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Sur scĂšne

L’humoriste Tania Dutel sur scĂšne Ă  la Nouvelle Eve

Ce jeudi 3 novembre 2022, devant l’entrĂ©e de la Nouvelle Eve.

L’humoriste Tania Dutel sur scùne à la Nouvelle Eve

 

Ce jeudi soir, deuxiĂšme semaine des vacances de la Toussaint, il y a assez peu de monde dans le mĂ©tro, ligne 12, qui m’emmĂšne dans le 9Ăšme arrondissement de Paris Ă  la station Pigalle. Une fois dehors, deux videurs d’un sexodrome  m’indiquent obligeamment la route :

 

« La rue Pierre Fontaine,  aprĂšs le Monoprix, c’est tout de suite Ă  gauche ! Â».

 

Depuis mon enfance, je suis dĂ©jĂ  passĂ© par Pigalle. Mais je ne connais pas la rue Pierre Fontaine. Cette rue oĂč se trouve pourtant le Bus Palladium ( en travaux) non loin du cabaret Chez Moune, des endroits qui ont marquĂ© l’Histoire de la nuit et de la vie artistique et culturelle de Paris. Et du monde occidental.

 

Je connais encore moins la salle la Nouvelle Eve oĂč joue Tania Dutel ce jeudi soir et, ce, pour plusieurs semaines encore. Pour me diriger vers la Nouvelle Eve, je tourne le dos au Moulin rouge qui s’éloigne derriĂšre moi.

 

Je ne l’ai pas fait exprĂšs mais aller voir Tania Dutel, cela va bien avec le fait d’ĂȘtre allĂ© voir Hollie Cook en concert la semaine derniĂšre ( En concert avec Hollie Cook au Trabendo) dont le titre Postman en particulier continue sa route dans ma tĂȘte.

La salle de la Nouvelle Eve, depuis le balcon, non loin des toilettes, ce jeudi 3 novembre 2022, avant la prestation de Tania Dutel. La troisiĂšme table, en partant de la gauche, juste devant la scĂšne, Ă  cĂŽtĂ© des marches, c’est lĂ  oĂč Ă©tait « ma » place. J’ai demandĂ© aux deux personnes attablĂ©es derriĂšre moi de bien vouloir veiller sur mon sac. Ce qu’elles ont facilement acceptĂ© de faire. Photo©Franck.Unimon

 

C’est par des vidĂ©os sur internet que j’ai dĂ©couvert Tania Dutel, 33 ans, il y a deux ou trois mois. Depuis des mois, par saccades, je regarde sur internet des sketches d’humoristes Ă  Montreux ou ailleurs. Il y a les humoristes connus ou que « tout le monde Â» connaĂźt. Et, il y a les autres qui marchent assez bien ou qui montent mais qui sont moins connus.

 

J’ai dĂ©ja vu trois ou quatre humoristes sur scĂšne dans le « passĂ© Â» :

 

Jamel Debbouze, DieudonnĂ©. C’était il y a plus de 12 ans.  Haroun a Ă©tĂ© le petit dernier, il y a Ă  peu prĂšs deux ans entre deux confinements dus Ă  la pandĂ©mie du Covid.

 

Mais je n’ai pas vu assez d’humoristes sur scĂšne. Pas autant que je le voudrais ou l’aurais voulu. Cela fait des annĂ©es que je me dis qu’il faudrait que je prenne le temps de le faire vĂ©ritablement. Le seul en scĂšne de l’humoriste est un exercice particulier. Si j’ai compris que le solo permet mieux Ă  un certain type d’artiste de se trouver et de s’exprimer, je vois aussi le mĂ©tier d’humoriste solo, sur scĂšne, comme un mĂ©tier colossal.

 

Pour moi, l’humoriste solo est l’artiste qui doit en faire des tonnes. Rire de soi, rire des autres, redonner le moral, ĂȘtre dans une forme physique olympique, dans un Ă©tat d’intelligence et de vivacitĂ© monumental, et de tous les instants
 au moins pour la façade sur scĂšne ou lors d’une Ă©mission ou d’une interview.

 

Et répéter cela.

 

 

Redonner aussi, constamment ou rĂ©guliĂšrement, de soi une image qui peut nous enfermer dans un certain type de rĂŽle et de comportement. Dans le rĂŽle de celle ou de celui qui se doit d’ĂȘtre toujours plein(e) de vie, d’ĂȘtre un marsupilami ou une super hĂ©roĂŻne Ă  temps complet, qui arrive toujours Ă  resurgir Ă  la surface et doit ĂȘtre lĂ©ger ou lĂ©gĂšre mĂȘme si, intĂ©rieurement, elle ou il touche le fond ou les bas-fonds. 

 

On aime beaucoup les histoires de celles et ceux qui « rebondissent Â» et qui nous offrent les  bouquets recomposĂ©s de leurs « rĂ©siliences Â». Cela nous rassure et nous inspire. Parfois, aussi, cela nous rend fainĂ©ants.

Tania Dutel, sur scĂšne Ă  la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Je vois aussi le mĂ©tier d’humoriste comme celui ou existe une grande dĂ©pendance aux rires du public. Puisqu’un humoriste qui ferait peur Ă  son public ou qui le ferait pleurer aurait ratĂ© son cƓur de cible. Hier soir, Tania Dutel nous a racontĂ© cette fois oĂč, sur scĂšne, elle avait connu un Ă©chec total au point de devoir prendre la dĂ©cision de couper court Ă  son spectacle pour annoncer plus tĂŽt l’artiste qui la suivait. C’est pour ce genre « d’anecdotes Â» en filigrane et d’expĂ©riences personnelles que sa prestation d’hier soir m’a plu.

Pourtant, malgrĂ© les risques qu’il comporte, j’aime le rire. Et j’ai besoin de lui. Il m’a aidĂ© Ă  me sortir un peu un certain nombre de fois de la glue de mes inquiĂ©tudes et de mes obsessions. Et c’est probablement pour cela que nous sommes beaucoup Ă  tenir Ă  celles et ceux qui nous font rire. Pour nous aider Ă  reprendre un peu pied, ainsi que notre souffle, et Ă  nous extirper un peu des marĂ©cages de nos fors intĂ©rieurs.

 

Tania Dutel, Ă  la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Certaines personnes, lorsqu’elles tombent amoureuses de quelqu’un plutĂŽt que d’une autre, disent que ça ne s’explique pas. Que c’est comme ça. C’est peut-ĂȘtre un peu pareil avec le fait de rire devant l’humour d’une personne au dĂ©triment de l’humour d’une autre personne.

 

MĂȘme si je ne crois pas tant que ça aux mystĂšres tant dans le domaine de l’Amour que du rire. Pour moi, il y a bien une ou plusieurs raisons pour expliquer le fait que l’on aime ou que l’on dĂ©sire une personne plutĂŽt qu’une autre. MĂȘme lorsqu’il vaudrait mieux s’abstenir de le faire.

Comme il y a sĂ»rement aussi une ou plusieurs raisons pour expliquer le fait que l’on va plus facilement rire devant l’humour d’une personne plutĂŽt que devant celui d’une autre. Mais, lĂ , il m’est difficile de savoir s’il vaudrait mieux, certaines fois, s’abstenir de rire devant un certain humour plutĂŽt que devant un autre.

 

 

Lorsque j’ai parlĂ© un peu autour de moi de Tania Dutel, on m’a demandĂ© qui c’était. Et, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© car j’avais vu deux ou trois vidĂ©os d’elle, ou plus. Je les avais trouvĂ©es drĂŽles et bien pensĂ©es et comme elles semblaient avoir beaucoup de vues, j’ai cru que cela voulait dire que Tania Dutel Ă©tait  trĂšs connue.

 

Tania Dutel, Ă  la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hier soir, Tania Dutel, au dĂ©but de son spectacle, s’est prĂ©sentĂ©e comme quelqu’un qui avait eu un Bac scientifique, qui Ă©tait arrivĂ©e Ă  19 ans Ă  Paris depuis sa rĂ©gion du Beaujolais  oĂč vivaient un peu plus de mille habitants oĂč tout le monde « se connaĂźt Â». Deux sƓurs, deux frĂšres ou j’en ai peut-ĂȘtre rajoutĂ© une ou un de trop. Une mĂšre un peu « plus Â» imposante que le pĂšre qui sait Ă  quoi s’en tenir juste par une inflexion de la voix de la mĂšre.

 

Concernant son style d’humour, j’ai rĂ©cemment envoyĂ© le lien d’une de ses vidĂ©os Ă  deux de mes proches. Une de mes proches a comparĂ© Tania Dutel Ă  Blanche Gardin.

 

J’aime beaucoup Blanche Gardin.

 

Mais lorsque je regarde et Ă©coute Tania Dutel, je vois Tania Dutel. Tania Dutel a par exemple sa façon personnelle de dire :

 

« C’est assez hilarant Â».

Tania Dutel, Ă  la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

En tout cas, la file d’attente que j’ai trouvĂ©e ce jeudi soir devant la salle de la Nouvelle Eve ne doutait pas des pouvoirs humoristiques de Tania Dutel. Et, moi, depuis longtemps, je vois la scĂšne comme un sĂ©rum de vĂ©ritĂ© suprĂȘme. Une prestation scĂ©nique permet Ă  un artiste de mieux se dĂ©fendre
ou de se dĂ©faire. Pour connaĂźtre la vĂ©ritĂ© de ce spectacle, la place a coĂ»tĂ© 22 euros.

 

Si, hier soir, nous avons Ă©tĂ© devant « une petite salle Â» comme le dira Tania Dutel en voyant la centaine de personnes prĂ©sentes, le public a Ă©tĂ© assez variĂ©. Couples homos et lesbiens, couples hĂ©tĂ©ros, amis hĂ©tĂ©ros et homos, personnes seules ou cĂ©libataires ? Les plus jeunes devaient avoir dans les 25 ans et les plus ĂągĂ©s, une bonne quarantaine d’annĂ©es, de l’étudiant (e) Ă  l’employĂ© (e).

 

Je sortais des toilettes, en haut de la salle, au balcon, lorsque j’ai entendu l’arrivĂ©e de Tania Dutel sur scĂšne. J’ai eu Ă  peine le temps de revenir m’asseoir Ă  ma place, juste devant la scĂšne, lorsque Tania Dutel m’a interrogĂ©. Qu’est-ce que je faisais ? Comment je m’appelais ? J’étais seul ?

 

MĂȘme si j’ai Ă©tĂ© surpris, j’ai Ă©tĂ© assez Ă  l’aise pour rĂ©pondre.  Cela fait partie du jeu du stand up et des spectateurs du premier rang. Et, Tania Dutel ne m’a pas trop poursuivi. Mais ce genre d’échange crĂ©e un lien particulier avec l’artiste sur scĂšne. Durant quelques secondes, la spectatrice ou le spectateur vit un peu l’expĂ©rience de l’artiste qui se met Ă  nu et Ă  risque devant un public pendant plus d’une heure. MĂȘme s’il y a des « trucs Â» comme on dit dans la profession et que les annĂ©es d’entraĂźnement permettent de « faire Â» le spectacle, l’imprĂ©vu persiste. Puisque c’est le principe du spectacle vivant. D’ailleurs, Tania Dutel nous dira qu’au dĂ©but, elle avait prĂ©vu de faire autre chose.

 

Tania Dutel, Ă  la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Tania Dutel a sollicitĂ© aussi deux ou trois autres spectatrices et spectateurs. MĂȘme si j’avais dĂ©jĂ  observĂ© cette aptitude chez d’autres artistes sur scĂšne, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© par sa facilitĂ© pour Ă©couter les rĂ©ponses de son public. Comme pour retenir le prĂ©nom des spectatrices et spectateurs avec lesquels elle avait « conversĂ© Â» un peu devant nous. A la fin du spectacle, je crois me souvenir qu’elle se rappellera de mon prĂ©nom.

 

Lors de son stand up qui a durĂ© prĂšs d’une heure trente, avec une mise en scĂšne minimale, un micro, un pied de micro, un tabouret, une lampe, un cahier, un thermos dans lequel elle ne boira rien, Tania Dutel a Ă©tĂ© espiĂšgle, enfant, charmante, surprenante, bienveillante et trĂšs attentive Ă  son public. Il a Ă©tĂ© question au moins de viol, de boulimie, d’anorexie, de sexualitĂ©, des relations entre les femmes et les hommes, du corps des femmes, de sa physiologie. De quoi gĂȘner un petit peu au cours d’un apĂ©ro ou d’un barbecue lors d’une rencontre familiale ou amicale.

 

Il est possible que certaines sensibilitĂ©s trouvent outranciers les sujets abordĂ©s par Tania Dutel ainsi que sa maniĂšre de le faire. Et, c’est sĂ»rement une question de mesure mais je n’arrive pas Ă  les trouver indĂ©cents ou dĂ©placĂ©s.  Et, comme elle l’a expliquĂ©, elle ne peut pas plaire Ă  tout le monde mĂȘme en faisant  de son mieux pour mettre les formes.

En racontant des situations trĂšs intimes comme le veut le stand up, Dutel table sur le fait qu’il peut se trouver dans le public des personnes qui ont vĂ©cu la mĂȘme chose qu’elle et qui sont prĂȘtes Ă  ce que cela « sorte Â» de la bouche d’un( e) artiste.

 

Cela explique-t’il le fait que, trĂšs vite, le public prĂ©sent, tant fĂ©minin que masculin, ait ri avec conviction ?

 

En tout cas, le public, dans sa grande majoritĂ©, a adhĂ©rĂ©. Pour ma part, j’ai souvent souri. Peut-ĂȘtre ai-je moins ri que d’autres car je peux avoir un temps de dĂ©calage avec le rĂ©el. Mais aussi parce-que j’avais « vu Â» et entendu une partie des rĂ©pliques de Tania Dutel sur internet.

 

AprĂšs le spectacle, nous sommes quelques uns Ă  attendre Tania Dutel Ă  la sortie. Elle arrive, prend le temps de discuter avec nous.

Tania Dutel s’est lancĂ©e dans le mĂ©tier depuis 2009 et fait du stand up comme elle le pratique dĂ©sormais depuis 2017. Pendant la reprĂ©sentation, alors qu’elle parlait de « pĂ©nis de sang et de pĂ©nis de chair Â», elle s’est aperçue que je la prenais en photo. AprĂšs s’ĂȘtre assurĂ©e que je n’étais pas en train de la filmer – car c’est interdit- elle m’avait demandĂ© de la photographier plutĂŽt Ă  la fin du spectacle. J’avais alors posĂ© mon appareil photo.

 

Tania Dutel, Ă  la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Lors de ces quelques Ă©changes avec elle, dans la rue Fontaine, je lui explique avoir pris ces photos pour parler d’elle- en bien- dans mon blog. Elle ne pouvait pas le savoir. Lors d’un passage de son spectacle, elle nous a racontĂ© comment elle s’était faite « dĂ©foncer Â» par certains internautes qui n’avaient pas aimĂ© un de ses sketchs ou un de ses spectacles. De ce fait, depuis, elle ne lit plus les commentaires sous ses vidĂ©os. L’humoriste Elodie Poux a fait un sketch que je trouve rĂ©ussi sur les « haters Â», ces personnes qui manquent de courage,  ou simplement de maturitĂ© et d’autocensure, lorsqu’elles parcourent un clavier en restant bien abritĂ©es dans la pĂ©nombre et dans l’anonymat. 

 

Comme d’autres spectatrices et spectateurs prĂ©sents dans la rue Fontaine, hier soir, j’ai  remerciĂ© Tania Dutel pour son spectacle. Ainsi que pour son courage Ă  parler, seule sur scĂšne, de tous ces sujets. Alors que nous, spectateurs, nous pouvons avoir l’impression que c’est facile Ă  faire. Je l’ai saluĂ©e puis je suis parti. Avant de revenir pour lui demander un selfie. Il est dommage, qu’avec l’éclairage, il y ait plus d’ombre sur son visage que sur le mien mais au moins, la photo et son sourire sont lĂ .

Avec Tania Dutel, aprĂšs son spectacle Ă  la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 4 novembre 2022.

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En Concert

En concert avec Hollie Cook au Trabendo

En concert avec Hollie Cook au Trabendo

 

Trois jours aprÚs avoir vu Zentone à la Maroquinerie dans le 20Úme arrondissement de Paris ( En concert avec Zentone à la Maroquinerie), le concert de Hollie Cook arrive ce vendredi soir au Trabendo dans le 19 Úme arrondissement. Prix de la place en prévente :

29,90 euros. 

 

Dans le mĂ©tro, ligne 5, jusqu’à la porte de Pantin, la mixitĂ© sociale et culturelle saute aux yeux comparativement Ă  trois jours plus tĂŽt.

 

Se rendre Ă  la gare du Nord et dans certains endroits du 19Ăšme arrondissement, c’est aussi passer dans des « juridictions Â» oĂč augmente le nombre de personnes addicts et SDF. Je parle de celles et ceux qui n’en sont plus Ă  se demander quand part le dernier mĂ©tro.

 

Mais le 19Ăšme arrondissement, c’est aussi des lieux culturels dont le ZĂ©nith, la Philarmonie de Paris, la Villette et le Conservatoire de musique. Il y a Ă©galement la salle de concert, le Trabendo. C’est en me dirigeant vers lui que je me rappelle y ĂȘtre allĂ© une premiĂšre fois pour voir Brinsley Forde et Vincent Segal en concert, il y a environ dix ans. Un trĂšs bon souvenir. 

 

 

Avec Hollie Cook, mon histoire a connu un effet rebond. Au dĂ©part, il y a eu le titre Far from me sur l’album Vessel of love, sorti en 2018, peut-ĂȘtre Ă©coutĂ© aprĂšs avoir lu un article Ă©logieux sur elle.

Il y avait aussi eu le titre Sugar Water (Look at my face). Et puis, plus rien. Je ne pensais plus particuliĂšrement Ă  Hollie Cook. Je ne me rappelle pas si j’avais lu, comme je l’ai dĂ©jĂ  beaucoup relu depuis, que Hollie Cook est la fille d’un des membres des Sex Pistols et d’une des membres du groupe The Belle Stars.

J’avais beaucoup aimĂ© le titre Sign Of  The Times des The Belle Star qui avait Ă©tĂ© un tube Ă  sa sortie en 1983.  Un tube que tout le monde, moi y compris, avait dĂ©ja oubliĂ© lorsque Prince avait sorti son album et titre Sign « O Â» Times seulement quatre ans plus tard en 1987.

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Ce vendredi 28 octobre 2022, lorsque je marche vers Hollie Cook, mon histoire a changĂ© avec elle. Car j’ai Ă©coutĂ© l’album Twice deux ou trois ans aprĂšs Vessel of love. Je ne savais pas, alors, que Twice Ă©tait antĂ©rieur (sorti en 2014) Ă  l’album  Vessel of love.  Cependant, plusieurs titres m’ont trĂšs vite captivĂ© dans l’album Twice :

99, Looking for real love et Superfast.

 

Et, lorsque j’ai dĂ©couvert la vidĂ©o officielle de Looking for real love, j’ai Ă©tĂ© suis sĂ©duit par la grĂące de Hollie Cook. Laquelle, avec trĂšs peu de gestes, est habile pour happer notre attention. Sur une autre vidĂ©o, je l’ai vue interprĂ©ter Sugar Water (Look at my face) en concert Ă  Montreux avec Horseman Ă  la batterie et Ă  la voix. Sur une autre, 99. Et, j’en redemande. Je la cite d’ailleurs dans mon article sur l’ouvrage de Judith Duportail (L’Amour sous algorithme, un livre de Judith Duportail )

 

Hollie Cook a sorti un dernier album en 2022, Happy Hour, que je n’ai pas encore Ă©coutĂ©.

 

Si les chansons de Hollie Cook parlent beaucoup d’Amour, la douceur de sa voix se plante dans un Reggae robuste. Et, cela me parle. Et, comme cela me parle, j’ai fait des recherches et vu qu’Hollie Cook Ă©tait passĂ©e en concert Ă  Paris il y a quelques annĂ©es. Je l’avais donc manquĂ©e
. jusqu’à ce vendredi soir.

 

 

Ce soir, je ne saurais pas dire, comme j’avais pu le faire lors du concert de Zentone, quelle Ă©tait la proportion de femmes et d’hommes dans le public. Car je me suis tout de suite mis devant la scĂšne. Mais le public m’a paru un peu plus jeune en moyenne. Et les squaws Ă©taient bien plus prĂ©sentes tout prĂšs de la scĂšne. Des squaws qui connaissaient les paroles des chansons de Hollie Cook.

 

Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

 

 

DĂšs son entrĂ©e sur scĂšne, Hollie Cook nous a charmĂ© par son sourire et son envie. DerriĂšre elle et sur ses cĂŽtĂ©s, un guitariste, un batteur, un bassiste et un claviĂ©riste, parfois dans les chƓurs, ont tournĂ© avec elle la clĂ© du concert.

 

Hollie Cook est plus qu’une voix agrĂ©able et un sourire sympathique. C’est aussi un corps heureux qui laisse s’échapper la musique jusqu’au Dub. C’est aussi une professionnelle trĂšs concentrĂ©e.

Depuis des annĂ©es, dans le Reggae, la basse m’attire le plus. Mais cela fait deux concerts de suite oĂč le batteur, parmi les musiciens, a ma prĂ©fĂ©rence. Pourtant, les autres musiciens Ă©taient bien prĂ©sents.

 

Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Le concert a Ă©tĂ© si agrĂ©able et si lĂ©ger, que, plusieurs fois, j’ai eu l’impression de vivre un rĂȘve prolongĂ©.

 

A la fin, Hollie Cook nous a nouveau remerciĂ© pour les bonnes vibrations et pour l’énergie que nous lui avions donnĂ©e. Elle nous a aussi dit que, dĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre, elle avait Ă©tĂ© trĂšs bien accueillie Ă  Paris.

 

AprĂšs le concert, je l’ai aperçue Ă  quelques mĂštres en compagnie de personnes qu’elle connaissait. Je me suis dit que je n’allais pas faire ma groupie. J’ai commencĂ© Ă  m’en aller tout en regardant. J’ai vu quelques personnes aller la voir et se faire prendre en photo avec elle. Je me suis dit que je ne pouvais pas partir comme ça.

 

J’ai redescendu les marches.

 

Lorsqu’est venu mon tour, je lui ai demandĂ© :

 

« Hi, Hollie, May I ? Â». Hollie a acquiescĂ©. Si je recommence Ă  me faire prendre en photo avec des artistes, il va falloir que je me dĂ©tende un peu. LĂ , sur la photo, j’ai une tĂȘte d’assassin.

Avec Hollie Cook aprĂšs le concert, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 AprĂšs la photo, je lui ai dit :

 

« I Took some pictures of you Â». Tout en gardant le sourire, elle a fait « oui Â». J’avais bien vu qu’elle m’avait vu la prendre en photo durant le concert. Puis, elle m’a demandĂ© de lui en envoyer sur instagram.

 

Je lui ai rĂ©pondu :

 

« I will try my best Â».

 

Dans l’article prĂ©cĂ©dent sur le concert de Zentone, j’avais oubliĂ© la pandĂ©mie du Covid. Je me suis davantage rappelĂ© des attentats terroristes qui l’avaient prĂ©cĂ©dĂ©e car, en plus de massacrer des personnes et de vouloir effrayer le monde,  l’un d’entre eux a aussi eu pour projet de dĂ©truire la musique. Et, aussi, parce-que, d’une façon ou d’une autre j’ai vu les morts de ces attentats.

 

J’ai eu la chance de n’avoir perdu personne du Covid.

 

Pendant le confinement dĂ©cidĂ© lors de la pandĂ©mie du Covid les manifestations publiques telles que les concerts ont Ă©tĂ© annulĂ©es. Se retrouver comme hier ou mardi soir, avec des inconnus, Ă  visage dĂ©couvert, sans avoir Ă  fournir de passe sanitaire, dans une salle fermĂ©e Ă  Ă©couter la mĂȘme musique, Ă  danser voire Ă  rĂȘver ensemble grĂące Ă  la musique et des artistes  Ă©tait devenu impossible. C’était il y a deux ans. Il n’y a pas si longtemps. ( Panorama 18 mars-19 avril 2020, Coronavirus Circus 2Ăšme Panorama 15 avril-18 Mai 2020 par Franck Unimon). 

 

Ce à quoi nous tenons, ce que nous vivons, est éphémÚre. La musique renoue avec cet éphémÚre.

 

Voici mon « best of Â» des photos du concert d’Hollie Cook au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022.

 

Franck Unimon, ce samedi 29 octobre 2022.

 

Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, au Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Au concert de Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, au Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

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En Concert

En concert avec Zentone Ă  la Maroquinerie

En concert avec Zentone Ă  la Maroquinerie

 

Un de mes collÚgues, ancien animateur radio, compte parmi ses amis, un homme, célibataire, lequel, tous les soirs, se rend à un concert.

En une annĂ©e, c’est beaucoup plus que le nombre de fois oĂč je suis allĂ© voir un groupe ou un artiste sur scĂšne.

 

Un concert raconte souvent un bout de notre vie. Et, je crois aussi, comme quelqu’un l’a dit ou Ă©crit, que la musique est une des meilleures machines Ă  remonter le temps que nous ayons Ă  notre portĂ©e. Elle piĂšge aussi celle et ceux qui acceptent de s’en approcher qu’ils soient musiciens, chanteurs ou « simples Â» auditeurs. Car elle porte en elle une partie de la promesse que chacune et chacun a en soi et qu’elle peut lui apprendre Ă  mieux connaĂźtre ou Ă  dĂ©couvrir. Et puis, mirage ou prodige, la musique nous autorise une jeunesse et une enfance renouvelĂ©es. On commence sans doute Ă  se (b)rider lorsque l’on commence Ă  dĂ©cider que la musique, le jeu et le rire sont des activitĂ©s de colonie de vacances qui ont fait leur temps, qu’il faut passer Ă  tout autre chose, se mettre au travail pour de bon, et devenir, sans jamais dĂ©vier de la ligne, une personne en tout point de vue irrĂ©prochable, sĂ©rieuse et adulte.

La Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022, avant le dĂ©but du concert de Zentone. Photo©Franck.Unimon

 

 

J’avais dix neuf ans lorsque je suis allĂ© seul, pour la premiĂšre fois, Ă  un concert. C’était pour aller voir Miles Davis, dĂ©jĂ  mon musicien prĂ©fĂ©rĂ©, dĂ©couvert alors que j’avais 17 ans. GrĂące Ă  un copain, d’origine franco-polonaise, par l’album Star People, sur sa platine disque vinyle. Un ami, un peu plus ĂągĂ© que moi d’un an ou deux, que je connaissais de vue avant de vĂ©ritablement faire sa connaissance dans le club d’athlĂ©tisme de notre ville. Club oĂč il me rapprocha de quelqu’un, devenu mon meilleur ami, d’origine algĂ©rienne, qui avait connu les bidonvilles de Nanterre, que j’avais eu dans ma classe au collĂšge, et que j’avais toujours Ă©vitĂ© en raison de sa nervositĂ© et de son impulsivitĂ©.

  

Ce premier copain, franco-polonais, plus grand que moi de dix Ă  quinze centimĂštres, habitait avec sa mĂšre, divorcĂ©e, quatre Ă©tages en dessous de l’appartement oĂč j’habitais avec mes parents, ma sƓur et mon frĂšre dans un F3, dans une tour HLM de 18 Ă©tages, Ă  Nanterre. En face de l’école maternelle et primaire, Robespierre. A cĂŽtĂ© de l’usine CitroĂ«n.

 

J’ai connu les concerts, les cafĂ©s et les restaurants au cours desquels on se faisait enfumer par ses voisins et oĂč l’on rentrait chez soi, avec sur ses vĂȘtements, l’odeur du tabac. Ce qui n’a jamais Ă©tĂ© ma volontĂ© mais c’était un passage obligĂ© lorsque l’on souhaitait sortir de chez soi.

 

 

Beaucoup a changĂ© depuis. Pourtant, beaucoup, aussi, est restĂ© identique. Comme les enfants d’il y a quarante ans, les enfants d’aujourd’hui continuent d’aimer manger des frites. Et, des gens d’aujourd’hui continuent d’aimer Ă©couter de la musique, d’en jouer ou d’en dĂ©couvrir. La musique reste la musique. Seules ses dĂ©clinaisons et la façon dont on est allĂ© vers elle la premiĂšre fois, et oĂč l’on retourne vers elle, peut avoir changĂ© un peu ou beaucoup lorsque l’on est aujourd’hui « plus jeune Â». Mais la musique continue de nous toucher. Et, il nous reste aussi la mĂ©moire ainsi que la transmission.

 

La Maroquinerie, avant le dĂ©but du concert de Zentone, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Combien de personnes « jeunes Â», aujourd’hui, Ă©coutent une musique qu’ont pu Ă©couter leurs parents ou leurs grands parents, en mĂȘme temps que d’autres musiques. Car si la musique peut ĂȘtre une transition dans nos vies, elle est aussi une mĂ©moire, une transmission et une acquisition.

 

 

Hier soir, lorsque je suis allĂ© voir Zentone Ă  la Maroquinerie, mon dernier concert dans une salle datait de plus de cinq annĂ©es. C’était peut-ĂȘtre pour aller voir Marc Ribot Ă  la cave DimiĂšre d’Argenteuil. AprĂšs Arno et Danyel Waro au Figuier blanc, Ă©galement Ă  Argenteuil. Des trĂšs bons concerts.

 

J’étais alors devenu pĂšre ou allais le devenir.

 

En prenant de l’ñge mais aussi en changeant de « statut Â», en passant de fils « d’employĂ© Â» Ă©tudiant idĂ©aliste plus ou moins puceau Ă  pĂšre et conjoint employĂ© et imposable, on sort, sans vraiment s’en souvenir ou s’en apercevoir d’un certain circuit. Pour, quelques annĂ©es plus tard, assez facilement se convaincre que ce circuit nous est Ă  tout jamais interdit. On serait devenu trop vieux ou infrĂ©quentable ou tout juste bon pour  rester chez soi.

 

Sauf que rien ne nous interdit de reprendre des Ă©tudes, de refaire connaissance ou d’acheter un billet d’entrĂ©e pour aller Ă  un concert. Et, rien ne nous interdit non plus d’y aller seul si la majoritĂ© des personnes que nous connaissons, et qui nous ressemblent, sont indisponibles ou n’ont pas cette envie ou ce besoin-lĂ .

 

 

En musique et en concert, je crois avoir ratĂ© l’aventure du Rap parce-que, dans les annĂ©es 90, j’avais un travail qui me plaisait, enfin, et qui me permettait de gagner suffisamment ma vie. J’avais donc commencĂ© Ă  m’insĂ©rer socialement et entrevoyais la possibilitĂ© concrĂšte d’un avenir. MĂȘme si mes projets d’avenir restaient approximatifs.

 

Mais j’ai sans doute aussi ratĂ© l’aventure du Rap, parce-que, dans les annĂ©es 90, j’étais bien plus entraĂźnĂ© dans le Dub et le Reggae, ou, Ă©ventuellement, dans une certaine forme de techno.

 

Si Miles a bien fait un album inspirĂ© du Rap, sorti aprĂšs sa mort en 1991, cet album n’a pas suffi. Et, si j’étais allĂ© voir MC Solaar au ZĂ©nith (un concert trĂšs correct mais frustrant) et I AM Ă  l’Olympia (un de mes meilleurs souvenirs de concert), le Rap, qui, aujourd’hui, en France, dĂ©sherbe « tout Â», ne m’a pas parlĂ© aussi bien que le Dub, par exemple.

 

High Tone et Zenzile avaient dĂ©jĂ  jouĂ© ensemble en 2006 a rappelĂ© un des musiciens hier soir. Cela ne m’a pas marquĂ©. J’ai dĂ» le savoir et l’écouter « Ă  l’époque Â» mais sans donner suite car je ne m’en souviens pas.

Pendant des annĂ©es, j’ai eu beaucoup de mal avec « les Â» Zenzile de Angers. La voix de leur chanteuse, Jamika, ne passait pas pour moi. High Tone, j’aimais davantage. Mais je trouvais leurs titres trop longs ou trop expĂ©rimentaux.

 

La Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022, pendant le concert de Zentone. Photo©Franck.Unimon

 

J’ai aimĂ© High Tone lorsqu’ils ont jouĂ© avec le groupe Improvisators Dub, dans le groupe Highvisators. C’était en 2004. Les Improvisators Dub de Bordeaux, avec « feu Â» Manutention, Ă©taient lestĂ©s de Dub. Avec eux, impossible de rater la percussion Dub. J’ai eu la chance de voir les Improvisators Dub Ă  un concert Ă  la salle de concerts l’Observatoire Ă  Cergy St Christophe, la mĂȘme soirĂ©e oĂč j’ai dĂ©couvert le groupe Brain Damage de St Etienne, alors conduit par Martin Nathan et le bassiste RaphaĂ«l Talis, parti par la suite.  

 

Depuis, Manutention est dĂ©cĂ©dĂ© et le groupe Improvisators Dub n’existe plus, ce qui me rend assez nostalgique. Hier soir, sur scĂšne, Ă  la Maroquinerie, aucun des artistes sur scĂšne n’a mentionnĂ© les Improvisators Dub parce-que le temps est passĂ©. Mais dans les annĂ©es 1990-2000, les Improvisators Dub faisaient partie, avec High Tone et Zenzile des groupes français pionniers pour jouer du Dub sur scĂšne «  avec des instruments Â» comme l’a dit un des spectateurs, hier soir.

 

Les groupes français Le Peuple de l’Herbe, Dubphonic ou Lab° ont aussi su faire partie ou font peut-ĂȘtre encore partie de la surface de rĂ©paration du Dub en France mais je les connais moins bien, ne les ai pas vus sur scĂšne, ou leur prestation sur scĂšne (telle celle de Lab° Ă  Saint Germain en Laye) m’avait moins transportĂ©.

 

J’ai aussi aimĂ© High Tone lorsqu’il a croisĂ© Brain Damage « de Â» Martin Nathan (aprĂšs le dĂ©part de RaphaĂ«l Talis) pour former le groupe High Damage. J’étais allĂ© les voir Ă  l’EMB de Sannois.

 

Enfin, j’ai aimĂ© High Tone lorsque, cette fois, il a retrouvĂ© Zenzile pour Zentone.

 

J’avais ratĂ© cette deuxiĂšme « version Â» de Zentone en concert en juin Ă  Paris. Je n’avais pas pu aller l’écouter sur scĂšne Ă  Lille fin septembre. Aussi, est-ce avec un grand plaisir qu’en tapant Zentone sur internet, machinalement, il  y a quelques semaines, que j’ai appris qu’ils allaient passer, Ă  nouveau pour une date unique, cette fois Ă  la Maroquinerie, salle de concerts dont j’avais dĂ©jĂ  entendu parler mais qui m’était toujours restĂ©e inconnue. Je ne savais pas oĂč la situer.

 

 

Se rendre seul à un concert, dans une salle que l’on ne connaüt pas, ressemble un peu à un pùlerinage.

 

La Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022, avant le concert de Zentone. Photo©Franck.Unimon

 

Pour ce pĂšlerinage, il m’a fallu me transplanter, vers 19h ce mardi soir, dans un mĂ©tro bondĂ©, ligne 3, depuis Paris St Lazare, avec une femme-parachutiste criant et se jetant presque dans mon dos, alors que les portes allaient se fermer :

 

« Mettez-vous dans les couloirs, s’il vous plait ! C’est pas vrai ! Tout le monde pourrait entrer si les gens se mettaient dans les couloirs ! Â».

 

La station de mĂ©tro suivante, la mĂȘme « parachutiste Â» a prĂ©fĂ©rĂ© se cramponner Ă  l’intĂ©rieur de la voiture, gĂȘnant le passage des personnes qui souhaitaient descendre.

 

L’atmosphĂšre s’est ensuite pacifiĂ©e dans le mĂ©tro alors que celui-ci s’est un peu vidĂ©. J’ai alors pris le temps de regarder ces personnes qui Ă©taient dans le mĂ©tro. Il y avait un peu moins de monde sur son Ă©cran de smartphone que d’habitude.

 

A la station Gambetta, beaucoup de voyageurs sont descendus. On aurait presque dit qu’ils se rendaient tous à la Maroquinerie.

 

Dans les faits, non, bien-sûr.

 

AprĂšs un passage Ă  la boulangerie La Gambette Ă  Pain oĂč j’ai dĂ» me passer de Mamouna, car il n’y en n’avait plus, j’ai demandĂ© mon chemin pour la Maroquinerie, rue Boyer.

 

C’est loin ! Vous n’y ĂȘtes pas du tout ! Je crois qu’il faut monter vers MĂ©nilmontant
.

Vous n’avez pas un tĂ©lĂ©phone ?

 

J’ai rĂ©pondu : « Je suis archaĂŻque. Je prĂ©fĂšre demander aux gens
 Â».

 

Enfin, une dame d’une soixantaine d’annĂ©es, la quatriĂšme personne que j’interrogeais, et de loin plus ĂągĂ©e que les trois hommes que j’avais questionnĂ© prĂ©cĂ©demment, m’a confirmĂ© :

 

« Vous continuez tout droit,  vous descendez la rue Villiers Adam. Jusqu’à la rue de la Bidassoa
vous en avez pour 15 minutes ou peut-ĂȘtre moins si vous marchez plus vite que moi Â».

 

Dans la rue Boyer, ce mardi 25 octobre 2022, non loin de la Maroquinerie. Photo©Franck.Unimon

 

Moins de quinze minutes plus tard, je passais devant les Tonton Bringueurs oĂč se tenait un certain nombre de consommateurs, ainsi qu’à l’intĂ©rieur. Dans la rue Boyer, je suis aussi passĂ© devant un club de Pilates ( «  En dix sĂ©ances, vous sentez la diffĂ©rence Â») et un futur projet de construction d’appartements luxueux.

 

Puis, la Bellevilloise et la Maroquinerie.

Devant la Maroquinerie, aprĂšs le concert de Zentone ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

La Maroquinerie est le type de salle de concert que je prĂ©fĂšre. Je suis allĂ© une fois ou deux Ă  Bercy. C’est trop grand mĂȘme si j’y ai de trĂšs bons souvenirs :

 

Burning Spear et les Gladiators avec « feu Â» Albert Griffith.

 

Je suis allĂ© une fois Ă  la DĂ©fense Arena, c’était pour Kassav’. Je ne le regrette pas mais j’avais prĂ©fĂ©rĂ©, ensuite, retourner voir Kassav’ Ă  la fĂȘte de l’Huma. J’ai ainsi pu voir « feu Â» Jacob Desvarieux avec le groupe, une derniĂšre fois sur scĂšne, sans le savoir.

 

 

Et puis, il y ‘a le prix de la place. 21,99 euros pour Zentone, hier soir. Je prends. A partir de 30 euros, il me faut une bonne raison. Je ne vais plus Ă  un concert de Björk, que j’avais pu voir lors de son passage Ă  l’ElysĂ©e Montmartre aprĂšs son premier album, Debut, depuis que les places montent Ă  des tarifs auxquels je prĂ©fĂšre ne pas penser. La derniĂšre fois que j’ai vue Björk, sur scĂšne, c’était en clĂŽture du festival Rock en Seine. Un trĂšs trĂšs bon concert. C’était il y a environ 15 ans. J’étais alors cĂ©libataire et sans enfant.

 

J’ai acceptĂ© de mettre prĂšs de 40 euros pour aller voir en dĂ©cembre Rodolphe Burger au New Morning. Parce-que c’est Rodolphe Burger, que je ne l’ai jamais vu sur scĂšne. Et, parce-qu’il sera accompagnĂ© des deux pointures que sont Medhi Haddab, dont je connais un petit peu l’univers,  et Sofiane SaĂŻdi que je ne connais pas du tout.

 

Pour moi, le prix d’une place de concert ne dit rien de la valeur d’un artiste. En novembre, Ă  Massy, il sera possible de voir en concert la plus que trĂšs grande chanteuse Oumou SangarĂ© pour moins de trente euros. C’est bien moins que d’autres artistes, dont les concerts sont plus chers, et dont la voix, Ă  cĂŽtĂ© d’elle, est une brindille.

 

Je n’ai jamais vu Rodolphe Burger en concert mais cela fait des annĂ©es que je l’écoute par morceaux. RĂ©cemment, j’ai aimĂ© revoir et réécouter sa reprise du Billie Jean de MichaĂ«l Jackson. OĂč Burger joue avec Sarah Murcia, une artiste que je ne connaissais pas il y a encore deux mois et que j’ai aperçue en photo, collĂ©e Ă  sa contrebasse,  pour la premiĂšre fois, en me rendant Ă  une exposition de tableaux d’une ancienne collĂšgue au restaurant-cafĂ©-salle de concerts le Triton.

 

Pour moi, parler de tout ça a aussi Ă  voir avec le concert d’hier soir. Hier soir, un des guitaristes du groupe Zentone portait un tee-shirt sur lequel on pouvait lire :

 

New Order.

La Maroquinerie, concert de Zentone, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Nous avons Ă©coutĂ© du Dub et du Reggae hier soir. Mais les musiciens que nous avons vus et Ă©coutĂ©s viennent d’horizons multiples et multipistes. Tout comme un certain nombre des spectateurs prĂ©sents, sans doute.

 

La salle était pleine.

 

La Maroquinerie, au dĂ©but du concert de Zentone, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Je me demande certaines fois qui je vais voir, parmi les spectateurs. Quel sera leur profil. MĂȘme si un profil, une apparence, ne dit rien de dĂ©finitif ou de notre humeur vĂ©ritable. Hier soir, le public Ă©tait un peu plus masculin que fĂ©minin. Je dirais Ă  peu prĂšs 55 pour cent d’hommes pour 45 pour cent de femmes.

Un public plutĂŽt blanc. Nous devions ĂȘtre dix noirs, en comptant trĂšs large, dans la salle. Pour l’ñge, je dirais que cela commençait Ă  25 ans pour monter jusqu’à 50 ans et plus. Mais j’ai aussi vu une enfant d’une douzaine d’annĂ©es qui devait ĂȘtre avec son pĂšre au fond de la salle de concert. J’ai vu une femme d’une bonne vingtaine d’annĂ©es avec une casquette posĂ©e Ă   l’envers de façon recherchĂ©e, portant un blouson type Bombers, jeans trouĂ© aux genoux, baskets, le dos voutĂ©, accompagnĂ©e au moins d’un homme d’à peu prĂšs du mĂȘme Ăąge, une pinte de biĂšre Ă  la main, allure de geek (ou de skateur), avec casquette, lunettes et barbe de plusieurs jours.

 

Mais j’ai aussi vu un homme d’une cinquantaine d’annĂ©es, presque habillĂ© comme un cadre sup, au bras de sa compagne Ă©namourĂ©e.

 

Les biĂšres Ă©taient de sortie dans la salle. Elles avaient remplacĂ© les cigarettes et les joints. MĂȘme si une personne ou deux a pu tirer des lattes sur sa cigarette Ă©lectronique sans inquiĂ©tude.

 

D’abord plutĂŽt au fond de la salle, devant la console de son, je me suis rapidement aperçu que j’étais trop loin pour prendre des photos. Alors que ce que j’aimerais, autant que possible, lors des quelques concerts oĂč j’ai prĂ©vu de me rendre, c’est de pouvoir proposer des photos prĂ©sentables. Des photos qui donnent envie d’aller Ă  un concert, des photos qui donnent envie d’écouter de la musique dans un endroit public.Alors, suivant l’exemple de quelques personnes, que j’avais vu se faufiler vers la scĂšne, je me suis mis Ă  sillonner au sein du public. Et, trĂšs facilement, j’ai pu me rapprocher….

La Maroquinerie, pendant le concert de Zentone, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Au dĂ©but du concert, je n’ai pas pu m’empĂȘcher de penser aux attentats terroristes islamistes « du Â» Bataclan en novembre 2015. Peut-ĂȘtre que c’est la premiĂšre fois ou l’une des premiĂšre fois que je retourne dans une salle de concert depuis ces attentats. Ce n’est pas une histoire de peur.  Je crois que c’est parce-que j’avais Ă©tĂ© occupĂ© par d’autres Ă©vĂ©nements. Mais tout en Ă©tant lĂ , devant Zentone, avec d’autres personnes dans la salle, je me suis dit que nous contribuions, aussi, Ă  nous Ă©loigner de ce trauma.

 

Ensuite, sur scĂšne, Zentone a tenu toutes ses promesses. Le bassiste de Zenzile et celui de High Tone, toujours  devant au milieu de la scĂšne, ont jouĂ© par alternance. Celui de Zenzile avait une Ă©nergie punk tandis que celui de High Tone Ă©tait plutĂŽt roots.

 

Le bassiste de Zenzile, pendant le concert de Zentone, ce mardi 25 octobre Ă  la Maroquinerie. DerriĂšre lui, Jolly Joseph. Photo©Franck.Unimon

 

Le bassiste de High Tone, Ă  la Maroquinerie pendant le concert de Zentone ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Trois ou quatre personnes étaient aux claviers, dont le chanteur Jolly Joseph.

 

Au premier plan, le chanteur Jolly Joseph, Ă  cĂŽtĂ© de lui, le bassiste de Zenzile, au fond, le guitariste de High Tone. Maroquinerie, concert de Zentone, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Jolly Joseph aux claviers, au milieu, le musicien des instruments Ă  vent et claviers, Ă  droite, le guitariste de Zenzile. La Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022 pendant le concert de Zentone. Photo©Franck.Unimon

 

Deux guitaristes Ă©taient en lice. Un autre musicien tenait la partition des instruments Ă  vent et de la percussion. A l’arriĂšre scĂšne, au milieu, le batteur a Ă©tĂ© le ferment d’un Dub intraitable.

Le batteur de Zentone, ferment d’un Dub intraitable. La Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Un des bassistes et le batteur de Zentone. La Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

La Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Concert de Zentone. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, ce mardi 25 octobre 2022, Ă  la Maroquinerie. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Concert de Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Zentone, Ă  la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Zentone, la Maroquinerie, ce mardi 25 octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 26 octobre 2022.

 

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Puissants Fonds/ Livres

L’Amour sous algorithme, un livre de Judith Duportail

L’Amour sous algorithme, un livre de Judith Duportail.

 

 

AppĂąt ou Ă©tat, son apparition change la donne. Seconde peau de premiĂšre main, l’Amour est une assez vieille croyance que, quel que soit l’ñge, un jour, beaucoup mangent.

 

La journaliste indĂ©pendante Judith Duportail a 28 ans lorsqu’elle tĂ©lĂ©charge en 2014 l’application de rencontres Tinder. On apprend dans son livre que cette application, disponible en France en 2013, a Ă©tĂ© cofondĂ©e par Sean Rad – qui voulait ĂȘtre acteur initialement- en 2012 aux Etats Unis.

 

Judith Duportail est une jeune parisienne qui, lorsqu’elle Ă©crit ce livre, pourrait ĂȘtre dĂ©crite comme « Ă©mancipĂ©e Â», urbaine, Ă©duquĂ©e (un niveau d’études plutĂŽt Ă©levĂ©, Anglais courant) et pourvue d’humour.

 

Sur le papier, Judith Duportail est une personne suffisamment armĂ©e pour ĂȘtre aimĂ©e.

 

Cela pourra Ă©tonner de voir rapprochĂ©, ici, le terme « arme Â» de celui qui consiste Ă  trouver ou Ă  ĂȘtre trouvĂ© par l’ñme sƓur
 mais lorsqu’il s’agit de sĂ©duire la personne qui s’aventure Ă  nous plaire, un simple sourire pour elle  est dĂ©jĂ  une tentative de capture. MĂȘme si sourire n’empĂȘche pas la rupture. Hollie Cook hante cette vĂ©ritĂ© dans son titre 99 :

 

« Please, don’t give me your smile I Adore cause I can’t touch you no more
. Â» (« Je t’en supplie, ne m’adresse plus ce sourire que j’adore car je ne peux plus me rapprocher de  toi Â»).

 

 

Hollie Cook passe cette semaine en concert au Trabendo ce vendredi 28 octobre. Il est possible que j’aille la voir.

 

Le fait que L’Amour sous algorithme ait Ă©tĂ© Ă©crit par une femme (apparemment en 2019) et ait Ă©tĂ© citĂ© par d’autres femmes (Mona Chollet et Victoire Tuaillon) prĂ©occupĂ©es Ă©galement par les relations amoureuses entre les ĂȘtres humains a son importance. Car officiellement, les hommes hĂ©tĂ©rosexuels sont des larves de l’Amour.

Et, en tant que larves des sentiments et de l’engagement, ils font beaucoup souffrir les femmes qui sont des ĂȘtres beaucoup plus Ă©voluĂ©s en matiĂšre d’engagement et de sentiment. Je l’écris ici avec un peu de provocation misogyne. Mais je rĂ©sume aussi, je crois, une partie du sujet principal. Parce qu’il y a l’algorithme.  Puis il y a celles et ceux qui l’utilisent et qui sont, en principe, tous, des ĂȘtres responsables.

 

Une Digital Native

 

La spĂ©cificitĂ© de Judith Duportail, qui a Ă©crit L’Amour sous algorithme est d’ĂȘtre, sans doute comme Victoire Tuaillon (conceptrice du podcast et auteure du livre Les couilles sur la table, un livre de Victoire Tuaillon. PremiĂšres partiesLes Couilles sur la table, un livre de Victoire Tuaillon. 2Ăšme partie. Ego Trip.) qui a Ă  peu prĂšs le mĂȘme Ăąge, ce que l’on appelle une Digital Native.

 

Soit une personne nĂ©e Ă  partir des annĂ©es 80 et trĂšs tĂŽt familiarisĂ©e avec les environnements numĂ©riques et qui, par consĂ©quent, peut ĂȘtre quotidiennement rivĂ©e Ă  un Ă©cran d’ordinateur, de tablette numĂ©rique, de smartphone ou attachĂ©e Ă  une console de jeux donnant gĂ©nĂ©ralement accĂšs Ă  internet avec un dĂ©bit illimitĂ©.

 

Pour une personne Digital Native, télécharger une application telle que Tinder pour faire des rencontres fait partie du décor de son quotidien. Mais cela fait aussi partie de la norme sociale.

Paris, Place de la Concorde. DĂ©but octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

L’Aprùs Meetic

 

Lorsque le site de rencontres Meetic fut créé en 2001, cela fut davantage un Ă©vĂ©nement d’un point de vue sociĂ©tal que de s’y inscrire. Car c’était nouveau de s’y prendre de cette maniĂšre pour faire des rencontres. C’était plutĂŽt une pratique secrĂšte et honteuse. Il pouvait ĂȘtre plus facile de s’afficher comme une personne cĂ©libataire dans la vie ordinaire que de raconter que l’on avait passĂ© plusieurs heures de sa journĂ©e ou de sa nuit Ă  Ă©cluser un site de rencontres.

 

Dans les annĂ©es 2000, le site Meetic Ă©tait le site de rencontres dont on parlait le plus. Le site existe toujours et serait toujours un site de rencontres qui compte. Sauf que, depuis 2001, les sites de rencontres, les rĂ©seaux sociaux, la technologie informatique mais aussi la tĂ©lĂ©phonie mobile se sont beaucoup dĂ©veloppĂ©s et ont transformĂ© la façon de se rencontrer mais aussi d’interagir avec les autres tant d’un point vue professionnel, administratif, Ă©conomique, amical qu’amoureux. En 2001, par exemple, il Ă©tait impossible de consulter son compte bancaire sur son smartphone. Et, il Ă©tait plutĂŽt rare d’organiser des rĂ©unions ou des « rencontres Â» Ă  distance sur Skype.

 

Judith Duportail, amatrice de Tinder

 

 

Judith Duportail, nĂ©e en 1986, Digital Native, a voulu en savoir plus sur ce qu’il y avait dans le ventre de l’application Tinder qui a le pouvoir de retourner les tripes de ses usagers. CĂ©libataire et en perte d’amour lorsqu’elle tĂ©lĂ©charge l’application Tinder, elle a ce rĂ©flexe Ă  la fois fĂ©ministe, personnel mais aussi journalistique.

 

Quand paraĂźt son livre, nous sommes aussi dans l’ùre des « lanceurs d’alerte Â». Et, Judith Duportail a sans aucun doute eu connaissance de l’affaire mondialement mĂ©diatisĂ©e en 2013 de l’AmĂ©ricain Edward Snowden (son aĂźnĂ© de 3 ans) ou de l’affaire Wikileaks, d’abord, en 2006 avec Julian Assange.

 

Des « affaires Â» comme l’affaire Wikileaks et l’affaire Snowden mais aussi des Ɠuvres cinĂ©matographiques comme Matrix ( rĂ©alisĂ© en 1999) qui ont eu des retentissements mĂ©diatiques mondiaux auront dĂ©montrĂ© que le monde numĂ©rique a non seulement des failles mais peut aussi servir des intentions malveillantes.

 

Une personne Digitale Native un peu soucieuse et critique vis Ă  vis de cet environnement numĂ©rique qui lui est aussi familier que peut l’ĂȘtre une forĂȘt pour un garde champĂȘtre, peut avoir Ă  cƓur de mieux connaĂźtre ce site de rencontres Ă  qui elle confie sa vie sentimentale mais aussi son avenir. Mais aussi disposer de suffisamment de compĂ©tences et de culture technique pour mieux comprendre comment cette entreprise numĂ©rique et commerciale marche.

 

En plus de ces compĂ©tences et de cette culture numĂ©rique, Judith Duportail, devenue journaliste indĂ©pendante aprĂšs avoir travaillĂ© pour Le Figaro, fait aussi montre d’une grande crĂ©ativitĂ© tant relationnelle que journalistique pour rencontrer certains reprĂ©sentants de Tinder France. Elle  rĂ©ussira mĂȘme Ă  obtenir une interview-prĂ©-programmĂ©e- mĂȘme le cofondateur de Tinder, Sean Rad, qui est encore alors le PDG de Tinder.  Mais aussi de Whitney Wolfe, ex-cofondatrice de Tinder. Celle qui, «  a eu l’idĂ©e d’appeler l’application Tinder, qui se traduirait par « allume-feu Â» en Français Â». (L’Amour sous algorithme, page 183).

 

Judith Duportail nous apprend que Whitney Wolfe, aprĂšs avoir dĂ» quitter Tinder a créé Bumble «  une application de rencontre qui se prĂ©sente comme fĂ©ministe. Avec ses 36 millions d’utilisateurs, l’appli est maintenant le principal concurrent de Tinder, et le groupe Match cherche Ă  la racheter. Sur Bumble, ce sont les femmes seulement qui peuvent prendre l’initiative d’engager la conversation avec les hommes Â». ( page 181, de L’Amour sous algorithme).

 

La salle ovale de la BibliothĂšque Nationale Richelieu, octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

Le rĂȘve sous algorithme

 

 

Si Duportail nous parle de Tinder et de la façon dont ce site de rencontres peut collecter une quantitĂ© invraisemblable d’informations personnelles de ses usagers, puis les revendre Ă  d’autres entreprises, on comprend ( ou l’auteure nous l’explique) que cette « mĂ©thode Â» de siphonage des informations personnelles est aussi utilisĂ©e par un certain nombre des sites de rencontres et des rĂ©seaux sociaux qu’il est dĂ©sormais courant d’utiliser quel que soit notre Ăąge, notre sexualitĂ©, notre poids, notre religion, notre catĂ©gorie socio-professionnelle ou nos origines.

 

Le titre du livre de Judith Duportail s’appelle L’Amour sous algorithme mais il aurait pu aussi s’intituler Le rĂȘve sous algorithme. Et le mot « algorithme Â» peut bien des fois se faire remplacer par le mot « cloche Â».

 

Car l’auteure nous dĂ©montre comment sur Tinder, qui se veut dĂ©mocratique,  les rencontres sont orientĂ©es et quadrillĂ©es selon les rĂ©sultats de certains « Ă©changes Â» entre usagers mais aussi selon certaines valeurs plutĂŽt
conventionnelles.

MalgrĂ© la prĂ©sentation « jeune Â» et « dĂ©contractĂ©e Â» affichĂ©e par les reprĂ©sentants et le discours de la « boite Â» Tinder, les entrailles des algorithmes, lorsque passĂ©es au scalpel de l’enquĂȘte de Duportail se montrent beaucoup moins novatrices.

 

Lorsque l’auteure questionne Sean Rad, alors PDG de Tinder, quant Ă  la tendance consumĂ©riste des rencontres sur le site d’applications, celui-ci rĂ©pond que beaucoup de personnes leur Ă©crivent pour les remercier de leur avoir permis de trouver leur bonheur sur Tinder. Ce genre d’histoires existe bien-sĂ»r. Mais pas pour d’autres et, cela, dans une proportion difficile Ă  dĂ©finir. Car des millions d’usagers persistent Ă  se connecter telles des souris de laboratoire enfermĂ©es dans une cage- ou sous une cloche- qui continuent de faire tourner la mĂȘme roue qui est la route du cash pour un site comme Tinder.

 

« Chaque jour, se produisent 2 milliards de matchs sur Tinder. L’application, prĂ©sente dans 190 pays revendique ĂȘtre Ă  la base d’un million de dates par semaine. Un million ! Le succĂšs de Tinder est indĂ©niable. C’est un outil incroyable Â». ( page 219 de L’Amour sous algorithme ).

 

L’addiction à la connexion

 

 

 

Dans L’Amour sous algorithme, Duportail nous parle de l’addiction Ă  la connexion au site qu’elle compare entre-autres Ă  celle des joueurs de casino. TrĂšs vite, elle nous a parlĂ©, lors de ses dĂ©buts sur Tinder, du fait que son ego a pu ĂȘtre rapidement boostĂ© Ă  recevoir un certain nombre de matches. Avant ensuite de dĂ©chanter devant ce besoin recomposĂ© de recevoir de nouveaux shoots de matches mais aussi devant la dĂ©sillusion que lui font vivre ses rencontres. Lorsqu’elle nous raconte certaines de ses rencontres et dĂ©confitures, on se croit par moments dans un mauvais sketch de Blanche Gardin, de Tania Dutel ou de Marina Rollman.

 

Boire, fumer, draguer et coucher avec qui, quand et comme on veut, plus ou moins bien  gagner sa vie, vivre chez soi ou en coloc, conduire une moto ou une voiture, avoir son rĂ©seau d’amis, sortir la nuit, dĂ©coucher, danser, voyager, dire des gros mots ou ce que l’on pense quand on le pense, bien s’exprimer, avoir de la rĂ©partie et un humour supersonique, avoir un trĂšs bon niveau d’études, une certaine rĂ©ussite sociale, cela ressemble Ă  une vie d’adulte Ă©mancipĂ©e. Mais cela n’empĂȘche pas la claudication alternative devant l’alerte de La rencontre.

  

La dépendance affective

 

AprĂšs nous avoir parlĂ© de l’addiction au site,  Judith Duportail fait bien de souligner  l’engrenage de la dĂ©pendance affective qu’entretient un site (tout site ?) de rencontres. Car les comportements d’addiction et la dĂ©pendance affective sont attachĂ©s. Et, lorsque l’on se retrouve imbriquĂ© entre les deux, on peut avoir du mal Ă  rĂ©ellement s’émanciper de certaines conduites d’échecs lors de nos rencontres sentimentales :

 

« (
.) Selon John Bowlby, la moitiĂ© des adultes dans le monde occidental souffrent d’un trouble de l’attachement plus ou moins prononcĂ©. Certains arriveront Ă  bien vivre avec, ou n’en seront pas trop handicapĂ©s. Car attention, toute relation sentimentale Ă  un autre, tout attachement, induit une forme de dĂ©pendance. On dit bien Ă  ses amis :

« Je peux compter sur toi Â» ou « Je suis lĂ  pour toi Â», ce qui signifie qu’on a besoin les uns des autres, qu’on se fĂ©licite d’honorer cette interdĂ©pendance. Une dĂ©pendance consentie, cadrĂ©e. Dans le cas des dĂ©pendants affectifs, le regard de l’autre prend trop de place, trop d’importance. Car ils cherchent Ă  l’extĂ©rieur d’eux-mĂȘmes comment soigner leur blessure initiale Â». (page 139 de L’Amour sous algorithme).

 

 

A ce jour, je n’ai pas lu d’ouvrage de John Bowlby. Mais j’aimerais bien savoir quelles sont les causes, selon lui, de ce « trouble de l’attachement plus ou moins prononcĂ© Â» dont « la moitiĂ© des adultes dans le monde occidental souffrent Â». J’imagine que certains modes de vie doivent y ĂȘtre pour quelque chose. MĂȘme si le trouble de l’attachement « plus ou moins prononcĂ© Â» a sans doute toujours existĂ© en occident mais aussi ailleurs.

 

La salle ovale de la BibliothĂšque nationale Richelieu, octobre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Faire le ménage dans nos méninges et nos névroses

 

 

Le mirage des sites de rencontres et des rĂ©seaux sociaux, qui sont des mĂ©dia plutĂŽt extraordinaires Ă  l’origine, c’est de nous abonner Ă  la croyance qu’ils peuvent trĂšs facilement « nous aider Â» Ă  gommer ce qui nous dĂ©range dans notre vie ordinaire et nous faire vivre des miracles rĂ©pĂ©tĂ©s. En nous offrant leurs « services Â».

 

Alors qu’il faudrait d’abord, au prĂ©alable, vĂ©rifier dans quelle disposition mentale et affective on se trouve, et faire le mĂ©nage dans nos mĂ©ninges et nos nĂ©vroses, lorsque l’on se rend dans ce genre d’endroits :

 

Les sites de rencontres et les réseaux sociaux.

 

AprĂšs tout, toute personne qui va se lancer dans une aventure vĂ©rifie d’abord son matĂ©riel, sa condition physique et mentale, mais aussi la viabilitĂ© de son projet auparavant. Et, pour cela, le plus souvent, mĂȘme si ensuite elle dĂ©cide de tenter l’aventure, elle sait d’abord se faire entourer et conseiller par des spĂ©cialistes, des professionnels ou par des personnes qui ont tentĂ©  cette aventure avant elle.

 

C’est pourtant le contraire qui se passe avec les sites de rencontres. AppĂątĂ©s par le miracle qui nous attend aprĂšs quelques mouvements de doigts, nous nous muons en Indiana Jones de la rencontre et sautons les Ă©tapes.

 

Lorsque j’avais connu l’expĂ©rience du site de rencontres Meetic Ă  la fin des annĂ©es 2000, j’étais cĂ©libataire, plus ou moins dĂ©primĂ© et en recherche d’une histoire d’Amour. Mais j’allais bien mieux que d’autres. Je n’étais ni sous anti dĂ©presseurs et pas sous le coup d’une rupture toute fraiche de quelques minutes. J’avais besoin d’élargir mon cercle de rencontres. Et Meetic Ă©tait une nouvelle façon pour peut-ĂȘtre Ă©largir ce cercle.

En outre, le fait d’ĂȘtre actif dans la recherche, avait au dĂ©part quelque chose de sans doute valorisant. Agir plutĂŽt que subir. Essayer cette nouvelle façon de faire au lieu de la dĂ©nigrer d’emblĂ©e. Pour ces raisons, au dĂ©part, l’expĂ©rience Meetic fut une expĂ©rience d’ouverture. Car toutes mes rencontres jusqu’alors s’étaient faites sans passer par un  site.

 

J’ai oubliĂ© combien de temps j’étais restĂ© inscrit sur Meetic. Peut-ĂȘtre Ă  peu prĂšs deux ans. A l’époque, le site de rencontres Ă©tait exclusivement payant pour les hommes. Et gratuit pour les femmes. Cela m’a toujours paru injustifiĂ©.

 

J’ai toujours eu le sentiment que le fait de pouvoir s’inscrire gratuitement maintenait la plupart des femmes du site dans la position passive des princesses qui passaient leur temps  Ă  attendre le prĂ©tendu prince charmant. Car j’avais Ă©tĂ© Ă©difiĂ© de lire sur bien des annonces de femmes inscrites, qui se prĂ©sentaient comme des femmes ayant la trentaine tout au plus, qu’elles recherchaient le « prince charmant Â».

 

Que ce soit dans la vraie vie ou sur un site de rencontres, pour moi, celle ou celui qui recherche le prince charmant, consciemment ou inconsciemment, ne le trouvera pas.

En tout cas, moi, je ne me vois pas comme un prince charmant. Et, je perçois cette attente comme une dictature. Une telle attente me donne plutÎt envie de me comporter de maniÚre trÚs provocante.

 

Et, j’avais peut-ĂȘtre eu tort alors, mais chaque fois que j’avais vu mentionnĂ©e cette quĂȘte ou cette attente du « prince charmant Â», j’avais fui. Je ne correspondais ni au portrait-robot ni au portrait-mental d’un prince charmant. Et, c’est toujours le cas aujourd’hui. 

 

Pourtant, je cherchais vĂ©ritablement une histoire d’Amour sur Meetic. Et je sais qu’il y a des hommes qui cherchent aussi Ă  vivre une sincĂšre histoire d’Amour avec des femmes. Il reste donc Ă©nigmatique pour moi que des femmes instruites comme Duportail, Tuaillon et Chollet, et celles qui leur ressemblent, puissent avoir eu tant de mal Ă  croiser ces hommes qu’elles ont cherchĂ© ou cherchent.

 

Pour moi, l’explication ne tient pas uniquement dans le patriarcat. Mais aussi dans le fait que certaines femmes dites Ă©mancipĂ©es le sont bien moins qu’elles ne le croient ou l’affirment. Et, un certain nombre d’entre elles continuent de suivre celle ou celui qui sera le mieux douĂ©(e) pour leur jouer la comĂ©die. Puisque dĂšs lors que quelqu’un nous « fait quelque chose Â» ou nous « fait vibrer Â», on aime bien se raconter, mĂȘme si assez vite cette personne honore trĂšs mal ses promesses ou ses engagements, que, malgrĂ© tout, cela vaut le coup. Et que cela vaut aussi le cul, par la mĂȘme occasion.

 

 

Le grand remplacement

 

 

Sur Meetic, j’avais connu une histoire de cinq mois qui m’a fait un effet durable puisque je me rappelle toujours du prĂ©nom et du nom de cette personne comme de certains moments vĂ©cus avec elle prĂšs de quinze ans plus tard.

 

Mais j’avais aussi Ă©tĂ© trĂšs influencĂ© par le cĂŽtĂ© supermarchĂ© du site.

 

Et, lorsque Ă©taient apparues des tensions entre elle et moi, j’avais Ă©tĂ© rapidement agacĂ© par ce que je voyais comme des caprices de petite fille. Me disant que si notre relation se terminait que je retrouverais rapidement- sur le site- quelqu’un d’autre de « bien Â» qui me ferait moins chier. Ma future ex de Meetic s’était sĂ»rement comportĂ©e comme une personne capricieuse, quelque peu immature et tyrannique, exigeant de moi des gages d’Amour qui me dĂ©concertaient mais aussi mettant en doute la sincĂ©ritĂ© de mon attachement. Peut-ĂȘtre que notre relation Ă©tait-elle rĂ©ellement privĂ©e de futur. NĂ©anmoins, si elle et moi nous Ă©tions rencontrĂ©s dans mes conditions de vie habituelles (ce qui aurait Ă©tĂ© assez peu probable Ă©tant donnĂ© que nous Ă©voluions et avons sans doute continuĂ© d’évoluer dans des univers culturels, Ă©conomiques et professionnels trĂšs diffĂ©rents ), je crois que j’aurais Ă©tĂ© plus tolĂ©rant.

Je n’aurais pas eu ce rĂ©flexe, trĂšs vite acquis en Ă©tant inscrit sur le site alors que je n’avais pas rencontrĂ© tant de personnes que ça avant elle, de me dire que je pourrais trĂšs vite la remplacer. Et, lorsqu’elle m’avait fait sa « crise Â» d’autoritĂ© ou de caprice, je l’avais dĂ©posĂ©e en voiture lĂ  oĂč elle me l’avait demandĂ©/exigĂ©. Afin de lui laisser cette assurance que, oui, je la considĂ©rais vraiment. Elle, qui aurait voulu qu’à notre retour de Normandie, je la dĂ©pose devant chez elle, Ă  Paris, rue du Bac, en voiture. Pour qu’ensuite, je retourne chez moi toujours en voiture chez moi Ă  Cergy le Haut oĂč j’habitais alors. J’avais refusĂ© de me retrouver infĂ©odĂ© au rĂŽle de l’homme qui conduit sa compagne jusqu’au pas de sa porte et qui ne compte pas les kilomĂštres, le temps et l’essence pour ensuite retourner chez lui. Cette erreur-lĂ , en plus de celle d’avoir refusĂ© de rencontrer sa mĂšre, me fut fatale.

 

Ma future ex de Meetic eut quelques pleurs. M’affirma sans doute que je n’avais pas de sentiments pour elle. De mon cĂŽtĂ©, je refusais que nous restions « amis Â» comme elle me le proposait. Nouvelle erreur stratĂ©gique de ma part. On croit que je parle d’une jeune femme d’Ă  peine 18 ans ? Si j’avais bien 7 ou 8 ans de plus qu’elle, ma future ex avait alors prĂšs de trente ans. Ce qui n’excluait pas, visiblement, de pouvoir se comporter en certaines circonstances comme une adolescente d’Ă  peine 18 ans.

 

Notre sĂ©paration devint dĂ©finitive. Sans doute par orgueil, ainsi que dans la douleur, elle s’emmura dans sa dĂ©cision, « conseillĂ©e », je crois, au moins par certaines de ses amies qui pensaient comme elle.  Nous nous revĂźmes elle et moi au moins deux fois, dont une fois dans cet appartement qu’elle avait achetĂ© dans le 14Ăšme arrondissement et qui faisait deux fois la superficie de mon studio de banlieue. Une autre fois, lorsque nous allĂąmes ensemble au festival de musique Rock en Seine clĂŽturĂ© avec maestria par Björk, elle avait rencontrĂ© quelqu’un.

Plusieurs annĂ©es plus tard, j’appris par hasard sur Facebook qu’elle s’était mariĂ©e. Elle me rĂ©pondit une premiĂšre fois pour ne plus me rĂ©pondre.

 

Hors bord relationnel

 

AprĂšs elle, je ne connus pas d’autre relation aussi notable d’un point de vue affectif en passant par Meetic. J’en avais aussi assez de passer mon temps sur le site telle une personne en recherche permanente d’emploi devant adresser d’innombrables CV qui ne dĂ©bouchaient sur rien.

Pour ĂȘtre suffisamment inspirĂ© et susciter l’intĂ©rĂȘt d’une femme, il me fallait avoir le moral et ĂȘtre inspirĂ© lorsque j’écrivais un message que je devais multiplier pour pouvoir, mathĂ©matiquement, provoquer une rĂ©action ou deux favorables. Or, pour cela, il fallait passer du temps sur le site. Et, plus je passais du temps sur le site,  plus je me dĂ©moralisais devant le vide numĂ©rique qui revenait constamment Ă  ma rencontre. En prenant son temps, c’est Ă  dire le mien.  Mon temps qui Ă©tait associĂ© Ă  mon espoir de « trouver Â» quelqu’un.

 

Je peux imaginer que mon ex de Meetic, apprenant cela, aurait vu dans mes dĂ©boires un chĂątiment juste et mĂ©ritĂ© pour mon « comportement Â» Ă  son Ă©gard. Alors que je crois qu’il y a surtout eu de l’incomprĂ©hension entre elle et moi. Mais aussi, pour moi, une sorte de dĂ©calage, ou une forme de sentiment de dissociation, entre la rĂ©alitĂ© de cette relation sentimentale, car j’avais des sentiments pour elle contrairement Ă  ce qu’elle a cru ou eu besoin de croire, et sa soudainetĂ©.

 

Les rencontres via les sites abrĂšgent beaucoup la durĂ©e du temps de rencontre. Si certaines personnes sont des adeptes du coup de foudre ou des rencontres flash, j’ai plutĂŽt besoin d’une certaine « maturation Â» de la rencontre et du sentiment pour ĂȘtre « dans Â» l’histoire. Si j’avais Ă©tĂ© bien sĂ»r content de rencontrer mon ex de Meetic et que nous avions une rĂ©elle connivence, je crois, sur certains sujets, le fait d’avoir « obtenu Â» cette rencontre aussi improbable, aussi « facilement Â», m’a empĂȘchĂ© de me mettre dans les vraies conditions de la rencontre. Pour employer une image grossiĂšre, une fois la rencontre faite, j’avais sans doute l’impression que notre relation Ă©tait une pĂ©niche, qu’il y avait le temps. Alors que j’étais sur un hors bord.

 

Je fus aussi trÚs étonné par le gùchis fait par ces usagÚres du site soit par manque de sincérité ou par manque de maturité. Car le cÎté supermarché des sites de rencontre vaut aussi pour les femmes. Ce ne sont pas seulement certains hommes qui vont sur les sites de rencontres comme on se rend dans un supermarché.

Paris. Photo©Franck.Unimon

Les croyances d’un vieux à propos des rencontres

 

PrĂšs de quinze annĂ©es environ aprĂšs mon expĂ©rience Meetic, la lecture facile et plaisante de l’ouvrage de Judith Duportail confirme mes anciennes impressions. Et, cela ne me donne pas du tout envie de retourner faire le mur un jour sur un site de rencontres.

Aujourd’hui, pour rencontrer quelqu’un, je recommanderais plutĂŽt le cercle de connaissances et d’amis ; la dĂ©couverte de nouvelles associations ou de clubs culturels sportifs ; le lieu de travail ou les voyages ; ou la frĂ©quentation rĂ©pĂ©tĂ©e de tout endroit qui permet des rencontres sociales et personnelles viables, agrĂ©ables et autres que celles que l’on connaĂźt dĂ©ja.

Je connais par exemple un couple qui s’est formĂ© dans mon club d’apnĂ©e. Tous deux sĂ©parĂ©s de leur cĂŽtĂ©, chacun mĂšre et pĂšre. Je sais qu’elle, qui faisait au dĂ©part de la plongĂ©e dans le club a ensuite rejoint la section apnĂ©e lorsqu’elle l’a aperçu. C’est elle qui me l’a racontĂ©.

 

 

Mais avant toute rencontre, il y a d’abord le prĂ©alable indispensable d’ĂȘtre d’abord vĂ©ritablement « disposĂ© Â» pour s’engager dans une relation intime. Parce-que si l’on a peur de partager son intimitĂ© ou si l’on prĂ©fĂšre conserver exclusivement son territoire Ă  soi et pour soi, on peut rencontrer un certain nombre de personnes tout Ă  fait recommandables et trĂšs bien s’arranger pour leur tourner leur dos ou les dissuader de s’approcher.  

 

Je crois que ces derniĂšres prĂ©cautions restes valables mĂȘme si l’on prĂ©fĂšre ou si l’on ajoute les sites de rencontres, les forums ou les rĂ©seaux sociaux pour accroĂźtre ses chances de rencontrer quelqu’un et ainsi dĂ©jouer l’algorithme de l’accablement sentimental.

 

Franck Unimon, ce lundi 24 octobre 2022. 

 

 

 

 

 

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Rien ne dure vraiment longtemps, un livre de Matthieu Seel

Rien ne dure vraiment longtemps, un livre de Matthieu Seel.

 

Matthieu Seel, le mĂ©tis adoptĂ©, a Ă©tĂ© la voix de la sĂ©rie podcast Crackopolis. Dans cette sĂ©rie, il racontait le hijack que peut-ĂȘtre le crack en plein Paris, en outre dans le 19Ăšme arrondissement oĂč il a d’ailleurs grandi et oĂč, plus jeune, il avait eu Peter ChĂ©rif et les frĂšres Kouachi comme copains de primaire et de collĂšge.

 

Certains veulent voir, Matthieu Seel a tout vu sauf l’histoire de ses origines dont les barreaux, par condensation, lui rĂ©sistent. C’est peut-ĂȘtre pour cette histoire qu’il ne connaĂźt pas qu’il commence par fumer des paquets de joints dĂšs l’ñge de dix puis qu’il finit, plus tard, par consulter le caillou.

 

Matthieu Seel ne nous raconte pas tout. Pour cela, il faudrait absolument se souvenir et il a aussi besoin d’oublier. Mais il y en a assez pour dix dans ce qu’il nous dit. Celle ou celui dont la vie dĂ©vie pour dealer et pour attraper du caillou se surpasse jusqu’à un point culminant qui se dĂ©place sans cesse et qui est Ă  peine imaginable.  

 

Il y a des existences beaucoup plus simples et beaucoup plus reposantes. Mais pour cela, il faut ĂȘtre assez robot. Matthieu Seel n’en n’est pas un et il connaĂźt difficilement le repos depuis assez tĂŽt. Artiste photo un temps, vivant la nuit, il finit par vendre son appareil et par connaĂźtre des journĂ©es de 96 heures sans dormir lorsque le crack est devenu son mĂ©tronome. Combien de personnes, ou plutĂŽt de formes, a-t’il rencontrĂ©es parmi lui et qui, comme lui, pointaient vers les mĂȘmes usages ? De toute façon, ces formes de rencontres ne tenaient pas.

 

Sa mĂšre ( adoptive) fait partie de celles et ceux qui ont tenu. Et, je comprends qu’une Virginie Despentes ait cru en lui pour ce livre car il aurait pu avoir un rĂŽle dans son film Baise moi. Comme je comprends aussi qu’une personnalitĂ© comme Slimane Dazi soit ce parrain qu’il remercie, ainsi que beaucoup d’autres, Ă  la fin de son livre. J’aurais Ă©tĂ© beaucoup plus Ă©tonnĂ© si Guillaume Canet ou AndrĂ© Dujardin l’avait parrainĂ©.

 

Dans Rien ne dure vraiment longtemps , sorti en septembre 2022, Seel raconte les mauvais passeurs d’histoires, les arnaques, les guet-apens, l’entraide, la survie dans la rue, les Ă©checs sentimentaux, la paranoĂŻa, sa famille, l’hĂŽpital, les tentatives de sevrage Ă  Pierre Nicole, le centre thĂ©rapeutique de la Croix Rouge, et Ă  Marmottan ( La ferveur de Marmottan). EduquĂ©, autodidacte, il est loin d’ĂȘtre idiot. D’autres sont comme Matthieu Seel mais leurs mots, leur nom et leur visage ne nous parviendront pas.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 18 octobre 2022.

 

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Les Argonautes, un livre de Maggie Nelson

Les Argonautes, un livre de Maggie Nelson.

 

 

Maggie Nelson est une femme de l’ĂȘtre. Debout dans mon train, que j’ai attrapĂ© de justesse, alors que je suis en transit entre ma ville de banlieue parisienne et la gare de Paris St Lazare, je me rĂ©pĂšte cette phrase.

 

Maggie Nelson est une femme de l’ĂȘtre.

 

D’aprĂšs sa photo en mĂ©daillon au dĂ©but du livre, Maggie Nelson est l’AmĂ©ricaine « typique Â», blonde, yeux clairs, regard direct, sourire Ă©vident, plutĂŽt jolie, svelte, fit.

 

Cette fille, née en 1973, respire la vie.

 

Mais les Etats-Unis, c’est de lĂ  que « vient Â» Maggie Nelson, est aussi le pays des positions extrĂȘmes. Et, Maggie nous jette dans le refrain de ses extrĂȘmes dĂšs la premiĂšre page de son livre coupĂ©e en deux. Une partie autobiographique oĂč elle nous encule en nous parlant de son Amour pour son compagnon Harry, nĂ©e femme, pĂšre d’un petit garçon. Puis, une autre, thĂ©orique ou conceptuelle, oĂč elle nous parle de Wittgenstein :

 

« Avant notre rencontre, j’avais consacrĂ© ma vie Ă  l’idĂ©e de Wittgenstein selon laquelle l’inexpressible est contenu – d’une maniĂšre inexpressible ! dans l’exprimĂ© (
.) Â».

 

C’est ce que l’on appelle ĂȘtre une fille bordĂ©e par une cĂ©rĂ©bralitĂ© plutĂŽt exacerbĂ©e. Et, dĂšs ce passage, l’intellectualitĂ© poing fermĂ© de Maggie Nelson me bouscule. Son compagnon Harry a donc vraiment quelque chose de particulier pour avoir non seulement pu la rendre hautement amoureuse mais aussi pour ĂȘtre capable de lui donner la rĂ©partie lors de leurs dĂ©bats. Car, durant son livre de plus de deux cents pages, Maggie Nelson va alterner avec des passages de sa vie et des rĂ©fĂ©rences poussĂ©es aux Ɠuvres de diverses personnalitĂ©s pour nous parler d’identitĂ©, de « genre Â», du « queer Â», de « binaritĂ© Â», « non-binaritĂ© Â» mais aussi de la famille, de la norme, l’Amour, de la solitude, du deuil, de la sexualitĂ©, du couple, du mariage, de la parentalitĂ©, de la grossesse et de la maternité  :

 

Eula Biss, Deleuze, Eve Kosofsky Sedgwick, Susan Fraiman, Lee Edelman, Michel Foucault, Judith Butler, Anne Carson, Luce Irigaray, D.W Winicott, Pema Chödrön, Leo Bersani, Elizabeth Weed, Susan Sontag, Jane Gallop, Rosalind Krauss, Jacques Lacan, Janet Malcolm, Kaja Silverman, Eileen Myles, Beatriz Preciado, Alice Notley, Audre Lord, Deborah Hay, Sara Ahmed, Roland Barthes 
.

 

Les travaux mais aussi les noms de ces auteurs et de ces personnalitĂ©s sont sĂ»rement familiers Ă  des universitaires comme Maggie Nelson entraĂźnĂ©s Ă  les triturer ainsi qu’à celles et ceux dont la vie personnelle requiert la comprĂ©hension et la connaissance des ouvrages de ces personnalitĂ©s. Maggie Nelson et son compagnon Harry sont de ces personnes qui possĂšdent cette double caractĂ©ristique.

 

Pour ma part, jusqu’à maintenant, j’ai plutĂŽt vĂ©cu Ă  cĂŽtĂ© de l’expĂ©rience de toutes ces personnalitĂ©s. Aussi, en lisant  Les Argonautes, j’ai connu bien des absences de comprĂ©hension. Bien des fois, il m’aurait presque fallu, comme lorsque l’on fait des mots croisĂ©s, un endroit oĂč l’on peut trouver et vĂ©rifier les bonnes rĂ©ponses.  Cela ne figure pas dans Les Argonautes. Pour cette raison, sa lecture m’a Ă©tĂ© difficile et m’a pris du temps.

 

Plus de deux mois. Et, je prĂ©fĂšre (me) dire que j’ai peu compris ce que Maggie Nelson a pu extraire des diverses rĂ©flexions de ces auteurs qu’elle cite plutĂŽt que de me ridiculiser en affirmant m’y ĂȘtre senti comme chez moi. Et d’ouvrir le gaz alors que je crois allumer la lumiĂšre. PremiĂšre conclusion immĂ©diate, jamais, je n’aurais pu convenir Ă  une Maggie Nelson et la sĂ©duire.

 

La tranche autobiographique de Les Argonautes, elle, m’a par contre Ă©tĂ© plus « facile Â» Ă  suivre, page 37 :

 

« (
.) Mon beau-pĂšre avait ses dĂ©fauts, mais tout ce que j’avais pu dire contre lui est revenu me hanter, maintenant que je sais ce que c’est que de se tenir dans cette position, d’ĂȘtre tenue par elle.

Quand tu es une belle-mĂšre, peu importe Ă  quel point tu es merveilleuse, peu importe l’amour que tu as Ă  donner, peu importe Ă  quel point tu es mĂ»re ou sage ou accomplie ou intelligente ou responsable, tu es structurellement vulnĂ©rable Ă  la haine ou au mĂ©pris ; et il y a si peu de choses que tu puisses faire contre ça, sinon endurer et t’employer Ă  cultiver le bien-ĂȘtre et la bonne humeur malgrĂ© toute la merde qui te sera balancĂ©e Ă  la gueule Â».

 

Je lisais encore Les Argonautes, je crois, lorsque je suis allĂ© voir le film Les enfants des autres de Rebecca Zlotowski. Le personnage interprĂ©tĂ© par l’active actrice Virginie Efira ( inspirĂ© de la vie personnelle de la rĂ©alisatrice) se reconnaĂźtrait dans ce passage.

 

Le rĂŽle jouĂ© par Virgine Efira dans Les enfants des autres est celui d’une femme qui ne peut pas ou ne peut plus enfanter mais qui est disposĂ©e Ă  (se) donner son amour maternel Ă  la fille de celui qu’elle aime, interprĂ©tĂ© par l’acteur Roschdy Zem.

 

Maggie Nelson, elle, est aimĂ©e de Harry qu’elle n’a pas Ă  partager avec un ex ou une ex. Et, elle est aussi une Ɠuvre d’endurance et de bien-ĂȘtre. Entre son rĂŽle de fille qui a perdu son pĂšre, de belle-mĂšre du fils de Harry, de compagne amoureuse qui entoure son mari (Harry) « en cours de transition Â», de personne et d’universitaire queer qui refuse de faire la retape de la norme patriarcale et hĂ©tĂ©rosexuelle puis de femme qui, la trentaine passĂ©e, aspire Ă  devenir mĂšre en recourant Ă  l’insĂ©mination artificielle, Maggie Nelson porte beaucoup.

 

Y compris, je trouve, une partie de la « masculinitĂ© Â» de son mari, Harry Dodge, un artiste, qui est pourtant avant leur rencontre une personne qui s’affirme dĂ©jĂ  comme un homme.

Cependant, Maggie Nelson nous parle de Harry de telle façon que nous voyons un homme, chaque fois qu’elle le mentionne. Avant mĂȘme que celui-ci ne soit opĂ©rĂ© et lorsqu’elle nous raconte ensuite lui faire ses injections de testostĂ©rone. En cela, et je peux imaginer que cela pourrait dĂ©plaire au couple que forment Harry et Maggie, il me semble que Maggie Nelson, en tant que « femme Â», contribue aussi Ă  faire de sa moitiĂ© un homme. Son regard et sa pensĂ©e de femme sur sa moitiĂ© (Harry) me fait un peu l’effet du pollen sur la fleur.

 

PhĂ©nomĂšne plutĂŽt courant, finalement, car la biologie ne peut se suffire Ă  elle-mĂȘme pour former ou Ă©tablir des rĂŽles durables entre ĂȘtre humains :

Il ne suffit pas d’ĂȘtre une femme et un homme biologiquement fertiles pour ĂȘtre instinctivement mĂšre et pĂšre lorsque le bĂ©bĂ© naĂźt. Il faut aussi suffisamment de volontĂ©  mais aussi la capacitĂ© ou la soliditĂ© Ă©motionnelle et affective pour l’ĂȘtre.

 

A la fin de son livre, Maggie Nelson nous le dĂ©montrera autrement que thĂ©oriquement en nous parlant des parents biologiques de Harry que celui-ci recherchera. Harry, vers la trentaine, retrouvera sa mĂšre biologique, lesbienne sĂ©parĂ©e de son pĂšre, ainsi qu’un de ses frĂšres restĂ© vivre avec leur pĂšre, dĂ©crit comme un homme violent. On apprendra qu’Harry, nĂ©e fille, Ă©duquĂ©e avec amour par ses parents adoptifs, s’en est bien mieux sorti, que son frĂšre ( Ă©levĂ© par leur pĂšre biologique) devenu toxico cumulant les incarcĂ©rations, et, sans doute, leur propre mĂšre biologique.

 

 

La pensĂ©e trĂšs technique de Maggie Nelson, lorsqu’elle cite certains auteurs, m’a plusieurs fois distancĂ© mais elle m’a, aussi, plus d’une fois averti.

Lorsqu’elle parle du film X-Men, le commencement, regardĂ© avec Harry, on voit par exemple ce film commercial grand public, inspirĂ© de comics amĂ©ricains lus par des millions d’enfants et d’adolescents de par le monde depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations, autrement que comme nous pousse gĂ©nĂ©ralement Ă  le faire, la pensĂ©e « mainstream Â», superficielle et hĂ©tĂ©ro.

 

A la fin de Les Argonautes, l’autobiographique et un certain humour prennent le dessus comme elle nous raconte sa grossesse puis son accouchement et sa maternitĂ©, concomitante, avec  la « testostĂ©ronisation Â» d’Harry. Il est alors trĂšs drĂŽle de voir Harry adopter certains traits caricaturaux prĂȘtĂ©s aux hommes. Des traits dont bien des femmes « fĂ©ministes Â» se plaignent.

 

Et, paradoxalement, alors que Maggie Nelson, durant tout son livre,  s’est opposĂ©e- avec Harrry- Ă  certaines normes de genre, on peut se demander si ĂȘtre une femme et un homme se rĂ©sume Ă  une somme d’hormones, page 206 :

 

« (
.) J’ai une phobie de la salle de bain. Jessica veut sans cesse que je fasse pipi, mais m’asseoir ou m’accroupir est impensable. Elle me rĂ©pĂšte que je ne peux pas arrĂȘter les contractions en restant immobile, mais je pense que je peux. Je suis allongĂ©e sur le cĂŽtĂ©, je serre la main de Harry ou celle de Jessica. Debout comme pour danser un slow avec Harry, je fais pipi sans le vouloir, puis encore une fois dans le bain, oĂč des secrĂ©tions de mucus rouge sombre commencent Ă  flotter. Incroyable : Harry et Jessica se commandent de la nourriture et mangent Â».

 

Les Argonautes, paru en 2015 dans sa version originale, publiĂ© en Français en 2017, est un livre qu’il faut prendre le temps de lire et de relire.

 

Franck Unimon, ce mardi 18 octobre 2022.

 

 

 

 

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Cinéma

La Cour des miracles, un film de Carine May et de Hakim Zouhani

La Cour des Miracles un film de Carine May et Hakim Zouhani

 

 

Au travers de certains films, on peut quelques fois voir dans le cinéma comme dans le ciel ou la terre, ce qui pousse tous les jours autour de nous.

 

J’ai vu trois films au cinĂ©ma hier et aujourd’hui. Cela ne m’est pas beaucoup arrivĂ© depuis que je suis devenu pĂšre de voir trois films en un jour et demi. Le premier film a Ă©tĂ© La Cour des Miracles de Carine May et Hakim Zouhani. Je me devais d’aller le voir.

 

Le premier miracle de Carine May et de Hakim Zouhani, derriĂšre celui de leur premier passage au long mĂ©trage aprĂšs plusieurs courts et moyens mĂ©trages, tels que La Rue des CitĂ©s,  La VirĂ©e A Paname et Molii , est d’avoir pu faire une rĂ©serve de leur comĂ©die.

 

L’acteur Gilbert Melki.

 

La banlieue parisienne, en Seine Saint Denis, l’inĂ©galitĂ© des expĂ©riences et des chances malgrĂ© les atouts dont on dispose et la vitrine de la rĂ©ussite parisienne gĂ©ographiquement proche mais historiquement et Ă©conomiquement Ă©loignĂ©e sont quelques uns des thĂšmes abordĂ©s dans les films de Carine May et de Hakim Zouhani. Devant leur film, on peut -aussi- penser au documentaire La Cour de Babel rĂ©alisĂ© en 2013 par Julie Bertuccelli.

 

Quand Kielowski, dans les annĂ©es 90,  avait rĂ©alisĂ© sa trilogie Trois couleurs Bleu, Blanc et Rouge, il ne nous parlait ni de banlieue ni d’école publique mais de certaines Ă©preuves morales. AprĂšs avoir vĂ©cu ces Ă©preuves morales, et en avoir fait le deuil, on pouvait encore rĂȘver. Devant La Cour des Miracles, c’est beaucoup plus difficile. Je me dis que la Man Tine du dĂ©but du 20Ăšme siĂšcle de Rue Cases NĂšgres (l’Ɠuvre de Joseph Zobel adaptĂ©e en 1983 par Euzhan Palcy) avait plus d’espoir pour son petit JosĂ© que nous ne pouvons en avoir pour l’avenir  des enfants de l’école PrĂ©vert de La Cour des Miracles.

 

Les actrices AnaĂŻde Rozam ( Marion, l’idĂ©aliste) et Rachida Brakni ( Zahia, la directrice de l’Ă©cole Jacques PrĂ©vert).

 

A ces sujets, proches de la chanson It noh funny de LKJ dans les annĂ©es 80, on pourrait prĂ©fĂ©rer regarder un nouveau combat de MMA, une nouvelle dystopie  ou Ă©couter un titre de Dua Lipa. Cependant, Carine May et Hakim Zouhani parviennent Ă  nous tirer vers leur optimisme.

 

« Ce n’est pas contre vous. Vous, vous dĂ©fendez votre Ă©cole et, moi, je dĂ©fends mon enfant ! Â» dira Mme Nedjar, un des principaux personnages antagonistes du film                ( interprĂ©tĂ© avec dĂ©lice par l’écrivaine FaĂŻza GuĂšne ) la mĂšre d’un des enfants scolarisĂ©s Ă  l’école PrĂ©vert Ă  sa directrice, Zahia, interprĂ©tĂ©e par Rachida Brakni.

Carine May et Hakim Zouhani, eux, dĂ©fendent leur vision- fĂ©ministe et Ă©galitaire- du monde comme leur usage du cinĂ©ma. Ils nous montrent des visages et un univers que nous voyons encore assez peu sur grand Ă©cran. La banlieue qu’ils filment (Paris, pour changer, n’y est jamais montrĂ©e)  n’est ni une expo de racailles ni une fontaine de crackeux. Leur casting est aussi Ă  l’image de la mixitĂ© sociale Ă  laquelle ils aspirent. Puisqu’il est composĂ© de Rachida Brakni et de Gilbert Melki, des acteurs rapidement identifiables, pour leur carriĂšre ou pour certains de leurs rĂŽles « sociĂ©taux Â» (Brakni dans Neuilly, sa mĂšre) et d’acteurs et de personnalitĂ©s vus et entendus ailleurs tels que FaĂŻza GuĂšne, donc, mais aussi Disiz, Steve Tientcheu ou Mourad Boudaoud. La photo de l’affiche de leur film ressemble Ă  ces photos de classe d’il y a « longtemps Â» dans les Ă©coles publiques, d’il y a trente ou quarante ans.

Les acteurs AnaĂŻs Rozam, Disiz et Mourad Boudaoud.

 

Franck Unimon, ce vendredi 30 septembre 2022

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Addictions

La ferveur de Marmottan

A la Cigale, le vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Le poing levĂ©, Alain, un des accueillants de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

La ferveur de Marmottan

 

( en cliquant sur ce lien , Ă  droite, une petite vidĂ©o apparaĂźt ) Hommage de M.Hautefeuille aux anc de Marmottan .   

Cet article fait suite Ă  Les cinquante Temps de Marmottan. 

 

Marmottan, le service d’accueil et d’hospitalisation spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, situĂ© dans le 17 Ăšme arrondissement de Paris, rue ArmaillĂ©, prĂšs des Champs ElysĂ©es, a longtemps fait partie, pour moi, de ces services connus pour eux-mĂȘmes. Porteurs d’un nom et d’une identitĂ© qui se suffisent Ă  eux-mĂȘmes pour parler d’eux. Un peu comme cela a pu ĂȘtre le cas pour Miles, qui reste mon musicien prĂ©fĂ©rĂ©, mĂȘme plus de trente annĂ©es aprĂšs sa mort. MĂȘme aprĂšs avoir, depuis, aimĂ© dĂ©couvrir et Ă©couter d’autres artistes. Tout est fonction de la pĂ©riode de notre vie au cours de laquelle on a effectuĂ© certaines rencontres et du tournant que, pour nous, ces rencontres ont permis.

 

Je sais que Miles avait Ă©tĂ© un temps hĂ©roĂŻnomane et alcoolique. « Comme Â» d’autres artistes de son Ă©poque, avant ou aprĂšs lui. Et, pour moi, Miles et Marmottan Ă©taient nĂ©anmoins deux bras et deux endroits bien distincts, l’un de l’autre. Puisque Miles, lui, officiellement, s’en Ă©tait sorti.

 

 

Le service Marmottan, placĂ© prĂšs du musĂ©e Marmottan  (qui, a priori, ne lui est pas apparentĂ©), faisait de toute façon partie, pour moi, de ces Ă©clats de la SantĂ© mentale. J’en avais entendu parler, moi le jeune infirmier diplĂŽmĂ© d’Etat qui, malgrĂ© ma culpabilitĂ© dans le fait d’abandonner la souverainetĂ© technique des services de mĂ©decine et de chirurgie, avait choisi, finalement, de venir travailler en psychiatrie adulte.

 

J’avais sĂ»rement entendu parler de Marmottan par des collĂšgues, infirmiers diplĂŽmĂ©s en soins psychiatriques, plus ĂągĂ©s et plus expĂ©rimentĂ©s que moi.

 

Comme j’avais aussi entendu parler, par eux, du CPOA, des quatre UMD (UnitĂ©s pour malades difficiles) qui existaient alors : Cadillac, Sarreguemines, Mont Favet, Carhaix. Mais aussi, sans doute ou peut-ĂȘtre, de la clinique La Borde….

 

Plus tard, j’entendrais parler d’éthno-psychiatrie de Tobie Nathan et de Devereux, de pĂ©dopsychiatrie, d’unitĂ©s mĂšres-bĂ©bĂ©, d’Anzieu et d’autres.  Avant de dĂ©couvrir des lieux et des personnes, ce sont souvent, d’abord,  des noms.

 

Et puis, j’avais d’abord Ă  apprendre Ă  me dĂ©bourrer de certaines pensĂ©es, de certaines croyances et certitudes mais aussi de certaines ignorances. Et, pour cela, le premier service d’hospitalisation en psychiatrie adulte oĂč je commençais Ă  apprendre un peu plus Ă  devenir adulte Ă  Pontoise fut un grand bienfait.

 

Et un mal.

 

Car la psychiatrie institutionnelle, selon les Ă©poques, les tournants, les orientations et les Ă©quipes peut Ă  la fois construire mais aussi enfermer. Et, on peut aussi aimer s’enfermer si cela nous protĂšge et nous rassure. MĂȘme si on s’en plaint peu Ă  peu.

Photo prise Ă  Marmottan le samedi 4 DĂ©cembre 2021, lors du week-end portes ouvertes de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

 

D’autant que, plus jeune, mĂȘme si l’on est supposĂ© avoir la vie devant soi et que l’on aime la littĂ©rature de Romain Gary, on est aussi trĂšs myope, trĂšs Ă©troit d’esprit et on peut manquer de curiositĂ©. Ou on peut ĂȘtre trĂšs ou trop inquiet Ă  l’idĂ©e de devoir changer de vie, de s’éloigner de ce que l’on connaĂźt. On se laisse donc envelopper et Ă©treindre par les contours des cercles qui nous ressemblent et qui nous permettent d’entrer, ou  de stagner, entre amis ou connaissances, dans un monde d’adultes qui nous rassure. Sans prendre trop de risques. Ou seulement ceux qui nous apparaissent connus et mesurĂ©s. On peut avoir dĂ©jĂ  tellement peur du monde et de la vie adulte que l’on ne va pas en rajouter avec certaines de ces substances dont on avait entendu parler ou commencĂ© Ă  cĂŽtoyer, un peu, Ă  partir de l’adolescence :

 

Le cannabis, principalement, un peu l’hĂ©roĂŻne. Le tabac et l’alcool ayant des statuts soit plus acceptables soit plus familiers. Et puis, si l’overdose puis la transmission du VIH pouvaient faire peur pour leur possible immĂ©diatetĂ©, entre 12 et 20 ans et encore aprĂšs, on ne pensait pas nĂ©cessairement au cancer ou Ă  la cirrhose du foie tandis que d’autres fumaient devant nous ou se prenaient des cuites, terminant leurs soirĂ©es Ă  quatre pattes tels des lĂ©vriers en fin de course prĂšs d’un Ă©vier ou les deux pattes surĂ©levĂ©es au dessus d’une cuvette des toilettes pour ne pas sombrer dans ce que l’on y rejetait.

 

Lorsque l’on entre dans l’ñge adulte, on est, alors, dans la force de l’ñge. Sexuellement, physiquement, socialement, intellectuellement. Aussi, peut-on, doit-on mĂȘme, se permettre quelques petits excĂšs. Car ensuite, il sera trop tard. Et puis, si on ne peut pas un peu s’amuser


 

A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes le 3 et 4 décembre 2021.

 

 

Le service Marmottan est sans doute restĂ© longtemps « loin Â» de moi, physiquement et psychologiquement, parce-que, de cette maniĂšre, sans doute, je restais Ă  une distance prudente – et mesurĂ©e- de l’aiguille de certaines de mes peurs et inquiĂ©tudes. Car gĂ©ographiquement, toutes les fois oĂč je me suis rendu sur les Champs ElysĂ©es, pour aller au cinĂ©ma ou au Virgin MĂ©gastore, oĂč mĂȘme lorsque j’étais allĂ© Ă  la Fnac lorsqu’elle se trouvait avenue de Wagram, je n’étais pas trĂšs loin de Marmottan.

Mais, aussi, à aucun moment, je ne fis le rapprochement entre ce Francis Curtet que ma prof principale de 3Úme nous avait un jour proposé de rencontrer dans notre collÚge Evariste Galois de Nanterre, en 1982 ou 1983
et Marmottan.

 

M.Hautefeuille parle d’anciens de Marmottan ( en cliquant sur ce lien Ă  gauche, vidĂ©o). 

 

En dĂ©cembre dernier, en 2021, j’ai pu faire le rapprochement entre Francis Curtet et Marmottan.

 

En dĂ©cembre dernier, Marmottan a fĂȘtĂ© ses cinquante ans Ă  la salle de concerts de la Cigale. Entre-temps, des annĂ©es avaient passĂ©. Et j’avais appris, depuis, oĂč se trouvait Marmottan dans Paris. J’y avais effectuĂ© quelques remplacements et j’y avais mĂȘme postulĂ© afin d’y travailler.

 

La salle de la Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2021 avant que ne dĂ©bute le cinquantenaire de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

 

C’était la premiĂšre fois que je me rendais au cinquantenaire d’un service. Je n’ai pas pu m’empĂȘcher de penser que le choix d’une salle de concert avait Ă©tĂ© fait aussi pour bien fĂȘter cet Ă©vĂ©nement historique. Car j’appris lors du cinquantenaire que lors de la crĂ©ation et de l’ouverture de Marmottan, en 1971, que Claude Olievenstein, son premier mĂ©decin chef -qui fut novateur dans le traitement des addictions – pensait que le service aurait une existence brĂšve.

 

Photo©Franck.Unimon

 

Marmottan n’est pas mort

 

Lorsque j’écris maintenant qu’en ouvrant Marmottan, Claude Olievenstein et ceux qui furent alors Ă  ses cĂŽtĂ©s, furent novateurs dans le traitement des addictions, cela peut ĂȘtre abstrait pour beaucoup de personnes. Car, d’abord, qu’est-ce qu’une addiction ?

 

Il faudrait déjà commencer par le savoir.

 

Pour ma part, je prĂ©fĂšre sourire lorsque je repense au fait que, trĂšs sĂ»r de moi, il y a environ trois ou quatre ans maintenant, j’avais rĂ©pondu Ă  Mario Blaise (dĂ©ja mĂ©decin chef  de Marmottan) qui venait de me demander si j’avais des addictions :

 

« Non ! Je n’ai pas d’addiction ! Â».

 

J’aurais pu rĂ©pondre «  Pas de ça entre nous ! Â» que cela aurait Ă©tĂ© pareil.

 

 

Mais j’ai un autre exemple de cet esprit novateur de Marmottan. J’aime lire de temps Ă  autre la trĂšs bonne revue bimestrielle, assez peu connue finalement, Sport & Vie. Dans le dernier numĂ©ro de Sport & Vie, le numĂ©ro 194 de Septembre/Octobre 2022 l’article intitulĂ© L’amour chimique nous parle de « Chemsex Â». Dans cet article, selon moi trĂšs bien rĂ©digĂ©, le rĂ©dacteur, Olivier Soichot, prĂ©cise dans un passage :

 

« (
.) Dans le livre de Jean-Luc Romero-Michel, plusieurs phĂ©nomĂšnes se tĂ©lescopent douloureusement. Notamment la mĂ©connaissance presque totale qui caractĂ©rise encore le chemsex en France. Avant le dĂ©cĂšs de son mari, l’auteur lui-mĂȘme confesse qu’il en avait vaguement entendu parler mais sans se douter une seconde que son compagnon y avait recours Â».

 

L’article de la revue Sport & Vie consacrĂ© au chemsex.

 

Peut-ĂȘtre qu’un certain nombre des lectrices et lecteurs de Sport & Vie, pour celles et ceux qui connaissent ce bimestriel,  ou que plusieurs lectrices et lecteurs de mon article, dĂ©couvriront en cet automne 2022 ce qu’est le chemsex.

 

De mon cĂŽtĂ©, cela fait dĂ©sormais deux ou trois ans que  j’ai dĂ©couvert l’existence du chemsex. Lors de mes remplacements Ă  Marmottan. A Marmottan, plus que dans un service de psychiatrie ou de pĂ©dopsychiatrie, je trouve, les patients informent les soignants de certaines de leurs pratiques. C’est aussi de cette façon que l’on peut apprendre son mĂ©tier en tant que soignant et en tant qu’accompagnateur. Et, ensuite, mieux aider celles et ceux dont on « s’occupe Â». Cet Ă©change de Savoirs contribue Ă  instaurer plus facilement une relation de confiance mais aussi une certaine Ă©galitĂ© entre le patient et le soignant.

 

Dans un service de psychiatrie ou de pĂ©dopsychiatrie, une relation de confiance avec le patient ( ou le client ) est aussi nĂ©cessaire et recherchĂ©e. Mais elle diffĂšre de celle qui peut se dĂ©velopper Ă  Marmottan.  Sans pour autant idĂ©aliser la relation patient/soignant,  usager/soignant ou client/soignant Ă  Marmottan ( j’ai oubliĂ© le vocabulaire exact employĂ© Ă  Marmottan ). Car il existe des ratĂ©s Ă  Marmottan. Et, aider Ă  la cure d’une addiction peut ĂȘtre trĂšs long.

Patient:client

 

Mais j’ai l’impression que l’échange des Savoirs entre patients et soignants, en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, Ă  moins de faire partie d’une association permettant ces Ă©changes, est davantage asymĂ©trique qu’à Marmottan.

 

A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes, le samedi 4 décembre 2021.

 

Cela peut aussi peut-ĂȘtre s’expliquer par le fait que les personnes addict sont actives lorsqu’elles ont des conduites Ă  risques. Tant pour prendre des substances que pour certains comportements. De ce fait, les personnes addict acquiĂšrent certaines compĂ©tences pharmaceutiques ou mĂ©dicales. Une ancienne collĂšgue infirmiĂšre qui avait travaillĂ© plusieurs annĂ©es Ă  Marmottan m’avait ainsi appris :

 

« Ce sont les patients qui m’ont appris Ă  faire des prises de sang
 Â».

 

Ici, on se doute que les patients en question, à force de se chercher réguliÚrement une veine pour se piquer en intraveineuse avaient développé une dextérité hors du commun dépassant de loin celle de bien des infirmier ( es).

 

A Marmottan, ce samedi 4 dĂ©cembre 2021, lors du week-end portes ouvertes. Installation faite pour la circonstance. Photo©Franck.Unimon

 

 En comparaison, en psychiatrie adulte ou en pĂ©dopsychiatrie, lorsqu’il m’est arrivĂ© de faire des prises de sang, je n’ai aucun souvenir de patient m’indiquant oĂč le piquer ou comment m’y prendre si j’avais du mal Ă  lui faire son prĂ©lĂšvement sanguin.

 

 

Mais pour revenir au contexte de l’ouverture de Marmottan, 1971, Le dĂ©but des annĂ©es 70, c’est la prĂ©sidence de Georges Pompidou. Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrisson sont morts d’overdose rĂ©cemment. Et, Georges Pompidou, qui va bientĂŽt mourir aussi, n’y est pour rien.

 

Aujourd’hui, seulement, je fais un peu le rapprochement entre l’annĂ©e d’ouverture de Marmottan et les dĂ©cĂšs rapprochĂ©s de cĂ©lĂ©britĂ©s comme Hendrix, Joplin et Morrisson.

 

Auparavant, lorsque je pensais Ă  Marmottan les premiers temps, je ne le faisais pas. Puisque, d’ailleurs, j’ignorais la date exacte de crĂ©ation et d’ouverture de Marmottan. Marmottan Ă©tait dĂ©jĂ  « lĂ  Â» lorsque j’ai commencĂ© Ă  travailler en psychiatrie au dĂ©but des annĂ©es 90. Et Hendrix, Joplin et Morrisson Ă©taient pour moi des noms et des expĂ©riences musicales imprĂ©cises.

 

Cependant, en dĂ©cembre 2021, je fais un autre rapprochement. C’est une intuition. A Marmottan, tout acte et tout propos raciste et homophobe de la part d’un patient vaut exclusion du service. Mais aussi tout acte de violence.

 

Maison de tolérance

 

C’est la premiĂšre fois, dans un service, que j’ai pu voir afficher aussi explicitement de tels  interdits ou de telles limites. Dans tous les autres services oĂč j’ai pu travailler, en psychiatrie adulte, en pĂ©dopsychiatrie ou mĂȘme en soins gĂ©nĂ©raux, ces agissements et ces propos (racistes, homophobes, actes de violence) font plutĂŽt partie du mĂ©tier. Au point que certaines de ces caractĂ©ristiques (risques de violence contre autrui, risques de troubles musculo-squelettiques
.) peuvent mĂȘme ĂȘtre stipulĂ©es dans les profils de poste de certaines offres d’emploi.

 

 

A Marmottan, le refus de ces comportements et de ces propos renseigne quant au fait que ses services d’hospitalisation et d’accueil s’adressent ou peuvent s’adresser Ă  toutes sortes de publics. DĂšs lors qu’ils ont  des problĂšmes d’addiction et qu’ils sont estimĂ©s suffisamment volontaires, coopĂ©rants, et encore assez valides physiquement, pour ne pas nĂ©cessiter des soins d’urgence ou de rĂ©animation mĂ©dicale, sauf exception.

Car il existe des services d’addictologie oĂč des patients sont perfusĂ©s par exemple.

 

Pas Ă  Marmottan.

 

L’un des principes du service d’hospitalisation de Marmottan (lĂ  oĂč j’ai fait mes quelques remplacements) est l’hospitalisation libre, mais avec le principe et le contrat moral, que, durant son hospitalisation, de trois semaines en moyenne, le patient ne sortira pas du service et n’aura aucun contact direct avec l’extĂ©rieur. Il n’aura donc pas accĂšs Ă  son tĂ©lĂ©phone portable ou Ă  son ordinateur ou Ă  sa tablette.  A la place, il bĂ©nĂ©ficiera de la disponibilitĂ© du personnel, mais aussi de celles d’autres patients, par le biais d’entretiens, de mĂ©diations et de moments passĂ©s ensemble. Que ce soit lors de la prise des mĂ©dicaments ou lors des repas, du petit dĂ©jeuner au dĂźner. Ou, en regardant la tĂ©lĂ©. Ou, en discutant dans la salle « de thĂ© Â». Et l’on parle vraiment de thĂ© ou de cafĂ© et de quelques gĂąteaux , de goĂ»ters ou d’eau.  

 

 

Et puis, en dĂ©cembre 2021, « connaissant Â» un petit peu la culture engagĂ©e et militante de Marmottan, je me suis dit que la salle de concert de la Cigale, pour fĂȘter ce cinquantenaire, Ă©tait sans doute un hommage aux victimes des attentats terroristes de Novembre 2015, Bataclan, inclus.

 

 

Je n’ai pas (encore) demandĂ© confirmation. C’est une intuition.  Par contre, j’ai observĂ©, Ă  nouveau, ce jour-lĂ , l’engagement des personnels de Marmottan. PassĂ©s et prĂ©sents. Je le rĂ©pĂšte :

 

Je n’ai pas, Ă  ce jour, connu d’équivalent en matiĂšre de commĂ©moration de l’existence d’un service de santĂ© mentale. Ou, alors, je ne peux comparer cette commĂ©moration qu’avec celle des cinquante ans d’un groupe de musique, donc, dans le domaine artistique :

 

Pour moi, ce sera le groupe Kassav’. Puisque j’étais prĂ©sent au concert de leur cinquantenaire Ă  la DĂ©fense Arena. Avant le dĂ©cĂšs de Jacob Desvarieux.  

 

Mais je ne serais pas surpris qu’à Marmottan, musicalement, l’esprit soit plus Rock ou Punk que Zouk. Du reste, le lendemain, et le surlendemain de cette journĂ©e Ă  la Cigale, lors d’une des deux journĂ©es portes ouvertes de Marmottan, il y aura une exposition de pochettes de disques du mĂ©decin chef depuis quelques annĂ©es de Marmottan, Mario Blaise. Une exposition trĂšs bien intitulĂ©e « A vos disques et pĂ©rils Â» oĂč il sera possible de voir Ă©tablie une certaine valorisation des addictions avec substances.

A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes du 4 et 5 décembre 2021.

 

 

Et,  si mes souvenirs sont exacts, aucune pochette de disque de Zouk ne figurait sur les murs de la piĂšce. Au contraire de pochettes de disque ayant plutĂŽt trait au Rock. MĂȘme si je me souviens d’une pochette d’un disque de U-Roy, chanteur de Reggae qui venait de dĂ©cĂ©der rĂ©cemment.

 

 

 

Il y avait donc, plutĂŽt, Ă  mon sens, une certaine vitalitĂ© Rock, ou punk, dans la tenue de ce cinquantenaire. Voire, free Jazz. Car il m’a semblĂ© qu’à Marmottan, que, mĂȘme si une certaine ligne de conduite Ă©tait nĂ©cessaire, qu’il importait, aussi, de savoir et de pouvoir improviser entre les lignes. Et de tenir sa partition. Avec les autres.

 

 

 

Cinquante ans plus tard, on peut dire que Marmottan a fait bien plus que tenir. J’ai vu dans cette salle de la Cigale des personnels de Marmottan qui y avaient travaillĂ© et qui sont revenus pour l’occasion. Certains Ă  la retraite. Je pense Ă  l’un d’entre eux, en particulier, un infirmier Ă  la retraite depuis les annĂ©es 2010 qui m’a rĂ©pondu avoir travaillĂ© Ă  Marmottan pendant une bonne vingtaine d’annĂ©es. Il Ă©tait aux cĂŽtĂ©s d’une ancienne de Marmottan. Celle que j’avais rencontrĂ©e dans mon service prĂ©cĂ©dent et qui m’avait dit que les patients lui avaient appris Ă  faire des prises de sang.

Sur la droite, portant un masque blanc, si je ne me trompe, il s’agit d’AurĂ©lie Wellenstein, la documentaliste de Marmottan. Photo©Franck.Unimon

 

J’ai revu des personnels de Marmottan que j’avais croisĂ©s lors de mes quelques remplacements: AurĂ©lie Wellenstein, la documentaliste qui m’avait permis d’assister Ă  l’évĂ©nement, en charge de l’organisation de celui-ci comme des diverses formations proposĂ©es Ă  Marmottan. Des infirmiers, mĂ©decins, accueillants, psychologues, assistantes sociales. Mais aussi des mĂ©decins ou autres intervenants qui avaient connu Olievenstein et travaillĂ© avec lui avant de quitter Marmottan ou lui ayant succĂ©dĂ©. Je pense, ici, Ă  Marc Valleur qui avait succĂ©dĂ© Ă  Olivenstein avant que Mario Blaise, ensuite, ne lui succĂšde en tant que mĂ©decin-chef de Marmottan.

De gauche Ă  droite, Mario Blaise, mĂ©decin chef de Marmottan, Marc Valleur, le prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan, Jan Kounen, rĂ©alisateur, Marc Batard, alpiniste. A la Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Marc Valleur au micro

Marc Valleur, prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan avec Jan Kounen, rĂ©alisateur. Photo©Franck.Unimon

 

 

Je pense aussi à ces praticiens partis travailler ailleurs, toujours dans le domaine des addictions, et qui, comme les invités, se sont exprimés.

 

Mario Blaise et Marc Batard au micro

 

De gauche Ă  Droite, Mario Blaise, Marc Valleur, Jan Kounen et Marc Batard. La Cigale, vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Tout comme d’anciens patients.

 

Marmottan m’a aidĂ© Ă  avoir une vie

 

Cela, devant une salle pleine de professionnels venant de la rĂ©gion parisienne ou d’ailleurs ( une psychologue assise Ă  cĂŽtĂ© de moi venait de la rĂ©gion de Rennes).

La Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

 

Dans ces tĂ©moignages d’anciens de Marmottan, on entendait et on sentait certains de ces engagements maintenus annĂ©e aprĂšs annĂ©e, en dĂ©pit d’une certaine adversitĂ©. Mais aussi malgrĂ© ou Ă  cause de certains conflits internes. On percevait une observation affutĂ©e du monde et de la sociĂ©tĂ© qui nous entoure et qui, surtout, nous opprime. On recevait une partie de cette mĂ©moire commune de ce qui avait pu ĂȘtre rĂ©ussi envers et contre tout ainsi que, pour moi, une certaine forme de regret de n’avoir pas vĂ©cu cette histoire.

 

La Cigale, ce vendredi 3 dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Maison de fous. Pas

 

Il y a eu au moins quatre mots en particulier qui m’ont marquĂ© lors de ce cinquantenaire Ă  la Cigale. Des mots qui, pour moi, expliquent Marmottan mais aussi la raison pour laquelle Marmottan a survĂ©cu et continue d’inspirer.

 

Photo©Franck.Unimon

 

 

La Folie.

 

Plusieurs des professionnelles et professionnels venus tĂ©moigner de leur expĂ©rience de Marmottan, sur la scĂšne, ont racontĂ© que lors de leur entretien d’embauche avec Olievenstein, celui-ci, avait pu plus ou moins leur/lui dire :

 

« Je crois que vous ĂȘtes folle. Donc, je vous embauche Â».

Photo©Franck.Unimon

 

 

Par « folie Â», bien-sĂ»r, il fallait, ici, comprendre que ces professionnelles et professionnels qui postulaient ne se contenteraient pas d’ĂȘtre des petits soldats ou des exĂ©cutants de la morale bien-pensante. Et qu’ils seraient impliquĂ©s dans leur travail bien plus qu’une personne venant juste pour faire ses heures de travail et pour toucher sa paie Ă  la fin du mois. C’est en tout cas comme ça que je l’ai dĂ©cryptĂ©.

 

Car, oui, la folie peut aussi aider Ă  vivre. Et Ă  travailler. 

 

La folie créatrice de Marmottan

 

A cette folie s’associe un humour. Il y a donc eu de l’humour lors de ce cinquantenaire comme il en a existĂ© et en existe Ă  Marmottan.

 

M.Hautefeuille avec sa clé USB à air pulsé

 

Le mot Plaisir a Ă©tĂ© employĂ© par Mario Blaise, le mĂ©decin chef actuel de Marmottan. Par ce mot, le principe est d’éviter de juger le mode de vie des uns et des autres. Ou ce qu’ils sont. DĂšs lors qu’ils n’agressent pas leur entourage.

 

Un autre mot m’a, d’un seul coup, fait comprendre la raison pour laquelle, Marmottan est un service Ă  part. Et que c’est pour cela que j’avais senti, quelques fois, que lorsque je m’exprimais avec mes instruments de mesure psychiatriques, que cela avait fait flop et que quelques uns de mes collĂšgues de Marmottan m’avaient alors regardĂ© comme si j’appartenais Ă  une espĂšce insolite :

 

Antipsychiatrie

 

 L’antipsychiatrie a Ă©tĂ© un courant dont j’ai pu entendre parler. Mais un peu. Comme d’une Ă©poque passĂ©e depuis longtemps. Bien avant que je ne commence Ă  venir travailler en psychiatrie au dĂ©but des annĂ©es 90. Encore, qu’à cette Ă©poque, la psychiatrie n’avait rien Ă  voir avec la psychiatrie actuelle en matiĂšre de moyens et de culture de pensĂ©e mais, aussi, de transmission.

 

GrossiĂšrement, aujourd’hui, je dirais que la psychiatrie telle qu’elle a pu ĂȘtre argumentĂ©e par Frantz Fanon, lors de la guerre d’AlgĂ©rie, avait Ă  voir avec l’antipsychiatrie. Il s’agissait alors de libĂ©rer les individus, ou de contribuer Ă  les aider Ă  se sortir de leur asservissement. A Marmottan, pour commencer, il s’agit d’essayer d’aider des personnes Ă  se sortir de leur asservissement Ă  certaines pratiques lorsque celles-ci sont devenues dangereuses pour leur santĂ©. Cet asservissement a une histoire. La rencontre avec cette pratique s’est faite Ă  un moment particulier de leur histoire.

Le mode relationnel que j’ai pu « voir Â» Ă  Marmottan entre patients et soignants Ă©tait diffĂ©rent de celui que j’avais pu connaĂźtre ailleurs. On n’était pas, on n’est ni potes, ni amis. Cependant, la distance entre le soignant et le patient est diffĂ©rente comparativement Ă  ce que j’ai pu connaĂźtre dans d’autres services de psychiatrie et de pĂ©dopsychiatrie. Et, je ne parle pas, ici, de l’absence de la blouse pour le soignant. Car j’avais dĂ©jĂ  connu l’expĂ©rience de l’absence de blouse en tant qu’infirmier.

Fille ou garçon de joie à Marmottan

 

Mais la façon de parler du traitement Ă  Marmottan avec le patient, de l’accompagner comme on dit, est diffĂ©rente. Peut-ĂȘtre que cela se faisait aussi un peu de cette façon dans la psychiatrie des annĂ©es 60 et 70. Lorsque la sociĂ©tĂ© Ă©tait diffĂ©rente ? Et que certains nouveaux neuroleptiques permettaient Ă  certains patients d’aller mieux ?

 

 

Mais on ne parle pas des mĂȘmes publics de patients. J’ai croisĂ© assez peu de patients psychotiques lors de mes quelques remplacements dans le service d’hospitalisation de Marmottan. Et, on ne s’adresse pas de la mĂȘme façon Ă  une personne non-psychotique mĂȘme si celle-ci rĂ©pĂšte des comportements extrĂȘmes du fait de ses addictions.

 

 

 

Un autre mot, depuis dĂ©cembre, revient par intermittences, lorsque je repense Ă  ce cinquantenaire de Marmottan. Et, cela, d’autant plus que je n’ai pas vu le visage ni le corps de son locuteur, apparu soudainement hors-champ, Ă  aucun moment prĂ©sent sur la scĂšne puis disparu aussi rapidement.

 

Et pourtant, cet homme Ă©tait  bien conscient de l’histoire de Marmottan comme porteur d’une partie de sa mĂ©moire. Le fait que cet homme, qui devait avoir dans les 70 ans, ait un accent antillais, a certainement eu sur moi un effet particulier. Celui d’un certain rĂ©veil de mes origines antillaises. Peut-ĂȘtre, mais je n’en suis pas sĂ»r, que ce mot sur lequel il a insistĂ© m’a autant parlĂ© parce-que, dedans, j’ai entendu du Gro-Ka, cette musique traditionnelle, trĂšs lointaine, rattachĂ©e Ă  la mĂ©moire de soi, Ă  la permanence d’une certaine vitalitĂ© malgrĂ© les trajectoires et qui a besoin de ça pour exister :

 

La Ferveur ( en cliquant sur le lien Ă  gauche, une vidĂ©o apparaĂźt).

 

Photo©Franck.Unimon

 

Franck Unimon, ce samedi 24 septembre 2022.

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Croisements/ Interviews

Eileen Myles au cinéma MK2 BibliothÚque ce jeudi 15 septembre 2022

Au cinĂ©ma MK2 BibliothĂšque, ce jeudi 15 septembre 2022. Eileen Myles s’exprime au micro. Photo©Franck.Unimon

Eileen Myles au Cinéma MK2 BibliothÚque ce jeudi 15 septembre 2022

 

Premier jour d’automne, ce vendredi 23 septembre. Je terminais mon petit-dĂ©jeuner ce matin lorsque j’ai commencĂ© Ă  penser Ă  un article sur la confĂ©rence d’Eileen Myles la semaine derniĂšre. Voici comment un certain nombre d’articles part dans ma tĂȘte. Ensuite, je dĂ©cide de les suivre. Si j’estime avoir suffisamment de temps et de mots. Si j’ai suffisamment d’envie pour eux. Les mots sont ce qui contient l’incendie de mon esprit et pour les trouver, il faut que j’aie envie d’eux. Que je sois volontaire pour leur courir aprĂšs afin de les rassembler.

 

J’ai envie d’écrire cet article sur Eileen Myles, l’auteur de Chelsea Girls, « figure majeure de la culture underground et LGBT aux Etats-Unis ». Un livre paru en 1994 dans sa version originale et rĂ©cemment traduit et publiĂ©, pour la premiĂšre fois, en Français.  

 

Je ne connais rien Ă  l’univers d’Eileen Myles. MalgrĂ© ma bonne volontĂ©, Je vais donc Ă©crire et raconter dans cet article beaucoup de conneries rĂ©actionnaires et dĂ©verser au grand jour un certain nombre de ces jugements de valeurs dont je suis le rĂ©servoir.

 

Cet article, ce « coming out Â», n’était pas prĂ©vu. Bien des articles sont des « coming out Â». Le mien sera sĂ»rement celui de ma « beauferie Â».

 

 Initialement, ce matin, je pensais plutĂŽt Ă  faire le nĂ©cessaire afin d’aller voir le dernier film de Rebecca Zlototwski sorti avant hier :

 

Les enfants des autres.

 

Il y a plein d’autres films que j’aimerais aller voir bien avant celui-ci. Mais je fais de celui-ci une prioritĂ©. MĂȘme si l’interview par la journaliste Guillemette Odicino de la rĂ©alisatrice Zlotowski dans l’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama -auquel je suis abonnĂ© depuis des annĂ©es- m’a plusieurs fois fait souffler d’agacement. En lisant, une nouvelle fois, telle une condamnation Ă  perpĂ©tuitĂ©, les termes-poncifs :

 

 Â«(
.) elle ( Rebecca Zlotowski) est l’une des cinĂ©astes les plus brillantes de sa gĂ©nĂ©ration Â».

 

Ou, plus loin, pour parler de l’actrice LĂ©a Seydoux ( une actrice qui m’inspire des sentiments trĂšs contrariĂ©s au moins depuis sa polĂ©mique avec le rĂ©alisateur Abdelatif Kechiche aprĂšs tournĂ© sous sa direction La vie d’AdĂšle, oĂč, pour moi, elle n’est pas la meilleure actrice du film mais aussi dans d’autres films par la suite) « irradiante de sensualitĂ© Â». LĂ©a Seydoux, « irradiante de sensualitĂ© Â» ? Sa premiĂšre apparition- comme James Bond girl- dans le dernier James Bond avec l’acteur Daniel Craig cloue le film dans un cercueil.  

 

Pour parler du troisiĂšme film de Zlotowski, PlanĂ©tarium, la journaliste Guillemette Odicino Ă©crit : « son film maudit, incompris, elle osait une fresque Ă  la fois charnelle et spirituelle Â».

Bien-sĂ»r, j’ai dĂ» comprendre que la journaliste, elle, avait compris ce film que beaucoup n’avaient pas compris. Quant Ă  l’idĂ©e d’une « fresque Ă  la fois charnelle et spirituelle Â», j’ai trouvĂ© cette description bien cĂ©rĂ©brale, et, Ă  nouveau, trĂšs fuyante par rapport au corps. Dans ces relations que l’on peut avoir, quotidiennement et Ă©troitement, avec notre propre corps. Comme cela se pratique, je trouve, dans ces milieux trĂšs intello oĂč l’on brille beaucoup plus par les concepts, la pensĂ©e, que par l’usage que l’on peut faire et vivre de son propre corps :

 

Je reproche Ă  beaucoup d’intellectuels et Ă  beaucoup « d’acteurs Â» culturels dont j’espĂšre faire le moins partie possible d’ĂȘtre des trĂšs grands handicapĂ©s de leur propre corps. Et, je lisais tellement ça, une fois de plus, je crois, dans cette introduction Ă  l’interview de Rebecca Zlotowski dans TĂ©lĂ©rama.

 

«  La chair, toujours, filmĂ©e comme une arme politique, et le questionnement sur la fĂ©minitĂ© moderne sont au cƓur d’Une fille facile, son plus grand succĂšs : en 2019, cette chronique ensoleillĂ©e enflammait la Croisette, imposant Zahia Dehar comme un corps fascinant de cinĂ©ma Â» poursuit la journaliste de TĂ©lĂ©rama (celui du 24 au 30 septembre 2022, le numĂ©ro 3793, page 4) toujours dans l’introduction de son interview de Zlotowski.

 

« enflammait la croisette Â» ; « comme un corps fascinant de cinĂ©ma Â», encore des stĂ©rĂ©otypes de langage.

 

Une fille facile est le seul film que j’ai vu de Rebecca Zlotowski. Et, malgrĂ© mes rĂ©ticences au dĂ©part, j’ai beaucoup aimĂ© ce film. J’en parle d’ailleurs dans mon blog. ( Une fille facile ). 

 

« Corps fascinant de cinĂ©ma ? Â». De quoi parle la journaliste  de TĂ©lĂ©rama ?!

 

Lorsque l’on regarde Zahia Dehar et que l’on sait « un peu Â», car cela avait Ă©tĂ© beaucoup mĂ©diatisĂ© quand mĂȘme !, qu’elle avait Ă©tĂ© « escort girl Â», on hĂ©site trĂšs peu Ă  trouver son corps « fascinant Â». Que ce soit au cinĂ©ma ou dans la vraie vie.

 

Je n’ai pas oubliĂ© ce mĂ©lange d’admiration et de sentiment de privilĂšge qu’avait pu ressentir la journaliste « star Â» LĂ©a SalamĂ© lors de sa rencontre-interview avec la belle Zahia Dehar qui avait dĂ©frayĂ© la chronique. Cela m’avait rappelĂ© le rĂŽle de gigolo de Daniel Auteuil dans le film Mauvaise passe rĂ©alisĂ© par Michel Blanc en 1999. ( Tiens, Michel Blanc est homo. Et il avait Ă©crit le scĂ©nario avec Hanif Kureishi plutĂŽt portĂ© sur des sujets un peu tabous
).

 

Nous avons beau ĂȘtre des personnes responsables, prĂ©sentables, trĂšs bien Ă©duquĂ©es, bien maquillĂ©es,  nous exprimer de façon hautement civilisĂ©e… nous avons aussi besoin de notre giclĂ©e de sensations « premium Â» en tutoyant ce qui sort du stĂ©rile et du cadre. Ça flatte le cĂŽtĂ© rebelle ou « border line Â» en soi. On est ainsi rassurĂ© quant au fait que l’on est beaucoup plus grunge et beaucoup plus ouvert, plus libre et dĂ©mocrate qu’on peut le laisser croire.

 

Zahia Dehar n’est ni le premier ni le dernier corps – ou coup- vivant de femme que le cinĂ©ma servira comme plat pour attirer un public dans une salle. Et sans doute pas le dernier non plus qui inspirera bien des fantasmes et des branlettes empathiques Ă  certains officiels de la Croisette. Rappelons-nous qu’assez rĂ©cemment, des « influenceuses Â», Ă  DubaĂŻ, ont Ă©tĂ© payĂ©es par certaines grandes fortunes afin de se faire dĂ©fĂ©quer dans la bouche.

Ce que peut inspirer un corps dĂ©sirĂ©, dĂ©sirable -et aussi mĂ©diatique- dĂ©coule de ce qui se passe dans la tĂȘte ( et de son Pouvoir) de celle ou de celui qui peut disposer- et comment- de ce corps dĂ©sirĂ© et dĂ©sirable. 

 

Eileen Myles, elle, c’est le contraire de tout ça. Eileen Myles fait partie de ces personnes qui ont dĂ©cidĂ© d’assurer leur corps. Mais lorsque j’écris ça, je m’aperçois que, finalement, Eileen Myles est plus proche d’une Zahia Dehar ou de certaines influenceuses qui ont dĂ©cidĂ© de se servir de leur corps pour rĂ©ussir que de celles et ceux qui se rĂ©signent Ă  ĂȘtre les caissiĂšres, les domestiques et les secrĂ©taires des autres.

 

Pourtant, lorsque l’on met cĂŽte Ă  cĂŽte, une Eileen Myles et une Zahia Dehar, la proximitĂ© est loin d’ĂȘtre marquante. Mais je crois que l’une comme l’autre a pu adopter des modes de vie rĂ©prouvĂ©s Ă  un moment donnĂ© par l’ordre et la vertu publiques.

 

J’avais prĂ©venu, dĂšs le dĂ©but de cet article, que j’allais Ă©crire beaucoup de conneries. Et, c’est le moment, pour moi, de fournir mon mot d’excuse. Pour commencer, et c’est selon moi le principal et ce qui me pousse Ă  Ă©crire cet article :

Ce jeudi 15 septembre, j’aurais pu ( ou peut-ĂȘtre dĂ» ) rester dans ma ville, Ă  Argenteuil, afin d’aller rencontrer dans la librairie Presse Papier du centre ville, l’auteure Touhfat Mouhtare nĂ©e en 1986 Ă  Moroni aux Comores, pour son livre Le Feu du Milieu paru aux Ă©ditions Le bruit du monde. Aujourd’hui, Touhfat Mouhtare vit dans le Val d’Oise. 

A la place, je me suis Ă©loignĂ© de ma ville et du Val d’Oise. Je me suis vĂ©ritablement dĂ©placĂ© pour assister Ă  Paris Ă  cette confĂ©rence-interview de l’AmĂ©ricaine Eileen Myles. J’ai vraiment pris ces photos et filmĂ© ces quelques moments. 

 

 

J’ai entendu parler d’Eileen Myles rĂ©cemment. En commençant Ă  lire Les Argonautes ( paru en 2015) de Maggie Nelson. Une auteure de rĂ©fĂ©rence, au mĂȘme titre qu’Eileen Myles, son aĂźnĂ©e de plus de vingt ans,  pour les personnes prĂ©occupĂ©es par les questions du genre, de dominations, comme par les violences engendrĂ©es par le patriarcat.

 

 

J’ai du mal Ă  avoir une lecture suivie de l’ouvrage de Maggie Nelson. J’ai bien plus de « facilitĂ©s» pour lire le premier volet de La Guerre d’AlgĂ©rie d’Yves CourriĂšre.

 

 Les Argonautes  de Maggie Nelson ( nĂ©e en 1973) est un rĂ©cit de sa vie personnelle avec son (ex ?) compagnon, Harry, originellement nĂ©e femme, pĂšre d’un jeune fils dont Maggie Nelson, en tant que belle-mĂšre, essaie de s’occuper au mieux (on voit mieux le rapprochement avec le dernier film de Rebbeca Zlotowski ? Je ne l’ai pas fait exprĂšs) de rĂ©flexions critiques et thĂ©oriques poussĂ©es citant Butler, Winnicott, Foucault et d’autres, mais aussi  de certains moments de sa vie avant Harry comme de certaines de ses dĂ©cisions en rapport avec ses engagements (ou son activisme).

 

La partie thĂ©orique et intellectuelle de l’ouvrage de Maggie Nelson, par moments, me coupe les neurones Ă  dĂ©faut de me couper les jambes : je subis, par moments, des absences de comprĂ©hension. Et puis, le courant se rĂ©tablit. Dans ses Argonautes, Maggie Nelson (qui cite aussi Eileen Myles parmi ses rĂ©fĂ©rences) Ă©tablit que le mariage et l’armĂ©e comptent parmi les institutions historiques les plus rĂ©pressives.

 

Je suis mariĂ©. J’ai pu ou peux, par moments, me sentir proche de certaines valeurs militaires. Mon attachement aux valeurs des Arts martiaux, par exemple, se rapproche quand mĂȘme de l’attachement Ă  certaines valeurs militaires. Si on les applique aveuglement ou de façon fanatique. Je fais donc ou ferais donc partie de « l’ennemi Â» pour des personnes comme Maggie Nelson ou Eileen Myles. D’autant qu’il est deux autres institutions, pour lesquelles je travaille, qui sont, aussi, « historiquement rĂ©pressives Â» :

 

La psychiatrie et la pédopsychiatrie.

 

Donc, que faisais-je jeudi dernier Ă  cette confĂ©rence-interview d’Eileen Myles comme devant ce livre de Maggie Nelson – dont je ne connaissais pas l’existence avant cet Ă©tĂ©- au lieu de lire un des articles de mon TĂ©lĂ©rama hebdomadaire ?

 

Nous voyons du Monde ce qui nous intĂ©resse, ce qui nous attire l’Ɠil ou l’attention, ce Ă  quoi nous sommes habituĂ©s ou ce qui nous gĂȘne ou nous dĂ©range.

 

Ensuite, nous faisons plus ou moins nos choix. Nous dĂ©cidons de retourner Ă  nos occupations bien connues de nous-mĂȘmes. Ou nous choisissons de prendre l’option qui consiste Ă  aller nous Ă©duquer un peu. Car le Monde est souvent plus multiple que ce que nous en savons ou en percevons Ă  premiĂšre vue.

 

J’avais une vingtaine d’annĂ©es lorsque, pour la premiĂšre fois, en stage au cours de mes Ă©tudes d’infirmier, dans un service de chirurgie orthopĂ©dique dans la banlieue ouest parisienne, dans une ville de banlieue plus favorisĂ©e que celle dans laquelle j’avais grandi, j’avais rencontrĂ© un patient transexuel. Un homme d’origine espagnol qui s’était fait renverser par une voiture alors qu’il marchait sur la route, alcoolisĂ©. Le conducteur avait pris la fuite.

Je me rappelle que cet homme tenait une sorte de boutique de vĂȘtements. Et qu’au tĂ©lĂ©phone, sa sƓur lui tĂ©moignait une certaine affection.

 

J’avais 19 ou 20 ans, lorsqu’aprĂšs avoir assistĂ© Ă  une soirĂ©e cinĂ©ma Ă  Paris,  consacrĂ©e au rĂ©alisateur Jean-Pierre Mocky, je m’Ă©tais retrouvĂ© comme un idiot, dans la rue. AprĂšs avoir vu les films SoloUn Linceul n’a pas de poches et, en avant PremiĂšre, le dernier film, alors, de Jean-Pierre Mocky :

Agent Double

Puis, dehors, j’avais regardĂ© la plus grande partie des spectateurs rentrer chez eux en voiture. Devant l’impossibilitĂ© de rentrer chez mes parents, Ă  Cergy-St-Christophe. Car il n’y avait plus de RER A Ă  deux heures du matin passĂ©es.

J’avais finalement Ă©tĂ© hĂ©bergĂ© par un inconnu, un homme un peu plus ĂągĂ© que moi, croisĂ© non loin du centre Pompidou vers 4 ou 5 heures du matin. Celui-ci, Ă©tudiant en Droit selon ses dires, avait pris ma dĂ©fense. Il m’avait proposĂ© de m’acheter un Kebab puis, en taxi, m’avait emmenĂ© dans son studio, dans une ville de banlieue que je ne connaissais pas. Cet homme m’avait fait des avances que j’avais dĂ©clinĂ©es.

Mon cul contre un Kebab ? 

Il faut tout essayer dans la vie » m’avait conseillĂ© cet homme « mĂ»r ». Je lui avais suggĂ©rĂ© de faire l’amour avec des plantes et des animaux. J’avais lu plein d’articles sur le sujet dans TĂ©lĂ©rama. Lui, avait trouvĂ© tout cela contre nature. Et il m’avait laissĂ© partir lorsqu’Ă©tait arrivĂ©e l’heure des premiers RER.

 

 J’ai dĂ» entendre le terme « Queer Â» pour la premiĂšre fois il y a un peu plus de dix ans. Aujourd’hui encore, j’aurais du mal Ă  expliquer ce terme. « Queer Â» par ci, « Queer Â» par lĂ . Les activistes, les personnes engagĂ©es et/ou de mĂ©dia mais aussi les poĂštes, les artistes et les intellectuels savent que le langage, autant que le corps, est une arme.

 

Une arme de destruction, d’asservissement de dĂ©nigrement. Une arme d’ensemencement et de revitalisation de nos vies et de nos imaginaires. Pour cette derniĂšre idĂ©e, je convoque Ă©videmment des personnalitĂ©s comme AimĂ© CĂ©saire, Frantz Fanon ou d’autres, dont je maitrise aussi mal les Ɠuvres et les pensĂ©es que je ne comprends vĂ©ritablement le terme « Queer Â». Et qui n’ont rien Ă  voir, au dĂ©part, avec quoique ce soit de « Queer Â» au sens oĂč l’entendent les activistes et penseurs LGBTQ+. Et, pourtant, d’un cĂŽtĂ© comme d’un autre, il s’agit toujours de s’affranchir comme de s’extraire du colonialisme, d’un certain conditionnement mais aussi des effets de toute forme d’esclavage et d’asservissement personnel, historique, culturel, social, Ă©conomique, politique et corporel.

 

Au cours d’un dĂ©bat auquel j’assistais, lors d’un festival de cinĂ©ma LGBTQ+, j’avais entendu un spectateur dire du rĂ©alisateur François Ozon ( qui a sans doute aussi Ă©tĂ© interviewĂ© par TĂ©lĂ©rama ou qui le sera un jour en tant que « l’un des cinĂ©astes les plus brillants de sa gĂ©nĂ©ration Â» ) :

 

« Il fait un cinĂ©ma Queer Â». Ou «  Il est Queer Â».

 

Au cinĂ©ma, j’ai vu un certain nombre des films de François Ozon, ses premiers films en particulier. Et, cela a Ă©tĂ© un peu pareil avec l’acteur et rĂ©alisateur Xavier Dolan jusqu’à Laurence Anyways (rĂ©alisĂ© en 2012).  Deux rĂ©alisateurs ouvertement homosexuels. Pourtant, en allant voir leurs films, que j’ai aimĂ©s voir, je ne me suis jamais dit que je regardais un film, un monde ou un mode de vie « Queer Â».

De la mĂȘme façon que je ne me suis pas dit, je crois, qu’ils essayaient, au travers de leurs films, de dĂ©construire(un verbe que j’ai dĂ©couvert sans doute Ă  peu prĂšs au mĂȘme moment que lorsque j’avais fait la connaissance du terme « Queer Â») certaines conceptions de « genre Â», certaines « identitĂ©s Â» imposĂ©es par le monde hĂ©tĂ©ro-normĂ©, patriarcal, occidental, capitaliste et blanc encore dominant dans le Monde.

 

Peut-ĂȘtre que tout ce programme de dĂ©construction mentale et « civilisationnelle Â» n’est pas le leur, tout simplement. Que tout ce qu’ils veulent, eux, Ozon et Dolan, c’est d’abord exister en tant que personnes et artistes et faire des films.

 

Eileen Myles a sĂ»rement dĂ» voir plusieurs des films de François Ozon et de Xavier Dolan. Jeudi dernier, le premier extrait de film choisi pour sa confĂ©rence a Ă©tĂ© un passage du film
 Les 400 coups de François Truffaut.

Lorsque Les 400 coups de François Truffaut sort en 1959, Eileen Myles, nĂ©e en 1949, a dix ans. Nous regardons l’extrait. Nous voyons Jean-Pierre LĂ©aud, alors enfant, courir Ă  petits pas, vers la plage. J’ai souvent entendu parler de ce film comme Ă©tant un grand classique Ă  voir. Je connais bien-sĂ»r de nom François Truffaut et ai vu un ou deux de ses films dont La femme d’à cĂŽtĂ© (1981) et Domicile conjugal (1970), deux films vus plusieurs annĂ©es plus tard Ă  la tĂ©lĂ©, que j’avais beaucoup aimĂ©s. Mais je n’ai jamais vu et n’ai jamais eu envie de voir Les 400 coups.

 

En citant Truffaut, Eileen Myles, pour moi, fait partie de toutes ces personnes Ă©trangĂšres, souvent engagĂ©es, qui, rĂ©guliĂšrement, dans les Ɠuvres françaises, citent des classiques comme Truffaut. Un peu plus tard, je crois aussi qu’elle citera Proust. Mais je n’en suis plus trĂšs sĂ»r.

Ce dont je me souviens par contre, c’est qu’en voyant Les 400 coups de Truffaut, Eileen Myles s’était demandĂ©e s’il existait un Ă©quivalent fĂ©minin. Puisque Truffaut, aprĂšs Les 400 coups suivra l’évolution du personnage d’Antoine Doinel, depuis son enfance jusqu’à l’ñge adulte. Et, de lĂ  est venu le projet d’Eileen Myles de concevoir un Ă©quivalent fĂ©minin Ă  Antoine Doinel. Puis, elle s’est demandĂ©e comment s’y prendre pour raconter ça par Ă©crit. Et, elle s’est aperçue qu’elle pourrait Ă©crire comme on raconte un film.

 

L’enfance d’Eileen Myles semble avoir Ă©tĂ© une enfance oĂč l’éducation artistique et culturelle a Ă©tĂ© prĂ©sente et consistante. Je suis Ă©tonnĂ© par la facilitĂ© avec laquelle, Eileen Myles, comme Maggie Nelson ensuite, peut se dĂ©clarer poĂ©tesse. Moi, plus jeune, j’ai bien essayĂ©. Mais comme cela ne m’a jamais permis de gagner ma vie convenablement, j’ai rapidement arrĂȘtĂ©. Ces derniers temps, je me suis mĂȘme fait la remarque qu’Ă  force de coller aussi prĂšs au quotidien depuis des annĂ©es, tant dans mon mĂ©tier que dans mes articles ou dans ma vie de pĂšre et de conjoint peut-ĂȘtre, que je m’Ă©tais beaucoup Ă©loignĂ© voire Ă©tais peut-ĂȘtre devenu incapable ou infirme. Infirme d’exprimer mon imaginaire comme auparavant. 

Eileen Myles, Ă  plusieurs reprises, nous a parlĂ© de l’importance de son pĂšre, dĂ©cĂ©dĂ© lorsqu’elle Ă©tait encore jeune, qu’elle perçoit a posteriori comme ayant Ă©tĂ© une personne « Queer Â». Elle a rĂ©pĂ©tĂ© plusieurs fois que son pĂšre Ă©tait « Queer Â». Il se travestissait en femme.

 

C’était aussi un pĂšre alcoolique mais qui avait le chic, chaque fois qu’elle manifestait un intĂ©rĂȘt pour un sujet donnĂ©, d’apparaĂźtre avec un ouvrage ou deux en rapport avec ce sujet, de le(s) lui remettre. Puis, de disparaĂźtre.

 

D’autres extraits de films ont Ă©tĂ© montrĂ©s lors de la confĂ©rence. Un, montrant un milieu lesbien underground aujourd’hui disparu, dans les annĂ©es 70. Un autre au cours duquel, dans un film, s’inspirant des Ă©crits d’Eileen Myles, une femme souhaite que se prĂ©sente aux Ă©lections PrĂ©sidentielles une personne ayant tous les handicaps possibles :

 

HIV +, transgenre, chîmeure /chîmeuse, atteint( e) d’une maladie incurable, homosexuel( le), noir ( e), grosse
.

 

Le public, dans la salle, Ă©tait constituĂ© d’une bonne centaine de personnes, sans doute assez familiĂšres avec l’Ɠuvre, les engagements et/ou la personnalitĂ© d’Eileen Myles. J’ai comptĂ© deux ou trois personnes noires dans la salle en m’incluant dans le recensement. Pour la rĂ©partition hommes/femmes au sein du public, je ne saurais pas dire. Peut-ĂȘtre une lĂ©gĂšre prĂ©valence fĂ©minine. Mais ce n’est pas sĂ»r.

 

Par contre, la journaliste qui interviewait Eileen Myles était une femme. La traductrice était une femme.

 

La plupart des spectateurs ou spectatrices qui ont posĂ© des questions Ă  Eileen Myles Ă©taient soit anglophones soit trĂšs Ă  l’aise avec la langue anglaise ou amĂ©ricaine.

 

J’ai notĂ© en tout cas qu’une bonne partie du public Ă©tait particuliĂšrement au fait avec la langue natale d’Eileen Myles. Puisqu’il a Ă©tĂ© capable Ă  plusieurs reprises – contrairement Ă  moi- de rire de ses blagues immĂ©diatement sans avoir Ă  en passer par leur traduction diffĂ©rĂ©e.

 

S’il y avait bien quelques personnes dĂ©passant la quarantaine d’annĂ©es dans la salle, j’ai trouvĂ© le public plutĂŽt jeune dans sa majoritĂ©. Autour des 30 ans. Ce qui atteste, pour moi, d’une certaine conscience plus visible ou plus affirmĂ©e, mais aussi plus « facile Â», Ă  propos des questions de genre comparativement Ă  il y a, disons, une vingtaine d’annĂ©es.

Je n’ai pas reconnu ou pas vu de « jeune Â» que je suis susceptible de croiser ou d’avoir croisĂ© dans un des services de pĂ©dopsychiatrie oĂč j’ai pu travailler et qui sont prĂ©occupĂ©s (comme beaucoup d’adolescentes et d’adolescents) par leur identitĂ© et/ou par leur genre ou qui l’affirment d’une certaine façon :

 

En se rĂ©clamant d’un sexe ou d’un genre opposĂ© Ă  celui qui leur a Ă©tĂ© assignĂ© Ă  leur naissance. En ayant une relation sentimentale homosexuelle.

 

 

 Pour ma part, je peine encore Ă  assimiler le fait qu’aujourd’hui, je devrais davantage, selon les milieux, afin d’éviter d’ĂȘtre perçu comme homophobe ou transphobe, me prĂ©senter comme une personne « cisgenre Â». Afin de ne pas heurter une personne faisant partie d’un genre minoritaire. Mais j’ai du mal avec cette obsession qui consiste Ă  se dĂ©finir par un vocabulaire obligĂ©. Comme si c’était une obligation de tendre notre genre ou nos Ă©ventuelles prĂ©fĂ©rences lorsque l’on se prĂ©sente Ă  quelqu’un :

 

« Je m’appelle Franck, je suis diabĂ©tique insulino-dĂ©pendant, hypertendu, farceur, cancĂ©reux en phase terminale, je chausse du 34, je suis abonnĂ© Ă  TĂ©lĂ©rama, je fais du Cross fit. J’adore les films de Emmanuel Mouret, le nouveau Rohmer. J’ai plein de posters XXL de l’actrice LĂ©a Seydoux dans ma chambre. Et je travaille Ă  la bourse. Et toi ? Â». 

 

Mais il est vrai que nous portons souvent des masques dans notre vie sociale. Et que certains de ces masques permettent à la fois des crimes (à l’image du Ku Klux Klan) mais aussi bien des mensonges.

 

 

Lorsque je regarde la photo d’Eileen Myles sur l’écran gĂ©ant, j’ai l’impression de voir un Ă©quivalent fĂ©minin d’Iggy Pop. Pour moi, Eileen Myles est une sorte de Punk. Un Punk Ă  visage et Ă  allure masculine qui est une femme. MĂȘme si je me demande un peu si elle s’est faite opĂ©rer, je ne me le demande pas plus que ça.

Enfant, Eileen Myles avait rencontrĂ© un couple de femmes butch auquel ses parents avaient louĂ© une partie leur maison. Lors de la confĂ©rence, Eileen Myles raconte que ce couple lesbien s’était vite avĂ©rĂ© ĂȘtre un couple de locataires problĂ©matiques, alcoolique, je crois, se disputant souvent, et, qui plus est, trĂšs mauvaises artistes peintres. Soit une erreur de casting que la mĂšre d’Eileen Myles avait trĂšs vite regrettĂ©. De son cĂŽtĂ©, Eileen Myles, elle, ne s’était pas sentie inspirĂ©e par ce modĂšle de femmes
.

 

Plusieurs jours aprĂšs cette confĂ©rence, sur internet, j’ai cherchĂ© et trouvĂ© quelques photos d’Eileen Myles, plus jeune. Si je l’ai trouvĂ©e belle, je lui ai aussi trouvĂ© un certain cĂŽtĂ© garçon manquĂ©. Ce qui, pour moi, veut dire « Butch Â». J’ai bien Ă©crit « Butch Â». Et non «  Bitch Â».

 

Eileen Myles nous a lu un extrait de son livre, Chelsea Girls. Sans doute parce-que je n’ai pas suffisamment compris ce qu’elle disait, cela ne m’a pas donnĂ© envie d’acheter son livre. Mais dans la salle, le public l’a Ă©coutĂ©e de façon recueillie.

 

A la fin de la confĂ©rence, Eileen Myles nous a dit sa certitude que le patriarcat Ă©tait en train de mourir. Qu’il s’agissait de savoir si « nous Â» allions mourir avant lui ou s’il allait mourir d’abord. Mais qu’elle Ă©tait confiante quant au fait qu’il n’en n’avait plus pour longtemps. Aujourd’hui, je me peux m’empĂȘcher de penser que c’est aussi ce que dit une personnalitĂ© comme Pablo Servigne, un des collapsologues les plus connus en France, et aussi sans doute critiquĂ© pour cela car il la ramĂšne trop avec ses propos de fin du monde. Lorsqu’il explique et rĂ©pĂšte que nous sommes des « droguĂ©s du pĂ©trole Â», que notre systĂšme de vie Ă©conomique et de sociĂ©tĂ©, tel qu’il est, est en train de s’effondrer et que nous ne sommes plus dans l’ùre dans « de la sobriĂ©tĂ© Â» mais dĂ©jĂ  dans celle qui nous rapproche du « sevrage Â».

 

 

Touhfat Mouhtare, Maggie Nelson, Rebecca Zlotowski, Zahia Dehar, Pablo Servigne, Peaux noires, masques blancs ( ou d’autres de ses oeuvrs) de Frantz Fanon, AimĂ© CĂ©saire, il est Ă©tonnant qu’Eileen Myles, aussi portĂ©e sur certains excĂšs d’alcool en particulier, ait quelques  rapports, directs ou indirects, avec ces quelques « personnes Â», dĂ©cĂ©dĂ©es ou vivantes, et que certaines de ses rĂ©flexions et de ses expĂ©riences rejoignent les rĂ©flexions, les expĂ©riences mais aussi les Ɠuvres de certaines de ces premiĂšres personnes citĂ©es.

 

Mais c’est pourtant de cette façon-lĂ  que, souvent, notre vie se dĂ©roule. Car celle-ci est multipistes. Je me devais donc de me rendre Ă  cette confĂ©rence d’Eileen Myles puis d’essayer d’en rendre compte. MĂȘme si, sans aucun doute, cet article comporte dĂ©ja beaucoup d’erreurs, beaucoup de conneries et beaucoup de hors sujets.

 

Franck Unimon, ce vendredi 23 septembre 2022.

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Une société bienveillante

Gare de Paris St Lazare, dĂ©but septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Une société bienveillante

 

 

Cette nuit, j’ai lu quelques articles dans la rubrique littĂ©raire d’un journal. On y parlait de plusieurs livres. Plusieurs de ces livres parlaient de la violence des hommes. Une phrase, dans l’un des articles, disait quelque chose comme :

 

« Comprendre ne suffit pas pour pardonner Â».

 

Je n’ai pas aimĂ© cette phrase.

 

Pour appliquer l’éducation bienveillante, la « psychologie positive Â» il faut aussi, dans une certaine mesure, pouvoir bĂ©nĂ©ficier, quand mĂȘme, d’une certaine bienveillance dans la sociĂ©tĂ©, dans le monde, dans la vie. Mon mĂ©tier principal, malgrĂ© sa noblesse, ou peut-ĂȘtre grĂące ou Ă  cause d’elle, m’expose Ă  diverses formes de violences.

 

Hier matin, mon thĂ©rapeute a d’abord tiquĂ© lorsque je  lui ai dit dĂ©libĂ©rĂ©ment :

 

«  Je ne suis qu’un infirmier. Â»

 

Face Ă  son thĂ©rapeute, tout le monde le sait, il ne suffit pas de claquer des consonnes et des voyelles pour dire quelque chose. Il doit comprendre. Et, si nous pensons droit, nous nous devons de lui en faire la dĂ©monstration. Autrement, son travail, si c’est un thĂ©rapeute valable et consciencieux, est de nous remettre dans l’axe.

 

Hier matin, j’ai expliquĂ© Ă  mon thĂ©rapeute que d’un point de vue social, ce mĂ©tier d’infirmier n’est pas considĂ©rĂ© comme un mĂ©tier trĂšs valorisĂ© ou trĂšs prestigieux.

De ce fait, maintenant que, en plus, ma compagne est suspendue de ses fonctions d’infirmiĂšre depuis dix mois, cela va ĂȘtre un handicap pour faire admettre notre fille Ă  l’école privĂ©e de notre ville. Si, comme me l’a dit la libraire rĂ©cemment, l’école privĂ©e prend principalement les enfants dont les parents ont une bonne situation professionnelle.

 

J’ai cru et crois encore Ă  la sincĂšre et spontanĂ©e dĂ©sapprobation, hier, de mon thĂ©rapeute lorsque je lui ai dĂ©peint mon mĂ©tier d’infirmier comme un mĂ©tier de bas Ă©tage. Cependant, j’ai malheureusement su et pu, je pense, lui dĂ©montrer que j’avais raison.

Paris, Gare St Lazare, Septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

La plupart des parents d’enfants que notre fille a cĂŽtoyĂ©e dans son Ă©cole publique – et qui sont dĂ©sormais dans l’école privĂ©e de notre ville- ont des professions socialement et Ă©conomiquement plus « Ă©voluĂ©es Â» ou « supĂ©rieures Â» Ă  celle que ma compagne et moi pratiquons.

 

Je le sais pour avoir cĂŽtoyĂ© un temps ces parents. Comme cela se fait lors de toute rencontre sociale « cordiale Â» Ă  la sortie de l’école. Ou chez l’assistante maternelle. OĂč, si l’on se sourit entre parents et que l’on s’adresse quelques propos convenables, on se jauge aussi beaucoup socialement, personnellement et Ă©conomiquement. En toute bienveillance.

 

D’ailleurs, quel est l’un des meilleurs moyens pour s’assurer que certains parents mais aussi certains enfants sont vĂ©ritablement frĂ©quentables ?

 

Prenons un verre avec eux, soit chez eux, soit chez nous. Recevons tel enfant pour un goûter ou un anniversaire. Ensuite, on se fait notre propre idée.

 

C’est ce qui s’est passĂ© avec plusieurs parents d’enfants que notre fille a pu connaĂźtre dans son Ă©cole maternelle. Aujourd’hui, nous n’avons plus de contacts avec ces parents alors que leurs enfants sont Ă  l’école privĂ©e de notre ville. Une Ă©cole qui se trouve Ă   cinq minutes Ă  pied de l’école publique de notre fille.

 

Les parents de ces enfants ne sont ni infirmiers, ni aide soignants. Un ou deux ingĂ©nieurs. Ou Ă©quivalents. Cadres sup. Je connais personnellement un couple dont les deux enfants sont Ă©galement Ă  l’école privĂ©e de notre ville. La femme du couple Ă©tait une ancienne trĂšs bonne amie de ma sƓur. Donc, je connais vraiment plutĂŽt personnellement ce couple. Profil de cadre sup.

 

Donc, mĂȘme si j’ai pu entendre dire que pour faire admettre son enfant dans cette Ă©cole privĂ©e, qu’il convient de persĂ©vĂ©rer et de s’y reprendre Ă  plusieurs fois, oĂč est, dĂ©jĂ , la bienveillance dont nous bĂ©nĂ©ficions, ma compagne, notre fille et moi, Ă  devoir constater que la plupart des parents, dont les enfants sont aujourd’hui dans cette Ă©cole privĂ©e depuis plusieurs annĂ©es, occupent des fonctions professionnelles « supĂ©rieures Â» socialement et Ă©conomiquement aux nĂŽtres ?!

Paris, rue de Rivoli, Aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Hier matin, j’en ai rajoutĂ© dans les arguments devant mon thĂ©rapeute pour dĂ©montrer Ă  quel point le mĂ©tier d’infirmier est dĂ©classĂ©. Mais peut-ĂȘtre, aussi, pour bien lui faire comprendre Ă  quel point j’avais encore besoin de ses services.

 

Pendant le premier confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid, en 2020, on applaudissait les soignants Ă  20h. Pour les encourager et les remercier pour leur « courage Â» et leur « hĂ©roĂŻsme Â». Un an plus tard, on suspendait certains de ces hĂ©ros car ceux-ci refusaient de se faire vacciner contre le Covid. Ainsi depuis la fin de l’annĂ©e derniĂšre, ma compagne est-elle sans salaire. OĂč est la bienveillance dont ma compagne, comme d’autres dans sa situation, suspendus pour les mĂȘmes raisons, bĂ©nĂ©ficie ? Dont notre fille et moi bĂ©nĂ©ficions ?

 

NĂ©anmoins, il arrivera un jour oĂč je devrais aussi rappeler Ă  ma compagne deux points auxquels elle devra se conformer que cela lui plaise ou non :

 

Si ĂȘtre fonctionnaire assure en principe la sĂ©curitĂ© de l’emploi, cela impose aussi des Devoirs. Un fonctionnaire se doit Ă  certains actes si son employeur le lui demande ou l’exige de lui. En contrepartie, son employeur lui verse un salaire et lui assure la sĂ©curitĂ© de l’emploi. Et, cela, je crois, a Ă©tĂ© oubliĂ© par ma compagne et d’autres.

 

En refusant la vaccination obligatoire contre le Covid.

 

AprĂšs tout, mĂȘme des Ministres ou des dĂ©putĂ©s qui sont des trĂšs hauts fonctionnaires de l’Etat sont amenĂ©s Ă  dĂ©missionner lorsqu’ils ne correspondent plus Ă  certains critĂšres exigĂ©s, Ă  certaines obligations dĂ©cidĂ©es, par l’Etat. Alors, des « petits Â» infirmiers et aides soignants, qui sont des tout petits fonctionnaires en comparaison n’ont aucune possibilitĂ© de s’opposer Ă  l’Etat si celui-ci dĂ©cide de les suspendre ou de les rĂ©voquer en cas de dĂ©saccord majeur ou autre.

 

 

Il a Ă©tĂ© question quelques temps, devant la pĂ©nurie soignante, de rĂ©intĂ©grer le personnel soignant non vaccinĂ©. Hier matin, mon thĂ©rapeute m’a confirmĂ© que la Haute AutoritĂ© de SantĂ© (la HAS) l’avait finalement refusĂ©. Et, c’est facile Ă  comprendre :

 

Des personnes sont mortes du Covid car celui-ci a Ă©tĂ© transmis ou aurait Ă©tĂ© transmis par du personnel soignant non vaccinĂ© contre le Covid. Avant que la vaccination contre le Covid ne devienne obligatoire. Je connais au moins une personne, dans notre ville, que ma compagne a croisĂ©e une fois, dont le pĂšre est mort du Covid dans l’EPHAD oĂč il se trouvait. Selon cette connaissance, que je crois fiable, son pĂšre Ă©tait en bonne santĂ©. Et c’est une infirmiĂšre ou une soignante, porteuse du Covid, qui aurait transmis le Covid Ă  plusieurs pensionnaires de l’EPHAD.

 

Comment voulez-vous aprĂšs ce genre d’évĂ©nement rĂ©intĂ©grer dans des lieux de soins des soignants non vaccinĂ©s contre le Covid ?

Et comment vont le prendre celles et ceux qui se sont obligĂ©s (ou soumis) Ă  la vaccination obligatoire contre le Covid ?

 

 

Enfin, beaucoup plus cynique mais le livre Les Fossoyeurs  de Victor Castanet, qui a fait « scandale Â» concernant le mode de gestion des EPHAD, va dans ce sens :

 

Cet Ă©tĂ©, malgrĂ© la pĂ©nurie de soignants, on n’a pas entendu parler de scandale sanitaire, de surmortalitĂ© dans les hĂŽpitaux malgrĂ© la canicule. Donc, on a pu ou su se passer des soignants suspendus. Pire :

 

Ce qui est trĂšs pratique avec ces soignants suspendus, c’est qu’ils permettent de faire des Ă©conomies. Puisque l’on n’est plus tenu de leur verser de salaires depuis bientĂŽt un an. Ce qui reste raccord Ă  la fois avec la politique de l’autruche et des Ă©conomies budgĂ©taires imposĂ©es aux Ă©tablissements de soins depuis plusieurs dĂ©cennies. Donc bien avant que l’ouvrage de Victor Castanet ne paraisse dĂ©but 2022 et ne fasse « scandale Â». L’oubli est l’une des plus grandes compĂ©tences espĂ©rĂ©es chez celles et ceux qui dĂ©cident de la gestion de l’avenir des lieux de soins depuis des annĂ©es.

 

Je crois donc de plus en plus que les soignants suspendus comme ma compagne, s’ils persistent Ă  refuser le vaccin anti-Covid, vont ĂȘtre ni plus ni moins oubliĂ©s et sacrifiĂ©s par le gouvernement. Mais aussi par les Ă©tablissements qui les « emploient Â». LĂ  encore, de quelle bienveillance, ma compagne, notre fille et moi bĂ©nĂ©ficions-nous ?

 

 

Aucune.

 

 

Je vais rajouter un autre thĂšme ou deux.

 

Paris, Aout 2022. Photo©Franck.Unimon

 

D’un point de vue familial, comme beaucoup de personnes, ma compagne et moi avons vĂ©cu des Ă©vĂ©nements plutĂŽt « nĂ©vrotisants Â» en tant qu’enfants. La violence, l’alcoolisme et/ou la dĂ©pression ont aurĂ©olĂ© notre enfance. Ces hĂ©ritages laissent des traces. Des habitudes. Des automatismes. De dĂ©fense, de repli, de fuite, de combat, de recherche ou de
.rĂ©plication.

Un soignant, d’autant plus en pĂ©dopsychiatrie et en psychiatrie, ou dans tout service de santĂ© mentale, est un individu qui vient se poster qu’il s’en aperçoive ou non, prĂšs des frontiĂšres de son histoire originelle. Cela peut l’aider pour aider d’autres personnes. Mais cela peut aussi le troubler et le dĂ©semparer. Sauf s’il dĂ©cide de rester sourd, barricadĂ© et aveugle devant son histoire. C’est bien ce que les dirigeants au moins politiques- qui se rĂ©pliquent- font en matiĂšre de politique de santĂ© publique depuis des annĂ©es :

Rester sourds, barricadĂ©s et aveugles. Et budgĂ©ter. Il est plus facile de compter des chiffres et de regarder des statistiques. 

L’une des consĂ©quences est que bien des soignants ont l’impression de faire l’expĂ©rience du servage. 

Reculons encore en arriĂšre dans le temps et on tombe sur la toile d’araignĂ©e de
.l’esclavage. Soit sur l’expĂ©rience de l’esclavage. Soit sur la mĂ©moire plutĂŽt traumatisante de l’esclavage. Une mĂ©moire -enfouie ou non- qui rĂ©siste sur l’arbre du temps que l’on porte en soi. Et oĂč l’on peut s’apercevoir que, blancs ou noirs, on peut ĂȘtre nombreux Ă  avoir une certaine expĂ©rience, plus ou moins lointaine, de l’esclavage. 

 

Mais sans aller jusqu’à l’esclavage car cela ennuie d’en entendre encore parler, rappelons tout simplement le racisme. En tant qu’homme noir, je suis content de dire que je prĂ©fĂšre vivre dans la France en 2022 plutĂŽt que dans la France de 1822. NĂ©anmoins, je reste un homme noir dans un pays de blancs. Et notre fille est une mĂ©tisse dans un pays de blancs.

 

Mais aussi dans un pays oĂč les prĂ©noms ont aussi leur importance. Lorsque j’ai eu trouvĂ© le prĂ©nom de notre fille ( ce prĂ©nom est le rĂ©sultat Ă  la fois des exigences de sa mĂšre mais aussi de ma petite crĂ©ativitĂ©), j’étais content. Cependant, Ă  aucun moment je n’ai pensĂ© au fait que certains prĂ©noms passent « mieux Â» que d’autres les filtres des sĂ©lections lorsque l’on prĂ©sente un dossier pour une candidature. Il n’en demeure pas moins que, noir en France, portant un prĂ©nom plutĂŽt qu’un autre, cela expose ou peut exposer Ă  certaines violences. Des violences directes et indirectes, immĂ©diates ou diffĂ©rĂ©es, visibles ou invisibles. A moins de rester Ă  la place qui nous a Ă©tĂ© allouĂ©e. Si notre place consiste Ă  faire dame pipi ou silhouette d homme de mĂ©nage sur un plateau de tournage aucun problĂšme. On peut porter le nom que l’on veut. Et ĂȘtre noir ou arabe peut alors se rĂ©vĂ©ler un avantage.

 

Est-ce-que notre fille aurait dĂ©jĂ  Ă©tĂ© admise Ă  l’école privĂ©e si elle s’était prĂ©nommĂ©e Marie, Elizabeth, ThĂ©resa, GeneviĂšve ou Victorine ?

 

Aucune idĂ©e. D’autant que je sais qu’il y a des petites Arabes et musulmanes admises Ă  l’école privĂ©e.

 

Donc, on peut et on sait applaudir des soignants par temps de pandĂ©mie tandis que l’on reste bien Ă  l’abri chez soi. Par contre, lorsqu’il s’agit d’admettre leur enfant dans une Ă©cole privĂ©e ou dans une bonne Ă©cole, on fait les difficiles.

 

L’école publique de ma fille a perdu un tiers de son budget par rapport Ă  l’annĂ©e derniĂšre. Comme d’autres parents, je l’ai appris la semaine derniĂšre par son nouveau Maitre d’école lors de la rĂ©union de rentrĂ©e. Un maitre d’école en qui je crois et qui a pu dire Ă  la fin de la rĂ©union, durant laquelle il aura gardĂ© son sourire :

 

« J’aime la difficultĂ© Â».

Ce maitre d’école nous a appris faire trois heures de trajet pour venir Ă  l’école puis trois autres heures pour rentrer chez lui Ă  chaque fois.

 

Hier aprĂšs-midi, le papa d’une ancienne copine de ma fille m’a appris que dans son Ă©cole (une autre Ă©cole publique de notre ville), il y ‘avait une pĂ©nurie de rames de papier.

 

 

OĂč est la bienveillance dans tout ça ?

 

 

Lorsque ces quelques expĂ©riences de violences de rejet, d’indiffĂ©rence ou de maltraitances finissent par croiser, ce qui est inĂ©vitable, l’anxiĂ©tĂ© mais aussi l’épuisement ou le dĂ©couragement d’un parent concernant l’avenir de son enfant, mais aussi son propre avenir en tant qu’individu, il ne faut pas s’étonner si celui-ci en arrive, par moments, par secrĂ©ter de la violence et l’infliger Ă  sa descendance ou Ă  son entourage. Ou Ă  lui-mĂȘme.

 

Mais on parle trĂšs peu de ça dans notre sociĂ©tĂ© « bienveillante Â». Dans notre sociĂ©tĂ© « bienveillante Â», il y a d’un cĂŽtĂ© les travailleurs qui en veulent, qui s’en sortent, parce-qu’ils le voulaient vraiment. Et puis, d’un autre cĂŽtĂ©, il y a tous les suspendus, les contaminĂ©s, les pauvres types, celles et ceux qui passent leur temps Ă  se plaindre au lieu de se sortir les doigts du cul et que l’on condamne.

 

Car, dans notre sociĂ©tĂ© « bienveillante Â», tout le monde sait que celles et ceux qui restent sur le cĂŽtĂ©, qui Ă©chouent et qui n’arrivent Ă  rien, sont toujours celles et ceux qui l’ont bien cherchĂ© et qui l’ont mĂ©ritĂ©. Et qu’il faut Ă©viter. Sauf si l’on est soignant ou travailleur social. Dans ce cas, on nous parle de vocation. Alors mĂȘme qu’il faudrait plutĂŽt, un certain nombre de fois, parler plutĂŽt de sacrifice compte tenu des conditions qui sont faites Ă  ces soignants et Ă  ces travailleurs sociaux non seulement pour travailler mais, aussi, pour vivre. 

 

 

Une Ă©cole privĂ©e est-elle vĂ©ritablement l’assurance d’une vie rĂ©ussie ? Disons que dans un monde et un pays oĂč il est devenu rĂ©siduel et mĂȘme normal d’avoir peur de tout que l’on s’en convainc plus facilement. Sauf que je suis incapable d’affirmer si ce dernier point de vue est le rĂ©sultat de mon esprit rĂ©signĂ© ou de la vitalitĂ© encore conservĂ©e de ma luciditĂ©.

 

 

Paris, Aout-Septembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Franck Unimon, mardi 20 septembre 2022.