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Interview en apnée avec Abdel Raouf Dafri

 

 

Cela faisait quelques années que j’avais envie d’interviewer Abdel Raouf Dafri. Avant la création de balistiqueduquotidien.com. Depuis Un Prophète ( 2009), Mesrine ( 2008), la série Braquo (à partir de 2011)

 

Lorsque Qu’un sang impur…., son premier film en tant que réalisateur, s’est présenté en projection de presse à la fin de l’année dernière, j’ai filé pour aller le voir : Qu’un sang impur…

J’ai eu la chance d’être resté en contact avec Jamila Ouzahir, l’attachée de presse qui s’occupe du film. La même que j’avais recroisée dans le métro parisien un été il y a bientôt deux ans et qui m’avait tout de suite encouragé lorsque mon blog était encore à l’état d’idée. Jamila fait partie des attachées de presse que j’ai rencontré(es) du             « temps» de Brazil. Le mensuel de cinéma papier qui m’a fait entrer dans le journalisme cinéma.

 

 

A gauche de l’affiche, suspendus, certains des costumes utilisés pour le film.

Finalement, lorsqu’est venue la possibilité de le rencontrer, à propos de Qu’un sang impur…,  j’ai hésité. Préparer une interview, c’est du travail. La retranscrire, aussi. Et, au milieu, on peut rater l’exercice même si on n’en meurt pas. En plus, Abdel Raouf Dafri est le frère de quelqu’un que je connais « bien ». ( Projection de presse ) Quelqu’un qui, il y a bientôt vingt ans, m’avait dit un jour :

« Son rêve, c’est d’être scénariste… ».

 

Depuis la fin de parution du mensuel Brazil après le festival de Cannes de 2011, je n’avais plus interviewé de réalisateur de long métrage. Après Brazil, pendant deux à trois ans, j’avais fait la découverte du journalisme cinéma du côté des court-métrages avec le site Format Court.

Ma plus récente interview datait de trois ou quatre ans : avec l’ami Eddy, nous avions interviewé un couple d’apnéistes. Lui, à la photo, à la caméra et au montage. Moi, au texte et à la voix. 

 

Quatre jours avant cette journée presse ( ce jeudi 16 janvier 2020) où allaient se dérouler les interviews à propos de Qu’un sang impur…, du texte m’est venu. J’ai alors su que je pouvais rencontrer Abdel Raouf Dafri.

Cette interview est imparfaite. Je débite mes phrases au début et j’articule mal. Je lis un peu trop. D’un point de vue corporel, je peux mieux faire. On dirait que ma tête tient sur un ressort. 

C’est ainsi que l’on ne comprend pas au début de l’interview que je parle du réalisateur Raoul Peck qui est sûrement actuellement en train de tourner un film sur Frantz Fanon. Et, un peu plus tard, c’est bien-sûr le titre Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon auquel Abdel Raouf Dafri fait référence. Quant au fichier vidéo que je livre finalement de cette interview, son format pour le blog me satisfait moyennement. Mais c’est tout ce que j’ai pour l’instant sous la main après plusieurs essais de conversion. 

Cependant, cette interview aura toujours ceci de particulier que c’est avec elle que j’aurai repris le trajet des interviews. 

 

Arrivé avant l’heure, j’ai pu discuter avec Abdel Raouf Dafri. Nous avons parlé du Japon, de certaines actualités et bien-sûr de cinéma.

Puis, en attendant mon tour pour l’interviewer, j’ai pu discuter un peu avec un correspondant du journal algérien El Watan ( Cela veut dire  » Nation » m’a-t’il été expliqué). El Watan a été créé en 1990. On peut le trouver à la vente dans les kiosques au moins de la région parisienne en langue française. 

Mais le mieux, bien-sûr, puisque c’est le « jus » de cet article,  c’est de vous faire votre propre idée de la rencontre avec Abdel Raouf Dafri. Après l’interview, suit le lien vers le teaser du film. Qu’un sang impur…. sort au cinéma ce 22 janvier 2020. 

 

 

 

 

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ps : Merci à mon cousin Christophe ainsi qu’à Michel pour leur réactivité et leurs conseils « techniques ». J’ai aussi une pensée particulière pour mon ami Driss. 

Franck Unimon, jeudi 16 janvier 2020

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Cinéma

Game of Thrones saison 8

L’actrice Emilia Clarke ( Daenerys) face à l’acteur Kit Harrington ( Jon Snow). Photo issue du site allociné.

 

 

 

Plusieurs mois sont passés depuis la fin ( en avril de cette année) de la série Game of Thrones. Je l’ai regardée il y a deux ou trois jours. C’était volontaire : je préfère voir les séries lorsque je dispose de l’intégralité des épisodes. Au calme.

 

Bien-sûr, pendant quelques jours et quelques semaines, lorsque la  dernière saison (la saison 8) « passait »,  il avait fallu parfois être sourd pour éviter d’entendre le dénouement de la série. Mais, là, tout était calme lorsque j’ai regardé cette dernière série.  Pas de Marcheur blanc à l’horizon. J’étais curieux et néanmoins un peu  « inquiet » :

 

J’avais entendu parler de certains avis de spectateurs déçus par la fin. Comme de cette pétition «  d’un millier de personnes » dans le but d’obtenir que la fin soit réécrite. Ces personnes se sont peut-être, depuis, transformées en Marcheurs Blancs, et mises en tête de partir à la recherche des scénaristes de la série. A moins qu’ils soient en train de mijoter un nouveau scénario pour un futur projet cinématographique. Car j’avais aussi entendu dire que la résolution de la bataille avec les Marcheurs blancs était grossière. Il faut que je fasse attention à ces admirateurs. Certains d’entre eux font peut-être partie de mes collègues. On ne sait jamais ce qu’ils peuvent devenir sous l’influence d’une série. 

 

 Je m’attendais aussi à des épisodes bâclés ou à des épisodes inégaux entre eux.

 

Les deux premiers épisodes de la saison 8 (qui en compte 6) m’ont un peu frustré pour le manque d’action. Même si j’ai compris la nécessité de bien resituer le contexte des personnages et de leurs relations entre eux. Ensuite, dès le troisième épisode, la série s’envole et tient son niveau. Pour moi, il n y a pas d’épisode bâclé ou inégal. Et j’accepte totalement la fin de la série telle qu’elle est. J’attribue la désillusion de certains au fait qu’avec la fin de la série le spectacle est terminé qu’il y a l’obligation de retourner à sa vie ordinaire, après avoir assisté à la défaite des héros ou des  favoris.  C’est la période gueule de bois, eau plate, légumes bouillis et sans sel et éventuellement médicament qui débranche la perceuse qui nous fait mal dans notre tête.

 

 

Dans Game of Thrones, bien des personnages charismatiques, sympathiques ou antipathiques, meurent. Les traitres.  Mais en contrepartie, tous, pratiquement, perdent quelque chose dans ce monde sans sécurité sociale et sans carte vitale. Et aussi sans ces dédales administratifs voraces qui nous font du mal.

On ne voit pas beaucoup d’argent dans Game of Thrones même si on en parle et qu’il a son importance. Cependant, on paie principalement au prix fort avec sa chair, ses frayeurs et son sang le droit à sa présence sur terre. Soit un membre, soit un ou plusieurs membres de sa famille de ses proches.  Soit avec sa propre vie. Et on paie comptant. Aucune possibilité d’échelonner en plusieurs versements sans frais.

 

Jon Snow, par prudence, sagesse, transparence ou par manque d’ambition a peut-être cru qu’il pourrait un peu échapper à toutes ces embrouilles. Il a bien perdu des proches plus tôt dans la série mais il fait partie des personnages équilibristes qui savent se sortir du néant. C’est même un des seuls à resurgir de la mort avec un autre personnage qui va donner sa vie pour Arya.

 

Cela a peut-être fini par le convaincre – et nous convaincre- qu’il aurait toujours le soulier adéquat, le coup de tatane approprié et le dernier mot face à une mauvaise vanne. La fin nous apprend le contraire. Sur la fin, on peut voir le charismatique Jon Snow, dépassé et sans voix, qui se fait marcher sur les pieds, et qui essaie de se convaincre que tout va encore à peu près bien. Et que tout peut encore se raccommoder entre sa dulcinée et celles et ceux qu’elle promet de calciner s’ils refusent de s’agenouiller devant elle. Il essaie de parler fort mais il boit la tasse. Puis il transperce la tasse.

 

Jon Snow, le « bâtard » et le ressuscité, reste en dehors des dernières décisions. Les plus déterminantes. Malgré sa bravoure, sa droiture ou son mérite et son endurance, sa vie, lorsqu’il y retourne du fait de la volonté de la sorcière rouge, est peut-être, finalement, un rêve dont il n’a pas été informé. Ce qui pourrait expliquer son impuissance finale devant son Amour Daenerys et le fait qu’il soit supplanté par la lucidité politique et empoisonnée de Sancha. La délicate Sancha Stark que l’on a connue si écervelée et que l’on voit aussi si paniquée lorsqu’il s’agit de se battre avec une épée.

 

Ou, alors, plus prude que la série a pu le laisser supposer, Jon Snow paie peut-être pour l’amour interdit- et caché- de sa mère. Et son Amour d’abord aveugle pour Daenerys lui est ensuite retiré.  C’est une épreuve, parmi toutes celles qu’il a rencontrées, qu’il lui est impossible de surmonter. Comme il lui est impossible de retourner dans le passé. A l’approche du trône et  pour défaire Cersei, Daenerys et lui se montrent, dans leur nudité la plus absolue, avec leurs limites et leurs limbes respectifs. Ce faisant, ils se défont l’un de l’autre. Le rêve construit entre eux avait l’apparence de la solidité mais il était fragile car il reposait aussi sur l’ignorance et un mensonge. Face à la vérité, Daenerys et Jon Snow adoptent une attitude différente.

L’actrice Lena Headley ( Cersei).

 

Cersei la terrible, surpuissant antagoniste, mais aussi plus âgée et plus expérimentée,  les oblige aussi véritablement, pour la première fois, à s’opposer l’un à l’autre, les deux jeunes amoureux. Si tout couple a ses crises de nerfs, celles  du couple formé par  Daenerys et Jon Snow a des caractéristiques hors normes dont les répercussions sont énormes pour le Monde de Game of Thrones. Ce sont deux personnages aussi forts que des bombes nucléaires. Et leurs conflits, en cas de désaccord quant au mode d’éducation, seraient sans doute pire s’ils avaient des enfants.

 

Avec son entourage, Cersei a moins ce problème : elle « gère », ne partage pas le Pouvoir et sait faire le vide autour d’elle. Comme elle avait su le démontrer au pourtant très rusé  Littlefinger :

 

« Power is Power ».  

 

Son Amour et frère, Jaime Lannister, ne lui conteste pas le Pouvoir politique ni le Pouvoir parental. En outre, Jaime Lannister a les moyens de se satisfaire de son statut de « plus bête » des Lannister. Cela le dispense d’être le Roi. Jaime Lannister n’a qu’à suivre ou s’enfuir. Et, éventuellement, revenir. Il est peut-être le seul à qui Cersei peut tout pardonner.

 

Cersei a ceci d’extraordinaire qu’on la déteste mais qu’elle est néanmoins indispensable à la série mais aussi à la survie de l’Amour au moins entre Daenerys et Jon Snow.

Du moins tant que Cersei représente une réelle menace.

 

En détruisant une bonne partie de Port-Réal, Daenerys libère sans doute les peurs et la haine qu’elle avait accumulée pendant des années. Mais elle matérialise peut-être aussi l’effondrement de son histoire d’Amour avec Jon Snow qui lui échappe, à elle, la femme aux dragons qui a dû faire avec la mort récente de deux de ses plus proches alliés et conseillers ( Ser Jorah et Missandei).

Même en perdant, Cersei est l’inconscient qui gagne la bataille : elle s’écroule sous les décombres (l’attaque de Port-Réal par Daenerys sur son Dragon fait bien penser à la bombe atomique sur Hiroshima) mais dans les bras de son Amour retrouvé qui, malgré ses blessures, a traversé tous les obstacles et renoncé à une vie honorable pour elle.  

Tandis que Jon Snow, lui, doit  non seulement se couper de Daenerys, tant au niveau amoureux qu’au niveau ombilical, mais il doit en plus accepter que sa dépouille lui soit enlevée par le dernier des dragons, « enfant » de Daenerys qu’ils n’ont pas eus ensemble. A sa place, on a de quoi avoir le sentiment d’avoir passé une très mauvaise journée au bureau.

 

Pour ces raisons, voir Jon Snow tel qu’il est à la fin de la série me paraît vraisemblable. Où qu’il aille après la mort de Daenerys, son souvenir l’occupera. Et s’il y a bien un endroit où il peut, peut-être, trouver un peu d’apaisement, c’est dans la garde de nuit. Là où il aurait dû rester et mourir mais où on l’a obligé à revenir parmi les vivants. Toute personne humaine normalement constituée, à sa place, deviendrait folle, dépressive, alcoolique, les trois en même temps ou se ferait moine. Jon Snow, lui, reste planté sur son cheval et bien obéissant. Même s’il se demande si ce qui lui arrive est « juste », il l’accepte, cul sec. Ygritte, Son ancien amour de sauvageonne, morte plus tôt dans la série là où il est condamné à finir sa vie, lui susurre peut-être «  Tu ne sais rien du tout, Jon Snow ! ».

 

Je repense dans le désordre à mes personnages « préférés » de cette série :

 

Petyr «  Littlefinger » Baelish, Khal Drogo, Joffrey Baratheon, Cersei Lannister, Mélisandre, Sandor Clegane, Tyrion Lannister, Brienne de Torth, Viserys Targaryen, Arya Stark, Cersei Lannister, Daenerys Targaryen ( sur la fin, elle m’agaçait de plus en plus), Jorah Mormont, Ygritte,  Theon Greyjoy, Robb Stark, Ned Stark, Stannis Baratheon, Jaime Lannister, Ramsey Bolton (mais  cela a été long avant qu’il « paie » pour ses crimes) , Ygritte, Jaqen H’ghar, Shae, Le Grand Moineau ( même s’il m’a beaucoup exaspéré), Euron Greyjoy ( un personnage peu supportable qui aurait peut-être dû apparaître plus tôt dans la série), Margeary Tyrell, Daario Naharis, Missandei, Sansa Stark ( qui a pu m’exaspérer de manière presque paranormale mais pas dans la dernière saison), Gregor Clegane, Jon Snow, et, bien-sûr…les sauvageons et les Marcheurs Blancs.

Le « chef » des Marcheurs Blancs. Photo issue du site allociné.

 

Game of Thrones a offert un taux de « reconversion » plutôt élevé dans d’autres projets cinématographiques à plusieurs de ses actrices et acteurs. Ce sera instructif de voir comment les uns et les autres vont « survivre » à Game of Thrones et dans quels univers. Bronn a été vu dans le John Wick 3. Jon Snow a depuis tourné dans le dernier film de Xavier Dolan (Ma vie avec John F. Donovan). Sansa Stark a incarné Phénix dans le dernier X-Men. Danaerys est dans une comédie dramatique de Noël mais a aussi pu être vue dans un Star Wars et un Terminator. Tyrion Lannister a joué au moins dans un X-Men et dans un Avengers.

 

On peut aussi s’attendre à ce que des enfants soient appelés Daenerys, Arya, Sansa, Jon, Cersei, Khal, Missandei, Tyrion ou par d’autres prénoms portés par certains des personnages de la série.

 

L’acteur Peter Dinklage ( Tyrion Lannister). Photo issue du site allociné.

 

Furie médiévale capable d’humour en même temps que guerres des étoiles, histoire de morts vivants, de voyance, de vengeances familiales, d’excès, d’incestes, d’obsession d’ascension sociale et de super-héros (Brandon Stark, dans son fauteuil roulant, fait bien penser au Professeur Xavier des X-Men) Game of Thrones est une épopée fantastique qui nous a pris car, comme le dit Tyrion Lannister, ce qui relie les êtres humains entre eux, c’est l’Histoire.

 

Franck Unimon, ce lundi 30 décembre 2019.

 

 

 

 

 

 

 

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The Ride

Photo du site allociné comme les photos suivantes du film  » The Ride » de Stéphanie Gillard.

 

 

                                                   The Ride (La Chevauchée) 

                                                   un film de Stéphanie Gillard

 

 

Enfant, je les ai découverts à la télé un peu comme les colons européens avaient « découvert » l’Amérique. Dans ces westerns mal doublés en Français,  souvent interprétés par des Blancs, ils étaient souvent les méchants.

 

Dans la cour de récré de l’école de la République – l’école Robespierre, à Nanterre- où j’étais scolarisé, le lendemain, pour « en être », il fallait avoir vu le film extraordinaire de la veille. Il était assez souvent américain. Qu’est-ce qu’ils étaient forts, ces Américains !

Trente ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale que je n’avais pas connue, moi-même, je m’en apercevais régulièrement.

 

Les Westerns, les films policiers et Tarzan «  l’homme-singe », les feuilletons américains, avant les dessins animés japonais du genre Goldorak c’étaient mes Reines des Neiges, à moi. Avec les films de Bruce Lee. Et, quelque part dans un coin… le boxeur Muhammad Ali auquel le kebab Ali Boumayé dans le film Misérables de Ladj Ly fait référence ( pour son combat au Zaïre en 1974 face à Georges Foreman : voir le documentaire When we were kings. on peut aussi lire l’article Les misérables 2ème partie )

 

A cet âge où je découvrais les Westerns, celui de l’école primaire, je ne connaissais pas encore la portée symbolique d’un James Brown ou d’un Bob Marley : plusieurs de leurs disques vinyles faisaient partie des attributs paternels. Ceux de Bob Marley passaient le plus souvent lorsque j’étais en âge de me souvenir. L’album Rastaman Vibration, particulièrement, à la fin des années 70. 

Et, c’est plus tard, vers la préadolescence puis vers l’adolescence que j’ai entendu parler puis découvert des auteurs comme Richard Wright ( Black Boy), Chester Himes ( La Reine des pommes), James Baldwin et des militants comme Martin Luther King, Malcolm X, les Black Panthers , tous noirs ou négro-américains. A part Nelson Mandela et Steve Biko. Je ne connaissais pas d’autre leader politique africain ou antillais. Côté littérature et poésie, je connaissais « un peu », Aimé Césaire, Frantz Fanon, la Négritude mais j’étais déjà lycéen. Et les Etats-Unis d’Amérique étaient encore pour moi un pays magnifique : La référence.

C’était le Pays où de grands hommes et de grandes femmes (dont Angela Davis) avaient combattu le racisme. C’étaient aussi des athlètes noirs américains qui, lors des jeux olympiques de Mexico, en 1968, avaient levé un poing noir ganté lors de la remise des médailles olympiques pour protester contre la ségrégation raciale aux Etats-Unis. Tommie Smith, Lee Evans, John Freeman….

C’était la Première Puissance Mondiale. 

 

 

A part dans les Westerns que je regarde beaucoup moins depuis des années, les Indiens d’Amérique ne m’intéressaient pas plus que ça. Même s’il y a bien eu le cours d’Indian Studies à l’université durant une année. Mais c’était il y a trente ans. Et je n’ai pas poussé plus loin par la suite même s’il m’en reste quand même des souvenirs précis quand j’y pense :

Notre professeur Nelcya D…, pourvue d’une autorité et d’une personnalité marquantes, avait organisé une rencontre avec certains Amérindiens.

Je me rappelle d’un de ces artistes amérindiens à qui l’on demandait à nouveau s’il avait vu le film Danse avec les loups de et avec Kevin Costner ( je n’ai toujours pas vu le film). Celui-ci avait répondu avec un peu d’ironie :  » It is the big question today ! » (  » C’est décidément la grande question du jour! »). 

Mais après avoir obtenu difficilement cette UV – face à la redoutable Nelcya D… qui, pour l’épreuve orale de rattrapage, en me voyant arriver m’avait d’abord lancé un :  » Vous ! Je vous fais la peau ! » –  je n’avais pas cherché plus loin dans  » l’Histoire » des Indiens d’Amérique. Ce n’est pas de la faute de mon ancienne prof d’université, Nelcya D, qui, dans les faits, m’estimait et me reprochait à juste titre d’avoir travaillé mes cours en dilettante :

Les Indiens d’Amérique ou les Amérindiens font un peu partie des Marcheurs blancs de l’Histoire humaine. Mais ce sont des marcheurs blancs, côté victimes et vaincus. Ils sont donc moins glamours sauf pour les clichés qu’ils nous permettent d’avoir à leur encontre. Et évidemment pour cette peur et cette honte qu’ils suscitent et que l’on veut voir relégué au plus loin. Comme tout étranger, tout migrant, tout SDF, tout déchet, tout marginal ou tout bâtard de la société peut susciter honte et peur à celles et ceux qui sont dans une certaine norme et font partie d’une certaine classe, d’une certaine caste ou d’une certaine race dite « supérieure » qui a « réussi » ou est en passe de  » réussir ». 

Via les Marcheurs blancs, je fais une allusion à la série Games of Thrones pour actualiser le propos en terme de fiction cinématographique car, dans les faits, les Amérindiens, eux, ont été rayés de leur propre Histoire et parqués au delà de murs et dans des réserves qui ne tombent pas. Ce sont plutôt les Amérindiens qui, génération après génération, depuis la dernière victoire militaire indienne en 1876 de Sitting Bull et Crazy Horse contre le Général Custer pourrissent en quelque sorte sur place sur le sol de leurs ancêtres.

 

Dans les bonus du dvd consacré à son « film » The Ride ( La Chevauchée) ,  la réalisatrice Stéphanie Gillard se dit en quelque sorte admirative devant la « résilience » et la « force » des Indiens. Elle s’étonne, aussi, devant leur absence de « colère » après avoir rappelé, entre-autres, l’interdiction qui a frappé les Indiens de pratiquer leurs religions et leurs langues de 1890 à 1970.

Mais elle dit aussi avoir envie de pleurer  » toutes les deux minutes » lorsqu’elle se trouve dans une réserve indienne devant l’injustice imposée aux Indiens. 

 

Dans The Ride, il est aussi fait mention de l’Allotment Act, loi par laquelle les colons européens, ont dépossédé les Indiens de leurs terres.

Encerclés par la puissance militaire et des Lois destinées à favoriser l’appropriation des terres indiennes par les colons, les divers peuples indiens présents sur le sol américain ont vu leur futur bandé par l’expansion et la « née-cécité » du rêve dit américain. Et ce rêve s’est aussi fait en violant des terres sacrées.

 

Dans les bonus du dvd, toujours, la réalisatrice Stéphanie Gillard explique qu’elle a tenu à être autre chose qu’une « énième blanche qui vient filmer des Indiens ». Il est vrai que Stéphanie Gillard a pour particularité d’être une femme blonde, ce qui aurait pu accentuer ce rapport de la «  femme blanche qui vient filmer des Indiens ».

 

Pour conjurer  ça, elle explique être venue rencontrer plusieurs fois au préalable- d’abord sans caméra- les sujets de son documentaire. Elle s’est appliquée à leur montrer des photos qu’elle avait pu prendre d’eux. Son équipe- réduite à deux personnes en plus d’elle- et elle ont partagé au mois de décembre le quotidien de ces Indiens Lakota lors de leur itinéraire en se reposant comme eux, par exemple, au moment des haltes, dans des gymnases.

Et, elle a fait le choix d’exclure les Historiens (souvent « blancs » précise-t’elle également dans les bonus) de son film pour laisser la parole aux Indiens même s’ils se trompent quelques fois en racontant leur Histoire.

 

L’édition Digibook Collector du dvd débute par ces explications :

 

«  En 1890, à la mort de Sitting Bull, le chef Big Foot et trois cents Sioux Lakotas fuient la cavalerie américaine avant d’être tués à Wounded Knee.

 

En 1986, Birgil Kills Straight faisait un rêve réccurent : des cavaliers d’aujourd’hui étaient à cheval sur la piste empruntée par Big Foot dans le Dakota du Sud. Avec Curtis Kills Ree et d’autres membres de la communauté Lakota, il décide de faire cette chevauchée de Bridger à Wounded Knee, et crée le Sitanka Wokiksuye ( Big Foot Memorial Ride).

 

Dix neuf cavaliers et deux véhicules de soutien font ce premier voyage, et le groupe grandit chaque année (….).

 

 

The Ride suit la commémoration de cette chevauchée à cheval effectuée en 1890.

«  Le trajet dure deux semaines et se termine le 29 décembre, date anniversaire du massacre ».  

 

J’ignore s’il faut y voir un signe particulier mais, alors que je dispose de ce dvd depuis plusieurs mois maintenant, c’est hier, ce 29 décembre 2019, un ou deux jours après avoir vu avec elle la fin de la série Game of Thrones,  que j’ai proposé à ma compagne de regarder The Ride avec moi. Je découvre cette coïncidence alors que je suis en train de rédiger cet article pour mon blog balistiqueduquotidien.com.

 

 

Cette chevauchée des Indiens Lakota devait se terminer en 1990. Mais en 1990, « plus de 350 cavaliers viennent, dont certains avec leurs enfants ». Et, ceux-ci souhaitent que cette chevauchée se poursuive. « Cela est normalement impossible après une cérémonie de levée de deuil ».

Devant « l’insistance » des cavaliers, l’événement est « relancé  en 1992 sous le nom de OomakaTokatakiya ( Future Generation Ride).  Le but de cette chevauchée est désormais, en plus de continuer d’honorer la mémoire des Indiens massacrés à Wounded Knee par le 7ème  régiment de la cavalerie américaine, de redonner confiance aux jeunes Indiens et de les aider à rassembler leur identité.

En regardant The Ride, on comprend assez vite ce que cette chevauchée peut avoir de difficile en pratique :

 

« Américanisés » (bonnet de la marque Under Armor, baskets Nike, téléphone portable, passion pour la X-Box ou…le Basket), sédentarisés, plusieurs des participants montent sur un cheval pour la première fois. Et puis, il peut faire très froid pendant cette chevauchée (jusqu’à moins 30 ou moins 40 degrés selon les années) qui consiste à parcourir un peu plus de 450 kilomètres désormais. Il y a quelques chutes. Mais personne ne porte de bombe sur la tête.

 

 

Le titre Buffalo soldiers de Bob Marley m’est alors revenu en tête. Lorsque je l’écoutais dans les années 80, et lorsque plus tard j’ai vu quelques images de sa vidéo, je ne comprenais pas vraiment son sens. Aujourd’hui, je comprends mieux. On est plutôt dans l’esprit du film Glory réalisé par Edward Zwick avec, entre-autres, Denzel Washington. Un film dont le sacrifice « héroïque » de soldats noirs pendant la guerre de sécession ne m’avait pas du tout donné envie de les imiter. Mais avaient-ils le choix ?

 

Par ailleurs, les Buffalo Soldiers auraient participé au génocide amérindien. Ce qui pourrait m’expliquer cette sorte « d’indifférence » ou de distance entre les militants (politiques ou écrivains) noirs aux Etats-Unis avec les Indiens et « l’Histoire » indienne. 

Donc on se retrouve comme Jon Snow avec Daenerys à la fin de Game of thrones. Même vivant, on ne s’en sort pas. On se sent maudit quoique l’on ait pu réaliser de « grand ». On peut donc chevaucher tel Jon Snow les neiges éternelles à la fin de Game of thrones ou comme certains de ces indiens dans The Ride, on continue néanmoins de tomber de très haut. 

 

Dans les bonus, la réalisatrice s’étonne de l’absence de colère des Indiens. Peut-être parce qu’ils sont aussi pacifiques que l’océan du même nom. Le navigateur Olivier de Kersauson parle aussi de cet océan dans un de ses livres.

 

La colère connaît deux expressions principales : contre soi-même ou contre les autres. Celle de Daenerys à la fin de Game of Thrones est malheureusement humaine.  Je la condamne et la regrette depuis ma place assise et confortable de spectateur. Même si j’imagine que d’autres, au contraire, ont trouvé Daenerys «  rock and roll » ou «  Punk », et approuvé totalement son tempérament passionné, libre et entier et face à un Jon Snow qui a pu être considéré comme falot et sans ambition. Il est vrai que pour lui-même, il y a longtemps que l’on n’a plus vu Jon Snow se mettre en colère dans la série Game of Thrones. Mais au moins peut-on le percevoir comme une personne sage même si ce terme peut déplaire et rimer pour certaines personnes avec « couard » ou «  irresponsable ».

 

A l’inverse, l’absence totale de colère de Guillaume Gallienne dans son Les Garçons et Guillaume, à table ! et l’extrême sympathie que cela a contribué à donner à son film m’a empêché, à un moment donné, d’être aussi enthousiaste que d’autres en le voyant. Je lui préfère la colère d’un Patrick Chesnais dans le Je ne suis pas là pour être aimé de Stéphane Brizé ou d’un Luca Zingaretti dans Le jour du chien de Ricky Tognazzi. Mais on a beaucoup moins entendu parler de ces deux films. Et on préfère être en compagnie de celles et ceux qui, lorsqu’ils souffrent, savent se tenir et rester propres.

Et on peut dire que les Indiens de The Ride, eux, savent se tenir. Je partage la plupart des sentiments de la réalisatrice de The Ride pour celles et ceux qu’elle a rencontrés. Sauf que la colère des Indiens a été méthodiquement démantelée par les gouvernements américains successifs. Les Indiens sont aussi, aujourd’hui, en état d’infériorité numérique.

La résignation et la dépression, ça « aide » aussi à se tenir dans son coin. Pour pouvoir être en colère, il faut pouvoir s’appuyer sur la terre. Mais lorsque l’on vit en permanence sur la pointe des pieds tout près du vide, ou carrément dans le vide,  notre colère manque d’air pour s’agripper et s’exprimer.

Le film donne la priorité à la vertu thérapeutique de cette chevauchée. On n’y parle donc pas de l’alcoolisme, de l’usage d’autres drogues ou d’actes de violence ou d’abus condamnés par la Loi ( à part un père pour avoir fait brûler sa maison ). Mais dans les bonus du dvd, lors de son interview, la réalisatrice nous apprend que deux ou trois personnes présentes dans le film se sont suicidées depuis. Parmi ces personnes, un des jeunes donné en exemple à la fin du film qui avait déja participé à plusieurs de ces chevauchées et qu’elle nous décrit comme étant pourtant quelqu’un de « joyeux ».

Lors de The Ride, nous voyons bien quelques hommes abimés ou obèses et l’on se doute que certains des jeunes que nous voyons font plutôt partie, à l’école, des derniers de la classe. Mais la ténacité et l’humour veillent :

 

«  Ils ont perdu Dieu et croient qu’on l’a volé ». «  Tu sais pourquoi ils ont envoyé l’homme sur la lune ? Parce qu’ils ont cru que les Indiens y avaient des terres ».

 

Des Indiens ont engagé des poursuites judiciaires contre les Etats-Unis. Cela a duré des années. La cour suprême a donné raison aux Indiens. En compensation, la Cour suprême a proposé des indemnités financières. Les Indiens, eux, réclamaient leurs terres et non de l’argent. Comme le dit l’un des protagonistes de The Ride :

 

« Ils n’ont jamais pris le temps de nous écouter ».

 

 

Franck Unimon, lundi 30 décembre 2019.

 

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Cinéma

Qu’un sang impur…

 

Actress, Linh-Dan Pham.

 

                                                Qu’un sang impur….un film d’Abdel Raouf Dafri. 

 

 

 

 

« Donne-moi la bonne clé ».

 

C’est ce que demande le colonel Andreas Breitner (l’acteur Johan Heldenbergh), « ancien » de la Guerre d’Indochine, à Soua Ly-Yang ( l’actrice Linh-Dan Pham), femme du peuple Hmong, qui semble son reflet autant que sa compagne. Plus tard, Soua Ly-Yang expliquera à la jeune résistante algérienne, Assia «  Bent » Aouda ( l’actrice Lyna Khoudri) qu’elle a accepté de suivre le colonel Andreas Breitner et l’armée française car :

 

« Les Chinois et les Vietcongs ne nous aiment pas ! ».

 

Mais avant de voir cela, le premier long métrage d’Abdel Raouf Dafri se sera ouvert dans l’Algérie «française » de 1960. Oui, « ouvert ». Si à première vue, Qu’un sang impur cherche la clé qui pourrait permettre à l’Algérie et à la France de mettre un terme à leur carrière guerrière, le film a cette ambition universelle qu’un poète – dont j’ai, pour l’instant, oublié le nom- avait un peu résumé par cette phrase :

 

« Délivre-moi de la nuit de mon sang ».

 

Plus militaire que poète, Le colonel Andreas Breitner, lui, n’oublie pas ses guerres, sortes de terres «no-limit » auxquelles il a survécu. Mais celles-ci l’ont vaincu et le tiennent entre deux frontières :

 

Il subsiste à l’état civil mais à l’étouffée. Par contre,  il retrouve son envergure dans le conflit de l’Algérie qui n’est pourtant pas « sa » guerre. Même si les guerres ont souvent plus d’héritiers que de propriétaires, c’est peut-être dans cet envers du décor, ou ce revers de sa médaille, qu’il peut le mieux se refaire. Ce qui est une croyance très courante. Car, face à lui, bien-sûr, il trouvera d’autres «cartes » humaines qu’au fond, il connaît trop bien, quelles que soient leurs dimensions, leur visage, leur âge, leur couleur, leur religion ou leur sexe. Puisque la guerre, qu’elle accroche son souffle en Algérie ou ailleurs, transporte les êtres vers les mêmes erreurs promises et sert aussi de révélateur :

 

Actor, Salim Kechiouche.

 

 

Ainsi, le leader Mourad Boukharouba (l’acteur Salim Kechiouche, qui étonne encore après son rôle dans Mektoub My Love de Kechiche) d’abord héroïque, insère ensuite une intransigeance qui le rapproche du fanatisme ou du souvenir d’un meneur peut-être à l’image du colonel Amirouche, Terreur de l’armée française lors de la guerre d’indépendance de L’Algérie. ( le colonel Amirouche a été abattu en mars 1959 pendant la guerre d’Algérie PS : lors de son interview, Abdel Raouf Dafri me détrompera. Il m’expliquera en effet que Boukharouba était le surnom de Boumédienne, dirigeant de l’Algérie indépendante entre 1965 et 1978. Voir l’interview Interview en apnée avec Abdel Raouf Dafri ).

 

De son côté, le sergent-chef Senghor arabophone, lui, (l’acteur Steve Tientcheu), pourrait dire :

 

« Les Arabes et les Blancs ne m’aiment pas… ». Soit le prolongement de la thématique du racisme dont Soua Ly-Yang ( l’actrice Linh-Dan Pham) est la victime après, « bien-sûr », les Arabes et les musulmans dans l’Algérie coloniale de l’époque. Nommer ce personnage Senghor est sûrement une référence à la Négritude et à l’indépendance du Sénégal dans les années 60, histoire commune avec l’Algérie et tant d’autres pays et cultures. Ainsi qu’à la capacité culturelle de l’Afrique noire. Pourtant, le mot -vautour«  Négro » sera prononcé ( au lieu du terme « Karlouche », ce qui m’a beaucoup étonné) contribuant à donner l’occasion à l’acteur Steve Tientcheu d’avoir une stature un peu comparable à celle du personnage de Wallace Marcellus dans le Pulp Fiction de Tarantino. Et Abdel Raouf Dafri de rappeler que, oui, même en France, un acteur à peau très noire, cela peut être très cinématographique.

 

On parle de Senghor dans les années 60. Mais le film cite aussi Camus. Et si l’on parle de Camus, à l’époque, on est aussi obligé de parler de Sartre. Car plusieurs des caractères de Qu’un sang impur semblent incorporer les positions de ces deux intellectuels de référence à l’époque qui furent d’abord amis puis rivaux en raison de leurs avis divergents à propos du conflit entre l’Algérie et la France. Mais vidons rapidement tout malentendu de cet article concernant Camus et Sartre :

 

Qu’un sang impur compose plusieurs des codes du film d’action. Par moments, on est même dans le genre du Western. Il y a aussi un peu d’humour ( noir et serré, bien-entendu).

Le film évoque Camus- et Sartre par opposition- en évitant la démarche paludéenne de la dissertation scolaire. Dans Qu’un sang impur… on est entre la possibilité d’accorder sa «miséricorde » ou de choisir d’avoir…les mains sales. Voilà pour Camus et Sartre.

 

Actor, Johan Heldenbergh ( Left); Actor, Olivier Gourmet (Right)

 

 

En tant que film, si l’on peut à peu près situer Qu’un sang impur en tant que production française entre le Indigènes de Bouchareb et Les Misérables de Ladj Ly, le personnage du colonel Delignières (l’acteur Olivier Gourmet) devrait aussi facilement réussir à rappeler à quelques uns le colonel Kurtz joué par Marlon Brandon dans Apocalypse Now. Mais Gourmet ne singe pas Marlon Brandon : Nous sommes bien en Algérie et pas chez Francis Ford Coppola lorsqu’il « apparaît ». Et sa prescience du jeu combinée à celle des autres acteurs et de plusieurs idées de mise en scène permettent à Qu’un sang impur… malgré plusieurs « flottements », de mettre devant nos yeux des petits miracles.

 

 

Défendre la vie avec des cendres. En nous rappelant en 2019,  l’influence de la pensée et de l’engagement d’un Camus ou d’un Sartre, Qu’un sang impur nous dit peut-être aussi que les intellectuels d’aujourd’hui ressemblent davantage à des mannequins  sublimés par leurs marges bénéficiaires. Et il nous parle peut-être aussi d’un penseur comme René Guénon qui, en 1946, écrivait La Crise du monde moderne , livre dans lequel il affirmait par exemple :

 

« Un des caractères particuliers du monde moderne, c’est la scission qu’on y remarque entre l’Orient et l’Occident ».

 

Parler du sang et faire parler le sang versé et emmuré dans la société française. Assez peu de productions s’encordent à ce genre de sujet dans le cinéma français afin de montrer leurs effets indésirables  (pour qui ?) sur la France d’aujourd’hui.  Car comme le montre une scène du film Qu’un sang impur :

 

«  Attention, mines ! ».

 

Plutôt que de détourner la tête et de remettre à demain l’opération- vaste- de déminage de la société algérienne et française, Abdel Raouf Dafri, a choisi avec son premier film de réalisateur de monter en première ligne.

 

Actor, Steve Tientcheu ( Left); Actress, Linh-Dan Pham; Actor, Pierre Lottin; Actor, Johan Heldenbergh ( Right).

 

Qu’un sang impur…sera dans les salles de cinéma à partir du 22 janvier 2020.

 

QUUN-SANG-IMPUR_TEASER_HD_H264_VFSTF

 

J’avais introduit cet article avec l’article Projection de presse . Mais on pourra également compléter sa lecture avec l’article Les misérables 2ème partie . 

Ainsi qu’avec l’article Journal 1955-1962 de Mouloud Feraoun

Franck Unimon, ce vendredi 13 décembre 2019.  

 

 

 

 

 

 

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Projection de presse

 

 

                                           Projection de presse

 

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il est très rare que je me rende à la projection de presse d’un film, un bon mois avant sa sortie en salles, avec l’une des sœurs du réalisateur. Habituellement, je n’ai pas de lien personnel direct ou indirect avec les auteurs et les acteurs de ces films que je vois à part le fait d’avoir pu croiser , quelques fois, quelques unes ou quelques uns d’entre eux . Cette fois-ci, c’est différent.  

Le film, Qu’un sang impur…sortira le 22 janvier 2020. Il a été réalisé par Abdel Raouf Dafri qui s’est fait connaître en tant que scénariste des films Un Prophète ( 2009), Mesrine ( 2008) mais aussi, par exemple, pour la série Braquo ( à partir de 2011). Je parle ici des œuvres cinématographiques auxquelles il a participé et que j’avais vues à leur sortie. Ma préférence va à Un Prophète  (j’aime le cinéma d’Audiard depuis Regarde les hommes tomber) et aux deux Mesrine.

Quinze ans plus tôt, peut-être plus, j’ignorais qu’un jour je serais dans cette situation. Pourtant, maintenant que ça me revient, j’ai déja connu ce type de situation un peu invraisemblable :

Deux fois en faisant un stage dans le service de réanimation où ma mère travaillait comme aide-soignante. Une fois aux urgences psychiatriques, en voyant débarquer en tant que patient, un de mes amis de promo qui m’avait raconté sa fuite de l’Iran après une marche éprouvante guidée par un passeur. Une autre fois encore, dans un service d’hospitalisation psychiatrique, où infirmier intérimaire, j’étais tombé nez à nez avec un de mes anciens camarades de lycée, également patient, alors qu’une collègue infirmière titulaire,  devant les images télé de la guerre du Golfe et de Saddam Hussein avait lancé :

« Mais qu’ils leur foutent une bombe ! ». 

 

 

Je reproche à la série Braquo – que j’ai aimée regarder- son côté un peu trop « clinquant » (pourtant, j’aime les films d’Oliver Marchal) mais aussi d’être arrivée après la série Police District.  Police District est une très bonne série française  que très peu de personnes connaissent (comme la série Engrenages) alors qu’elle était passée en clair à la télé sur M6, je crois, et qu’elle était une bien meilleure gravure sociale que Braquo. Peut-être parce qu’Hugues Pagan, le scénariste de Police District, est d’abord un très bon auteur de polars après avoir été flic. J’ai découvert très récemment, par hasard, qu’Hugues Pagan était né en Algérie. Ou peut-être l’avais-je oublié…

 

Tout cela, je l’écris pour moi- comme tout ce que l’on écrit d’ailleurs- parce-que cela me fait du bien et que j’en ai visiblement besoin même si, fondamentalement, ça n’apporte rien a priori. Sauf, peut-être, pour reparler du hasard de la vie. Je suis aussi très attaché au hasard. Et, comme le dit le marabout Papa Sanou au jeune « faussaire » Armand (dans le très bon film, Seules les bêtes de Dominik Moll, actuellement en salles) :

 

«  Le Hasard, il est plus grand que toi ! ».

 

 

Une scène du film  » Qu’un sang impur… » avec, au premier plan, l’acteur Steve Tientcheu, la jeune « Chahida », l’actrice Lyna Khoudri, l’acteur Johan Heldenbergh, l’actrice Linh-Dan Pham puis l’acteur Pierre Lottin.

 

 

Il est très rare aussi qu’en me rendant à une projection de presse, je sois autant en avance (d’une bonne demie heure) et que je m’entretienne un petit peu avec une directrice de casting puis avec un programmateur de salles de cinéma :

 

« Comment devient-on directrice de casting vu qu’il n y a pas d’études spécifiques ? ».

  • Au départ, je travaillais dans la prod comme assistante de production puis un réalisateur m’a demandé de m’occuper de son casting….

 

Sur les Champs-Elysées, ce mardi 10 décembre 2019, après la projection de  » Qu’un sang impur… »

 

Il est aussi très rare qu’en pleine période de grève – très suivie- des transports et d’autres corps de métier, pour protester contre la réforme des retraites décidée par le gouvernement, je discute (toujours avec cette même directrice de casting) de la façon de se rendre (à pied) depuis le 18ème arrondissement de Paris jusqu’à cette projection de presse près des Champs Elysées. A l’entendre, cela lui avait pris trente minutes. Pour avoir effectué le trajet après la projection de Qu’un sang impur… (j’ai mis un peu plus de 90 minutes en prenant mon temps), je me demande encore par où elle est passée et à quelle allure elle marchait, elle qui m’avait dit avoir pris son temps.

 

 

Le programmateur de salles de cinéma, lui, m’a fait le plaisir de me dire que le nom de mon blog, balistiqueduquotidien, lui était familier. Je l’ai fait répéter. A moins d’être très connu ou de savoir attirer des milliers de vues, je crois que le blogueur est une espèce de très courte durée (deux ou trois ans) ou un exploité du clavier performant ses actions sur les réseaux sociaux plus de douze heures par jour, sept jours sur sept. Pour ma durée de vie en tant que blogueur, ma deuxième année a débuté fin octobre, début novembre. Et cela fait à peu près deux semaines que je n’ai rien produit sur mon blog. Deux semaines d’absence sur le net- même s’il est rare que je m’absente aussi longtemps- c’est très long. Mais j’avais d’autres priorités. D’autres conduits vers la vie dont il m’a fallu tenir compte. Et puis, je me rappelle ce matin ce proverbe que je crois asiatique :

 

« Le temps ne respecte pas ce qui se fait sans lui ». 

 

Je ne sais pas encore si ce genre de proverbe s’accorde très bien avec une carrière accomplie de blogueur ou d’artiste. Je ne suis pas très pressé de le savoir même si je trouve par moments que je donne beaucoup de mon temps – et de mon envie- à mon blog et que les retombées, hormis un plaisir immédiat, me semblent encore abstraites :

 

Je suis très très loin des « royalties » des dix mille vues. Je me méfie de plus en plus de cette très forte addiction ou compulsion sociale qui nous pousse à participer (même si j’y contribue également)  quotidiennement à cette activité étrange qui consiste à avoir « besoin » de recueillir son pain quotidien en nombre de « j’aime », de « like »,  de commentaires, de MMS, de mails ou de sms afin de nous sentir, « bien », « mieux » ou « un peu moins seuls ».

 

La spontanéité, bien-sûr, c’est très bien. Dans la vie comme sur le net et via les sms et les MMS. Mais il est néanmoins encore difficile pour moi- même si j’ai bien repéré deux ou trois cliniques qui font ça très bien apparemment- de me transformer en pieuvre et d’étendre mes multiples tentacules en même temps sur le clavier et dans mes diverses actions quotidiennes, personnelles et professionnelles. Aussi, pour l’instant, n’ai-je pas d’autre possibilité que de continuer de prendre mon temps lorsque j’écris pour mon blog et ailleurs. Et d’écrire long. Car inutile de s’installer dans le déni:

 

Si j’aime faire certains raccourcis dans la vie comme dans mes articles, j’écris long pour le net et pour toutes ces personnes qui veulent divorcer rapidement de la lecture leurs yeux à peine posés sur le corpus d’un texte. Moi-même, il est bien des journaux que je lis en zig-zag en me concentrant sur certains articles qui m’attirent d’abord. Et, je sais que j’ai déja plus de livres- et de dvds- à lire et à regarder chez moi que de vie restante.

 

Le caractère personnel de la projection de presse de Qu’un sang impur compte pour moi, je crois, parce que, d’une manière générale, blog ou pas blog, sms ou pas sms, internet ou pas internet, sœur de réalisateur ou pas sœur ( « passeur » ?) de réalisateur, projection de presse ou pas projection de presse, je suis attaché à ce qu’il y a de personnel dans la vie  comme je suis attaché au hasard. On peut le louer. On peut le contester. Je sais pour ma part que je ne suis pas le plus doué en stratégie (je n’ai même pas pensé à donner le nom de mon blog à la directrice de casting ! ), en calcul, comme en économie quels que soient mes atouts. Et c’est peut-être pour ces raisons que je publierai mon article ( j’en ai écrit les premières lignes) sur Qu’un sang impur bien avant sa sortie en salles. Soit ma façon, aussi, d’être spontané et de laisser le hasard décider.

 

Franck Unimon, ce jeudi 12 décembre 2019

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Terminal sud

 

 

 

 

photo issue du site allociné.

 

 

 

 

Deux jours avant la tournée du Black Friday ( + deux milliards d’euros pour Jeff Bezos « d’Amazon», première fortune du monde, lors du Black Friday 2017 selon Le Canard Enchaîné de ce mercredi 27 novembre 2019) , regarder le sixième film de Rabah Ameur-Zaimèche depuis son Wesh Wesh de 2002 à Montfermeil ( où il a grandi) nous donne des allures d’homme de conscience. Scions  cette illusion : même si nous faisons maintenant partie de la petite « confrérie » qui aura vu ce film qui sera beaucoup moins validé que Les Misérables de Ladj Ly ( Les misérables 2ème partie,) nous ferons partie du  gibier dont le galop, dans deux jours, se répandra dans la caverne des clicks et des boutiques.

 

photo issue du site allociné.

 

 

 

Le mal semble incurable. Parce qu’il est étendu et difficile à appréhender. On ne sait pas par quel début commencer.  Comme dans Terminal sud où Ramzy Bédia, dans le rôle d’un chirurgien, a beau soigner à tour de bras, pourtant, partout autour de lui, la gangrène continue de prendre.

 

photo issue du site allociné.

 

 

Dans son Terminal sud tout en résistance, comme dans la plupart des films de Rabah Ameur-Zaimèche, il est difficile de savoir si nous sommes exactement en France ou en Algérie, maintenant. Par contre, nous savons que l’époque est trouble. Que des groupes armés supposés protéger peuvent tuer de manière aveugle. Et que des journalistes, les clairvoyants et parmi les derniers maquisards, sont assassinés ou enlevés.

 

« Du haut de ma potence, je regarderai la France ! » était une partie du chant qui clôturait son quatrième film, Le Chant de Mandrin sorti en 2012. Ramzy Bédia pourrait changer les paroles et remplacer les mots « ma potence » par les mot « ma conscience ». Fils d’un résistant lors de la guerre d’Algérie, sa conscience médicale lui ordonne de continuer de soigner sans faire de tri entre ses patients. Pendant que d’autres, armés, cagoulés ou à visage découvert, tranchent dans le vif. A l’hôpital ou devant un blessé, le « chirurgien » Ramzy Bédia semble toujours savoir quelle décision prendre. Dans la vie, il est dans un état second, davantage le conjoint du whisky que celui de sa femme Hazia (la chanteuse lyrique Amel Brahim-Djelloul, pour la première fois comédienne dans un film). Il peut être plus facile d’affronter les plaies des autres que celles de sa propre vie.  

 

photo issue du site allociné.

 

« Tu es dans notre collimateur ». Lorsqu’il lit en pleine nuit cette menace anonyme, ou cette ordonnance, à son domicile, le chirurgien Ramzy Bédia est seul. Sa femme est ailleurs. On est sans doute toujours seul lorsque l’on se fait menacer. Son ami Moh (l’acteur Slimane Dazi), le lendemain, ressemble à un répit, dans la rue, un jour de fin de marché alors que les éboueurs nettoient la place. Rabah Ameur-Zaimèche prend le temps de filmer le travail des éboueurs. On se demande si c’est pour nous rappeler leur  importance. Son film semble chercher le temps réel entre anachronismes, comédiens plus ou moins amateurs,  « fidèles » de ses films et choix particuliers de mise en scène comme lorsque le chirurgien et sa femme Hazia sont plus tard filmés à contre-jour chez eux.

 

Dans Le Chant de Mandrin, Rabah Ameur-Zaimèche portait secours à un « mourant » qui avait besoin de soins et l’acteur Jacques Nolot faisait partie des résistants. Dans Terminal sud, soigner (tous) les autres ne suffit pas pour sauver sa peau. On peut être un chirurgien engagé et charismatique et être mal entouré. C’est peut-être pour cela que Rabah Ameur-Zaimèche entoure, lui, son film de mystère, un mystère protecteur fait d’une certaine pudeur (la scène à contre-jour entre Ramzy Bédia et Amel Brahim-Djelloul) même si la violence peut aussi transparaître dans toute sa laideur. Un film qu’il fait bien sien en y mettant quelques insignes de ses films précédents (acteur, cheval…)

 

photo issue du site allociné.

 

A la fin, ce film est peut-être l’histoire d’une délivrance. Mais celle-ci s’obtient dans la souffrance et aussi dans la fuite.

 

Franck Unimon, ce mercredi 27 novembre 2019. 

 

 

                    

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Les misérables 2ème partie

 

                                 Les Misérables 2ème partie

 ( suite et fin de Les Misérables )  

 

La salle de cinéma était assez remplie pour cette première séance de 9h10. Je me demandais s’il y aurait du Rap dans Les Misérables, ce genre musical désormais le plus écouté en France chez les moins de 30-40 ans. Le film durait 1h43 (103 minutes). Il n’avait pas encore commencé que je me demandais comment Ladj Ly était parvenu à dire autant en si peu de temps. La durée moyenne des films semble désormais lorgner vers les deux heures. Si l’on pense à première vue au film La Haine de Kassovitz réalisé en 1995 (98 minutes) ou à Wesh Wesh de Rabah Ameur-Zaïmèche réalisé en 2001 ( 83 minutes), son Les Misérables peut sembler « long ». Mais il est plus court que L’Esquive (117 minutes) réalisé par Kechiche en 2004 et dont l’histoire, inspirée également d’un classique de la littérature française, est également transposé dans une cité d’’aujourd’hui. Lequel Kechiche,  par la suite, a contracté une sorte de « tumeur » de la longévité créatrice : son La Graine et le Mulet (2007) percutant ensuite les 151 minutes puis son La Vie d’Adèle (2013), les 179 minutes.

 

On comparera sûrement beaucoup Les Misérables à La Haine mais ce sera une limite grossière d’assigner le film de Ladj Ly au rôle de la « simple » poursuite du film La Haine vingt quatre ans plus tard. Même si les deux films ont des évidents…ronds-points communs. Car on pourrait aussi parler de Un Prophète  (2009, 155 minutes) et de Dheepan (2015, 115 minutes), deux films réalisés par Jacques Audiard que Ladj Ly a sûrement également vu et décortiqué parmi tant d’autres. 

 

Mais reparlons de son film qui a « obtenu » ou « reçu » «  le label des spectateurs UGC ». La première image de son film en couleurs est celle du jeune Issa sortant de son immeuble, recouvert du drapeau bleu, blanc, rouge de la France. Issa est content. Avec des copains de son âge, entre 13 et 15 ans, Issa part sur Paris fêter l’éventuelle victoire de l’équipe de France de Football lors de la finale de la coupe du Monde. La liesse engagée peut d’abord faire penser à celle de la France victorieuse en 1998 et c’est peut-être une astuce maline de Ladj Ly de nous le laisser croire. Mais dans cette image de joie, Ladj Ly délimite très vite le territoire de son cinéma :

 

Au centre, Issa, interprété par l’acteur Issa Perica.

 

Même si Issa et ses potes se rendent sur Paris et qu’on y voit des images joyeuses de la foule sur les Champs Elysées puis au Trocadéro, un plan de quelques secondes sur la gare Raincy-Montfermeil nous informe que l’histoire se déroulera là. Et non dans cette vie parisienne, plutôt bourgeoise et plutôt blanche, surreprésentée dans le cinéma français.

 

La France gagne son match de Foot et l’on entend la Marseillaise. Et, toujours pas de Rap dans le film. On en entendra très peu. A la place, un titre me monte à la tête même si je ne l’entends pas au cours du film : il s’agit du titre Angel du groupe Massive Attack sorti en 1999. Il est vrai qu’Issa est mignon et a une tête d’ange. Depuis, j’ai lu que le prénom « Issa » a une origine hébraïque et arabe, qu’il signifie «  Dieu est généreux » et que c’est aussi le prénom de Jésus dans le Coran. Mais je ne le sais pas en regardant Les Misérables. Par contre, je « connais » l’aspect vénéneux et rampant du titre Angel, qui ne paie pas de mine au départ du groupe Massive Attack puis qui vous accroche à l’angoisse.

 

Je « connais » aussi cette image d’un jeune qui a beaucoup aimé la France puis qui s’en est ensuite  violemment détourné : c’est celle du terroriste Mohamed Mérah dont j’ai appris que lors de la coupe de Monde de Football (de 1998 ?) il était fier de préférer la France à l’Algérie. Alors, d’une certaine façon, peut-être, je comprends que Les Misérables va nous raconter en partie comment une jeunesse peut passer de l’amour pour la France à son rejet pour tout ce qui peut à peu près la représenter.

 

Bien-sûr, au début du film, devant tous ces gens contents sur les Champs-Elysées, on pense aux gilets jaunes. Car c’est « l’actualité » médiatique, chaque samedi, sur les Champs Elysées depuis un peu plus d’un an maintenant. Mais j’ai aussi pensé aux tirailleurs vidés en 1945 du défilé victorieux par le preux Général de Gaulle, l’inamovible référence historique de la fierté militaire et politique française, et dont la décision d’alors a implanté tellement de mal dans la société française. On dira peut-être que la société française – blanche- n’était alors pas prête à recevoir des soldats arabes et noirs et  à les voir marcher avec d’autres sur les Champs Elysées pour fêter la fin de la Seconde guerre mondiale et la défaite de l’Allemagne nazie (antisémite mais aussi raciste, homophobe et anti-communiste). La « mixité » était peut-être un projet de société plus difficile à mener qu’un combat militaire. 70 ans plus tard, on se retrouve à regarder un film comme Les Misérables sur grand écran.  Devant nous, des acteurs jouent les rôles possibles de ces hommes et de ces jeunes  qui ont été vidés du défilé victorieux de la patrie. Or, ils sont encore plein d’énergie et ont des projets. C’est là où intervient la BAC qui, dans LesMisérables, est le seul contact qui reste entre cette banlieue ignorée et la République.

 

Il n’y a ni pit-bull ni éducateur de rue dans le film. C’est étonnant. On dirait que l’ère des pit-bull est passée de mode et que les derniers éducateurs sont partis sans avoir été remplacés.

 

Dans cet écosystème que l’on retrouve aussi dans Do The Right Thing de Spike Lee (1989, 120 minutes) et dans La Cité de Dieu de Fernando Meirelles (2002, 130 minutes)  les trois flics de la BAC qui circulent  (deux blancs pour un noir), malgré leur « pouvoir »,  font aussi partie des misérables. On s’apercevra qu’ils sont aussi prisonniers d’une certaine misère et solitude personnelle, dans des registres différents, comme celles et ceux qu’ils « administrent » et qu’ils sont un « peu » les derniers à le savoir.

 

Même si cela sert d’appui à l’histoire, on peut être surpris par l’évolution rapide du « rookie » interprété par l’acteur Damien Bonnard : même si l’expérience de terrain entraîne aussi le risque d’un excès d’assurance, elle apporte aussi un instinct et un savoir faire dont on s’étonne qu’ils s’expriment aussi rapidement chez le « nouveau venu ». C’est peut-être là où l’on peut voir du cinéma plutôt qu’une vérité documentaire de tous les instants dans Les Misérables ainsi que la persistance d’un espoir dans le regard de Ladj Ly. Ou son souhait que change rapidement la façon dont la BAC peut intervenir par exemple.

 

Alternant humour, clins d’œil (le Ali Boumayé rappelle aussi bien le combat de boxe Ali/ Foreman que le documentaire When we were kings de Leon Gast, 1996, 89 minutes), points de vue, subtilités de langage, éloge d’une certaine folie protectrice (comme dans A Tombeau ouvert de Scorsese, 1999, 121 minutes), Les Misérables est un menu complet :

L’acteur Almamy Kanoute dans le rôle de Salah.

 

 

Islamisme, mafias locales, parents abstraits ou usés, enfance livrée tel un kebab, prostitution, fascination pour le Free-fight (Venum), obsession du buzz et des réseaux sociaux, responsabilité de celle ou celui qui filme avec du matériel de professionnel dans un monde d(a)mateur.

 

Si on appréhende d’avoir du mal à digérer le film, on peut préférer aller voir La Reine des Neiges 2. C’est aussi sur grand écran.

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 24 novembre 2019.    

 

 

 

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Les Misérables

Photo issue du site allociné.

 

 

 

Je devrais être en train de dormir. J’ai assez peu dormi cette nuit comme la nuit précédente. Mais je traîne avant d’aller me coucher. J’ai l’impression que je ne dois pas laisser passer cette journée avant d’avoir écrit.

 

 J’ai vu ce matin, à la première séance, comme je me l’étais promis, le long métrage de Ladj Ly : Les Misérables. Je l’ai enfin vu. Je sais que l’ami Zez en a parlé avant moi sur UrbanTrackz et que ses articles sont bien plus attractifs que les miens. Oui, je le vois très bien au nombre de vues. On parie ? Sourire.

 

Après la séance, je me suis arrêté pour prendre en photo l’affiche du long métrage de Ladj Ly. Elle était entourée des affiches des films J’accuse, Joker, Hors Normes, Le Traitre, Le Mans 66.  Je n’y avais jamais pensé mais d’autres affiches de films  peuvent aussi parler d’un film dont elles entourent l’affiche. Même si j’ai seulement vu Joker  dans cette liste, les films J’accuse, Hors Normes et Joker par leurs titres et leurs sujets qualifient aussi très bien Les Misérables.

Au dessus du titre, l’insigne honorable Festival de Cannes Prix du Jury était là pour attester de la valeur officielle du film de Lady Ly. 

 

Par ailleurs sur l’affiche de Les Misérables, on pouvait lire les constats élogieux de différents média supposés représenter à la fois la diversité et l’unanimité :

 

«  Un film coup de poing » ; «  Un film magistral » ;  «  Un électrochoc » ;   « Sensationnel » ; «  Un film universel ».

 

Ailleurs,  en première couverture d’un hebdomadaire qui avait titré «  Eddy de Pretto, un rappeur d’un nouveau genre », j’ai aussi pu lire «  Ladj Ly dynamite le cinéma ».

 

 

Ces compliments sincères sont bien-sûr très justifiés. Maintenant que j’ai vu Les Misérables,  je ferai également partie de la ronde de celles et ceux qui en diront beaucoup de bien. De toute façon, même avant de le voir, je  faisais déjà partie de cette ronde. J’avais eu de très bons échos par des cinéphiles et des journalistes qui l’avaient vu avant sa sortie de ce mercredi en salles.

 

J’avais aussi un très bon a priori sur Ladj Ly au vu du très peu de ce que je savais de lui. Je me rappelais qu’il avait coréalisé avec Stéphane Freitas le documentaire A Voix haute : la force de la parole que j’avais vu et beaucoup aimé. J’avais ensuite appris qu’il avait réalisé Les Misérables qui allait partir au festival de Cannes.

 

L’acteur Steve Tientcheu. Photo issue du site allociné.

 

Dans Les Misérables, l’acteur  Steve Tientcheu tient le rôle du «  Maire ».  J’avais découvert l’acteur Steve Tientcheu à l’écran pour la première fois  dans le très bon documentaire La Mort de Danton (2011) d’Alice Diop. Je l’avais croisé lors du tournage de nuit du court-métrage Molii (2014) réalisé par Carine May, Mourad Boudaoud, Yassine Qnia et Hakim Zouhani. Puis, je l’avais revu dans le film Qui Vive ( 2014) de Marianne Tardieu.

 

 

A gauche, l’acteur Damien Bonnard. Au centre et derrière, l’acteur Alexis Manenti. A droite, l’acteur Djebril Zonga. Photo issue du site allociné.

 

Dans Les Misérables, l’acteur Damien Bonnard interprète le flic idéaliste qui arrive de Cherbourg mais sans le parapluie magique de Mary Poppins. J’avais véritablement remarqué cet acteur dans la comédie En Liberté (2017) de Pierre Salvadori  où il jouait aussi le rôle d’un flic mais beaucoup plus sentimental. C’est tout. J’ai découvert tous les autres. Ces réminiscences prétentieuses sont insuffisantes à faire de moi un grand connaisseur de ce que raconte Ladj Ly dans Les Misérables.

 

Si je mettais un sous-titre à son film, cela serait  Training Day version BAC …et Le Monde est drône. Pour Training Day, on regardera bien-sûr du côté du film d’Antoine Fuqua avec la paire Denzel Washington/ Ethan Hawk. En regardant Les Misérables, j’ai aussi repensé au livre de Frédéric Ploquin La Peur a changé de camp

 

Ma réserve concernant tous ces éloges officiels à propos de Les Misérables viennent du fait que je me méfie de l’effet  « selfie » et  « sapin de Noël »  qu’amène le « succès » :

 

A peu près tout le monde veut en être et salue le chef-d’œuvre. « Notre » Président de la République aurait été « touché » par le film. C’est sûrement sincère. On peut être libéral et humaniste. On peut étrangler quelqu’un et lui faire du bouche à bouche.

On peut aussi vouloir rassembler et exterminer ou discriminer. 

 

Certaines élites (pas uniquement politiques) ont besoin de voir un film- quand elles le voient- pour découvrir et s’émouvoir devant une partie de leur pays. Pour d’abord schématiser, Les Misérables, cinéma de proximité,  parle de manière documentaire au grand public de certaines banlieues et d’une certaine société française. Il sera peut-être nécessaire que l’équivalent d’un Ladj Ly, féminin ou masculin, réalise un film- en 3D- avec le même succès critique et public sur les conditions de vie et de travail à l’hôpital et à l’école publiques pour que, là, aussi,  des élites politiques, et les autres élites, se déclarent « touchées » et « émues ».

 

 Je me méfie donc du fait qu’une fois le nouvel An arrivé, on range le sapin, les guirlandes et que, à nouveau, chacun referme sa fenêtre ou l’œilleton de sa porte d’entrée ou de son téléviseur et reste finalement solidaire de ses foyers et de sa née cécité.

 

Je me méfie du fait qu’ensuite, il soit attendu de Ladj Ly – et également reproché- qu’il réalise un Les Misérables 2 puis 3, puis 4, puis 5  comme certains de ces films à « succès » : les Taxi et les Fast and Furious par exemple. Parce-que ça fait vendre du pop-corn et des limonades. Parce-que ça donne des frissons.  Nous voilà maintenant pas si loin du sujet du film Le Mans 66.  Même si je me doute que Le Mans 66 , ne serait-ce que du fait de la présence d’acteurs comme Christian Bale et Matt Damon qui savent creuser leurs sujets.  

 

Mais la très bonne nouvelle est qu’au vu du cinéma que reflète Les Misérables et le CV de Ladj Ly, je suis confiant dans sa capacité à nous surprendre. Ladj Ly continuera de tracer son sillon. C’est un saphir qui restera libre. Il ne sera pas un phénomène de cirque qui retournera dans sa cage tel le lionceau dans le film. Il retournera plutôt la cage vers nous comme il le fait très bien- en moins d’une heure cinquante !- dans Les Misérables.

 

Ceci était l’introduction de mon article. Ou peut-être déjà un peu sa conclusion.

Par compromis, je dirais donc qu’il s’agit de la première partie de ma critique du film Les Misérables de Ladj Ly.

Fin de la première partie de cet article. 

Franck Unimon, ce vendredi 22 novembre 2019.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma

Leave no Trace

L’actrice Thomasin McKenzie et l’acteur Ben Foster. Photo issue du site allociné

                                                 Leave no Trace

 

Instinctivement,  et avec un petit peu de chance, pour survivre à une guerre,  il est peut-être nécessaire de préférer sa vie à son âme. Plus tard, où que l’on soit, notre âme saura nous rappeler ce choix : il n y a pas de meilleure proie pour elle que celle ou celui que l’on croît être. Le trauma ou la culpabilité feront alors partie des tomahawks de notre âme. Et nos parcours de reconnaissance, les plus prudents comme les plus sophistiqués, seront plus d’une fois pris de court par la trajectoire de ses tomahawks.  

 

Leave no trace raconte l’histoire d’un père et de sa fille Tom, adolescente. Tous deux ont décidé de vivre en autarcie en pleine nature, dans les Etats-Unis d’aujourd’hui, à l’abri des hostilités du monde urbain contemporain. Ils ont rompu le fil avec la toile d’internet, des réseaux sociaux et des multiples mutations technologique comme avec la toile de Spiderman. Bien que blancs, leur mode de vie est bien plus proche de celui des Amérindiens d’avant l’arrivée des colons européens et du départ du génocide que du mode de vie résiduel des geeks. A les voir aussi bien rôdés  dès le début du film, on comprend que cela fait déja un bail  que ça dure. Pour nous, citadins remorqués par toute une gestuelle industrielle et administrative, leur quotidien sera l’équivalent de vingt fois le sommet de l’Annapurna et de plusieurs générations d’existences à la dure. Pour eux, vivre de cette façon est tout ce qu’il y a- à peu près- de plus normal. Ils ne lisent donc pas les diverses chroniques du site UrbanTrackz et n’en n’entendront sans doute jamais parler. En plus, ils n’ont même pas la radio. Mais quelques livres dont un dictionnaire.

 

Jennifer Lawrence, dans  » Winter’s Bone ». En voyant ce film au cinéma à sa sortie, même si j’avais beaucoup aimé le film, je ne m’attendais pas à ce que moins de cinq ans plus tard, cette actrice connaisse une telle accélération de sa carrière. Photo issue du site allo ciné

 

 

Dans son film Winter’s Bone (réalisé en 2010), déjà, qui avait fait connaître l’actrice Jennifer Lawrence et lui avait ensuite permis en à peu près cinq ans, top chrono, de devenir une actrice oscarisée et remarquable, la réalisatrice Debra Granik, mettait en scène la « relation » de Ree, jeune femme de 17 ans, avec son père. La jeune Ree (l’actrice Jennifer Lawrence, donc), aînée de plusieurs enfants,  vivait dans cette Amérique- blanche- oubliée ou profonde, rurale et régulatrice de ses propres lois. Cette Amérique, dans la forêt des Ozarks, étant l’une des révélatrices et des cicatrices d’un certain inconscient américain.

Au début de Winter’s Bone,  Ree apprenait que leur père, «  ancien dealer », avait mis leur maison en caution et qu’ils  risquaient donc l’expulsion (ça vous rappelle un chouïa  The Hunger Games ?). Cela la décidait à sortir de la maison et à partir à la recherche de leur père parti plus longtemps que d’habitude. Dehors, dans ce patelin de l’Etat du Missouri, la fréquentation de la famille paternelle s’avérait être un danger potentiel parmi d’autres :

 

L’acteur John Hawkes dans  » Winter’s bone » que j’ai plutôt été habitué à voir jouer des gentils garçons. Jusqu’à ce que je le voie dans  » Winter’s bone ». Photo issue du site allociné.

 

Le frère aîné du père ( l’acteur John Hawkes, très bon dans ce rôle et si différent de celui qu’il tient dans Moi, toi et les tous autres de et avec Miranda July, 2005)  étant la version humaine d’un loup très superficiellement socialisé et  pouvant se montrer aussi menaçant que violent.  

 

 

MYAB_05-17_02449.CR2. L’actrice Thomasin McKenzie et l’acteur Ben Foster dans  » Leave no Trace ». Photo issue du site allociné

 

 

 

Dans Leave no trace, la jeune Tom (l’actrice Thomasin Mc Kenzie) et l’acteur Ben Foster vont un peu plus loin dans la relation entre un père et sa fille. Dans une forêt, ils dorment côte à côte dans une même tente en pleine nature à l’écart de tous et entretiennent entre eux la même relation fusionnelle et symbiotique que celles qu’ils fondent avec cet environnement naturel situé aux abords de la ville de Portland, Oregon.  Ils y ont établi leur campement provisoire. On pourrait les voir comme des espèces de babas cool ; comme un père et une fille ayant une relation incestueuse ou comme ces nombreux « évaporés » de la société japonaise qui font partie des déclassés de la société.

 

 

Rambo I
Rambo: first blood
1982
RŽal. : Ted Kotcheff
Sylvester Stallone
Collection Christophel Photo issue du site allociné

 

On pourrait aussi voir ce film comme une déclinaison du personnage de Rambo vivant dans la forêt avec sa fille puisque le type d’entraînement que le père (l’acteur Ben Foster), ancien vétéran de guerre (en Irak ou en Afghanistan ? Ce n’est pas précisé) enseigne à sa fille marche sur ses traces :

 

Leave no Trace.

 

L’actrice Saoirse Ronan et l’acteur Eric Bana dans le film « Hanna » de Joe Wright. Photo issue du site allociné

 

 

L’âge un peu plus juvénile du personnage de Tom par rapport au personnage de Ree rappelle aussi celui de Hanna réalisé par Joe Wright en 2011 avec l’actrice Saoirse Ronan dans le rôle principal face à Eric Bana et Cate Blanchett.

 

L’actrice Thomasin McKenzie dans  » Leave no Trace ». Photo issue du site allociné.

 

Mais dans Leave no Trace, Debra Granik délimite très bien son sujet : on n’est ni dans une relation incestueuse et ni dans un film de Rambo. Et c’est une des nombreuses habilités de son film qui, pourtant, par certains côtés, en tant que réalisatrice, rappelle aussi le cinéma d’une Kathryn Bigelow pour sa capacité à savoir filmer, quand l’histoire le nécessite, un certain mode de contact classifié comme « viril » et « masculin ». Mais  Debra Granik donne plus d’importance aux femmes et à la relation. Kathryn Bigelow est plus portée sur la « castagne ».

 

Une photo tirée du film  » Démineurs » de Kathryn Bigelow. Photo issue du site allociné.

 

 

Démineurs qui donnera l’Oscar en 2010  à Kathryn Bigelow est plutôt un film de « mec » réalisé par une femme. Pendant que dans le cinéma d’un Jeff Nichols (Take Shelter, Mud, Midnight Special), ce sont plutôt des hommes qui, malgré leur sensibilité maternelle et leur vulnérabilité, restent maitres de leur destin en faisant des sacrifices.   

 

 

Dans Leave no Trace, L’intervention des Rangers et leur façon d’entrer en contact, de façon « virile » et « masculine », avec le père de Tom et celle-ci dans la forêt, succède ici à l’intervention  de l’armée américaine ou des des cow-boys du temps de la colonisation des Etats-Unis au détriment des Amérindiens. Sauf qu’ici, le père de Tom, ancien vétéran de l’armée qui a donc sans doute pratiqué ce même genre d’intervention à l’étranger, est ici l’égal de l’Amérindien délogé de son rêve terrestre. Traqué, capturé puis persécuté par un Etat américain qu’il a contribué- comme des milliers d’autres- à maintenir puissant et omniprésent  au delà de ses frontières, le père de Tom se retrouve réintroduit de force avec elle dans ce rêve américain qu’il avait décidé de fuir et dont il a voulu, coûte que coûte, la préserver.

Dans Leave no trace, l’ennemi n’est pas le Noir, le Latinos, l’Homosexuel, le transexuel, le musulman, le Mormon, le tueur en série, le dealer, le proxénète, la bande rivale, le mafieux ni même le marginal ou la femme. Mais bien l’Etat Américain, son consumérisme, et sa norme dominante qui sont ce rêve qu’il entend continuer de perpétuer et d’imposer à marche forcée avec une bienveillance aussi sincère qu’inquiétante à ses citoyens.  

 

Cette bienveillance bien rôdée, bien éduquée, aussi puissante économiquement que psychiquement, est bien entendu un poison invasif aussi destructeur que le glyphosate dans les cultures ou le plastique dans les océans :

 

Tom et son père, comme les Amérindiens, font l’expérience- obligée- de la vie dans une réserve. A partir de là, on « sait » que cette expérience aura des effets contraires et secondaires sur Tom et son père. Et que celui-ci, comme n’importe quel parent devant son enfant devenu adolescent puis adulte, va  bientôt être touché par l’obsolescence malgré tous ses combats et tous ses souhaits pour son enfant. Car ses projets de vie sociale comme ceux proposés par l’Etat américain finissent par tourner dans le vide. Ce vide est fait de mort et de dépression. Face à cette mort et à cette dépression, le père de Tom propose et impose une  marche et une fuite perpétuelle, concrète et nomade dans la nature.  Sur le territoire américain, il est resté ce soldat engagé dans une guerre par l’Etat américain hors du territoire américain quelques années plus tôt et qui continue de chercher à préserver  sa survie.  Cette guerre est un Tomahawk  dont l’impact quelque peu mystique lui a pris sa vie,  lui laissant l’éclat apparemment intact de son corps et de certaines convenances sociales telles que la politesse. Mais les élans chaloupés du titre Natural Mystic de Bob Marley ont malheureusement été largement arrachés par l’implantation d’un lancinant syndrome post-traumatique ou PTSD en Anglais.

 

Cette guerre qui séquestre le père de Tom est une fenêtre aussi impossible à refermer qu’à expulser. Soit tout le contraire de son corps dont la présence sur le sol américain dérange les Lois de l’Etat américain. Son corps sans dérogation peut donc être expulsé ou manipulé par les rangers ou sollicité par les forces sociales qui essaient de le réinsérer dans un bercail (la réserve, un métier imposé) qui est en contradiction avec ses entrailles…mais qui séduit et rassure en partie sa fille, Tom, la moitié saine de ses entrailles, qui est la seule personne avec laquelle son esprit accepte et souhaite encore être relié. Si le professeur Xavier des X-Men était là, il dirait à propos du père de Tom que celui-ci refuse de le laisser entrer dans ses pensées et ses émotions.  

 

 

De son côté, face à la mort à la dépression, l’Etat américain, lui,  propose et impose à ses citoyens, séduits ou forcés, de rester reliés à une fuite perpétuelle, concrète et sédentaire dans le consumérisme et une certaine vie urbaine et connectée. Il faut se rappeler que des citoyens tels que Edward Snowden ou Bradley Manning( désormais Chelsea Manning), considérés comme des traitres à la Nation américaine ou comme des  « lanceurs d’alerte », sont au départ des citoyens américains. Mais aussi des militaires particulièrement compétents dans le domaine informatique.

 

Ce n’est peut-être pas un hasard si un Edward Snowden, par exemple,  hyper-connecté, apparemment plus Geek et plus urbain que nomade, et semblant plus proche de la figure fictive lambda du civil Mr Anderson ( Néo sous son pseudo) dans Matrix (1999) des ex-frères Wachowski (désormais Lana et Lilly) que du père de Tom dans Leave no Trace, est au départ un citoyen américain :

 

Pour parodier un peu les ex-frères Wachowski, Edward Snowden, en étant dans la « vraie vie » un des agents actifs au sein de «  la matrice » des services secrets américains, était particulièrement informé de cette manière dont nous sommes constamment privés de nos libertés individuelles et de nos possibilités réelles de nous épanouir en tant qu’individus malgré les vitrines, les écrans, les selfies, mais aussi les crédits, et les miroirs séduisants et rassurants où nous prenons plaisir à rester captifs pendant des heures, de nuit comme de jour, seuls ou avec nos proches et nos aussi nombreux que «virtuels », réels ou éphémères amis et connaissances.

 

Et, afin de prévenir tout malentendu, il faut aussi voir les religions, les partis politiques, la façon dont on les pratique, certaines associations, sectes, groupes et organismes auxquels on s’identifie comme faisant aussi, potentiellement, partie de ces « vitrines, écrans, selfies et miroirs séduisants où nous prenons plaisir à rester captifs… » car ils nous servent d’antidépresseurs et d’anxiolytiques. Notre mode de vie connecté nous laisse en effet souvent la liberté de  choisir entre une certaine dépression et une certaine parano ambiante avec plein d’ilots de consommation au milieu afin de nous ressourcer.  

 

 

 Dans Leave no Trace, Tom, grâce  aussi aux apprentissages qu’elle a faits aux côtés de son père, a cerné ces miroirs aux alouettes. Ceux de la société américaine ainsi que ceux de son père, qui se révèle, malgré ses extraordinaires compétences pour la survie, être une sorte de petit poucet, incapable de se retrouver un foyer. Parce-que ses plaies sont devenues son véritable foyer. Et Tom a compris qu’elle ne pourra pas l’aider davantage à se séparer de ce foyer.  

 

On pourrait reprocher au film d’être une apologie idéalisée du mode de vie survivaliste car il est vrai que Debra Granik nous montre une vision plutôt apaisée et « peace and love » de cette tendance.  L’argent est ici délaissé ou seulement utilisé ponctuellement lorsque l’on doit en repasser, furtivement, par le « continent » de la société de consommation qui ressemble alors à une gigantesque étendue délétère.  La priorité est donnée à l’entraide,  la spiritualité, la tranquillité, l’acceptation des autres et à la cohabitation avec la nature.

 

 

Tom est aussi une de ces ados « modèles » que le cinéma nous pond régulièrement. Même si Leave no Traceappartient plus au cinéma d’auteur ou dit indépendant qu’au cinéma grand spectacle. On peut concevoir que sa relation privilégiée avec son père, faite d’affection réciproque, alors que tant d’enfants souffrent de l’absence et du manque de complicité avec leurs parents, puisse expliquer une telle harmonie. Mais, en général, dans la « vraie vie », lorsque l’on vit vingt quatre heures sur vingt quatre, en exclusivité avec celles et ceux qu’on aime, même à l’air libre, on finit par se créer quelques embrouilles à deux balles. Alors, on en déduira que Debra Granik a voulu adoucir un peu  l’histoire suffisamment chargée comme ça.

 

Car Leave no Trace est peut-être un titre trompeur.

 

Après la guerre contre les Anglais pour obtenir son indépendance, après la traite Négrière et les Etats esclavagistes, après le génocide des Amérindiens, l’Etat Américain, Première puissance mondiale, semble incapable d’enrayer sa marche guerrière hors de ses frontières comme à l’intérieur de ses terres. Ses citoyens mutilés, lynchés, déportés,  massacrés et oubliés en sont les multiples traces.  

 

 

Cet article a été rédigé avec une pensée particulière pour Aude et Pierre.

 

 

Franck Unimon, lundi 18 novembre 2019.

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Cinéma

Ad Astra

Photo issue du site Allociné.

 

 Ad Astra, un film de James Gray.

 

A travers ce nouveau film de James Gray, il y a au moins deux histoires : celle du cinéma qui réplique à l’infini des histoires qui ont enchanté nos aînés cinéphiles- avec d’autres acteurs- et que l’on nous a plus ou moins racontés ou que l’on a aperçus. Et celle de l’Humanité qui, pour différentes raisons, souvent du fait de ses carnages et de ses naufrages intérieurs et extérieurs, s’oblige à chercher une meilleure vie dans un au-delà. Pour accéder à cet au-delà, l’Humanité est prête à commettre d’autres crimes et d’autres horreurs tout en prétextant que c’est pour avancer et pour faire évoluer l’Humanité.

Pour accéder à un autre cinéma, James Gray est prêt à s’engager derrière d’autres films réalisés par d’autres dont il connaît sûrement chaque plan par cœur.

 

Il y a au moins du Apocalypse Now (Francis Ford Coppola en 1979) dans Ad Astra. Mais Brad Pitt a remplacé Martin Sheen et Tommy Lee Jones (cela aurait pu être Nick Nolte) est ici le Marlon Brando du nouveau film de James Gray. On parlera sûrement aussi de Stanley Kubrick, Terrence Malick….

James Gray est un réalisateur cultivé et multi-médaillé. Dans l’alcôve des cinéphiles, les films de James Gray sont fait de ce cuivre que bien des regards seront toujours prêts à polir alors on le suit dans ce film qui est bien le sien quelles que soient les œuvres qui l’on précédé et qui ont pu l’inspirer.

 

 

Brad Pitt est ici un super-héros américain de plus qui traverse  son Vietnam, son Afghanistan, son Algérie, son Rwanda, son Irak ou sa Syrie intérieure et antérieure ( sa furie mystérieuse) tout le long du film pour trouver et rejoindre- peut-être-  ce père (Tommy Lee Jones), astronaute pionnier et autre « héros », parti s’établir dans l’espace en abandonnant femme et enfant (le personnage de Brad Pitt alors qu’il avait 16 ans) et que beaucoup décrivent comme étant une étoile morte.

 

Entre la mémoire de celle ou de celui qui nous a abandonné et l’espoir de le retrouver intact dans le corail intergalactique, mais aussi qu’il nous guérisse de notre naufrage moral, il existe bien des récifs et des rencontres qui nous dévient ou cherchent plutôt à nous forcer à changer de sujet. Brad Pitt, homme mûr quitté par sa femme (Liv Tyler), épuisée de son absence, connaît tout ça dans Ad Astra.

 

Le film est-il réussi ? S’agit-il d’une singerie facticement métaphysique ? Tommy Lee Jones est une étoile moindre que Marlon Brando, ça c’est sûr. Néanmoins, ce film est un fruit mur que James Gray nous tend et que l’on aurait tort d’ignorer même si on peut lui reprocher, un petit peu, de ne pas assumer assez la fin de son film comme s’il avait hésité entre une conclusion à la Gravity et la fin fracassante (de l’Humanité ?) que sa conscience lui a pourtant, sûrement, maintes fois commandée au vu de sa filmographie mais à l’imminence de laquelle il continue de se dérober. James Gray n’est pas un réalisateur de commande, c’est certain. Et, nous, on en redemande.

 

Plus bas, il y a un article à propos d’un autre film. Oui, le titre initial Ad Astra de cet article ne le laisse pas supposer. Et alors ? Il y a même ensuite un autre article sur un troisième film. Vous verrez, c’est court et rapide à lire. 

 

                                                           

 

Photo issue du site allociné.

 

 

 

Papicha , un film de Mounia Meddour

 

 

 

Dans l’Algérie des années 90 du terrorisme religieux et du couvre-feu,  une génération après la guerre de la libération, Nedjma ( l’actrice Lyna Khoudri)  est une brillante étudiante et une couturière douée. La nuit, avec une de ses amies, Nedjma prend la mesure de sa jeunesse :

 Elle fait le mur, se maquille, fume et se rend en boite de nuit -en taxi- où elle vend ses robes à des algéroises aisées. Cela, aussi, grâce aux backchichs qu’elle donne au gardien de la cité universitaire qui pourrait être son père et qui fait l’aveugle lorsqu’elle sort et rentre au petit matin.

 

Les étoiles de Nedjma sont son pays et cette vie qu’elle veut faire défiler par ses doigts dans ses robes. Mais l’avenir de Nedjma et de ses amies se coud de plus en plus dans la toile d’araignée grandissante de l’intégrisme religieux.

 

Nedjma doit apprendre en grandissant que ce pays dans lequel elle a grandi est devenu, pour elle, un pays rêvé dont le seul succès véritable, c’est la tombe et le sang. Mais incapable de se laisser convertir par cette pénombre, elle s’oppose au renoncement. Contrairement à un Brad Pitt dans Ad Astra, Nedjma n’a pas d’autre planète où espérer se panser en compagnie d’un père éventuel. Même si, pour elle aussi, l’amour est une déroute. Patriote jusque-boutiste, Nedjma et ses amies sont menacées par celles et ceux qui s’estiment les plus purs et les plus justes tandis que d’autres, « justes » opportunistes, en profitent pour faire des affaires ou pour obtenir par la force ou le chantage ce que les lois de la paix réprouvent.

 

Le film  Papicha nous met devant les yeux ce « passé » de plus en plus présent pour lequel certains héros et martyrs sont prêts à mourir afin d’en faire notre futur et notre résidence principale. Ce n’est plus le rêve américain et mégalo dont le personnage de Tommy Lee Jones, dans Ad Astra, incarne l’impuissance devant la vie mais le rêve du suicide pour tous.

 

 

Photo issue du site allociné.

 

Terminator : Dark Fate un film de Tim Miller.

 

 

 

Après avoir vu Papicha, il fallait bien sortir de la tombe et remonter la pente. Terminator : Dark Fate est fait pour ça. Même si dans les Terminator, l’avenir est très sombre, on sait que cela va bien se finir à un moment donné pour les héros. Pour les autres, celles et ceux qui font partie du décor, hé bien, ils font partie du décor. Donc, il faut bien qu’ils servent à quelque chose, à mourir par exemple, afin de rendre la menace crédible et pour que nos héros gagnent du relief et nous étonnent. Et puis, on ne va quand même pas plaindre tous ces gens qui se font éclipser dans le film :

Ils sont payés pour ça car c’est du cinéma.

 

Donc, en allant voir Terminator : Dark Fate, on ne va pas (trop) plaindre les victimes. De toute façon, les héros font très vite leur deuil de leurs proches. Le stress post-traumatique est vite éliminé chez eux. Là où beaucoup de personnes resteraient prostrées, se feraient sur elles et seraient incapables de s’alimenter ou d’avoir une conversation sérieuse ( sur le résultat du prochain match de Foot par exemple), là, on a affaire à des vrais soldats qui ne se plaignent jamais et encaissent très bien les coups durs. Même sans entraînement comme c’est le cas de Dani Ramos (l’actrice Natalia Reyes) qui, cette fois-ci, doit être protégée.

 

Car dans Terminator : Dark Fate l’intrigue est devenue encore plus féministe qu’à l’origine. Trois héroïnes pour un héros. Ça donne bien-sûr de la nouveauté. Trois femmes et, pourrait-on dire, trois types de femmes :

 

Sarah Connor (l’actrice Linda Hamilton) une vieille blonde très masculine.  Grace (l’actrice Mackenzie Davis) une (grande) femme blonde augmentée à la Ghost in the shell ou empruntée à Blade Runner (il y a bien des prêts de joueurs entre clubs de Football)  mais en plus humaine et en plus friable. Et Dani Ramos, une Latinos qui va se découvrir l’héroïne d’une histoire dans un pays ou le Président américain actuel (Trump) qu’elle ne connaît pas et qui n’est jamais cité en veut à son peuple de l’autre côté de la frontière.

 

Même le méchant (l’acteur Gabriel Luna) a un physique de Latinos. Schwarzie, lui, vieillit bien (72 ans) comme souvent. Et en voyant le film, je me suis dit que cela allait nous faire tout drôle lorsqu’il allait disparaître pour de bon. Parce qu’à force de l’avoir vu dans Terminator et revenir, surtout, plusieurs fois dans Terminator, je suis sûr que nous sommes des millions à désormais croire que cet homme est indestructible car il a toujours été là sur nos écrans. Avant Trump. Avant Daech. Avant Bachar El Assad. Avant Poutine. Avant les gilets jaunes. Avant Macron. Ça va nous faire tout drôle lorsqu’il sera parti pour de bon. Alors on profite bien de son humour dans Dark Fate car c’est lui qui en transporte le plus tout en nous parlant des Etats-Unis et de leurs rapports aux armes à feu. Terminator/Schwarzie a aussi une certaine vision- drôle- de la vie de couple.

 

Mais ayons un mot tout particulièrement pour l’actrice Linda Hamilton qui rempile dans le film à près de 70 ans ou peut-être plus (63 ans dans les faits : pourvu qu’elle ne lise pas mon article). Oui, elle a vieilli. Mais quelle vieille ! On ne la trouvera pas à l’EHPAD, elle. Ou alors, c’est elle qui dirigera le personnel et lui fera faire des pompes (à insuline ou à héparine).

 

Les actrices Linda Hamilton et Dani Ramos. Photo issue du sité allociné.

 

Cependant, un détail en particulier me retient lorsque je repense à Linda Hamilton dans le film :

J’ai plutôt entendu dire qu’avec la ménopause, les femmes devenaient de grandes candidates à l’ostéoporose et aux fractures. Dans Dark Fate, l’actrice Linda Hamilton (Sarah Connor) se fait brutaliser plus d’une fois par le Terminator létal ( l’acteur Gabriel Luna). Et elle n’a pas une fracture. A peine un petit bleu. Même pas un œdème ou une varice qui explose. C’est un indice : Linda Hamilton, aussi, nous survivra. Et, c’est tant mieux.

 

Lorsque nous serons morts, nous la laisserons, elle et Schwarzenneger/Terminator s’expliquer avec les intégristes qui ont fait tant de mal à Nedjma et ses amies dans Papicha. En espérant qu’outre-tombe, il y ait des écrans plats partout avec beaucoup de bons programmes télés, avec des bons films, des bons documentaires, des bons débats et une bonne télécommande. Mais sans la pub. La pub, ça attire les vers et après ça, on ne peut plus rien voir jusqu’à ce que le programme reprenne.

 

Franck Unimon.