsme : j’aurais été autant voire plus effrayé que tous ces jeunes d’une moyenne d’âge comprise entre 18 et 25 ans à vue d’œil ( même si le jeune Tobias a sans doute 14-15 ans). Et j’aurais peut-être été en état de choc, en position fœtale, bien incapable de courir pour sauver ma peau sur l’île d’Utoya ce 22 juillet.

Mais par besoin d’en finir soit pour moi, soit par sacrifice pour d’autres, j’ai eu envie d’attraper une grosse branche.

A l’image de ces jeunes qui se sont fait tirer dessus comme des pigeons à la foire, les chiffres de ce massacre tombent : Utoya, ce 22 juillet 2011, nous rappelle le film, c’est une tuerie d’une durée de 72 minutes. 77 morts, 99 blessés graves, 300 personnes touchées ensuite par un stress post-traumatique. Le film dure 1h33. C’est bien-sûr 1h33 de trop. Mais ce film, en plus de rendre hommage d’une certaine façon aux victimes et à leurs proches, a au moins deux buts :

Informer sur les menaces profondes que peuvent représenter les mouvements d’extrême droite qui fondent sur les gouvernements comme sur des plages paradisiaques.

Prévenir, peut-être, les futures victimes potentielles (et avant eux, leurs tuteurs, éducateurs ou parents) de tout tueur comme de tout agresseur éventuel.

Cette deuxième partie est peut-être ma façon de me rassurer de manière rationnelle comme le personnage de Petter qui a d’abord besoin de se persuader que l’attaque qu’ils subissent est un «  exercice d’entraînement ». Car, il est bien difficile de se préparer à ce genre d’expérience. Comme le précise Jean-Paul Mari dans son livre Sans Blessures apparentes :

 « (….) A l’heure de la survie, plus de jeu social, d’interrogations existentielles. En une heure d’assaut, face au danger, le soldat en apprend plus sur lui-même que pendant des années de bureau ».

Les jeunes militants de l’île d’Utoya étaient des civils. Et aussi des pacifistes. Pour ce que l’on perçoit d’eux, ils étaient plutôt ouverts au dialogue et optimistes que portés sur le pugilat pour s’affirmer ou survivre. Face à eux, un homme armé, préparé, déterminé, portant sur lui un uniforme représentant l’autorité, qui les prend par surprise sur un lieu isolé ( une île ) , plutôt festif, dépourvu de moyens de sécurité comme de repli et où la communication téléphonique est mauvaise. C’est dire l’impasse.

Et, encore, le fait que les téléphones portables existaient déjà en 2011 a sûrement contribué à diminuer le nombre de morts et de blessés.

Pour prévenir ce genre de tragédie, certains préfèrent une présence armée et constante. D’autres, le droit à porter une arme sur soi.

Je me demande à partir de quel âge et, comment, préparer au mieux son enfant à la survenue possible de certains crimes étant donné qu’être en permanence sur la défensive, c’est aussi l’amputer de son innocence : avoir peur de tout et se méfier de tous, c’est aussi se priver de certaines ressources. Dans Utoya, 22 juillet, les quelques liens sociaux maintenus entre plusieurs victimes, même insuffisants pour se débarrasser de leur agresseur et être totalement solidaires, leur permettent aussi de se soutenir.

Pour moi, Utoya, 22 juillet, n’est pas un film à aimer : la priorité, ici, n’est pas d’aimer. Mais de le voir afin de réfléchir au genre de vie que l’on veut avoir et sur les modèles que l’on veut défendre ou laisser aux autres, à commencer par soi-même.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

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Cinéma

Les Veuves

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Veuves réalisé par Steve McQueen. Film sorti en salles le 28 novembre 2018.

 Visages d’un sépulcre creux, quatre femmes sont l’atoll de ce film carré. Deux autres sont cachées.

Comme lors de tout rythme initiatique, les héroïnes commencent par dérouiller.

Nous les voyons encaisser la mort. Elles se font éjecter de leur zone de confort.

La «  zone de confort », dans un monde établi selon les process de réussite du règne masculin, blanc, libéral et occidental varie d’une femme à l’autre.

Au tout début du film, Veronica Rawlings ( l’actrice Viola Davis) est la Reine noire qui supprime, de par sa seule présence dans le lit et dans la vie de son mari blanc ( joué par Liam Neeson), plusieurs générations de racisme social, médiatique et cinématographique. C’est une femme d’avenir, éduquée, émancipée et plutôt bourgeoise.

Le personnage interprété par Michelle Rodriguez est une commerçante indépendante, mère de famille et épouse robuste d’un braqueur addict et flageolant. C’est elle qui tient la boutique.

Alice Gunner (l’actrice Elizabeth Debicki) est la grande blonde, mannequin d’argile d’origine polonaise, si peu sûre de sa valeur qu’elle garde les coups de son compagnon et qu’elle dépend de l’escorte de sa mère qui voit en son corps son meilleur capital.

Et puis, il y’a l’outsider, Belle (l’actrice Cynthia Erivo), physique de boxeuse, mère célibataire, coiffeuse, baby-sitter au domicile des autres plus que chez elle, qui ne compte pas ses heures de travail pour s’en sortir.

Une Latinos, une Slave ( se rappeler que le mot « esclave » vient du mot  » slave »), deux Afro-américaines, Steve MacQueen a formé son quarté féminin avant le saut d’obstacles :

Infidélité, double infidélité, ambition politique et sociale (l)acérée, héritage paternel, Les Veuves est peut-être un film de deuil sur les années Obama. La présidence Obama a peu modifié la trajectoire des inégalités et des violences entre les femmes et les hommes, entre les noirs et les blancs, entre les flics blancs armés, adultes, et les jeunes noirs interdits d’insouciance. Mais aussi entre noirs. L’ennemi est partout. Aux sentiments, mieux vaut préférer les alliances par intérêt commun tarifé. Ce sont les meilleures assurances.

Pendant ce temps-là, dans cette ville des Etats-Unis où se passe l’histoire, les armes restent en vente libre et une mère peut enseigner à sa fille qu’une arme est un meilleur compagnon qu’une peluche ou un copain.

Bound, des ex-frères Wachowski, Fresh, de Boaz Yakin, McQueen s’est probablement passé de la vision de ces deux films pour donner à ses héroïnes le pouvoir de se servir de leurs « faiblesses » pour se tailler la part du lion dans le film.

De leur côté, les hommes servent les fantômes d’un passé redoublé ou traumatique. Colin Firth, homme politique par transmission et par vénalité, est asservi aux postulats passéistes et racistes du père (l’acteur Robert Duvall).

Harry Rawlings (Liam Neeson), le braqueur de haute précision, a une tâche sur son CV personnel.

Les deux frères Manning (l’acteur Bryan Tyree Henry et Daniel Kaluuya à nouveau remarquable après Get Out et le premier Sicario) en ont assez du ghetto et veulent en être.

On peut trouver ce film de McQueen plus « mainstream » que les précédents. Son fond est pourtant plusieurs fois aussi lourd qu’un sac de frappe que l’on reçoit de face.

Plusieurs scènes sont virtuoses. Citons-en quelques unes :

Une séance de coaching conjugo-politique avec Colin Firth et sa femme en hors champ.

Une dispute/réconciliation entre Viola Davis et Elizabeth Debicki.

Michelle Rodriguez et un autre veuf.

Le personnage de Daniel Kaluuya donne son avis sur l’Art et le Rap.

Quand un politicien noir en campagne rend visite à une veuve noire.

Un prêche sur la nécessité de faire entrer l’Amour dans l’équation.

 

Comment ne pas aimer ce film ?

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Croisements/ Interviews

Le Fait Eric

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mère normande, père malgache, il est d’abord parti de Caen. J’ai rencontré l’ami Eric Moscardo-Rabenja il y’a environ dix ans à l’université de Saint-Denis en banlieue parisienne.

Nous étions tous les deux acteurs dans un court-métrage réalisé par des étudiantes en cinéma. Nous avons fait connaissance pendant que l’équipe technique procédait aux réglages ou que d’autres de nos partenaires tournaient. De contact facile, l’esprit à la tête, la conversation avec Eric s’est aisément faite.

Je suis souvent resté perplexe devant la superficialité et l’infirmité des rapports entre les humains du milieu du théâtre, du cinéma mais aussi du journalisme cinéma qui peuvent pourtant se dévouer à bien des œuvres « généreuses » et « humaines ».

Tout semble perpétué par une prise d’intérêt immédiate. A moins qu’il ne s’agisse de ces embarras communs, embruns qui nous dominent, lorsque l’on ne sait quoi dire à un autre nous-même. Ou de cette angoisse qui oblige. A faire du rendement et du recel de présence plutôt que des rencontres. Pour se prouver que l’on a bien travaillé ; que l’on a bien produit ; que l’on a été efficace ; que l’on a fait quelque chose de soi et de son temps.

On peut être décisif en déposant que lorsqu’il est difficile de gagner sa vie- dans un milieu ultra-compétitif- pour se nourrir et être reconnu à la hauteur de son énergie, on n’a pas le temps pour jouer à la balle au prisonnier, conter fleurette et faire du tricot.

Il est étonnant comme certaines personnes- même décédées- donnent encore l’impression de manquer de temps.

Le pire est que ce sous-développement relationnel touche même des univers professionnels supposés habilités à le traiter. Exemple : les techniques et décisions gouvernementales et managériales dans les hôpitaux et les lieux de soins.

Mais on peut aussi, bien-sûr, préférer évoquer pudiquement- et sincèrement- le charme des       « affinités ».

 

Le sens de la droiture. Le fait d’avoir longtemps été un « artiste caché ».

 

Je crois avoir décelé quelques affinités entre Eric et moi. Pourtant, j’éviterai de trop le déshabiller. Car, même si l’artiste, au moins, s’expose devant les autres, c’est souvent à titre provisoire et partiel. Lors de certains moments précis et identifiés par lui (ou elle) où il ou elle est raccord pour se présenter autrement qu’à l’accoutumée.

Cela peut peut-être se comparer, jusqu’à un certain point, à une forme d’envoutement, où l’on fait refluer vers soi et en soi, toutes ces vies dénombrées, retenues, saisies, claquemurées, ignorées, confiées et aperçues dont on hérite et que l’on restitue – par parcelles- sur la scène. Vies qu’on oublie ou que l’on oubliera une fois la scène ou le plateau de tournage éteints alors qu’elles auront entretemps étreint d’autres mémoires avant que l’on s’en retourne à notre ordinaire.

 

Je suis peut-être sous l’influence de mes élucubrations, éléments variables de mes bizarreries et autres dérangements.

 

Eric est né le 3 octobre. Je suis né le 2. On peut donc dire que l’on se suit.

Lors de notre dernière rencontre, il était très amusant de voir comme, à tour de rôle, chacun voyait dans le parcours de l’autre, une inspiration possible pour écrire une histoire ou un scénario de court-métrage.

Après avoir travaillé une vingtaine d’années dans les Aéroports de Paris, depuis trois ou quatre ans, Eric est devenu un artiste à temps complet. Il a écrit un premier One Man Show qu’il a joué à Paris et à Madagascar. Il continue de se former au jeu d’acteur et à l’écriture de projet. Il participe à des tournages. Il joue au théâtre. Il a un agent.

 

Lorsque j’avais reçu le dvd du court-métrage où nous avions joué ensemble, je l’avais trouvé meilleur acteur que moi. Je me souviens encore du passage où, face caméra, il balance :

« J’t’ai toujours dit que je voulais pas d’une bande de chiards ! ».

 

 

Franck, ce vendredi 14 décembre 2018.

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Cinéma

Millenium : Ce qui ne me tue pas

Millenium : Ce qui ne me tue pas, réalisé par Fede Alvarez.

 

Sortie en salles le 14 novembre 2018.

 

Mes articles sont longs. Celui-ci sera court. J’avais aimé les précédents avec Noomi Rapace et Rooney Mara. Avec une préférence pour Noomi Rapace qui a confirmé son envergure d’actrice dans le Promotheus (2012) de Ridley Scott.

J’ai beaucoup aimé l’affiche de Millenium : Ce qui ne me tue pas. Elle est très photogénique.

J’avais bien remarqué que peu de critiques s’épanchaient sur ce film. Mais j’avais envie de revoir Lisbeth Salander. Dans ce film, Lisbeth Salander est James Bond, le Néo de Matrix et Robin des Bois tout à la fois. Une femme peut être plus forte et plus intelligente qu’un homme. Mais, ici, elle reste faible devant quelques puissants clichés du scénario.

Grâce à ce film, j’ai néanmoins reçu deux ou trois enseignements. Il faut toujours avoir quelques amphétamines à portée de main. Au cas où on nous injecterait une forte dose de sédatifs sur la scène d’un crime qui vient d’être commis.

Le monde se répartit en deux sphères : celle des surdoués qui voient tout et peuvent tout en agissant seuls. Et celle des idiots d’Etat qui ne voient pas qu’une caméra miniature a tout filmé du crime qui vient d’avoir lieu malgré la garde rapprochée présente.

Il faut toujours se méfier de sa sœur surtout si on l’a battue aux échecs, enfant. Car, plus tard, elle voudra prendre sa revanche et portera une longue robe rouge.

Certains hommes sont fréquentables : Les hackers solitaires sans libido. Les journalistes qui risquent leur vie pour une enquête. Et les hackers. Surtout si ces derniers ont pour spécialité d’être des tireurs émérites suffisamment habiles pour transporter des armes au doigt et à l’oeil.

La maitrise de l’informatique permet de prendre le pouvoir à peu près n’importe où, n’importe quand. Le bug informatique n’existe pas.

Une baignoire protège des explosifs. Lors du prochain attentat, si possible, se précipiter dans la baignoire la plus proche.

Un homme rendu aveugle se déplace plus vite dans la neige jusqu’à la route qu’une voiture de course.

 

Dans les premières minutes du film, nous assistons pourtant à une scène de violence conjugale particulièrement bien réalisée. Ensuite, Millenium ou non, le film rejoint l’incurie de ces grosses productions folles de la règle selon laquelle à partir d’un certain nombre de scènes d’actions et de revirements, mécaniquement, le public va se mettre à « aimer » un film et affluer dans les salles quelque soit le contenu….

 

Je viens de recevoir un sms de Lisbeth Salander. Celle-ci m’affirme qu’en persistant à écrire pour mon blog, je poursuis le même but que ce film. Pour l’instant, elle ne me menace pas m’écrit-elle. Mais elle me met en demeure de fournir un peu plus de contenu que ce que j’ai pu voir dans ce film. Je vais me rapprocher de la baignoire.

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.

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Cinéma

Kabullywood ( sortie en salles le 6 février 2019).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après sept années, j’ai recomposé le trajet des projections de presse. Pour aller voir le film Kabullywood réalisé par Louis Meunier en Afghanistan où il a vécu…dix années.

Je suis parti avec un peu d’avance. Le film sortira en salles le 6 février 2019.

Alors, je me suis attardé. J’avais du temps. A la gare, je me suis laissé descendre par l’escalator. A mesure que je déclinais, j’ai commencé à regarder cette publicité qui passe et repasse depuis des journées, peut-être depuis plusieurs semaines, peut-être depuis des années, à l’intérieur de ce magasin de vêtements pour jeunes beautés. Ordinairement, cette publicité et tant d’autres réclames de toutes sortes s’accumulent sur mes trajets depuis mon réveil. Et je les passe comme s’il s’agit de simples tentacules, de simples tables de calculs et de conjugaisons, que j’écarte en croyant qu’elles ne me laissent aucune trace.

Ce matin-là, j’ai regardé cette publicité jusqu’au bout, planté devant la vitrine du magasin alors que d’autres personnes continuaient plus loin.

Quatre ou cinq jeunes femmes, on dirait des adolescentes, aussi jolies que des mannequins, sont ensemble dans une pièce. Elles ont l’ennui et l’oisiveté pour seuls projets. Elles souffrent beaucoup de leur inactivité. Elles finiraient presque par se haïr. Elles ne se parlent pas. Elles se regardent du coin de l’œil d’une manière pesante en attendant que l’une d’entre elles trouve ce qu’elles pourraient bien faire.

Puis, le déclic arrive je ne sais comment. Le groupe de filles s’anime. On casse le sapin de Noël. Car on est des rebelles. On se retrouve toutes belles à une station de ski, sur la neige et dans un téléphérique où l’on rigole comme des folles en buvant du champagne à volonté. L’argent n’est pas un problème. Et la vie non plus dès lors que l’on s’amuse et que l’on peut dépenser un argent qui nous vient d’on ne sait où.

Cette pub doit durer à peine une minute. Elle passe en boucle là où je l’ai vue et sur d’autres écrans. Un certain nombre d’adolescents, de pré-adolescents et d’enfants, étrangers et du pays gobent cette pub – et d’autres- de façon illimitée, seuls ou tandis que les adultes qui sont avec eux regardent ailleurs. En repartant, je me suis demandé le montant du budget alloué à la réalisation de cette pub. Il est sûrement facile à connaître.

De manière arbitraire, je me suis très vite convaincu que le budget obtenu pour la réalisation de cette pub est sûrement plus élevé que celui dont a bénéficié Louis Meunier pour « faire » Kabullywood mais aussi pour le distribuer.

Cette pub, et quelques autres, compteront bien plus de spectateurs et de visiteurs que le film de Louis Meunier. Pour une question de moyens financiers et aussi parce-que le rêve proposé par cette pub est plus facilement accessible, davantage grand public, que celui défendu par ce film qui sortira dans bien moins de salles que cette pub ne compte d’écrans dans toute la France.

 

 

 

 

A Kaboul, en Afghanistan, Sikandar, Shab et leurs amis décident de restaurer le cinéma Aryub pour en faire un centre culturel. C’est leur façon de résister à la refonte de l’intégrisme religieux après le départ des armées occidentales. L’Afghanistan fait partie de ces pays davantage connus en occident pour la guerre et ses « fous » de Dieu. Louis Meunier s’attache aussi à nous montrer ce qu’il peut de la culture et de l’histoire de ce pays avant cette folie. Il le fait selon moi avec respect. Même si la caméra est un regard et que chaque culture peut vivre différemment le fait d’être vue ou emportée par l’œil d’un étranger.

«  La liberté n’est jamais acquise », constate Sikandar (l’acteur Omid Rawendah) vers la fin du film. Pour si éloignée de la nôtre que puisse nous paraître la vie en Afghanistan, nous pouvons peut-être trouver ici le conte un peu prémonitoire de ce qui pourrait nous advenir en occident. Si la liberté n’est jamais acquise et que la religion, l’argent et une certaine publicité devenaient l’unique vérité.

Le dossier de presse nous le rappelle :

« (….) Dans les années 70, le pays faisait figure de havre de liberté et se trouvait dans une ébullition culturelle faite de concerts, de défilés de mode, de projections de films ! ».

Kabullywood a des maladresses pour certaines de ses interprétations et pour ce qui est du déroulement de l’histoire. On pourra lui trouver des vertus comiques involontaires à voir la présentation caricaturale de certains protagonistes (mention spéciale au frère de Shab). Evidemment, le principal est ailleurs. Car au travers de ce film, la vie nous arrête à plusieurs reprises. Nettement. Sans artifices. Ce peut-être par une certaine lumière du pays. Un visage ou un regard (ceux par exemple du projectionniste Naser Nahimi qui joue son propre rôle).

Certains moments de musique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous couvert de fiction, Kabullywood a des qualités documentaires. Et biographiques.

Le tournage du film a connu plusieurs attentats et menaces.

Si plusieurs des comédiens se sont depuis exilés et ont intégré le Théâtre du Soleil, l’actrice principale, Roya Heydari (Shab) a choisi de rester en Afghanistan pour continuer de s’engager.

 

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.

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Cinéma

Girl

 

Girl film de Lukas Dhont sorti en salles le 10 octobre 2018

«  Il y’a des choses que l’on ne peut pas changer » affirme à Victor une de ses professeures de danse, dans une des meilleures écoles de danse classique du pays.

A l’âge où dans l’univers des comics, certains jeunes découvrent leurs super pouvoirs de mutants, Victor, lui, ploie sous l’encombrement de son corps de garçon.

Il lui faut forcer pour obtenir ce que la majorité des jeunes femmes a de naissance ou acquis plus tôt que lui en travaillant «  doucement ».

La stricte discipline de la chirurgie et de la danse classique de haut niveau sert de justaucorps au film de Lukas Dhont. Et l’on souffre avec Lara-Victor, côté pile et côté face.

Lorsqu’une consultation avec la chirurgienne nous apprend que le corps de Lara-Victor est une cartouche dont il faut vider le pénis et sur laquelle il convient de pratiquer une colostomie qu’il gardera jusqu’à la – « très lente »- cicatrisation.

Lorsque ses répétitions de danse, en groupe ou en individuel, exigent qu’il transforme en profondeur son rapport à la gravité terrestre. Car son corps est déja raide de son expérience de vie de garçon pourtant gracile. Or «  Le poids doit participer à l’action ».

D’un côté comme de l’autre, Lara-Victor se porte volontaire pour se confronter à certains canons de perfection. Il lui faut en tout point être un modèle. Les hésitations de son corps et de son âge ne sont plus de mise :

« Si tu retiens ton mouvement, tu tombes. Danse en profondeur. Tu dois travailler plus dur ».

Cependant, la chorégraphie des contradictions demeure un exercice imposé :

« Toi, tu veux tout de suite devenir une femme. Il faut vivre ton adolescence ».

Lara doit tenir. Elle peut à la fois compter sur l’affection – idéalisée ?- de son entourage proche. Elle doit aussi raviver son père lorsque celui perd pied. Et se heurter à son petit frère qu’elle materne quand celui-ci se révolte et la rejette.

Jeune homme insuffisamment sûr de sa féminité, Lara évite les douches collectives après ses répétitions de danse. Elle évite aussi les bouches des garçons. Mais elle boit les paroles des jeunes rivales de son école de danse qui la guettent et médisent alors que l’instance de leur corps est un supplice pour elle :

« Les gens parlent beaucoup ».

Devenir femme, prendre la place de quelqu’un d’autre dans un monde de compétition, et pourtant se jeter en pâture pour se faire accepter par la norme du groupe qu’elle s’est choisie- celui des apprenties danseuses de son école – cela a un prix.

Un prix d’autant plus élevé que Lara n’est pas une leader pour s’imposer face à la dictature du groupe de filles et de leurs hormones. Plus que d’autres, elle doit suivre cette consigne :

«  Vérifiez votre espace ». Autrement, l’humiliation infligée par le groupe précèdera la mutilation chirurgicale.

Sauf que Lara est celle qui, les pieds en sang, prend parfois une échelle pour s’étirer dans le mensonge. Et pour croire que devenir adulte, c’est tout affronter toute seule. Son sourire d’élite et sa voix douce saupoudrent des semi-remorques de peine.

«  Je sais que tu souffres. Je ne céderai pas ». «  Tu ne te facilites pas la tâche, hein ? ».

Si Lara expose volontiers son corps aux jugements des autres, elle reste close sur ses émois. Ce sont donc les autres qui doivent déduire ce qu’elle pense et ressent même lorsqu’avec eux le courant ne passe pas. Et ce sont les autres filles qui s’accomplissent devant elle. Ce faisant, L’identité de Lara, reste floue. Au contraire de cette détermination, assez proche de celle du Samouraï, finalement, pour changer de sexe. La cisaille contre la grisaille.

 

 

A la fin de la séance, je me suis tourné vers une spectatrice pour l’interroger. Elle m’a répondu avoir été «  prise jusqu’aux ¾ du film » puis avoir ressenti une « fatigue du film ».

Girl a en effet peut-être été un peu trop appuyé. Selon Wikipédia, le film a été très bien reçu par la critique même si l’unanimité est incomplète :

 

« Caméra d’or, le Prix FIPRESCI et la Queer Palm, alors que Victor Polster remporte le Prix d’interprétation de la section Un certain regard. L’accueil des professionnels du cinéma est unanimement très positif, mais le film est cependant critiqué par des militants de la cause trans».

(Source Wikipédia)

 

Girl justifie à mon sens bien plus d’attention que le Black Swan (2010-2011) de Daren Aronofsky qui avait donné l’Oscar à Natalie Portman pour son interprétation. Bien-sûr, dans le film d’Aronofsky, le trouble identitaire était d’un autre genre et l’on était davantage dans le fantastique. Mais pour ce qu’il suggère et sa profondeur, Girl est selon moi supérieur.

Sur un thème assez proche, j’avais aussi bien aimé les films Transamerica (2004) de Duncan Tucker et Man on High Heels ( 2015) de Jin Jang.

 

 

Franck, ce mardi 11 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

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Echos Statiques

Les Pompiers pour qui ?!

Dès que l’on a un emploi- et même un peu avant- et quelques responsabilités, il existe au moins deux sortes de courses, deux sortes de cultures, auxquelles beaucoup de citoyens ont bien du mal à se soustraire. La première consiste à se presser afin d’arriver sur le lieu de travail à peu près à l’heure. Pour la version « single » et sans enfant. Pour la version  » familiale » ou parent seul avec enfant(s) en bas âge, cela peut donner : Se réveiller, se préparer, puis réveiller, préparer, maintenir une bonne humeur,  emmener-déposer sa progéniture à l’heure à la crèche, chez l’assistante maternelle, à l’école. Et, ensuite  » se presser afin d’arriver sur le lieu de travail à peu près à l’heure ». Personne ne s’en plaint car tout le monde le sait :  » Ce n’est que du bonheur ! ».

La seconde course très courante se résume à se dépêcher de rentrer chez soi comme si la planète allait exploser et qu’il n’ y’a que chez soi que l’on pourra échapper au néant.

A moins que ce ne soit pour mourir dans l’harmonie en couple, en famille, avec sa maitresse, son amant, son selfie ou en regardant sur écran, avant de trépasser, les images de l’Apocalypse.

 

Avant, je vivais et travaillais en banlieue parisienne. J’allais à Paris principalement pour mon plaisir.

Depuis que je travaille dans Paris intra-muros, moi, le lent supersonique, je fais partie de ces chevaux de trait qui concourent à chaque fois dans cette épreuve de compétition- pour bourrins- où la moindre seconde, la moindre inclinaison du corps dans les escalators, le moindre placement de pied dans les escaliers, le train, le métro, sur les quais, sur l’accélérateur ou la pédale de vélo, semble de nature tantôt à nous inclure dans un sentiment de félicité, tantôt dans un vécu de contrarié. Selon que l’on a pu accéder à l’intérieur du transport en commun ou à la bretelle de sortie convoités, obtenir une place assise, éviter le feu rouge, les embouteillages ou cet insupportable piétinement derrière tant d’autres en attendant de passer à notre tour la machine à composter ou porte de validation. Laquelle sera ensuite supplantée par la machine à café, la pause cigarette, la pause déjeuner, la pause canapé, la pause potin, la pause popotin, la pause portable ou internet afin de trouver de quoi nous injecter comme récompense, stimulant ou consolation.

 

J’ai encore un peu de patine humaine et j’évite donc, pour le moment, de donner des coups de sabots, des coups de postérieur ou autres, afin de me frayer un passage dans les entrailles de cette chair qui fait partie de notre vie active. Pourtant, chacune de mes nouvelles participations à cet engouement contribue un peu plus à mon démembrement. Et, un jour peut-être, alors que je mettrai un pied sur le quai, on entendra résonner dans toute la gare mes hennissements. Ceux de celui qui appartiendra désormais à l’espèce vaillante et chevaline.

 

Il existe des moyens très simples de sonner le tocsin contre nos propres toxines. Pour bien ensemencer le début de nos journées, de nos après-midis ou de nos nuits de travail de façon plus écologique et humaine : partir en avance. Marcher lentement. Prendre le temps et apprendre à respirer. Notre prof de chant au conservatoire de théâtre d’Argenteuil nous répétait quelques fois :

«  Je suis sûre qu’il n’y’aurait pas de guerres si les gens savaient respirer ! ».

Méditation, relaxation, yoga, art martial, pratique sportive, pratique socialisante, pacifiste et créative, désormais, même des applications nous les enseignent afin de nous permettre de trouver des issues à notre stress chronique. Mais lorsqu’arrive le départ pour le travail, nous restons nombreux à avoir de bonnes raisons de détaler sous le coup de rasoir de la dernière minute ou de la dernière seconde.

En rentrant du travail, cependant, je suis généralement beaucoup plus relâché. Et, je laisse aux autres les premières places du tiercé alors qu’ils filent au travail, à un rendez-vous ou chez eux.

 

Ce dimanche matin, je me laisse donc facilement distancer par les quelques juments et canassons descendus comme moi à la gare. Et, je prise mon temps pour rentrer chez moi. Je suis aussi assez fatigué. Mes sabots clochent lentement contre les pavés.

Les rues sont désertes. Lui, je le trouve allongé sur le trottoir, le haut du corps adossé contre le muret d’un Moneygram. Il faudra peut-être un jour effectuer une étude à propos de cette intersection. Car à peu près au même endroit, il y’a bientôt un an maintenant, j’y avais trouvé un homme âgé, à peu près confus, perdu, le visage un peu ensanglanté après un rasage maladroit. Et, un peu plus haut, quelques mois plus tard, alors que j’emmenais ma fille à l’école maternelle, un jeune étudiant du Garac m’avait sollicité pour joindre sa mère après qu’une bande l’ait repéré dans le train puis menacé en vue d’obtenir son téléphone portable.

J’avais pu contacter une des filles de l’homme âgé. Celle-ci était venue le chercher en voiture quelques minutes plus tard.

J’avais écouté le jeune étudiant. Je l’avais interrogé afin de m’assurer de sa crédibilité. Puis, j’avais joint sa mère avant de laisser le fils parler à sa mère avec mon téléphone portable.

Sa mère m’avait ensuite remercié par sms. Quelques semaines plus tard, j’avais recroisé notre jeune homme à la gare St Lazare. Nous nous étions un peu parlés. Il m’avait semblé avoir récupéré de sa mésaventure. Lors de notre première rencontre, j’avais insisté quant au fait que seul face à plusieurs, dès lors que ses agresseurs étaient parvenus à l’encercler dans un endroit isolé, il avait bien fait de leur céder son téléphone portable et de ne pas essayer de résister.

Ma fille, âgée alors de quatre ans et quelques mois, m’avait reparlé de cette rencontre survenue sur le trajet de son école. Je lui avais bien-sûr expliqué les faits en m’appliquant à une certaine sobriété.

 

Ce dimanche matin, lorsque je passe devant notre homme du jour, je pense d’abord qu’il cuve. Nous sommes au lendemain du troisième samedi de manifestation des «  Gilets jaunes » à Paris et dans toute la France mais aussi à l’île de La Réunion (pour les endroits où ce mouvement de contestation sociale au départ spontané et sans leader officiel a pour l’instant le plus fait parler de lui).

J’envisage notre homme comme un manifestant ayant pris part à la manifestation de la veille. Mais ça, c’est d’abord ce que j’ai envie de croire bien qu’il ne porte aucun gilet jaune.

En effet, une semaine plus tôt, je me suis senti coupable d’être resté, comme souvent, extérieur à ce mouvement de contestation et de manifestation sociale. J’approuve ce mouvement de contestation sociale tel qu’il a été initié. Je comprends les raisons originelles de ce mouvement. Je désapprouve les tentatives de récupération politiques et syndicales. Ainsi que la stratégie du gouvernement Macron (et de celles et ceux qui suivront) pour discréditer ce mouvement et ceux qui lui ressemblent et lui ressembleront.

Je désapprouve aussi le fait que certaines personnes ou organisations en profitent pour casser pour des raisons extérieures à la colère de départ. Mais je crois qu’il est très difficile voire impossible de faire exactement le tri entre la colère compréhensible de certains citoyens qui cassent ou bloquent certains endroits du pays pour exister car c’est tout ce qu’il leur reste comme moyen. Et la jouissance de certains qui cassent pour casser et/ou qui se servent du mouvement spontané des « gilets jaunes » pour leur propre intérêt.

 

Je participe rarement à des manifestations. Je me méfie beaucoup des effets de groupe. J’ai l’impression de disposer de plus de clairvoyance- même si je me trompe- en pensant seul qu’en me contentant de suivre aveuglement, sans réfléchir, un groupe de personnes. Je sais que mon raisonnement, poussé à l’extrême, est une absurdité. Car, être seul, c’est aussi être isolé, vulnérable, incomplet, incompétent et impuissant. Je sais aussi que l’on a besoin des autres et qu’il est nécessaire d’avoir des alliés. Alors, disons que je suis très attaché au fait de pouvoir choisir mes alliés plutôt que de me les voir imposés un peu à la roulette russe. Mais que trouver de bons alliés, cela peut nécessiter du temps.

 

Pendant toutes ces considérations, notre homme «  du dimanche » reste inerte devant moi. Et, je suis bien-sûr seul face à lui. Quelques minutes plus tôt, avant de le trouver, un autre homme m’avait accosté alors que je marchais devant lui. Dans un Français approximatif, cet homme de « derrière » (il était derrière moi) m’avait interpellé poliment pour me demander si j’avais une feuille de papier cigarette à rouler. Non. Il était reparti dans le sens opposé.

 

Et moi, après m’être éloigné de cet homme, maintenant je rebrousse chemin.

 

Notre homme inerte cuve peut-être son alcool. Il a une respiration régulière, ample et apaisée. C’est bien-sûr très bien. Mais il n’a pas répondu lorsque je lui ai parlé. Il n’a pas réagi. Je ne sais rien de ce qu’il a pris. Je me mets à penser à Basquiat, qui, lors de son overdose fatale, avait donné, aussi, à sa petite amie de l’époque, l’impression de dormir paisiblement.

Alors, j’appelle le 15. Tout en me disant que du fait de la manifestation des « gilets jaunes » et des affrontements avec les «  forces de l’ordre », les services sanitaires d’urgence ont dû être particulièrement sollicités la veille.

Le samedi 1er décembre : « 263 » personnes «  ont été blessées au cour des violences  dont 133 dans la capitale » selon le journal gratuit 20 Minutes de ce lundi 3 décembre. Toujours selon ce même journal gratuit « (…) «  Gilets jaunes. Le mouvement durera si le gouvernement ne recule pas, estiment deux experts ».

La dame du SAMU me demande des renseignements. Je lui réponds. Lieu. Age approximatif de l’homme. Caractéristiques de la respiration. Pas de trace de sang apparente. Pas de réaction.

Elle me demande de le stimuler en le touchant. Je le fais parce qu’elle me le dit de le faire parce-que, seul, je me dispenserais d’une pareille initiative : il m’est impossible de prévoir la réaction de cet homme lorsque je vais le toucher. Je suis pour lui un inconnu. Il aurait pu avoir une réaction, instinctive, de défense ou de protection telle que mordre ma main par exemple lorsque, dans un premier temps, j’avais entrepris de la passer devant ses narines afin de m’assurer qu’il respirait. Avant d’appeler le SAMU.

Je suis au téléphone avec cette dame du SAMU lorsque notre homme bouge la tête, puis se gratte le nez. J’en informe la dame du SAMU. La dame du SAMU me demande si je peux rester avec lui le temps que les pompiers arrivent. Et elle me sollicite afin que je continue les stimulations. J’accepte. Elle me remercie et raccroche.

Quelques secondes plus loin, notre homme commence à ouvrir les yeux. Il me regarde. Je lui parle :

« Bonjour Monsieur. J’ai appelé le SAMU. Les pompiers vont venir s’occuper de vous ».

Assez vite, il se met sur pied, devant moi :

« Les pompiers pour qui ?! ».

« Pour s’occuper de vous car vous n’allez pas bien. Vous ne pouvez pas rester là ».

« Moi, je vais pas bien ?! ». Devant moi, cet homme m’explique maintenant :

« Il ne faut pas appeler les pompiers ! Ils vont croire que c’est grave ! ».

Je comprends sa logique. Mais moi, j’étais face à ce dilemme que je lui traduis :

«  Et moi, comment je fais pour savoir que ce n’est pas grave ? ».

Lui : « Hein ?! ». Il me regarde, son visage près du mien comme si je suis presque la moitié d’un idiot. L’esprit peut-être encore assombri par les reflets de l’alcool bien que son haleine soit « neutre ». Mais aussi parce-que le Français n’est pas sa langue maternelle. Ou peut-être pour mieux discerner si je tiens plus de l’homme ou du cheval. Il mesure entre cinq à dix centimètres de plus que moi et tangue un peu.

Il reprend :

« (….) Comment tu fais pour …savoir que ce n’est pas grave ?! Tu parles aux gens…. ».

Moi : «  Mais je t’ai parlé ! ». (Vu qu’il m’a tutoyé et au vu de l’aspect un peu sec et sans glaçons de l’échange, je le tutoie aussi).

Lui : «  A moi, tu m’as parlé ?! »

Moi : « Mais est-ce que tu te rends compte que je me suis inquiété pour toi ?! ».

Lui : « Quand on s’inquiète pour quelqu’un, on fait pas ça ! …On lui parle ! ».

A ce moment de notre discussion, je me demande s’il envisage de me frapper vu qu’il est près de moi, visiblement plus remonté que reconnaissant, et qu’il m’attribue de mauvaises intentions à son encontre. La situation me paraît bien-sûr prendre une tournure quelque peu ironique bien que, je le sais, probable : le secouriste agressé.

Il a un peu reculé lorsqu’il me dit, assez agressif, voire un peu menaçant :

«  Reste attendre…tes pompiers, tes policiers…. ».

Moi : «  Ne reste pas sur la route ! » ( Il se trouve alors sur la route, sur le passage piétons). J’ajoute : «  Il y’a des voitures qui passent ! ». Il quitte aussitôt la route et se remet sur le trottoir face à moi. Quelques mètres et quelques secondes nous séparent.

Puis, il se retourne et sans ajouter un mot, me tourne le dos, traverse l’avenue en restant bien en rythme sur le passage piéton. Aucune voiture ne passe. Très vite, il s’échappe de ma vue. Il marche à une allure plutôt rapide pour un mourant s’il est mourant ou pour un homme en train de faire une overdose s’il fait une overdose. Il me semble que j’aurais été incapable de me déplacer aussi vite :

 

Je suis évidemment rassuré pour sa santé.

 

Je rappelle le SAMU. Une collègue de la dame que j’ai eue me répond. Je lui explique. Je lui dis aussi que notre homme était un «  peu » tendu et que je me suis demandé s’il allait me frapper. (S’il l’avait fait, j’aurais été obligé de changer de registre : je serais devenu victime ou agresseur de « mon » patient. Où cela se serait-il terminé ? Au commissariat ?).

Au téléphone avec le SAMU, je hasarde que notre homme devait avoir des problèmes de papier.

(Mais peut-être avait-il déja un casier judiciaire pour ébriété ou pour trouble de l’ordre public ?).

La dame du SAMU prend ça avec humour. Elle me demande quelques informations complémentaires concernant la tenue vestimentaire de notre homme. Oh, oui, je m’en souviens bien.

Cette dame du SAMU me dit :

« C’est bien, monsieur, vous avez eu les bons réflexes ». Je la sais sincère. Je considère qu’elle parle de mon premier appel pour prévenir le SAMU. Pour moi, les bons réflexes ont aussi été de laisser partir notre homme. Lorsqu’il aura dégrisé, je me demande de quoi et de qui il se souviendra. D’être tombé sur un baltringue (moi) qui a failli le mettre dans la merde ?!

En rentrant, je raconte l’histoire à ma compagne. Amusée, elle me dit :

« Cela aurait été drôle que, finalement, ce soit pour toi que les pompiers viennent ».

Franck, ce lundi 3 décembre 2018.

 

PS : Cet article a d’abord été écrit avant l’article https://balistiqueduquotidien.com/privilegie/Je l’ai corrigé et complété ce dimanche 9 décembre 2018.