Catégories
Puissants Fonds/ Livres

Les Argonautes, un livre de Maggie Nelson

Les Argonautes, un livre de Maggie Nelson.

 

 

Maggie Nelson est une femme de l’ĂȘtre. Debout dans mon train, que j’ai attrapĂ© de justesse, alors que je suis en transit entre ma ville de banlieue parisienne et la gare de Paris St Lazare, je me rĂ©pĂšte cette phrase.

 

Maggie Nelson est une femme de l’ĂȘtre.

 

D’aprĂšs sa photo en mĂ©daillon au dĂ©but du livre, Maggie Nelson est l’AmĂ©ricaine « typique Â», blonde, yeux clairs, regard direct, sourire Ă©vident, plutĂŽt jolie, svelte, fit.

 

Cette fille, née en 1973, respire la vie.

 

Mais les Etats-Unis, c’est de lĂ  que « vient Â» Maggie Nelson, est aussi le pays des positions extrĂȘmes. Et, Maggie nous jette dans le refrain de ses extrĂȘmes dĂšs la premiĂšre page de son livre coupĂ©e en deux. Une partie autobiographique oĂč elle nous encule en nous parlant de son Amour pour son compagnon Harry, nĂ©e femme, pĂšre d’un petit garçon. Puis, une autre, thĂ©orique ou conceptuelle, oĂč elle nous parle de Wittgenstein :

 

« Avant notre rencontre, j’avais consacrĂ© ma vie Ă  l’idĂ©e de Wittgenstein selon laquelle l’inexpressible est contenu – d’une maniĂšre inexpressible ! dans l’exprimĂ© (
.) Â».

 

C’est ce que l’on appelle ĂȘtre une fille bordĂ©e par une cĂ©rĂ©bralitĂ© plutĂŽt exacerbĂ©e. Et, dĂšs ce passage, l’intellectualitĂ© poing fermĂ© de Maggie Nelson me bouscule. Son compagnon Harry a donc vraiment quelque chose de particulier pour avoir non seulement pu la rendre hautement amoureuse mais aussi pour ĂȘtre capable de lui donner la rĂ©partie lors de leurs dĂ©bats. Car, durant son livre de plus de deux cents pages, Maggie Nelson va alterner avec des passages de sa vie et des rĂ©fĂ©rences poussĂ©es aux Ɠuvres de diverses personnalitĂ©s pour nous parler d’identitĂ©, de « genre Â», du « queer Â», de « binaritĂ© Â», « non-binaritĂ© Â» mais aussi de la famille, de la norme, l’Amour, de la solitude, du deuil, de la sexualitĂ©, du couple, du mariage, de la parentalitĂ©, de la grossesse et de la maternité  :

 

Eula Biss, Deleuze, Eve Kosofsky Sedgwick, Susan Fraiman, Lee Edelman, Michel Foucault, Judith Butler, Anne Carson, Luce Irigaray, D.W Winicott, Pema Chödrön, Leo Bersani, Elizabeth Weed, Susan Sontag, Jane Gallop, Rosalind Krauss, Jacques Lacan, Janet Malcolm, Kaja Silverman, Eileen Myles, Beatriz Preciado, Alice Notley, Audre Lord, Deborah Hay, Sara Ahmed, Roland Barthes 
.

 

Les travaux mais aussi les noms de ces auteurs et de ces personnalitĂ©s sont sĂ»rement familiers Ă  des universitaires comme Maggie Nelson entraĂźnĂ©s Ă  les triturer ainsi qu’à celles et ceux dont la vie personnelle requiert la comprĂ©hension et la connaissance des ouvrages de ces personnalitĂ©s. Maggie Nelson et son compagnon Harry sont de ces personnes qui possĂšdent cette double caractĂ©ristique.

 

Pour ma part, jusqu’à maintenant, j’ai plutĂŽt vĂ©cu Ă  cĂŽtĂ© de l’expĂ©rience de toutes ces personnalitĂ©s. Aussi, en lisant  Les Argonautes, j’ai connu bien des absences de comprĂ©hension. Bien des fois, il m’aurait presque fallu, comme lorsque l’on fait des mots croisĂ©s, un endroit oĂč l’on peut trouver et vĂ©rifier les bonnes rĂ©ponses.  Cela ne figure pas dans Les Argonautes. Pour cette raison, sa lecture m’a Ă©tĂ© difficile et m’a pris du temps.

 

Plus de deux mois. Et, je prĂ©fĂšre (me) dire que j’ai peu compris ce que Maggie Nelson a pu extraire des diverses rĂ©flexions de ces auteurs qu’elle cite plutĂŽt que de me ridiculiser en affirmant m’y ĂȘtre senti comme chez moi. Et d’ouvrir le gaz alors que je crois allumer la lumiĂšre. PremiĂšre conclusion immĂ©diate, jamais, je n’aurais pu convenir Ă  une Maggie Nelson et la sĂ©duire.

 

La tranche autobiographique de Les Argonautes, elle, m’a par contre Ă©tĂ© plus « facile Â» Ă  suivre, page 37 :

 

« (
.) Mon beau-pĂšre avait ses dĂ©fauts, mais tout ce que j’avais pu dire contre lui est revenu me hanter, maintenant que je sais ce que c’est que de se tenir dans cette position, d’ĂȘtre tenue par elle.

Quand tu es une belle-mĂšre, peu importe Ă  quel point tu es merveilleuse, peu importe l’amour que tu as Ă  donner, peu importe Ă  quel point tu es mĂ»re ou sage ou accomplie ou intelligente ou responsable, tu es structurellement vulnĂ©rable Ă  la haine ou au mĂ©pris ; et il y a si peu de choses que tu puisses faire contre ça, sinon endurer et t’employer Ă  cultiver le bien-ĂȘtre et la bonne humeur malgrĂ© toute la merde qui te sera balancĂ©e Ă  la gueule Â».

 

Je lisais encore Les Argonautes, je crois, lorsque je suis allĂ© voir le film Les enfants des autres de Rebecca Zlotowski. Le personnage interprĂ©tĂ© par l’active actrice Virginie Efira ( inspirĂ© de la vie personnelle de la rĂ©alisatrice) se reconnaĂźtrait dans ce passage.

 

Le rĂŽle jouĂ© par Virgine Efira dans Les enfants des autres est celui d’une femme qui ne peut pas ou ne peut plus enfanter mais qui est disposĂ©e Ă  (se) donner son amour maternel Ă  la fille de celui qu’elle aime, interprĂ©tĂ© par l’acteur Roschdy Zem.

 

Maggie Nelson, elle, est aimĂ©e de Harry qu’elle n’a pas Ă  partager avec un ex ou une ex. Et, elle est aussi une Ɠuvre d’endurance et de bien-ĂȘtre. Entre son rĂŽle de fille qui a perdu son pĂšre, de belle-mĂšre du fils de Harry, de compagne amoureuse qui entoure son mari (Harry) « en cours de transition Â», de personne et d’universitaire queer qui refuse de faire la retape de la norme patriarcale et hĂ©tĂ©rosexuelle puis de femme qui, la trentaine passĂ©e, aspire Ă  devenir mĂšre en recourant Ă  l’insĂ©mination artificielle, Maggie Nelson porte beaucoup.

 

Y compris, je trouve, une partie de la « masculinitĂ© Â» de son mari, Harry Dodge, un artiste, qui est pourtant avant leur rencontre une personne qui s’affirme dĂ©jĂ  comme un homme.

Cependant, Maggie Nelson nous parle de Harry de telle façon que nous voyons un homme, chaque fois qu’elle le mentionne. Avant mĂȘme que celui-ci ne soit opĂ©rĂ© et lorsqu’elle nous raconte ensuite lui faire ses injections de testostĂ©rone. En cela, et je peux imaginer que cela pourrait dĂ©plaire au couple que forment Harry et Maggie, il me semble que Maggie Nelson, en tant que « femme Â», contribue aussi Ă  faire de sa moitiĂ© un homme. Son regard et sa pensĂ©e de femme sur sa moitiĂ© (Harry) me fait un peu l’effet du pollen sur la fleur.

 

PhĂ©nomĂšne plutĂŽt courant, finalement, car la biologie ne peut se suffire Ă  elle-mĂȘme pour former ou Ă©tablir des rĂŽles durables entre ĂȘtre humains :

Il ne suffit pas d’ĂȘtre une femme et un homme biologiquement fertiles pour ĂȘtre instinctivement mĂšre et pĂšre lorsque le bĂ©bĂ© naĂźt. Il faut aussi suffisamment de volontĂ©  mais aussi la capacitĂ© ou la soliditĂ© Ă©motionnelle et affective pour l’ĂȘtre.

 

A la fin de son livre, Maggie Nelson nous le dĂ©montrera autrement que thĂ©oriquement en nous parlant des parents biologiques de Harry que celui-ci recherchera. Harry, vers la trentaine, retrouvera sa mĂšre biologique, lesbienne sĂ©parĂ©e de son pĂšre, ainsi qu’un de ses frĂšres restĂ© vivre avec leur pĂšre, dĂ©crit comme un homme violent. On apprendra qu’Harry, nĂ©e fille, Ă©duquĂ©e avec amour par ses parents adoptifs, s’en est bien mieux sorti, que son frĂšre ( Ă©levĂ© par leur pĂšre biologique) devenu toxico cumulant les incarcĂ©rations, et, sans doute, leur propre mĂšre biologique.

 

 

La pensĂ©e trĂšs technique de Maggie Nelson, lorsqu’elle cite certains auteurs, m’a plusieurs fois distancĂ© mais elle m’a, aussi, plus d’une fois averti.

Lorsqu’elle parle du film X-Men, le commencement, regardĂ© avec Harry, on voit par exemple ce film commercial grand public, inspirĂ© de comics amĂ©ricains lus par des millions d’enfants et d’adolescents de par le monde depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations, autrement que comme nous pousse gĂ©nĂ©ralement Ă  le faire, la pensĂ©e « mainstream Â», superficielle et hĂ©tĂ©ro.

 

A la fin de Les Argonautes, l’autobiographique et un certain humour prennent le dessus comme elle nous raconte sa grossesse puis son accouchement et sa maternitĂ©, concomitante, avec  la « testostĂ©ronisation Â» d’Harry. Il est alors trĂšs drĂŽle de voir Harry adopter certains traits caricaturaux prĂȘtĂ©s aux hommes. Des traits dont bien des femmes « fĂ©ministes Â» se plaignent.

 

Et, paradoxalement, alors que Maggie Nelson, durant tout son livre,  s’est opposĂ©e- avec Harrry- Ă  certaines normes de genre, on peut se demander si ĂȘtre une femme et un homme se rĂ©sume Ă  une somme d’hormones, page 206 :

 

« (
.) J’ai une phobie de la salle de bain. Jessica veut sans cesse que je fasse pipi, mais m’asseoir ou m’accroupir est impensable. Elle me rĂ©pĂšte que je ne peux pas arrĂȘter les contractions en restant immobile, mais je pense que je peux. Je suis allongĂ©e sur le cĂŽtĂ©, je serre la main de Harry ou celle de Jessica. Debout comme pour danser un slow avec Harry, je fais pipi sans le vouloir, puis encore une fois dans le bain, oĂč des secrĂ©tions de mucus rouge sombre commencent Ă  flotter. Incroyable : Harry et Jessica se commandent de la nourriture et mangent Â».

 

Les Argonautes, paru en 2015 dans sa version originale, publiĂ© en Français en 2017, est un livre qu’il faut prendre le temps de lire et de relire.

 

Franck Unimon, ce mardi 18 octobre 2022.

 

 

 

 

Catégories
Cinéma

La Cour des miracles, un film de Carine May et de Hakim Zouhani

La Cour des Miracles un film de Carine May et Hakim Zouhani

 

 

Au travers de certains films, on peut quelques fois voir dans le cinéma comme dans le ciel ou la terre, ce qui pousse tous les jours autour de nous.

 

J’ai vu trois films au cinĂ©ma hier et aujourd’hui. Cela ne m’est pas beaucoup arrivĂ© depuis que je suis devenu pĂšre de voir trois films en un jour et demi. Le premier film a Ă©tĂ© La Cour des Miracles de Carine May et Hakim Zouhani. Je me devais d’aller le voir.

 

Le premier miracle de Carine May et de Hakim Zouhani, derriĂšre celui de leur premier passage au long mĂ©trage aprĂšs plusieurs courts et moyens mĂ©trages, tels que La Rue des CitĂ©s,  La VirĂ©e A Paname et Molii , est d’avoir pu faire une rĂ©serve de leur comĂ©die.

 

L’acteur Gilbert Melki.

 

La banlieue parisienne, en Seine Saint Denis, l’inĂ©galitĂ© des expĂ©riences et des chances malgrĂ© les atouts dont on dispose et la vitrine de la rĂ©ussite parisienne gĂ©ographiquement proche mais historiquement et Ă©conomiquement Ă©loignĂ©e sont quelques uns des thĂšmes abordĂ©s dans les films de Carine May et de Hakim Zouhani. Devant leur film, on peut -aussi- penser au documentaire La Cour de Babel rĂ©alisĂ© en 2013 par Julie Bertuccelli.

 

Quand Kielowski, dans les annĂ©es 90,  avait rĂ©alisĂ© sa trilogie Trois couleurs Bleu, Blanc et Rouge, il ne nous parlait ni de banlieue ni d’école publique mais de certaines Ă©preuves morales. AprĂšs avoir vĂ©cu ces Ă©preuves morales, et en avoir fait le deuil, on pouvait encore rĂȘver. Devant La Cour des Miracles, c’est beaucoup plus difficile. Je me dis que la Man Tine du dĂ©but du 20Ăšme siĂšcle de Rue Cases NĂšgres (l’Ɠuvre de Joseph Zobel adaptĂ©e en 1983 par Euzhan Palcy) avait plus d’espoir pour son petit JosĂ© que nous ne pouvons en avoir pour l’avenir  des enfants de l’école PrĂ©vert de La Cour des Miracles.

 

Les actrices AnaĂŻde Rozam ( Marion, l’idĂ©aliste) et Rachida Brakni ( Zahia, la directrice de l’Ă©cole Jacques PrĂ©vert).

 

A ces sujets, proches de la chanson It noh funny de LKJ dans les annĂ©es 80, on pourrait prĂ©fĂ©rer regarder un nouveau combat de MMA, une nouvelle dystopie  ou Ă©couter un titre de Dua Lipa. Cependant, Carine May et Hakim Zouhani parviennent Ă  nous tirer vers leur optimisme.

 

« Ce n’est pas contre vous. Vous, vous dĂ©fendez votre Ă©cole et, moi, je dĂ©fends mon enfant ! Â» dira Mme Nedjar, un des principaux personnages antagonistes du film                ( interprĂ©tĂ© avec dĂ©lice par l’écrivaine FaĂŻza GuĂšne ) la mĂšre d’un des enfants scolarisĂ©s Ă  l’école PrĂ©vert Ă  sa directrice, Zahia, interprĂ©tĂ©e par Rachida Brakni.

Carine May et Hakim Zouhani, eux, dĂ©fendent leur vision- fĂ©ministe et Ă©galitaire- du monde comme leur usage du cinĂ©ma. Ils nous montrent des visages et un univers que nous voyons encore assez peu sur grand Ă©cran. La banlieue qu’ils filment (Paris, pour changer, n’y est jamais montrĂ©e)  n’est ni une expo de racailles ni une fontaine de crackeux. Leur casting est aussi Ă  l’image de la mixitĂ© sociale Ă  laquelle ils aspirent. Puisqu’il est composĂ© de Rachida Brakni et de Gilbert Melki, des acteurs rapidement identifiables, pour leur carriĂšre ou pour certains de leurs rĂŽles « sociĂ©taux Â» (Brakni dans Neuilly, sa mĂšre) et d’acteurs et de personnalitĂ©s vus et entendus ailleurs tels que FaĂŻza GuĂšne, donc, mais aussi Disiz, Steve Tientcheu ou Mourad Boudaoud. La photo de l’affiche de leur film ressemble Ă  ces photos de classe d’il y a « longtemps Â» dans les Ă©coles publiques, d’il y a trente ou quarante ans.

Les acteurs AnaĂŻs Rozam, Disiz et Mourad Boudaoud.

 

Franck Unimon, ce vendredi 30 septembre 2022

Catégories
Addictions

La ferveur de Marmottan

A la Cigale, le vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Le poing levĂ©, Alain, un des accueillants de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

La ferveur de Marmottan

 

( en cliquant sur ce lien , Ă  droite, une petite vidĂ©o apparaĂźt ) Hommage de M.Hautefeuille aux anc de Marmottan .   

Cet article fait suite Ă  Les cinquante Temps de Marmottan. 

 

Marmottan, le service d’accueil et d’hospitalisation spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, situĂ© dans le 17 Ăšme arrondissement de Paris, rue ArmaillĂ©, prĂšs des Champs ElysĂ©es, a longtemps fait partie, pour moi, de ces services connus pour eux-mĂȘmes. Porteurs d’un nom et d’une identitĂ© qui se suffisent Ă  eux-mĂȘmes pour parler d’eux. Un peu comme cela a pu ĂȘtre le cas pour Miles, qui reste mon musicien prĂ©fĂ©rĂ©, mĂȘme plus de trente annĂ©es aprĂšs sa mort. MĂȘme aprĂšs avoir, depuis, aimĂ© dĂ©couvrir et Ă©couter d’autres artistes. Tout est fonction de la pĂ©riode de notre vie au cours de laquelle on a effectuĂ© certaines rencontres et du tournant que, pour nous, ces rencontres ont permis.

 

Je sais que Miles avait Ă©tĂ© un temps hĂ©roĂŻnomane et alcoolique. « Comme Â» d’autres artistes de son Ă©poque, avant ou aprĂšs lui. Et, pour moi, Miles et Marmottan Ă©taient nĂ©anmoins deux bras et deux endroits bien distincts, l’un de l’autre. Puisque Miles, lui, officiellement, s’en Ă©tait sorti.

 

 

Le service Marmottan, placĂ© prĂšs du musĂ©e Marmottan  (qui, a priori, ne lui est pas apparentĂ©), faisait de toute façon partie, pour moi, de ces Ă©clats de la SantĂ© mentale. J’en avais entendu parler, moi le jeune infirmier diplĂŽmĂ© d’Etat qui, malgrĂ© ma culpabilitĂ© dans le fait d’abandonner la souverainetĂ© technique des services de mĂ©decine et de chirurgie, avait choisi, finalement, de venir travailler en psychiatrie adulte.

 

J’avais sĂ»rement entendu parler de Marmottan par des collĂšgues, infirmiers diplĂŽmĂ©s en soins psychiatriques, plus ĂągĂ©s et plus expĂ©rimentĂ©s que moi.

 

Comme j’avais aussi entendu parler, par eux, du CPOA, des quatre UMD (UnitĂ©s pour malades difficiles) qui existaient alors : Cadillac, Sarreguemines, Mont Favet, Carhaix. Mais aussi, sans doute ou peut-ĂȘtre, de la clinique La Borde….

 

Plus tard, j’entendrais parler d’éthno-psychiatrie de Tobie Nathan et de Devereux, de pĂ©dopsychiatrie, d’unitĂ©s mĂšres-bĂ©bĂ©, d’Anzieu et d’autres.  Avant de dĂ©couvrir des lieux et des personnes, ce sont souvent, d’abord,  des noms.

 

Et puis, j’avais d’abord Ă  apprendre Ă  me dĂ©bourrer de certaines pensĂ©es, de certaines croyances et certitudes mais aussi de certaines ignorances. Et, pour cela, le premier service d’hospitalisation en psychiatrie adulte oĂč je commençais Ă  apprendre un peu plus Ă  devenir adulte Ă  Pontoise fut un grand bienfait.

 

Et un mal.

 

Car la psychiatrie institutionnelle, selon les Ă©poques, les tournants, les orientations et les Ă©quipes peut Ă  la fois construire mais aussi enfermer. Et, on peut aussi aimer s’enfermer si cela nous protĂšge et nous rassure. MĂȘme si on s’en plaint peu Ă  peu.

Photo prise Ă  Marmottan le samedi 4 DĂ©cembre 2021, lors du week-end portes ouvertes de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

 

D’autant que, plus jeune, mĂȘme si l’on est supposĂ© avoir la vie devant soi et que l’on aime la littĂ©rature de Romain Gary, on est aussi trĂšs myope, trĂšs Ă©troit d’esprit et on peut manquer de curiositĂ©. Ou on peut ĂȘtre trĂšs ou trop inquiet Ă  l’idĂ©e de devoir changer de vie, de s’éloigner de ce que l’on connaĂźt. On se laisse donc envelopper et Ă©treindre par les contours des cercles qui nous ressemblent et qui nous permettent d’entrer, ou  de stagner, entre amis ou connaissances, dans un monde d’adultes qui nous rassure. Sans prendre trop de risques. Ou seulement ceux qui nous apparaissent connus et mesurĂ©s. On peut avoir dĂ©jĂ  tellement peur du monde et de la vie adulte que l’on ne va pas en rajouter avec certaines de ces substances dont on avait entendu parler ou commencĂ© Ă  cĂŽtoyer, un peu, Ă  partir de l’adolescence :

 

Le cannabis, principalement, un peu l’hĂ©roĂŻne. Le tabac et l’alcool ayant des statuts soit plus acceptables soit plus familiers. Et puis, si l’overdose puis la transmission du VIH pouvaient faire peur pour leur possible immĂ©diatetĂ©, entre 12 et 20 ans et encore aprĂšs, on ne pensait pas nĂ©cessairement au cancer ou Ă  la cirrhose du foie tandis que d’autres fumaient devant nous ou se prenaient des cuites, terminant leurs soirĂ©es Ă  quatre pattes tels des lĂ©vriers en fin de course prĂšs d’un Ă©vier ou les deux pattes surĂ©levĂ©es au dessus d’une cuvette des toilettes pour ne pas sombrer dans ce que l’on y rejetait.

 

Lorsque l’on entre dans l’ñge adulte, on est, alors, dans la force de l’ñge. Sexuellement, physiquement, socialement, intellectuellement. Aussi, peut-on, doit-on mĂȘme, se permettre quelques petits excĂšs. Car ensuite, il sera trop tard. Et puis, si on ne peut pas un peu s’amuser


 

A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes le 3 et 4 décembre 2021.

 

 

Le service Marmottan est sans doute restĂ© longtemps « loin Â» de moi, physiquement et psychologiquement, parce-que, de cette maniĂšre, sans doute, je restais Ă  une distance prudente – et mesurĂ©e- de l’aiguille de certaines de mes peurs et inquiĂ©tudes. Car gĂ©ographiquement, toutes les fois oĂč je me suis rendu sur les Champs ElysĂ©es, pour aller au cinĂ©ma ou au Virgin MĂ©gastore, oĂč mĂȘme lorsque j’étais allĂ© Ă  la Fnac lorsqu’elle se trouvait avenue de Wagram, je n’étais pas trĂšs loin de Marmottan.

Mais, aussi, à aucun moment, je ne fis le rapprochement entre ce Francis Curtet que ma prof principale de 3Úme nous avait un jour proposé de rencontrer dans notre collÚge Evariste Galois de Nanterre, en 1982 ou 1983
et Marmottan.

 

M.Hautefeuille parle d’anciens de Marmottan ( en cliquant sur ce lien Ă  gauche, vidĂ©o). 

 

En dĂ©cembre dernier, en 2021, j’ai pu faire le rapprochement entre Francis Curtet et Marmottan.

 

En dĂ©cembre dernier, Marmottan a fĂȘtĂ© ses cinquante ans Ă  la salle de concerts de la Cigale. Entre-temps, des annĂ©es avaient passĂ©. Et j’avais appris, depuis, oĂč se trouvait Marmottan dans Paris. J’y avais effectuĂ© quelques remplacements et j’y avais mĂȘme postulĂ© afin d’y travailler.

 

La salle de la Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2021 avant que ne dĂ©bute le cinquantenaire de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

 

C’était la premiĂšre fois que je me rendais au cinquantenaire d’un service. Je n’ai pas pu m’empĂȘcher de penser que le choix d’une salle de concert avait Ă©tĂ© fait aussi pour bien fĂȘter cet Ă©vĂ©nement historique. Car j’appris lors du cinquantenaire que lors de la crĂ©ation et de l’ouverture de Marmottan, en 1971, que Claude Olievenstein, son premier mĂ©decin chef -qui fut novateur dans le traitement des addictions – pensait que le service aurait une existence brĂšve.

 

Photo©Franck.Unimon

 

Marmottan n’est pas mort

 

Lorsque j’écris maintenant qu’en ouvrant Marmottan, Claude Olievenstein et ceux qui furent alors Ă  ses cĂŽtĂ©s, furent novateurs dans le traitement des addictions, cela peut ĂȘtre abstrait pour beaucoup de personnes. Car, d’abord, qu’est-ce qu’une addiction ?

 

Il faudrait déjà commencer par le savoir.

 

Pour ma part, je prĂ©fĂšre sourire lorsque je repense au fait que, trĂšs sĂ»r de moi, il y a environ trois ou quatre ans maintenant, j’avais rĂ©pondu Ă  Mario Blaise (dĂ©ja mĂ©decin chef  de Marmottan) qui venait de me demander si j’avais des addictions :

 

« Non ! Je n’ai pas d’addiction ! Â».

 

J’aurais pu rĂ©pondre «  Pas de ça entre nous ! Â» que cela aurait Ă©tĂ© pareil.

 

 

Mais j’ai un autre exemple de cet esprit novateur de Marmottan. J’aime lire de temps Ă  autre la trĂšs bonne revue bimestrielle, assez peu connue finalement, Sport & Vie. Dans le dernier numĂ©ro de Sport & Vie, le numĂ©ro 194 de Septembre/Octobre 2022 l’article intitulĂ© L’amour chimique nous parle de « Chemsex Â». Dans cet article, selon moi trĂšs bien rĂ©digĂ©, le rĂ©dacteur, Olivier Soichot, prĂ©cise dans un passage :

 

« (
.) Dans le livre de Jean-Luc Romero-Michel, plusieurs phĂ©nomĂšnes se tĂ©lescopent douloureusement. Notamment la mĂ©connaissance presque totale qui caractĂ©rise encore le chemsex en France. Avant le dĂ©cĂšs de son mari, l’auteur lui-mĂȘme confesse qu’il en avait vaguement entendu parler mais sans se douter une seconde que son compagnon y avait recours Â».

 

L’article de la revue Sport & Vie consacrĂ© au chemsex.

 

Peut-ĂȘtre qu’un certain nombre des lectrices et lecteurs de Sport & Vie, pour celles et ceux qui connaissent ce bimestriel,  ou que plusieurs lectrices et lecteurs de mon article, dĂ©couvriront en cet automne 2022 ce qu’est le chemsex.

 

De mon cĂŽtĂ©, cela fait dĂ©sormais deux ou trois ans que  j’ai dĂ©couvert l’existence du chemsex. Lors de mes remplacements Ă  Marmottan. A Marmottan, plus que dans un service de psychiatrie ou de pĂ©dopsychiatrie, je trouve, les patients informent les soignants de certaines de leurs pratiques. C’est aussi de cette façon que l’on peut apprendre son mĂ©tier en tant que soignant et en tant qu’accompagnateur. Et, ensuite, mieux aider celles et ceux dont on « s’occupe Â». Cet Ă©change de Savoirs contribue Ă  instaurer plus facilement une relation de confiance mais aussi une certaine Ă©galitĂ© entre le patient et le soignant.

 

Dans un service de psychiatrie ou de pĂ©dopsychiatrie, une relation de confiance avec le patient ( ou le client ) est aussi nĂ©cessaire et recherchĂ©e. Mais elle diffĂšre de celle qui peut se dĂ©velopper Ă  Marmottan.  Sans pour autant idĂ©aliser la relation patient/soignant,  usager/soignant ou client/soignant Ă  Marmottan ( j’ai oubliĂ© le vocabulaire exact employĂ© Ă  Marmottan ). Car il existe des ratĂ©s Ă  Marmottan. Et, aider Ă  la cure d’une addiction peut ĂȘtre trĂšs long.

Patient:client

 

Mais j’ai l’impression que l’échange des Savoirs entre patients et soignants, en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, Ă  moins de faire partie d’une association permettant ces Ă©changes, est davantage asymĂ©trique qu’à Marmottan.

 

A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes, le samedi 4 décembre 2021.

 

Cela peut aussi peut-ĂȘtre s’expliquer par le fait que les personnes addict sont actives lorsqu’elles ont des conduites Ă  risques. Tant pour prendre des substances que pour certains comportements. De ce fait, les personnes addict acquiĂšrent certaines compĂ©tences pharmaceutiques ou mĂ©dicales. Une ancienne collĂšgue infirmiĂšre qui avait travaillĂ© plusieurs annĂ©es Ă  Marmottan m’avait ainsi appris :

 

« Ce sont les patients qui m’ont appris Ă  faire des prises de sang
 Â».

 

Ici, on se doute que les patients en question, à force de se chercher réguliÚrement une veine pour se piquer en intraveineuse avaient développé une dextérité hors du commun dépassant de loin celle de bien des infirmier ( es).

 

A Marmottan, ce samedi 4 dĂ©cembre 2021, lors du week-end portes ouvertes. Installation faite pour la circonstance. Photo©Franck.Unimon

 

 En comparaison, en psychiatrie adulte ou en pĂ©dopsychiatrie, lorsqu’il m’est arrivĂ© de faire des prises de sang, je n’ai aucun souvenir de patient m’indiquant oĂč le piquer ou comment m’y prendre si j’avais du mal Ă  lui faire son prĂ©lĂšvement sanguin.

 

 

Mais pour revenir au contexte de l’ouverture de Marmottan, 1971, Le dĂ©but des annĂ©es 70, c’est la prĂ©sidence de Georges Pompidou. Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrisson sont morts d’overdose rĂ©cemment. Et, Georges Pompidou, qui va bientĂŽt mourir aussi, n’y est pour rien.

 

Aujourd’hui, seulement, je fais un peu le rapprochement entre l’annĂ©e d’ouverture de Marmottan et les dĂ©cĂšs rapprochĂ©s de cĂ©lĂ©britĂ©s comme Hendrix, Joplin et Morrisson.

 

Auparavant, lorsque je pensais Ă  Marmottan les premiers temps, je ne le faisais pas. Puisque, d’ailleurs, j’ignorais la date exacte de crĂ©ation et d’ouverture de Marmottan. Marmottan Ă©tait dĂ©jĂ  « lĂ  Â» lorsque j’ai commencĂ© Ă  travailler en psychiatrie au dĂ©but des annĂ©es 90. Et Hendrix, Joplin et Morrisson Ă©taient pour moi des noms et des expĂ©riences musicales imprĂ©cises.

 

Cependant, en dĂ©cembre 2021, je fais un autre rapprochement. C’est une intuition. A Marmottan, tout acte et tout propos raciste et homophobe de la part d’un patient vaut exclusion du service. Mais aussi tout acte de violence.

 

Maison de tolérance

 

C’est la premiĂšre fois, dans un service, que j’ai pu voir afficher aussi explicitement de tels  interdits ou de telles limites. Dans tous les autres services oĂč j’ai pu travailler, en psychiatrie adulte, en pĂ©dopsychiatrie ou mĂȘme en soins gĂ©nĂ©raux, ces agissements et ces propos (racistes, homophobes, actes de violence) font plutĂŽt partie du mĂ©tier. Au point que certaines de ces caractĂ©ristiques (risques de violence contre autrui, risques de troubles musculo-squelettiques
.) peuvent mĂȘme ĂȘtre stipulĂ©es dans les profils de poste de certaines offres d’emploi.

 

 

A Marmottan, le refus de ces comportements et de ces propos renseigne quant au fait que ses services d’hospitalisation et d’accueil s’adressent ou peuvent s’adresser Ă  toutes sortes de publics. DĂšs lors qu’ils ont  des problĂšmes d’addiction et qu’ils sont estimĂ©s suffisamment volontaires, coopĂ©rants, et encore assez valides physiquement, pour ne pas nĂ©cessiter des soins d’urgence ou de rĂ©animation mĂ©dicale, sauf exception.

Car il existe des services d’addictologie oĂč des patients sont perfusĂ©s par exemple.

 

Pas Ă  Marmottan.

 

L’un des principes du service d’hospitalisation de Marmottan (lĂ  oĂč j’ai fait mes quelques remplacements) est l’hospitalisation libre, mais avec le principe et le contrat moral, que, durant son hospitalisation, de trois semaines en moyenne, le patient ne sortira pas du service et n’aura aucun contact direct avec l’extĂ©rieur. Il n’aura donc pas accĂšs Ă  son tĂ©lĂ©phone portable ou Ă  son ordinateur ou Ă  sa tablette.  A la place, il bĂ©nĂ©ficiera de la disponibilitĂ© du personnel, mais aussi de celles d’autres patients, par le biais d’entretiens, de mĂ©diations et de moments passĂ©s ensemble. Que ce soit lors de la prise des mĂ©dicaments ou lors des repas, du petit dĂ©jeuner au dĂźner. Ou, en regardant la tĂ©lĂ©. Ou, en discutant dans la salle « de thĂ© Â». Et l’on parle vraiment de thĂ© ou de cafĂ© et de quelques gĂąteaux , de goĂ»ters ou d’eau.  

 

 

Et puis, en dĂ©cembre 2021, « connaissant Â» un petit peu la culture engagĂ©e et militante de Marmottan, je me suis dit que la salle de concert de la Cigale, pour fĂȘter ce cinquantenaire, Ă©tait sans doute un hommage aux victimes des attentats terroristes de Novembre 2015, Bataclan, inclus.

 

 

Je n’ai pas (encore) demandĂ© confirmation. C’est une intuition.  Par contre, j’ai observĂ©, Ă  nouveau, ce jour-lĂ , l’engagement des personnels de Marmottan. PassĂ©s et prĂ©sents. Je le rĂ©pĂšte :

 

Je n’ai pas, Ă  ce jour, connu d’équivalent en matiĂšre de commĂ©moration de l’existence d’un service de santĂ© mentale. Ou, alors, je ne peux comparer cette commĂ©moration qu’avec celle des cinquante ans d’un groupe de musique, donc, dans le domaine artistique :

 

Pour moi, ce sera le groupe Kassav’. Puisque j’étais prĂ©sent au concert de leur cinquantenaire Ă  la DĂ©fense Arena. Avant le dĂ©cĂšs de Jacob Desvarieux.  

 

Mais je ne serais pas surpris qu’à Marmottan, musicalement, l’esprit soit plus Rock ou Punk que Zouk. Du reste, le lendemain, et le surlendemain de cette journĂ©e Ă  la Cigale, lors d’une des deux journĂ©es portes ouvertes de Marmottan, il y aura une exposition de pochettes de disques du mĂ©decin chef depuis quelques annĂ©es de Marmottan, Mario Blaise. Une exposition trĂšs bien intitulĂ©e « A vos disques et pĂ©rils Â» oĂč il sera possible de voir Ă©tablie une certaine valorisation des addictions avec substances.

A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes du 4 et 5 décembre 2021.

 

 

Et,  si mes souvenirs sont exacts, aucune pochette de disque de Zouk ne figurait sur les murs de la piĂšce. Au contraire de pochettes de disque ayant plutĂŽt trait au Rock. MĂȘme si je me souviens d’une pochette d’un disque de U-Roy, chanteur de Reggae qui venait de dĂ©cĂ©der rĂ©cemment.

 

 

 

Il y avait donc, plutĂŽt, Ă  mon sens, une certaine vitalitĂ© Rock, ou punk, dans la tenue de ce cinquantenaire. Voire, free Jazz. Car il m’a semblĂ© qu’à Marmottan, que, mĂȘme si une certaine ligne de conduite Ă©tait nĂ©cessaire, qu’il importait, aussi, de savoir et de pouvoir improviser entre les lignes. Et de tenir sa partition. Avec les autres.

 

 

 

Cinquante ans plus tard, on peut dire que Marmottan a fait bien plus que tenir. J’ai vu dans cette salle de la Cigale des personnels de Marmottan qui y avaient travaillĂ© et qui sont revenus pour l’occasion. Certains Ă  la retraite. Je pense Ă  l’un d’entre eux, en particulier, un infirmier Ă  la retraite depuis les annĂ©es 2010 qui m’a rĂ©pondu avoir travaillĂ© Ă  Marmottan pendant une bonne vingtaine d’annĂ©es. Il Ă©tait aux cĂŽtĂ©s d’une ancienne de Marmottan. Celle que j’avais rencontrĂ©e dans mon service prĂ©cĂ©dent et qui m’avait dit que les patients lui avaient appris Ă  faire des prises de sang.

Sur la droite, portant un masque blanc, si je ne me trompe, il s’agit d’AurĂ©lie Wellenstein, la documentaliste de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

 

J’ai revu des personnels de Marmottan que j’avais croisĂ©s lors de mes quelques remplacements: AurĂ©lie Wellenstein, la documentaliste qui m’avait permis d’assister Ă  l’évĂ©nement, en charge de l’organisation de celui-ci comme des diverses formations proposĂ©es Ă  Marmottan. Des infirmiers, mĂ©decins, accueillants, psychologues, assistantes sociales. Mais aussi des mĂ©decins ou autres intervenants qui avaient connu Olievenstein et travaillĂ© avec lui avant de quitter Marmottan ou lui ayant succĂ©dĂ©. Je pense, ici, Ă  Marc Valleur qui avait succĂ©dĂ© Ă  Olivenstein avant que Mario Blaise, ensuite, ne lui succĂšde en tant que mĂ©decin-chef de Marmottan.

De gauche Ă  droite, Mario Blaise, mĂ©decin chef de Marmottan, Marc Valleur, le prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan, Jan Kounen, rĂ©alisateur, Marc Batard, alpiniste. A la Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Marc Valleur au micro

Marc Valleur, prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan avec Jan Kounen, rĂ©alisateur. Photo©Franck.Unimon

 

 

Je pense aussi à ces praticiens partis travailler ailleurs, toujours dans le domaine des addictions, et qui, comme les invités, se sont exprimés.

 

Mario Blaise et Marc Batard au micro

 

De gauche Ă  Droite, Mario Blaise, Marc Valleur, Jan Kounen et Marc Batard. La Cigale, vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Tout comme d’anciens patients.

 

Marmottan m’a aidĂ© Ă  avoir une vie

 

Cela, devant une salle pleine de professionnels venant de la rĂ©gion parisienne ou d’ailleurs ( une psychologue assise Ă  cĂŽtĂ© de moi venait de la rĂ©gion de Rennes).

La Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Dans ces tĂ©moignages d’anciens de Marmottan, on entendait et on sentait certains de ces engagements maintenus annĂ©e aprĂšs annĂ©e, en dĂ©pit d’une certaine adversitĂ©. Mais aussi malgrĂ© ou Ă  cause de certains conflits internes. On percevait une observation affutĂ©e du monde et de la sociĂ©tĂ© qui nous entoure et qui, surtout, nous opprime. On recevait une partie de cette mĂ©moire commune de ce qui avait pu ĂȘtre rĂ©ussi envers et contre tout ainsi que, pour moi, une certaine forme de regret de n’avoir pas vĂ©cu cette histoire.

 

La Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Maison de fous. Pas

 

Il y a eu au moins quatre mots en particulier qui m’ont marquĂ© lors de ce cinquantenaire Ă  la Cigale. Des mots qui, pour moi, expliquent Marmottan mais aussi la raison pour laquelle Marmottan a survĂ©cu et continue d’inspirer.

 

Photo©Franck.Unimon

 

 

La Folie.

 

Plusieurs des professionnelles et professionnels venus tĂ©moigner de leur expĂ©rience de Marmottan, sur la scĂšne, ont racontĂ© que lors de leur entretien d’embauche avec Olievenstein, celui-ci, avait pu plus ou moins leur/lui dire :

 

« Je crois que vous ĂȘtes folle. Donc, je vous embauche Â».

Photo©Franck.Unimon

 

 

Par « folie Â», bien-sĂ»r, il fallait, ici, comprendre que ces professionnelles et professionnels qui postulaient ne se contenteraient pas d’ĂȘtre des petits soldats ou des exĂ©cutants de la morale bien-pensante. Et qu’ils seraient impliquĂ©s dans leur travail bien plus qu’une personne venant juste pour faire ses heures de travail et pour toucher sa paie Ă  la fin du mois. C’est en tout cas comme ça que je l’ai dĂ©cryptĂ©.

 

Car, oui, la folie peut aussi aider Ă  vivre. Et Ă  travailler. 

 

La folie créatrice de Marmottan

 

A cette folie s’associe un humour. Il y a donc eu de l’humour lors de ce cinquantenaire comme il en a existĂ© et en existe Ă  Marmottan.

 

M.Hautefeuille avec sa clé USB à air pulsé

 

Le mot Plaisir a Ă©tĂ© employĂ© par Mario Blaise, le mĂ©decin chef actuel de Marmottan. Par ce mot, le principe est d’éviter de juger le mode de vie des uns et des autres. Ou ce qu’ils sont. DĂšs lors qu’ils n’agressent pas leur entourage.

 

Un autre mot m’a, d’un seul coup, fait comprendre la raison pour laquelle, Marmottan est un service Ă  part. Et que c’est pour cela que j’avais senti, quelques fois, que lorsque je m’exprimais avec mes instruments de mesure psychiatriques, que cela avait fait flop et que quelques uns de mes collĂšgues de Marmottan m’avaient alors regardĂ© comme si j’appartenais Ă  une espĂšce insolite :

 

Antipsychiatrie

 

 L’antipsychiatrie a Ă©tĂ© un courant dont j’ai pu entendre parler. Mais un peu. Comme d’une Ă©poque passĂ©e depuis longtemps. Bien avant que je ne commence Ă  venir travailler en psychiatrie au dĂ©but des annĂ©es 90. Encore, qu’à cette Ă©poque, la psychiatrie n’avait rien Ă  voir avec la psychiatrie actuelle en matiĂšre de moyens et de culture de pensĂ©e mais, aussi, de transmission.

 

GrossiĂšrement, aujourd’hui, je dirais que la psychiatrie telle qu’elle a pu ĂȘtre argumentĂ©e par Frantz Fanon, lors de la guerre d’AlgĂ©rie, avait Ă  voir avec l’antipsychiatrie. Il s’agissait alors de libĂ©rer les individus, ou de contribuer Ă  les aider Ă  se sortir de leur asservissement. A Marmottan, pour commencer, il s’agit d’essayer d’aider des personnes Ă  se sortir de leur asservissement Ă  certaines pratiques lorsque celles-ci sont devenues dangereuses pour leur santĂ©. Cet asservissement a une histoire. La rencontre avec cette pratique s’est faite Ă  un moment particulier de leur histoire.

Le mode relationnel que j’ai pu « voir Â» Ă  Marmottan entre patients et soignants Ă©tait diffĂ©rent de celui que j’avais pu connaĂźtre ailleurs. On n’était pas, on n’est ni potes, ni amis. Cependant, la distance entre le soignant et le patient est diffĂ©rente comparativement Ă  ce que j’ai pu connaĂźtre dans d’autres services de psychiatrie et de pĂ©dopsychiatrie. Et, je ne parle pas, ici, de l’absence de la blouse pour le soignant. Car j’avais dĂ©jĂ  connu l’expĂ©rience de l’absence de blouse en tant qu’infirmier.

Fille ou garçon de joie à Marmottan

 

Mais la façon de parler du traitement Ă  Marmottan avec le patient, de l’accompagner comme on dit, est diffĂ©rente. Peut-ĂȘtre que cela se faisait aussi un peu de cette façon dans la psychiatrie des annĂ©es 60 et 70. Lorsque la sociĂ©tĂ© Ă©tait diffĂ©rente ? Et que certains nouveaux neuroleptiques permettaient Ă  certains patients d’aller mieux ?

 

 

Mais on ne parle pas des mĂȘmes publics de patients. J’ai croisĂ© assez peu de patients psychotiques lors de mes quelques remplacements dans le service d’hospitalisation de Marmottan. Et, on ne s’adresse pas de la mĂȘme façon Ă  une personne non-psychotique mĂȘme si celle-ci rĂ©pĂšte des comportements extrĂȘmes du fait de ses addictions.

 

 

 

Un autre mot, depuis dĂ©cembre, revient par intermittences, lorsque je repense Ă  ce cinquantenaire de Marmottan. Et, cela, d’autant plus que je n’ai pas vu le visage ni le corps de son locuteur, apparu soudainement hors-champ, Ă  aucun moment prĂ©sent sur la scĂšne puis disparu aussi rapidement.

 

Et pourtant, cet homme Ă©tait  bien conscient de l’histoire de Marmottan comme porteur d’une partie de sa mĂ©moire. Le fait que cet homme, qui devait avoir dans les 70 ans, ait un accent antillais, a certainement eu sur moi un effet particulier. Celui d’un certain rĂ©veil de mes origines antillaises. Peut-ĂȘtre, mais je n’en suis pas sĂ»r, que ce mot sur lequel il a insistĂ© m’a autant parlĂ© parce-que, dedans, j’ai entendu du Gro-Ka, cette musique traditionnelle, trĂšs lointaine, rattachĂ©e Ă  la mĂ©moire de soi, Ă  la permanence d’une certaine vitalitĂ© malgrĂ© les trajectoires et qui a besoin de ça pour exister :

 

La Ferveur ( en cliquant sur le lien Ă  gauche, une vidĂ©o apparaĂźt).

 

Photo©Franck.Unimon

 

Franck Unimon, ce samedi 24 septembre 2022.

Catégories
Croisements/ Interviews

Eileen Myles au cinéma MK2 BibliothÚque ce jeudi 15 septembre 2022

Au cinĂ©ma MK2 BibliothĂšque, ce jeudi 15 septembre 2022. Eileen Myles s’exprime au micro. Photo©Franck.Unimon

Eileen Myles au Cinéma MK2 BibliothÚque ce jeudi 15 septembre 2022

 

Premier jour d’automne, ce vendredi 23 septembre. Je terminais mon petit-dĂ©jeuner ce matin lorsque j’ai commencĂ© Ă  penser Ă  un article sur la confĂ©rence d’Eileen Myles la semaine derniĂšre. Voici comment un certain nombre d’articles part dans ma tĂȘte. Ensuite, je dĂ©cide de les suivre. Si j’estime avoir suffisamment de temps et de mots. Si j’ai suffisamment d’envie pour eux. Les mots sont ce qui contient l’incendie de mon esprit et pour les trouver, il faut que j’aie envie d’eux. Que je sois volontaire pour leur courir aprĂšs afin de les rassembler.

 

J’ai envie d’écrire cet article sur Eileen Myles, l’auteur de Chelsea Girls, « figure majeure de la culture underground et LGBT aux Etats-Unis ». Un livre paru en 1994 dans sa version originale et rĂ©cemment traduit et publiĂ©, pour la premiĂšre fois, en Français.  

 

Je ne connais rien Ă  l’univers d’Eileen Myles. MalgrĂ© ma bonne volontĂ©, Je vais donc Ă©crire et raconter dans cet article beaucoup de conneries rĂ©actionnaires et dĂ©verser au grand jour un certain nombre de ces jugements de valeurs dont je suis le rĂ©servoir.

 

Cet article, ce « coming out Â», n’était pas prĂ©vu. Bien des articles sont des « coming out Â». Le mien sera sĂ»rement celui de ma « beauferie Â».

 

 Initialement, ce matin, je pensais plutĂŽt Ă  faire le nĂ©cessaire afin d’aller voir le dernier film de Rebecca Zlototwski sorti avant hier :

 

Les enfants des autres.

 

Il y a plein d’autres films que j’aimerais aller voir bien avant celui-ci. Mais je fais de celui-ci une prioritĂ©. MĂȘme si l’interview par la journaliste Guillemette Odicino de la rĂ©alisatrice Zlotowski dans l’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama -auquel je suis abonnĂ© depuis des annĂ©es- m’a plusieurs fois fait souffler d’agacement. En lisant, une nouvelle fois, telle une condamnation Ă  perpĂ©tuitĂ©, les termes-poncifs :

 

 Â«(
.) elle ( Rebecca Zlotowski) est l’une des cinĂ©astes les plus brillantes de sa gĂ©nĂ©ration Â».

 

Ou, plus loin, pour parler de l’actrice LĂ©a Seydoux ( une actrice qui m’inspire des sentiments trĂšs contrariĂ©s au moins depuis sa polĂ©mique avec le rĂ©alisateur Abdelatif Kechiche aprĂšs tournĂ© sous sa direction La vie d’AdĂšle, oĂč, pour moi, elle n’est pas la meilleure actrice du film mais aussi dans d’autres films par la suite) « irradiante de sensualitĂ© Â». LĂ©a Seydoux, « irradiante de sensualitĂ© Â» ? Sa premiĂšre apparition- comme James Bond girl- dans le dernier James Bond avec l’acteur Daniel Craig cloue le film dans un cercueil.  

 

Pour parler du troisiĂšme film de Zlotowski, PlanĂ©tarium, la journaliste Guillemette Odicino Ă©crit : « son film maudit, incompris, elle osait une fresque Ă  la fois charnelle et spirituelle Â».

Bien-sĂ»r, j’ai dĂ» comprendre que la journaliste, elle, avait compris ce film que beaucoup n’avaient pas compris. Quant Ă  l’idĂ©e d’une « fresque Ă  la fois charnelle et spirituelle Â», j’ai trouvĂ© cette description bien cĂ©rĂ©brale, et, Ă  nouveau, trĂšs fuyante par rapport au corps. Dans ces relations que l’on peut avoir, quotidiennement et Ă©troitement, avec notre propre corps. Comme cela se pratique, je trouve, dans ces milieux trĂšs intello oĂč l’on brille beaucoup plus par les concepts, la pensĂ©e, que par l’usage que l’on peut faire et vivre de son propre corps :

 

Je reproche Ă  beaucoup d’intellectuels et Ă  beaucoup « d’acteurs Â» culturels dont j’espĂšre faire le moins partie possible d’ĂȘtre des trĂšs grands handicapĂ©s de leur propre corps. Et, je lisais tellement ça, une fois de plus, je crois, dans cette introduction Ă  l’interview de Rebecca Zlotowski dans TĂ©lĂ©rama.

 

«  La chair, toujours, filmĂ©e comme une arme politique, et le questionnement sur la fĂ©minitĂ© moderne sont au cƓur d’Une fille facile, son plus grand succĂšs : en 2019, cette chronique ensoleillĂ©e enflammait la Croisette, imposant Zahia Dehar comme un corps fascinant de cinĂ©ma Â» poursuit la journaliste de TĂ©lĂ©rama (celui du 24 au 30 septembre 2022, le numĂ©ro 3793, page 4) toujours dans l’introduction de son interview de Zlotowski.

 

« enflammait la croisette Â» ; « comme un corps fascinant de cinĂ©ma Â», encore des stĂ©rĂ©otypes de langage.

 

Une fille facile est le seul film que j’ai vu de Rebecca Zlotowski. Et, malgrĂ© mes rĂ©ticences au dĂ©part, j’ai beaucoup aimĂ© ce film. J’en parle d’ailleurs dans mon blog. ( Une fille facile ). 

 

« Corps fascinant de cinĂ©ma ? Â». De quoi parle la journaliste  de TĂ©lĂ©rama ?!

 

Lorsque l’on regarde Zahia Dehar et que l’on sait « un peu Â», car cela avait Ă©tĂ© beaucoup mĂ©diatisĂ© quand mĂȘme !, qu’elle avait Ă©tĂ© « escort girl Â», on hĂ©site trĂšs peu Ă  trouver son corps « fascinant Â». Que ce soit au cinĂ©ma ou dans la vraie vie.

 

Je n’ai pas oubliĂ© ce mĂ©lange d’admiration et de sentiment de privilĂšge qu’avait pu ressentir la journaliste « star Â» LĂ©a SalamĂ© lors de sa rencontre-interview avec la belle Zahia Dehar qui avait dĂ©frayĂ© la chronique. Cela m’avait rappelĂ© le rĂŽle de gigolo de Daniel Auteuil dans le film Mauvaise passe rĂ©alisĂ© par Michel Blanc en 1999. ( Tiens, Michel Blanc est homo. Et il avait Ă©crit le scĂ©nario avec Hanif Kureishi plutĂŽt portĂ© sur des sujets un peu tabous
).

 

Nous avons beau ĂȘtre des personnes responsables, prĂ©sentables, trĂšs bien Ă©duquĂ©es, bien maquillĂ©es,  nous exprimer de façon hautement civilisĂ©e… nous avons aussi besoin de notre giclĂ©e de sensations « premium Â» en tutoyant ce qui sort du stĂ©rile et du cadre. Ça flatte le cĂŽtĂ© rebelle ou « border line Â» en soi. On est ainsi rassurĂ© quant au fait que l’on est beaucoup plus grunge et beaucoup plus ouvert, plus libre et dĂ©mocrate qu’on peut le laisser croire.

 

Zahia Dehar n’est ni le premier ni le dernier corps – ou coup- vivant de femme que le cinĂ©ma servira comme plat pour attirer un public dans une salle. Et sans doute pas le dernier non plus qui inspirera bien des fantasmes et des branlettes empathiques Ă  certains officiels de la Croisette. Rappelons-nous qu’assez rĂ©cemment, des « influenceuses Â», Ă  DubaĂŻ, ont Ă©tĂ© payĂ©es par certaines grandes fortunes afin de se faire dĂ©fĂ©quer dans la bouche.

Ce que peut inspirer un corps dĂ©sirĂ©, dĂ©sirable -et aussi mĂ©diatique- dĂ©coule de ce qui se passe dans la tĂȘte ( et de son Pouvoir) de celle ou de celui qui peut disposer- et comment- de ce corps dĂ©sirĂ© et dĂ©sirable. 

 

Eileen Myles, elle, c’est le contraire de tout ça. Eileen Myles fait partie de ces personnes qui ont dĂ©cidĂ© d’assurer leur corps. Mais lorsque j’écris ça, je m’aperçois que, finalement, Eileen Myles est plus proche d’une Zahia Dehar ou de certaines influenceuses qui ont dĂ©cidĂ© de se servir de leur corps pour rĂ©ussir que de celles et ceux qui se rĂ©signent Ă  ĂȘtre les caissiĂšres, les domestiques et les secrĂ©taires des autres.

 

Pourtant, lorsque l’on met cĂŽte Ă  cĂŽte, une Eileen Myles et une Zahia Dehar, la proximitĂ© est loin d’ĂȘtre marquante. Mais je crois que l’une comme l’autre a pu adopter des modes de vie rĂ©prouvĂ©s Ă  un moment donnĂ© par l’ordre et la vertu publiques.

 

J’avais prĂ©venu, dĂšs le dĂ©but de cet article, que j’allais Ă©crire beaucoup de conneries. Et, c’est le moment, pour moi, de fournir mon mot d’excuse. Pour commencer, et c’est selon moi le principal et ce qui me pousse Ă  Ă©crire cet article :

Ce jeudi 15 septembre, j’aurais pu ( ou peut-ĂȘtre dĂ» ) rester dans ma ville, Ă  Argenteuil, afin d’aller rencontrer dans la librairie Presse Papier du centre ville, l’auteure Touhfat Mouhtare nĂ©e en 1986 Ă  Moroni aux Comores, pour son livre Le Feu du Milieu paru aux Ă©ditions Le bruit du monde. Aujourd’hui, Touhfat Mouhtare vit dans le Val d’Oise. 

A la place, je me suis Ă©loignĂ© de ma ville et du Val d’Oise. Je me suis vĂ©ritablement dĂ©placĂ© pour assister Ă  Paris Ă  cette confĂ©rence-interview de l’AmĂ©ricaine Eileen Myles. J’ai vraiment pris ces photos et filmĂ© ces quelques moments. 

 

 

J’ai entendu parler d’Eileen Myles rĂ©cemment. En commençant Ă  lire Les Argonautes ( paru en 2015) de Maggie Nelson. Une auteure de rĂ©fĂ©rence, au mĂȘme titre qu’Eileen Myles, son aĂźnĂ©e de plus de vingt ans,  pour les personnes prĂ©occupĂ©es par les questions du genre, de dominations, comme par les violences engendrĂ©es par le patriarcat.

 

 

J’ai du mal Ă  avoir une lecture suivie de l’ouvrage de Maggie Nelson. J’ai bien plus de « facilitĂ©s» pour lire le premier volet de La Guerre d’AlgĂ©rie d’Yves CourriĂšre.

 

 Les Argonautes  de Maggie Nelson ( nĂ©e en 1973) est un rĂ©cit de sa vie personnelle avec son (ex ?) compagnon, Harry, originellement nĂ©e femme, pĂšre d’un jeune fils dont Maggie Nelson, en tant que belle-mĂšre, essaie de s’occuper au mieux (on voit mieux le rapprochement avec le dernier film de Rebbeca Zlotowski ? Je ne l’ai pas fait exprĂšs) de rĂ©flexions critiques et thĂ©oriques poussĂ©es citant Butler, Winnicott, Foucault et d’autres, mais aussi  de certains moments de sa vie avant Harry comme de certaines de ses dĂ©cisions en rapport avec ses engagements (ou son activisme).

 

La partie thĂ©orique et intellectuelle de l’ouvrage de Maggie Nelson, par moments, me coupe les neurones Ă  dĂ©faut de me couper les jambes : je subis, par moments, des absences de comprĂ©hension. Et puis, le courant se rĂ©tablit. Dans ses Argonautes, Maggie Nelson (qui cite aussi Eileen Myles parmi ses rĂ©fĂ©rences) Ă©tablit que le mariage et l’armĂ©e comptent parmi les institutions historiques les plus rĂ©pressives.

 

Je suis mariĂ©. J’ai pu ou peux, par moments, me sentir proche de certaines valeurs militaires. Mon attachement aux valeurs des Arts martiaux, par exemple, se rapproche quand mĂȘme de l’attachement Ă  certaines valeurs militaires. Si on les applique aveuglement ou de façon fanatique. Je fais donc ou ferais donc partie de « l’ennemi Â» pour des personnes comme Maggie Nelson ou Eileen Myles. D’autant qu’il est deux autres institutions, pour lesquelles je travaille, qui sont, aussi, « historiquement rĂ©pressives Â» :

 

La psychiatrie et la pédopsychiatrie.

 

Donc, que faisais-je jeudi dernier Ă  cette confĂ©rence-interview d’Eileen Myles comme devant ce livre de Maggie Nelson – dont je ne connaissais pas l’existence avant cet Ă©tĂ©- au lieu de lire un des articles de mon TĂ©lĂ©rama hebdomadaire ?

 

Nous voyons du Monde ce qui nous intĂ©resse, ce qui nous attire l’Ɠil ou l’attention, ce Ă  quoi nous sommes habituĂ©s ou ce qui nous gĂȘne ou nous dĂ©range.

 

Ensuite, nous faisons plus ou moins nos choix. Nous dĂ©cidons de retourner Ă  nos occupations bien connues de nous-mĂȘmes. Ou nous choisissons de prendre l’option qui consiste Ă  aller nous Ă©duquer un peu. Car le Monde est souvent plus multiple que ce que nous en savons ou en percevons Ă  premiĂšre vue.

 

J’avais une vingtaine d’annĂ©es lorsque, pour la premiĂšre fois, en stage au cours de mes Ă©tudes d’infirmier, dans un service de chirurgie orthopĂ©dique dans la banlieue ouest parisienne, dans une ville de banlieue plus favorisĂ©e que celle dans laquelle j’avais grandi, j’avais rencontrĂ© un patient transexuel. Un homme d’origine espagnol qui s’était fait renverser par une voiture alors qu’il marchait sur la route, alcoolisĂ©. Le conducteur avait pris la fuite.

Je me rappelle que cet homme tenait une sorte de boutique de vĂȘtements. Et qu’au tĂ©lĂ©phone, sa sƓur lui tĂ©moignait une certaine affection.

 

J’avais 19 ou 20 ans, lorsqu’aprĂšs avoir assistĂ© Ă  une soirĂ©e cinĂ©ma Ă  Paris,  consacrĂ©e au rĂ©alisateur Jean-Pierre Mocky, je m’Ă©tais retrouvĂ© comme un idiot, dans la rue. AprĂšs avoir vu les films SoloUn Linceul n’a pas de poches et, en avant PremiĂšre, le dernier film, alors, de Jean-Pierre Mocky :

Agent Double

Puis, dehors, j’avais regardĂ© la plus grande partie des spectateurs rentrer chez eux en voiture. Devant l’impossibilitĂ© de rentrer chez mes parents, Ă  Cergy-St-Christophe. Car il n’y avait plus de RER A Ă  deux heures du matin passĂ©es.

J’avais finalement Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© par un inconnu, un homme un peu plus ĂągĂ© que moi, croisĂ© non loin du centre Pompidou vers 4 ou 5 heures du matin. Celui-ci, Ă©tudiant en Droit selon ses dires, avait pris ma dĂ©fense. Il m’avait proposĂ© de m’acheter un Kebab puis, en taxi, m’avait emmenĂ© dans son studio, dans une ville de banlieue que je ne connaissais pas. Cet homme m’avait fait des avances que j’avais dĂ©clinĂ©es.

Mon cul contre un Kebab ? 

Il faut tout essayer dans la vie » m’avait conseillĂ© cet homme « mĂ»r ». Je lui avais suggĂ©rĂ© de faire l’amour avec des plantes et des animaux. J’avais lu plein d’articles sur le sujet dans TĂ©lĂ©rama. Lui, avait trouvĂ© tout cela contre nature. Et il m’avait laissĂ© partir lorsqu’Ă©tait arrivĂ©e l’heure des premiers RER.

 

 J’ai dĂ» entendre le terme « Queer Â» pour la premiĂšre fois il y a un peu plus de dix ans. Aujourd’hui encore, j’aurais du mal Ă  expliquer ce terme. « Queer Â» par ci, « Queer Â» par lĂ . Les activistes, les personnes engagĂ©es et/ou de mĂ©dia mais aussi les poĂštes, les artistes et les intellectuels savent que le langage, autant que le corps, est une arme.

 

Une arme de destruction, d’asservissement de dĂ©nigrement. Une arme d’ensemencement et de revitalisation de nos vies et de nos imaginaires. Pour cette derniĂšre idĂ©e, je convoque Ă©videmment des personnalitĂ©s comme AimĂ© CĂ©saire, Frantz Fanon ou d’autres, dont je maitrise aussi mal les Ɠuvres et les pensĂ©es que je ne comprends vĂ©ritablement le terme « Queer Â». Et qui n’ont rien Ă  voir, au dĂ©part, avec quoique ce soit de « Queer Â» au sens oĂč l’entendent les activistes et penseurs LGBTQ+. Et, pourtant, d’un cĂŽtĂ© comme d’un autre, il s’agit toujours de s’affranchir comme de s’extraire du colonialisme, d’un certain conditionnement mais aussi des effets de toute forme d’esclavage et d’asservissement personnel, historique, culturel, social, Ă©conomique, politique et corporel.

 

Au cours d’un dĂ©bat auquel j’assistais, lors d’un festival de cinĂ©ma LGBTQ+, j’avais entendu un spectateur dire du rĂ©alisateur François Ozon ( qui a sans doute aussi Ă©tĂ© interviewĂ© par TĂ©lĂ©rama ou qui le sera un jour en tant que « l’un des cinĂ©astes les plus brillants de sa gĂ©nĂ©ration Â» ) :

 

« Il fait un cinĂ©ma Queer Â». Ou «  Il est Queer Â».

 

Au cinĂ©ma, j’ai vu un certain nombre des films de François Ozon, ses premiers films en particulier. Et, cela a Ă©tĂ© un peu pareil avec l’acteur et rĂ©alisateur Xavier Dolan jusqu’à Laurence Anyways (rĂ©alisĂ© en 2012).  Deux rĂ©alisateurs ouvertement homosexuels. Pourtant, en allant voir leurs films, que j’ai aimĂ©s voir, je ne me suis jamais dit que je regardais un film, un monde ou un mode de vie « Queer Â».

De la mĂȘme façon que je ne me suis pas dit, je crois, qu’ils essayaient, au travers de leurs films, de dĂ©construire(un verbe que j’ai dĂ©couvert sans doute Ă  peu prĂšs au mĂȘme moment que lorsque j’avais fait la connaissance du terme « Queer Â») certaines conceptions de « genre Â», certaines « identitĂ©s Â» imposĂ©es par le monde hĂ©tĂ©ro-normĂ©, patriarcal, occidental, capitaliste et blanc encore dominant dans le Monde.

 

Peut-ĂȘtre que tout ce programme de dĂ©construction mentale et « civilisationnelle Â» n’est pas le leur, tout simplement. Que tout ce qu’ils veulent, eux, Ozon et Dolan, c’est d’abord exister en tant que personnes et artistes et faire des films.

 

Eileen Myles a sĂ»rement dĂ» voir plusieurs des films de François Ozon et de Xavier Dolan. Jeudi dernier, le premier extrait de film choisi pour sa confĂ©rence a Ă©tĂ© un passage du film
 Les 400 coups de François Truffaut.

Lorsque Les 400 coups de François Truffaut sort en 1959, Eileen Myles, nĂ©e en 1949, a dix ans. Nous regardons l’extrait. Nous voyons Jean-Pierre LĂ©aud, alors enfant, courir Ă  petits pas, vers la plage. J’ai souvent entendu parler de ce film comme Ă©tant un grand classique Ă  voir. Je connais bien-sĂ»r de nom François Truffaut et ai vu un ou deux de ses films dont La femme d’à cĂŽtĂ© (1981) et Domicile conjugal (1970), deux films vus plusieurs annĂ©es plus tard Ă  la tĂ©lĂ©, que j’avais beaucoup aimĂ©s. Mais je n’ai jamais vu et n’ai jamais eu envie de voir Les 400 coups.

 

En citant Truffaut, Eileen Myles, pour moi, fait partie de toutes ces personnes Ă©trangĂšres, souvent engagĂ©es, qui, rĂ©guliĂšrement, dans les Ɠuvres françaises, citent des classiques comme Truffaut. Un peu plus tard, je crois aussi qu’elle citera Proust. Mais je n’en suis plus trĂšs sĂ»r.

Ce dont je me souviens par contre, c’est qu’en voyant Les 400 coups de Truffaut, Eileen Myles s’était demandĂ©e s’il existait un Ă©quivalent fĂ©minin. Puisque Truffaut, aprĂšs Les 400 coups suivra l’évolution du personnage d’Antoine Doinel, depuis son enfance jusqu’à l’ñge adulte. Et, de lĂ  est venu le projet d’Eileen Myles de concevoir un Ă©quivalent fĂ©minin Ă  Antoine Doinel. Puis, elle s’est demandĂ©e comment s’y prendre pour raconter ça par Ă©crit. Et, elle s’est aperçue qu’elle pourrait Ă©crire comme on raconte un film.

 

L’enfance d’Eileen Myles semble avoir Ă©tĂ© une enfance oĂč l’éducation artistique et culturelle a Ă©tĂ© prĂ©sente et consistante. Je suis Ă©tonnĂ© par la facilitĂ© avec laquelle, Eileen Myles, comme Maggie Nelson ensuite, peut se dĂ©clarer poĂ©tesse. Moi, plus jeune, j’ai bien essayĂ©. Mais comme cela ne m’a jamais permis de gagner ma vie convenablement, j’ai rapidement arrĂȘtĂ©. Ces derniers temps, je me suis mĂȘme fait la remarque qu’Ă  force de coller aussi prĂšs au quotidien depuis des annĂ©es, tant dans mon mĂ©tier que dans mes articles ou dans ma vie de pĂšre et de conjoint peut-ĂȘtre, que je m’Ă©tais beaucoup Ă©loignĂ© voire Ă©tais peut-ĂȘtre devenu incapable ou infirme. Infirme d’exprimer mon imaginaire comme auparavant. 

Eileen Myles, Ă  plusieurs reprises, nous a parlĂ© de l’importance de son pĂšre, dĂ©cĂ©dĂ© lorsqu’elle Ă©tait encore jeune, qu’elle perçoit a posteriori comme ayant Ă©tĂ© une personne « Queer Â». Elle a rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois que son pĂšre Ă©tait « Queer Â». Il se travestissait en femme.

 

C’était aussi un pĂšre alcoolique mais qui avait le chic, chaque fois qu’elle manifestait un intĂ©rĂȘt pour un sujet donnĂ©, d’apparaĂźtre avec un ouvrage ou deux en rapport avec ce sujet, de le(s) lui remettre. Puis, de disparaĂźtre.

 

D’autres extraits de films ont Ă©tĂ© montrĂ©s lors de la confĂ©rence. Un, montrant un milieu lesbien underground aujourd’hui disparu, dans les annĂ©es 70. Un autre au cours duquel, dans un film, s’inspirant des Ă©crits d’Eileen Myles, une femme souhaite que se prĂ©sente aux Ă©lections PrĂ©sidentielles une personne ayant tous les handicaps possibles :

 

HIV +, transgenre, chîmeure /chîmeuse, atteint( e) d’une maladie incurable, homosexuel( le), noir ( e), grosse
.

 

Le public, dans la salle, Ă©tait constituĂ© d’une bonne centaine de personnes, sans doute assez familiĂšres avec l’Ɠuvre, les engagements et/ou la personnalitĂ© d’Eileen Myles. J’ai comptĂ© deux ou trois personnes noires dans la salle en m’incluant dans le recensement. Pour la rĂ©partition hommes/femmes au sein du public, je ne saurais pas dire. Peut-ĂȘtre une lĂ©gĂšre prĂ©valence fĂ©minine. Mais ce n’est pas sĂ»r.

 

Par contre, la journaliste qui interviewait Eileen Myles était une femme. La traductrice était une femme.

 

La plupart des spectateurs ou spectatrices qui ont posĂ© des questions Ă  Eileen Myles Ă©taient soit anglophones soit trĂšs Ă  l’aise avec la langue anglaise ou amĂ©ricaine.

 

J’ai notĂ© en tout cas qu’une bonne partie du public Ă©tait particuliĂšrement au fait avec la langue natale d’Eileen Myles. Puisqu’il a Ă©tĂ© capable Ă  plusieurs reprises – contrairement Ă  moi- de rire de ses blagues immĂ©diatement sans avoir Ă  en passer par leur traduction diffĂ©rĂ©e.

 

S’il y avait bien quelques personnes dĂ©passant la quarantaine d’annĂ©es dans la salle, j’ai trouvĂ© le public plutĂŽt jeune dans sa majoritĂ©. Autour des 30 ans. Ce qui atteste, pour moi, d’une certaine conscience plus visible ou plus affirmĂ©e, mais aussi plus « facile Â», Ă  propos des questions de genre comparativement Ă  il y a, disons, une vingtaine d’annĂ©es.

Je n’ai pas reconnu ou pas vu de « jeune Â» que je suis susceptible de croiser ou d’avoir croisĂ© dans un des services de pĂ©dopsychiatrie oĂč j’ai pu travailler et qui sont prĂ©occupĂ©s (comme beaucoup d’adolescentes et d’adolescents) par leur identitĂ© et/ou par leur genre ou qui l’affirment d’une certaine façon :

 

En se rĂ©clamant d’un sexe ou d’un genre opposĂ© Ă  celui qui leur a Ă©tĂ© assignĂ© Ă  leur naissance. En ayant une relation sentimentale homosexuelle.

 

 

 Pour ma part, je peine encore Ă  assimiler le fait qu’aujourd’hui, je devrais davantage, selon les milieux, afin d’éviter d’ĂȘtre perçu comme homophobe ou transphobe, me prĂ©senter comme une personne « cisgenre Â». Afin de ne pas heurter une personne faisant partie d’un genre minoritaire. Mais j’ai du mal avec cette obsession qui consiste Ă  se dĂ©finir par un vocabulaire obligĂ©. Comme si c’était une obligation de tendre notre genre ou nos Ă©ventuelles prĂ©fĂ©rences lorsque l’on se prĂ©sente Ă  quelqu’un :

 

« Je m’appelle Franck, je suis diabĂ©tique insulino-dĂ©pendant, hypertendu, farceur, cancĂ©reux en phase terminale, je chausse du 34, je suis abonnĂ© Ă  TĂ©lĂ©rama, je fais du Cross fit. J’adore les films de Emmanuel Mouret, le nouveau Rohmer. J’ai plein de posters XXL de l’actrice LĂ©a Seydoux dans ma chambre. Et je travaille Ă  la bourse. Et toi ? Â». 

 

Mais il est vrai que nous portons souvent des masques dans notre vie sociale. Et que certains de ces masques permettent à la fois des crimes (à l’image du Ku Klux Klan) mais aussi bien des mensonges.

 

 

Lorsque je regarde la photo d’Eileen Myles sur l’écran gĂ©ant, j’ai l’impression de voir un Ă©quivalent fĂ©minin d’Iggy Pop. Pour moi, Eileen Myles est une sorte de Punk. Un Punk Ă  visage et Ă  allure masculine qui est une femme. MĂȘme si je me demande un peu si elle s’est faite opĂ©rer, je ne me le demande pas plus que ça.

Enfant, Eileen Myles avait rencontrĂ© un couple de femmes butch auquel ses parents avaient louĂ© une partie leur maison. Lors de la confĂ©rence, Eileen Myles raconte que ce couple lesbien s’était vite avĂ©rĂ© ĂȘtre un couple de locataires problĂ©matiques, alcoolique, je crois, se disputant souvent, et, qui plus est, trĂšs mauvaises artistes peintres. Soit une erreur de casting que la mĂšre d’Eileen Myles avait trĂšs vite regrettĂ©. De son cĂŽtĂ©, Eileen Myles, elle, ne s’était pas sentie inspirĂ©e par ce modĂšle de femmes
.

 

Plusieurs jours aprĂšs cette confĂ©rence, sur internet, j’ai cherchĂ© et trouvĂ© quelques photos d’Eileen Myles, plus jeune. Si je l’ai trouvĂ©e belle, je lui ai aussi trouvĂ© un certain cĂŽtĂ© garçon manquĂ©. Ce qui, pour moi, veut dire « Butch Â». J’ai bien Ă©crit « Butch Â». Et non «  Bitch Â».

 

Eileen Myles nous a lu un extrait de son livre, Chelsea Girls. Sans doute parce-que je n’ai pas suffisamment compris ce qu’elle disait, cela ne m’a pas donnĂ© envie d’acheter son livre. Mais dans la salle, le public l’a Ă©coutĂ©e de façon recueillie.

 

A la fin de la confĂ©rence, Eileen Myles nous a dit sa certitude que le patriarcat Ă©tait en train de mourir. Qu’il s’agissait de savoir si « nous Â» allions mourir avant lui ou s’il allait mourir d’abord. Mais qu’elle Ă©tait confiante quant au fait qu’il n’en n’avait plus pour longtemps. Aujourd’hui, je me peux m’empĂȘcher de penser que c’est aussi ce que dit une personnalitĂ© comme Pablo Servigne, un des collapsologues les plus connus en France, et aussi sans doute critiquĂ© pour cela car il la ramĂšne trop avec ses propos de fin du monde. Lorsqu’il explique et rĂ©pĂšte que nous sommes des « droguĂ©s du pĂ©trole Â», que notre systĂšme de vie Ă©conomique et de sociĂ©tĂ©, tel qu’il est, est en train de s’effondrer et que nous ne sommes plus dans l’ùre dans « de la sobriĂ©tĂ© Â» mais dĂ©jĂ  dans celle qui nous rapproche du « sevrage Â».

 

 

Touhfat Mouhtare, Maggie Nelson, Rebecca Zlotowski, Zahia Dehar, Pablo Servigne, Peaux noires, masques blancs ( ou d’autres de ses oeuvrs) de Frantz Fanon, AimĂ© CĂ©saire, il est Ă©tonnant qu’Eileen Myles, aussi portĂ©e sur certains excĂšs d’alcool en particulier, ait quelques  rapports, directs ou indirects, avec ces quelques « personnes Â», dĂ©cĂ©dĂ©es ou vivantes, et que certaines de ses rĂ©flexions et de ses expĂ©riences rejoignent les rĂ©flexions, les expĂ©riences mais aussi les Ɠuvres de certaines de ces premiĂšres personnes citĂ©es.

 

Mais c’est pourtant de cette façon-lĂ  que, souvent, notre vie se dĂ©roule. Car celle-ci est multipistes. Je me devais donc de me rendre Ă  cette confĂ©rence d’Eileen Myles puis d’essayer d’en rendre compte. MĂȘme si, sans aucun doute, cet article comporte dĂ©ja beaucoup d’erreurs, beaucoup de conneries et beaucoup de hors sujets.

 

Franck Unimon, ce vendredi 23 septembre 2022.

Catégories
Argenteuil Corona Circus Crédibilité

Une société bienveillante

Gare de Paris St Lazare, dĂ©but septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Une société bienveillante

 

 

Cette nuit, j’ai lu quelques articles dans la rubrique littĂ©raire d’un journal. On y parlait de plusieurs livres. Plusieurs de ces livres parlaient de la violence des hommes. Une phrase, dans l’un des articles, disait quelque chose comme :

 

« Comprendre ne suffit pas pour pardonner Â».

 

Je n’ai pas aimĂ© cette phrase.

 

Pour appliquer l’éducation bienveillante, la « psychologie positive Â» il faut aussi, dans une certaine mesure, pouvoir bĂ©nĂ©ficier, quand mĂȘme, d’une certaine bienveillance dans la sociĂ©tĂ©, dans le monde, dans la vie. Mon mĂ©tier principal, malgrĂ© sa noblesse, ou peut-ĂȘtre grĂące ou Ă  cause d’elle, m’expose Ă  diverses formes de violences.

 

Hier matin, mon thĂ©rapeute a d’abord tiquĂ© lorsque je  lui ai dit dĂ©libĂ©rĂ©ment :

 

«  Je ne suis qu’un infirmier. Â»

 

Face Ă  son thĂ©rapeute, tout le monde le sait, il ne suffit pas de claquer des consonnes et des voyelles pour dire quelque chose. Il doit comprendre. Et, si nous pensons droit, nous nous devons de lui en faire la dĂ©monstration. Autrement, son travail, si c’est un thĂ©rapeute valable et consciencieux, est de nous remettre dans l’axe.

 

Hier matin, j’ai expliquĂ© Ă  mon thĂ©rapeute que d’un point de vue social, ce mĂ©tier d’infirmier n’est pas considĂ©rĂ© comme un mĂ©tier trĂšs valorisĂ© ou trĂšs prestigieux.

De ce fait, maintenant que, en plus, ma compagne est suspendue de ses fonctions d’infirmiĂšre depuis dix mois, cela va ĂȘtre un handicap pour faire admettre notre fille Ă  l’école privĂ©e de notre ville. Si, comme me l’a dit la libraire rĂ©cemment, l’école privĂ©e prend principalement les enfants dont les parents ont une bonne situation professionnelle.

 

J’ai cru et crois encore Ă  la sincĂšre et spontanĂ©e dĂ©sapprobation, hier, de mon thĂ©rapeute lorsque je lui ai dĂ©peint mon mĂ©tier d’infirmier comme un mĂ©tier de bas Ă©tage. Cependant, j’ai malheureusement su et pu, je pense, lui dĂ©montrer que j’avais raison.

Paris, Gare St Lazare, Septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

La plupart des parents d’enfants que notre fille a cĂŽtoyĂ©e dans son Ă©cole publique – et qui sont dĂ©sormais dans l’école privĂ©e de notre ville- ont des professions socialement et Ă©conomiquement plus « Ă©voluĂ©es Â» ou « supĂ©rieures Â» Ă  celle que ma compagne et moi pratiquons.

 

Je le sais pour avoir cĂŽtoyĂ© un temps ces parents. Comme cela se fait lors de toute rencontre sociale « cordiale Â» Ă  la sortie de l’école. Ou chez l’assistante maternelle. OĂč, si l’on se sourit entre parents et que l’on s’adresse quelques propos convenables, on se jauge aussi beaucoup socialement, personnellement et Ă©conomiquement. En toute bienveillance.

 

D’ailleurs, quel est l’un des meilleurs moyens pour s’assurer que certains parents mais aussi certains enfants sont vĂ©ritablement frĂ©quentables ?

 

Prenons un verre avec eux, soit chez eux, soit chez nous. Recevons tel enfant pour un goûter ou un anniversaire. Ensuite, on se fait notre propre idée.

 

C’est ce qui s’est passĂ© avec plusieurs parents d’enfants que notre fille a pu connaĂźtre dans son Ă©cole maternelle. Aujourd’hui, nous n’avons plus de contacts avec ces parents alors que leurs enfants sont Ă  l’école privĂ©e de notre ville. Une Ă©cole qui se trouve Ă   cinq minutes Ă  pied de l’école publique de notre fille.

 

Les parents de ces enfants ne sont ni infirmiers, ni aide soignants. Un ou deux ingĂ©nieurs. Ou Ă©quivalents. Cadres sup. Je connais personnellement un couple dont les deux enfants sont Ă©galement Ă  l’école privĂ©e de notre ville. La femme du couple Ă©tait une ancienne trĂšs bonne amie de ma sƓur. Donc, je connais vraiment plutĂŽt personnellement ce couple. Profil de cadre sup.

 

Donc, mĂȘme si j’ai pu entendre dire que pour faire admettre son enfant dans cette Ă©cole privĂ©e, qu’il convient de persĂ©vĂ©rer et de s’y reprendre Ă  plusieurs fois, oĂč est, dĂ©jĂ , la bienveillance dont nous bĂ©nĂ©ficions, ma compagne, notre fille et moi, Ă  devoir constater que la plupart des parents, dont les enfants sont aujourd’hui dans cette Ă©cole privĂ©e depuis plusieurs annĂ©es, occupent des fonctions professionnelles « supĂ©rieures Â» socialement et Ă©conomiquement aux nĂŽtres ?!

Paris, rue de Rivoli, Aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hier matin, j’en ai rajoutĂ© dans les arguments devant mon thĂ©rapeute pour dĂ©montrer Ă  quel point le mĂ©tier d’infirmier est dĂ©classĂ©. Mais peut-ĂȘtre, aussi, pour bien lui faire comprendre Ă  quel point j’avais encore besoin de ses services.

 

Pendant le premier confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid, en 2020, on applaudissait les soignants Ă  20h. Pour les encourager et les remercier pour leur « courage Â» et leur « hĂ©roĂŻsme Â». Un an plus tard, on suspendait certains de ces hĂ©ros car ceux-ci refusaient de se faire vacciner contre le Covid. Ainsi depuis la fin de l’annĂ©e derniĂšre, ma compagne est-elle sans salaire. OĂč est la bienveillance dont ma compagne, comme d’autres dans sa situation, suspendus pour les mĂȘmes raisons, bĂ©nĂ©ficie ? Dont notre fille et moi bĂ©nĂ©ficions ?

 

NĂ©anmoins, il arrivera un jour oĂč je devrais aussi rappeler Ă  ma compagne deux points auxquels elle devra se conformer que cela lui plaise ou non :

 

Si ĂȘtre fonctionnaire assure en principe la sĂ©curitĂ© de l’emploi, cela impose aussi des Devoirs. Un fonctionnaire se doit Ă  certains actes si son employeur le lui demande ou l’exige de lui. En contrepartie, son employeur lui verse un salaire et lui assure la sĂ©curitĂ© de l’emploi. Et, cela, je crois, a Ă©tĂ© oubliĂ© par ma compagne et d’autres.

 

En refusant la vaccination obligatoire contre le Covid.

 

AprĂšs tout, mĂȘme des Ministres ou des dĂ©putĂ©s qui sont des trĂšs hauts fonctionnaires de l’Etat sont amenĂ©s Ă  dĂ©missionner lorsqu’ils ne correspondent plus Ă  certains critĂšres exigĂ©s, Ă  certaines obligations dĂ©cidĂ©es, par l’Etat. Alors, des « petits Â» infirmiers et aides soignants, qui sont des tout petits fonctionnaires en comparaison n’ont aucune possibilitĂ© de s’opposer Ă  l’Etat si celui-ci dĂ©cide de les suspendre ou de les rĂ©voquer en cas de dĂ©saccord majeur ou autre.

 

 

Il a Ă©tĂ© question quelques temps, devant la pĂ©nurie soignante, de rĂ©intĂ©grer le personnel soignant non vaccinĂ©. Hier matin, mon thĂ©rapeute m’a confirmĂ© que la Haute AutoritĂ© de SantĂ© (la HAS) l’avait finalement refusĂ©. Et, c’est facile Ă  comprendre :

 

Des personnes sont mortes du Covid car celui-ci a Ă©tĂ© transmis ou aurait Ă©tĂ© transmis par du personnel soignant non vaccinĂ© contre le Covid. Avant que la vaccination contre le Covid ne devienne obligatoire. Je connais au moins une personne, dans notre ville, que ma compagne a croisĂ©e une fois, dont le pĂšre est mort du Covid dans l’EPHAD oĂč il se trouvait. Selon cette connaissance, que je crois fiable, son pĂšre Ă©tait en bonne santĂ©. Et c’est une infirmiĂšre ou une soignante, porteuse du Covid, qui aurait transmis le Covid Ă  plusieurs pensionnaires de l’EPHAD.

 

Comment voulez-vous aprĂšs ce genre d’évĂ©nement rĂ©intĂ©grer dans des lieux de soins des soignants non vaccinĂ©s contre le Covid ?

Et comment vont le prendre celles et ceux qui se sont obligĂ©s (ou soumis) Ă  la vaccination obligatoire contre le Covid ?

 

 

Enfin, beaucoup plus cynique mais le livre Les Fossoyeurs  de Victor Castanet, qui a fait « scandale Â» concernant le mode de gestion des EPHAD, va dans ce sens :

 

Cet Ă©tĂ©, malgrĂ© la pĂ©nurie de soignants, on n’a pas entendu parler de scandale sanitaire, de surmortalitĂ© dans les hĂŽpitaux malgrĂ© la canicule. Donc, on a pu ou su se passer des soignants suspendus. Pire :

 

Ce qui est trĂšs pratique avec ces soignants suspendus, c’est qu’ils permettent de faire des Ă©conomies. Puisque l’on n’est plus tenu de leur verser de salaires depuis bientĂŽt un an. Ce qui reste raccord Ă  la fois avec la politique de l’autruche et des Ă©conomies budgĂ©taires imposĂ©es aux Ă©tablissements de soins depuis plusieurs dĂ©cennies. Donc bien avant que l’ouvrage de Victor Castanet ne paraisse dĂ©but 2022 et ne fasse « scandale Â». L’oubli est l’une des plus grandes compĂ©tences espĂ©rĂ©es chez celles et ceux qui dĂ©cident de la gestion de l’avenir des lieux de soins depuis des annĂ©es.

 

Je crois donc de plus en plus que les soignants suspendus comme ma compagne, s’ils persistent Ă  refuser le vaccin anti-Covid, vont ĂȘtre ni plus ni moins oubliĂ©s et sacrifiĂ©s par le gouvernement. Mais aussi par les Ă©tablissements qui les « emploient Â». LĂ  encore, de quelle bienveillance, ma compagne, notre fille et moi bĂ©nĂ©ficions-nous ?

 

 

Aucune.

 

 

Je vais rajouter un autre thĂšme ou deux.

 

Paris, Aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

D’un point de vue familial, comme beaucoup de personnes, ma compagne et moi avons vĂ©cu des Ă©vĂ©nements plutĂŽt « nĂ©vrotisants Â» en tant qu’enfants. La violence, l’alcoolisme et/ou la dĂ©pression ont aurĂ©olĂ© notre enfance. Ces hĂ©ritages laissent des traces. Des habitudes. Des automatismes. De dĂ©fense, de repli, de fuite, de combat, de recherche ou de
.rĂ©plication.

Un soignant, d’autant plus en pĂ©dopsychiatrie et en psychiatrie, ou dans tout service de santĂ© mentale, est un individu qui vient se poster qu’il s’en aperçoive ou non, prĂšs des frontiĂšres de son histoire originelle. Cela peut l’aider pour aider d’autres personnes. Mais cela peut aussi le troubler et le dĂ©semparer. Sauf s’il dĂ©cide de rester sourd, barricadĂ© et aveugle devant son histoire. C’est bien ce que les dirigeants au moins politiques- qui se rĂ©pliquent- font en matiĂšre de politique de santĂ© publique depuis des annĂ©es :

Rester sourds, barricadĂ©s et aveugles. Et budgĂ©ter. Il est plus facile de compter des chiffres et de regarder des statistiques. 

L’une des consĂ©quences est que bien des soignants ont l’impression de faire l’expĂ©rience du servage. 

Reculons encore en arriĂšre dans le temps et on tombe sur la toile d’araignĂ©e de
.l’esclavage. Soit sur l’expĂ©rience de l’esclavage. Soit sur la mĂ©moire plutĂŽt traumatisante de l’esclavage. Une mĂ©moire -enfouie ou non- qui rĂ©siste sur l’arbre du temps que l’on porte en soi. Et oĂč l’on peut s’apercevoir que, blancs ou noirs, on peut ĂȘtre nombreux Ă  avoir une certaine expĂ©rience, plus ou moins lointaine, de l’esclavage. 

 

Mais sans aller jusqu’à l’esclavage car cela ennuie d’en entendre encore parler, rappelons tout simplement le racisme. En tant qu’homme noir, je suis content de dire que je prĂ©fĂšre vivre dans la France en 2022 plutĂŽt que dans la France de 1822. NĂ©anmoins, je reste un homme noir dans un pays de blancs. Et notre fille est une mĂ©tisse dans un pays de blancs.

 

Mais aussi dans un pays oĂč les prĂ©noms ont aussi leur importance. Lorsque j’ai eu trouvĂ© le prĂ©nom de notre fille ( ce prĂ©nom est le rĂ©sultat Ă  la fois des exigences de sa mĂšre mais aussi de ma petite crĂ©ativitĂ©), j’étais content. Cependant, Ă  aucun moment je n’ai pensĂ© au fait que certains prĂ©noms passent « mieux Â» que d’autres les filtres des sĂ©lections lorsque l’on prĂ©sente un dossier pour une candidature. Il n’en demeure pas moins que, noir en France, portant un prĂ©nom plutĂŽt qu’un autre, cela expose ou peut exposer Ă  certaines violences. Des violences directes et indirectes, immĂ©diates ou diffĂ©rĂ©es, visibles ou invisibles. A moins de rester Ă  la place qui nous a Ă©tĂ© allouĂ©e. Si notre place consiste Ă  faire dame pipi ou silhouette d homme de mĂ©nage sur un plateau de tournage aucun problĂšme. On peut porter le nom que l’on veut. Et ĂȘtre noir ou arabe peut alors se rĂ©vĂ©ler un avantage.

 

Est-ce-que notre fille aurait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© admise Ă  l’école privĂ©e si elle s’était prĂ©nommĂ©e Marie, Elizabeth, ThĂ©resa, GeneviĂšve ou Victorine ?

 

Aucune idĂ©e. D’autant que je sais qu’il y a des petites Arabes et musulmanes admises Ă  l’école privĂ©e.

 

Donc, on peut et on sait applaudir des soignants par temps de pandĂ©mie tandis que l’on reste bien Ă  l’abri chez soi. Par contre, lorsqu’il s’agit d’admettre leur enfant dans une Ă©cole privĂ©e ou dans une bonne Ă©cole, on fait les difficiles.

 

L’école publique de ma fille a perdu un tiers de son budget par rapport Ă  l’annĂ©e derniĂšre. Comme d’autres parents, je l’ai appris la semaine derniĂšre par son nouveau Maitre d’école lors de la rĂ©union de rentrĂ©e. Un maitre d’école en qui je crois et qui a pu dire Ă  la fin de la rĂ©union, durant laquelle il aura gardĂ© son sourire :

 

« J’aime la difficultĂ© Â».

Ce maitre d’école nous a appris faire trois heures de trajet pour venir Ă  l’école puis trois autres heures pour rentrer chez lui Ă  chaque fois.

 

Hier aprĂšs-midi, le papa d’une ancienne copine de ma fille m’a appris que dans son Ă©cole (une autre Ă©cole publique de notre ville), il y ‘avait une pĂ©nurie de rames de papier.

 

 

OĂč est la bienveillance dans tout ça ?

 

 

Lorsque ces quelques expĂ©riences de violences de rejet, d’indiffĂ©rence ou de maltraitances finissent par croiser, ce qui est inĂ©vitable, l’anxiĂ©tĂ© mais aussi l’épuisement ou le dĂ©couragement d’un parent concernant l’avenir de son enfant, mais aussi son propre avenir en tant qu’individu, il ne faut pas s’étonner si celui-ci en arrive, par moments, par secrĂ©ter de la violence et l’infliger Ă  sa descendance ou Ă  son entourage. Ou Ă  lui-mĂȘme.

 

Mais on parle trĂšs peu de ça dans notre sociĂ©tĂ© « bienveillante Â». Dans notre sociĂ©tĂ© « bienveillante Â», il y a d’un cĂŽtĂ© les travailleurs qui en veulent, qui s’en sortent, parce-qu’ils le voulaient vraiment. Et puis, d’un autre cĂŽtĂ©, il y a tous les suspendus, les contaminĂ©s, les pauvres types, celles et ceux qui passent leur temps Ă  se plaindre au lieu de se sortir les doigts du cul et que l’on condamne.

 

Car, dans notre sociĂ©tĂ© « bienveillante Â», tout le monde sait que celles et ceux qui restent sur le cĂŽtĂ©, qui Ă©chouent et qui n’arrivent Ă  rien, sont toujours celles et ceux qui l’ont bien cherchĂ© et qui l’ont mĂ©ritĂ©. Et qu’il faut Ă©viter. Sauf si l’on est soignant ou travailleur social. Dans ce cas, on nous parle de vocation. Alors mĂȘme qu’il faudrait plutĂŽt, un certain nombre de fois, parler plutĂŽt de sacrifice compte tenu des conditions qui sont faites Ă  ces soignants et Ă  ces travailleurs sociaux non seulement pour travailler mais, aussi, pour vivre. 

 

 

Une Ă©cole privĂ©e est-elle vĂ©ritablement l’assurance d’une vie rĂ©ussie ? Disons que dans un monde et un pays oĂč il est devenu rĂ©siduel et mĂȘme normal d’avoir peur de tout que l’on s’en convainc plus facilement. Sauf que je suis incapable d’affirmer si ce dernier point de vue est le rĂ©sultat de mon esprit rĂ©signĂ© ou de la vitalitĂ© encore conservĂ©e de ma luciditĂ©.

 

 

Paris, Aout-Septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Franck Unimon, mardi 20 septembre 2022.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
self-défense/ Arts Martiaux

Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022

 

Hino Akira Sensei, au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Hino Akira Sensei au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022.

 

Cette aprĂšs-midi, je suis allĂ© participer au stage animĂ© par Hino Akira Sensei au Cercle Tissier. Au 108, rue de Fontenay, Ă  Vincennes, Ă  cĂŽtĂ© d’un restaurant. J’avais entendu parler de ce stage « par Â» LĂ©o Tamaki sur les rĂ©seaux sociaux ou en lisant son interview ( par LĂ©o Tamaki lui-mĂȘme) dans le magazine Yashima de ce mois de juillet.

 

Devant l’entrĂ©e du Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Le stage avait débuté ce matin. Pour se terminer demain soir.

 

Comme je n’étais pas certain de pouvoir me faire aux enseignements du Sensei, je me suis inscrit Ă  une seule sĂ©ance avec lui :

 C’était de l’AĂŻkido mais ce n’était pas de l’AĂŻkido. Normal, puisqu’il s’agit de sa mĂ©thode, le Hino Budo. Une mĂ©thode trĂšs simple et, pourtant, souvent, on pouvait se tromper en tentant de la rĂ©aliser.

Hino Akira Sensei face Ă  LĂ©o Tamaki, au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Je me suis dĂ©cidĂ© Ă  participer car je suis attirĂ© par les Arts Martiaux ( Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau ; Les MaĂźtres de l’AĂŻkido ; Marcher jusqu’Ă  un Maitre de Kung Fu Wing Chun traditionnel ).

 

Parce-que Hino Akira Sensei vit au Japon.

 

RĂ©cemment, une collĂšgue m’a demandĂ© ce que je ferais lorsque je serais Ă  la retraite. Parmi mes projets, il y avait l’écriture, la pratique de l’apnĂ©e, ma fille, les voyages et les Arts Martiaux.

 

Les Arts Martiaux sont un voyage en eux-mĂȘmes. Je ne comprends pas qu’autant de personnes autour de moi puissent l’ignorer.

 

DerniĂšrement, aussi, une connaissance m’a informĂ© qu’elle n’était pas du tout intĂ©ressĂ©e par les Arts Martiaux. J’ai d’abord reçu cette information avec rĂ©signation comme un uppercut. Puis, j’ai rĂ©flĂ©chi et je me suis dit qu’il faudrait, lorsque j’en aurais la possibilitĂ© dĂ©sormais de demander Ă  ces personnes peu ou pas intĂ©ressĂ©es par les Arts Martiaux ce qui les rebute autant dedans.

 

MĂȘme si j’ai dĂ©ja une partie de ma rĂ©ponse. Les Arts Martiaux sont aujourd’hui dĂ©laissĂ©s au profit de sports tels que le Crossfit ou le fitness car l’expĂ©rience de la guerre appartient au passĂ©. La guerre en Ukraine, c’est encore trop loin mĂȘme si l’on en subit les consĂ©quences. Et puis, nous avons dĂ©jĂ  « vu Â» des guerres avoir lieu ailleurs. Un peu comme les Ă©ruptions de ces volcans dont les effets les plus directs se maintiennent dans l’enclos de ces pays que l’on regarde.

 

Par ailleurs, nous sommes pratiquement tous des citadins. Bien plus qu’il y a un demi siĂšcle. Lorsque l’on habite depuis des annĂ©es dans une ville, dans un pays riche et officiellement dĂ©mocratique, on se fait Ă  l’idĂ©e que l’ordre et la paix y sont abritĂ©s et garantis pour toujours. Et qu’en cas de danger, on bĂ©nĂ©ficiera d’alertes, d’aides, d’une justice et de protections efficaces.

Le MMA, le Krav Maga et la Self-DĂ©fense sont bien des disciplines qui prennent de l’essor mais elles comptent quand mĂȘme plus de spectateurs que de pratiquants. Et, sans aucun doute qu’une partie de leurs pratiquants est passĂ©e au prĂ©alable par le tamis d’un ou de plusieurs Arts martiaux ou sports de combats.

 

 

D’ailleurs, Hino Akira Sensei, avant de devenir Maitre, comme tous les Maitres, j’ai fini par le savoir, est passĂ© par l’apprentissage de plusieurs Arts Martiaux : KaratĂ©, Aikido, Iaido
..

 

(re)venir au Cercle Tissier ce samedi aprĂšs-midi, c’est dĂ©jĂ  en soi se rapprocher d’une Histoire et d’un avenir. Et, aujourd’hui, cela l’a Ă©tĂ© davantage avec la prĂ©sence de Hino Akira Sensei, 74 ans.

 

 

Hino Akira Sensei avec LĂ©o Tamaki, au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

La Présence

 

Pour nous qui sommes habituĂ©s Ă  des vies souvent stĂ©rĂ©otypĂ©es, prendre connaissance et dĂ©velopper notre prĂ©sence est toute une dĂ©marche. Pour cela, il faut aller Ă  la rencontre de certaines personnes et de certaines expĂ©riences possibles en certains lieux. Cette aprĂšs-midi, nous Ă©tions environ une soixantaine de personnes, peut-ĂȘtre un peu plus, sur le tatamis. A venir de Moselle, de Perpignan, de Lorraine, de Lyon, de Reims ou d’ailleurs. Je suis venu d’Argenteuil. ( Argenteuil, une ville de banlieue parisienne qui reste Ă  affranchir).

 

J’ai croisĂ© des Ă©lĂšves de Maitre LĂ©o Tamaki qui participent Ă  ses cours au dojo 5 Ă  Paris ( Dojo 5). J’ai aussi croisĂ© des pratiquants de combat russe, de karatĂ© shotokan, de Tai Jitsu, d’AĂŻkido
.

Il y avait plus d’hommes que de femmes. En moyenne d’ñge, j’opterais pour 40-45 ans.

 

Une fois sur place, il s’agit d’essayer d’assimiler ce que le Maitre nous enseigne. Le Maitre s’exprime en Japonais et, rĂ©guliĂšrement, LĂ©o Tamaki, traduit.

 

De gauche Ă  droite, Hino Akira Sensei, LĂ©o Tamaki, Laurent Sikirdji au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Le terme « Maitre Â» dĂ©range peut-ĂȘtre celles et ceux qui ne pratiquent pas du tout les Arts Martiaux. Et, ils voient peut-ĂȘtre ce terme comme l’équivalent de la soumission Ă  un prĂȘtre, Ă  un rabbin ou Ă  un imam. La « couverture » laĂŻque de la France explique peut-ĂȘtre aussi cette forme de rejet pour les Arts Martiaux. Car je me rappelle maintenant la ferveur religieuse et spirituelle de Maitre Ueshiba. Ou de Maitre Shioda.

Et, il est vrai que les Arts Martiaux ont aussi Ă  voir avec une aspiration et une dimension au moins spirituelle, philosophique voire, parfois, mystique.

 

Hino Akira Sensei et LĂ©o Tamaki, au Cercle Tissier, Ă  Vincennes, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Mais ĂȘtre prĂ©sent, sur le tatamis, c’est ĂȘtre vivant, plus que soumis, lorsque l’on pratique. C’est oublier, abandonner, cette femme ou cet homme stĂ©rĂ©otypĂ© que l’on s’est attribuĂ© comme identitĂ©.  

 

Ce n’est pas facile.

Hino Akira Sensei face Ă  LĂ©o Tamaki, au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Il faut rĂ©pĂ©ter plusieurs fois pour se libĂ©rer de nos propres conduites. Des conduites plus ou moins serviles qui nous ont servi et qui nous servent en sociĂ©tĂ© mais qui nous sĂ©parent de nous mĂȘmes, aussi. Nous faisons rĂ©guliĂšrement trop d’efforts lorsque cela n’est pas nĂ©cessaire. Nous respirons aussi assez mal et nous nous Ă©puisons pour des tĂąches qui n’en valent pas vraiment la peine. Et lorsque nous avons vĂ©ritablement besoin du meilleur de nos forces tant morales que physiques, nous sommes absents ou parvenons difficilement Ă  surmonter certains obstacles pourtant Ă  notre portĂ©e.

 

C’est sans doute ça qui m’attire dans les Arts Martiaux, la recherche de la justice et de l’économie au travers du geste et du souffle juste. Et, Hino Akira SenseĂŻ, ainsi que celles et ceux qui l’entourent ce samedi aprĂšs-midi, est une des portes possibles vers cela.

 

Hormis LĂ©o Tamaki, croisĂ© deux ou trois fois, et avec qui j’ai pu correspondre, je ne connaissais personne Ă  ce stage. Les Arts Martiaux me semblent aussi un bon moyen de rencontrer d’autres personnes. Ce samedi aprĂšs-midi, j’ai eu la chance de pouvoir pratiquer avec des personnes diffĂ©rentes. Laurent Sikirdji a fait partie de ces personnes « diffĂ©rentes ». J’ai aimĂ© travailler avec lui et d’autant plus tenu Ă  le prendre en photo qu’il est en quelque sorte le photographe de l’Ă©vĂ©nement. Et que, souvent, les photographes, sont celles et ceux qui nous assurent de bons souvenirs de notre image alors que leur propre visage reste invisible. 

Laurent Sikirdji au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Mais j’ai aussi eu la chance de me faire corriger une fois par Hino Akira Sensei. Ce moment de correction est restĂ© pour moi intimidant. D’un cĂŽtĂ©, j’ai Ă©tĂ© content que le Maitre prenne un peu de temps pour moi. D’un autre cĂŽtĂ©, j’ai craint de lui faire perdre son temps et ne suis pas certain d’avoir « rĂ©ussi Â» mĂȘme aprĂšs qu’il ait acquiescĂ©.

 

 

Hino Akira Sensei, au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Apprendre Ă  se relĂącher, Ă  s’enlever de la force, Ă  sentir que s’assembler Ă  l’autre sans Ă  coups permet de le renverser ou de le « dĂ©structurer Â» a Ă©tĂ© une dĂ©couverte plaisante, pas toujours Ă©vidente.

 

A la fin du cours, Hino Akira Sensei a demandĂ© si nous avions des questions. Quelqu’un a demandĂ© si faire de la musculation en parallĂšle pouvait aider. Sensei a rĂ©pondu qu’il pouvait faire comme il le souhaitait.

 

AprĂšs le salut, Hino Akira Sensei s’est prĂȘtĂ© au moment des photos et des dĂ©dicaces. J’ai vu fleurir les passeports de pratiquants. Ainsi que quelques exemplaires de livres Ă©crits par Sensei tel que Don’t Think, Listen to the bodydont un stagiaire, pratiquant de karatĂ© shotokan, m’a dit le plus grand bien.

 

Avec Hino Akira Sensei, au Cercle Tissier, ce samedi 3 septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

AprĂšs m’ĂȘtre douchĂ©, et ĂȘtre sorti du Cercle Tissier, lorsque je retrouve la ville de Vincennes, animĂ©e, agrĂ©able, en cette journĂ©e du forum des associations qui se termine, j’ai l’impression de revenir d’un autre monde. D’une autre dimension.

 

 

Une fois rentrĂ© chez moi, dĂšs que j’ai pu, j’ai pris le petit parapluie de ma fille. Puis, j’ai essayĂ© de lui apprendre le peu que j’avais appris.

 

Franck Unimon, ce dimanche 4 septembre 2022.

 

 

 

 

 

 

Catégories
Argenteuil

Argenteuil, une ville de banlieue parisienne qui reste Ă  affranchir

Vue sur Paris et la DĂ©fense depuis la butte d’Orgemont, Ă  Argenteuil. Photo©Franck.Unimon

 

Argenteuil, une ville de banlieue parisienne sur laquelle il reste encore beaucoup à écrire

 

 

Il est dit qu’il faut d’abord beaucoup lire avant de commencer Ă  devenir Ă©crivain.

 

Je n’ai sans doute pas encore lu suffisamment de conneries Ă  propos de la ville d’Argenteuil, oĂč j’habite, pour le devenir. Ou Ă  moins, plus simplement, que comme beaucoup de devins je ne sois principalement douĂ© que pour, vĂ©ritablement, devenir vain.  

 

Cela arrive Ă  beaucoup de monde de se croire capable.

 

Bien des journalistes, lorsqu’ils parlent d’Argenteuil, le croient trĂšs fort : comme des beaux vidĂ©s (peu importe que ce soient des femmes ou des hommes) de crĂ©ativitĂ© et de curiositĂ©, dĂšs qu’ils cochent « article ou reportage sur la ville d’Argenteuil Â» elles et ils se contentent de continuer de suivre le mĂȘme filon ou de relater le mĂȘme type de fait divers. En Ă©crivant sur Argenteuil, elles et ils pensent comme on retrouve, chaque annĂ©e, le mĂȘme lieu de vacances, la mĂȘme location. Un endroit oĂč l’on a ses habitudes et ses connaissances. Parce-que c’est « bien », pas  » trop cher » et qu’il y a un  » trĂšs bon rapport qualitĂ©/prix ». Comme Ă  Lidl ou dans tout autre supermarchĂ©.

 

Gare du Val d’Argenteuil, en 2020 ou en 2021, une des deux gares d’Argenteuil permettant de se rendre Ă  Paris ou Ă  ….Mantes la Jolie, Pontoise, Boissy L’Aillerie, Conflans Ste Honorine, Herblay, Cormeilles en Parisis…. C’est Ă  une dizaine de minutes Ă  pied de cette gare que le Ministre de l’IntĂ©rieur Nicolas Sarkozy avait parlĂ© de karcher sur la dalle d’Argenteuil. Photo©Franck.Unimon

 

Selon ces journalistes, il serait temps que je me rende compte qu’à Argenteuil, les plus de 100 000 habitants qui s’y trouvent sont tous des forcenĂ©s menaçant de se suicider et que le Raid vient dĂ©loger ; tous, des vendeurs de cigarettes Ă  la sauvette prĂšs de la gare d’Argenteuil criant « Marlboro ! Marlboro ! Â» dĂšs qu’on s’en approche ; tous des dealers de shit ; tous, des jeunes qui font des roues arriĂšres en sens interdit dans la rue ; tous, des islamistes et des terroristes voilĂ©s ;  tous, des Ă©trangers en situation irrĂ©guliĂšre pataugeant dans des trafics ou des activitĂ©s nĂ©gociables ;  tous, des jeunes dĂ©scolarisĂ©s et dĂ©linquants ; toutes, des jeunes adolescentes qui se font piĂ©ger sous le viaduc de l’autoroute A86 par deux de leurs camarades de lycĂ©e, puis tabassĂ©es et jetĂ©es dans la Seine oĂč elles finissent par mourir, noyĂ©es, mais d’abord d’hypothermie et de dĂ©sespoir. Le pire  y prospĂšre Ă  ciel et Ă  ventre ouvert en permanence.

 

PrĂšs de la gare du Val d’Argenteuil, 2020 ou 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Heureusement que la Seine, d’une certaine maniĂšre, retient et freine, et filtre, encore- un peu- l’arrivĂ©e de toutes ces lĂ©gions dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©es vers la capitale.

 

Paris, aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Et, il serait temps, aussi, que je m’aperçoive que tout le monde Ă  Argenteuil, plus de 100 000 habitants, part faire ses courses uniquement au centre commercial CĂŽtĂ© Seine situĂ© Ă  moins de cinq minutes Ă  pied de la gare d’Argenteuil centre ville. Paris ou d’autres villes ne sont jamais qu’à quelques minutes en train, en bus, Ă  vĂ©lo ou en voiture, mais pourquoi les Argenteuillais se dispenseraient-ils d’aller faire toutes leurs courses au centre commercial CĂŽtĂ© Seine ?

 

ConsidĂ©rĂ©e comme « une belle endormie Â» par l’un de ses anciens maires, Philippe Doucet, rival atavique du maire actuel, Georges Mothron, Argenteuillais depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations et maire d’Argenteuil pour la troisiĂšme ou quatriĂšme fois, Argenteuil aurait peut-ĂȘtre besoin, pour une meilleure reprĂ©sentativitĂ© politique, d’une Rachida Dati.

Paris, aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Non parce-que cette femme – extrĂȘmement politique- m’est sympathique. Mais parce-que je la trouve impitoyable – en politique- et admirable pour cela.

 

Mais Rachida Dati, ancienne Ministre de la Justice, ne traversera pas la Seine pour devenir maire Ă  Argenteuil. Non seulement parce-que je crois que Dati est mĂ©chante. Mais aussi  parce qu’elle est dĂ©jĂ  trĂšs bien placĂ©e en tant que maire du trĂšs friquĂ© VII arrondissement de Paris depuis 2008 et qu’elle vise plutĂŽt Ă  devenir la prochaine maire de Paris. Anne Hidalgo, l’actuelle maire de Paris depuis 2014, n’a pas fini de l’apprendre.

 

Lorsque, depuis la gare St Lazare, je circule Ă  vĂ©lo jusqu’à mon travail dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris, je n’en finis pas d’apprendre que les rues de Paris mais aussi celles du VIIĂšme arrondissement sont souvent propres.

 

Une ville de paradoxes

 

Les rues d’Argenteuil peuvent ĂȘtre sales. Argenteuil est Ă  la fois une ville de pauvres et de personnes plus aisĂ©es. Certains de ses bĂątiments sont mal entretenus tandis que d’autres quartiers d’Argenteuil, pavillonnaires ou non, sont autrement plus prĂ©sentables. C’est une ville de paradoxes. Elle a de trĂšs grands atouts. Elle a aussi ses grands travers.

 

 2007, l’annĂ©e oĂč j’y suis arrivĂ©, est une annĂ©e oĂč, dans l’immobilier, il y avait souvent plus d’acheteurs que de vendeurs. Argenteuil a aussi profitĂ© de ça tout en restant assez abordable. Proche des autoroutes A15, 115 et A86, mais aussi des villes d’Enghien Les Bains, d’Epinay sur Seine, de Sartrouville, Bezons, Colombes, d’AsniĂšres mais aussi de Sannois et de Cormeilles en Parisis, en voiture, par le bus ou par le train. A mi-chemin, au moins par le train, entre Paris (Ă  11 minutes par le train direct) et la banlieue plus Ă©loignĂ©e.

La ligne J qui dessert Argenteuil depuis la gare de Paris St Lazare ( en 11 ou 17 minutes par un train direct ou omnibus ) peut aussi transporter les voyageurs jusqu’Ă  des villes telles que Gisors, Pontoise, Boissy L’Aillerie, Mantes la Jolie, Eragny, Herblay, Cormeilles en Parisis, Conflans Ste Honorine, Chanteloup les Vignes. Ces villes de banlieue voire de proche province peuvent ĂȘtre inconnues des millions de personnes habitant Paris ou les autres villes de la rĂ©gion d’Ăźle de France, Argenteuillaises et Argenteuillais inclus. Le nom de certains de ces villes peut mĂȘme horrifier.

Chanteloup les Vignes ou Mantes la Jolie, par exemple, des villes de banlieue situĂ©es dans les Yvelines, connaissent aussi leurs moments de gloire mĂ©diatique sur la table de la loi des faits divers. Toutes deux sont sans doute relĂ©guĂ©es et maintenues, comme Argenteuil, dans le « camp » ou dans la division des villes Ă  redouter ou Ă  Ă©viter. Il est nĂ©anmoins possible de s’y rendre sans s’y faire trucider. Mais pour cela, encore faut-il dĂ©ja ĂȘtre capable de sortir de son environnement rĂ©siduel et quotidien, et, si l’on prend le train, de percevoir la ligne J aussi comme une ligne de vie et non comme une ligne de dĂ©clin et de dĂ©cĂšs annoncĂ© pour celle ou celui qui la prend ou la suit.  

Mais, le plus souvent, on emprunte une ligne de train de banlieue, de mĂ©tro ou de RER, parce-que l’on y est obligĂ© ou que l’on a un projet vers certaines destinations. Il est encore assez rare, malheureusement et tristement, que l’on emprunte une ligne de train de banlieue, de mĂ©tro, de RER ou de tramway pour le plaisir de voyager et de dĂ©couvrir. Les principales raisons qui nous font prendre les transports en commun sont le travail, les amis et les rencontres amoureuses, les rendez-vous mĂ©dicaux ou autres, les trajets pour nous rendre Ă  un aĂ©roport ou dans une gare d’oĂč nous partons en voyage, les Ă©vĂ©nements culturels et…les magasins. Et Paris est une ville pleine d’Ă©vĂ©nements culturels et de magasins. Beaucoup plus que dans une ville comme Argenteuil. Quoi de plus normal, Paris Ă©tant la capitale de la France, une ville bien plus grande et bien plus peuplĂ©e qu’Argenteuil ( 10 millions d’habitants versus un peu plus de 100 000). Et Paris est aussi une capitale culturelle mondialement reconnue et recherchĂ©e. 

En 2007,  Ă  Argenteuil, l’arrivĂ©e proche du tramway Ă©tait annoncĂ©e comme une raison supplĂ©mentaire pour venir s’y installer. On peut sourire Ă  se dire, que pour une ville si « proche » de Paris, un tel argument soit nĂ©cessaire afin de la rendre attractive. Mais Argenteuil Ă©tait une ville dont on pouvait penser, malgrĂ© sa rĂ©putation, qu’elle Ă©tait un bon choix stratĂ©gique pour l’avenir. C’était ce que je m’étais dit.

 

Et, je l’avais vĂ©rifiĂ©. Et le vĂ©rifie encore.

 

Sur la butte d’Orgemont, Ă  Argenteuil. Photo©Franck.Unimon

 

Lors de mes premiĂšres visites, Ă  pied, en 2007, j’avais vu un jeune couple lesbien se diriger main dans la main jusqu’à la gare d’Argenteuil qui Ă©tait alors inconnue des  permanentes portes ( ou fosses) de validation.

 

En 2007, devant la gare d’Argenteuil alors encore libre, les mains des deux femmes s’étaient sĂ©parĂ©es. Elles s’étaient embrassĂ©es. Puis, l’une des deux s’était dirigĂ©e vers le quai pour Paris. C’était simple. Facile. Il n’y avait pas grand monde. Personne n’avait Ă©tĂ© choquĂ©. Il n’y avait pas de vendeurs de cigarettes Ă  la sauvette. Pas d’obstacle. Paris m’avait semblĂ© bien plus proche.

 

Dans une des rues d’Argenteuil, toujours avant de me dĂ©cider Ă  venir y emmĂ©nager, j’avais discutĂ© avec un passant que j’avais croisĂ©. Celui-ci m’avait rĂ©pondu avec un sourire qu’il ne s’était rien passĂ© Ă  Argenteuil durant les Ă©meutes de banlieue. Que c’était mĂȘme « trĂšs calme Â».

AprĂšs mon emmĂ©nagement en avril 2007, j’avais ensuite dĂ©couvert, prĂšs de chez moi, un centre ville avec une trĂšs bonne poissonnerie. Un trĂšs bon marchand de primeurs quoiqu’assez cher. Ainsi que le cĂ©lĂšbre grand marchĂ© d’Argenteuil qui recrutait sa clientĂšle y compris parmi des personnes venant d’autres villes. MĂȘme s’il Ă©tait plus petit et moins bien « qu’avant Â».

Le personnel de la médiathÚque, prÚs de la mairie, était accueillant mais aussi trÚs impliqué socialement.

 

La gare permettait d’ĂȘtre Ă  Paris bien plus rapidement et plus agrĂ©ablement que lorsque j’habitais Ă  Cergy le Haut. Je n’avais plus Ă  m’enfourner dans les tunnels du RER A Ă  partir de Nanterre PrĂ©fecture comme je l’avais fait pendant plus de vingt ans. Enfin, de l’air !

 

Travaillant alors Ă  Conflans Ste Honorine, en pleine heure de pointe, j’avais plusieurs fois Ă©tĂ© satisfait Ă  la fois de pouvoir disposer d’un rĂ©seau de trains adĂ©quat mais, aussi, d’ĂȘtre souvent Ă  contre-courant de la foule. Et, lorsque j’avais besoin d’aller Ă  Paris, sa proximitĂ© faisait le reste.

 

A partir de 2009, j’ai commencĂ© Ă  travailler Ă  Paris. Et, depuis mon arrivĂ©e en 2007, j’ai peut-ĂȘtre assistĂ© au fait qu’Argenteuil est Ă  la fois une ville qui vieillit et qui meurt et aussi une ville qui se transforme.

 

 

Peu aprĂšs mon arrivĂ©e, la trĂšs bonne poissonnerie a changĂ© de propriĂ©taire. Les produits ont trĂšs vite perdu de leur attrait pour moi. Cette poissonnerie a plus tard Ă©tĂ© l’objet d’un article tant ses produits Ă©taient mauvais. Je l’ai appris par un des commerçants. Mais j’ai aussi appris par un autre commerçant que les huitres vendues par cette « nouvelle Â» poissonnerie Ă©taient bonnes.

Le trĂšs bon – et cher- marchand de primeurs a pris sa retraite. Je le croise de temps Ă  autre lors des Ă©lections. Il fait souvent partie du bureau Ă©lectoral qui assure le bon dĂ©roulement des votes. De l’autre cĂŽtĂ© de l’avenue Gabriel PĂ©ri qui mĂšne aussi Ă  la mairie depuis le pont d’Argenteuil, un autre marchand de primeurs, oĂč j’ai mes habitudes, a ouvert.

Plusieurs des sympathiques et engagĂ©s bibliothĂ©caires du Val d’Argenteuil mais aussi d’Argenteuil sont partis ailleurs voire Ă  la retraite.

Le tramway est arrivĂ© Ă  Bezons, Ă  AsniĂšres, Ă  Epinay sur Seine. Il est prĂ©vu Ă  Colombes. Mais pas Ă  Argenteuil. Pour les jeux Olympiques de 2024, Colombes, une des villes trĂšs proches, a rĂ©ussi Ă  obtenir d’organiser deux Ă©vĂ©nements. Les Ă©preuves de compĂ©tition de hockey sur Gazon. Les entraĂźnements des Ă©quipes de natation synchronisĂ©e. Lorsque l’on quitte Argenteuil par son pont et que l’on se dirige vers Nanterre par l’autoroute A86, on peut voir les nouveaux programmes immobiliers en cours dans la ville de Colombes. Ça bĂ©tonne dur.

 

L’immobilier à Argenteuil

 

Dans le centre ville d’Argenteuil. En 2021, vraisemblablement. Photo©Franck.Unimon

 

 

Argenteuil aussi a concrĂ©tisĂ© des programmes immobiliers. D’autres sont prĂ©vus. Mais le prix de l’immobilier, Ă  Argenteuil, reste une Ă©nigme. Le marchĂ© locatif serait une aubaine. Pour qui a de quoi proposer un appartement Ă  la location, Argenteuil serait une ville avantageuse.

 

Par contre, pour ce qui est de vendre un appartement Ă  Argenteuil, on trouve un peu diffĂ©rentes sortes de cas de figure. Je connais des personnes qui ont Ă©tĂ© trĂšs contentes de la vente de leur appartement Ă  Argenteuil. Je reste, pour ma part, plus rĂ©servĂ©. Un agent immobilier que j’ai contactĂ© dĂ©but aout m’a peut-ĂȘtre permis de comprendre la raison pour laquelle le marchĂ© de l’immobilier, « sur Â» Argenteuil, est si particulier et peut ĂȘtre si dĂ©concertant.

 

Argenteuil est une ville qui connaĂźt de trĂšs forts contrastes. L’agent immobilier m’a parlĂ© d’Argenteuil comme de la ville ayant le « plus grand Ă©cart type du Val d’Oise Â» concernant le prix du mĂštre carrĂ©. Ce qui donne un prix moyen au mĂštre carrĂ© globalement peu favorable, a priori, au vendeur chaque fois que des potentiels acquĂ©reurs tapent sur internet « prix du mĂštre carrĂ© Ă  Argenteuil Â». A partir de lĂ  s’ensuit une certaine logique de prix et de nĂ©gociation dans la tĂȘte des potentiels acquĂ©reurs :

 

« Argenteuil, c’est pas cher ou on peut facilement marchander le prix Â».

 

Photo©Franck.Unimon

 

Et, cela reste possible jusqu’à un certain point dans la mesure oĂč la rĂ©putation d’Argenteuil fait que l’on prĂ©fĂšre encore habiter Ă  AsniĂšres ou Ă  Colombes, deux villes du 92, proches, mais aussi plus chĂšres, et qu’Argenteuil est sans doute encore un choix de raison plus qu’un choix de rĂȘve ou de « passion Â» lorsque l’on se dĂ©cide Ă  acheter dans l’immobilier :

 

« Sois raisonnable, achĂšte Ă  Argenteuil Â» est sans doute plus frĂ©quent que penser «  Je kiffe cette ville d’Argenteuil.  Je tiens absolument Ă  venir m’y installer Â».

 

Pour autant, Ă  ce que je vois, depuis 2007, les agences immobiliĂšres d’Argenteuil ne ferment pas. Elles semblent plutĂŽt avoir un peu augmentĂ© en nombre. J’en connais mĂȘme une qui s’est agrandie. J’avais eu affaire, d’ailleurs, Ă  une de ses reprĂ©sentantes, la   sous-dirigeante ou la femme du « patron Â» de cette agence, en 2013 ou 2014. Elle Ă©tait venue Ă©valuer mon F2 achetĂ© au prix fort en 2007.

AprĂšs avoir tenu les murs de mon appartement pendant une heure, cette « professionnelle Â» de l’immobilier m’avait donnĂ© rendez-vous Ă  son agence quelques jours plus tard. Tout ce cĂ©rĂ©monial pour m’annoncer qu’elle me demandait de baisser le prix de vente de mon appartement assez drastiquement. En m’affirmant qu’autrement, je ne trouverais jamais preneur. Je m’étais fĂąchĂ© avec cette biomasse de suffisance qui m’avait pris pour un con. Je l’avais recroisĂ©e ensuite quelques fois dans Argenteuil. Elle avait fait attention de m’ignorer.

 

Pratiquement en face de l’agence de cette connasse, en traversant l’avenue Gabriel PĂ©ri, une autre agence immobiliĂšre m’avait ensuite trouvĂ© une acheteuse intĂ©ressĂ©e me faisant une proposition supĂ©rieure de 15 000 euros Ă  celle estimĂ©e trĂšs fiable par la connasse.

Proposition malheureusement encore infĂ©rieure de 6000 euros au prix de vente que j’attendais. Un prix de vente « raisonnable Â» fixĂ© Ă  la fois aprĂšs plusieurs estimations mais aussi en tenant compte du prix d’achat (supĂ©rieur !) de mon appartement six ans plus tĂŽt. Ce qui signifie que six ans aprĂšs l’avoir achetĂ© dans un immeuble ancien, mon appartement, un F2 pourtant bien situĂ© en plein centre ville d’Argenteuil, avait perdu de sa valeur. MĂȘme si les agents immobiliers sollicitĂ©s, chacun leur tour, avaient tenu Ă  m’expliquer que ce n’était pas que mon appartement avait perdu de sa valeur mais
..

 

 

Les écoles à Argenteuil

 

Les Ă©coles d’Argenteuil sont aussi, pour moi, un tracas. J’ai fini par dĂ©couvrir qu’on habite diffĂ©remment une ville selon que l’on s’y Ă©tablit seul ou que l’on y Ă©lĂšve ses enfants. ArrivĂ© cĂ©libataire et sans enfant en 2007, mais aussi sans la moindre conscience de tout ça, je n’y avais jamais pensĂ© en venant habiter Ă  Argenteuil. J’étais aussi, sans doute, trĂšs confiant dans l’avenir. A la fois trĂšs optimiste mais aussi trĂšs naĂŻf.

 

 Au contraire, sans doute, de certains de mes proches et  connaissances ayant fait le choix d’aller habiter dans d’autres villes mieux rĂ©putĂ©es ou plus frĂ©quentables.

Paris, rue de Rivoli, Aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Il y a une vingtaine d’annĂ©es encore, pourtant, Ă  ce que j’ai pu entendre dire, les collĂšges publics d’Argenteuil, Ă©taient bien voire trĂšs bien. DĂ©sormais, ces collĂšges sont ou seraient Ă  Ă©viter. Alors de plus en plus de parents, trĂšs tĂŽt, dĂšs la maternelle, se rabattent sur l’école privĂ©e Ste GeneviĂšve qui s’est un peu agrandie ces cinq derniĂšres annĂ©es. J’ai connu des voisins qui avaient mis leur fille Ă  l’école Ste GeneviĂšve. Elle est aujourd’hui ingĂ©nieure et aurait un CV trĂšs recherchĂ©. Mais elle Ă©tait allĂ©e Ă  Ste GeneviĂšve sans doute Ă  peu prĂšs Ă  l’époque oĂč j’arrivais Ă  Argenteuil. En 2007. Il Ă©tait alors plus facile d’entrer Ă  l’école Ste GeneviĂšve. Ce que je connais de plus courant pour faire admettre son enfant Ă  l’école Ste GeneviĂšve tourne autour de : Il faut ĂȘtre l’enfant ou la sƓur ou le frĂšre de quelqu’un qui y a Ă©tĂ© scolarisĂ©. Ou renouveler ses demandes plusieurs annĂ©es de suite. Et relancer rĂ©guliĂšrement l’école.

 

L’école publique, mais aussi le centre de loisirs, oĂč se trouve encore ma fille m’a pourtant permis de rencontrer plusieurs enseignantes et enseignants, ainsi que des animateurs, dĂšs la maternelle, trĂšs compĂ©tents et trĂšs impliquĂ©s. Des enseignants pour lesquels je continue de ressentir un mĂ©lange d’admiration, de reconnaissance et de sympathie. Mais dĂšs le CE1, ma fille a dĂ» apprendre Ă  composer avec les absences, dĂ©butant l’annĂ©e scolaire avec une enseignante, la terminant avec une autre Ă  compter du mois de janvier. Sans compter que je ne peux m’empĂȘcher de penser que ma fille a captĂ© certains tics de langage et aussi certains comportements- contraires Ă  mes limites comme Ă  mes enseignements- dans son Ă©cole et dans le centre de loisirs. Si chaque parent a Ă  vivre ce genre d’expĂ©rience contraire Ă  ses jugements et Ă  ses prĂ©fĂ©rences Ă©ducatives, ma dĂ©formation professionnelle (en pĂ©dopsychiatrie) me pousse nĂ©anmoins Ă  croire que ma fille, dans son Ă©cole et dans son centre de loisirs, a devant elle certains modĂšles rĂ©pĂ©tĂ©s qui pĂątissent de certaines carences Ă©ducatives. Ce qui nous oblige ensuite, sa mĂšre et moi, Ă  redoubler d’efforts Ă  la maison pour rappeler Ă  notre fille certaines rĂšgles. Pourtant, je suis pour la mixitĂ©. J’en suis d’ailleurs une des rĂ©sultantes. Mais je suis pour la mixitĂ© lorsqu’elle ouvre et transcende. Pas lorsqu’elle fait rĂ©gresser et se dĂ©tourne de l’avenir. Parce-que l’avenir, c’est aussi aujourd’hui. Rester uniquement entre soi, ce n’est pas pour moi. Ce n’est pas mon projet.

Spectacle au centre culturel Le Figuier blanc, d’Argenteuil, septembre 2020 ou 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Argenteuil, une ville plus vivante que d’autres

 

 

Argenteuil est-elle une ville plus communautaire que d’autres ? Si je m’en tiens au peu que j’entrevois de certains codes sociaux dans certains milieux, y compris Ă  Argenteuil, je dirais qu’Argenteuil est une ville aussi communautaire que d’autres. Mais plus vivante que d’autres. Argenteuil est une mappemonde. Comme Cergy-Pontoise. Ce sont deux villes oĂč il y a beaucoup d’origines, beaucoup d’histoires diverses, mais dont trĂšs peu d’élites mĂ©diatiques rendent suffisamment  compte. Sans doute parce-que, comme d’autres villes, de banlieue mais aussi de province, Argenteuil souffre beaucoup d’un certain parisianisme chevronnĂ© mais aussi exacerbĂ© et fanatique. Et, ça, ce n’est pas prĂšs de changer. Car il faut, bien-sĂ»r, que Paris reste la ville la plus belle de France.

 

Paris, dans le jardin des Tuileries. Aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Franck Unimon, ce samedi 3 septembre 2022.

Catégories
Cinéma

La nuit du 12, un film de Dominik Moll, inspiré du livre 18.3 Une année à la PJ de Pauline Guéna

La Nuit du 12, un film de Dominik Moll inspiré du livre 18.3 Une année à la PJ de Pauline Guena.

 

 

Les rencontres peuvent transformer une vie. Elles peuvent tuer, aussi.

 

L’hĂ©roĂŻne de La Nuit du 12 est une victime. Elle meurt d’asphyxie, enfermĂ©e dans les gaz relĂąchĂ©s par ces flammes qui l’ont brĂ»lĂ©e vive. Telles beaucoup de victimes, elle a la surprise de recevoir sa mort dans un endroit familier. A un moment oĂč cette idĂ©e est pour elle complĂštement incongrue. Elle revient d’une fĂȘte. Elle est heureuse, seule, se sent libre, lĂ©gĂšre et en sĂ©curitĂ©. Comme d’autres femmes avant et aprĂšs elles et tant d’autres victimes (enfants, personnes vulnĂ©rables ou en Ă©tat de vulnĂ©rabilitĂ©).

 

Entretemps, son meurtrier a pu l’attendre et su s’approcher d’elle avec d’autres projets.

 

La Nuit du 12 aurait pu s’appeler La Femme du 12 ou L’innocence du 12.

 

L’innocence, l’insouciance, la fĂ©minitĂ©, la joie et l’optimisme, mĂȘme lorsqu’ils relĂšvent de l’évidence pour celle ou celui qui les incarnent, restent inflammables. Ils ne sont jamais dĂ©finitivement acquis. Il faut apprendre Ă  les protĂ©ger. Ce n’est pas donnĂ© Ă  tout le monde de le savoir. La Nuit du 12 apporte une nouvelle fois la preuve que celles et ceux qui l’ignorent peuvent les perdre et en mourir.   

 

 

 

Pour enquĂȘter sur le meurtre de Clara (interprĂ©tĂ©e par Lula Cotton-Frapier), la police judiciaire, plutĂŽt que la gendarmerie, est dĂ©signĂ©e. Elle est faite de professionnels. Le terme « professionnels Â» se conclut par « elles Â» mais ce sont tous des hommes. Blancs. L’enquĂȘte se fĂ©minisera et se mĂ©tissera un peu vers les trois quarts du film avec l’ajout/l’atout d’une juge d’instruction (l’actrice Anouk Grinberg) et d’une jeune flic, Nadia (l’actrice Mouna Soualem).

 

 

A droite, Nadia ( l’actrice Mouna Soualem).

 

 

Mais au dĂ©part, l’enquĂȘte policiĂšre est exclusivement et activement masculine. Les femmes seront soit victimes, soit proches de la victime (la meilleure amie, la mĂšre) soit Ă©ventuellement complices d’un des suspects.

 

Yohan ( l’acteur Bastien Bouillon) et Marceau ( l’acteur Bouli Lanners)

 

Si les femmes servent souvent de sacrifice permettant aux hommes de s’élever, il y a toutefois des bonshommes dans La Nuit du 12 :

 

Les flics du dĂ©part du film comme du dĂ©part d’un feu.

 

Ces hommes sont des ĂȘtres Ă©tranges. La plupart de leurs rencontres et de leurs actions sont d’abord vouĂ©es au dĂ©sastre. Il leur faudra pourtant les  rĂ©pĂ©ter des milliers de fois durant des annĂ©es afin d’obtenir des rĂ©sultats. Un crime, un dĂ©lit, Ă©quivaut pour eux, non Ă  la multiplication des pains mais Ă  la multiplication de ces rencontres et de ces actions qu’ils vont devoir rĂ©pĂ©ter. En renouvelant l’expĂ©rience du pire de l’humanitĂ© qui se rĂ©vĂšle devant eux souvent avec dĂ©sinvolture. Leur profession ressemble Ă  une crucifixion avancĂ©e.

 

A un moment donnĂ©, ils ont appris leur leçon et le savent. Et deviennent presque aussi inquiĂ©tants et froids que les faits sur lesquels ils enquĂȘtent et qu’ils annoncent aux proches des victimes.

 

Yohan ( l’acteur Bastien Bouillon)

 

Il y a pourtant de la prĂȘtrise dans le personnage de Yohan (l’acteur Bastien Bouillon) le « chef Â» de la PJ qui a pris la relĂšve du prĂ©cĂ©dent chef parti Ă  la retraite. Car on se demande comment lui et les membres de son Ă©quipe peuvent continuer d’ « aimer Â» ce genre de mĂ©tier et continuer d’y croire, comme ils le font, avec rigueur et dĂ©vouement. Le film dure moins de deux heures. Mais une enquĂȘte pareille prend plusieurs annĂ©es de leurs vies personnelles, lesquelles reçoivent bien des Ă©quivoques et des souffrances intimes qu’ils doivent Ă©galement encaisser en parallĂšle.

 

Pourtant, ils s’accrochent. Ils continuent de rĂ©colter les effets de ces graines qu’ils n’ont ni semĂ©es ni demandĂ©es. Ils auraient de quoi se sentir persĂ©cutĂ©s ou damnĂ©s. Ils n’en n’ont pas l’air. Alors que le film donne Ă  voir comme ils sont rĂ©guliĂšrement  immergĂ©s dans une vie fantomatique. Ainsi que dans une solitude froide et mathĂ©matique qui est tout ce qu’ils partagent – voire imposent- avec les proches de la victime ou avec leurs proches.

Nanie, ( l’actrice Pauline Serieys) la meilleure amie de la victime, Clara, face au flic de la PJ, Yohan ( l’acteur Bastien Bouillon) On a lĂ  un aperçu du trĂšs bon travail de photo et de cadrage effectuĂ© dans le film afin de restituer toute une ambiance de solitude, de distance entre les ĂȘtres, d’impuissance et de profonde souffrance tant de Nanie que de Yohan.

 

 

Tandis que les principaux suspects interrogĂ©s pĂštent le feu devant eux et continuent d’avoir une existence plutĂŽt lĂ©gĂšre.   

 

A voir le travail rĂ©alisĂ© par ces femmes et ces hommes flics, mais aussi cette façon avec laquelle les proches de Clara essaient de continuer de vivre ensuite malgrĂ© tout, on se dit que La Nuit du 12 aurait Ă©galement trĂšs bien pu s’appeler Ce qui reste de L’HumanitĂ© du 12.

 

La Nuit du 12 m’a au moins fait penser Ă  des films comme :  Elle est des nĂŽtres ( 2002) de Siegrid AlnoyL’HumanitĂ© ( 1999 ) de Bruno DumontScĂšnes de crime ( 2000 ) de FrĂ©dĂ©ric Schoendoerffer; Memories of Murder ( 2004) de Bong Joon HoThe Pledge ( 2001) de Sean Penn ;        L.627 ( 1992) de Bertrand Tavernier

L’un des personnages de La Nuit du 12 , Tourancheau ( jouĂ© par l’acteur Nicolas Jouhet), est sans doute un clin d’oeil Ă  Patricia Tourancheau, journaliste et Ă©crivaine spĂ©cialiste des affaires criminelles. 

Cet article est un clin d’Ɠil Ă  Chamallow et Ă  Raguse, lesquels ne sont pas spĂ©cialistes des affaires criminelles, si ce n’est qu’ils m’ont l’un et l’autre en quelque sorte rappelĂ© d’aller voir ce film sorti ce 13 juillet 2022. Ils sauront se reconnaĂźtre sans qu’une enquĂȘte trĂšs poussĂ©e ne soit nĂ©cessaire s’ils lisent cet article. 

 

Franck Unimon, ce jeudi 25 aout 2022.

Catégories
Puissants Fonds/ Livres

Jeux de pouvoir, un livre de Mathieu Gallet ( ancien dirigeant de Radio France en 2014-2018)

                                             Jeux de pouvoir un livre de Mathieu Gallet

 

 

C’est un livre à relire.

 

Pour qui a entendu parler des PrĂ©sidents de la RĂ©publique François Hollande, Emmanuel Macron ( et sa femme Brigitte Macron), des Ministres Fleur Pellerin, AurĂ©lie Filippeti, FrĂ©dĂ©ric Mitterrand, Manuel Valls, François Bayrou. De l’ancien maire de Marseille (et sĂ©nateur) Jean-Claude Gaudin. D’autres personnalitĂ©s politiques et mĂ©diatiques françaises. Des notes de taxi G7 de l’affaire « Saal Â». Du journal Le Canard EnchainĂ©. De MĂ©diapart.

 

Pour qui veut ou voudrait « rĂ©ussir Â».

 

Mathieu Gallet nous Ă©tait devenu trĂšs familier lorsqu’il Ă©tait alors le jeune dirigeant (mĂȘme pas 40 ans) de Radio France de 2014 Ă  2018. Laquelle Radio France connaissait une grave crise sociale sans prĂ©cĂ©dent dont Mathieu Gallet avait Ă©tĂ© tenu pour le principal responsable.

 

Gallet avait le « profil Â» de ces jeunes ambitieux arrivĂ©s vite Ă  de trĂšs hautes fonctions et dont le principe actif est de promouvoir leur carriĂšre avant tous et malgrĂ© tout.

 

Dans son Jeux de pouvoir, Mathieu Gallet nous parle de tout « Ă§a Â» et de ces Ă  cĂŽtĂ©s que nous ne connaissons pas. « Nous Â», c’est officiellement le grand public. Et aussi, un  « peu Â», certaines personnes qui ont Ă©tĂ© directement concernĂ©es par ces sujets abordĂ©s par lui dans son ouvrage. Des personnes qu’il cite par leur nom et leur prĂ©nom. Ce qui nous permet rapidement d’identifier la plupart d’entre eux en 2022 en lisant son ouvrage considĂ©rĂ© comme un document par les Ă©ditions Bouquins.  

 

 

Jeux de pouvoir est paru en Mai 2022. J’avais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apprendre que la librairie de ma ville de banlieue pourtant proche de Paris (Argenteuil) Ă©tait dans l’impossibilitĂ© de m’en commander un exemplaire. Je me suis alors imaginĂ© que son livre dĂ©rangeait encore certaines « personnes Â» quelques annĂ©es plus tard. Et qu’il y avait donc, dedans, un Savoir peu courant. Puisqu’aujourd’hui, Mathieu Gallet fait beaucoup moins parler de lui que lorsqu’il Ă©tait jeune dirigeant de Radio France sous la prĂ©sidence de François Hollande puis au dĂ©but de la prĂ©sidence d’Emmanuel Macron.

 

Aujourd’hui, Mathieu Gallet n’évoque plus grand chose pour le grand public  comme entre 2014 et 2018.

 

A « l’époque Â», entre 2014 et 2018, pour moi, Mathieu Gallet aurait tout aussi bien pu ĂȘtre
 Martin Hirsch. Dans son Jeux de pouvoir, Gallet ne mentionne pas, je crois, ( il me reste 90 pages Ă  lire pour le terminer) Martin Hirsch. Puisque lui, Gallet, exerce alors dans la Culture tandis que Hirsch (Ă  partir de fin 2013 jusqu’en juin 2022) exerce dans « la Â» SantĂ©.

Mais le portrait de Gallet dans Le Canard EnchainĂ© (dont je lis des articles depuis des annĂ©es) me le rendait proche de ces Ă©niĂšmes dirigeants de l’AP-HP ( ce qu’était alors Martin Hirsch) quittant leurs fonctions paisiblement en laissant plein de gravats aprĂšs leurs entreprises de dĂ©molition ainsi que beaucoup de merde dans les chiottes sans tirer la chasse. 

 

L’ouvrage de Gallet est-il une entreprise de dĂ©molition dĂ©livrant plein de merde, aussi, sur la tĂȘte de certaines des personnalitĂ©s qu’il nomme ?

 

Je peux comprendre que certaines de ces personnalitĂ©s (au sens oĂč ce sont des personnes « connues Â», « rĂ©putĂ©es Â»,  mĂ©diatisĂ©es et dont l’image que l’on se fait d’elles peut assurer ou dĂ©truire la suite de leur carriĂšre) voient Jeux de pouvoir de cette maniĂšre. Gallet donne ses explications et celles-ci sont lisibles et plutĂŽt bien argumentĂ©es. Il lui a Ă©tĂ© ou sera reprochĂ© de « donner Â» certains noms de ces personnalitĂ©s qu’il critique. Mais, pour moi, c’est aussi parce qu’il donne ces noms et prend donc le risque d’ĂȘtre attaquĂ© en justice en cas de diffamation que son livre acquiert d’autant plus de valeur et de lĂ©gitimitĂ©.

 

Son Jeux de pouvoir est donc un livre Ă  relire. Car ce qu’il Ă©crit est selon moi une photographie de ce qui peut exister dans tout milieu policĂ©, instruit et privilĂ©giĂ© oĂč se dĂ©roulent
.des jeux de pouvoir qui Ă©chappent complĂštement Ă  l’entendement du citoyen lambda.

 

Des jeux de pouvoir, pourtant, qui se rĂ©pliquent ou peuvent se rĂ©pliquer Ă  l’infini, dans toutes les institutions d’une sociĂ©tĂ©.

 

A mon avis, ce que Mathieu Gallet raconte, existe aussi dans d’autres milieux dont on parle beaucoup moins ou peu. Quotidiennement. LĂ  oĂč Ă©voluent tous les gens lambda, trĂšs Ă©loignĂ©s et trĂšs oubliĂ©s de celles et ceux que l’on n’oublie pas.

 

Gallet parle de son homosexualitĂ© assumĂ©e ( il revendique seulement le droit Ă  l’indiffĂ©rence). Et du tort qu’a pu lui causer la rumeur de sa liaison avec Emmanuel Macron, alors candidat aux PrĂ©sidentielles avant sa premiĂšre Ă©lection (nous sommes dĂ©sormais sous le deuxiĂšme mandat prĂ©sidentiel d’Emmanuel Macron). En le lisant, on remarque Ă  nouveau Ă  quel point certaines Ă©preuves trĂšs difficiles ne durent pas. Aujourd’hui, je me demande qui pense encore Ă  cette rumeur. Et, pour ma part, j’avais assez peu fait attention Ă  cette rumeur lorsqu’elle Ă©tait mĂ©diatisĂ©e. Mais je comprends que pour Gallet, alors trĂšs mĂ©diatisĂ©, dont la vie privĂ©e et professionnelle Ă©tait trĂšs exposĂ©e, cette rumeur se soit muĂ©e en supplice supplĂ©mentaire. Et du supplice, on arrive assez vite au prĂ©cipice.

 

Son livre m’a t’il rendu Mathieu Gallet plus sympathique et plus humain ?

 

Plus humain et plus proche, oui. Sympathique ? Je ne rencontrerai probablement jamais Mathieu Gallet pour savoir s’il m’est sympathique.

 

Car lui et moi, nous ne sommes pas du mĂȘme monde. Moi, je me suis coupĂ© du monde, d’un certain monde de la « rĂ©ussite », lĂ  oĂč lui a dĂ©cidĂ©, puis su et pu s’y propulser. C’est aussi ça que je lis dans son livre et que je me suis pris, un peu, beaucoup, passionnĂ©ment, Ă  la folie, en pleine figure. MĂȘme si Gallet (comme beaucoup d’autres) n’y est pour rien.

 

Dans Jeux de pouvoir, Gallet dit, aussi, avoir dĂ» surmonter le fait d’avoir des origines sociales moyennes et de venir de province. Mais aussi que son homosexualitĂ© a pu ĂȘtre un obstacle Ă  sa rĂ©ussite. Mais je constate, que mĂȘme en province, Ă  Bordeaux, il a fait « les Â» bonnes voire les «trĂšs bonnes Â» Ă©tudes :

Hypîkhagne. Sciences Po


 

Bordeaux, ce n’est pas Paris, c’est vrai. Surtout que Gallet a Ă©tudiĂ© dans le Bordeaux d’avant le TGV qui emmĂšne Ă  Paris en deux heures. Et qu’il existe Ă  Paris une concentration d’élites dans des univers fermĂ©s oĂč beaucoup se dĂ©cide et se choisit. Des univers concentrĂ©s, exclusifs et fermĂ©s dont, moi, le banlieusard parisien de naissance et d’extraction, de classe moyenne, noir et d’origine antillaise, je n’ai aucune idĂ©e. Donc, les principes de LibertĂ©, EgalitĂ©, FraternitĂ©, pour moi et beaucoup d’autres, se sont sans doute souvent, dĂšs mon enfance, rĂ©sumĂ©s Ă  l’équivalent de ces annonces publicitaires ou de ces bandes annonces que l’on regarde dans les salles de cinĂ©ma avant la projection du film. Il n’est pas nĂ©cessaire de venir de province pour vivre ça. 

 

Mais, pour moi, Gallet ( qui ne s’en rend peut-ĂȘtre pas toujours compte ) a d’autres atouts qui lui ont permis de « rĂ©ussir Â». MĂȘme s’il vit- encore- mal le fait d’avoir dĂ» quitter la direction de Radio France et les divers avantages qui vont avec  :

 

Je ne perçois pas dans son livre le fait qu’il ait dĂ» se battre contre sa famille pour faire ses hautes Ă©tudes, peu courantes dans sa famille. Et, il fait bien, aussi, de nous apprendre « qu’un »  Emmanuel Macron ( « Notre » PrĂ©sident de la RĂ©publique pour la deuxiĂšme fois de suite) a grandi dans une famille de catĂ©gories sociales professionnelles supĂ©rieures. Emmanuel Macron Ă  qui Gallet a pu ĂȘtre comparĂ© : Des jeunes ambitieux qui font de trĂšs bonnes carriĂšres. Comme Gallet fait bien de souligner qu’il a fait de moins bonnes Ă©tudes que Macron. 

Mais je n’ai pas l’impression que Gallet ait eu Ă  travailler Ă  cĂŽtĂ© dans un mĂ©tier Ă©reintant pendant qu’il Ă©tudiait. J’ai plutĂŽt l’impression, aussi, qu’il a toujours Ă©tĂ© aimĂ© chez lui et eu une enfance et une adolescence plutĂŽt « libre Â» y compris d’un point de vue amoureux. Ses histoires d’Amour ne me font pas penser Ă  celle que j’ai pu apercevoir, un jour, d’une jeune fille et d’un jeune garçon, obligĂ©s de se cacher, dans ma ville, Ă  Argenteuil, ville situĂ©e Ă  une dizaine de kilomĂštres de paris, en haut d’un toboggan, alors qu’il faisait nuit, pour se parler en cachette.

 

Enfin, Gallet, pour moi, c’est aussi un homme qui sait sĂ©duire. Si Gallet Ă©voque son lĂ©ger strabisme ( perceptible sur la couverture de son livre) qui lui a sans doute valu des quolibets et des humiliations, dans l’enfance et plus tard, Gallet sait indĂ©niablement sĂ©duire.

Et, la sĂ©duction, qui plus est si elle est adossĂ©e Ă  l’ambition mais aussi Ă  une certaine combattivitĂ©,  pour moi, c’est un atout supplĂ©mentaire pour « rĂ©ussir », Ă©tudes ou non. HomosexualitĂ© ou pas.

Car, mise au service de l’ambition et escortĂ©e par une certaine combativitĂ© ( voire par une colĂšre enfouie peut-ĂȘtre pour avoir vĂ©cu, plus jeune, certaines humiliations) la capacitĂ© de sĂ©duire, le fait de sĂ©duire, de plaire, la sĂ©duction, n’a ni Ăąge, ni sexe, ni genre, ni frontiĂšre, ni parti politique, ni date, ni rĂšgle, ni principe, ni limite.

Si l’on sait sĂ©duire, et que l’on est ambitieux et combattif, on peut arriver Ă  des endroits ou Ă  des postes qui, « en principe Â», auraient dĂ» ou auraient pu Ă©choir Ă  d’autres.

 

Et, je crois que Gallet est une trĂšs bonne illustration de ce que la capacitĂ© de sĂ©duction sociale, dans ces conditions, peut permettre d’obtenir.

 

Je ne remets pas en question l’étudiant ou le gros travailleur qu’est Mathieu Gallet. Je souligne simplement que ses « compĂ©tences Â» personnelles pour sĂ©duire lui ont aussi permis d’aller au delĂ  de ce qu’il avait sans doute pu imaginer lui-mĂȘme au dĂ©part de son existence et de sa conscience.

Comme Emmanuel Macron. Comme beaucoup d’autres. En politique ou ailleurs.

 

Jusqu’au moment oĂč l’on plait moins Ă  d’autres et que ceux-ci disposent, aussi, de suffisamment de pouvoir pour nous faire descendre de notre piĂ©destal. Ce n’est pas une question de compĂ©tences. Ni de droiture morale. Et surtout pas de Justice.  Mais d’avoir su plaire Ă  qui il fallait au bon moment, de la bonne façon et au bon endroit.

 

Dans son livre, Gallet nous parle aussi de toutes ces personnes importantes Ă  qui il a su plaire. Dont il s’est fait des amis. Cela fait du « monde Â». Il est difficile de faire moins mondain que Gallet lorsqu’il nomme certaines personnalitĂ©s qu’il compte parmi ses proches. Mais, aussi, lorsqu’il narre certains de ses voyages et visites. Au passage, il nous fait bien comprendre, aussi, qu’en matiĂšre de Culture, il s’y connaĂźt. Contrairement Ă  une Fleur Pellerin, ancienne Ministre- peu probante- de la Culture, avec laquelle il a Ă©tĂ© en conflit alors qu’il Ă©tait dirigeant de Radio France.

 

 

MĂȘme si je n’ai pas encore terminĂ© Jeux de pouvoir, sa lecture me plait. Mais je doute que mon plaisir de lecture n’apporte quoique ce soit de plus Ă  un Mathieu Gallet ainsi qu’à celles et ceux qui lui ressemblent Ă©tant donnĂ© ce qu’ils savent dĂ©jĂ  et ont appris bien avant moi.

 

Aussi, j’espùre que ce livre m’apportera quelque chose et qu’il apportera aussi à d’autres.

 

Franck Unimon, ce dimanche 21 aout 2022.

 

 

Catégories
Apnée Pour les Poissons Rouges

Personnalités fusionnelles

Photo©Franck.Unimon

 

 

Personnalités fusionnelles

 

Histoires de couples

 

«  Quand je t’en parle, tu bĂ©gayes, c’est que t’as pas envie
. Â» ; « On s’est embrouillĂ©, je t’aime pas ! Â» ; « Tu es incapable
.. Je te jure, si tu refais ça, je te quitte ! Â».

 

 

Depuis quelques semaines, peut-ĂȘtre depuis ma lecture de RĂ©inventer l’Amour de Mona Chollet et de Les Couilles sur la table de Victoire Tuaillon, je regarde les couples opĂ©rer. ( J’ai lu RĂ©inventer l’Amour de Mona CholletLes couilles sur la table, un livre de Victoire Tuaillon. PremiĂšres partiesLes Couilles sur la table, un livre de Victoire Tuaillon. 2Ăšme partie. Ego Trip. )

 

La premiĂšre phrase de cet article a Ă©tĂ© prononcĂ©e dans une rue prĂšs de chez moi. La seconde, dans le train qui venait de quitter Argenteuil pour Paris. Et la troisiĂšme, dans le mĂ©tro parisien. La chronologie n’a pas Ă©tĂ© respectĂ©e. Il a pu s’ĂȘtre passĂ© plusieurs jours ou plusieurs semaines entre les trois « pĂ©riodes Â». Par contre, chaque phrase a Ă©tĂ© prononcĂ©e Ă  chaque fois par une femme dont l’ñge se situait, Ă  premiĂšre vue, entre 20 et 30 ans. Je ne leur ai pas demandĂ© leur Ăąge.

Photo©Franck.Unimon

 

La premiĂšre femme assez Ă©nervĂ©e Ă©tait en train de remonter une rue prĂšs de chez moi tout en s’adressant Ă  quelqu’un dans son tĂ©lĂ©phone portable. La seconde, assise dans le train direct pour Paris, parlait Ă  un jeune homme qui, embarrassĂ©, a envoyĂ© des textos sur son tĂ©lĂ©phone portable. Ce jeune homme comptait beaucoup sur les rĂ©ponses ou les conseils qu’il pouvait obtenir.

La troisiĂšme femme, tout en lançant son ultimatum Ă  la tĂȘte de son copain, agitait son Ă©ventail devant elle. Son copain, assis  Ă  cĂŽtĂ© d’elle, prĂšs des portes du mĂ©tro, s’est appliquĂ© Ă  rester calme. Mais, aussi, Ă  consulter
son tĂ©lĂ©phone portable. La jeune femme, tout en continuant de s’éventer a jetĂ© un coup d’Ɠil sur le tĂ©lĂ©phone portable de celui qu’elle allait peut-ĂȘtre quitter s’il refaisait « Ă§a ! Â».

 

J’étais trop loin pour savoir ce qui correspondait Ă  « Ă§a Â». Il y ‘avait trop de bruit dans le mĂ©tro.

 

Un autre jour, dans un supermarchĂ©, j’ai aperçu un couple en train de passer Ă  la caisse. Tandis que Monsieur, un homme proche de la trentaine, dĂ©posait les articles sur le tapis roulant, mon regard a croisĂ© celui de Madame ou de Mademoiselle. Celle-ci portait des lunettes de soleil noires. Le contact visuel a peu durĂ©. Je suis parti faire mes courses.

Photo©Franck.Unimon

 

Quelques minutes plus tard, j’ai revu le couple alors qu’il quittait le parking du supermarchĂ©. Monsieur conduisait une superbe Mercedes neuve. Madame ou mademoiselle Ă©tait confortablement installĂ©e, cĂŽtĂ© passager. La route semblait avoir Ă©tĂ© faite pour eux. Je me suis dit que pour elle, et pour d’autres, rĂ©ussir son couple, c’était ça. Avoir un compagnon qui fait les courses et qui la conduit au volant d’une grosse Mercedes.

 

Mais le sujet de cet article est dans son titre : PersonnalitĂ©s fusionnelles. Ces quelques scĂšnes dĂ©crites plus haut ne dĂ©montrent en rien que nous sommes devant des personnalitĂ©s fusionnelles. J’ai dĂ©crit ces scĂšnes pour indiquer que cet article est la suite ou le complĂ©ment de ceux que j’ai dĂ©jĂ  Ă©crits Ă  propos des livres de Mona Chollet et de Victoire Tuaillon citĂ©s au dĂ©but.

 

J’ai aussi dĂ©crit ces scĂšnes pour sourire et faire sourire.  

 

Bien-sûr que des hommes peuvent, autant que des femmes, avoir des personnalités fusionnelles!

Photo©Franck.Unimon

 

AprĂšs avoir choisi ce titre pour cet article, je me suis demandĂ© s’il convenait bien pour ce dont je voudrais parler. Car « relations fusionnelles Â», « personnes fusionnelles Â», « personnalitĂ©s dĂ©pendantes Â» me paraĂźt tellement proche aussi de ce dont je voudrais parler.

 

Mais il faut bien choisir un titre. Et, il faut bien se lancer aussi. Cela doit bien faire une dizaine de jours que je pense Ă  Ă©crire cet article puis que je me rĂ©tracte. En me disant que cet article a assez peu d’intĂ©rĂȘt. Qu’il fait trop « cĂ©rĂ©bral Â» ; qu’il va ennuyer toutes celles et tous ceux, qui, cet Ă©tĂ© mais aussi plus tard, ont surtout besoin de lĂ©gĂšretĂ©. Et non pas de quelqu’un qui va venir les encombrer avec des pseudo raisonnements tirebouchonnĂ©s Ă  rallonge. OĂč est passĂ©e ma fantaisie ? Je ferais peut-ĂȘtre mieux de partir Ă  sa recherche au lieu de circuler dans mon corbillard.

 

Je n’ai fait aucune Ă©tude sĂ©rieuse pour cet article. Je vais seulement allonger deux ou trois de mes pensĂ©es sur le sujet. En me fiant, aussi, au peu de mon expĂ©rience.

Photo©Franck.Unimon

 

 

Equilibre et stabilité

 

Il y a quelques annĂ©es, j’ai eu une copine qui, assez vite au dĂ©but de notre relation, m’avait dit ĂȘtre « fusionnelle Â». Je ne me suis pas senti importunĂ©. J’étais dĂ©cidĂ© Ă , enfin, avoir une relation sentimentale durable avec quelqu’un.

 

Elle me plaisait. Je m’entendais bien avec elle.

 

Notre relation avait durĂ© cinq mois. Quelques jours avant notre rupture, elle s’était mise Ă  pleurer dans le lit, chez elle, Ă  mes cĂŽtĂ©s.

 

Elle ne s’y retrouvait pas dans notre relation. Ce n’était pas possible !

 

« Fin Â» stratĂšge, et trĂšs grand psychologue,  j’avais optĂ© pour partir chez moi. Et pour la revoir un ou deux jours plus tard lorsqu’elle aurait retrouvĂ© ses esprits.

 

A mon retour chez elle, j’avais retrouvĂ© toutes mes affaires prĂ©parĂ©es prĂšs de la porte d’entrĂ©e.

Photo©Franck.Unimon

 

Cinq mois plus tĂŽt, au dĂ©but de notre histoire, ma copine d’alors m’avait affirmĂ©, chez elle :

 

« Tu es chez toi Â».

 

Cinq mois plus tard, j’étais Ă©jectĂ© comme un dĂ©chet.

 

MĂȘme si elle avait pris le temps de « m’expliquer Â» la raison pour laquelle elle se sĂ©parait de moi, je garde vis Ă  vis de cette rupture un certain sentiment de colĂšre. Non pour la rupture. Une rupture est rarement agrĂ©able Ă  vivre. Et j’en avais connu d’autres. Mais pour cette façon d’ĂȘtre Ă©vincĂ©. Tout Ă©tait dĂ©jĂ  tranchĂ© avant mĂȘme que je ne revienne chez elle. C’est ça que je n’ai pas aimĂ©.

 

Dans ses explications, ma future ex s’était appliquĂ©e Ă  ĂȘtre aussi transparente et humaine que possible. Elle me trouvait monotone. DĂ©plorait que notre humour soit diffĂ©rent. Qu’elle ne riait pas Ă  mes blagues. Et moi, aux siennes. Le flop. 

Je me rappelle aussi de ce constat qu’elle avait fait devant moi :

 

« Tu es le plus gentil des garçons que j’ai connus. Tu m’apportes un Ă©quilibre et une stabilitĂ© Â».

 

Je m’étais abstenu de lui dire que j’en dĂ©duisais donc qu’elle recherchait le dĂ©sĂ©quilibre et l’instabilitĂ© dans ses histoires d’Amour. Qu’on lui fasse mal. Puisqu’elle me jetait, moi, le garçon «le plus gentil Â» qu’elle ait connue et qui lui apportait « Ă©quilibre Â» et « stabilitĂ© Â» :

 

Ma future ex avait ( et a toujours sans aucun doute) un bien meilleur niveau socio-Ă©conomique que le mien ainsi qu’un niveau d’Ă©tudes supĂ©rieur au mien. « L’Ă©quilibre » et la « stabilité » qu’elle avait mentionnĂ© Ă©tait affectif et psychologique et aucunement Ă©conomique. 

 

Dans ses griefs, Ă  aucun moment, ma future ex ne m’avait reprochĂ© de se farcir tout le mĂ©nage. Mais sans doute cela serait-il advenu avec le temps puisque depuis la lecture de RĂ©inventer l’Amour et de Les Couilles sur la table, j’ai appris que la majoritĂ© des femmes, dans les couples, se retrouve surchargĂ©e par cette partie de la vie quotidienne. Avec l’éducation et les devoirs des enfants. Mais aussi l’organisation de la vie du couple.

Photo©Franck.Unimon

 

 

Respirer

 

AprÚs une rupture, comme aprÚs tout événement difficile, il nous est souvent nécessaire de reprendre ou de retrouver notre souffle.

 

Mon ex avait raison : j’avais Ă©tĂ© beaucoup trop gentil avec elle. J’avais Ă©tĂ© si volontaire et si dĂ©sireux que notre relation tienne que j’avais acceptĂ© qu’elle empiĂšte sur mon espace et mon intimitĂ©. Je ne l’avais pas remise Ă  sa place certaines fois oĂč il aurait Ă©tĂ© justifiĂ© de le faire.

 

A plusieurs reprises,  lors de notre relation, j’avais eu le sentiment d’étouffer lorsque, plein d’entrain, elle venait se coller Ă  moi. Mais je n’avais rien dit. Je m’étais plutĂŽt tenu Ă  distance progressivement : froidement. Je ne savais pas comment m’y prendre avec ce genre de relation
fusionnelle. J’avais d’ailleurs oubliĂ© le mot. Pour moi, c’était une relation de couple. Et, j’étais volontaire.

 

AprĂšs ma rupture, j’avais retrouvĂ© mon souffle en passant par la dĂ©prime, ma vie quotidienne, et une thĂ©rapie.

 

Ma premiÚre thérapie.

 

Car j’en Ă©tais arrivĂ© Ă  la conclusion qu’aprĂšs cette Ă©niĂšme rupture, je ne pouvais plus parler de malchance. J’avais nĂ©anmoins commencĂ© Ă  me dire que certaines personnes Ă©taient « douĂ©es pour le bonheur Â» et que, moi, je n’en faisais pas partie.

 

Photo©Franck.Unimon

 

Ma thĂ©rapeute, en Ă©coutant notre histoire et celle de notre rupture, en avait conclu que mon ex et moi nous Ă©tions comportĂ©s comme  » deux enfants apeurĂ©s ». Je n’en n’ai jamais voulu Ă  ma thĂ©rapeute pour cette conclusion. Et je garde de ma thĂ©rapie de plusieurs mois avec elle et d’autres ( une thĂ©rapie de groupe qu’elle m’avait proposĂ© et que j’avais acceptĂ©) un bon souvenir.

 

Ma vie quotidienne continuait malgrĂ© ma dĂ©prime. C’est Ă  cette Ă©poque que je fis la rencontre, prĂšs de chez moi, Ă  l’exposition Les CinglĂ©s du cinĂ©ma, du rĂ©dacteur en chef du mensuel de cinĂ©ma papier Brazil : Christophe Goffette.

 

GrĂące Ă  cette rencontre, pendant deux ans et demi, jusqu’à l’arrĂȘt de parution de Brazil, je fis l’expĂ©rience, avec d’autres, de journaliste cinĂ©ma. Une expĂ©rience qui m’envoya deux fois au festival de Cannes et qui me permit, aussi, de rĂ©aliser les interviews de rĂ©alisateur et d’acteurs que, bien-sĂ»r, je n’avais jamais imaginĂ© pouvoir rencontrer un jour.

 

Cette expĂ©rience, et d’autres, me permirent de mieux respirer. A nouveau.

Photo©Franck.Unimon

 

 

Respirer est notre premier besoin. A la naissance, le bébé qui respire mal est placé sous assistance respiratoire. Car mal respirer affecte aussi notre cerveau. Le développement mais aussi les capacités de notre cerveau.

 

Apnée et autonomie

 

 

Je pratique un peu l’apnĂ©e dans un club. Un ĂȘtre humain, s’il s’entraĂźne Ă  l’apnĂ©e rĂ©guliĂšrement ou s’il a des facilitĂ©s pour cela, peut se passer de respirer pendant deux Ă  trois minutes pour la moyenne des ĂȘtres humains et jusqu’à huit ou neuf minutes pour les plus performants d’entre eux.

Le record du monde d’apnĂ©e statique sans Ă©quipement pour un ĂȘtre humain est de onze minutes et trente cinq secondes depuis l’annĂ©e 2009. Record rĂ©alisĂ© par le Français StĂ©phane Mifsud.

 

Je tiens Ă  parler de l’apnĂ©e dans cet article car, en Anglais, « ApnĂ©e Â», se dit « Free Dive Â». « Immersion Â» ou « PlongĂ©e Â» libre.

 

Par « Libre Â», il faut comprendre « autonome Â». Sans Ă©quipement : sans bouteille comme les plongeurs bouteille.

 

Un ĂȘtre humain, lorsqu’il pratique l’apnĂ©e, selon son niveau de pratique mais aussi selon sa forme morale, physique et la tempĂ©rature de l’eau, peut donc « tenir Â» entre deux et neuf minutes dans l’eau sans respirer. Et sans que sa santĂ© morale ou physique soit affectĂ©e par cette apnĂ©e. S’il a tenu compte de ses limites, il peut mĂȘme avoir du plaisir Ă  pratiquer ces apnĂ©es.

 

Affectivement, je me demande dans quelle mesure les capacitĂ©s d’autonomie de l’ĂȘtre humain peuvent se rapprocher de celles d’une personne qui pratique l’apnĂ©e :

 

Je me demande au bout de combien de minutes, en moyenne, un ĂȘtre humain a t’il besoin de reprendre contact avec un de ses semblables pour se sentir « bien Â».

Photo©Franck.Unimon

 

Cette durée sera évidemment variable selon les ùges, selon les moments, selon les situations et selon les personnes.

 

Un bĂ©bĂ© a, a priori, plus besoin d’ĂȘtre rĂ©guliĂšrement en contact avec ses parents ou des personnes attentives et bienveillantes qu’un enfant de cinq ans ou qu’un adulte de trente deux ans. Sauf que le dĂ©veloppement de certains modes de vie vient contredire ça.

 

SĂ©paration/ Silence/ Lenteur :

 

Il y a plusieurs annĂ©es, le Dr Bruno Rist, un des meilleurs- si ce n’est le meilleur- cliniciens avec lesquels j’ai travaillĂ©, mĂ©decin chef (pĂ©dopsychiatre) du service oĂč je travaillais alors, s’était amusĂ© Ă  nous voir avec nos tĂ©lĂ©phones portables. Sans doute Ă©tions-nous en train de manipuler notre portable ou d’envoyer des sms. Il nous avait alors dit en souriant :

 

« Cela veut dire que vous n’ĂȘtes jamais sĂ©parĂ©s Â».

 

La sĂ©paration mais aussi le silence et la lenteur sont des situations et des pĂ©riodes de notre vie que nous pouvons avoir du mal Ă  soutenir. Beaucoup, dans nos vies, doit aller vite et doit s’entendre, ĂȘtre entendu ou vu. S’il y a sĂ©paration, s’ouvre le silence et peut-ĂȘtre l’oubli, la disparition, l’inconnu. Ce qui peut rapidement devenir difficile Ă  vivre pour certaines personnes.

Photo©Franck.Unimon

 

J’ai parlĂ© de la « lenteur Â». Mais « l’inaction Â» ou ce qui ressemble Ă  de « l’inaction Â» ou Ă  de « l’indiffĂ©rence Â» peut ĂȘtre aussi difficile Ă  vivre que « la lenteur Â». Se retrouver face Ă  quelqu’un qui nous donne l’impression que nous n’existons pas car elle ou il ne rĂ©agit pas « normalement Â» ou selon un langage que l’on peut « voir Â» et comprendre a aussi quelque chose de dĂ©rangeant.

 

La fusion avec l’autre, c’est la certitude qu’il ou qu’elle pense- rapidement- comme nous. Mais, aussi, qu’il ou qu’elle est- rapidement- avec nous.

Photo©Franck.Unimon

 

 

La fusion est donc le contraire de la lenteur, de l’inaction, de l’indiffĂ©rence, de la sĂ©paration et du silence. C’est le contraire de l’expĂ©rience de l’apnĂ©e oĂč, lenteur, sĂ©paration (d’avec le temps, d’avec la surface, d’avec l’angoisse, d’avec l’agitation) et silence sont assez recherchĂ©s.

 

Nous sommes poussĂ©s rĂ©guliĂšrement Ă  ĂȘtre des personnalitĂ©s fusionnelles. Nous avons nos smartphones. Nos milliers de sms et de mms quotidiens. Nos rĂ©seaux sociaux. Nos appels illimitĂ©s. Nos Ă©crans. Les multiples incitations publicitaires. Ce que nous percevons du bonheur supposĂ© des autres.

Photo©Franck.Unimon

 

 

Le Pouvoir de notre intolérance

 

 

L’un des travers de la fusion, en plus de la dĂ©pendance qu’elle entretient en nous, c’est qu’elle augmente le pouvoir de notre intolĂ©rance (Ă  la frustration) :

 

Celle ou celui qui ne nous ressemble pas. Celle ou celui qui ne fait pas partie de notre clan ou de notre groupe. Celle ou celui qui ne colle pas- trĂšs vite- avec ce que l’on exige d’elle ou de lui. Celle ou celui qui ne pense pas- trĂšs vite- comme nous ou qui s’écarte un peu est jugĂ© et condamnĂ© rapidement.

Photo©Franck.Unimon

 

 

Un des exemples les plus courants de cela depuis quelques annĂ©es se retrouve dans les « clashes Â» entre les rappeurs. Untel a « trahi Â». Untel ne fait pas partie de telle tendance. Untel a dit ceci.

 

 

Cette sĂ©lection/exclusion par la fusion « marche Â» aussi pour les couples, les groupes d’amis. Mais elle peut Ă©galement  « marcher Â» dans le monde du travail entre collĂšgues.

 

 

Notre tendance Ă  la fusion s’étend de jour en jour. Elle permet des plus ou moins grandes rencontres. Elle en empĂȘche aussi.

 

 

C’est ainsi que bien que volontaires pour certaines expĂ©riences, et malgrĂ© nos efforts, on peut ĂȘtre amenĂ©, un jour, en revenant, Ă  retrouver nos affaires qui nous attendent contre un mur prĂšs d’une porte d’entrĂ©e. Il nous revient alors de savoir plier bagage afin d’aller retrouver de l’air ailleurs.

Photo©Franck.Unimon

 

Franck Unimon, ce lundi 8 aout 2022.