Maggie Nelson est une femme de l’être. Debout dans mon train, que j’ai attrapé de justesse, alors que je suis en transit entre ma ville de banlieue parisienne et la gare de Paris St Lazare, je me répète cette phrase.
Maggie Nelson est une femme de l’être.
D’après sa photo en médaillon au début du livre, Maggie Nelson est l’Américaine « typique », blonde, yeux clairs, regard direct, sourire évident, plutôt jolie, svelte, fit.
Cette fille, née en 1973, respire la vie.
Mais les Etats-Unis, c’est de là que « vient » Maggie Nelson, est aussi le pays des positions extrêmes. Et, Maggie nous jette dans le refrain de ses extrêmes dès la première page de son livre coupée en deux. Une partie autobiographique où elle nous encule en nous parlant de son Amour pour son compagnon Harry, née femme, père d’un petit garçon. Puis, une autre, théorique ou conceptuelle, où elle nous parle de Wittgenstein :
« Avant notre rencontre, j’avais consacré ma vie à l’idée de Wittgenstein selon laquelle l’inexpressible est contenu – d’une manière inexpressible ! dans l’exprimé (….) ».
C’est ce que l’on appelle être une fille bordée par une cérébralité plutôt exacerbée. Et, dès ce passage, l’intellectualité poing fermé de Maggie Nelson me bouscule. Son compagnon Harry a donc vraiment quelque chose de particulier pour avoir non seulement pu la rendre hautement amoureuse mais aussi pour être capable de lui donner la répartie lors de leurs débats. Car, durant son livre de plus de deux cents pages, Maggie Nelson va alterner avec des passages de sa vie et des références poussées aux œuvres de diverses personnalités pour nous parler d’identité, de « genre », du « queer », de « binarité », « non-binarité » mais aussi de la famille, de la norme, l’Amour, de la solitude, du deuil, de la sexualité, du couple, du mariage, de la parentalité, de la grossesse et de la maternité… :
Eula Biss, Deleuze, Eve Kosofsky Sedgwick, Susan Fraiman, Lee Edelman, Michel Foucault, Judith Butler, Anne Carson, Luce Irigaray, D.W Winicott, Pema Chödrön, Leo Bersani, Elizabeth Weed, Susan Sontag, Jane Gallop, Rosalind Krauss, Jacques Lacan, Janet Malcolm, Kaja Silverman, Eileen Myles, Beatriz Preciado, Alice Notley, Audre Lord, Deborah Hay, Sara Ahmed, Roland Barthes ….
Les travaux mais aussi les noms de ces auteurs et de ces personnalités sont sûrement familiers à des universitaires comme Maggie Nelson entraînés à les triturer ainsi qu’à celles et ceux dont la vie personnelle requiert la compréhension et la connaissance des ouvrages de ces personnalités. Maggie Nelson et son compagnon Harry sont de ces personnes qui possèdent cette double caractéristique.
Pour ma part, jusqu’à maintenant, j’ai plutôt vécu à côté de l’expérience de toutes ces personnalités. Aussi, en lisant Les Argonautes, j’ai connu bien des absences de compréhension. Bien des fois, il m’aurait presque fallu, comme lorsque l’on fait des mots croisés, un endroit où l’on peut trouver et vérifier les bonnes réponses. Cela ne figure pas dans Les Argonautes. Pour cette raison, sa lecture m’a été difficile et m’a pris du temps.
Plus de deux mois. Et, je préfère (me) dire que j’ai peu compris ce que Maggie Nelson a pu extraire des diverses réflexions de ces auteurs qu’elle cite plutôt que de me ridiculiser en affirmant m’y être senti comme chez moi. Et d’ouvrir le gaz alors que je crois allumer la lumière. Première conclusion immédiate, jamais, je n’aurais pu convenir à une Maggie Nelson et la séduire.
La tranche autobiographique de Les Argonautes, elle, m’a par contre été plus « facile » à suivre, page 37 :
« (….) Mon beau-père avait ses défauts, mais tout ce que j’avais pu dire contre lui est revenu me hanter, maintenant que je sais ce que c’est que de se tenir dans cette position, d’être tenue par elle.
Quand tu es une belle-mère, peu importe à quel point tu es merveilleuse, peu importe l’amour que tu as à donner, peu importe à quel point tu es mûre ou sage ou accomplie ou intelligente ou responsable, tu es structurellement vulnérable à la haine ou au mépris ; et il y a si peu de choses que tu puisses faire contre ça, sinon endurer et t’employer à cultiver le bien-être et la bonne humeur malgré toute la merde qui te sera balancée à la gueule ».
Je lisais encore Les Argonautes, je crois, lorsque je suis allé voir le film Les enfants des autres de Rebecca Zlotowski. Le personnage interprété par l’active actrice Virginie Efira ( inspiré de la vie personnelle de la réalisatrice) se reconnaîtrait dans ce passage.
Le rôle joué par Virgine Efira dans Les enfants des autres est celui d’une femme qui ne peut pas ou ne peut plus enfanter mais qui est disposée à (se) donner son amour maternel à la fille de celui qu’elle aime, interprété par l’acteur Roschdy Zem.
Maggie Nelson, elle, est aimée de Harry qu’elle n’a pas à partager avec un ex ou une ex. Et, elle est aussi une œuvre d’endurance et de bien-être. Entre son rôle de fille qui a perdu son père, de belle-mère du fils de Harry, de compagne amoureuse qui entoure son mari (Harry) « en cours de transition », de personne et d’universitaire queer qui refuse de faire la retape de la norme patriarcale et hétérosexuelle puis de femme qui, la trentaine passée, aspire à devenir mère en recourant à l’insémination artificielle, Maggie Nelson porte beaucoup.
Y compris, je trouve, une partie de la « masculinité » de son mari, Harry Dodge, un artiste, qui est pourtant avant leur rencontre une personne qui s’affirme déjà comme un homme.
Cependant, Maggie Nelson nous parle de Harry de telle façon que nous voyons un homme, chaque fois qu’elle le mentionne. Avant même que celui-ci ne soit opéré et lorsqu’elle nous raconte ensuite lui faire ses injections de testostérone. En cela, et je peux imaginer que cela pourrait déplaire au couple que forment Harry et Maggie, il me semble que Maggie Nelson, en tant que « femme », contribue aussi à faire de sa moitié un homme. Son regard et sa pensée de femme sur sa moitié (Harry) me fait un peu l’effet du pollen sur la fleur.
Phénomène plutôt courant, finalement, car la biologie ne peut se suffire à elle-même pour former ou établir des rôles durables entre être humains :
Il ne suffit pas d’être une femme et un homme biologiquement fertiles pour être instinctivement mère et père lorsque le bébé naît. Il faut aussi suffisamment de volonté mais aussi la capacité ou la solidité émotionnelle et affective pour l’être.
A la fin de son livre, Maggie Nelson nous le démontrera autrement que théoriquement en nous parlant des parents biologiques de Harry que celui-ci recherchera. Harry, vers la trentaine, retrouvera sa mère biologique, lesbienne séparée de son père, ainsi qu’un de ses frères resté vivre avec leur père, décrit comme un homme violent. On apprendra qu’Harry, née fille, éduquée avec amour par ses parents adoptifs, s’en est bien mieux sorti, que son frère ( élevé par leur père biologique) devenu toxico cumulant les incarcérations, et, sans doute, leur propre mère biologique.
La pensée très technique de Maggie Nelson, lorsqu’elle cite certains auteurs, m’a plusieurs fois distancé mais elle m’a, aussi, plus d’une fois averti.
Lorsqu’elle parle du film X-Men, le commencement, regardé avec Harry, on voit par exemple ce film commercial grand public, inspiré de comics américains lus par des millions d’enfants et d’adolescents de par le monde depuis plusieurs générations, autrement que comme nous pousse généralement à le faire, la pensée « mainstream », superficielle et hétéro.
A la fin de Les Argonautes, l’autobiographique et un certain humour prennent le dessus comme elle nous raconte sa grossesse puis son accouchement et sa maternité, concomitante, avec la « testostéronisation » d’Harry. Il est alors très drôle de voir Harry adopter certains traits caricaturaux prêtés aux hommes. Des traits dont bien des femmes « féministes » se plaignent.
Et, paradoxalement, alors que Maggie Nelson, durant tout son livre, s’est opposée- avec Harrry- à certaines normes de genre, on peut se demander si être une femme et un homme se résume à une somme d’hormones, page 206 :
« (….) J’ai une phobie de la salle de bain. Jessica veut sans cesse que je fasse pipi, mais m’asseoir ou m’accroupir est impensable. Elle me répète que je ne peux pas arrêter les contractions en restant immobile, mais je pense que je peux. Je suis allongée sur le côté, je serre la main de Harry ou celle de Jessica. Debout comme pour danser un slow avec Harry, je fais pipi sans le vouloir, puis encore une fois dans le bain, où des secrétions de mucus rouge sombre commencent à flotter. Incroyable : Harry et Jessica se commandent de la nourriture et mangent ».
Les Argonautes, paru en 2015 dans sa version originale, publié en Français en 2017, est un livre qu’il faut prendre le temps de lire et de relire.
La Cour des Miracles un film de Carine May et Hakim Zouhani
Au travers de certains films, on peut quelques fois voir dans le cinéma comme dans le ciel ou la terre, ce qui pousse tous les jours autour de nous.
J’ai vu trois films au cinéma hier et aujourd’hui. Cela ne m’est pas beaucoup arrivé depuis que je suis devenu père de voir trois films en un jour et demi. Le premier film a été La Cour des Miracles de Carine May et Hakim Zouhani. Je me devais d’aller le voir.
Le premier miracle de Carine May et de Hakim Zouhani, derrière celui de leur premier passage au long métrage après plusieurs courts et moyens métrages, tels que La Rue des Cités, La Virée A Paname et Molii , est d’avoir pu faire une réserve de leur comédie.
L’acteur Gilbert Melki.
La banlieue parisienne, en Seine Saint Denis, l’inégalité des expériences et des chances malgré les atouts dont on dispose et la vitrine de la réussite parisienne géographiquement proche mais historiquement et économiquement éloignée sont quelques uns des thèmes abordés dans les films de Carine May et de Hakim Zouhani. Devant leur film, on peut -aussi- penser au documentaire La Cour de Babel réalisé en 2013 par Julie Bertuccelli.
Quand Kielowski, dans les années 90, avait réalisé sa trilogie Trois couleurs Bleu, Blanc et Rouge, il ne nous parlait ni de banlieue ni d’école publique mais de certaines épreuves morales. Après avoir vécu ces épreuves morales, et en avoir fait le deuil, on pouvait encore rêver. Devant La Cour des Miracles, c’est beaucoup plus difficile. Je me dis que la Man Tine du début du 20ème siècle de Rue Cases Nègres (l’œuvre de Joseph Zobel adaptée en 1983 par Euzhan Palcy) avait plus d’espoir pour son petit José que nous ne pouvons en avoir pour l’avenir des enfants de l’école Prévert de La Cour des Miracles.
Les actrices Anaïde Rozam ( Marion, l’idéaliste) et Rachida Brakni ( Zahia, la directrice de l’école Jacques Prévert).
A ces sujets, proches de la chanson It noh funny de LKJ dans les années 80, on pourrait préférer regarder un nouveau combat de MMA, une nouvelle dystopie ou écouter un titre de Dua Lipa. Cependant, Carine May et Hakim Zouhani parviennent à nous tirer vers leur optimisme.
« Ce n’est pas contre vous. Vous, vous défendez votre école et, moi, je défends mon enfant ! » dira Mme Nedjar, un des principaux personnages antagonistes du film ( interprété avec délice par l’écrivaine Faïza Guène ) la mère d’un des enfants scolarisés à l’école Prévert à sa directrice, Zahia, interprétée par Rachida Brakni.
Carine May et Hakim Zouhani, eux, défendent leur vision- féministe et égalitaire- du monde comme leur usage du cinéma. Ils nous montrent des visages et un univers que nous voyons encore assez peu sur grand écran. La banlieue qu’ils filment (Paris, pour changer, n’y est jamais montrée) n’est ni une expo de racailles ni une fontaine de crackeux. Leur casting est aussi à l’image de la mixité sociale à laquelle ils aspirent. Puisqu’il est composé de Rachida Brakni et de Gilbert Melki, des acteurs rapidement identifiables, pour leur carrière ou pour certains de leurs rôles « sociétaux » (Brakni dans Neuilly, sa mère) et d’acteurs et de personnalités vus et entendus ailleurs tels que Faïza Guène, donc, mais aussi Disiz, Steve Tientcheu ou Mourad Boudaoud. La photo de l’affiche de leur film ressemble à ces photos de classe d’il y a « longtemps » dans les écoles publiques, d’il y a trente ou quarante ans.
Les acteurs Anaïs Rozam, Disiz et Mourad Boudaoud.
Marmottan, le service d’accueil et d’hospitalisation spécialisé dans le traitement des addictions, situé dans le 17 ème arrondissement de Paris, rue Armaillé, près des Champs Elysées, a longtemps fait partie, pour moi, de ces services connus pour eux-mêmes. Porteurs d’un nom et d’une identité qui se suffisent à eux-mêmes pour parler d’eux. Un peu comme cela a pu être le cas pour Miles, qui reste mon musicien préféré, même plus de trente années après sa mort. Même après avoir, depuis, aimé découvrir et écouter d’autres artistes. Tout est fonction de la période de notre vie au cours de laquelle on a effectué certaines rencontres et du tournant que, pour nous, ces rencontres ont permis.
Je sais que Miles avait été un temps héroïnomane et alcoolique. « Comme » d’autres artistes de son époque, avant ou après lui. Et, pour moi, Miles et Marmottan étaient néanmoins deux bras et deux endroits bien distincts, l’un de l’autre. Puisque Miles, lui, officiellement, s’en était sorti.
Le service Marmottan, placé près du musée Marmottan (qui, a priori, ne lui est pas apparenté), faisait de toute façon partie, pour moi, de ces éclats de la Santé mentale. J’en avais entendu parler, moi le jeune infirmier diplômé d’Etat qui, malgré ma culpabilité dans le fait d’abandonner la souveraineté technique des services de médecine et de chirurgie, avait choisi, finalement, de venir travailler en psychiatrie adulte.
J’avais sûrement entendu parler de Marmottan par des collègues, infirmiers diplômés en soins psychiatriques, plus âgés et plus expérimentés que moi.
Comme j’avais aussi entendu parler, par eux, du CPOA, des quatre UMD (Unités pour malades difficiles) qui existaient alors : Cadillac, Sarreguemines, Mont Favet, Carhaix. Mais aussi, sans doute ou peut-être, de la clinique La Borde….
Plus tard, j’entendrais parler d’éthno-psychiatrie de Tobie Nathan et de Devereux, de pédopsychiatrie, d’unités mères-bébé, d’Anzieu et d’autres. Avant de découvrir des lieux et des personnes, ce sont souvent, d’abord, des noms.
Et puis, j’avais d’abord à apprendre à me débourrer de certaines pensées, de certaines croyances et certitudes mais aussi de certaines ignorances. Et, pour cela, le premier service d’hospitalisation en psychiatrie adulte où je commençais à apprendre un peu plus à devenir adulte à Pontoise fut un grand bienfait.
Et un mal.
Car la psychiatrie institutionnelle, selon les époques, les tournants, les orientations et les équipes peut à la fois construire mais aussi enfermer. Et, on peut aussi aimer s’enfermer si cela nous protège et nous rassure. Même si on s’en plaint peu à peu.
D’autant que, plus jeune, même si l’on est supposé avoir la vie devant soi et que l’on aime la littérature de Romain Gary, on est aussi très myope, très étroit d’esprit et on peut manquer de curiosité. Ou on peut être très ou trop inquiet à l’idée de devoir changer de vie, de s’éloigner de ce que l’on connaît. On se laisse donc envelopper et étreindre par les contours des cercles qui nous ressemblent et qui nous permettent d’entrer, ou de stagner, entre amis ou connaissances, dans un monde d’adultes qui nous rassure. Sans prendre trop de risques. Ou seulement ceux qui nous apparaissent connus et mesurés. On peut avoir déjà tellement peur du monde et de la vie adulte que l’on ne va pas en rajouter avec certaines de ces substances dont on avait entendu parler ou commencé à côtoyer, un peu, à partir de l’adolescence :
Le cannabis, principalement, un peu l’héroïne. Le tabac et l’alcool ayant des statuts soit plus acceptables soit plus familiers. Et puis, si l’overdose puis la transmission du VIH pouvaient faire peur pour leur possible immédiateté, entre 12 et 20 ans et encore après, on ne pensait pas nécessairement au cancer ou à la cirrhose du foie tandis que d’autres fumaient devant nous ou se prenaient des cuites, terminant leurs soirées à quatre pattes tels des lévriers en fin de course près d’un évier ou les deux pattes surélevées au dessus d’une cuvette des toilettes pour ne pas sombrer dans ce que l’on y rejetait.
Lorsque l’on entre dans l’âge adulte, on est, alors, dans la force de l’âge. Sexuellement, physiquement, socialement, intellectuellement. Aussi, peut-on, doit-on même, se permettre quelques petits excès. Car ensuite, il sera trop tard. Et puis, si on ne peut pas un peu s’amuser…
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes le 3 et 4 décembre 2021.
Le service Marmottan est sans doute resté longtemps « loin » de moi, physiquement et psychologiquement, parce-que, de cette manière, sans doute, je restais à une distance prudente – et mesurée- de l’aiguille de certaines de mes peurs et inquiétudes. Car géographiquement, toutes les fois où je me suis rendu sur les Champs Elysées, pour aller au cinéma ou au Virgin Mégastore, où même lorsque j’étais allé à la Fnac lorsqu’elle se trouvait avenue de Wagram, je n’étais pas très loin de Marmottan.
Mais, aussi, à aucun moment, je ne fis le rapprochement entre ce Francis Curtet que ma prof principale de 3ème nous avait un jour proposé de rencontrer dans notre collège Evariste Galois de Nanterre, en 1982 ou 1983…et Marmottan.
En décembre dernier, en 2021, j’ai pu faire le rapprochement entre Francis Curtet et Marmottan.
En décembre dernier, Marmottan a fêté ses cinquante ans à la salle de concerts de la Cigale. Entre-temps, des années avaient passé. Et j’avais appris, depuis, où se trouvait Marmottan dans Paris. J’y avais effectué quelques remplacements et j’y avais même postulé afin d’y travailler.
C’était la première fois que je me rendais au cinquantenaire d’un service. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que le choix d’une salle de concert avait été fait aussi pour bien fêter cet événement historique. Car j’appris lors du cinquantenaire que lors de la création et de l’ouverture de Marmottan, en 1971, que Claude Olievenstein, son premier médecin chef -qui fut novateur dans le traitement des addictions – pensait que le service aurait une existence brève.
Lorsque j’écris maintenant qu’en ouvrant Marmottan, Claude Olievenstein et ceux qui furent alors à ses côtés, furent novateurs dans le traitement des addictions, cela peut être abstrait pour beaucoup de personnes. Car, d’abord, qu’est-ce qu’une addiction ?
Il faudrait déjà commencer par le savoir.
Pour ma part, je préfère sourire lorsque je repense au fait que, très sûr de moi, il y a environ trois ou quatre ans maintenant, j’avais répondu à Mario Blaise (déja médecin chef de Marmottan) qui venait de me demander si j’avais des addictions :
« Non ! Je n’ai pas d’addiction ! ».
J’aurais pu répondre « Pas de ça entre nous ! » que cela aurait été pareil.
Mais j’ai un autre exemple de cet esprit novateur de Marmottan. J’aime lire de temps à autre la très bonne revue bimestrielle, assez peu connue finalement, Sport & Vie. Dans le dernier numéro de Sport & Vie, le numéro 194 de Septembre/Octobre 2022 l’article intitulé L’amour chimique nous parle de « Chemsex ». Dans cet article, selon moi très bien rédigé, le rédacteur, Olivier Soichot, précise dans un passage :
« (….) Dans le livre de Jean-Luc Romero-Michel, plusieurs phénomènes se télescopent douloureusement. Notamment la méconnaissance presque totale qui caractérise encore le chemsex en France. Avant le décès de son mari, l’auteur lui-même confesse qu’il en avait vaguement entendu parler mais sans se douter une seconde que son compagnon y avait recours ».
L’article de la revue Sport & Vie consacré au chemsex.
Peut-être qu’un certain nombre des lectrices et lecteurs de Sport & Vie, pour celles et ceux qui connaissent ce bimestriel, ou que plusieurs lectrices et lecteurs de mon article, découvriront en cet automne 2022 ce qu’est le chemsex.
De mon côté, cela fait désormais deux ou trois ans que j’ai découvert l’existence du chemsex. Lors de mes remplacements à Marmottan. A Marmottan, plus que dans un service de psychiatrie ou de pédopsychiatrie, je trouve, les patients informent les soignants de certaines de leurs pratiques. C’est aussi de cette façon que l’on peut apprendre son métier en tant que soignant et en tant qu’accompagnateur. Et, ensuite, mieux aider celles et ceux dont on « s’occupe ». Cet échange de Savoirs contribue à instaurer plus facilement une relationde confiance mais aussi une certaine égalité entre le patient et le soignant.
Dans un service de psychiatrie ou de pédopsychiatrie, une relation de confiance avec le patient ( ou le client ) est aussi nécessaire et recherchée. Mais elle diffère de celle qui peut se développer à Marmottan. Sans pour autant idéaliser la relation patient/soignant, usager/soignant ou client/soignant à Marmottan ( j’ai oublié le vocabulaire exact employé à Marmottan ). Car il existe des ratés à Marmottan. Et, aider à la cure d’une addiction peut être très long.
Mais j’ai l’impression que l’échange des Savoirs entre patients et soignants, en psychiatrie et en pédopsychiatrie, à moins de faire partie d’une association permettant ces échanges, est davantage asymétrique qu’à Marmottan.
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes, le samedi 4 décembre 2021.
Cela peut aussi peut-être s’expliquer par le fait que les personnes addict sont actives lorsqu’elles ont des conduites à risques. Tant pour prendre des substances que pour certains comportements. De ce fait, les personnes addict acquièrent certaines compétences pharmaceutiques ou médicales. Une ancienne collègue infirmière qui avait travaillé plusieurs années à Marmottan m’avait ainsi appris :
« Ce sont les patients qui m’ont appris à faire des prises de sang… ».
Ici, on se doute que les patients en question, à force de se chercher régulièrement une veine pour se piquer en intraveineuse avaient développé une dextérité hors du commun dépassant de loin celle de bien des infirmier ( es).
En comparaison, en psychiatrie adulte ou en pédopsychiatrie, lorsqu’il m’est arrivé de faire des prises de sang, je n’ai aucun souvenir de patient m’indiquant où le piquer ou comment m’y prendre si j’avais du mal à lui faire son prélèvement sanguin.
Mais pour revenir au contexte de l’ouverture de Marmottan, 1971, Le début des années 70, c’est la présidence de Georges Pompidou. Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrisson sont morts d’overdose récemment. Et, Georges Pompidou, qui va bientôt mourir aussi, n’y est pour rien.
Aujourd’hui, seulement, je fais un peu le rapprochement entre l’année d’ouverture de Marmottan et les décès rapprochés de célébrités comme Hendrix, Joplin et Morrisson.
Auparavant, lorsque je pensais à Marmottan les premiers temps, je ne le faisais pas. Puisque, d’ailleurs, j’ignorais la date exacte de création et d’ouverture de Marmottan. Marmottan était déjà « là » lorsque j’ai commencé à travailler en psychiatrie au début des années 90. Et Hendrix, Joplin et Morrisson étaient pour moi des noms et des expériences musicales imprécises.
Cependant, en décembre 2021, je fais un autre rapprochement. C’est une intuition. A Marmottan, tout acte et tout propos raciste et homophobe de la part d’un patient vaut exclusion du service. Mais aussi tout acte de violence.
C’est la première fois, dans un service, que j’ai pu voir afficher aussi explicitement de tels interdits ou de telles limites. Dans tous les autres services où j’ai pu travailler, en psychiatrie adulte, en pédopsychiatrie ou même en soins généraux, ces agissements et ces propos (racistes, homophobes, actes de violence) font plutôt partie du métier. Au point que certaines de ces caractéristiques (risques de violence contre autrui, risques de troubles musculo-squelettiques….) peuvent même être stipulées dans les profils de poste de certaines offres d’emploi.
A Marmottan, le refus de ces comportements et de ces propos renseigne quant au fait que ses services d’hospitalisation et d’accueil s’adressent ou peuvent s’adresser à toutes sortes de publics. Dès lors qu’ils ont des problèmes d’addiction et qu’ils sont estimés suffisamment volontaires, coopérants, et encore assez valides physiquement, pour ne pas nécessiter des soins d’urgence ou de réanimation médicale, sauf exception.
Car il existe des services d’addictologie où des patients sont perfusés par exemple.
Pas à Marmottan.
L’un des principes du service d’hospitalisation de Marmottan (là où j’ai fait mes quelques remplacements) est l’hospitalisation libre, mais avec le principe et le contrat moral, que, durant son hospitalisation, de trois semaines en moyenne, le patient ne sortira pas du service et n’aura aucun contact direct avec l’extérieur. Il n’aura donc pas accès à son téléphone portable ou à son ordinateur ou à sa tablette. A la place, il bénéficiera de la disponibilité du personnel, mais aussi de celles d’autres patients, par le biais d’entretiens, de médiations et de moments passés ensemble. Que ce soit lors de la prise des médicaments ou lors des repas, du petit déjeuner au dîner. Ou, en regardant la télé. Ou, en discutant dans la salle « de thé ». Et l’on parle vraiment de thé ou de café et de quelques gâteaux , de goûters ou d’eau.
Et puis, en décembre 2021, « connaissant » un petit peu la culture engagée et militante de Marmottan, je me suis dit que la salle de concert de la Cigale, pour fêter ce cinquantenaire, était sans doute un hommage aux victimes des attentats terroristes de Novembre 2015, Bataclan, inclus.
Je n’ai pas (encore) demandé confirmation. C’est une intuition. Par contre, j’ai observé, à nouveau, ce jour-là, l’engagement des personnels de Marmottan. Passés et présents. Je le répète :
Je n’ai pas, à ce jour, connu d’équivalent en matière de commémoration de l’existence d’un service de santé mentale. Ou, alors, je ne peux comparer cette commémoration qu’avec celle des cinquante ans d’un groupe de musique, donc, dans le domaine artistique :
Pour moi, ce sera le groupe Kassav’. Puisque j’étais présent au concert de leur cinquantenaire à la Défense Arena. Avant le décès de Jacob Desvarieux.
Mais je ne serais pas surpris qu’à Marmottan, musicalement, l’esprit soit plus Rock ou Punk que Zouk. Du reste, le lendemain, et le surlendemain de cette journée à la Cigale, lors d’une des deux journées portes ouvertes de Marmottan, il y aura une exposition de pochettes de disques du médecin chef depuis quelques années de Marmottan, Mario Blaise. Une exposition très bien intitulée « A vos disques et périls » où il sera possible de voir établie une certaine valorisation des addictions avec substances.
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes du 4 et 5 décembre 2021.
Et, si mes souvenirs sont exacts, aucune pochette de disque de Zouk ne figurait sur les murs de la pièce. Au contraire de pochettes de disque ayant plutôt trait au Rock. Même si je me souviens d’une pochette d’un disque de U-Roy, chanteur de Reggae qui venait de décéder récemment.
Il y avait donc, plutôt, à mon sens, une certaine vitalité Rock, ou punk, dans la tenue de ce cinquantenaire. Voire, free Jazz. Car il m’a semblé qu’à Marmottan, que, même si une certaine ligne de conduite était nécessaire, qu’il importait, aussi, de savoir et de pouvoir improviser entre les lignes. Et de tenir sa partition. Avec les autres.
Cinquante ans plus tard, on peut dire que Marmottan a fait bien plus que tenir. J’ai vu dans cette salle de la Cigale des personnels de Marmottan qui y avaient travaillé et qui sont revenus pour l’occasion. Certains à la retraite. Je pense à l’un d’entre eux, en particulier, un infirmier à la retraite depuis les années 2010 qui m’a répondu avoir travaillé à Marmottan pendant une bonne vingtaine d’années. Il était aux côtés d’une ancienne de Marmottan. Celle que j’avais rencontrée dans mon service précédent et qui m’avait dit que les patients lui avaient appris à faire des prises de sang.
J’ai revu des personnels de Marmottan que j’avais croisés lors de mes quelques remplacements: Aurélie Wellenstein, la documentaliste qui m’avait permis d’assister à l’événement, en charge de l’organisation de celui-ci comme des diverses formations proposées à Marmottan. Des infirmiers, médecins, accueillants, psychologues, assistantes sociales. Mais aussi des médecins ou autres intervenants qui avaient connu Olievenstein et travaillé avec lui avant de quitter Marmottan ou lui ayant succédé. Je pense, ici, à Marc Valleur qui avait succédé à Olivenstein avant que Mario Blaise, ensuite, ne lui succède en tant que médecin-chef de Marmottan.
Cela, devant une salle pleine de professionnels venant de la région parisienne ou d’ailleurs ( une psychologue assise à côté de moi venait de la région de Rennes).
Dans ces témoignages d’anciens de Marmottan, on entendait et on sentait certains de ces engagements maintenus année après année, en dépit d’une certaine adversité. Mais aussi malgré ou à cause de certains conflits internes. On percevait une observation affutée du monde et de la société qui nous entoure et qui, surtout, nous opprime. On recevait une partie de cette mémoire commune de ce qui avait pu être réussi envers et contre tout ainsi que, pour moi, une certaine forme de regret de n’avoir pas vécu cette histoire.
Il y a eu au moins quatre mots en particulier qui m’ont marqué lors de ce cinquantenaire à la Cigale. Des mots qui, pour moi, expliquent Marmottan mais aussi la raison pour laquelle Marmottan a survécu et continue d’inspirer.
Plusieurs des professionnelles et professionnels venus témoigner de leur expérience de Marmottan, sur la scène, ont raconté que lors de leur entretien d’embauche avec Olievenstein, celui-ci, avait pu plus ou moins leur/lui dire :
« Je crois que vous êtes folle. Donc, je vous embauche ».
Par « folie », bien-sûr, il fallait, ici, comprendre que ces professionnelles et professionnels qui postulaient ne se contenteraient pas d’être des petits soldats ou des exécutants de la morale bien-pensante. Et qu’ils seraient impliqués dans leur travail bien plus qu’une personne venant juste pour faire ses heures de travail et pour toucher sa paie à la fin du mois. C’est en tout cas comme ça que je l’ai décrypté.
Car, oui, la folie peut aussi aider à vivre. Et à travailler.
Le mot Plaisir a été employé par Mario Blaise, le médecin chef actuel de Marmottan. Par ce mot, le principe est d’éviter de juger le mode de vie des uns et des autres. Ou ce qu’ils sont. Dès lors qu’ils n’agressent pas leur entourage.
Un autre mot m’a, d’un seul coup, fait comprendre la raison pour laquelle, Marmottan est un service à part. Et que c’est pour cela que j’avais senti, quelques fois, que lorsque je m’exprimais avec mes instruments de mesure psychiatriques, que cela avait fait flop et que quelques uns de mes collègues de Marmottan m’avaient alors regardé comme si j’appartenais à une espèce insolite :
Antipsychiatrie
L’antipsychiatrie a été un courant dont j’ai pu entendre parler. Mais un peu. Comme d’une époque passée depuis longtemps. Bien avant que je ne commence à venir travailler en psychiatrie au début des années 90. Encore, qu’à cette époque, la psychiatrie n’avait rien à voir avec la psychiatrie actuelle en matière de moyens et de culture de pensée mais, aussi, de transmission.
Grossièrement, aujourd’hui, je dirais que la psychiatrie telle qu’elle a pu être argumentée par Frantz Fanon, lors de la guerre d’Algérie, avait à voir avec l’antipsychiatrie. Il s’agissait alors de libérer les individus, ou de contribuer à les aider à se sortir de leur asservissement. A Marmottan, pour commencer, il s’agit d’essayer d’aider des personnes à se sortir de leur asservissement à certaines pratiques lorsque celles-ci sont devenues dangereuses pour leur santé. Cet asservissement a une histoire. La rencontre avec cette pratique s’est faite à un moment particulier de leur histoire.
Le mode relationnel que j’ai pu « voir » à Marmottan entre patients et soignants était différent de celui que j’avais pu connaître ailleurs. On n’était pas, on n’est ni potes, ni amis. Cependant, la distance entre le soignant et le patient est différente comparativement à ce que j’ai pu connaître dans d’autres services de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Et, je ne parle pas, ici, de l’absence de la blouse pour le soignant. Car j’avais déjà connu l’expérience de l’absence de blouse en tant qu’infirmier.
Mais la façon de parler du traitement à Marmottan avec le patient, de l’accompagner comme on dit, est différente. Peut-être que cela se faisait aussi un peu de cette façon dans la psychiatrie des années 60 et 70. Lorsque la société était différente ? Et que certains nouveaux neuroleptiques permettaient à certains patients d’aller mieux ?
Mais on ne parle pas des mêmes publics de patients. J’ai croisé assez peu de patients psychotiques lors de mes quelques remplacements dans le service d’hospitalisation de Marmottan. Et, on ne s’adresse pas de la même façon à une personne non-psychotique même si celle-ci répète des comportements extrêmes du fait de ses addictions.
Un autre mot, depuis décembre, revient par intermittences, lorsque je repense à ce cinquantenaire de Marmottan. Et, cela, d’autant plus que je n’ai pas vu le visage ni le corps de son locuteur, apparu soudainement hors-champ, à aucun moment présent sur la scène puis disparu aussi rapidement.
Et pourtant, cet homme était bien conscient de l’histoire de Marmottan comme porteur d’une partie de sa mémoire. Le fait que cet homme, qui devait avoir dans les 70 ans, ait un accent antillais, a certainement eu sur moi un effet particulier. Celui d’un certain réveil de mes origines antillaises. Peut-être, mais je n’en suis pas sûr, que ce mot sur lequel il a insisté m’a autant parlé parce-que, dedans, j’ai entendu du Gro-Ka, cette musique traditionnelle, très lointaine, rattachée à la mémoire de soi, à la permanence d’une certaine vitalité malgré les trajectoires et qui a besoin de ça pour exister :
La Ferveur( en cliquant sur le lien à gauche, une vidéo apparaît).
Eileen Myles au Cinéma MK2 Bibliothèque ce jeudi 15 septembre 2022
Premier jour d’automne, ce vendredi 23 septembre. Je terminais mon petit-déjeuner ce matin lorsque j’ai commencé à penser à un article sur la conférence d’Eileen Myles la semaine dernière. Voici comment un certain nombre d’articles part dans ma tête. Ensuite, je décide de les suivre. Si j’estime avoir suffisamment de temps et de mots. Si j’ai suffisamment d’envie pour eux. Les mots sont ce qui contient l’incendie de mon esprit et pour les trouver, il faut que j’aie envie d’eux. Que je sois volontaire pour leur courir après afin de les rassembler.
J’ai envie d’écrire cet article sur Eileen Myles, l’auteur de Chelsea Girls, « figure majeure de la culture underground et LGBT aux Etats-Unis ». Un livre paru en 1994 dans sa version originale et récemment traduit et publié, pour la première fois, en Français.
Je ne connais rien à l’univers d’Eileen Myles. Malgré ma bonne volonté, Je vais donc écrire et raconter dans cet article beaucoup de conneries réactionnaires et déverser au grand jour un certain nombre de ces jugements de valeurs dont je suis le réservoir.
Cet article, ce « coming out », n’était pas prévu. Bien des articles sont des « coming out ». Le mien sera sûrement celui de ma « beauferie ».
Initialement, ce matin, je pensais plutôt à faire le nécessaire afin d’aller voir le dernier film de Rebecca Zlototwski sorti avant hier :
Les enfants des autres.
Il y a plein d’autres films que j’aimerais aller voir bien avant celui-ci. Mais je fais de celui-ci une priorité. Même si l’interview par la journaliste Guillemette Odicino de la réalisatrice Zlotowski dans l’hebdomadaire Télérama -auquel je suis abonné depuis des années- m’a plusieurs fois fait souffler d’agacement. En lisant, une nouvelle fois, telle une condamnation à perpétuité, les termes-poncifs :
«(….) elle ( Rebecca Zlotowski) est l’une des cinéastes les plus brillantes de sa génération ».
Ou, plus loin, pour parler de l’actrice Léa Seydoux ( une actrice qui m’inspire des sentiments très contrariés au moins depuis sa polémique avec le réalisateur Abdelatif Kechiche après tourné sous sa direction La vie d’Adèle, où, pour moi, elle n’est pas la meilleure actrice du film mais aussi dans d’autres films par la suite) « irradiante de sensualité ». Léa Seydoux, « irradiante de sensualité » ? Sa première apparition- comme James Bond girl- dans le dernier James Bond avec l’acteur Daniel Craig cloue le film dans un cercueil.
Pour parler du troisième film de Zlotowski, Planétarium, la journaliste Guillemette Odicino écrit : « son film maudit, incompris, elle osait une fresque à la fois charnelle et spirituelle ».
Bien-sûr, j’ai dû comprendre que la journaliste, elle, avait compris ce film que beaucoup n’avaient pas compris. Quant à l’idée d’une « fresque à la fois charnelle et spirituelle », j’ai trouvé cette description bien cérébrale, et, à nouveau, très fuyante par rapport au corps. Dans ces relations que l’on peut avoir, quotidiennement et étroitement, avec notre propre corps. Comme cela se pratique, je trouve, dans ces milieux très intello où l’on brille beaucoup plus par les concepts, la pensée, que par l’usage que l’on peut faire et vivre de son propre corps :
Je reproche à beaucoup d’intellectuels et à beaucoup « d’acteurs » culturels dont j’espère faire le moins partie possible d’être des très grands handicapés de leur propre corps. Et, je lisais tellement ça, une fois de plus, je crois, dans cette introduction à l’interview de Rebecca Zlotowski dans Télérama.
« La chair, toujours, filmée comme une arme politique, et le questionnement sur la féminité moderne sont au cœur d’Une fille facile, son plus grand succès : en 2019, cette chronique ensoleillée enflammait la Croisette, imposant Zahia Dehar comme un corps fascinant de cinéma » poursuit la journaliste de Télérama (celui du 24 au 30 septembre 2022, le numéro 3793, page 4) toujours dans l’introduction de son interview de Zlotowski.
« enflammait la croisette » ; « comme un corps fascinant de cinéma », encore des stéréotypes de langage.
Une fille facile est le seul film que j’ai vu de Rebecca Zlotowski. Et, malgré mes réticences au départ, j’ai beaucoup aimé ce film. J’en parle d’ailleurs dans mon blog. ( Une fille facile ).
« Corps fascinant de cinéma ? ». De quoi parle la journaliste de Télérama ?!
Lorsque l’on regarde Zahia Dehar et que l’on sait « un peu », car cela avait été beaucoup médiatisé quand même !, qu’elle avait été « escort girl », on hésite très peu à trouver son corps « fascinant ». Que ce soit au cinéma ou dans la vraie vie.
Je n’ai pas oublié ce mélange d’admiration et de sentiment de privilège qu’avait pu ressentir la journaliste « star » Léa Salamé lors de sa rencontre-interview avec la belle Zahia Dehar qui avait défrayé la chronique. Cela m’avait rappelé le rôle de gigolo de Daniel Auteuil dans le film Mauvaise passe réalisé par Michel Blanc en 1999. ( Tiens, Michel Blanc est homo. Et il avait écrit le scénario avec Hanif Kureishi plutôt porté sur des sujets un peu tabous…).
Nous avons beau être des personnes responsables, présentables, très bien éduquées, bien maquillées, nous exprimer de façon hautement civilisée… nous avons aussi besoin de notre giclée de sensations « premium » en tutoyant ce qui sort du stérile et du cadre. Ça flatte le côté rebelle ou « border line » en soi. On est ainsi rassuré quant au fait que l’on est beaucoup plus grunge et beaucoup plus ouvert, plus libre et démocrate qu’on peut le laisser croire.
Zahia Dehar n’est ni le premier ni le dernier corps – ou coup- vivant de femme que le cinéma servira comme plat pour attirer un public dans une salle. Et sans doute pas le dernier non plus qui inspirera bien des fantasmes et des branlettes empathiques à certains officiels de la Croisette. Rappelons-nous qu’assez récemment, des « influenceuses », à Dubaï, ont été payées par certaines grandes fortunes afin de se faire déféquer dans la bouche.
Ce que peut inspirer un corps désiré, désirable -et aussi médiatique- découle de ce qui se passe dans la tête ( et de son Pouvoir) de celle ou de celui qui peut disposer- et comment- de ce corps désiré et désirable.
Eileen Myles, elle, c’est le contraire de tout ça. Eileen Myles fait partie de ces personnes qui ont décidé d’assurer leur corps. Mais lorsque j’écris ça, je m’aperçois que, finalement, Eileen Myles est plus proche d’une Zahia Dehar ou de certaines influenceuses qui ont décidé de se servir de leur corps pour réussir que de celles et ceux qui se résignent à être les caissières, les domestiques et les secrétaires des autres.
Pourtant, lorsque l’on met côte à côte, une Eileen Myles et une Zahia Dehar, la proximité est loin d’être marquante. Mais je crois que l’une comme l’autre a pu adopter des modes de vie réprouvés à un moment donné par l’ordre et la vertu publiques.
J’avais prévenu, dès le début de cet article, que j’allais écrire beaucoup de conneries. Et, c’est le moment, pour moi, de fournir mon mot d’excuse. Pour commencer, et c’est selon moi le principal et ce qui me pousse à écrire cet article :
Ce jeudi 15 septembre, j’aurais pu ( ou peut-être dû ) rester dans ma ville, à Argenteuil, afin d’aller rencontrer dans la librairie Presse Papier du centre ville, l’auteure Touhfat Mouhtare née en 1986 à Moroni aux Comores, pour son livre Le Feu du Milieu paru aux éditions Le bruit du monde. Aujourd’hui, Touhfat Mouhtare vit dans le Val d’Oise.
A la place, je me suis éloigné de ma ville et du Val d’Oise. Je me suis véritablement déplacé pour assister à Paris à cette conférence-interview de l’Américaine Eileen Myles. J’ai vraiment pris ces photos et filmé ces quelques moments.
J’ai entendu parler d’Eileen Myles récemment. En commençant à lire Les Argonautes ( paru en 2015) de Maggie Nelson. Une auteure de référence, au même titre qu’Eileen Myles, son aînée de plus de vingt ans, pour les personnes préoccupées par les questions du genre, de dominations, comme par les violences engendrées par le patriarcat.
J’ai du mal à avoir une lecture suivie de l’ouvrage de Maggie Nelson. J’ai bien plus de « facilités» pour lire le premier volet de La Guerre d’Algérie d’Yves Courrière.
Les Argonautes de Maggie Nelson ( née en 1973) est un récit de sa vie personnelle avec son (ex ?) compagnon, Harry, originellement née femme, père d’un jeune fils dont Maggie Nelson, en tant que belle-mère, essaie de s’occuper au mieux (on voit mieux le rapprochement avec le dernier film de Rebbeca Zlotowski ? Je ne l’ai pas fait exprès) de réflexions critiques et théoriques poussées citant Butler, Winnicott, Foucault et d’autres, mais aussi de certains moments de sa vie avant Harry comme de certaines de ses décisions en rapport avec ses engagements (ou son activisme).
La partie théorique et intellectuelle de l’ouvrage de Maggie Nelson, par moments, me coupe les neurones à défaut de me couper les jambes : je subis, par moments, des absences de compréhension. Et puis, le courant se rétablit. Dans ses Argonautes, Maggie Nelson (qui cite aussi Eileen Myles parmi ses références) établit que le mariage et l’armée comptent parmi les institutions historiques les plus répressives.
Je suis marié. J’ai pu ou peux, par moments, me sentir proche de certaines valeurs militaires. Mon attachement aux valeurs des Arts martiaux, par exemple, se rapproche quand même de l’attachement à certaines valeurs militaires. Si on les applique aveuglement ou de façon fanatique. Je fais donc ou ferais donc partie de « l’ennemi » pour des personnes comme Maggie Nelson ou Eileen Myles. D’autant qu’il est deux autres institutions, pour lesquelles je travaille, qui sont, aussi, « historiquement répressives » :
La psychiatrie et la pédopsychiatrie.
Donc, que faisais-je jeudi dernier à cette conférence-interview d’Eileen Myles comme devant ce livre de Maggie Nelson – dont je ne connaissais pas l’existence avant cet été- au lieu de lire un des articles de mon Télérama hebdomadaire ?
Nous voyons du Monde ce qui nous intéresse, ce qui nous attire l’œil ou l’attention, ce à quoi nous sommes habitués ou ce qui nous gêne ou nous dérange.
Ensuite, nous faisons plus ou moins nos choix. Nous décidons de retourner à nos occupations bien connues de nous-mêmes. Ou nous choisissons de prendre l’option qui consiste à aller nous éduquer un peu. Car le Monde est souvent plus multiple que ce que nous en savons ou en percevons à première vue.
J’avais une vingtaine d’années lorsque, pour la première fois, en stage au cours de mes études d’infirmier, dans un service de chirurgie orthopédique dans la banlieue ouest parisienne, dans une ville de banlieue plus favorisée que celle dans laquelle j’avais grandi, j’avais rencontré un patient transexuel. Un homme d’origine espagnol qui s’était fait renverser par une voiture alors qu’il marchait sur la route, alcoolisé. Le conducteur avait pris la fuite.
Je me rappelle que cet homme tenait une sorte de boutique de vêtements. Et qu’au téléphone, sa sœur lui témoignait une certaine affection.
J’avais 19 ou 20 ans, lorsqu’après avoir assisté à une soirée cinéma à Paris, consacrée au réalisateur Jean-Pierre Mocky, je m’étais retrouvé comme un idiot, dans la rue. Après avoir vu les films Solo, Un Linceul n’a pas de poches et, en avant Première, le dernier film, alors, de Jean-Pierre Mocky :
Agent Double.
Puis, dehors, j’avais regardé la plus grande partie des spectateurs rentrer chez eux en voiture. Devant l’impossibilité de rentrer chez mes parents, à Cergy-St-Christophe. Car il n’y avait plus de RER A à deux heures du matin passées.
J’avais finalement été hébergé par un inconnu, un homme un peu plus âgé que moi, croisé non loin du centre Pompidou vers 4 ou 5 heures du matin. Celui-ci, étudiant en Droit selon ses dires, avait pris ma défense. Il m’avait proposé de m’acheter un Kebab puis, en taxi, m’avait emmené dans son studio, dans une ville de banlieue que je ne connaissais pas. Cet homme m’avait fait des avances que j’avais déclinées.
Mon cul contre un Kebab ?
Il faut tout essayer dans la vie » m’avait conseillé cet homme « mûr ». Je lui avais suggéré de faire l’amour avec des plantes et des animaux. J’avais lu plein d’articles sur le sujet dans Télérama. Lui, avait trouvé tout cela contre nature. Et il m’avait laissé partir lorsqu’était arrivée l’heure des premiers RER.
J’ai dû entendre le terme « Queer » pour la première fois il y a un peu plus de dix ans. Aujourd’hui encore, j’aurais du mal à expliquer ce terme. « Queer » par ci, « Queer » par là. Les activistes, les personnes engagées et/ou de média mais aussi les poètes, les artistes et les intellectuels savent que le langage, autant que le corps, est une arme.
Une arme de destruction, d’asservissement de dénigrement. Une arme d’ensemencement et de revitalisation de nos vies et de nos imaginaires. Pour cette dernière idée, je convoque évidemment des personnalités comme Aimé Césaire, Frantz Fanon ou d’autres, dont je maitrise aussi mal les œuvres et les pensées que je ne comprends véritablement le terme « Queer ». Et qui n’ont rien à voir, au départ, avec quoique ce soit de « Queer » au sens où l’entendent les activistes et penseurs LGBTQ+. Et, pourtant, d’un côté comme d’un autre, il s’agit toujours de s’affranchir comme de s’extraire du colonialisme, d’un certain conditionnement mais aussi des effets de toute forme d’esclavage et d’asservissement personnel, historique, culturel, social, économique, politique et corporel.
Au cours d’un débat auquel j’assistais, lors d’un festival de cinéma LGBTQ+, j’avais entendu un spectateur dire du réalisateur François Ozon ( qui a sans doute aussi été interviewé par Télérama ou qui le sera un jour en tant que « l’un des cinéastes les plus brillants de sa génération » ) :
« Il fait un cinéma Queer ». Ou « Il est Queer ».
Au cinéma, j’ai vu un certain nombre des films de François Ozon, ses premiers films en particulier. Et, cela a été un peu pareil avec l’acteur et réalisateur Xavier Dolan jusqu’à Laurence Anyways (réalisé en 2012). Deux réalisateurs ouvertement homosexuels. Pourtant, en allant voir leurs films, que j’ai aimés voir, je ne me suis jamais dit que je regardais un film, un monde ou un mode de vie « Queer ».
De la même façon que je ne me suis pas dit, je crois, qu’ils essayaient, au travers de leurs films, de déconstruire(un verbe que j’ai découvert sans doute à peu près au même moment que lorsque j’avais fait la connaissance du terme « Queer ») certaines conceptions de « genre », certaines « identités » imposées par le monde hétéro-normé, patriarcal, occidental, capitaliste et blanc encore dominant dans le Monde.
Peut-être que tout ce programme de déconstruction mentale et « civilisationnelle » n’est pas le leur, tout simplement. Que tout ce qu’ils veulent, eux, Ozon et Dolan, c’est d’abord exister en tant que personnes et artistes et faire des films.
Eileen Myles a sûrement dû voir plusieurs des films de François Ozon et de Xavier Dolan. Jeudi dernier, le premier extrait de film choisi pour sa conférence a été un passage du film… Les 400 coups de François Truffaut.
Lorsque Les 400 coups de François Truffaut sort en 1959, Eileen Myles, née en 1949, a dix ans. Nous regardons l’extrait. Nous voyons Jean-Pierre Léaud, alors enfant, courir à petits pas, vers la plage. J’ai souvent entendu parler de ce film comme étant un grand classique à voir. Je connais bien-sûr de nom François Truffaut et ai vu un ou deux de ses films dont La femme d’à côté (1981) et Domicile conjugal (1970), deux films vus plusieurs années plus tard à la télé, que j’avais beaucoup aimés. Mais je n’ai jamais vu et n’ai jamais eu envie de voir Les 400 coups.
En citant Truffaut, Eileen Myles, pour moi, fait partie de toutes ces personnes étrangères, souvent engagées, qui, régulièrement, dans les œuvres françaises, citent des classiques comme Truffaut. Un peu plus tard, je crois aussi qu’elle citera Proust. Mais je n’en suis plus très sûr.
Ce dont je me souviens par contre, c’est qu’en voyant Les 400 coups de Truffaut, Eileen Myles s’était demandée s’il existait un équivalent féminin. Puisque Truffaut, après Les 400 coups suivra l’évolution du personnage d’Antoine Doinel, depuis son enfance jusqu’à l’âge adulte. Et, de là est venu le projet d’Eileen Myles de concevoir un équivalent féminin à Antoine Doinel. Puis, elle s’est demandée comment s’y prendre pour raconter ça par écrit. Et, elle s’est aperçue qu’elle pourrait écrire comme on raconte un film.
L’enfance d’Eileen Myles semble avoir été une enfance où l’éducation artistique et culturelle a été présente et consistante. Je suis étonné par la facilité avec laquelle, Eileen Myles, comme Maggie Nelson ensuite, peut se déclarer poétesse. Moi, plus jeune, j’ai bien essayé. Mais comme cela ne m’a jamais permis de gagner ma vie convenablement, j’ai rapidement arrêté. Ces derniers temps, je me suis même fait la remarque qu’à force de coller aussi près au quotidien depuis des années, tant dans mon métier que dans mes articles ou dans ma vie de père et de conjoint peut-être, que je m’étais beaucoup éloigné voire étais peut-être devenu incapable ou infirme. Infirme d’exprimer mon imaginaire comme auparavant.
Eileen Myles, à plusieurs reprises, nous a parlé de l’importance de son père, décédé lorsqu’elle était encore jeune, qu’elle perçoit a posteriori comme ayant été une personne « Queer ». Elle a répété plusieurs fois que son père était « Queer ». Il se travestissait en femme.
C’était aussi un père alcoolique mais qui avait le chic, chaque fois qu’elle manifestait un intérêt pour un sujet donné, d’apparaître avec un ouvrage ou deux en rapport avec ce sujet, de le(s) lui remettre. Puis, de disparaître.
D’autres extraits de films ont été montrés lors de la conférence. Un, montrant un milieu lesbien underground aujourd’hui disparu, dans les années 70. Un autre au cours duquel, dans un film, s’inspirant des écrits d’Eileen Myles, une femme souhaite que se présente aux élections Présidentielles une personne ayant tous les handicaps possibles :
HIV +, transgenre, chômeure /chômeuse, atteint( e) d’une maladie incurable, homosexuel( le), noir ( e), grosse….
Le public, dans la salle, était constitué d’une bonne centaine de personnes, sans doute assez familières avec l’œuvre, les engagements et/ou la personnalité d’Eileen Myles. J’ai compté deux ou trois personnes noires dans la salle en m’incluant dans le recensement. Pour la répartition hommes/femmes au sein du public, je ne saurais pas dire. Peut-être une légère prévalence féminine. Mais ce n’est pas sûr.
Par contre, la journaliste qui interviewait Eileen Myles était une femme. La traductrice était une femme.
La plupart des spectateurs ou spectatrices qui ont posé des questions à Eileen Myles étaient soit anglophones soit très à l’aise avec la langue anglaise ou américaine.
J’ai noté en tout cas qu’une bonne partie du public était particulièrement au fait avec la langue natale d’Eileen Myles. Puisqu’il a été capable à plusieurs reprises – contrairement à moi- de rire de ses blagues immédiatement sans avoir à en passer par leur traduction différée.
S’il y avait bien quelques personnes dépassant la quarantaine d’années dans la salle, j’ai trouvé le public plutôt jeune dans sa majorité. Autour des 30 ans. Ce qui atteste, pour moi, d’une certaine conscience plus visible ou plus affirmée, mais aussi plus « facile », à propos des questions de genre comparativement à il y a, disons, une vingtaine d’années.
Je n’ai pas reconnu ou pas vu de « jeune » que je suis susceptible de croiser ou d’avoir croisé dans un des services de pédopsychiatrie où j’ai pu travailler et qui sont préoccupés (comme beaucoup d’adolescentes et d’adolescents) par leur identité et/ou par leur genre ou qui l’affirment d’une certaine façon :
En se réclamant d’un sexe ou d’un genre opposé à celui qui leur a été assigné à leur naissance. En ayant une relation sentimentale homosexuelle.
Pour ma part, je peine encore à assimiler le fait qu’aujourd’hui, je devrais davantage, selon les milieux, afin d’éviter d’être perçu comme homophobe ou transphobe, me présenter comme une personne « cisgenre ». Afin de ne pas heurter une personne faisant partie d’un genre minoritaire. Mais j’ai du mal avec cette obsession qui consiste à se définir par un vocabulaire obligé. Comme si c’était une obligation de tendre notre genre ou nos éventuelles préférences lorsque l’on se présente à quelqu’un :
« Je m’appelle Franck, je suis diabétique insulino-dépendant, hypertendu, farceur, cancéreux en phase terminale, je chausse du 34, je suis abonné à Télérama, je fais du Cross fit. J’adore les films de Emmanuel Mouret, le nouveau Rohmer. J’ai plein de posters XXL de l’actrice Léa Seydoux dans ma chambre. Et je travaille à la bourse. Et toi ? ».
Mais il est vrai que nous portons souvent des masques dans notre vie sociale. Et que certains de ces masques permettent à la fois des crimes (à l’image du Ku Klux Klan) mais aussi bien des mensonges.
Lorsque je regarde la photo d’Eileen Myles sur l’écran géant, j’ai l’impression de voir un équivalent féminin d’Iggy Pop. Pour moi, Eileen Myles est une sorte de Punk. Un Punk à visage et à allure masculine qui est une femme. Même si je me demande un peu si elle s’est faite opérer, je ne me le demande pas plus que ça.
Enfant, Eileen Myles avait rencontré un couple de femmes butch auquel ses parents avaient loué une partie leur maison. Lors de la conférence, Eileen Myles raconte que ce couple lesbien s’était vite avéré être un couple de locataires problématiques, alcoolique, je crois, se disputant souvent, et, qui plus est, très mauvaises artistes peintres. Soit une erreur de casting que la mère d’Eileen Myles avait très vite regretté. De son côté, Eileen Myles, elle, ne s’était pas sentie inspirée par ce modèle de femmes….
Plusieurs jours après cette conférence, sur internet, j’ai cherché et trouvé quelques photos d’Eileen Myles, plus jeune. Si je l’ai trouvée belle, je lui ai aussi trouvé un certain côté garçon manqué. Ce qui, pour moi, veut dire « Butch ». J’ai bien écrit « Butch ». Et non « Bitch ».
Eileen Myles nous a lu un extrait de son livre, Chelsea Girls. Sans doute parce-que je n’ai pas suffisamment compris ce qu’elle disait, cela ne m’a pas donné envie d’acheter son livre. Mais dans la salle, le public l’a écoutée de façon recueillie.
A la fin de la conférence, Eileen Myles nous a dit sa certitude que le patriarcat était en train de mourir. Qu’il s’agissait de savoir si « nous » allions mourir avant lui ou s’il allait mourir d’abord. Mais qu’elle était confiante quant au fait qu’il n’en n’avait plus pour longtemps. Aujourd’hui, je me peux m’empêcher de penser que c’est aussi ce que dit une personnalité comme Pablo Servigne, un des collapsologues les plus connus en France, et aussi sans doute critiqué pour cela car il la ramène trop avec ses propos de fin du monde. Lorsqu’il explique et répète que nous sommes des « drogués du pétrole », que notre système de vie économique et de société, tel qu’il est, est en train de s’effondrer et que nous ne sommes plus dans l’ère dans « de la sobriété » mais déjà dans celle qui nous rapproche du « sevrage ».
Touhfat Mouhtare, Maggie Nelson, Rebecca Zlotowski, Zahia Dehar, Pablo Servigne, Peaux noires, masques blancs ( ou d’autres de ses oeuvrs) de Frantz Fanon, Aimé Césaire, il est étonnant qu’Eileen Myles, aussi portée sur certains excès d’alcool en particulier, ait quelques rapports, directs ou indirects, avec ces quelques « personnes », décédées ou vivantes, et que certaines de ses réflexions et de ses expériences rejoignent les réflexions, les expériences mais aussi les œuvres de certaines de ces premières personnes citées.
Mais c’est pourtant de cette façon-là que, souvent, notre vie se déroule. Car celle-ci est multipistes. Je me devais donc de me rendre à cette conférence d’Eileen Myles puis d’essayer d’en rendre compte. Même si, sans aucun doute, cet article comporte déja beaucoup d’erreurs, beaucoup de conneries et beaucoup de hors sujets.
Cette nuit, j’ai lu quelques articles dans la rubrique littéraire d’un journal. On y parlait de plusieurs livres. Plusieurs de ces livres parlaient de la violence des hommes. Une phrase, dans l’un des articles, disait quelque chose comme :
« Comprendre ne suffit pas pour pardonner ».
Je n’ai pas aimé cette phrase.
Pour appliquer l’éducation bienveillante, la « psychologie positive » il faut aussi, dans une certaine mesure, pouvoir bénéficier, quand même, d’une certaine bienveillance dans la société, dans le monde, dans la vie. Mon métier principal, malgré sa noblesse, ou peut-être grâce ou à cause d’elle, m’expose à diverses formes de violences.
Hier matin, mon thérapeute a d’abord tiqué lorsque je lui ai dit délibérément :
« Je ne suis qu’un infirmier. »
Face à son thérapeute, tout le monde le sait, il ne suffit pas de claquer des consonnes et des voyelles pour dire quelque chose. Il doit comprendre. Et, si nous pensons droit, nous nous devons de lui en faire la démonstration. Autrement, son travail, si c’est un thérapeute valable et consciencieux, est de nous remettre dans l’axe.
Hier matin, j’ai expliqué à mon thérapeute que d’un point de vue social, ce métier d’infirmier n’est pas considéré comme un métier très valorisé ou très prestigieux.
De ce fait, maintenant que, en plus, ma compagne est suspendue de ses fonctions d’infirmière depuis dix mois, cela va être un handicap pour faire admettre notre fille à l’école privée de notre ville. Si, comme me l’a dit la libraire récemment, l’école privée prend principalement les enfants dont les parents ont une bonne situation professionnelle.
J’ai cru et crois encore à la sincère et spontanée désapprobation, hier, de mon thérapeute lorsque je lui ai dépeint mon métier d’infirmier comme un métier de bas étage. Cependant, j’ai malheureusement su et pu, je pense, lui démontrer que j’avais raison.
La plupart des parents d’enfants que notre fille a côtoyée dans son école publique – et qui sont désormais dans l’école privée de notre ville- ont des professions socialement et économiquement plus « évoluées » ou « supérieures » à celle que ma compagne et moi pratiquons.
Je le sais pour avoir côtoyé un temps ces parents. Comme cela se fait lors de toute rencontre sociale « cordiale » à la sortie de l’école. Ou chez l’assistante maternelle. Où, si l’on se sourit entre parents et que l’on s’adresse quelques propos convenables, on se jauge aussi beaucoup socialement, personnellement et économiquement. En toute bienveillance.
D’ailleurs, quel est l’un des meilleurs moyens pour s’assurer que certains parents mais aussi certains enfants sont véritablement fréquentables ?
Prenons un verre avec eux, soit chez eux, soit chez nous. Recevons tel enfant pour un goûter ou un anniversaire. Ensuite, on se fait notre propre idée.
C’est ce qui s’est passé avec plusieurs parents d’enfants que notre fille a pu connaître dans son école maternelle. Aujourd’hui, nous n’avons plus de contacts avec ces parents alors que leurs enfants sont à l’école privée de notre ville. Une école qui se trouve à cinq minutes à pied de l’école publique de notre fille.
Les parents de ces enfants ne sont ni infirmiers, ni aide soignants. Un ou deux ingénieurs. Ou équivalents. Cadres sup. Je connais personnellement un couple dont les deux enfants sont également à l’école privée de notre ville. La femme du couple était une ancienne très bonne amie de ma sœur. Donc, je connais vraiment plutôt personnellement ce couple. Profil de cadre sup.
Donc, même si j’ai pu entendre dire que pour faire admettre son enfant dans cette école privée, qu’il convient de persévérer et de s’y reprendre à plusieurs fois, où est, déjà, la bienveillance dont nous bénéficions, ma compagne, notre fille et moi, à devoir constater que la plupart des parents, dont les enfants sont aujourd’hui dans cette école privée depuis plusieurs années, occupent des fonctions professionnelles « supérieures » socialement et économiquement aux nôtres ?!
Hier matin, j’en ai rajouté dans les arguments devant mon thérapeute pour démontrer à quel point le métier d’infirmier est déclassé. Mais peut-être, aussi, pour bien lui faire comprendre à quel point j’avais encore besoin de ses services.
Pendant le premier confinement dû à la pandémie du Covid, en 2020, on applaudissait les soignants à 20h. Pour les encourager et les remercier pour leur « courage » et leur « héroïsme ». Un an plus tard, on suspendait certains de ces héros car ceux-ci refusaient de se faire vacciner contre le Covid. Ainsi depuis la fin de l’année dernière, ma compagne est-elle sans salaire. Où est la bienveillance dont ma compagne, comme d’autres dans sa situation, suspendus pour les mêmes raisons, bénéficie ? Dont notre fille et moi bénéficions ?
Néanmoins, il arrivera un jour où je devrais aussi rappeler à ma compagne deux points auxquels elle devra se conformer que cela lui plaise ou non :
Si être fonctionnaire assure en principe la sécurité de l’emploi, cela impose aussi des Devoirs. Un fonctionnaire se doit à certains actes si son employeur le lui demande ou l’exige de lui. En contrepartie, son employeur lui verse un salaire et lui assure la sécurité de l’emploi. Et, cela, je crois, a été oublié par ma compagne et d’autres.
En refusant la vaccination obligatoire contre le Covid.
Après tout, même des Ministres ou des députés qui sont des très hauts fonctionnaires de l’Etat sont amenés à démissionner lorsqu’ils ne correspondent plus à certains critères exigés, à certaines obligations décidées, par l’Etat. Alors, des « petits » infirmiers et aides soignants, qui sont des tout petits fonctionnaires en comparaison n’ont aucune possibilité de s’opposer à l’Etat si celui-ci décide de les suspendre ou de les révoquer en cas de désaccord majeur ou autre.
Il a été question quelques temps, devant la pénurie soignante, de réintégrer le personnel soignant non vacciné. Hier matin, mon thérapeute m’a confirmé que la Haute Autorité de Santé (la HAS) l’avait finalement refusé. Et, c’est facile à comprendre :
Des personnes sont mortes du Covid car celui-ci a été transmis ou aurait été transmis par du personnel soignant non vacciné contre le Covid. Avant que la vaccination contre le Covid ne devienne obligatoire. Je connais au moins une personne, dans notre ville, que ma compagne a croisée une fois, dont le père est mort du Covid dans l’EPHAD où il se trouvait. Selon cette connaissance, que je crois fiable, son père était en bonne santé. Et c’est une infirmière ou une soignante, porteuse du Covid, qui aurait transmis le Covid à plusieurs pensionnaires de l’EPHAD.
Comment voulez-vous après ce genre d’événement réintégrer dans des lieux de soins des soignants non vaccinés contre le Covid ?
Et comment vont le prendre celles et ceux qui se sont obligés (ou soumis) à la vaccination obligatoire contre le Covid ?
Enfin, beaucoup plus cynique mais le livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet, qui a fait « scandale » concernant le mode de gestion des EPHAD, va dans ce sens :
Cet été, malgré la pénurie de soignants, on n’a pas entendu parler de scandale sanitaire, de surmortalité dans les hôpitaux malgré la canicule. Donc, on a pu ou su se passer des soignants suspendus. Pire :
Ce qui est très pratique avec ces soignants suspendus, c’est qu’ils permettent de faire des économies. Puisque l’on n’est plus tenu de leur verser de salaires depuis bientôt un an. Ce qui reste raccord à la fois avec la politique de l’autruche et des économies budgétaires imposées aux établissements de soins depuis plusieurs décennies. Donc bien avant que l’ouvrage de Victor Castanet ne paraisse début 2022 et ne fasse « scandale ». L’oubli est l’une des plus grandes compétences espérées chez celles et ceux qui décident de la gestion de l’avenir des lieux de soins depuis des années.
Je crois donc de plus en plus que les soignants suspendus comme ma compagne, s’ils persistent à refuser le vaccin anti-Covid, vont être ni plus ni moins oubliés et sacrifiés par le gouvernement. Mais aussi par les établissements qui les « emploient ». Là encore, de quelle bienveillance, ma compagne, notre fille et moi bénéficions-nous ?
D’un point de vue familial, comme beaucoup de personnes, ma compagne et moi avons vécu des événements plutôt « névrotisants » en tant qu’enfants. La violence, l’alcoolisme et/ou la dépression ont auréolé notre enfance. Ces héritages laissent des traces. Des habitudes. Des automatismes. De défense, de repli, de fuite, de combat, de recherche ou de….réplication.
Un soignant, d’autant plus en pédopsychiatrie et en psychiatrie, ou dans tout service de santé mentale, est un individu qui vient se poster qu’il s’en aperçoive ou non, près des frontières de son histoire originelle. Cela peut l’aider pour aider d’autres personnes. Mais cela peut aussi le troubler et le désemparer. Sauf s’il décide de rester sourd, barricadé et aveugle devant son histoire. C’est bien ce que les dirigeants au moins politiques- qui se répliquent- font en matière de politique de santé publique depuis des années :
Rester sourds, barricadés et aveugles. Et budgéter. Il est plus facile de compter des chiffres et de regarder des statistiques.
L’une des conséquences est que bien des soignants ont l’impression de faire l’expérience du servage.
Reculons encore en arrière dans le temps et on tombe sur la toile d’araignée de….l’esclavage. Soit sur l’expérience de l’esclavage. Soit sur la mémoire plutôt traumatisante de l’esclavage. Une mémoire -enfouie ou non- qui résiste sur l’arbre du temps que l’on porte en soi. Et où l’on peut s’apercevoir que, blancs ou noirs, on peut être nombreux à avoir une certaine expérience, plus ou moins lointaine, de l’esclavage.
Mais sans aller jusqu’à l’esclavage car cela ennuie d’en entendre encore parler, rappelons tout simplement le racisme. En tant qu’homme noir, je suis content de dire que je préfère vivre dans la France en 2022 plutôt que dans la France de 1822. Néanmoins, je reste un homme noir dans un pays de blancs. Et notre fille est une métisse dans un pays de blancs.
Mais aussi dans un pays où les prénoms ont aussi leur importance. Lorsque j’ai eu trouvé le prénom de notre fille ( ce prénom est le résultat à la fois des exigences de sa mère mais aussi de ma petite créativité), j’étais content. Cependant, à aucun moment je n’ai pensé au fait que certains prénoms passent « mieux » que d’autres les filtres des sélections lorsque l’on présente un dossier pour une candidature. Il n’en demeure pas moins que, noir en France, portant un prénom plutôt qu’un autre, cela expose ou peut exposer à certaines violences. Des violences directes et indirectes, immédiates ou différées, visibles ou invisibles. A moins de rester à la place qui nous a été allouée. Si notre place consiste à faire dame pipi ou silhouette d homme de ménage sur un plateau de tournage aucun problème. On peut porter le nom que l’on veut. Et être noir ou arabe peut alors se révéler un avantage.
Est-ce-que notre fille aurait déjà été admise à l’école privée si elle s’était prénommée Marie, Elizabeth, Théresa, Geneviève ou Victorine ?
Aucune idée. D’autant que je sais qu’il y a des petites Arabes et musulmanes admises à l’école privée.
Donc, on peut et on sait applaudir des soignants par temps de pandémie tandis que l’on reste bien à l’abri chez soi. Par contre, lorsqu’il s’agit d’admettre leur enfant dans une école privée ou dans une bonne école, on fait les difficiles.
L’école publique de ma fille a perdu un tiers de son budget par rapport à l’année dernière. Comme d’autres parents, je l’ai appris la semaine dernière par son nouveau Maitre d’école lors de la réunion de rentrée. Un maitre d’école en qui je crois et qui a pu dire à la fin de la réunion, durant laquelle il aura gardé son sourire :
« J’aime la difficulté ».
Ce maitre d’école nous a appris faire trois heures de trajet pour venir à l’école puis trois autres heures pour rentrer chez lui à chaque fois.
Hier après-midi, le papa d’une ancienne copine de ma fille m’a appris que dans son école (une autre école publique de notre ville), il y ‘avait une pénurie de rames de papier.
Où est la bienveillance dans tout ça ?
Lorsque ces quelques expériences de violences de rejet, d’indifférence ou de maltraitances finissent par croiser, ce qui est inévitable, l’anxiété mais aussi l’épuisement ou le découragement d’un parent concernant l’avenir de son enfant, mais aussi son propre avenir en tant qu’individu, il ne faut pas s’étonner si celui-ci en arrive, par moments, par secréter de la violence et l’infliger à sa descendance ou à son entourage. Ou à lui-même.
Mais on parle très peu de ça dans notre société « bienveillante ». Dans notre société « bienveillante », il y a d’un côté les travailleurs qui en veulent, qui s’en sortent, parce-qu’ils le voulaient vraiment. Et puis, d’un autre côté, il y a tous les suspendus, les contaminés, les pauvres types, celles et ceux qui passent leur temps à se plaindre au lieu de se sortir les doigts du cul et que l’on condamne.
Car, dans notre société « bienveillante », tout le monde sait que celles et ceux qui restent sur le côté, qui échouent et qui n’arrivent à rien, sont toujours celles et ceux qui l’ont bien cherché et qui l’ont mérité. Et qu’il faut éviter. Sauf si l’on est soignant ou travailleur social. Dans ce cas, on nous parle de vocation. Alors même qu’il faudrait plutôt, un certain nombre de fois, parler plutôt de sacrifice compte tenu des conditions qui sont faites à ces soignants et à ces travailleurs sociaux non seulement pour travailler mais, aussi, pour vivre.
Une école privée est-elle véritablement l’assurance d’une vie réussie ? Disons que dans un monde et un pays où il est devenu résiduel et même normal d’avoir peur de tout que l’on s’en convainc plus facilement. Sauf que je suis incapable d’affirmer si ce dernier point de vue est le résultat de mon esprit résigné ou de la vitalité encore conservée de ma lucidité.
Hino Akira Sensei au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022.
Cette après-midi, je suis allé participer au stage animé par Hino Akira Sensei au Cercle Tissier. Au 108, rue de Fontenay, à Vincennes, à côté d’un restaurant. J’avais entendu parler de ce stage « par » Léo Tamaki sur les réseaux sociaux ou en lisant son interview ( par Léo Tamaki lui-même) dans le magazine Yashima de ce mois de juillet.
Le stage avait débuté ce matin. Pour se terminer demain soir.
Comme je n’étais pas certain de pouvoir me faire aux enseignements du Sensei, je me suis inscrit à une seule séance avec lui :
C’était de l’Aïkido mais ce n’était pas de l’Aïkido. Normal, puisqu’il s’agit de sa méthode, le Hino Budo. Une méthode très simple et, pourtant, souvent, on pouvait se tromper en tentant de la réaliser.
Récemment, une collègue m’a demandé ce que je ferais lorsque je serais à la retraite. Parmi mes projets, il y avait l’écriture, la pratique de l’apnée, ma fille, les voyages et les Arts Martiaux.
Les Arts Martiaux sont un voyage en eux-mêmes. Je ne comprends pas qu’autant de personnes autour de moi puissent l’ignorer.
Dernièrement, aussi, une connaissance m’a informé qu’elle n’était pas du tout intéressée par les Arts Martiaux. J’ai d’abord reçu cette information avec résignation comme un uppercut. Puis, j’ai réfléchi et je me suis dit qu’il faudrait, lorsque j’en aurais la possibilité désormais de demander à ces personnes peu ou pas intéressées par les Arts Martiaux ce qui les rebute autant dedans.
Même si j’ai déja une partie de ma réponse. Les Arts Martiaux sont aujourd’hui délaissés au profit de sports tels que le Crossfit ou le fitness car l’expérience de la guerre appartient au passé. La guerre en Ukraine, c’est encore trop loin même si l’on en subit les conséquences. Et puis, nous avons déjà « vu » des guerres avoir lieu ailleurs. Un peu comme les éruptions de ces volcans dont les effets les plus directs se maintiennent dans l’enclos de ces pays que l’on regarde.
Par ailleurs, nous sommes pratiquement tous des citadins. Bien plus qu’il y a un demi siècle. Lorsque l’on habite depuis des années dans une ville, dans un pays riche et officiellement démocratique, on se fait à l’idée que l’ordre et la paix y sont abrités et garantis pour toujours. Et qu’en cas de danger, on bénéficiera d’alertes, d’aides, d’une justice et de protections efficaces.
Le MMA, le Krav Maga et la Self-Défense sont bien des disciplines qui prennent de l’essor mais elles comptent quand même plus de spectateurs que de pratiquants. Et, sans aucun doute qu’une partie de leurs pratiquants est passée au préalable par le tamis d’un ou de plusieurs Arts martiaux ou sports de combats.
D’ailleurs, Hino Akira Sensei, avant de devenir Maitre, comme tous les Maitres, j’ai fini par le savoir, est passé par l’apprentissage de plusieurs Arts Martiaux : Karaté, Aikido, Iaido…..
(re)venir au Cercle Tissier ce samedi après-midi, c’est déjà en soi se rapprocher d’une Histoire et d’un avenir. Et, aujourd’hui, cela l’a été davantage avec la présence de Hino Akira Sensei, 74 ans.
Pour nous qui sommes habitués à des vies souvent stéréotypées, prendre connaissance et développer notre présence est toute une démarche. Pour cela, il faut aller à la rencontre de certaines personnes et de certaines expériences possibles en certains lieux. Cette après-midi, nous étions environ une soixantaine de personnes, peut-être un peu plus, sur le tatamis. A venir de Moselle, de Perpignan, de Lorraine, de Lyon, de Reims ou d’ailleurs. Je suis venu d’Argenteuil. ( Argenteuil, une ville de banlieue parisienne qui reste à affranchir).
J’ai croisé des élèves de Maitre Léo Tamaki qui participent à ses cours au dojo 5 à Paris ( Dojo 5). J’ai aussi croisé des pratiquants de combat russe, de karaté shotokan, de Tai Jitsu, d’Aïkido….
Il y avait plus d’hommes que de femmes. En moyenne d’âge, j’opterais pour 40-45 ans.
Une fois sur place, il s’agit d’essayer d’assimiler ce que le Maitre nous enseigne. Le Maitre s’exprime en Japonais et, régulièrement, Léo Tamaki, traduit.
Le terme « Maitre » dérange peut-être celles et ceux qui ne pratiquent pas du tout les Arts Martiaux. Et, ils voient peut-être ce terme comme l’équivalent de la soumission à un prêtre, à un rabbin ou à un imam. La « couverture » laïque de la France explique peut-être aussi cette forme de rejet pour les Arts Martiaux. Car je me rappelle maintenant la ferveur religieuse et spirituelle de Maitre Ueshiba. Ou de Maitre Shioda.
Et, il est vrai que les Arts Martiaux ont aussi à voir avec une aspiration et une dimension au moins spirituelle, philosophique voire, parfois, mystique.
Mais être présent, sur le tatamis, c’est être vivant, plus que soumis, lorsque l’on pratique. C’est oublier, abandonner, cette femme ou cet homme stéréotypé que l’on s’est attribué comme identité.
Il faut répéter plusieurs fois pour se libérer de nos propres conduites. Des conduites plus ou moins serviles qui nous ont servi et qui nous servent en société mais qui nous séparent de nous mêmes, aussi. Nous faisons régulièrement trop d’efforts lorsque cela n’est pas nécessaire. Nous respirons aussi assez mal et nous nous épuisons pour des tâches qui n’en valent pas vraiment la peine. Et lorsque nous avons véritablement besoin du meilleur de nos forces tant morales que physiques, nous sommes absents ou parvenons difficilement à surmonter certains obstacles pourtant à notre portée.
C’est sans doute ça qui m’attire dans les Arts Martiaux, la recherche de la justice et de l’économie au travers du geste et du souffle juste. Et, Hino Akira Senseï, ainsi que celles et ceux qui l’entourent ce samedi après-midi, est une des portes possibles vers cela.
Hormis Léo Tamaki, croisé deux ou trois fois, et avec qui j’ai pu correspondre, je ne connaissais personne à ce stage. Les Arts Martiaux me semblent aussi un bon moyen de rencontrer d’autres personnes. Ce samedi après-midi, j’ai eu la chance de pouvoir pratiquer avec des personnes différentes. Laurent Sikirdji a fait partie de ces personnes « différentes ». J’ai aimé travailler avec lui et d’autant plus tenu à le prendre en photo qu’il est en quelque sorte le photographe de l’événement. Et que, souvent, les photographes, sont celles et ceux qui nous assurent de bons souvenirs de notre image alors que leur propre visage reste invisible.
Mais j’ai aussi eu la chance de me faire corriger une fois par Hino Akira Sensei. Ce moment de correction est resté pour moi intimidant. D’un côté, j’ai été content que le Maitre prenne un peu de temps pour moi. D’un autre côté, j’ai craint de lui faire perdre son temps et ne suis pas certain d’avoir « réussi » même après qu’il ait acquiescé.
Apprendre à se relâcher, à s’enlever de la force, à sentir que s’assembler à l’autre sans à coups permet de le renverser ou de le « déstructurer » a été une découverte plaisante, pas toujours évidente.
A la fin du cours, Hino Akira Sensei a demandé si nous avions des questions. Quelqu’un a demandé si faire de la musculation en parallèle pouvait aider. Sensei a répondu qu’il pouvait faire comme il le souhaitait.
Après le salut, Hino Akira Sensei s’est prêté au moment des photos et des dédicaces. J’ai vu fleurir les passeports de pratiquants. Ainsi que quelques exemplaires de livres écrits par Sensei tel que Don’t Think, Listen to the bodydont un stagiaire, pratiquant de karaté shotokan, m’a dit le plus grand bien.
Après m’être douché, et être sorti du Cercle Tissier, lorsque je retrouve la ville de Vincennes, animée, agréable, en cette journée du forum des associations qui se termine, j’ai l’impression de revenir d’un autre monde. D’une autre dimension.
Une fois rentré chez moi, dès que j’ai pu, j’ai pris le petit parapluie de ma fille. Puis, j’ai essayé de lui apprendre le peu que j’avais appris.
Argenteuil, une ville de banlieue parisienne sur laquelle il reste encore beaucoup à écrire
Il est dit qu’il faut d’abord beaucoup lire avant de commencer à devenir écrivain.
Je n’ai sans doute pas encore lu suffisamment de conneries à propos de la ville d’Argenteuil, où j’habite, pour le devenir. Ou à moins, plus simplement, que comme beaucoup de devins je ne sois principalement doué que pour, véritablement, devenir vain.
Cela arrive à beaucoup de monde de se croire capable.
Bien des journalistes, lorsqu’ils parlent d’Argenteuil, le croient très fort : comme des beaux vidés (peu importe que ce soient des femmes ou des hommes) de créativité et de curiosité, dès qu’ils cochent « article ou reportage sur la ville d’Argenteuil » elles et ils se contentent de continuer de suivre le même filon ou de relater le même type de fait divers. En écrivant sur Argenteuil, elles et ils pensent comme on retrouve, chaque année, le même lieu de vacances, la même location. Un endroit où l’on a ses habitudes et ses connaissances. Parce-que c’est « bien », pas » trop cher » et qu’il y a un » très bon rapport qualité/prix ». Comme à Lidl ou dans tout autre supermarché.
Selon ces journalistes, il serait temps que je me rende compte qu’à Argenteuil, les plus de 100 000 habitants qui s’y trouvent sont tous des forcenés menaçant de se suicider et que le Raid vient déloger ; tous, des vendeurs de cigarettes à la sauvette près de la gare d’Argenteuil criant « Marlboro ! Marlboro ! » dès qu’on s’en approche ; tous des dealers de shit ; tous, des jeunes qui font des roues arrières en sens interdit dans la rue ; tous, des islamistes et des terroristes voilés ; tous, des étrangers en situation irrégulière pataugeant dans des trafics ou des activités négociables ; tous, des jeunes déscolarisés et délinquants ; toutes, des jeunes adolescentes qui se font piéger sous le viaduc de l’autoroute A86 par deux de leurs camarades de lycée, puis tabassées et jetées dans la Seine où elles finissent par mourir, noyées, mais d’abord d’hypothermie et de désespoir. Le pire y prospère à ciel et à ventre ouvert en permanence.
Heureusement que la Seine, d’une certaine manière, retient et freine, et filtre, encore- un peu- l’arrivée de toutes ces légions dégénérées vers la capitale.
Et, il serait temps, aussi, que je m’aperçoive que tout le monde à Argenteuil, plus de 100 000 habitants, part faire ses courses uniquement au centre commercial Côté Seine situé à moins de cinq minutes à pied de la gare d’Argenteuil centre ville. Paris ou d’autres villes ne sont jamais qu’à quelques minutes en train, en bus, à vélo ou en voiture, mais pourquoi les Argenteuillais se dispenseraient-ils d’aller faire toutes leurs courses au centre commercial Côté Seine ?
Considérée comme « une belle endormie » par l’un de ses anciens maires, Philippe Doucet, rival atavique du maire actuel, Georges Mothron, Argenteuillais depuis plusieurs générations et maire d’Argenteuil pour la troisième ou quatrième fois, Argenteuil aurait peut-être besoin, pour une meilleure représentativité politique, d’une Rachida Dati.
Non parce-que cette femme – extrêmement politique- m’est sympathique. Mais parce-que je la trouve impitoyable – en politique- et admirable pour cela.
Mais Rachida Dati, ancienne Ministre de la Justice, ne traversera pas la Seine pour devenir maire à Argenteuil. Non seulement parce-que je crois que Dati est méchante. Mais aussi parce qu’elle est déjà très bien placée en tant que maire du très friqué VII arrondissement de Paris depuis 2008 et qu’elle vise plutôt à devenir la prochaine maire de Paris. Anne Hidalgo, l’actuelle maire de Paris depuis 2014, n’a pas fini de l’apprendre.
Lorsque, depuis la gare St Lazare, je circule à vélo jusqu’à mon travail dans le 14 ème arrondissement de Paris, je n’en finis pas d’apprendre que les rues de Paris mais aussi celles du VIIème arrondissement sont souvent propres.
Une ville de paradoxes
Les rues d’Argenteuil peuvent être sales. Argenteuil est à la fois une ville de pauvres et de personnes plus aisées. Certains de ses bâtiments sont mal entretenus tandis que d’autres quartiers d’Argenteuil, pavillonnaires ou non, sont autrement plus présentables. C’est une ville de paradoxes. Elle a de très grands atouts. Elle a aussi ses grands travers.
2007, l’année où j’y suis arrivé, est une année où, dans l’immobilier, il y avait souvent plus d’acheteurs que de vendeurs. Argenteuil a aussi profité de ça tout en restant assez abordable. Proche des autoroutes A15, 115 et A86, mais aussi des villes d’Enghien Les Bains, d’Epinay sur Seine, de Sartrouville, Bezons, Colombes, d’Asnières mais aussi de Sannois et de Cormeilles en Parisis, en voiture, par le bus ou par le train. A mi-chemin, au moins par le train, entre Paris (à 11 minutes par le train direct) et la banlieue plus éloignée.
La ligne J qui dessert Argenteuil depuis la gare de Paris St Lazare ( en 11 ou 17 minutes par un train direct ou omnibus ) peut aussi transporter les voyageurs jusqu’à des villes telles que Gisors, Pontoise, Boissy L’Aillerie, Mantes la Jolie, Eragny, Herblay, Cormeilles en Parisis, Conflans Ste Honorine, Chanteloup les Vignes. Ces villes de banlieue voire de proche province peuvent être inconnues des millions de personnes habitant Paris ou les autres villes de la région d’île de France, Argenteuillaises et Argenteuillais inclus. Le nom de certains de ces villes peut même horrifier.
Chanteloup les Vignes ou Mantes la Jolie, par exemple, des villes de banlieue situées dans les Yvelines, connaissent aussi leurs moments de gloire médiatique sur la table de la loi des faits divers. Toutes deux sont sans doute reléguées et maintenues, comme Argenteuil, dans le « camp » ou dans la division des villes à redouter ou à éviter. Il est néanmoins possible de s’y rendre sans s’y faire trucider. Mais pour cela, encore faut-il déja être capable de sortir de son environnement résiduel et quotidien, et, si l’on prend le train, de percevoir la ligne J aussi comme une ligne de vie et non comme une ligne de déclin et de décès annoncé pour celle ou celui qui la prend ou la suit.
Mais, le plus souvent, on emprunte une ligne de train de banlieue, de métro ou de RER, parce-que l’on y est obligé ou que l’on a un projet vers certaines destinations. Il est encore assez rare, malheureusement et tristement, que l’on emprunte une ligne de train de banlieue, de métro, de RER ou de tramway pour le plaisir de voyager et de découvrir. Les principales raisons qui nous font prendre les transports en commun sont le travail, les amis et les rencontres amoureuses, les rendez-vous médicaux ou autres, les trajets pour nous rendre à un aéroport ou dans une gare d’où nous partons en voyage, les événements culturels et…les magasins. Et Paris est une ville pleine d’événements culturels et de magasins. Beaucoup plus que dans une ville comme Argenteuil. Quoi de plus normal, Paris étant la capitale de la France, une ville bien plus grande et bien plus peuplée qu’Argenteuil ( 10 millions d’habitants versus un peu plus de 100 000). Et Paris est aussi une capitale culturelle mondialement reconnue et recherchée.
En 2007, à Argenteuil, l’arrivée proche du tramway était annoncée comme une raison supplémentaire pour venir s’y installer. On peut sourire à se dire, que pour une ville si « proche » de Paris, un tel argument soit nécessaire afin de la rendre attractive. Mais Argenteuil était une ville dont on pouvait penser, malgré sa réputation, qu’elle était un bon choix stratégique pour l’avenir. C’était ce que je m’étais dit.
Lors de mes premières visites, à pied, en 2007, j’avais vu un jeune couple lesbien se diriger main dans la main jusqu’à la gare d’Argenteuil qui était alors inconnue des permanentes portes ( ou fosses) de validation.
En 2007, devant la gare d’Argenteuil alors encore libre, les mains des deux femmes s’étaient séparées. Elles s’étaient embrassées. Puis, l’une des deux s’était dirigée vers le quai pour Paris. C’était simple. Facile. Il n’y avait pas grand monde. Personne n’avait été choqué. Il n’y avait pas de vendeurs de cigarettes à la sauvette. Pas d’obstacle. Paris m’avait semblé bien plus proche.
Dans une des rues d’Argenteuil, toujours avant de me décider à venir y emménager, j’avais discuté avec un passant que j’avais croisé. Celui-ci m’avait répondu avec un sourire qu’il ne s’était rien passé à Argenteuil durant les émeutes de banlieue. Que c’était même « très calme ».
Après mon emménagement en avril 2007, j’avais ensuite découvert, près de chez moi, un centre ville avec une très bonne poissonnerie. Un très bon marchand de primeurs quoiqu’assez cher. Ainsi que le célèbre grand marché d’Argenteuil qui recrutait sa clientèle y compris parmi des personnes venant d’autres villes. Même s’il était plus petit et moins bien « qu’avant ».
Le personnel de la médiathèque, près de la mairie, était accueillant mais aussi très impliqué socialement.
La gare permettait d’être à Paris bien plus rapidement et plus agréablement que lorsque j’habitais à Cergy le Haut. Je n’avais plus à m’enfourner dans les tunnels du RER A à partir de Nanterre Préfecture comme je l’avais fait pendant plus de vingt ans. Enfin, de l’air !
Travaillant alors à Conflans Ste Honorine, en pleine heure de pointe, j’avais plusieurs fois été satisfait à la fois de pouvoir disposer d’un réseau de trains adéquat mais, aussi, d’être souvent à contre-courant de la foule. Et, lorsque j’avais besoin d’aller à Paris, sa proximité faisait le reste.
A partir de 2009, j’ai commencé à travailler à Paris. Et, depuis mon arrivée en 2007, j’ai peut-être assisté au fait qu’Argenteuil est à la fois une ville qui vieillit et qui meurt et aussi une ville qui se transforme.
Peu après mon arrivée, la très bonne poissonnerie a changé de propriétaire. Les produits ont très vite perdu de leur attrait pour moi. Cette poissonnerie a plus tard été l’objet d’un article tant ses produits étaient mauvais. Je l’ai appris par un des commerçants. Mais j’ai aussi appris par un autre commerçant que les huitres vendues par cette « nouvelle » poissonnerie étaient bonnes.
Le très bon – et cher- marchand de primeurs a pris sa retraite. Je le croise de temps à autre lors des élections. Il fait souvent partie du bureau électoral qui assure le bon déroulement des votes. De l’autre côté de l’avenue Gabriel Péri qui mène aussi à la mairie depuis le pont d’Argenteuil, un autre marchand de primeurs, où j’ai mes habitudes, a ouvert.
Plusieurs des sympathiques et engagés bibliothécaires du Val d’Argenteuil mais aussi d’Argenteuil sont partis ailleurs voire à la retraite.
Le tramway est arrivé à Bezons, à Asnières, à Epinay sur Seine. Il est prévu à Colombes. Mais pas à Argenteuil. Pour les jeux Olympiques de 2024, Colombes, une des villes très proches, a réussi à obtenir d’organiser deux événements. Les épreuves de compétition de hockey sur Gazon. Les entraînements des équipes de natation synchronisée. Lorsque l’on quitte Argenteuil par son pont et que l’on se dirige vers Nanterre par l’autoroute A86, on peut voir les nouveaux programmes immobiliers en cours dans la ville de Colombes. Ça bétonne dur.
Argenteuil aussi a concrétisé des programmes immobiliers. D’autres sont prévus. Mais le prix de l’immobilier, à Argenteuil, reste une énigme. Le marché locatif serait une aubaine. Pour qui a de quoi proposer un appartement à la location, Argenteuil serait une ville avantageuse.
Par contre, pour ce qui est de vendre un appartement à Argenteuil, on trouve un peu différentes sortes de cas de figure. Je connais des personnes qui ont été très contentes de la vente de leur appartement à Argenteuil. Je reste, pour ma part, plus réservé. Un agent immobilier que j’ai contacté début aout m’a peut-être permis de comprendre la raison pour laquelle le marché de l’immobilier, « sur » Argenteuil, est si particulier et peut être si déconcertant.
Argenteuil est une ville qui connaît de très forts contrastes. L’agent immobilier m’a parlé d’Argenteuil comme de la ville ayant le « plus grand écart type du Val d’Oise » concernant le prix du mètre carré. Ce qui donne un prix moyen au mètre carré globalement peu favorable, a priori, au vendeur chaque fois que des potentiels acquéreurs tapent sur internet « prix du mètre carré à Argenteuil ». A partir de là s’ensuit une certaine logique de prix et de négociation dans la tête des potentiels acquéreurs :
« Argenteuil, c’est pas cher ou on peut facilement marchander le prix ».
Et, cela reste possible jusqu’à un certain point dans la mesure où la réputation d’Argenteuil fait que l’on préfère encore habiter à Asnières ou à Colombes, deux villes du 92, proches, mais aussi plus chères, et qu’Argenteuil est sans doute encore un choix de raison plus qu’un choix de rêve ou de « passion » lorsque l’on se décide à acheter dans l’immobilier :
« Sois raisonnable, achète à Argenteuil » est sans doute plus fréquent que penser « Je kiffe cette ville d’Argenteuil. Je tiens absolument à venir m’y installer ».
Pour autant, à ce que je vois, depuis 2007, les agences immobilières d’Argenteuil ne ferment pas. Elles semblent plutôt avoir un peu augmenté en nombre. J’en connais même une qui s’est agrandie. J’avais eu affaire, d’ailleurs, à une de ses représentantes, la sous-dirigeante ou la femme du « patron » de cette agence, en 2013 ou 2014. Elle était venue évaluer mon F2 acheté au prix fort en 2007.
Après avoir tenu les murs de mon appartement pendant une heure, cette « professionnelle » de l’immobilier m’avait donné rendez-vous à son agence quelques jours plus tard. Tout ce cérémonial pour m’annoncer qu’elle me demandait de baisser le prix de vente de mon appartement assez drastiquement. En m’affirmant qu’autrement, je ne trouverais jamais preneur. Je m’étais fâché avec cette biomasse de suffisance qui m’avait pris pour un con. Je l’avais recroisée ensuite quelques fois dans Argenteuil. Elle avait fait attention de m’ignorer.
Pratiquement en face de l’agence de cette connasse, en traversant l’avenue Gabriel Péri, une autre agence immobilière m’avait ensuite trouvé une acheteuse intéressée me faisant une proposition supérieure de 15 000 euros à celle estimée très fiable par la connasse.
Proposition malheureusement encore inférieure de 6000 euros au prix de vente que j’attendais. Un prix de vente « raisonnable » fixé à la fois après plusieurs estimations mais aussi en tenant compte du prix d’achat (supérieur !) de mon appartement six ans plus tôt. Ce qui signifie que six ans après l’avoir acheté dans un immeuble ancien, mon appartement, un F2 pourtant bien situé en plein centre ville d’Argenteuil, avait perdu de sa valeur. Même si les agents immobiliers sollicités, chacun leur tour, avaient tenu à m’expliquer que ce n’était pas que mon appartement avait perdu de sa valeur mais…..
Les écoles à Argenteuil
Les écoles d’Argenteuil sont aussi, pour moi, un tracas. J’ai fini par découvrir qu’on habite différemment une ville selon que l’on s’y établit seul ou que l’on y élève ses enfants. Arrivé célibataire et sans enfant en 2007, mais aussi sans la moindre conscience de tout ça, je n’y avais jamais pensé en venant habiter à Argenteuil. J’étais aussi, sans doute, très confiant dans l’avenir. A la fois très optimiste mais aussi très naïf.
Au contraire, sans doute, de certains de mes proches et connaissances ayant fait le choix d’aller habiter dans d’autres villes mieux réputées ou plus fréquentables.
Il y a une vingtaine d’années encore, pourtant, à ce que j’ai pu entendre dire, les collèges publics d’Argenteuil, étaient bien voire très bien. Désormais, ces collèges sont ou seraient à éviter. Alors de plus en plus de parents, très tôt, dès la maternelle, se rabattent sur l’école privée Ste Geneviève qui s’est un peu agrandie ces cinq dernières années. J’ai connu des voisins qui avaient mis leur fille à l’école Ste Geneviève. Elle est aujourd’hui ingénieure et aurait un CV très recherché. Mais elle était allée à Ste Geneviève sans doute à peu près à l’époque où j’arrivais à Argenteuil. En 2007. Il était alors plus facile d’entrer à l’école Ste Geneviève. Ce que je connais de plus courant pour faire admettre son enfant à l’école Ste Geneviève tourne autour de : Il faut être l’enfant ou la sœur ou le frère de quelqu’un qui y a été scolarisé. Ou renouveler ses demandes plusieurs années de suite. Et relancer régulièrement l’école.
L’école publique, mais aussi le centre de loisirs, où se trouve encore ma fille m’a pourtant permis de rencontrer plusieurs enseignantes et enseignants, ainsi que des animateurs, dès la maternelle, très compétents et très impliqués. Des enseignants pour lesquels je continue de ressentir un mélange d’admiration, de reconnaissance et de sympathie. Mais dès le CE1, ma fille a dû apprendre à composer avec les absences, débutant l’année scolaire avec une enseignante, la terminant avec une autre à compter du mois de janvier. Sans compter que je ne peux m’empêcher de penser que ma fille a capté certains tics de langage et aussi certains comportements- contraires à mes limites comme à mes enseignements- dans son école et dans le centre de loisirs. Si chaque parent a à vivre ce genre d’expérience contraire à ses jugements et à ses préférences éducatives, ma déformation professionnelle (en pédopsychiatrie) me pousse néanmoins à croire que ma fille, dans son école et dans son centre de loisirs, a devant elle certains modèles répétés qui pâtissent de certaines carences éducatives. Ce qui nous oblige ensuite, sa mère et moi, à redoubler d’efforts à la maison pour rappeler à notre fille certaines règles. Pourtant, je suis pour la mixité. J’en suis d’ailleurs une des résultantes. Mais je suis pour la mixité lorsqu’elle ouvre et transcende. Pas lorsqu’elle fait régresser et se détourne de l’avenir. Parce-que l’avenir, c’est aussi aujourd’hui. Rester uniquement entre soi, ce n’est pas pour moi. Ce n’est pas mon projet.
Argenteuil est-elle une ville plus communautaire que d’autres ? Si je m’en tiens au peu que j’entrevois de certains codes sociaux dans certains milieux, y compris à Argenteuil, je dirais qu’Argenteuil est une ville aussi communautaire que d’autres. Mais plus vivante que d’autres. Argenteuil est une mappemonde. Comme Cergy-Pontoise. Ce sont deux villes où il y a beaucoup d’origines, beaucoup d’histoires diverses, mais dont très peu d’élites médiatiques rendent suffisamment compte. Sans doute parce-que, comme d’autres villes, de banlieue mais aussi de province, Argenteuil souffre beaucoup d’un certain parisianisme chevronné mais aussi exacerbé et fanatique. Et, ça, ce n’est pas près de changer. Car il faut, bien-sûr, que Paris reste la ville la plus belle de France.
La Nuit du 12, un film de Dominik Moll inspiré du livre 18.3 Une année à la PJ de Pauline Guena.
Les rencontres peuvent transformer une vie. Elles peuvent tuer, aussi.
L’héroïne de La Nuit du 12 est une victime. Elle meurt d’asphyxie, enfermée dans les gaz relâchés par ces flammes qui l’ont brûlée vive. Telles beaucoup de victimes, elle a la surprise de recevoir sa mort dans un endroit familier. A un moment où cette idée est pour elle complètement incongrue. Elle revient d’une fête. Elle est heureuse, seule, se sent libre, légère et en sécurité. Comme d’autres femmes avant et après elles et tant d’autres victimes (enfants, personnes vulnérables ou en état de vulnérabilité).
Entretemps, son meurtrier a pu l’attendre et su s’approcher d’elle avec d’autres projets.
La Nuit du 12 aurait pu s’appeler La Femme du 12 ou L’innocence du 12.
L’innocence, l’insouciance, la féminité, la joie et l’optimisme, même lorsqu’ils relèvent de l’évidence pour celle ou celui qui les incarnent, restent inflammables. Ils ne sont jamais définitivement acquis. Il faut apprendre à les protéger. Ce n’est pas donné à tout le monde de le savoir. La Nuit du 12 apporte une nouvelle fois la preuve que celles et ceux qui l’ignorent peuvent les perdre et en mourir.
Pour enquêter sur le meurtre de Clara (interprétée par Lula Cotton-Frapier), la police judiciaire, plutôt que la gendarmerie, est désignée. Elle est faite de professionnels. Le terme « professionnels » se conclut par « elles » mais ce sont tous des hommes. Blancs. L’enquête se féminisera et se métissera un peu vers les trois quarts du film avec l’ajout/l’atout d’une juge d’instruction (l’actrice Anouk Grinberg) et d’une jeune flic, Nadia (l’actrice Mouna Soualem).
A droite, Nadia ( l’actrice Mouna Soualem).
Mais au départ, l’enquête policière est exclusivement et activement masculine. Les femmes seront soit victimes, soit proches de la victime (la meilleure amie, la mère) soit éventuellement complices d’un des suspects.
Si les femmes servent souvent de sacrifice permettant aux hommes de s’élever, il y a toutefois des bonshommes dans La Nuit du 12 :
Les flics du départ du film comme du départ d’un feu.
Ces hommes sont des êtres étranges. La plupart de leurs rencontres et de leurs actions sont d’abord vouées au désastre. Il leur faudra pourtant les répéter des milliers de fois durant des années afin d’obtenir des résultats. Un crime, un délit, équivaut pour eux, non à la multiplication des pains mais à la multiplication de ces rencontres et de ces actions qu’ils vont devoir répéter. En renouvelant l’expérience du pire de l’humanité qui se révèle devant eux souvent avec désinvolture. Leur profession ressemble à une crucifixion avancée.
A un moment donné, ils ont appris leur leçon et le savent. Et deviennent presque aussi inquiétants et froids que les faits sur lesquels ils enquêtent et qu’ils annoncent aux proches des victimes.
Yohan ( l’acteur Bastien Bouillon)
Il y a pourtant de la prêtrise dans le personnage de Yohan (l’acteur Bastien Bouillon) le « chef » de la PJ qui a pris la relève du précédent chef parti à la retraite. Car on se demande comment lui et les membres de son équipe peuvent continuer d’ « aimer » ce genre de métier et continuer d’y croire, comme ils le font, avec rigueur et dévouement. Le film dure moins de deux heures. Mais une enquête pareille prend plusieurs années de leurs vies personnelles, lesquelles reçoivent bien des équivoques et des souffrances intimes qu’ils doivent également encaisser en parallèle.
Pourtant, ils s’accrochent. Ils continuent de récolter les effets de ces graines qu’ils n’ont ni semées ni demandées. Ils auraient de quoi se sentir persécutés ou damnés. Ils n’en n’ont pas l’air. Alors que le film donne à voir comme ils sont régulièrement immergés dans une vie fantomatique. Ainsi que dans une solitude froide et mathématique qui est tout ce qu’ils partagent – voire imposent- avec les proches de la victime ou avec leurs proches.
Nanie, ( l’actrice Pauline Serieys) la meilleure amie de la victime, Clara, face au flic de la PJ, Yohan ( l’acteur Bastien Bouillon) On a là un aperçu du très bon travail de photo et de cadrage effectué dans le film afin de restituer toute une ambiance de solitude, de distance entre les êtres, d’impuissance et de profonde souffrance tant de Nanie que de Yohan.
Tandis que les principaux suspects interrogés pètent le feu devant eux et continuent d’avoir une existence plutôt légère.
A voir le travail réalisé par ces femmes et ces hommes flics, mais aussi cette façon avec laquelle les proches de Clara essaient de continuer de vivre ensuite malgré tout, on se dit que La Nuit du 12 aurait également très bien pu s’appeler Ce qui reste de L’Humanité du 12.
La Nuit du 12 m’a au moins fait penser à des films comme : Elle est des nôtres( 2002) de Siegrid Alnoy; L’Humanité( 1999 ) de Bruno Dumont; Scènes de crime( 2000 ) de Frédéric Schoendoerffer; Memories of Murder ( 2004) de Bong Joon Ho ; The Pledge( 2001) de SeanPenn ; L.627 ( 1992) de Bertrand Tavernier.
L’un des personnages de La Nuit du 12 , Tourancheau ( joué par l’acteur Nicolas Jouhet), est sans doute un clin d’oeil à Patricia Tourancheau, journaliste et écrivaine spécialiste des affaires criminelles.
Cet article est un clin d’œil à Chamallow et à Raguse, lesquels ne sont pas spécialistes des affaires criminelles, si ce n’est qu’ils m’ont l’un et l’autre en quelque sorte rappelé d’aller voir ce film sorti ce 13 juillet 2022. Ils sauront se reconnaître sans qu’une enquête très poussée ne soit nécessaire s’ils lisent cet article.
Pour qui a entendu parler des Présidents de la République François Hollande, Emmanuel Macron ( et sa femme Brigitte Macron), des Ministres Fleur Pellerin, Aurélie Filippeti, Frédéric Mitterrand, Manuel Valls, François Bayrou. De l’ancien maire de Marseille (et sénateur) Jean-Claude Gaudin. D’autres personnalités politiques et médiatiques françaises. Des notes de taxi G7 de l’affaire « Saal ». Du journal Le Canard Enchainé. De Médiapart.
Pour qui veut ou voudrait « réussir ».
Mathieu Gallet nous était devenu très familier lorsqu’il était alors le jeune dirigeant (même pas 40 ans) de Radio France de 2014 à 2018. Laquelle Radio France connaissait une grave crise sociale sans précédent dont Mathieu Gallet avait été tenu pour le principal responsable.
Gallet avait le « profil » de ces jeunes ambitieux arrivés vite à de très hautes fonctions et dont le principe actif est de promouvoir leur carrière avant tous et malgré tout.
Dans son Jeux de pouvoir, Mathieu Gallet nous parle de tout « ça » et de ces à côtés que nous ne connaissons pas. « Nous », c’est officiellement le grand public. Et aussi, un « peu », certaines personnes qui ont été directement concernées par ces sujets abordés par lui dans son ouvrage. Des personnes qu’il cite par leur nom et leur prénom. Ce qui nous permet rapidement d’identifier la plupart d’entre eux en 2022 en lisant son ouvrage considéré comme un document par les éditions Bouquins.
Jeux de pouvoir est paru en Mai 2022. J’avais été étonné d’apprendre que la librairie de ma ville de banlieue pourtant proche de Paris (Argenteuil) était dans l’impossibilité de m’en commander un exemplaire. Je me suis alors imaginé que son livre dérangeait encore certaines « personnes » quelques années plus tard. Et qu’il y avait donc, dedans, un Savoir peu courant. Puisqu’aujourd’hui, Mathieu Gallet fait beaucoup moins parler de lui que lorsqu’il était jeune dirigeant de Radio France sous la présidence de François Hollande puis au début de la présidence d’Emmanuel Macron.
Aujourd’hui, Mathieu Gallet n’évoque plus grand chose pour le grand public comme entre 2014 et 2018.
A « l’époque », entre 2014 et 2018, pour moi, Mathieu Gallet aurait tout aussi bien pu être… Martin Hirsch. Dans son Jeux de pouvoir, Gallet ne mentionne pas, je crois, ( il me reste 90 pages à lire pour le terminer) Martin Hirsch. Puisque lui, Gallet, exerce alors dans la Culture tandis que Hirsch (à partir de fin 2013 jusqu’en juin 2022) exerce dans « la » Santé.
Mais le portrait de Gallet dans Le Canard Enchainé (dont je lis des articles depuis des années) me le rendait proche de ces énièmes dirigeants de l’AP-HP ( ce qu’était alors Martin Hirsch) quittant leurs fonctions paisiblement en laissant plein de gravats après leurs entreprises de démolition ainsi que beaucoup de merde dans les chiottes sans tirer la chasse.
L’ouvrage de Gallet est-il une entreprise de démolition délivrant plein de merde, aussi, sur la tête de certaines des personnalités qu’il nomme ?
Je peux comprendre que certaines de ces personnalités (au sens où ce sont des personnes « connues », « réputées », médiatisées et dont l’image que l’on se fait d’elles peut assurer ou détruire la suite de leur carrière) voient Jeux de pouvoir de cette manière. Gallet donne ses explications et celles-ci sont lisibles et plutôt bien argumentées. Il lui a été ou sera reproché de « donner » certains noms de ces personnalités qu’il critique. Mais, pour moi, c’est aussi parce qu’il donne ces noms et prend donc le risque d’être attaqué en justice en cas de diffamation que son livre acquiert d’autant plus de valeur et de légitimité.
Son Jeux de pouvoir est donc un livre à relire. Car ce qu’il écrit est selon moi une photographie de ce qui peut exister dans tout milieu policé, instruit et privilégié où se déroulent….des jeux de pouvoir qui échappent complètement à l’entendement du citoyen lambda.
Des jeux de pouvoir, pourtant, qui se répliquent ou peuvent se répliquer à l’infini, dans toutes les institutions d’une société.
A mon avis, ce que Mathieu Gallet raconte, existe aussi dans d’autres milieux dont on parle beaucoup moins ou peu. Quotidiennement. Là où évoluent tous les gens lambda, très éloignés et très oubliés de celles et ceux que l’on n’oublie pas.
Gallet parle de son homosexualité assumée ( il revendique seulement le droit à l’indifférence). Et du tort qu’a pu lui causer la rumeur de sa liaison avec Emmanuel Macron, alors candidat aux Présidentielles avant sa première élection (nous sommes désormais sous le deuxième mandat présidentiel d’Emmanuel Macron). En le lisant, on remarque à nouveau à quel point certaines épreuves très difficiles ne durent pas. Aujourd’hui, je me demande qui pense encore à cette rumeur. Et, pour ma part, j’avais assez peu fait attention à cette rumeur lorsqu’elle était médiatisée. Mais je comprends que pour Gallet, alors très médiatisé, dont la vie privée et professionnelle était très exposée, cette rumeur se soit muée en supplice supplémentaire. Et du supplice, on arrive assez vite au précipice.
Son livre m’a t’il rendu Mathieu Gallet plus sympathique et plus humain ?
Plus humain et plus proche, oui. Sympathique ? Je ne rencontrerai probablement jamais Mathieu Gallet pour savoir s’il m’est sympathique.
Car lui et moi, nous ne sommes pas du même monde. Moi, je me suis coupé du monde, d’un certain monde de la « réussite », là où lui a décidé, puis su et pu s’y propulser. C’est aussi ça que je lis dans son livre et que je me suis pris, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, en pleine figure. Même si Gallet (comme beaucoup d’autres) n’y est pour rien.
Dans Jeux de pouvoir, Gallet dit, aussi, avoir dû surmonter le fait d’avoir des origines sociales moyennes et de venir de province. Mais aussi que son homosexualité a pu être un obstacle à sa réussite. Mais je constate, que même en province, à Bordeaux, il a fait « les » bonnes voire les «très bonnes » études :
Hypôkhagne. Sciences Po…
Bordeaux, ce n’est pas Paris, c’est vrai. Surtout que Gallet a étudié dans le Bordeaux d’avant le TGV qui emmène à Paris en deux heures. Et qu’il existe à Paris une concentration d’élites dans des univers fermés où beaucoup se décide et se choisit. Des univers concentrés, exclusifs et fermés dont, moi, le banlieusard parisien de naissance et d’extraction, de classe moyenne, noir et d’origine antillaise, je n’ai aucune idée. Donc, les principes de Liberté, Egalité, Fraternité, pour moi et beaucoup d’autres, se sont sans doute souvent, dès mon enfance, résumés à l’équivalent de ces annonces publicitaires ou de ces bandes annonces que l’on regarde dans les salles de cinéma avant la projection du film. Il n’est pas nécessaire de venir de province pour vivre ça.
Mais, pour moi, Gallet ( qui ne s’en rend peut-être pas toujours compte ) a d’autres atouts qui lui ont permis de « réussir ». Même s’il vit- encore- mal le fait d’avoir dû quitter la direction de Radio France et les divers avantages qui vont avec :
Je ne perçois pas dans son livre le fait qu’il ait dû se battre contre sa famille pour faire ses hautes études, peu courantes dans sa famille. Et, il fait bien, aussi, de nous apprendre « qu’un » Emmanuel Macron ( « Notre » Président de la République pour la deuxième fois de suite) a grandi dans une famille de catégories sociales professionnelles supérieures. Emmanuel Macron à qui Gallet a pu être comparé : Des jeunes ambitieux qui font de très bonnes carrières. Comme Gallet fait bien de souligner qu’il a fait de moins bonnes études que Macron.
Mais je n’ai pas l’impression que Gallet ait eu à travailler à côté dans un métier éreintant pendant qu’il étudiait. J’ai plutôt l’impression, aussi, qu’il a toujours été aimé chez lui et eu une enfance et une adolescence plutôt « libre » y compris d’un point de vue amoureux. Ses histoires d’Amour ne me font pas penser à celle que j’ai pu apercevoir, un jour, d’une jeune fille et d’un jeune garçon, obligés de se cacher, dans ma ville, à Argenteuil, ville située à une dizaine de kilomètres de paris, en haut d’un toboggan, alors qu’il faisait nuit, pour se parler en cachette.
Enfin, Gallet, pour moi, c’est aussi un homme qui sait séduire. Si Gallet évoque son léger strabisme ( perceptible sur la couverture de son livre) qui lui a sans doute valu des quolibets et des humiliations, dans l’enfance et plus tard, Gallet sait indéniablement séduire.
Et, la séduction, qui plus est si elle est adossée à l’ambition mais aussi à une certaine combattivité, pour moi, c’est un atout supplémentaire pour « réussir », études ou non. Homosexualité ou pas.
Car, mise au service de l’ambition et escortée par une certaine combativité ( voire par une colère enfouie peut-être pour avoir vécu, plus jeune, certaines humiliations) la capacité de séduire, le fait de séduire, de plaire, la séduction, n’a ni âge, ni sexe, ni genre, ni frontière, ni parti politique, ni date, ni règle, ni principe, ni limite.
Si l’on sait séduire, et que l’on est ambitieux et combattif, on peut arriver à des endroits ou à des postes qui, « en principe », auraient dû ou auraient pu échoir à d’autres.
Et, je crois que Gallet est une très bonne illustration de ce que la capacité de séductionsociale, dans ces conditions, peut permettre d’obtenir.
Je ne remets pas en question l’étudiant ou le gros travailleur qu’est Mathieu Gallet. Je souligne simplement que ses « compétences » personnelles pour séduire lui ont aussi permis d’aller au delà de ce qu’il avait sans doute pu imaginer lui-même au départ de son existence et de sa conscience.
Comme Emmanuel Macron. Comme beaucoup d’autres. En politique ou ailleurs.
Jusqu’au moment où l’on plait moins à d’autres et que ceux-ci disposent, aussi, de suffisamment de pouvoir pour nous faire descendre de notre piédestal. Ce n’est pas une question de compétences. Ni de droiture morale. Et surtout pas de Justice. Mais d’avoir su plaire à qui il fallait au bon moment, de la bonne façon et au bon endroit.
Dans son livre, Gallet nous parle aussi de toutes ces personnes importantes à qui il a su plaire. Dont il s’est fait des amis. Cela fait du « monde ». Il est difficile de faire moins mondain que Gallet lorsqu’il nomme certaines personnalités qu’il compte parmi ses proches. Mais, aussi, lorsqu’il narre certains de ses voyages et visites. Au passage, il nous fait bien comprendre, aussi, qu’en matière de Culture, il s’y connaît. Contrairement à une Fleur Pellerin, ancienne Ministre- peu probante- de la Culture, avec laquelle il a été en conflit alors qu’il était dirigeant de Radio France.
Même si je n’ai pas encore terminé Jeux de pouvoir, sa lecture me plait. Mais je doute que mon plaisir de lecture n’apporte quoique ce soit de plus à un Mathieu Gallet ainsi qu’à celles et ceux qui lui ressemblent étant donné ce qu’ils savent déjà et ont appris bien avant moi.
Aussi, j’espère que ce livre m’apportera quelque chose et qu’il apportera aussi à d’autres.
« Quand je t’en parle, tu bégayes, c’est que t’as pas envie…. » ; « On s’est embrouillé, je t’aime pas ! » ; « Tu es incapable….. Je te jure, si tu refais ça, je te quitte ! ».
La première phrase de cet article a été prononcée dans une rue près de chez moi. La seconde, dans le train qui venait de quitter Argenteuil pour Paris. Et la troisième, dans le métro parisien. La chronologie n’a pas été respectée. Il a pu s’être passé plusieurs jours ou plusieurs semaines entre les trois « périodes ». Par contre, chaque phrase a été prononcée à chaque fois par une femme dont l’âge se situait, à première vue, entre 20 et 30 ans. Je ne leur ai pas demandé leur âge.
La première femme assez énervée était en train de remonter une rue près de chez moi tout en s’adressant à quelqu’un dans son téléphone portable. La seconde, assise dans le train direct pour Paris, parlait à un jeune homme qui, embarrassé, a envoyé des textos sur son téléphone portable. Ce jeune homme comptait beaucoup sur les réponses ou les conseils qu’il pouvait obtenir.
La troisième femme, tout en lançant son ultimatum à la tête de son copain, agitait son éventail devant elle. Son copain, assis à côté d’elle, près des portes du métro, s’est appliqué à rester calme. Mais, aussi, à consulter…son téléphone portable. La jeune femme, tout en continuant de s’éventer a jeté un coup d’œil sur le téléphone portable de celui qu’elle allait peut-être quitter s’il refaisait « ça ! ».
J’étais trop loin pour savoir ce qui correspondait à « ça ». Il y ‘avait trop de bruit dans le métro.
Un autre jour, dans un supermarché, j’ai aperçu un couple en train de passer à la caisse. Tandis que Monsieur, un homme proche de la trentaine, déposait les articles sur le tapis roulant, mon regard a croisé celui de Madame ou de Mademoiselle. Celle-ci portait des lunettes de soleil noires. Le contact visuel a peu duré. Je suis parti faire mes courses.
Quelques minutes plus tard, j’ai revu le couple alors qu’il quittait le parking du supermarché. Monsieur conduisait une superbe Mercedes neuve. Madame ou mademoiselle était confortablement installée, côté passager. La route semblait avoir été faite pour eux. Je me suis dit que pour elle, et pour d’autres, réussir son couple, c’était ça. Avoir un compagnon qui fait les courses et qui la conduit au volant d’une grosse Mercedes.
Mais le sujet de cet article est dans son titre : Personnalités fusionnelles. Ces quelques scènes décrites plus haut ne démontrent en rien que nous sommes devant des personnalités fusionnelles. J’ai décrit ces scènes pour indiquer que cet article est la suite ou le complément de ceux que j’ai déjà écrits à propos des livres de Mona Chollet et de Victoire Tuaillon cités au début.
J’ai aussi décrit ces scènes pour sourire et faire sourire.
Bien-sûr que des hommes peuvent, autant que des femmes, avoir des personnalités fusionnelles!
Après avoir choisi ce titre pour cet article, je me suis demandé s’il convenait bien pour ce dont je voudrais parler. Car « relations fusionnelles », « personnes fusionnelles », « personnalités dépendantes » me paraît tellement proche aussi de ce dont je voudrais parler.
Mais il faut bien choisir un titre. Et, il faut bien se lancer aussi. Cela doit bien faire une dizaine de jours que je pense à écrire cet article puis que je me rétracte. En me disant que cet article a assez peu d’intérêt. Qu’il fait trop « cérébral » ; qu’il va ennuyer toutes celles et tous ceux, qui, cet été mais aussi plus tard, ont surtout besoin de légèreté. Et non pas de quelqu’un qui va venir les encombrer avec des pseudo raisonnements tirebouchonnés à rallonge. Où est passée ma fantaisie ? Je ferais peut-être mieux de partir à sa recherche au lieu de circuler dans mon corbillard.
Je n’ai fait aucune étude sérieuse pour cet article. Je vais seulement allonger deux ou trois de mes pensées sur le sujet. En me fiant, aussi, au peu de mon expérience.
Il y a quelques années, j’ai eu une copine qui, assez vite au début de notre relation, m’avait dit être « fusionnelle ». Je ne me suis pas senti importuné. J’étais décidé à, enfin, avoir une relation sentimentale durable avec quelqu’un.
Elle me plaisait. Je m’entendais bien avec elle.
Notre relation avait duré cinq mois. Quelques jours avant notre rupture, elle s’était mise à pleurer dans le lit, chez elle, à mes côtés.
Elle ne s’y retrouvait pas dans notre relation. Ce n’était pas possible !
« Fin » stratège, et très grand psychologue, j’avais opté pour partir chez moi. Et pour la revoir un ou deux jours plus tard lorsqu’elle aurait retrouvé ses esprits.
A mon retour chez elle, j’avais retrouvé toutes mes affaires préparées près de la porte d’entrée.
Cinq mois plus tôt, au début de notre histoire, ma copine d’alors m’avait affirmé, chez elle :
« Tu es chez toi ».
Cinq mois plus tard, j’étais éjecté comme un déchet.
Même si elle avait pris le temps de « m’expliquer » la raison pour laquelle elle se séparait de moi, je garde vis à vis de cette rupture un certain sentiment de colère. Non pour la rupture. Une rupture est rarement agréable à vivre. Et j’en avais connu d’autres. Mais pour cette façon d’être évincé. Tout était déjà tranché avant même que je ne revienne chez elle. C’est ça que je n’ai pas aimé.
Dans ses explications, ma future ex s’était appliquée à être aussi transparente et humaine que possible. Elle me trouvait monotone. Déplorait que notre humour soit différent. Qu’elle ne riait pas à mes blagues. Et moi, aux siennes. Le flop.
Je me rappelle aussi de ce constat qu’elle avait fait devant moi :
« Tu es le plus gentil des garçons que j’ai connus. Tu m’apportes un équilibre et une stabilité ».
Je m’étais abstenu de lui dire que j’en déduisais donc qu’elle recherchait le déséquilibre et l’instabilité dans ses histoires d’Amour. Qu’on lui fasse mal. Puisqu’elle me jetait, moi, le garçon «le plus gentil » qu’elle ait connue et qui lui apportait « équilibre » et « stabilité » :
Ma future ex avait ( et a toujours sans aucun doute) un bien meilleur niveau socio-économique que le mien ainsi qu’un niveau d’études supérieur au mien. « L’équilibre » et la « stabilité » qu’elle avait mentionné était affectif et psychologique et aucunement économique.
Dans ses griefs, à aucun moment, ma future ex ne m’avait reproché de se farcir tout le ménage. Mais sans doute cela serait-il advenu avec le temps puisque depuis la lecture de Réinventer l’Amour et de Les Couilles sur la table, j’ai appris que la majorité des femmes, dans les couples, se retrouve surchargée par cette partie de la vie quotidienne. Avec l’éducation et les devoirs des enfants. Mais aussi l’organisation de la vie du couple.
Après une rupture, comme après tout événement difficile, il nous est souvent nécessaire de reprendre ou de retrouver notre souffle.
Mon ex avait raison : j’avais été beaucoup trop gentil avec elle. J’avais été si volontaire et si désireux que notre relation tienne que j’avais accepté qu’elle empiète sur mon espace et mon intimité. Je ne l’avais pas remise à sa place certaines fois où il aurait été justifié de le faire.
A plusieurs reprises, lors de notre relation, j’avais eu le sentiment d’étouffer lorsque, plein d’entrain, elle venait se coller à moi. Mais je n’avais rien dit. Je m’étais plutôt tenu à distance progressivement : froidement. Je ne savais pas comment m’y prendre avec ce genre de relation…fusionnelle. J’avais d’ailleurs oublié le mot. Pour moi, c’était une relation de couple. Et, j’étais volontaire.
Après ma rupture, j’avais retrouvé mon souffle en passant par la déprime, ma vie quotidienne, et une thérapie.
Ma première thérapie.
Car j’en étais arrivé à la conclusion qu’après cette énième rupture, je ne pouvais plus parler de malchance. J’avais néanmoins commencé à me dire que certaines personnes étaient « douées pour le bonheur » et que, moi, je n’en faisais pas partie.
Ma thérapeute, en écoutant notre histoire et celle de notre rupture, en avait conclu que mon ex et moi nous étions comportés comme » deux enfants apeurés ». Je n’en n’ai jamais voulu à ma thérapeute pour cette conclusion. Et je garde de ma thérapie de plusieurs mois avec elle et d’autres ( une thérapie de groupe qu’elle m’avait proposé et que j’avais accepté) un bon souvenir.
Ma vie quotidienne continuait malgré ma déprime. C’est à cette époque que je fis la rencontre, près de chez moi, à l’exposition Les Cinglés du cinéma, du rédacteur en chef du mensuel de cinéma papier Brazil : Christophe Goffette.
Grâce à cette rencontre, pendant deux ans et demi, jusqu’à l’arrêt de parution de Brazil, je fis l’expérience, avec d’autres, de journaliste cinéma. Une expérience qui m’envoya deux fois au festival de Cannes et qui me permit, aussi, de réaliser les interviews de réalisateur et d’acteurs que, bien-sûr, je n’avais jamais imaginé pouvoir rencontrer un jour.
Cette expérience, et d’autres, me permirent de mieux respirer. A nouveau.
Respirer est notre premier besoin. A la naissance, le bébé qui respire mal est placé sous assistance respiratoire. Car mal respirer affecte aussi notre cerveau. Le développement mais aussi les capacités de notre cerveau.
Apnée et autonomie
Je pratique un peu l’apnée dans un club. Un être humain, s’il s’entraîne à l’apnée régulièrement ou s’il a des facilités pour cela, peut se passer de respirer pendant deux à trois minutes pour la moyenne des êtres humains et jusqu’à huit ou neuf minutes pour les plus performants d’entre eux.
Le record du monde d’apnée statique sans équipement pour un être humain est de onze minutes et trente cinq secondes depuis l’année 2009. Record réalisé par le Français Stéphane Mifsud.
Je tiens à parler de l’apnée dans cet article car, en Anglais, « Apnée », se dit « Free Dive ». « Immersion » ou « Plongée » libre.
Par « Libre », il faut comprendre « autonome ». Sans équipement : sans bouteille comme les plongeurs bouteille.
Un être humain, lorsqu’il pratique l’apnée, selon son niveau de pratique mais aussi selon sa forme morale, physique et la température de l’eau, peut donc « tenir » entre deux et neuf minutes dans l’eau sans respirer. Et sans que sa santé morale ou physique soit affectée par cette apnée. S’il a tenu compte de ses limites, il peut même avoir du plaisir à pratiquer ces apnées.
Affectivement, je me demande dans quelle mesure les capacités d’autonomie de l’être humain peuvent se rapprocher de celles d’une personne qui pratique l’apnée :
Je me demande au bout de combien de minutes, en moyenne, un être humain a t’il besoin de reprendre contact avec un de ses semblables pour se sentir « bien ».
Cette durée sera évidemment variable selon les âges, selon les moments, selon les situations et selon les personnes.
Un bébé a, a priori, plus besoin d’être régulièrement en contact avec ses parents ou des personnes attentives et bienveillantes qu’un enfant de cinq ans ou qu’un adulte de trente deux ans. Sauf que le développement de certains modes de vie vient contredire ça.
Séparation/ Silence/ Lenteur :
Il y a plusieurs années, le Dr Bruno Rist, un des meilleurs- si ce n’est le meilleur- cliniciens avec lesquels j’ai travaillé, médecin chef (pédopsychiatre) du service où je travaillais alors, s’était amusé à nous voir avec nos téléphones portables. Sans doute étions-nous en train de manipuler notre portable ou d’envoyer des sms. Il nous avait alors dit en souriant :
« Cela veut dire que vous n’êtes jamais séparés ».
La séparation mais aussi le silence et la lenteur sont des situations et des périodes de notre vie que nous pouvons avoir du mal à soutenir. Beaucoup, dans nos vies, doit aller vite et doit s’entendre, être entendu ou vu. S’il y a séparation, s’ouvre le silence et peut-être l’oubli, la disparition, l’inconnu. Ce qui peut rapidement devenir difficile à vivre pour certaines personnes.
J’ai parlé de la « lenteur ». Mais « l’inaction » ou ce qui ressemble à de « l’inaction » ou à de « l’indifférence » peut être aussi difficile à vivre que « la lenteur ». Se retrouver face à quelqu’un qui nous donne l’impression que nous n’existons pas car elle ou il ne réagit pas « normalement » ou selon un langage que l’on peut « voir » et comprendre a aussi quelque chose de dérangeant.
La fusion avec l’autre, c’est la certitude qu’il ou qu’elle pense- rapidement- comme nous. Mais, aussi, qu’il ou qu’elle est- rapidement- avec nous.
La fusion est donc le contraire de la lenteur, de l’inaction, de l’indifférence, de la séparation et du silence. C’est le contraire de l’expérience de l’apnée où, lenteur, séparation (d’avec le temps, d’avec la surface, d’avec l’angoisse, d’avec l’agitation) et silence sont assez recherchés.
Nous sommes poussés régulièrement à être des personnalités fusionnelles. Nous avons nos smartphones. Nos milliers de sms et de mms quotidiens. Nos réseaux sociaux. Nos appels illimités. Nos écrans. Les multiples incitations publicitaires. Ce que nous percevons du bonheur supposé des autres.
L’un des travers de la fusion, en plus de la dépendance qu’elle entretient en nous, c’est qu’elle augmente le pouvoir de notre intolérance (à la frustration) :
Celle ou celui qui ne nous ressemble pas. Celle ou celui qui ne fait pas partie de notre clan ou de notre groupe. Celle ou celui qui ne colle pas- très vite- avec ce que l’on exige d’elle ou de lui. Celle ou celui qui ne pense pas- très vite- comme nous ou qui s’écarte un peu est jugé et condamné rapidement.
Un des exemples les plus courants de cela depuis quelques années se retrouve dans les « clashes » entre les rappeurs. Untel a « trahi ». Untel ne fait pas partie de telle tendance. Untel a dit ceci.
Cette sélection/exclusion par la fusion « marche » aussi pour les couples, les groupes d’amis. Mais elle peut également « marcher » dans le monde du travail entre collègues.
Notre tendance à la fusion s’étend de jour en jour. Elle permet des plus ou moins grandes rencontres. Elle en empêche aussi.
C’est ainsi que bien que volontaires pour certaines expériences, et malgré nos efforts, on peut être amené, un jour, en revenant, à retrouver nos affaires qui nous attendent contre un mur près d’une porte d’entrée. Il nous revient alors de savoir plier bagage afin d’aller retrouver de l’air ailleurs.