Catégories
BD ou Bulles dessinées

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinée ? Cela a de quoi faire rigoler. Mes premières bandes dessinées n’avaient rien d’aussi révolutionnaire même lorsqu’elles devinrent fantastiques. Mais cette bande dessinée n’a rien de rigolo.

 

Celle de Frédéric Ciriez et Romain Lamy, parue en 2020 aux éditions de la Découverte, raconte la rencontre en Italie entre Fanon – déjà atteint de la leucémie dont la lave l’emportera dans un hôpital américain-  et Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann.

C’est à dire quelques mois avant la mort du révolutionnaire, psychiatre, écrivain et penseur martiniquais.

Au début, en apprenant que cette bande dessinée se « résumait » à cette partie de l’existence brève et très intensive de Fanon (celui-ci est mort à 36 ans), j’ai été un peu frustré qu’on la ramène « encore » à Sartre et à Simone de Beauvoir.

 

Lanzmann, le réalisateur de La Shoah, l’ancien résistant, l’écrivain et l’amant durant plusieurs années de Simone de Beauvoir, a permis cette rencontre entre Fanon (qui la réclamait) et Sartre :

« Dites à Sartre que je pense à lui chaque fois que je me mets à ma table de travail… ».

 

Il faut être vieux, féministe, Juif, Africain, Antillais ou s’intéresser un peu à l’Histoire et à la guerre d’Algérie pour avoir entendu parler de Fanon, Sartre, Beauvoir et Lanzmann. Ou c’est peut-être un fantôme qui revient.

 

Fanon est mort en 1961.

 

Si Frédéric Ciriez, né en 1971, est assez « vieux », sa naissance à Paimpol ne fait pas de lui un Africain ou un Antillais à première vue. Et, pour Romain Lamy, le dessinateur, c’est encore « pire » car il est né à Grenoble en 1982, le « jeunot » !

 

Et, il faut suffisamment aimer lire des bandes dessinées pour découvrir Frantz Fanon de Frédéric Ciriez et Romain Lamy. Une bande dessinée assez imposante dont il « faut » tourner les plus de deux cents pages, impossible à faire rentrer dans sa poche contre son smartphone et plus lourde qu’une tablette tactile.

 

Pourtant, en France, la bande dessinée, sous toutes ses formes, se porte bien. C’est un monde que je vois de très très loin depuis des années. Car bien lire prend du temps et il y a tant à lire.

Fanon est un nom qu’aujourd’hui à l’époque de Béyoncé, Rihanna, Billie Eilish, Dua Lupa, Booba, Aya Nakamura, Niska ou Tiakola, beaucoup ne connaissent pas du tout. 

 

Il y a les nostalgiques et les quelques « spécialistes » qui voient bien ou un peu qui a pu être Fanon tout en dansant par ailleurs sur le dernier tube de Rihanna, Dua Lipa ou Niska.

Au spot 13, novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Et puis, il y a le plus grand nombre qui n’a jamais entendu parler de Frantz Fanon.

 

La salle ovale de la Bnf Richelieu, en octobre 2022, à la fermeture. Photo©️Franck.Unimon

 

Dans la salle ovale de la Bnf Richelieu, en plein Paris, à la fin de l’année dernière, en 2022, j’avais dû épeler plusieurs fois le prénom et le nom de Frantz Fanon à une des bibliothécaires afin qu’elle effectue des recherches pour trouver la bande dessinée de Ciriez et de Lamy. Lorsque l’on sait que Frantz Fanon était un très grand lecteur, du type « supersonique », et qu’il aurait sans aucun doute aimé fréquenter ce genre d’endroit, on peut se dire que l’univers de la Culture et du Savoir peut beaucoup manquer de mémoire et connaître des très grands ratés.

Car Fanon, avec Aimé Césaire et Edouard Glissant, fait partie des premières personnalités noires et antillaises à avoir faire connaître la Martinique dans le monde  depuis l’abolition de l’Esclavage en 1848. 

 

Sauf que Fanon, du fait de son engagement auprès du FLN algérien durant la guerre d’indépendance contre la colonisation française (« L’Algérie, c’est la France ») et de ses écrits en faveur d’une violence armée émancipatrice et « thérapeutique » car décolonisatrice et promettant l’avènement d’un homme (et d’une femme) nouveau et libre a beaucoup crispé.

 

Fanon, en France, a donc été « oublié » par l’Histoire officielle alors que son nom peut être très connu à l’étranger, aux Etats-Unis ou en Afrique. C’est la raison pour laquelle la bande dessinée de Ciriez et Lamy est importante car elle rend plus visible et plus facilement accessible une partie de la vie de Fanon. On peut la voir comme un « prolapsus » de l’Histoire. Par ailleurs, l’écriture du projet a été aidée « de près ou de loin et parfois de manière informelle ou indirecte » par des proches de Fanon, incluant aussi bien ses enfants que des personnes qui l’ont connu mais aussi des personnes qui se sont intéressées à son Histoire. Ce qui la rend encore plus légitime.

 

C’est une très grande histoire que celle de Fanon.

 

La rencontre avec Sartre-Beauvoir-Lanzmann débute en aout 1961 en Italie. ( Fanon et Lanzmann avaient auparavant fait connaissance en Tunisie). Elle durera quelques jours et marquera le trio. 

Fanon décédera aux Etats-Unis le 6 décembre 1961. L’Algérie, pays pour lequel Fanon s’est engagé et dont il est alors l’ambassadeur après avoir été le porte-parole du FLN, deviendra indépendante en mars 1962.

 

Dans cette bande dessinée, on voit un homme enchevêtré dans sa cause mais aussi dans son idéal. Un homme lancé à pleine vitesse et à pleine puissance malgré le fait que son vaisseau, son propre corps, n’arrive plus à suivre les trajectoires et les buts qu’il s’est fixé.

 

« Je n’aime pas les gens qui s’économisent » peut dire Fanon dans les premières pages de cette bande dessinée. On peut dire que Fanon aura passé une bonne partie de sa vie auprès de personnes qui ne s’économisent pas. On comprend que plusieurs années après sa mort, celles et ceux qui l’ont connu, observé, côtoyé  ou affronté, se rappellent encore de lui. Mais celles et ceux qui se sont servis de lui ?

 

L’ouvrage de Ciriez et Lamy montre bien que si Fanon happe son entourage de par sa sincérité et ses connaissances qu’il est bien moins ou de moins en moins le maitre et l’architecte de ce qu’il souhaite et prévoit. Attablé à forger son utopie, on le dirait entouré de mains habiles toutes contentes de se servir de sa matière grise en lui laissant la bile de désillusions grandissantes et à venir.

 

En lisant, je me demande comment Fanon  a pu encore croire en la révolution algérienne après l’assassinat d’Abane Ramdane. Il a dû fournir un effort surhumain pour y parvenir. Ou refuser par orgueil de se faire contredire par les faits. Ou, peut-être, comme certains joueurs pathologiques, mais magnifiques, être victime de ses propres croyances erronées ( Marc Valleur nous parle du jeu pathologique ). Et, Sartre, De Beauvoir et Lanzmann, des personnalités de premier plan engagées et capables de prendre des risques, au cœur de l’action et de l’Histoire, ne pouvaient qu’être captivées par Fanon qui leur ressemblait et qui, comme eux, voulait faire l’Histoire plutôt que la subir.

 

L’attachement viscéral de Fanon à la cause algérienne vient peut-être aussi du fait qu’il aurait voulu voir cette révolution advenir en Martinique. Et que, pour lui, arrêter de croire en la révolution algérienne serait peut-être revenu à ne plus avoir d’espoir pour l’avenir de la Martinique et des « régions » d’outre-mer. Fanon était contre la départementalisation choisie par Aimé Césaire. La départementalisation allait sans doute de pair avec la fonctionnarisation, ce qui était contraire au révolutionnaire Fanon.

 

Ce qui a peut-être été le plus reproché à Fanon, et c’est aussi la raison pour laquelle il a été craint et détesté, ou adoré, c’est d’avoir été un homme sur-intelligent et instinctif souvent prêt à prendre tous les risques. Un homme noir marié à une femme blanche. Donc, un homme affranchi dans tous les sens possibles   ( libre, formé et informé), décidé, décideur, sur-mesuré, indomptable et imprévisible, plutôt que sur mesure.

Il est donc l’équivalent ou a presque été l’équivalent d’un Lumumba, d’un Malcolm X….

Frantz Fanon, c’est beaucoup plus que le film  Django Unchained réalisé en 2012 par l’Américain Quentin Tarantino  et avec quarante ans d’avance ! Car cela se passe pour de vrai et non alors que l’on est assis sagement devant un écran de cinéma pour lequel on a payé sa place afin de connaître un (très) bon moment de divertissement. Avant de rentrer ensuite chez soi tout aussi sagement pour repartir le lendemain au travail où l’on sera content d’en parler avec les collègues ou les amis.

 

Aujourd’hui et demain encore, au cinéma mais d’abord dans toute forme de vie ou d’expression artistique, intellectuelle, culturelle ou personnelle, une nette distinction se fait et se fera entre, d’un côté, les femmes et les hommes attentistes qui s’engagent seulement après avoir obtenu toutes les assurances d’être du bon côté et d’arriver au bon moment. Et celles et ceux qui s’engagent sans demander la permission et sans la moindre garantie de réussite.

 

On s’allie souvent avec les premiers. Et on se rêve ou on les trompe peut-être aussi- souvent- avec les seconds.

 

Franck Unimon, ce mardi 17 janvier 2023.

Catégories
Addictions

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

 

 

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

De gauche à droite avec le micro, Mario Blaise, l’actuel médecin chef de Marmottan, Marc Valleur, le précédent médecin chef de Marmottan, Jan Kounen, réalisateur, Marc Batard, alpiniste et écrivain lors du cinquantenaire de Marmottan à la Cigale, décembre 2021. Photo©️Franck.Unimon

 

Introduction

Ce samedi 14 janvier 2023, à l’hôpital Sainte Anne, nous sommes une petite dizaine à être venus écouter et rencontrer Marc Valleur. Marc Valleur, psychiatre retraité, est aussi celui qui était devenu médecin chef de Marmottan, dans le 17ème arrondissement de Paris, à la suite de Claude Olievenstein (1933-2008) qu’il a bien connu.

 

Marmottan, situé rue Armaillé entre l’avenue des Ternes et des Champs Elysées, qui compte aussi un CMP et un hôpital de jour pour public adulte, à côté du musée Marmottan, s’est fait connaître internationalement pour ses services de consultation et d’hospitalisation spécialisés dans le traitement des addictions.

 

Marmottan, le service spécialisé dans le traitement des addictions, avait été ouvert en 1971 par Claude Olievenstein (aussi surnommé « Olive » ou « Monsieur Drogue ») et dépendait à l’origine administrativement du centre hospitalier Perray-Vaucluse ouvert en 1869 dans l’Essonne (d’abord asile puis hôpital psychiatrique). Marmottan a fêté son cinquantenaire  à la salle de concerts la Cigale ainsi que par des portes ouvertes, des expositions et diverses manifestations lors du premier week-end de décembre 2021.( La ferveur de Marmottan)

 

Ce matin du 14 janvier 2023, Marc Valleur est devant nous lors de ce séminaire proposé un samedi par mois par Claude Orsel, à l’hôpital Sainte Anne, dans le 14 ème arrondissement de Paris.

 

Avec Claude Olievenstein, psychiatre, Claude Orsel (né en 1937), psychiatre et psychanalyste, a été un des pionniers du traitement des toxicomanies en France en fondant l’Abbaye en 1969 à St Germain des Prés.

 

Un samedi matin par mois, à l’hôpital Sainte Anne, dans le service du Dr Xavier Laqueille, psychiatre, Claude Orsel propose ce séminaire Psychothérapies, Psychanalyse et Addictions ( P. P. A) Transfert et Contre-Transfert.

 

L’accès à ce séminaire – qui se déroule de 9h30 à 12h30- est libre après avoir pris  contact au préalable avec Claude Orsel.

 

S’il s’y trouve généralement des professionnels très expérimentés- voire retraités- dans le traitement des addictions, dont plusieurs ont connu Claude Orsel et travaillé avec lui, il arrive aussi que des patients de celui-ci y soient présents et participent.

 

Un certain nombre des participants et des intervenants amène avec lui un imposant abattage théorique, conceptuel mais aussi pratique. La moyenne d’âge avoisine la bonne cinquantaine d’années.

 

Mentionner la présence de tous ces « psy » (psychiatres, psychothérapeutes, psychologues, psychanalystes…) pourrait donner l’impression que ces séminaires – filmés par Claude Orsel- sont des cercueils marbrés d’ennui et de théories. Alors qu’ils sortent plutôt des clous et des colonnes.

 

La psychiatrie et la société semblent dotées de moyens pour s’accroître en priorité comme des technologies et des pharmacies ombilicales par lesquelles et vers lesquelles nous sommes constamment entraînés, faisant de nous des sidérurgies sidérées et jamais à jour malgré nos libertés.

 

Un tel séminaire est une pause dans ces processus de constitution de notre cécité que nous connaissons tous. D’autant plus que chaque fois que je peux y assister, j’ai l’impression de recueillir une toute petite parcelle de cette très grande Histoire et de  cette grande Culture de la pensée, du soin, de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la Santé mentale inaperçues par et pour la majorité. Ce séminaire fait partie de ces moments où j’ai l’impression de me retrouver au pied de certaines immensités de connaissances et d’expériences trop largement ignorées.

 

Des immensités ou des personnalités, dans diverses disciplines (pas seulement dans le domaine de la Santé mentale comme lors de ce séminaire autour de Marc Valleur ) à côté desquelles je suis aussi beaucoup passé moi-même, en m’en remettant beaucoup à l’habitude, à la facilité de mes certitudes mais aussi au hasard où à mon volontariat là où l’on a bien voulu de moi. 

 

Alors que ces immensités nous aident ou peuvent nous aider à vivre.

 

 

Ce matin, je marque un temps d’arrêt en voyant posé sur la table, devant Claude Orsel, l’ouvrage La lionne du barreau de Clarisse Serre (aux éditions Sonatine) accompagné de cette accroche sur la page de couverture :

 

« Je suis une femme, je fais du pénal, j’exerce dans le 9-3, et alors? ».

 

Fin décembre, dans la librairie de ma ville, après avoir récupéré mes livres, j’étais tombé sur cet ouvrage dans les rayons. Je l’avais un peu feuilleté, tenté de le prendre avant de me décider finalement à différer son acquisition…

 

Amusé par mon intérêt soudain pour ce livre, ce samedi matin, Claude Orsel, m’a lancé :

 

« Vous pouvez le prendre si vous le voulez. Je ne sais pas combien je l’ai acheté… ».

 

J’ai opté pour partir m’asseoir en laissant le livre à sa place et à son propriétaire.

 

Marc Valleur prend la parole

 

Marc Valleur est arrivé à Marmottan en 1974. Au départ, il s’occupait spécifiquement des toxicomanes :

Héroïne, Cocaïne, Crack.

 

En 1974, l’Abbaye et Marmottan étaient les services pilotes pour s’occuper des toxicomanes.

 

En 1981, il a commencé à parler de conduite ordalique. Après la mort de plusieurs patients par overdose qui ont beaucoup éprouvé les soignants, Marc Valleur a commencé à penser à la notion de conduite ordalique.

Dans la conduite ordalique, il y a une perception positive et subjective de la conduite à risque : Le risque et le danger étaient attirants.

Les toxicomanes prenaient des produits car c’était dangereux.

 

Marc Valleur cite l’ouvrage Sorcellerie et ordalies  (paru en 1974) d’Anne Retel-Laurentin (médecin et ethnologue décédée) pour parler des épreuves par le poison.

 

 

Marc Valleur :

 

« Dans le jeu de l’argent, on ne s’injecte pas le produit mais le joueur est représenté par son enjeu ».

 

Marc Valleur cite Le Joueur et Les Frères Karamazov de Dostoïevski ainsi que l’ouvrage Figures du crime chez Dostoïevski  (paru en 1990) de Vladimir Marinov (psychologue et psychanalyste).

En 1991-1992, le jeu est alors peu abordé en psychanalyse.

 

En 1997, Marc Valleur écrit un Que sais-je ? sur le jeu. Après la parution de ce livre, des joueurs ont commencé à demander à consulter à Marmottan. Des joueurs ont pu dire :

« Le crack, j’arrête quand je veux. Moi, c’est le jeu que je n’arrive pas à arrêter ».

 

Cette nouvelle attention portée aux joueurs pathologiques a d’abord suscité du scepticisme au sein des Pouvoirs publics. Un scepticisme partagé au sein de Marmottan lorsque les soignants ont appris qu’ils allaient être amenés à s’occuper aussi de joueurs pathologiques.

 

Marc Valleur relate qu’un soignant du service d’hospitalisation de Marmottan avait d’abord éclaté de rire lorsqu’il lui avait annoncé la venue d’un patient joueur pathologique. Le soignant avait cru que c’était une blague.

 

Marc Valleur explique : « Le toxicomane faisait peur. Cela donnait un côté sulfureux à Marmottan. Le joueur, ça faisait rire ».

 

Marc Valleur ajoute qu’il existait aussi des images préconçues du toxicomane et du joueur.

 

Le toxicomane était vu comme quelqu’un « de gauche (politiquement), maigre et qui s’opposait au système ». Alors que le joueur, lui, était vu comme quelqu’un « de droite (politiquement), gros, bourgeois et portant de grosses bagues… ».

 

Et, puis, très vite, les soignants du service d’hospitalisation de Marmottan se sont aperçus que c’était plus dur avec les joueurs qu’avec les toxicomanes.

 

En 2006, les Pouvoirs publics montrent leurs premiers signes d’intérêt pour les joueurs pathologiques.

 

En 2008, une étude de l’INSERM parle du jeu pathologique.

 

A partir de 2006-2008, le regard sur les joueurs a commencé à changer.

 

2010 marque le début de la libéralisation des jeux en ligne. A partir de là, les joueurs addict commencent à véritablement être pris en considération.

 

« Le joueur tente Dieu en lui posant des questions » selon une perception théologique du jeu.

 

En 2010, le poker et les paris en ligne se développent. Mais, contrairement aux prévisions (sauf pendant le confinement dû à la pandémie du Covid ) le poker en ligne s’est peu développé. Ce sont plutôt les paris sportifs qui ont connu un grand essor sur internet.

 

Robert Ladouceur (né en 1945), psychologue, auteur et chercheur québecois, spécialisé dans les jeux d’argent et de hasard, souligne les problèmes de croyance chez les joueurs. (croyances et cognitions erronées des joueurs)

« Il faut que je rejoue pour que je me refasse ». Les joueurs croient avoir la préscience.

Il existe une illusion de contrôle chez les joueurs alors que le hasard l’emporte souvent.

 

Marc Valleur cite un article psychanalytique datant de 1914 intitulé Le plaisir de la peur et l’érotisme anal. Marc Valleur dit que cet article « n’est pas génial » mais qu’il est une première tentative de comprendre le jeu.

 

Selon la vision freudienne, en 1928, la chance et la malchance peuvent représenter les puissances parentales.

 

Dostoïevski, lui-même, a été un joueur pathologique. Il est donc très pointu pour parler du jeu.

 

En 1945, Fenichel (psychiatre et psychanalyste autrichien décédé en 1946) parle des addictions sans substances.

 

En 1954, Skinner (psychologue et penseur américain décédé en 1990) écrit un article sur les machines à sous qu’il décrit comme « le meilleur conditionnement pour faire payer les gens ».

 

Erving Goffman (sociologue et linguiste américain d’origine canadienne, 1922-1982) a écrit sur le jeu.

Le joueur s’imagine qu’il va influer sur le destin.

On aime jouer car on se retrouve dans un monde magique et dans un espace qui n’est pas la vie quotidienne. Le jeu est quelque chose de très sérieux.

 

Le contraire du jeu, c’est la réalité quotidienne.

Les croyances erronées font partie de l’intérêt du jeu.

Marc Valleur cite l’ouvrage En passant par hasard écrit en 1999 par Gilles Pagès (mathématicien) et Claude Bouzitat.

Les gens jouent « pour le vertige du risque ». Les joueurs non pathologiques arrivent à faire en sorte que le jeu n’ait pas d’incidence sur leur vie.

 

R, un des patients de Claude Orsel, assis à droite de Marc Valleur, se présente comme « joueur depuis 35 ans ». R…parle de sa frustration, de son échec. Et de son amertume. Il parle de ses expériences précoces du jeu qu’il a faites très tôt.

 

R : «  On essaie de se convaincre qu’on est bon à quelque chose ». R dit que sa première addiction a été une addiction aux écrans à l’âge de 8 ans.

Marc Valleur commente :

« La télévision est la grande addiction mondiale…mais personne n’en parle ». « Il y a une seule personne en 50 ans qui est venue à Marmottan pour une addiction à la télévision.. ».

 

Pour soigner une addiction, Marc Valleur insiste sur :

 

Une approche multimodale (sociale, familiale et autre…)

La qualité de l’accueil (« Ce qui se passe au premier entretien est déterminant » ; « Une thérapie, c’est l’exégèse de ce qui s’est dit au premier entretien »)

La qualité de la relation

Marc Valleur poursuit :

« Le but de l’Abbaye et de Marmottan, c’était de créer…de recevoir les personnes sans conception canonique du traitement et du soin…De recevoir la personne et, à partir de là, après l’avoir écoutée, de voir ce que l’on peut faire ».

 

Marc Valleur nous recommande particulièrement de lire The Great Psychotherapy Debate écrit par Wampold et Imel (paru en 2015).

Marc Valeur précise que toutes les méthodes thérapeutiques « marchent » et ont de très bons résultats. Et qu’il n’existe pas une méthode thérapeutique meilleure qu’une autre.

(Je m’abstiens de dire que l’on peut sûrement transposer cela dans beaucoup de disciplines comme dans les méthodes de combats et les Arts Martiaux : la personnalité du combattant importe plus que les techniques de combats ou les Arts martiaux qu’il a « appris » ou pratique. La personnalité du Maitre ou du professeur importe plus que les techniques ou les Arts martiaux qu’il enseigne…).

 

Marc Valleur souligne qu’il est des mauvais thérapeutes qui, pourtant, sont « très compétents » en termes de formation et de connaissances.

 

Marc Valleur me confirme que, plus que les thérapies, le plus important, c’est la rencontre. La qualité de l’accueil. La qualité de la relation thérapeutique.

 

Marc Valleur parle aussi de ces patients qui en savent beaucoup plus sur l’objet de leur addiction que le thérapeute lui-même. Il cite l’exemple d’un patient addict aux jeux vidéos qui ne sortait plus de chez lui et qui refusait de rencontrer psychiatre ou psychologue. Marc Valleur a demandé aux parents de ce patient de lui dire qu’il n’y connaissait rien en jeux vidéos et qu’il aimerait bien qu’il vienne lui expliquer ce que c’est. (Marc Valleur confirme qu’il avait un réel intérêt pour ce que pouvaient lui dire ses patients). Le patient était venu rencontrer Marc Valleur et lui avait en quelque sorte fait  cours.

Marc Valleur me confirme que le dogmatisme (thérapeutique) va souvent de pair avec l’excès de théorie thérapeutique.

(A ce moment du séminaire, comme à son habitude, Claude Orsel fait passer un paquet de chouquettes achetées à la boulangerie)

Marc Valleur me confirme l’importance de l’engagement du corps du thérapeute dans sa rencontre avec le patient. Il se remémore qu’un patient lui avait dit s’être attaché à lui lors du premier entretien car, à un moment donné, il (Marc Valleur) lui avait touché le genou.

R, patient de Claude Orsel, dit :

« Le jeu n’est pas un amusement. C’est un exutoire » ; « Entre joueurs, on s’intoxique. C’est aussi ce qui nous fait rester dans le jeu » ; « Si, lui, il joue aussi, ça veut dire que je ne suis pas fou ».

(Plus tôt, R…nous a aussi dit avoir consulté un addictologue pendant dix ans avant que celui-ci ne lui parle de Claude Orsel qu’il voit maintenant depuis 2013 ou 2014. Selon R, l’addictologue, pourtant plutôt réputé, ne l’écoutait pas. En écoutant R parler en termes élogieux de Claude Orsel, j’ai eu l’impression que celui-ci trouvait Claude Orsel « plus puissant » en tant que thérapeute, que son thérapeute précédent).

 

Marc Valleur répond à Claude Orsel qu’il existe différents profils dans la biographie des toxicomanes.

 

Marc Valleur cite Michel Foucault ( Philosophe français, 1926-1984) :

« Le but de la transgression, c’est de glorifier ce qu’elle paraît exclure ». ( Dits et écrits de Michel Foucault, de 1954 à 1988, deux tomes de plus de 1700 pages chacun ).

Marc Valleur répond que chez les consommateurs de crack, souvent, la protection maternelle s’est arrêtée très tôt (viols dans l’enfance, traumas répétés…).

R..dit : « La probabilité, c’est la vérité ». « La probabilité ne ment pas ».

Le livre Dans le jardin de l’ogre (cité par qui ?) de Leïla Slimani est mentionné pour évoquer l’addiction sexuelle féminine.

 

Conclusions

Avec le micro, Marc Valleur, le précédent médecin chef de Marmottan à droite, Jan Kounen, réalisateur. Lors du cinquantenaire de Marmottan à la Cigale. Photo©️Franck.Unimon

 

Je demande à Marc Valleur et Claude Orsel comment  ils font pour ne pas se décourager face à des patients dont les addictions sont longues à soigner. Mais aussi pour vivre dans un monde comme le nôtre où une « guerre » quotidienne nous est faite afin de nous rendre addict.

Marc Valleur répond que, bien que retraité, il a encore des contacts par mail avec d’anciens patients qui lui donnent de leurs nouvelles et qui vont mieux. Lors de son intervention, Marc Valleur nous a aussi parlé d’anciens patients qui ont très bien réussi leur vie par la suite y compris mieux que lui-même a-t’il ajouté dans un sourire. Et, tout en gardant le sourire, Marc Valleur a convenu qu’en effet, tout est fait dans notre société pour que l’on soit « accroché » et que cela est assez désespérant. Il a ainsi cité les producteurs d’alcool qui, malgré leurs discours empathiques, prospèrent grâce à toutes les personnes dépendantes qui consomment leurs produits.

 

(Un peu plus tôt, R…avait fait référence à ces joueurs de PMU, un lieu qu’il connaît et dont il observe les usagers à l’écouter, qui, dès qu’ils gagnent un ou deux euros au jeu le rejouent alors qu’ils vivent déja dans des conditions très précaires).

 

Claude Orsel, répond en souriant, qu’il a envie de « connaître la suite ». A l’entendre, lui comme Marc Valleur, cela semble très simple de s’occuper de personnes addict. Au point que je me demande pour quelle raison seule une minorité de personnes, à laquelle je n’appartiens pas, parvient comme eux à s’occuper de personnes addict sur du long terme :

Le travail qui peut être effectué dans un service de psychiatrie institutionnelle lambda- même si cela peut aussi être sur du très long terme- est très différent de celui que j’ai pu voir pratiqué à Marmottan lors des quelques remplacements ( une quinzaine) que j’ai pu y faire. La distance relationnelle entre le patient/client et le soignant, par exemple, est très différente. Si, en psychiatrie adulte, la psychose des patients peut effrayer certains, l’absence de psychose, comme c’est souvent le « cas » à Marmottan peut déstabiliser, enrayer certaines frontières et les rendre assez floues entre le patient/client et le soignant. Pour ne parler que de ça. Alors, si, en plus, dans le domaine de l’addiction, le patient/client en sait plus que le soignant, il peut y avoir de quoi être troublé.

 

Claude Orsel m’apprend qu’il est possible que Patrick Declerck (philosophe, ethnologue, psychanalyste et écrivain né en 1953) intervienne à nouveau lors d’un prochain séminaire. Claude Orsel m’apprend aussi qu’il n’y a eu aucun article dans la presse écrit sur le dernier ouvrage de Patrick Declerck, paru en 2022, Sniper en Arizona, dans lequel, celui-ci raconte sa formation de sniper aux Etats-Unis.

 

R, qui ne demandait qu’à parler, qui a beaucoup à dire, entre-autres sur le poker, et qui a plusieurs fois pris la parole de façon assez intempestive au cours de l’intervention de Marc Valleur, m’a d’abord agacé comme d’autres personnes assistant à ce séminaire. Il fallait entendre R, arrivé avec un peu de retard, dire ensuite à Marc Valleur, à un moment donné, avec une certaine autorité :

« Ce que vous avez oublié de dire… ».

Devant l’attitude répétée de R, j’ai d’abord regardé ces vieux briscards que sont Marc Valleur et Claude Orsel qui n’en n’étaient pas une interruption près. Lesquels ont poliment invité R,  à tour de rôle, à attendre que Marc Valleur ait fini de s’exprimer. Ce qui n’a pas empêché R de recommencer.

Ensuite, j’ai compris que R était celui qui était annoncé par Claude Orsel comme le joueur venant nous faire part de son expérience. Et que R réagissait car Marc Valleur parlait de sa vie.

Puis, j’ai saisi que R était porteur de connaissances dont j’étais dépourvu.

 

 Ce samedi, alors que Marc Valleur est déjà parti après nous avoir salué en nous disant que c’était « bien », je suis plus disposé pour écouter R qui, en plus, avait « contre lui », en prime abord, le fait de me rappeler un ancien collègue qui a pu avoir tendance à une époque à me sortir par les yeux. Au travers de R, sans doute ai-je mieux perçu ce samedi, de manière consciente, la dimension addict et sub-agressive de la personnalité de cet ancien collègue…

 

R m’explique avoir connu un joueur de poker, « parti de rien », et qui, aujourd’hui « est millionnaire ». R m’explique que, durant des années, ce joueur a accepté de « ne rien gagner ». En s’en tenant à des règles de conduite- et à des limites- qu’il s’était fixé, acceptant de gagner petit et évitant de perdre de l’argent. En somme, ce joueur est resté prudent, patient et persévérant. R, à ce que je comprends, n’est ni patient ni prudent bien qu’intelligent et persévérant. Et, il est sûrement aussi convaincu. Et convaincant. Lorsque R m’apprend qu’il a travaillé pendant des années dans « le phoning » et qu’il sent les gens, j’ai tendance à le croire.

 

Franck Unimon, ce lundi 16 janvier 2023.

Catégories
Argenteuil

Au Hammam de la gare

 

 

                           Au Hammam de la gare

 

Le hammam de la gare à Argenteuil, rue du Dr Leray, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

 

« La nature punit toujours ceux qui se préservent » nous avertit Marc Verillote, ancien membre du RAID pendant vingts ans de 1998 à 2018, dans son ouvrage Au Cœur du RAID écrit avec Karim Ben Ismaïl et publié en 2022. Ouvrage dont j’ai commencé la lecture alors que je n’ai pas terminé ma relecture de Frantz portrait Fanon d’Alice Cherki paru en 2000 ainsi que la bande dessinée Frantz Fanon réalisée par Frédéric Ciriez et Romain Lamy et parue, elle, en 2020.

 

Après avoir connu plus de trois semaines de grève dite « dure » dans mon service, grève « fantôme » qui s’est terminée il y a quelques jours (en obtenant plusieurs réparations et avancées), et après avoir beaucoup travaillé, entre-autres de nuit, comme beaucoup, je me sens fatigué en ce début d’année.

Paris, Bd Raspail, fin 2022. Au loin, la Tour Montparnasse. On peut m’apercevoir en train de traverser, la route : ). Photo©️Franck.Unimon

 

Comme beaucoup, aussi, j’ai appris cette semaine l’officialisation du recul du départ de l’âge à la retraite qui est passé de 62 à 64 ans ainsi que la nouvelle de la grande manifestation prévue dans six jours, le 19 janvier, pour protester contre cette décision annoncée par la Première Ministre Elizabeth Borne soutenue en cela par le Président de la République, Emmanuel Macron, réélu l’année dernière pour son deuxième mandat.

 

La phrase de Marc Verillote, ancien membre du RAID, est bien sûr à prendre avec des pincettes dans ce contexte économique, social, culturel et historique qui est le nôtre.

 

La sienne se réfère à une compétition de Judo, à un très haut niveau, pour laquelle, rétrospectivement, il estime s’être trop ménagé lors de sa préparation pour se donner les moyens de gagner la finale. Marc Verillote se dit en effet qu’il aurait dû la prendre, cette « douche glacée » à laquelle il avait pensé avant la finale de cette compétition de judo en Georgie alors qu’il faisait encore partie de l’équipe de France de Judo.

 

Si nous prenons souvent les sportifs de haut niveau ou des professionnels qui, comme Marc Verillote, dans leur domaine, font partie de l’élite – féminine ou masculine-, c’est parce-que ceux-ci nous inspirent ou peuvent nous inspirer pour les usages ou les défis de notre vie quotidienne.  

 

Notre vie quotidienne peut être usante, contraignante, insatisfaisante ou décourageante. Alors qu’il suffit parfois de peu pour commencer à se sortir du malaise dans lequel on s’est peu à peu enlisé. Et, cette élite ou ces modèles que nous regardons nous donnent l’exemple afin de nous dépêtrer de cet enlisement-isolement. Car, si, nous, la majorité et la plupart d’entre nous, nous nous embourbons et piétinons, si nous, nous nous étourdissons et nous épuisons dans des existences exsangues, l’élite a pour elle de savoir survoler les obstacles mais aussi de se survolter devant eux. 

 

L’élite est un exemple ou un visage qui nous ressemble ou que nous connaissons et que nous essayons de suivre à notre mesure.

Paris, fin décembre 2022, dans le 10ème arrondissement, le matin. Photo©️Franck.Unimon

Si le fait de beaucoup travailler ou de beaucoup donner de soi peut user, je crois aussi que l’on s’use d’autant plus rapidement et d’autant plus durablement lorsque l’on « vit » et « fait » par habitude de manière systématique les mêmes erreurs. Nous avons la capacité de reproduire les mêmes gestes, les mêmes façons de pensée et les mêmes choix pendant des années en nous contentant du fait de les exécuter. Mais nous avons aussi une certaine capacité à pouvoir les imposer autour de nous.

 

A moins de nous apercevoir de nous-mêmes que quelque chose cloche même si ça « roule » ou « marche », ou d’avoir quelqu’un dans notre entourage capable de nous prévenir – quelqu’un que nous sommes disposés à entendre- il nous faut souvent un symptôme, une rupture, un accident ou un signal d’alarme pour percuter. Pour voir que sur notre belle chaine de montage, nous avons laissé se développer quelques erreurs qui nous éloignent plus qu’elles ne nous rapprochent de notre véritable projet.

 

A condition que nous soyons encore capables de voir et de réagir. Et, s’il n’est pas trop tard.

Paris, fin 2022, dans le RER B, station Luxembourg.

 

Car, si «  La nature punit toujours ceux qui se préservent » comme l’annonce Marc Verillote, il est étonnant de voir comme nous pouvons très facilement être très performants et grandement dévoués en tant qu’inlassables bourrins continuant de labourer dans le même champ de nos mines anti-personnelles.

 

A moins d’avoir des projets en rapport avec cette période, les soldes qui ont commencé cette semaine vont assez peu nous aider à lever le pied. Et, le lieu où nous résidons peut avoir une incidence sur les moyens dont nous disposons pour prendre le temps de reprendre notre souffle.

 

Mais encore faut-il avoir une certaine estime pour ces moyens.

La Gare d’Argenteuil centre ville, fin 2022. En regardant vers Paris. Photo©️Franck.Unimon

La ville d’Argenteuil, où j’habite, est une péripétie. Une partie d’elle se désiste, une autre partie est une pépite et l’autre, à mon avis, décline. Après plusieurs années dans ses murs et ses rues, ce constat est pour moi plutôt déprimant. A moins d’avoir bien su choisir son quartier ainsi que son lieu de travail par rapport à elle.

 

Pourtant, je n’ai pas envie de tirer d’elle un portrait plus délabré qu’il ne l’est d’autant qu’un certain nombre de beaux ou de très beaux quartiers à Paris ou ailleurs font selon moi rêver  principalement parce qu’ils nous sont étrangers ou interdits.  Mais aussi parce-que que l’on ne connaît pas beaucoup celles et ceux qui s’y trouvent.

Paris, dans le 13ème arrondissement, en décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Et puis, on l’aura compris, ce que je dis aujourd’hui d’Argenteuil s’applique à ce que je suis, aujourd’hui. Puisque cette ville, d’une façon ou d’une autre, me ressemble.

 

 

Il suffit parfois de peu pour commencer à se sortir du malaise dans lequel on s’est peu à peu enlisé. J’ai déjà écrit cette phrase. C’est aussi une situation que j’ai déjà vécue où il suffit, quelques fois, de sortir un peu de chez soi, de traverser deux ou trois rues pour qu’une rencontre ou une expérience nous procure un nouvel élan et nous éloigne de cette perspicacité défaitiste et dépressive dont un certain nombre de nos actions semblaient devenir le moteur.

Le hammam de la gare, à Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

Près de chez moi, il se trouve un hammam, où je suis déjà allé une ou deux fois, il y a deux ou trois ans. Plusieurs fois par semaine, je passe devant ce hammam. Plusieurs fois par semaine, aussi,  je passe plus d’une heure dans les transports en commun, afin de me rendre à tel ou tel endroit. Il peut s’agir du travail ou d’une autre activité responsable, justifiée, incontournable. Ou d’une sortie de loisirs comme, demain soir, pour aller voir Sarah Murcia en concert à la Maison de la Radio. Vous ne connaissez pas Sarah Murcia ? Je ne la connaissais pas non plus il y a quelques mois. J’ai d’abord vu une photo en noir et blanc d’elle au Triton en me rendant à l’exposition des tableaux de Marie-Jo, une ancienne collègue infirmière qui avait pris sa retraite quelques mois plus tôt.

Pour découvrir Sarah Murcia, je vous propose de la voir en duo avec Rodolphe Burger lorsqu’ils ont tous les deux repris le titre Billie Jean de Michaël Jackson.

Paris, fin 2022. Photo©️Franck.Unimon

Billie Jean, Michaël Jackson, c’est loin.  J’ai de la « chance », pour aller demain soir au concert de Sarah Murcia la gare est proche de chez  nous. Moins de cinq minutes à pied. Cette chance tient aussi au choix que nous avons fait de nous installer  il y a dix ans près de la gare. Même si je passerai sans doute plus de temps dans les transports en commun demain soir pour aller au concert que pour y assister à la maison de la radio dans le 16èmearrondissement de Paris.

 

Le hammam est plus proche de chez nous que la gare. Mais, évidemment, je me rends bien plus souvent à la gare qu’au hammam. Et, évidemment, aussi, Sarah Murcia et tous les autres artistes, ne font pas encore leurs concerts dans un hammam.

 

Malgré cette désillusion, ce matin, un peu après 7h30, je suis retourné au hammam. Car, nous avons la chance, à Argenteuil, d’avoir un hammam qui ouvre dès 7 heures du matin. Il est ouvert tous les jours sauf le mardi.

 

« C’est 15 euros, maintenant. Le prix a augmenté à cause le gaz… » s’excuse le gérant qui me reçoit. Régulièrement, j’ai pu le saluer chaque fois que je l’avais croisé dehors, en passant, devant le hammam. Alors que j’emmenais ma fille à l’école ou au centre de loisirs.

 

Auparavant, l’entrée coûtait 12 euros, thé à la menthe inclus.

Paris, le 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Le hammam de la gare est un hammam simple et propre. Peut-être rustique. Peut-être décati. Mais il a sa clientèle. Il est courant de voir une caisse garée à cheval quelques minutes sur le trottoir en face de son entrée. On pourrait penser au braquage de la caisse. C’est plutôt de la débrouille. Car trouver une place où se garer dans le centre ville d’Argenteuil est hasardeux et peut-être même, miraculeux.

 

Plusieurs mois sans pratiquer le karaté à Bagnolet avec Maitre Jean-Pierre Vignau. Plusieurs mois sans pratiquer l’apnée désormais à Villeneuve la Garenne avec le club Subaqua club de Colombes aujourd’hui « exilé » car la piscine de Colombes est désormais en travaux pour les Jeux Olympiques de 2024.

 

Plusieurs années sans faire de théâtre. Plusieurs années, aussi, sans pratiquer le massage bien-être. Plusieurs semaines sans écrire un seul article pour mon blog, lequel, a connu quelques ratés techniques durant plusieurs semaines. Jusqu’à ce qu’Eddy, l’ami photographe, l’ingénieur informatique, le créatif, n’accepte gentiment de se rendre disponible plusieurs  heures à la fin de l’année dernière, dans son studio, afin de m’aider avec WordPress.

 

En ce début d’année 2023, et depuis plusieurs jours, j’ai l’impression de végéter. J’ai l’impression que « mes chakras sont bouchés » pour employer les termes tenus par un ancien collègue infirmier, formé au massage bien-être bien avant moi et qui avait commencé une formation de Shiatsu qu’il avait arrêté. Une formation qui m’avait un moment attiré sauf que je n’ai rien fait de concret à ce sujet. C’était avant le karaté. Avant l’apnée.

Le hammam de la gare, à Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

Hier soir, je me suis dit que le hammam de la gare était un très bon moyen de commencer à arrêter de circuler dans le mauvais sens. Et que j’avais trop attendu pour y retourner. Lorsque hier soir, j’ai effectué l’effort de me rendre en voiture jusqu’à la piscine de Villeneuve la Garenne afin de pouvoir renouer avec la vie sociale du club à l’occasion de  la galette des rois offerte par le club, j’ai bien vu que j’encaissais au ralenti lorsque l’on me parlait. Alors que tout le monde débordait de tonus et trouvait cela parfaitement normal. Cela n’avait rien à voir avec la fève. Je n’ai rien bu et rien touché hier de liquide, gazeux ou de solide au club. J’avais déjà mangé suffisamment  de parts de galettes de roi au travail ces derniers jours. Et puis, depuis quelques jours, on ne voit que ça. Des galettes de roi, des couronnes, des fèves. Bientôt, ce sera autre chose.

 

Ce matin, en me levant un peu avant 6h30, j’ai fait mes étirements et des abdos, suivis de quelques galipettes avant et arrière.

Photo©️Franck.Unimon

Après un thé en sachet bu dans une de ces tasses ramenées du Japon en 1999, ce pays, plus loin que le hammam, où je ne suis pas retourné, contrairement à ce que je m’étais dit à l’époque, je descends les escaliers de l’immeuble. Après avoir salué ma fille qui va partir à l’école et ma compagne. En laissant derrière moi toute cette panoplie de tentacules qui nous met aux prises avec de multiples (fausses) urgences et autres  bienveillantes addictions et soumissions :

 

Carte bancaire, internet, téléphone portable, écran en tout genre, baladeur, montre…

 

Je n’existe plus pour le monde connecté, moderne, efficace, virtuel, instantané, lyophilisé.  Et civilisé. Je n’existe plus. J’ai même disparu des réseaux sociaux, nouvelles zones érogènes dont les milliards de connexions se sont beaucoup plus vite développées ces dernières années que les forêts qui disparaissent après avoir d’abord disparu de notre regard.

 

Mais étant donné que je ne suis pas tout  à fait  l’homme invisible pour les autres dans la rue, je me suis tout de même habillé avant de partir de chez moi. J’ai pris mes clés d’appartement comme de quoi me changer et me laver. Et des espèces pour payer.

Paris, novembre 2022, près de Nation. Photo©️Franck.Unimon

7h30, pour arriver au hammam, ce n’est pas si tôt que ça. C’est beaucoup moins tôt que 6h00 ou 6h30, moment où, au Dojo Tenshin, école Itsuo Tsuda de Régis et Manon Soavi (le père et la fille) tous les jours de la semaine, des pratiquants se retrouvent. Et le week-end, aussi, à 8 heures. ( Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022 )

 

7h30,  c’est aussi beaucoup moins tôt sans aucun doute que l’heure à laquelle Maitre Léo Tamaki débute ses journées et ses marathons de voyages et de stages ( Dojo 5Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022  ) . C’est sans doute aussi plus tard que l’heure à laquelle Maitre Jean-Pierre Vignau (Arts Martiaux : un article inspiré par Maitre Jean-Pierre Vignau) démarre ses journées ainsi que Yves ( Préparatifs pour le stage d’apnée à Quiberon, Mai 2021, Quiberon, Mai 2021.  ) le responsable de la section apnée de mon club qui ne vit pas de cette activité et qui a aussi un emploi et une vie de famille.

 

A l’arrière plan, on peut voir une affiche montrant Fela, beaucoup plus Nigérian qu’Européen. Photo©️Franck. Unimon, Paris, fin 2022.

Au hammam, à quelques mètres de la douche, je tombe sur un homme. En maillot de bain, torse nu, il porte des lunettes de vue. Même si j’ai laissé les miennes dans mon casier, je vois que c’est un Européen. Comme j’ai un peu oublié comment ça se passe, je l’interroge. Celui-ci me répond cordialement. J’apprends aussi qu’il va au hammam une fois par semaine. Tantôt à celui-ci. Tantôt à un autre, à Barbès. Il habite à Cormeilles en Parisis, pas très loin en train. Une ville que je connais et que j’aime bien. J’y vais quelques fois. A sa médiathèque très bien fournie en dvds.

 

Le hammam à Barbès « fait plus hammam » me répond-t’il. C’est aussi un peu plus cher. 22 euros. « Ici, ça fait plutôt sauna. Mais, ce qui est bien, c’est que ça  ouvre à 7 heures. Alors qu’ailleurs, ça ouvre souvent à 10h ou 11h. Habituellement, ici, je viens plutôt le samedi matin. Entre 7h et 9h, c’est très bien. Il n’y a personne. Aujourd’hui, je suis en congé. Lorsque je ne vais pas au hammam pendant une semaine, je ne me sens pas bien. C’est comme faire du sport » me dit-il.

A la Gare du Nord, en juin 2022.

 

Avec mes horaires décalés et la proximité, je n’ai pas de bonne raison pour avoir ignoré aussi longtemps ce hammam de la gare. A part le fait et ma prétention d’avoir toujours eu d’autres priorités et d’être pressé. Car pour bien profiter du hammam, il faut bien avoir deux à trois heures devant soi au minimum.

 

Une des oeuvres exposées de Cécile Thonus, lors d’une journée portes ouvertes des artistes à Argenteuil. Photo©️Franck.Unimon

La douche est très chaude. Cela m’étonne. Celui qui m’a précédé dans le hammam me répond que c’est lui qui l’a réglée de cette façon. Il « ramène » l’eau froide. Mes premières expériences de sauna et de hammam datent de mon adolescence. Lorsque je faisais de l’athlétisme. L’eau très froide, le très chaud. L’alternance. Douches froides, bain froid, sauna. Courir dehors par temps froid, faire des cross, y compris dans la boue.  C’est à cette époque que j’avais découvert ça. Je n’ai jamais gagné le moindre cross mais je les avais toujours finis.

 

Plusieurs années plus tard, je continue de suivre les mêmes principes. Ceux que l’on m’avait appris dans ce club d’athlétisme, à Nanterre, mais aussi chez moi. Dans ma famille.

 

Nous entrons tous les deux dans le hammam ou le sauna car il s’agit d’une chaleur sèche. Nous continuons encore de discuter. L’homme est devant moi en train de parler depuis à peine deux minutes quand il me dit :

 

« Il fait chaud ! ». Puis, il sort. Ou, plutôt, il se dépêche de sortir.

Paris, fin 2022. Photo©️Franck.Unimon

Je m’installe et m’assieds sur la plaque de marbre sous ce soleil de pierre. Et, peut-être, de prières. Je pense très vite à mon travail. Puis à ma compagne dans une situation décisive. Ensuite, c’est un bombardement de pensées. Un carnage. Je me dis qu’avant un acte amoureux, il faudrait d’abord aller au hammam ou au sauna chacun de son côté. Puis, ensuite, se retrouver. Pourquoi s’enquiquiner dans un restaurant à s’alourdir la panse en restant coincés dans des vêtements de convenance ou à rester assis dans une salle de cinéma à se frotter les yeux avec de la 3D alors que ce que l’on veut, c’est le plan B ?

 

 

Avatar 2, Black Panther 2, Pacifiction, Les Rascals, Grand Marin et d’autres œuvres cinématographiques attendront encore un peu malgré leur (très) grand succès public et critique. Car je suis au hammam de la gare d’Argenteuil et au summum de ma pensée.

Une des oeuvres de Thibaut Dapoigny lors d’une des portes ouvertes des artistes à Argenteuil. Photo©️Franck.Unimon

 

Lorsque mon « guide » du hammam revient, il commence à s’enduire le corps de savon noir. Puis, en me tournant le dos et en baissant un peu son maillot de bain, il me demande si je veux bien lui en mettre sur le dos. Je sais que cela peut se faire. Mais je me dis maintenant que savonner quelqu’un peut être une pratique risquée. Car je me rappelle que le hammam peut être un lieu de rencontres sociales mais aussi de drague.

 

Les autres risques, c’est le bruit et l’agitation. Ici, pour celles et ceux qui l’auraient imaginé, je ne pense pas du tout aux coups de feu du colt du coït dans un hammam et au risque d’y être découvert. Mais au fait  que je vais aussi au hammam pour être au calme. Certains s’isolent dans un cloître ou dans une maison de campagne. Moi, je vais au hammam. Chacun ses moyens.

 

Mon « voisin » ne tient pas en place. Trop forte chaleur ou érection,  il sort à peu près toutes les quatre minutes ou plus rapidement. Il part se doucher. Puis revient après quelques minutes. Cependant, il ne m’envahit pas. S’il m’a tutoyé au départ, il s’est ensuite fidélisé à mon vouvoiement.

 

 

J’estime qu’à peu près dix minutes se sont écoulées lorsque je pars prendre ma première douche froide.

 

ça passe.

 

Je retourne dans le hammam où, cette fois, je m’allonge sur cette petite plage de marbre en gardant mes jambes repliées car il n’y a pas la place pour s’étendre de tout son long. Pendant ce temps,  mon voisin poursuit ses pérégrinations. J’entends le bruit de ses claquettes mais aussi de son maillot de bain qui glisse lorsqu’il se remet debout. Ses pas accélérés. La porte poussée avec hâte quand il sort comme s’il quittait un saloon de western.

Affiche du chanteur Renaud, dans le métro, en 2022.

A ma deuxième douche froide, je sens que je vacille un peu sous l’eau lorsque je ferme les yeux. J’ai un peu le souffle coupé lorsque celle-ci me tombe sur la tête, la nuque, et recouvre mon visage.

 

Je titube un peu en allant vers ma troisième douche froide. Entre temps, alors que j’étais allongé, un Arabe massif est arrivé. Il doit bien faire dans les 110 ou 120 kilos. Nous nous sommes retrouvés à trois dans le hammam :

 

Un Européen, un Antillais et un Arabe. Belle mixité.

 

Mais si l’Antillais est bien sûr indolent, il se trouve avec, d’un côté, un agité….et un compétiteur.

L’aventurier Mike Horn, en couverture du magazine Survivre, en 2022.

Je me dis qu’il doit souvent se retrouver ces trois catégories dans un hammam ou dans un sauna. Celui qui multiplie les expositions brèves de trois à cinq minutes (les sprints) dans le très chaud. Celui qui prend son temps, l’endormi ou l’aguicheur, c’est selon. Et, celui qui veut faire le maximum et, si possible, qui tient à rester plus longtemps que les autres.

 

Peut-être que j’en rajoute.

 

Peut-être que notre lutteur du hammam avait peu de temps devant lui. Mais cela m’a fait drôle de l’entendre s’encourager, de boire un peu d’eau à deux ou trois reprises. Comme s’il essayait de gagner une course contre l’augmentation de la température. 

 

ll avait l’air de serrer les dents. Il lui fallait tenir la corde jusqu’au bout et garder la position ainsi que la tête haute. Etait-il satisfait de lui lorsque je l’ai entendu sortir en se ruant presque  hors de la pièce ?  Alors qu’il était en train se faire « gommer » ?

 

« Gommeur », dans un hammam, c’est dur. Passer des heures, torse nu, dans la chaleur, à passer sur les peaux des autres.

 

 

Ma quatrième douche froide est réussie. Je me sens bien sous l’eau froide. Je respire de manière apaisée.

 

Après ça, en sortant, j’ai le plaisir de voir le thermos près du plateau qui contient quelques verres de thé. Ils sont tous retournés sauf un. D’emblée, je sais ce qui se trouve dans le thermos. Je me sers aussitôt un premier verre. C’est chaud. C’est bon. Sucré comme il le faut.

A Montreuil, le 4 juin 2021. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Je me dirige vers la salle de repos. Je cherche l’heure. 9h05. A peu près 1h30. Je crois que c’est plutôt une bonne séance pour une reprise.

 

Ce temps dans la salle de repos est selon moi aussi important que celui passé dans le hammam et sous la douche froide.

 

Je prends la décision résolue de m’en tenir à trois verres de thé. J’en boirai cinq.

 

Très vite, trente minutes passent. Puis, c’est le moment d’aller se rhabiller et de partir après avoir remercié le gérant et la dame, assise dans la cuisine derrière lui, près de la table. C’est elle qui a préparé le thé à la menthe. Près du comptoir, je vois aussi plein de canettes de sodas sucrés. Je dis que j’espère prendre moins de temps pour revenir la prochaine fois.

Gare St Lazare, Paris, 22 septembre 2020. Photo©️Franck.Unimon

Je sors léger en optant pour avoir une vraie journée de repos. Pour faire une vraie sieste cette après-midi avant de retourner ce soir au karaté. Un Maitre comme Jean-Pierre Vignau, 77 ans, qui prend la peine d’appeler tous ses élèves pour leur souhaiter la nouvelle année est un Maitre qu’il faut aller retrouver. Même si c’est à une heure de transports en commun de chez soi. Même si demain, matin, j’ai prévu de me rendre à Ste Anne à un séminaire animé par Claude Orsel sur les addictions au jeu avec la présence, entre autre, de Marc Valleur, l’ancien médecin chef de Marmottan.

 

J’attends une heure au minimum avant de manger.  En attendant, je me mets à écrire cet article, et, évidemment, j’écris pendant plus d’une heure. Plus de quatre heures sont passées depuis ma sortie du hammam.

 

 

Je ne pourrai peut-être pas aller dans un hammam une fois par semaine comme cet homme que j’ai rencontré. Mais j’aimerais bien recommencer ici et ailleurs ce genre de séance. En allant aussi me faire masser dans des lieux de massage.

 

 

Bonne année 2023, et meilleurs vœux !

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 janvier 2023.  

Catégories
Cinéma

Rewind and play un film d’Alain Gomis

Rewind and play un film documentaire d’Alain Gomis

Au cinéma le 11 janvier 2023.

 

On l’oublie à voir la mine éblouie de Thélonius Monk alors qu’il descend sur le tarmac de l’aéroport de Paris en 1969 à l’âge de 52 ans et qu’il est déjà un artiste reconnu. Mais lorsque l’on arrive dans un nouveau pays on s’attend à ce que la vie y soit différente.

 

Le nouveau film du réalisateur Alain Gomis est constitué du montage d’archives qu’il a retrouvé du passage de Thélonius Monk, et de sa femme Nellie, à Paris.

 

Le pianiste de jazz Thélonius Monk ( 1917-1982) ne dira pas grand chose à celles et ceux qui sont nés à partir des années 1980 ou qui ne voient par exemple que par Mylène Farmer, Angèle, Soprano, Damso, Jul, PNL, Goldman et Jones, les Stones, Beyoncé, Booba ou Billie Eilish. Pour les autres, historiens, amateurs de Thélonius Monk ou de jazz, ce « documentaire » intrigue.

 

Gomis laisse parler les images ainsi que le puzzle Monk. Ce sont des mystères visuels. Ceux-ci nous paient en musique. Souvent mutique, probablement psychotique, la dysarthrie de Monk, ses absences et son incapacité à s’avancer jusqu’à une élocution simple, malgré les efforts du journaliste français qui l’entoure,  nous font d’abord regretter son naufrage parmi les hommes.

 

Monk ressemble alors au Lenny des Souris et des hommes de Steinbeck. Pour sa grande taille massive, et sa façon d’être à côté dès lors qu’il cesse d’arpenter le clavier d’un piano.

Et sa femme Nellie, avec ses lunettes fantaisistes à la Bootsy Collins,  bien que mieux parée pour correspondre, semble aussi s’être téléportée depuis un autre monde que celui que nous appréhendons.

 

A priori, pourtant, nous sommes entre de bonnes mains. Monk, à Paris, donc en Europe, est reçu comme une personnalité du Jazz qui, aux Etats-Unis, parce-que noir, parce-que Jazz man, passe inaperçu. Et, l’accueil du journaliste qui reçoit Monk peut d’abord faire penser à l’hommage que rendra plus tard au Jazz le réalisateur Bertrand Tavernier avec son film Autour de Minuit (1986).

 

Puis, le malaise grandit. Il est difficile de savoir si, dès son arrivée en France, ou même avant, ce malaise était déja présent. Car le journaliste français (blanc) semble être un véritable amateur de Jazz et on l’envie alors qu’il raconte sa « proximité » avec Thélonius Monk,  ses séjours aux Etats-Unis et quelques moments historiques du Jazz avec Dizzy Gillespie, Sonny Rollins ou John Coltrane. On envie aussi ce journaliste quand il évoque quelques clubs de Jazz qui ont fait l’Histoire. Au départ, on a donc une certaine sympathie pour ce journaliste qui tente, de différentes façons, d’entrer en relation avec Thélonius Monk et de faire en sorte que celui-ci participe davantage au tournage de l’émission télévisée.

 

Sauf que Monk lui échappe en permanence.

 

« Fais comme tu veux » ou « Fais comme bon te semble » articule Monk difficilement. On comprend que tout ce que Monk veut, c’est être devant son piano et en jouer. No Bullshits. On est très très loin de la Star Académie ou de toutes sortes de minauderies pour faire joli. Seule compte la musique. Et, c’est d’ailleurs elle seule qui le dompte. Les prises pour l’émission s’accumulent telles des secondes gâchées dans un cendrier. Difficile de trouver la bonne prise entre les ratés du journaliste et Monk qui se dessaisit de l’étreinte de ce que l’on veut lui faire dire. Ou jouer.  

 

Nous avons droit à quelques très beaux solos de Monk au piano dans Rewind and play. Mais plus le temps passe et plus la relation entre lui et le journaliste blanc, amateur de Jazz, devient la taule dont Monk, l’esclave noir ou le hamster, doit se contenter selon le souhait du Maitre. Pas bouger. Toi, obéir et faire comme on te dit.

En regardant Monk et ses sourires de politesse, on croit alors voir plusieurs fois un esclave du sud des Etats-Unis tels qu’on a pu nous les décrire du temps de l’esclavage.

Le journaliste, qui se veut sans doute ouvert d’esprit n’a de cesse de rappeler que lors son premier passage en France 15 ans plus tôt, en 1954 ( année du début de la guerre d’Algérie, laquelle n’est pas mentionnée), sa musique était sans doute « encore trop avant gardiste » et le public français ne l’avait alors pas « comprise ». Sauf qu’ensuite, l’esprit rétrograde de ce même journaliste- qui n’a pas compris- produit des étincelles. Et ce n’est pas du Be Bop.

 

Lorsque Monk s’exprime enfin librement et suggère le racisme qu’il a subi car, malgré son statut de musicien célèbre, il avait été moins bien payé que les musiciens ( blancs) qui l’accompagnaient, le journaliste décide de couper ce passage, le jugeant « désobligeant ». On découvre alors que même en Europe où il est donc désormais adulé, Monk n’est qu’un Noir qui doit rester à sa place dans son rôle de sous-homme seulement compétent pour divertir des blancs condescendants et ignorants  comme ont pu les  décrire certains héros de la Négritude tels Césaire ou Senghor.

 

Malgré la barrière de la langue (Monk ne parle pas Français) Monk déchiffre parfaitement son interlocuteur. Peut-être parce-que, où qu’ils soient dans le Monde, tous les racistes composent le même fond de notes. Et, Monk, en a assez de ces singeries.  

Rewind and Play sortira au cinéma le 11 janvier 2023.

Franck Unimon, ce vendredi 23 décembre 2022

 

 

 

 

 

Catégories
Cinéma

Saint Omer un film d’Alice Diop sorti au cinéma ce 23 novembre 2022

Saint Omer, un film d’Alice Diop sorti au cinéma ce mercredi 23 novembre 2022.

 

 

Chaque crime nous rappelle que nous restons au bord de l’abîme. Nous avons beau courir.

On comprend donc, facilement, que pour écrire le scénario de Saint Omer, sa première œuvre de fiction, la réalisatrice Alice Diop ( La Mort de Danton, La Permanence, Nous ) se soit entourée de sa monteuse Amrita David et de l’écrivaine Marie Ndiaye.

 

Puisque Saint Omer relate le procès d’un fait divers où, en 2015,  une mère avait « déposé » en pleine nuit sa fille de 15 mois au bord de la mer à Berck sur Mer, provoquant ainsi sa mort par noyade.

 

 Saint Omer est d’abord un film de femmes. Un film où tous les premiers postes sont occupés par des femmes :

 

La réalisatrice, les scénaristes, la mère infanticide Laurence Coly, le personnage principal et double de la réalisatrice, les mères de Laurence Coly comme du personnage principal (Rama), la juge, l’avocate de l’accusée…

 

A cette sorte de solidarité féminine ou de sororité, Alice Diop a ajouté les renforts de la littérature (dont Marguerite Duras et Marie Ndiaye), un travail d’archives (les femmes tondues à la fin de la Seconde Guerre mondiale, des images de la vie familiale passée du personnage principal) ainsi que son intimité et son expérience de ce procès auquel elle avait assisté alors qu’elle était enceinte.

L’héroïne, Rama ( l’actrice Kayije Kagame) est ainsi romancière en plus d’être enseignante, mais a aussi du mal à accepter sa première grossesse lorsqu’elle part assister au procès de Laurence Coly, la mère infanticide. 

Rama ( l’actrice Kayije Kagame)

 

 

Lorsque le réalisateur Jeff Nichols avait fait Take Shelter, la menace qu’il redoutait pour son enfant à venir était extérieure. En cela, Nichols avait peut-être mis en scène une expérience et une peur plutôt masculines face à une naissance à venir. Par ailleurs, Jeff Nichols, sans que cela soit un reproche de le souligner, est un homme blanc dans un monde de blancs.

 

Alice Diop, elle, nous parle en peurs intérieures. Elle a réalisé Saint Omer en devenant ou après être devenue mère pour la première fois, d’un enfant métis, en étant une femme noire dans un monde de blancs, à commencer par la France.

Je me rappelle que dans Nous, si je ne me trompe, elle nous avait appris que son père, parti du Sénégal pour venir travailler et résider en France et qui y avait vu naître ses enfants, avait accusé le coup en silence lorsqu’elle l’avait informé qu’elle avait l’intention de faire sa vie en France.

 

Il y avait donc pour Alice Diop au moins deux contraintes personnelles de taille à devenir mère en France. D’une part, l’incertitude concernant l’avenir lorsque l’on est une femme noire en France. Déjà, être une femme, en soi, reste une situation ou un état qui expose à certaines violences ne serait-ce que dans le monde du travail. D’autre part, être noire, rajoute à cette incertitude.

Ensuite, il y avait le fait, pour elle, de contredire le souhait de son père.

Et, sans doute devrais-je aussi rajouter (j’ai tendance à l’oublier du fait de sa réussite en tant que réalisatrice) qu’Alice Diop a eu aussi à faire ou a sans doute à faire avec la contrainte initiale d’avoir grandi dans un milieu de classe moyenne en banlieue parisienne, à Aulnay Sous Bois. Par là, je fais allusion aux codes sociaux à intégrer qui ont sans doute été différents de ceux qu’elle connaissait (et qu’elle connaît) lorsqu’elle s’est lancée dans une carrière dans le cinéma qui compte parmi beaucoup de ses intervenants des personnes d’un milieu socio-économique et ou culturel plutôt élevé ou favorisé.

 

 

Le Fait divers

 

Lorsqu’arrive ce fait divers d’une mère infanticide, très vite, qu’Alice Diop devine être d’origine sénégalaise, tout comme elle,  elle est enceinte pour la première fois de sa vie. La réalisatrice l’explique au moins dans cette interview que l’on peut lire dans le journal Libération sorti ce mercredi 23 novembre.

 

Toujours dans cette interview, Alice Diop explique aussi avoir été particulièrement attirée par ce fait divers. Ce qui est contraire à ses habitudes, elle qui prise assez peu ce genre d’événements.

Ce fait divers la décide à se rendre au procès contre l’avis de son compagnon et sans rien en dire à quiconque par ailleurs. Elle est alors sans projet de film sur le sujet à cette époque.

 

Une expérience hors normes

 

 

Pour le peu que j’arrive à en connaître, la grossesse est une expérience hors normes mais aussi hors morale. Il existe bien des injonctions morales ou sociales qui dictent ce qu’une femme et un homme devraient faire  ou ressentir lors de ces expériences et de ces étapes de la vie. Mais, dans les faits, cela peut se passer autrement. Une femme alors qu’elle est enceinte, peut être ambivalente et avoir  des idées de mort. Certaines psychoses se déclarent aussi lors de la grossesse. On parle alors de psychose puerpérale.

 Saint Omer raconte aussi ça. Comment une femme, éduquée, brillante intellectuellement, très câline avec des enfants qu’elle avait pu garder pendant deux à trois ans, peut, « in fine », dissimuler autant que possible sa grossesse, accoucher seule, prendre un train, réserver une chambre d’hôtel, puis, en pleine nuit, équipée d’une lampe frontale, partir déposer son enfant au bord de la plage alors que la marée monte.

 

Dans son interview, toujours dans le journal Libération de ce 23 novembre 2022, Alice Diop dit que la journaliste du journal Le Monde qui avait écrit sur ce fait divers s’est reprochée a postériori d’avoir écrit que cette mère avait « déposé » son enfant. Et qu’elle aurait dû écrire « Noyé ». Alice Diop précise dans l’interview  que si cette journaliste avait écrit « Noyé son enfant », qu’il n’y aurait pas eu de film.

 

Un procès est aussi une expérience qui peut s’avérer être hors normes. Mais Saint Omer n’est pas le procès d’une grossesse.

 

Film de femmes et ouvertement en faveur d’une meilleure représentation des Noirs dans le cinéma français (Rama, le personnage principal, est enseignante et plutôt taciturne, ce qui nous change de la femme de ménage ou de la doudou rigolote), Saint Omer laisse également place à certaines réminiscences traumatiques.

Laurence Coly ( l’actrice Guslagie Malanda)

 

 

La première fois que Laurence Coly ( l’actrice Guslagie Malanda), l’accusée, est emmenée à la cour, et attachée dans le dos, pour le début de son procès, il m’a été impossible de ne pas penser à l’esclavage. Pendant quelques secondes, avant que la juge ne prenne la parole, Laurence Coly fait alors penser soit à la femme esclave que l’on va vendre ou à celle que l’on va livrer à la vindicte publique.

 

Mais Alice Diop avait prévenu dès le début de son film, avec ces images des femmes tondues à la libération et ce commentaire qui dit que « Les héros (donc des hommes) » qui tondent ces femmes sont des « héros sans imagination ». Diop nous dit que si ces femmes ont commis l’irréparable, qu’il y a une autre façon de s’y prendre avec elles qu’en procédant à cette humiliation publique qui laissera en elles une « flétrissure ».

 

Saint Omer cherche donc à comprendre cette mère infanticide plus qu’à la bannir.

 

La Puissance féminine

 

 

Pour cela, j’avais déjà commencé à en parler, je comprends qu’Alice Diop ait eu besoin de deux autres personnes avec elle pour le scénario et le portrait de cette femme. D’un côté, Amrita David, sa monteuse depuis plusieurs films. Et Marie Ndiaye, l’écrivaine, mais aussi mère, je crois, de deux enfants également métis et l’aînée (12 ans les séparent) de quelques années d’Alice Diop.

 

Selon moi, cette mère infanticide, d’après ce que j’en vois dans Saint Omer ,est psychotique. Pour sa froideur, pour sa façon de parler de sa fille comme d’un objet fonctionnel ou une mécanique. Pour sa manière de faire plus que d’être ou de vivre.

Je remarque aussi que cette mère se sépare de sa fille lorsqu’elle a quinze mois, soit, lorsque celle-ci commençait peut-être à marcher et, donc,  à devenir autonome et à pouvoir commencer à se séparer d’elle.

 

Avec Marie Ndiaye, cette femme devient quelque peu une femme puissante. Je me trompe peut-être en écrivant ça. Peut-être ou sans doute que cette idée de puissance provient-elle des trois femmes scénaristes. Mais, avant même de savoir que Marie Ndiaye avait participé à l’écriture du scénario, j’ai trop senti cette empreinte ou ce « label » de la puissance de Marie Ndiaye sans avoir pour autant lu un seul de ses livres.

 

Sûrement parce-que s’il peut y avoir une certaine forme de puissance, dans le fait, pour cette femme, d’aller à l’encontre de l’entendement : exposer ou offrir son enfant à la mort.

Pour moi, la puissance est avant tout ou doit être avant tout destinée à la vie. Je sais bien que c’est faux : il est bien des puissances qui s’exercent sur autrui et plutôt au bénéfice de la destruction et de la mort. Et pas seulement dans Harry Potter et Black Panther….

Alors, je dirais que j’ai du mal avec cette « puissance » attribuée à cette mère et à cette femme car, contrairement à Duras, citée dans le film, je ne la trouve pas sublime.

 

Les mères dans Saint Omer

 

 

Pour reprendre des propos du compagnon de Rama, Adrien ( l’acteur Thomas de Porquery), les mères dans le film sont plutôt « cassées ». Adrien parle alors de la mère de Rama quand il lui explique:

« Ta mère est cassée ».

Mais la mère de Laurence Coly, même si elle essaie de faire bonne figure, l’est également. Mais pas de la même façon que la mère de Rama. Si la mère de Laurence Coly reste sûre de son fait comme de la bonne éducation qu’elle a pu lui donner, la mère de Rama est plutôt une mère défaite. On a plutôt envie de ramener la première à la raison mais on « devine » que celle-ci se montrera si combattive qu’il sera sûrement impossible d’y parvenir. Alors que l’on a assez envie de prendre la seconde dans nos bras afin de tenter de la consoler. Sauf que cela est aussi impossible car cette mère reste suffisamment forte pour résister à ce réconfort et s’éloigner.

Dans Saint Omer , Laurence Coly, qui a été une enfant parfaite et une élève brillante, parle peut-être telle que ces deux mères auraient certaines fois voulu le faire si cela avait été possible pour elles dans un monde d’hommes. Saint Omer nous suggère peut-être que pour que la parole soit donnée aux femmes, dans notre monde d’hommes, qu’il leur faut d’abord passer par le crime. 

Personne ne cherche à entendre ou à savoir ce que pense ou ressent une élève brillante et sans histoire. Comme personne ne cherche à savoir ce que pense ou ressent la mère de Rama, lorsque dans le film, parée de ses bijoux et de sa belle robe et apparaissant comme une femme brillante et parfaite, grosse de sa tristesse que seule l’enfant Rama vit et perçoit, elle apporte un repas de réjouissance pour les convives attablés. 

Le seul trait d’humour, involontaire et « forcément » très noir, du film intervient lorsque Laurence Coly raconte qu’une fois arrivée à Saint Omer, c’est une femme, « guide touristique », qui lui a appris où se trouvait la mer. J’essaie d’imaginer un peu, sans y arriver, l’effroi de cette guide après la nouvelle de l’infanticide. Cette guide était peut-être une mère ou envisageait peut-être de le devenir un jour. 

 

Paroles d’homme

J’ai écrit au début de cet article que Saint Omer est un film de femmes. Cela est nécessaire pour tenter de rétablir certaines injustices. Mais c’est aussi le travers du film.

D’abord, j’ai du mal avec cette citation de Duras à propos de l’affaire Grégory car, pour le peu que je sais, rien ne prouve comme l’avait affirmé Duras que la mère du petit Grégory ait véritablement été l’auteure du crime.

 

Ensuite, en tant qu’homme, pour ma part, j’aurais plutôt tendance à fuir une femme qui ressemble à Laurence Coly. Je ne parle même pas de la mère qui a tué ou « offert » son enfant à la mer. Je parle de la psychose, de sa froideur, de sa psychorigidité…

 

Lorsque Luc Dumontet, son ex compagnon, parle des « jalousies » de Laurence Coly, capable d’être en colère «pendant plusieurs jours », j’imagine des scènes de jalousie aussi obstinées que brusques et incompréhensibles. Ce genre d’attitude ne me donne pas vraiment envie d’avoir une relation avec une personne pareille. Mais pour qui l’a, ce genre de relation est particulièrement difficile.

 

Dans le film, j’ai donc trouvé particulièrement violente cette scène où l’avocate ( Maitre Vaudenay jouée par Aurélia Petit) de Laurence Coly balance en public à l’ancien compagnon de celle-ci ( Luc Dumontet, joué par l’acteur Xavier Maly) qu’il a été d’une « grande lâcheté » !

 

Cette avocate, Maitre Vaudenay, commence par prévenir cet homme qu’elle n’est pas là pour le juger car la couleur de sa robe est noire et non rouge, comme celle de la juge. Puis, finalement, brusquement, Maitre Vaudenay juge Luc Dumontet ( l’ancien compagnon de Laurence Coly) en public. Pour moi, cette femme avocate tond en public l’ancien compagnon de l’accusée.

 

Que cet homme ait été lâche, qu’il ait préféré cacher sa relation ou disposer de cette femme et future mère infanticide, soit. Par contre, tout lui reprocher comme s’il avait eu, lui, la capacité de tenir tête à cette femme qui (là, je rejoins l’idée de sa puissance) est le contraire d’une femme docile et qui, qui plus est, est psychotique….

 

Cet ex compagnon que j’ai vu dans Saint Omer, lorsqu’il raconte cette période heureuse avec Laurence Coly ( l’actrice Guslagie Malanda) et leur enfant m’a beaucoup donné l’impression d’un homme qui ne savait vraiment pas avec quelle genre de personnalité il se trouvait. Et qu’il était, au fond, complètement dépassé alors qu’il vivait, lui, le grand bonheur passé qu’il raconte à la cour.

En cela, cet homme est semblable à beaucoup de personnes, femmes comme hommes, qui, peuvent connaître des moments importants avec une personne, qui, malgré ou du fait de l’intimité partagée avec elle, ignorent beaucoup d’elle. Pas une seule fois, lorsque Luc Dumontet, l’ancien compagnon de Laurence Coly témoigne, il ne prononce le mot « Psychose » ou ne semble se dire, ou comprendre, que celle-ci puisse avoir eue une personnalité « un peu » pathologique. 

 

Et, un homme qui raconte, comme cet ex compagnon le fait, qu’un homme de son époque ne s’occupe pas des enfants ou ne sait pas s’en occuper, va spontanément s’en remettre à la femme et à la mère pour cela, ne me paraît pas être un homme lâche. C’est un homme limité, archaïque ou dépassé, si l’on veut. Mais pas plus lâche que bien d’autres.

 

Je le pense d’autant plus qu’assez régulièrement, je m’interroge à propos de certaines personnalités ( masculines) en essayant de les imaginer en train de s’occuper de leurs enfants, bébés. Et, j’ai quelques fois bien des doutes- fondés ou infondés- concernant leurs capacités de «nursing » : se lever en pleine nuit lorsque bébé pleure, changer sa couche, préparer son biberon, lui donner son biberon,  prendre bébé dans ses bras, être avec lui à la maison ou sortir avec lui, lui parler….

 

Si je vois Laurence Coly, l’accusée, comme psychotique, paradoxalement, je ne la vois pas « folle » comme son avocate la voit. Je crois que l’avocate de Laurence Coly se rassure beaucoup en voyant sa cliente, Laurence Coly, « seulement » comme  folle. Parce-que si elle est folle, cela veut dire qu’elle est vulnérable, à soigner et à protéger. Moi, je ne crois pas que Laurence Coly soit aussi vulnérable que son avocate la voit. On a une petite idée de l’aplomb- mais aussi de la maitrise- dont elle peut être capable lorsqu’elle répond à l’avocat général ( l’acteur Robert Cantarella) qui fait beaucoup plus le poids que son ancien compagnon n’était sans doute capable de le faire dans leur intimité.

Je ne suis pas persuadé que dans le « couple » que Laurence Coly a formé avec Luc Dumontet, que celle-ci ait toujours été la personne dominée. Malgré la différence du nombre d’années, malgré la différence de statut social et de couleur de peau.

 

Laurence Coly (l’actrice Guslagie Malanda)

 

 Mais il est plus facile à Maitre Vaudenay de voir l’ex compagnon de sa cliente comme un « lâche » qui a failli à ses responsabilités et, disons le une bonne fois pour toutes, comme un homme à qui il a manqué une bonne paire de couilles. Car c’est ça- en d’autres termes- que l’avocate de Laurence Coly dit à l’ancien compagnon de celle-ci.

Par ailleurs, je suis étonné que l’ex compagnon de Laurence Coly ne soit, lui, défendu par personne dans la cour. 

 

Mais il n’y a pas que ce portrait de cet homme « lâche » et sans couilles qui m’a dérangé dans Saint Omer.

 

Le compagnon ( Adrien, joué par l’acteur Thomas de Pourquery)  de l’héroïne est plutôt sympathique. Il a une bonne tête, c’est un zicos ( musicien) il est ouvert, poli, sociable, solide, patient, compréhensif. Mais c’est un faire valoir. Il est juste là pour arrondir les angles, pour servir de confident et de doudou rassurant lorsque Rama, l’héroïne, craque et à juste titre. A force de rester à proximité de l’abime, celui-ci finit par prendre la forme de notre visage et de notre regard.

Rama ( Kayije Kagame) avec son compagnon Adrien (Thomas de Pourquery)

 

 

Le compagnon de Rama serait l’homme parfait mais aussi un père attentif et présent. Mais cet homme parfait, tel qu’il est, me dérange beaucoup. Je ne vois pas très bien où se trouve l’Amour dans ce couple mixte et « moderne ». Je ne vois pas très bien ce qui donne envie à cet homme d’être avec cette femme si taciturne. Je ne vois pas très bien ce qui donne de la vie à leur relation de couple.

 

 

L’autre homme que l’on voit dans le film, c’est l’avocat général. Bon. Il fait son travail. On a donc, d’un côté, un homme lâche qui est pire qu’un pauvre type et qui n’a plus qu’à aller se suicider après s’être fait exécuter publiquement – et froidement- par l’avocate de son ex compagne. On a un homme parfait qui fait office de faire valoir. Et un homme qui fait son travail de procureur. Au suivant.

 

 

On pourrait ajouter le juge d’instruction plus ou moins raciste que l’on voit un peu témoigner et qui a ou aurait livré, clés en mains, à l’accusée sa méthode de défense. Juge d’instruction remis en cause par l’avocat général qui fait plutôt bien son travail de procureur, il me semble.

 

Et puis, surtout peut-être, il y a le père de l’accusée, absent au procès, au contraire de la mère. Le père qui s’est fâché avec elle lorsque celle-ci a pris la décision d’arrêter des études de droit pour faire de la philo. Le père qui a, dès lors, arrêté de la soutenir financièrement et moralement. Poussant ainsi sa fille à trouver des solutions pour s’en sortir économiquement.

 

Il y a aussi le père disparu de Rama.

Enfin, il y a les femmes, les enfants et les hommes migrants qui se noient en mer en essayant de la traverser. Des personnes que l’on ne voit pas, que l’on ne rencontrera pas, et qui, pour certains, tombent dans les filets des nombres dont on déverse de temps à autre le contenu en nous apprenant que tant de personnes sont mortes en mer, après que les flotteurs de leur embarcation se soient dégonflés comme, récemment, avec le Viking Océan, entre l’Angleterre et la France. Si l’on peut faire à peu près tout dire au « personnage » incarné par Laurence Coly ou lui prêter une bonne partie de nos projections, de notre attraction comme de notre répulsion, selon ce qu’elle nous inspire, les circonstances de la découverte du cadavre de la petite Lily sont néanmoins relatées dans Saint Omer  par la juge et Présidente ( l’actrice Valérie Dreville). C’est un pêcheur qui découvre le cadavre et qui croit, au départ, qu’il s’agit du corps d’un enfant migrant.

 

On peut  penser que Laurence Coly avait tout pour réussir. Qu’elle était du bon côté de la mer comme on peut être dans le bon quartier d’une ville, à la bonne époque, dans la bonne école, et réunir les meilleures conditions qui soient pour réussir en étant la même personne. Le film Atlantique de Mati Diop peut aussi, un moment, se profiler dans l’horizon de notre mémoire. 

Car on peut considérer que réussir à bien accoucher revient à bien traverser la mer pour se retrouver du bon côté de la vie- et, qu’alors que le plus dur a été accompli, que Laurence Coly, elle, en quelques minutes, détruit ce pour quoi d’autres vont prendre tous les risques, voire mourir, sans l’obtenir. Traverser la mer, obtenir une meilleure vie. Donner la vie. Laurence Coly s’en détourne car, pour elle, la Sénégalaise partie en France poursuivre des études supérieures, cela lui rendra la vie plus facile…

 

L’accusée est décrite à la fin du film, par son avocate, comme une « femme fantôme ». Mais, pour moi, les hommes aussi sont des fantômes dans cette histoire. Mais aussi dans ce film.

 

J’ai aussi été perplexe devant les pleurs de l’accusée à la fin du film. Les pleurs.

 

Les pleurs et les femmes

 

J’espère que l’on ne va pas essayer de se convaincre que parce-que cette accusée pleure à la fin du film, qu’elle en est plus humaine. Ou qu’elle rejoint enfin, le cercle des êtres humains. Et qu’il y a donc de l’espoir pour la personne qu’elle est en tant qu’être humain. Laurence Coly n’a jamais cessé d’être humaine. Mais son humanité menace la nôtre. 

 

Je me demande la raison pour laquelle l’accusée pleure à la fin du film. Elle peut avoir été réellement émue. Elle peut, aussi, pleurer parce-que son avocate, par sa plaidoirie, plus brillante que les suggestions faites par l’instruction plus ou moins raciste, lui indique ainsi comment se comporter. L’accusée pleure au bon moment. Ce qui pourrait inciter à penser qu’elle véritablement des «nôtres». Sauf que même sans pleurs, elle était déjà des « nôtres ». 

 

Dans Saint Omer , Alice Diop nous montre une femme qui a déposé son enfant devant la mer. Devant cette femme, je dépose mes doutes. Devant le film, je suis partagé mais je suis content qu’il existe et qu’il ait eu des prix. Les acteurs jouent bien. L’actrice Guslagie Malanda ( Laurence Coly) se détache. Mais j’ai aussi beaucoup aimé le jeu de l’acteur Xavier Maly ( Luc Dumontel) car bien jouer «un lâche » est un exercice plutôt difficile.

 

Franck Unimon, ce jeudi 24 novembre 2022

Catégories
En Concert

En concert avec Pongo à la Cigale, ce vendredi 18 novembre 2022

Pongo, à la Cigale, ce vendredi 18 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

En concert avec Pongo à la Cigale ce vendredi 18 novembre 2022.

 

 

Pongo m’était encore inconnue cet été. Dans mon entourage, personne ne la connaît. Cela a été pareil lorsque j’ai parlé récemment de l’humoriste Tania Dutel ( que j’ai envie d’aller revoir) ou de Hollie Cook. Trois femmes, chacune d’une trentaine d’années, plutôt émancipées. Je ne l’ai pas fait exprès.

 

Si Pongo est angolaise, Tania Dutel est française ( L’humoriste Tania Dutel sur scène à la Nouvelle Eve)  et Hollie Cook ( En concert avec Hollie Cook au Trabendo), elle, Anglaise.

 

C’est en écoutant le podcast Musicaline d’une poignée de minutes, il y a environ deux mois, que j’ai « découvert »  Pongo. La journaliste racontait qu’à l’âge de 15 ans, Pongo avait fait un tube mondial, Wegue Wegue pour la FIFA. Mais son nom n’avait pas été crédité. J’ai écouté Wegue Wegue, tout à l’heure, le titre ne stimule pas ma mémoire. Il y a 15 ans, nous étions en 2007.

 

Après Wegue Wegue, durant une quinzaine d’années, Pongo a vécu de petits boulots afin de subvenir aux besoins de ses sœurs. ( Selon wikipédia, Pongo et sa famille auraient fui la guerre civile en Angola en venant vivre au Portugal. Cependant, quelques années après leur arrivée, son père aurait abandonné le foyer. Si cela est avéré, je l’ignorais lors du concert à la Cigale hier soir)

 

Un jour, Pongo s’est entendue chanter à la radio pour le titre Wegue Wegue.  Cela l’aurait décidée à se remettre dans la musique.

 

Dans ce podcast daté du 31 mars 2022 où Pongo était surnommée La Guerrière du Kuduro, la journaliste louait son énergie ainsi que ses dansants mélanges musicaux.

Kuduro, le Semba ( musique angolaise), Zouk, Rap, Afrobeat, Dance Hall jamaïcain… quelques extraits de titres de Pongo avaient suivi :

 

Wegue Wegue, Bruxos, Doudou, Hey Linda

 

La journaliste disait que Pongo était capable de faire « trois fois le tour du monde » dans une seule chanson.

 

Quelques jours plus tard, j’achetais son album, sorti cette année : Sakidila.  

 

Je l’ai tout de suite aimé. Cela fait quelques années, maintenant, que le Kuduro a jailli. Et, même s’il a pu m’arriver de le côtoyer, je n’avais jamais pris le temps de l’écouter de près.

 

La musique de Pongo ne se cantonne pas au Kuduro. Puisqu’il y est question de mélanges. Mais son album me permet de m’y rendre en partie. Même si, au départ, en l’entendant chanter, je l’ai crue Nigériane car j’avais cru reconnaître l’Afrobeat de Fela pour la façon de chanter mais aussi une certaine agressivité dans le rythme. Si la musique de Hollie Cook berce, celle de Pongo, perce.  

Pongo, à la Cigale, ce vendredi 18 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

J’étais allé seul aux concerts de Zentone ( En concert avec Zentone à la Maroquinerie) et de Hollie Cook. Ce vendredi, j’ai invité deux amies, Zara et Tu piges ?! ou Tu Piges ?! et Zara à venir avec moi.

Deux à trois semaines plus tôt, Tu Piges ?! et un autre ami, Radio Langue de Pute, m’avaient expliqué qu’ils avaient pour habitude de partir à trois en concert avec une autre amie. Et qu’à tour de rôle, chacun faisait découvrir aux deux autres un artiste.

 

L’idée m’avait plu. Je l’ai assez rapidement mise en pratique avec le concert de Pongo. Car à trop attendre, certains projets ne se font pas. La preuve :

Comme j’avais un peu trop traîné pour acheter les places, il n’y en n’avait plus lorsque je me suis présenté dans cette chaine de magasins plus que connue pour vendre des produits culturels. Deux semaines avant le concert.

 

Je parle de cette chaine de magasins très connue qui ouvre aussi désormais le dimanche et qui figurait, lors du confinement dû à la pandémie du Covid, sur la liste des commerces essentiels. Tandis que les salles de concert, de théâtre, les salles de cinéma, les bibliothèques et les médiathèques municipales, les musées et les écoles avaient dû rester fermées pour raisons sanitaires ou nécessiter la présentation d’un passe sanitaire valide.

 

Je fais allusion à cette chaine de magasins qui vend aussi, maintenant, des produits électroménagers, en plus d’ordinateurs, de vélos électriques….

 

J’ai été bien contrarié lorsque la jeune vendeuse de cette chaine de magasins essentielle m’a appris qu’il n’y avait plus de places de concert disponibles quinze jours avant la date. J’avais trop attendu. Mais j’ai persisté à chercher.

 

Je suis tombé sur l’application Dice que je ne connaissais absolument pas. J’ai pu acheter trois places sur Dice, à 30 euros la place. Tout semblait en règle.  J’ai même reçu une facture que j’ai imprimée. Mais cette transaction uniquement numérique me changeait de ce que j’avais toujours connu et de ce que je préfère :

 

Le contact humain. Même si on ne peut pas dire que le contact humain avec une vendeuse ou un vendeur de places de concert soit très souligné étant donné le nombre important de clients qu’ils voient défiler. Etant donné, aussi, le peu de plaisir qu’il peut y avoir dans le fait de répéter la tâche standardisée qui consiste à vendre des places de concert- ou du rêve- à un prix parfois élevé. Sans compter que, souvent sans doute, les vendeuses et vendeurs de places de concerts et de spectacles divers ont  à répondre plusieurs fois aux mêmes questions comme si c’était la première fois que celles-ci leur étaient posées.

 

Je peux confirmer que Dice m’a permis de me rendre au concert de Pongo mais aussi d’y inviter Zara et Tu Piges ?! Radio Langue de pute ayant déjà prévu d’aller émettre dans une certaine région de France, il n’a pas pu venir avec nous cette fois-ci. J’ai donc fait profiter Zara de la place qui me restait.

 

Ce vendredi soir, avant de retrouver Tu Piges ?! et Zara à la cantine de la Cigale, cette fois, je suis allé acheter des protections auditives à la Baguetterie, un magasin de musique, rue Victor Massé. Même si, en le mentionnant, je fais là une forme de publicité, je la crois utilitaire pour des raisons sanitaires ainsi que musicales. 

Ce vendredi, pour la première fois depuis que j’ai commencé à aller à des concerts, J’ai décidé de mettre le prix dans des protections auditives.  Vu que j’ai envie de retourner à d’autres concerts. Et que j’ai besoin d’être près de la scène pour faire des photos.

 

Pour à peu près 50 euros, j’ai acheté les Fcking Loud 25 de la marque Crescendo que j’essayais pour la première fois et qui m’ont apporté un  confort acoustique aussi étonnant que plaisant. A la fin du concert de Pongo, au bar de la Cigale, j’ai pu obtenir gratuitement des protections auditives. Mais celles que j’ai achetées protègent et mes oreilles et la qualité du son.

 

Il existe des protections auditives moins chères. Il existe un autre modèle, très recommandé, qui coûte environ 30 euros.

Pongo, à la Cigale, ce vendredi 18 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Lors du concert, dans la salle de la Cigale, ce qui m’a très vite étonné, c’est le nombre de femmes présentes. On aurait dit qu’il y avait plus de femmes que d’hommes à ce concert. Ou, que c’était peut-être une soirée entre femmes qui avait finalement « mâle tourné » puisqu’il se trouvait quand même des hommes.

 

Si j’ai remarqué que la moyenne d’âge générale du public se situait entre 20 et 30 ans, Tu Piges ?! et Zara m’ont ensuite dit avoir vu des spectateurs plus âgés. Mais pas dans la fosse où je me trouvais et où Tu Piges ?! a passé un peu de temps avec moi avant de retourner rejoindre Zara au balcon.

Tu Piges ?! et moi avant le début du concert de Pongo, à la Cigale, ce vendredi 18 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Je m’attendais aussi à rencontrer un public plus noir ou majoritairement noir. Cela a été  l’inverse. Le public était majoritairement, et très largement, blanc. Et, si je poussais plus loin dans l’idée reçue, je dirais qu’à voir ce public blanc aussi présent au concert de Pongo, la preuve est à nouveau faite que la danse mais surtout certaines musiques se sont véritablement démocratisées et ne sont plus uniquement le  « patrimoine » de communautés noires ou arabes. Comparativement aux années 80 ou 90 par exemple.

 

Je vais ici m’avancer à affirmer qu’une artiste comme Pongo, dans les années 80 ou 90 aurait sans doute compté un public plus « foncé ». Pour cela, je me fie à l’histoire de groupes comme Kassav’ par exemple, qui, lors de ses premiers concerts à Paris, avait gagné son succès grâce aux communautés noires présentes en France, en particulier antillaises et d’Outremer et sans doute aussi africaines ( lien vers mon compte-rendu sur le documentaire réalisé par Benjamin Marquet sur  Kassav’ ). Au vu de la réussite par la suite de Kassav’ également dans des pays d’Afrique noire.

 

Et, je me rappelle aussi d’un concert du groupe de Reggae Black Uhuru à la fin des années 80, je crois, à l’Elysée Montmartre. Si j’avais finalement renoncé à profiter (une erreur de ma part ! ) de ma place que j’avais achetée et que j’avais très facilement revendue, je me rappelle d’avoir alors été étonné par la foule de Rastas ou de personnes en possédant certaines des caractéristiques majeures, en particulier les dreadlocks qui n’étaient pas là pour faire décoration.

Et, mon souvenir est que la foule que j’avais aperçue sur place devant la salle de concert était majoritairement et indiscutablement noire. Pour moi, qui suis noir, cela avait presque été un choc sociologique de me retrouver subitement devant un tel concentré de personnes noires. Au point que je m’étais demandé d’où sortaient tous ces « Rastas » que je voyais rarement, dans de telles proportions, dans ma vie ordinaire. Et où se cachaient-ils habituellement ? Dans des caves ?

 

Autre découverte hier soir : si, dans mon entourage, personne ne connaît Pongo, dans la salle, pleine, beaucoup de monde la connaissait. Ainsi que ses titres. La salle de concerts de la Cigale est une « petite » salle de concerts par comparativement à quelques paquebots sonores mais elle accueille néanmoins beaucoup plus de monde que certains bureaux de vote.

 

La première partie du concert a été assurée par le DJ Lazy Flaw. C’était plutôt plaisant. Mais on connaît le « principe » des premières parties. Ce n’est pas pour elles que l’on vient. Alors, on patiente poliment. Un peu comme si l’on attendait la fin d’un cours ou du ruisseau qui va nous mener à la mer en opinant de temps en temps. Par moments, on se dit même que ce n’est pas trop mal à condition, toutefois, que cela se termine bientôt.  Ce qui a fini par arriver avec le DJ Lazy Flaw.

 

Après « l’entracte », les deux musiciens de Pongo sont arrivés tranquillement. D’abord la DJ et choriste, aussi élégante que discrète. Et le batteur, simple mais adéquat.

Pongo, à la Cigale, ce vendredi 18 novembre. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Pongo ? Son entrée sur scène a suffi pour capter  l’attention de la salle. Je ne crois pas qu’elle avait commencé à chanter lorsqu’elle a produit cet effet. Elle est arrivée, elle a peut-être dit quelques mots. Tout le public était déjà branché sur elle.

 

Pongo a commencé par le titre Doudou. Lorsque j’écris « commencé », ce n’était pas juste chanter. Mais aussi danser, s’emparer de la scène et faire corps avec elle.

 

On ne peut pas rester indifférent lorsque l’on voit danser comme Pongo le fait. Si l’on aime la danse. Si, pour soi, danser, c’est se libérer, se défaire des regards, du découragement, se sensibiliser à la transe. Et projeter sa vitalité.

 

Un peu sur l’arrière scène, entre la DJ choriste et le batteur, il y avait une sorte de carré noir un peu surélevé sur lequel, plusieurs fois, Pongo est venue s’installer comme sur une machine à danser destinée à nous secouer et à promouvoir ce temps que nous allions passer ensemble.

 

Les titres étaient courts ou m’ont semblé courts mais pratiquement aucun n’a raté son sort. Nous attraper, nous faire danser. Pongo a régulièrement ponctué la fin de ses chansons de roucoulements et interpellé le public en l’appelant  » La Famille ! « .

Pongo, à la Cigale, ce vendredi 18 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Un spectateur a remis un bouquet de fleurs à Pongo. Le public a manifesté son amour. Pongo a été très émue au point de pleurer un peu. Il m’a semblé que beaucoup de féministes étaient à la Cigale au concert de Pongo. A commencer par Zara et Tu Piges ?!

 

 

Vers la fin du concert, Pongo a invité le public à venir sur scène avec elle à deux reprises. Il y a eu foule à chaque fois. Entre les deux, Pongo est descendue dans la fosse pour chanter au milieu du public.

 

La seconde fois sur scène, avec tout ce public à nouveau venu la rejoindre, cela a été drôle de voir la tête d’un des agents de sécurité qui se serait bien passé de tout ce bordel.

Pongo a enlacé quelques spectatrices et spectateurs. Pongo a aussi fait intervenir deux danseuses, séparément mais aussi ensemble. Chacune avait de solides arguments. Personne, je crois, n’a contesté ce qu’elles avaient à dire et elles l’ont dit. Pongo, à côté, ne faisait pas de la figuration. Il lui suffisait d’un mouvement ou deux pour réaffirmer sa présence.

 

Le concert a été extraordinaire. Et, je suis d’autant plus content qu’il a beaucoup plu à Zara et à Tu Piges ?!

J’espère que cet article et mes photos contribueront à prolonger cette impression d’extraordinaire mais aussi à donner envie d’écouter Pongo ou de danser avec elle en concert.

 

Pour rendre compte au mieux avec mes photos de l’atmosphère du concert, il m’a semblé qu’il fallait, cette fois-ci, opter pour un diaporama. Et, j’ai choisi le titre Bruxos de Pongo  qui est un de mes préférés et celui que j’avais en tête lorsque j’étais en quête des places de concert.

 

Les photos du concert viennent dans un certain désordre. J’ai délibérément évité de suivre la chronologie exacte du déroulement du concert. Je crois que c’est mieux comme ça et j’espère que cela vous plaira.

 

 

Franck Unimon, ce samedi 19 novembre 2022.

 

Catégories
Cinéma

Retour à Séoul un film de Davy Chou au cinéma le 25 janvier 2023

Retour à Séoul un film de Davy Chou au cinéma le 25 janvier 2023.

 

 

Retour à Séoul aurait pu avoir pour sous-titre : Le Prix du Matin calme.

 

 

Alors qu’il est en quête d’harmonie, le loup occidental  croit l’apercevoir dans certains pays d’Asie. Si l’on fait partie de ces personnes attirées par l’Asie au moins pour cette « raison » ou cette croyance, on envie la jeune Freddie lorsqu’elle arrive en Corée du sud au début du film. Freddie est alors notre alibi et notre double. Bien que d’origine et d’apparence coréenne, elle a toujours vécu en France et parle à peine Coréen. C’est une jeune femme dans la vingtaine très à l’aise pour les relations sociales. Au lieu de se regarder dans un miroir en attendant que quelqu’un vienne à elle, c’est elle qui s’avance vers les autres.

 

L’actrice Park Ji-Min II dans le rôle de Freddie.

 

Sa facilité pour entrer en contact, en abattant les distances, avec les jeunes Coréens surprend (et cela nous surprend tout autant). Mais cela les fascine aussi et semble leur simplifier la vie. Tels les timides invités d’une soirée ou d’une  société, ces jeunes Coréens semblent avoir toujours attendu que quelqu’un comme Freddie les rejoigne et  fasse pour eux le premier pas, les autorisant en cela à s’avancer ensuite.

 

Le pays du Matin Calme serait donc un de ces endroits où l’harmonie est obtenue en maintenant, dès son plus jeune âge, chaque individu à l’envers de soi sur  un socle.

 

Freddie, « la jeune étrangère », est celle qui provient du hors champ de cette éducation à la Coréenne. Laquelle éducation, pour garantir l’harmonie sociale d’un pays, n’en n’enferme pas moins ses citoyens. Le pays tout entier est leur prison et s’étend jusqu’à leur espace social, émotionnel, corporel et mental.

 

« Tu es une personne très triste » lui dira pourtant plus tard en Français Tena ( l’actrice Guka Han, également auteure du livre Le jour où le désert est entré dans la ville ) une de ses amies coréennes pourtant peu portée sur l’extravagance. Comme si le fait d’avoir laissé filer cette tristesse hors de son bol intérieur était une grande tare sociale en Corée du sud. Ou que le secret de cette trop grande liberté de Freddie, d’abord entraînante et extraordinaire, avait pour elle le tort d’avoir été révélé.

 

L’armature des convenances est telle qu’il convient de toujours aller bien et de savoir garder pour soi certaines émotions afin de ne pas incommoder les autres avec celles-ci. Rien ne doit dépasser ou déborder.

 

Le pays du Matin Calme est peut-être le pays où l’on aspire parfois à extraire de soi ce que l’on ressent afin de l’exprimer mais où le risque reste trop grand de se retrouver dévalué, aux yeux des autres ou à nos propres yeux, si l’on se confie tel que l’on est. Car nos secrets nous protègent.

 

Or, Freddie, elle, déborde et se livre allégrement comme une enfant tandis que les jeunes Coréens alentour se tiennent bien et à l’abri du jugement des autres.

 

La récréation, pour Freddie, dès lors, se fait courte. Après les premiers temps de l’exaltation de la découverte de la Corée du Sud, il lui faut aussi passer aux choses sérieuses.

Freddie ( l’actrice Park Jin-Min II) alors qu’elle cherche le Centre Hammond.

De d’abord libérée par rapport à ses rencontres coréennes, car Française, Freddie trouve ensuite sa propre prison. Celle de l’histoire de son adoption. Car elle est née Coréenne. Ses amis coréens lui parlent du centre Hammond qui aide les enfants coréens adoptés à retrouver leurs parents biologiques.

 

A partir de là, Retour à Séoul cesse d’être la comparaison amusante mais aussi embarrassante – Freddie se montre par moments assez rude ( tant en Français qu’en Anglais ) envers certaines mœurs coréennes-  entre deux cultures, Coréenne et Française, pour devenir le récit de la fabrication « en accéléré » d’une nouvelle identité.

 

Freddie est spécifiquement Française au début du film. A la fin du film, sa part coréenne sera établie.

 

Le processus, sur plusieurs années, sera plusieurs fois déconcertant et difficile.

L’acteur OH Kwang-ROK qui incarne le père biologique de Freddie suivi par celle-ci ( l’actrice Park Ji-Min II) et son amie coréenne Tena ( l’actrice Guka Han)

 

Il contiendra aussi son lot de dérives. Car tant que l’on fait semblant et que l’on raffole de l’instant et sans attente particulière, ce que l’on vit est sans conséquences. Par contre, lorsque l’on s’expose au Temps des autres et que l’on en attend des réponses….

 

Freddie ne peut pas se soustraire à cet autre voyage. Celui de son histoire personnelle et de son identité pour lequel ses parents adoptifs français, malgré tout leur Amour et tous leurs efforts, restent et redeviennent deux étrangers.

 

Après plusieurs voyages au Japon, pays proche, celui de Freddie en Corée du Sud, plus personnel et moins exotique, est le voyage de la maturité.

 

Presque paradoxalement, l’inconnu de ses origines qui construit sa quête, le handicap d’être Française comme celui de peu parler la langue coréenne vont aussi lui permettre de prendre des décisions, comme de mener une vie, dont elle aurait sûrement été incapable si elle avait toujours vécu en Corée et toujours été « seulement » Coréenne.

 

Pour réaliser ce film, Davy Chou s’est inspiré librement de la vie de Laure Badufle qui a participé à la conception du scénario. Aujourd’hui, Laure Badufle est devenue Coach professionnelle de l’Ecole Française de Coaching, enseignante de Yoga Kundalini et co-présidente de la Fédération Française FFKY. Elle a aussi « créé le programme Adoption Mastermind pour accompagner adopté.e.s et adoptants à travers les défis de l’adoption et travaille avec des associations en France et à l’étranger ( Racines Coréennes, La Voix des Adoptés, G.O.A’ L (….) ».   

 

Dans le film Retour à Séoul, L’actrice (Park Ji-Min II) qui incarne Freddie passe par un spectre de regards et d’émotions qui la rendent tantôt attachante, tantôt agaçante mais aussi cruelle, froide ou effrayante. Parfois, elle scrute voire sectionne du regard ses interlocuteurs comme des insectes de passage ou de transition mais aussi comme si elle voulait se réincarner dans leur histoire personnelle. On ne la quitte pas des yeux tant son jeu est convaincant.

Freddie, en plein repas avec sa famille biologique du côté de son père qu’elle a retrouvé. Face à elle, son amie Coréenne, Tena ( l’actrice Guka Han) qui lui sert d’interprète.

 

A la fin du film, Freddie demeure une personne assez insaisissable. Peut-être parce qu’elle est devenue un être humain plus libre et plus heureux en achevant bien sa mue en tant que Coréenne. 

 

 

 

Retour à Séoul sortira au cinéma le 25 janvier 2023.  

 

Franck Unimon, ce vendredi 18 novembre 2022.

Catégories
self-défense/ Arts Martiaux

Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022

Paris, 13ème arrondissement. Octobre ou novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Le Maître Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022.

 

Nous grouillons de rêves et d’envies. Rassurés par ces décors que nous connaissons, et qui nous décorent aussi, comme par ce mode de vie que nous sommes encore nombreux à avoir pu conserver, nous continuons, souvent, comme « avant ».

 

Même si nous savons tout ce qui se raconte et perce au travers de certains événements :

 

L’évaporation des possibilités fossiles- et autres- de notre environnement.

 

Nous ne parvenons pas à nous empêcher de répéter les mêmes erreurs car c’est ainsi que nous avons appris à persister. Nous sommes habitués, aussi, à ce que les malheurs se forment un peu partout autour de nous. L’Histoire de l’Humanité est faite de cette capacité à continuer.

 

Et, puis, aussi, nous sommes munis de nos plus grandes espérances. Dont celle d’être épargné.

 

Quelques fois, ou peut-être souvent, je me donne la leçon avec ce genre de pensée. Je «regarde » celles et ceux qui ont agi tout à fait différemment de moi lorsqu’ils se sont engagés tel, en ce moment, un Frantz Fanon. Je sais que ma vie n’est pas la leur. Pourtant, je ne peux m’empêcher de me dire certaines fois que, comparativement à ces personnes, je manque d’audace et de courage.

 

Résigné, dominé, apeuré, angoissé, trop raisonnable, trop prudent ou trop réaliste, je sais qu’une de ces caractéristiques ou toutes me désignent à un moment ou à un autre. Alors que nous vivons beaucoup de moments, seul ou à plusieurs, dans une seule journée. Peu m’importe, lors de ces instants de défaillance, ce que d’autres peuvent distinguer ou ont pu distinguer de moi de plutôt flatteur ou favorable. Car, alors, ma conscience m’appelle et me tranche avec mes/ses exigences.

 

Fort heureusement, il existe des solutions de repli, des opérations de sursis.

Un mot (« sursis») qui rime bien avec celui de la survie. Ainsi qu’avec la catharsis.

To Think out of the box

 

« To think out of the box » : On pourrait traduire cette phrase par « Sortir des sentiers battus». Mais, dit comme ça, c’est plat. Peut-être du fait de la plus grande variation des accents toniques dans la langue anglaise. Plutôt que « Sortir des sentiers battus », je préférerais l’expression « Sortir des barreaux ». Des barreaux intérieurs. 

 

Ce mardi 8 novembre, j’ai essayé de « Think out of the box ». Pour cela, j’ai été stratégique. La veille, ma cervelle avait fait en sorte que je reste chez moi. Afin de pouvoir passer du temps avec ma fille jusqu’au coucher. Ainsi, le lendemain soir, j’ai pu plus facilement sortir de mes remparts pour retourner au Dojo Tenshin où Manon Soavi nous a présenté son premier livre :

 

Le Maître Anarchiste Itsuo Tsuda ( Savoir vivre l’utopie).

A quelques mètres de l’entrée du bâtiment qui sert d’écrin au Dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Déchaussés dès l’entrée, Dans cet espace sauvé du bruit et du réduit, nous sommes un peu plus d’une cinquantaine assis, dont deux ou trois enfants d’à peu près d’une dizaine d’années, ainsi que la veuve de Maitre Noro , sur le tatami du Dojo Tenshin lorsque Manon Soavi commence à nous parler.

Au dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Aujourd’hui, certains termes comme  « être zen », «  le Ki » et d’autres états enseignés par les Arts Martiaux sont des recettes tombées dans l’escarcelle du libéralisme nous dit Manon Soavi. On peut ainsi lire des conseils pour « être zen » ou le devenir dans un magazine féminin comme Biba. A quand des sachets de zen instantanés que l’on pourra bientôt trouver dans des distributeurs à côté de sodas et de pop corn aurait pu ironiser Manon Soavi ?! 

 

Manon Soavi, ce mardi 8 novembre 2022 au Dojo Tenshin. Photo©️Franck.Unimon

 

Ailleurs, nous dit aussi Manon Soavi,  « l’Anarchie » est devenue synonyme de « chaos ».

 

 

Manon Soavi nous explique que l’expérience concrète de ces termes et de ces pratiques est très éloignée de ce qui en est présenté régulièrement sur la place publique et publicitaire. Ce faisant, elle nous rappelle d’une certaine façon la différence qui existe entre un pratiquant et un consommateur.

 

L’un et l’autre se font des destins très différents après une rencontre.

 

 

En quittant le Dojo Tenshin plus tard ce mardi soir, je serai particulièrement « content », en reprenant le métro, de tomber sur cette publicité que j’avais préalablement repérée et rencontrée. Présente depuis quelques jours dans notre environnement, le message de cette publicité qui se veut sûrement antiraciste et moderne car une femme noire y figure est au moins une incitation à la dépendance, ainsi qu’un rappel que la femme ( se) doit d’être une mère disponible pour ses enfants.

Paris, ce mardi 8 novembre 2022, dans le métro. Photo©️Franck.Unimon

Cette pub qui se veut « cool » et qui est facilement visible et accessible contrefait complètement certaines finalités du Zen. Mais elle convaincra sûrement certaines personnes.

 

Les personnes crédules qui prendront le contenu de cette publicité au pied de la lettre feront une autre expérience du Zen que celle vécue par Régis Soavi, le père de Manon Soavi, lorsque celui-ci, pratiquant d’Arts Martiaux depuis des années, avait rencontré Itsuo Tsuda, le Japonais « né en Corée », dans les années 70.

 

Itsuo Tsuda, en pleine séance.

 

Cette rencontre, nous dit Manon Soavi avant hier soir, a tout changé pour Régis Soavi. Mais, cela peut sans doute se comprendre au moins pour deux raisons :

 

Régis Soavi, un homme déja en rupture, a rencontré en Itsuo Tsuda un autre homme en rupture qui, comme lui, voire plus que lui, était allé encore plus loin dans la rupture avec ce qu’il refusait du monde ou de la société. En 1970, à l’âge de 56 ans, Itsuo Tsuda avait ainsi rompu avec son emploi de salarié pour se lancer davantage dans l’aventure du Ki, du Katsugen Undo (ou mouvement régénérateur) comme de leur enseignement.

 

Une rupture favorable à la vie et à l’être humain.

 

 

Dans cette attitude ou cette posture de rupture, nous sommes donc à l’opposé de celle du consommateur ou du citoyen qui obéit, se laisse berner, affaiblir, diluer ou soumet son corps, son travail, sa vie, son entourage et son salaire à des décisions qui peuvent être prises sans  lui en échange d’une sécurité et d’une préservation supposées qui lui seraient alors, de fait, garanties. Même lorsque ce qui est ou sera exigé de lui est contraire à ses valeurs.

 

Nous vivons dans un monde qui nous pousse à la dissociation. Un monde qui nous apprend régulièrement à adorer et à préférer la peur.

 

D’un côté, il nous est dit que nous sommes libres, égaux et responsables et plein de possibilités. D’un autre côté, nous vivons dans des sentiments d’impasse et d’impuissance qui contredisent ces messages.

 

Itsuo Tsuda, lui, a très tôt refusé ce mode de vie. En rupture à l’âge de seize ans avec son père, riche entrepreneur, comme avec les horreurs de la Seconde Guerre Mondiale portées par les Japonais en Corée, il est parti vivre en France une première fois dans les années 30, en plein Front populaire.

 

Manon Soavi, au Dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Ce mardi 8 novembre 2022, au Dojo Tenshin, devant nous, Manon Soavi continue de dérouler devant nous une partie de l’histoire d’Itsuo Tsuda comme celle des quelques rencontres qu’il y a faites et qui ont changé sa vie en France ou ailleurs. Tel Marcel Mauss…

 

Plus tard, Itsuo Tsuda rencontrera Ueshiba sensei et deviendra un de ses élèves étudiant l’Aikido avec celui-ci jusqu’à sa mort en 1969. Itsuo Tsuda apprendra aussi le Seitai et le Katsugen Undo ( ou mouvement régénérateur) avec Maitre Noguchi mais aussi le Nô avec Maitre Hosada.

 

 

Dix années durant, par la suite, Régis Soavi deviendra un des élèves de Maitre Itsuo Tsuda. Maitre faisant partie des Kage Shihan ( Maitres de l’ombre) selon Maitre Henri Plée. Manon Soavi mentionne cette affirmation de Maitre Henri Plée dans son livre que j’ai feuilleté ce mardi soir avant de l’acheter.

 

On peut être l’élève d’un Maitre d’Arts Martiaux ou de toute autre discipline ou rester celui de réclames publicitaires permanentes et renouvelées.

 

Certaines de nos relations et rencontres peuvent être des réclames publicitaires permanentes et renouvelées.

 

Mais, viendra peut-être le moment, un jour, où l’on deviendra un Maitre soi-même dans un domaine quelconque qu’il s’agisse de celui de l’illusion ou de l’éducation.  

 

Une éducation hors système

Manon Soavi, au Dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Avant l’édition de ce livre, Manon Soavi a débuté l’Aïkido à l’âge de six (elle en a désormais quarante) avec son père et fait l’apprentissage d’autres Arts martiaux. Elle a connu une éducation hors du système scolaire, une carrière de concertiste de piano pendant dix ans. Le Dojo Tenshin, d’ailleurs, accueille régulièrement des enfants éduqués en dehors du système scolaire ( Un sujet qui m’interpelle et dont je n’ai pas encore pris le temps de discuter avec Régis et Manon Soavi).

C’est peut-être pour cela qu’il y a sans doute une continuité dans le fait que ce soit quelqu’un comme elle qui, un jour, se soit décidée à écrire sur Itsuo Tsuda.

Au début, l’intention de Manon Soavi était d’écrire un article sur Itsuo Tsuda. L’article est devenu un livre.

Au Dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Lorsque ce mardi, j’ai demandé à Manon Soavi combien de temps lui avait été nécessaire pour écrire ce livre, elle m’a répondu :

 

« Il  y a deux réponses ».

 

Un an et demi pour la rédaction. Rédaction facilitée par le confinement dû à la pandémie du Covid.

Et plus de trente ans si l’on considère le fait que, dès sa naissance, elle a baigné dans les enseignements d’Itsuo Tsuda qui ont marqué le temps et l’existence de son père et de sa mère.

 

Manon Soavi avait deux ans lorsque Itsuo Tsuda est mort en 1984. Il l’a prise dans ses bras mais elle ne s’en souvient pas. Elle connaît de lui ce que « la légende familiale » lui a raconté m’a t’elle précisé en souriant. Le reste, elle est allée le chercher et l’a en partie trouvé. Car Itsuo Tsuda n’a pas tout dit.

 

Celles et ceux qui comptent nous disent rarement tout. C’est souvent à nous de raconter ce qui reste. 

 

L’Anarchie

 

Sur le tatami, ce mardi, Manon Soavi nous dit qu’il y a de la provocation dans le titre de son livre car les termes « Maitre » et « Anarchiste » ne collent pas ensemble. L’anarchie vise à échapper à toutes formes de domination autant comme personne dominée que comme personne dominatrice. Elle nous parle des conséquences du patriarcat. De la nécessité de l’ « empowerment ». Plus tard, après sa parole, j’ai vu que, dans son livre, elle cite des extraits d’ouvrages de Mona Chollet, une auteure féministe ( J’ai lu Réinventer l’Amour de Mona Chollet ). D’ailleurs, du 27 septembre au 16 novembre de cette année, une de ses œuvres, Sorcières, a été lue sur scène.

 

Une commémoration

 

Après sa présentation, Manon Soavi répondra qu’au Japon, Itsuo Tsuda, est un inconnu. Très en rupture avec les instances officielles du Japon, cette indépendance lui a aussi valu l’anonymat dans son pays. Malgré ce qu’il a pu connaître et accomplir de son vivant tant en termes de pratiques, d’enseignement que de parutions.

 

Au Dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Itsuo Tsuda a écrit une dizaine de livres en Français. Son premier livre, Le Non-Faire ,  est paru en 1973.

 

Inconnu ou ignoré au Japon, Manon Soavi nous a parlé, aussi, de son initiative, en 2013, d’organiser à Paris une commémoration pour les cent ans de la naissance d’Itsuo Tsuda (né en 1914).

 

Elle avait alors réussi à contacter des anciens élèves d’Itsuo Tsuda. Et, très vite, ceux-ci lui avaient assuré qu’ils seraient présents. Alors que près de trente années étaient passées depuis le décès de « l’inconnu » Itsuo Tsuda. Cette réaction spontanée de plusieurs de ses anciens élèves, puis leurs témoignages ensuite, ont attesté de l’importance qu’il avait pu avoir pour eux.

 

 

Je me demande maintenant quelle réclame publicitaire -ou quel article que j’ai pu acheter- il y a trente ans a pu avoir sur moi, le même effet. Pourtant, en trente ans, j’ai vu,  « connu » et « aimé » un certain nombre de réclames publicitaires et d’articles que j’ai pu acheter dans un de nos innombrables temples de la consommation.

 

Toujours dans ces préparatifs afin de commémorer Itsuo Tsuda, un ou une de ses  ancien(ne)s élèves a donné à Manon Soavi le numéro de téléphone d’une ancienne élève  :

 

Madeleine D. Laquelle, durant une année hébergea Itsuo Tsuda et sa femme chez elle et son mari, en région parisienne. Car Itsuo Tsuda fut pendant une année en situation irrégulière d’un point de vue administratif. Et, il avait alors obligation de quitter le territoire de la France.

En hébergeant Itsuo Tsuda et sa femme, cette ancienne élève et son mari, furent aussi des personnes de « rupture ». Et, à travers eux, on pense évidemment à des résistants ou à tout individu, qui, lors d’une guerre ou d’un péril imminent, a protégé et cache chez lui des personnes vulnérables ou grandement exposées aux travers de certaines Lois.

 

En « donnant » à Manon Soavi une des calligraphies d’Itsuo Tsuda en lui disant « Continuez », cette ancienne élève (Madeleine D.) a perpétué le travail de transmission du Katsugen Undō. 

Au Dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Prochain stage de Katsugen Undo du 9 au 11 décembre 2022.

 

 

L’édition d’un livre

 

 

Si Itsuo Tsuda a écrit à peu près une dizaine de livres (tous écrits en Français), Manon Soavi voit dans la parution de son propre livre Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda, une transposition du Non-Faire professé par celui-ci.

 

Au Dojo Tenshin, ce mardi 8 novembre 2022. Livres de Itsuo Tsuda.

 

 

Une année durant, elle avait sollicité des maisons d’édition sans suite. Puis, finalement, un nouveau membre du Dojo a parlé de ce projet à un éditeur avec lequel il faisait zazen.

 

Et, c’est finalement l’éditeur, intéressé, qui a relancé Manon Soavi. La suite de cette histoire s’est probablement enclenchée ce mardi depuis le dojo Tenshin.

J’avais pratiquement fini d’écrire cet article deux jours après cette soirée au Dojo Tenshin. Puis, un défaut de connexion à internet m’a empêché de le publier avant aujourd’hui. Entretemps, ce lundi ( il y a trois jours) à une projection de presse, je suis allé voir le prochain film de Davy Chou qui se déroule en Corée du sud :  Retour à Séoul. Retour à Séoul  sortira au cinéma le 25 janvier 2023. Itsuo Tsuda, Japonais, était né en Corée. C’est cette coïncidence qui m’interpelle maintenant alors que j’ai déjà écrit mon article sur ce film ( Retour à Séoul un film de Davy Chou au cinéma le 25 janvier 2023). Une coïncidence que j’avais oubliée en allant voir le film ce lundi.  

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 17 novembre 2022.

 

 

Catégories
Sur scène

L’humoriste Tania Dutel sur scène à la Nouvelle Eve

Ce jeudi 3 novembre 2022, devant l’entrée de la Nouvelle Eve.

L’humoriste Tania Dutel sur scène à la Nouvelle Eve

 

Ce jeudi soir, deuxième semaine des vacances de la Toussaint, il y a assez peu de monde dans le métro, ligne 12, qui m’emmène dans le 9ème arrondissement de Paris à la station Pigalle. Une fois dehors, deux videurs d’un sexodrome  m’indiquent obligeamment la route :

 

« La rue Pierre Fontaine,  après le Monoprix, c’est tout de suite à gauche ! ».

 

Depuis mon enfance, je suis déjà passé par Pigalle. Mais je ne connais pas la rue Pierre Fontaine. Cette rue où se trouve pourtant le Bus Palladium ( en travaux) non loin du cabaret Chez Moune, des endroits qui ont marqué l’Histoire de la nuit et de la vie artistique et culturelle de Paris. Et du monde occidental.

 

Je connais encore moins la salle la Nouvelle Eve où joue Tania Dutel ce jeudi soir et, ce, pour plusieurs semaines encore. Pour me diriger vers la Nouvelle Eve, je tourne le dos au Moulin rouge qui s’éloigne derrière moi.

 

Je ne l’ai pas fait exprès mais aller voir Tania Dutel, cela va bien avec le fait d’être allé voir Hollie Cook en concert la semaine dernière ( En concert avec Hollie Cook au Trabendo) dont le titre Postman en particulier continue sa route dans ma tête.

La salle de la Nouvelle Eve, depuis le balcon, non loin des toilettes, ce jeudi 3 novembre 2022, avant la prestation de Tania Dutel. La troisième table, en partant de la gauche, juste devant la scène, à côté des marches, c’est là où était « ma » place. J’ai demandé aux deux personnes attablées derrière moi de bien vouloir veiller sur mon sac. Ce qu’elles ont facilement accepté de faire. Photo©️Franck.Unimon

 

C’est par des vidéos sur internet que j’ai découvert Tania Dutel, 33 ans, il y a deux ou trois mois. Depuis des mois, par saccades, je regarde sur internet des sketches d’humoristes à Montreux ou ailleurs. Il y a les humoristes connus ou que « tout le monde » connaît. Et, il y a les autres qui marchent assez bien ou qui montent mais qui sont moins connus.

 

J’ai déja vu trois ou quatre humoristes sur scène dans le « passé » :

 

Jamel Debbouze, Dieudonné. C’était il y a plus de 12 ans.  Haroun a été le petit dernier, il y a à peu près deux ans entre deux confinements dus à la pandémie du Covid.

 

Mais je n’ai pas vu assez d’humoristes sur scène. Pas autant que je le voudrais ou l’aurais voulu. Cela fait des années que je me dis qu’il faudrait que je prenne le temps de le faire véritablement. Le seul en scène de l’humoriste est un exercice particulier. Si j’ai compris que le solo permet mieux à un certain type d’artiste de se trouver et de s’exprimer, je vois aussi le métier d’humoriste solo, sur scène, comme un métier colossal.

 

Pour moi, l’humoriste solo est l’artiste qui doit en faire des tonnes. Rire de soi, rire des autres, redonner le moral, être dans une forme physique olympique, dans un état d’intelligence et de vivacité monumental, et de tous les instants… au moins pour la façade sur scène ou lors d’une émission ou d’une interview.

 

Et répéter cela.

 

 

Redonner aussi, constamment ou régulièrement, de soi une image qui peut nous enfermer dans un certain type de rôle et de comportement. Dans le rôle de celle ou de celui qui se doit d’être toujours plein(e) de vie, d’être un marsupilami ou une super héroïne à temps complet, qui arrive toujours à resurgir à la surface et doit être léger ou légère même si, intérieurement, elle ou il touche le fond ou les bas-fonds. 

 

On aime beaucoup les histoires de celles et ceux qui « rebondissent » et qui nous offrent les  bouquets recomposés de leurs « résiliences ». Cela nous rassure et nous inspire. Parfois, aussi, cela nous rend fainéants.

Tania Dutel, sur scène à la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Je vois aussi le métier d’humoriste comme celui ou existe une grande dépendance aux rires du public. Puisqu’un humoriste qui ferait peur à son public ou qui le ferait pleurer aurait raté son cœur de cible. Hier soir, Tania Dutel nous a raconté cette fois où, sur scène, elle avait connu un échec total au point de devoir prendre la décision de couper court à son spectacle pour annoncer plus tôt l’artiste qui la suivait. C’est pour ce genre « d’anecdotes » en filigrane et d’expériences personnelles que sa prestation d’hier soir m’a plu.

Pourtant, malgré les risques qu’il comporte, j’aime le rire. Et j’ai besoin de lui. Il m’a aidé à me sortir un peu un certain nombre de fois de la glue de mes inquiétudes et de mes obsessions. Et c’est probablement pour cela que nous sommes beaucoup à tenir à celles et ceux qui nous font rire. Pour nous aider à reprendre un peu pied, ainsi que notre souffle, et à nous extirper un peu des marécages de nos fors intérieurs.

 

Tania Dutel, à la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Certaines personnes, lorsqu’elles tombent amoureuses de quelqu’un plutôt que d’une autre, disent que ça ne s’explique pas. Que c’est comme ça. C’est peut-être un peu pareil avec le fait de rire devant l’humour d’une personne au détriment de l’humour d’une autre personne.

 

Même si je ne crois pas tant que ça aux mystères tant dans le domaine de l’Amour que du rire. Pour moi, il y a bien une ou plusieurs raisons pour expliquer le fait que l’on aime ou que l’on désire une personne plutôt qu’une autre. Même lorsqu’il vaudrait mieux s’abstenir de le faire.

Comme il y a sûrement aussi une ou plusieurs raisons pour expliquer le fait que l’on va plus facilement rire devant l’humour d’une personne plutôt que devant celui d’une autre. Mais, là, il m’est difficile de savoir s’il vaudrait mieux, certaines fois, s’abstenir de rire devant un certain humour plutôt que devant un autre.

 

 

Lorsque j’ai parlé un peu autour de moi de Tania Dutel, on m’a demandé qui c’était. Et, j’ai été étonné car j’avais vu deux ou trois vidéos d’elle, ou plus. Je les avais trouvées drôles et bien pensées et comme elles semblaient avoir beaucoup de vues, j’ai cru que cela voulait dire que Tania Dutel était  très connue.

 

Tania Dutel, à la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hier soir, Tania Dutel, au début de son spectacle, s’est présentée comme quelqu’un qui avait eu un Bac scientifique, qui était arrivée à 19 ans à Paris depuis sa région du Beaujolais  où vivaient un peu plus de mille habitants où tout le monde « se connaît ». Deux sœurs, deux frères ou j’en ai peut-être rajouté une ou un de trop. Une mère un peu « plus » imposante que le père qui sait à quoi s’en tenir juste par une inflexion de la voix de la mère.

 

Concernant son style d’humour, j’ai récemment envoyé le lien d’une de ses vidéos à deux de mes proches. Une de mes proches a comparé Tania Dutel à Blanche Gardin.

 

J’aime beaucoup Blanche Gardin.

 

Mais lorsque je regarde et écoute Tania Dutel, je vois Tania Dutel. Tania Dutel a par exemple sa façon personnelle de dire :

 

« C’est assez hilarant ».

Tania Dutel, à la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

En tout cas, la file d’attente que j’ai trouvée ce jeudi soir devant la salle de la Nouvelle Eve ne doutait pas des pouvoirs humoristiques de Tania Dutel. Et, moi, depuis longtemps, je vois la scène comme un sérum de vérité suprême. Une prestation scénique permet à un artiste de mieux se défendre…ou de se défaire. Pour connaître la vérité de ce spectacle, la place a coûté 22 euros.

 

Si, hier soir, nous avons été devant « une petite salle » comme le dira Tania Dutel en voyant la centaine de personnes présentes, le public a été assez varié. Couples homos et lesbiens, couples hétéros, amis hétéros et homos, personnes seules ou célibataires ? Les plus jeunes devaient avoir dans les 25 ans et les plus âgés, une bonne quarantaine d’années, de l’étudiant (e) à l’employé (e).

 

Je sortais des toilettes, en haut de la salle, au balcon, lorsque j’ai entendu l’arrivée de Tania Dutel sur scène. J’ai eu à peine le temps de revenir m’asseoir à ma place, juste devant la scène, lorsque Tania Dutel m’a interrogé. Qu’est-ce que je faisais ? Comment je m’appelais ? J’étais seul ?

 

Même si j’ai été surpris, j’ai été assez à l’aise pour répondre.  Cela fait partie du jeu du stand up et des spectateurs du premier rang. Et, Tania Dutel ne m’a pas trop poursuivi. Mais ce genre d’échange crée un lien particulier avec l’artiste sur scène. Durant quelques secondes, la spectatrice ou le spectateur vit un peu l’expérience de l’artiste qui se met à nu et à risque devant un public pendant plus d’une heure. Même s’il y a des « trucs » comme on dit dans la profession et que les années d’entraînement permettent de « faire » le spectacle, l’imprévu persiste. Puisque c’est le principe du spectacle vivant. D’ailleurs, Tania Dutel nous dira qu’au début, elle avait prévu de faire autre chose.

 

Tania Dutel, à la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Tania Dutel a sollicité aussi deux ou trois autres spectatrices et spectateurs. Même si j’avais déjà observé cette aptitude chez d’autres artistes sur scène, j’ai été étonné par sa facilité pour écouter les réponses de son public. Comme pour retenir le prénom des spectatrices et spectateurs avec lesquels elle avait « conversé » un peu devant nous. A la fin du spectacle, je crois me souvenir qu’elle se rappellera de mon prénom.

 

Lors de son stand up qui a duré près d’une heure trente, avec une mise en scène minimale, un micro, un pied de micro, un tabouret, une lampe, un cahier, un thermos dans lequel elle ne boira rien, Tania Dutel a été espiègle, enfant, charmante, surprenante, bienveillante et très attentive à son public. Il a été question au moins de viol, de boulimie, d’anorexie, de sexualité, des relations entre les femmes et les hommes, du corps des femmes, de sa physiologie. De quoi gêner un petit peu au cours d’un apéro ou d’un barbecue lors d’une rencontre familiale ou amicale.

 

Il est possible que certaines sensibilités trouvent outranciers les sujets abordés par Tania Dutel ainsi que sa manière de le faire. Et, c’est sûrement une question de mesure mais je n’arrive pas à les trouver indécents ou déplacés.  Et, comme elle l’a expliqué, elle ne peut pas plaire à tout le monde même en faisant  de son mieux pour mettre les formes.

En racontant des situations très intimes comme le veut le stand up, Dutel table sur le fait qu’il peut se trouver dans le public des personnes qui ont vécu la même chose qu’elle et qui sont prêtes à ce que cela « sorte » de la bouche d’un( e) artiste.

 

Cela explique-t’il le fait que, très vite, le public présent, tant féminin que masculin, ait ri avec conviction ?

 

En tout cas, le public, dans sa grande majorité, a adhéré. Pour ma part, j’ai souvent souri. Peut-être ai-je moins ri que d’autres car je peux avoir un temps de décalage avec le réel. Mais aussi parce-que j’avais « vu » et entendu une partie des répliques de Tania Dutel sur internet.

 

Après le spectacle, nous sommes quelques uns à attendre Tania Dutel à la sortie. Elle arrive, prend le temps de discuter avec nous.

Tania Dutel s’est lancée dans le métier depuis 2009 et fait du stand up comme elle le pratique désormais depuis 2017. Pendant la représentation, alors qu’elle parlait de « pénis de sang et de pénis de chair », elle s’est aperçue que je la prenais en photo. Après s’être assurée que je n’étais pas en train de la filmer – car c’est interdit- elle m’avait demandé de la photographier plutôt à la fin du spectacle. J’avais alors posé mon appareil photo.

 

Tania Dutel, à la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Lors de ces quelques échanges avec elle, dans la rue Fontaine, je lui explique avoir pris ces photos pour parler d’elle- en bien- dans mon blog. Elle ne pouvait pas le savoir. Lors d’un passage de son spectacle, elle nous a raconté comment elle s’était faite « défoncer » par certains internautes qui n’avaient pas aimé un de ses sketchs ou un de ses spectacles. De ce fait, depuis, elle ne lit plus les commentaires sous ses vidéos. L’humoriste Elodie Poux a fait un sketch que je trouve réussi sur les « haters », ces personnes qui manquent de courage,  ou simplement de maturité et d’autocensure, lorsqu’elles parcourent un clavier en restant bien abritées dans la pénombre et dans l’anonymat. 

 

Comme d’autres spectatrices et spectateurs présents dans la rue Fontaine, hier soir, j’ai  remercié Tania Dutel pour son spectacle. Ainsi que pour son courage à parler, seule sur scène, de tous ces sujets. Alors que nous, spectateurs, nous pouvons avoir l’impression que c’est facile à faire. Je l’ai saluée puis je suis parti. Avant de revenir pour lui demander un selfie. Il est dommage, qu’avec l’éclairage, il y ait plus d’ombre sur son visage que sur le mien mais au moins, la photo et son sourire sont là.

Avec Tania Dutel, après son spectacle à la Nouvelle Eve, ce jeudi 3 novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 4 novembre 2022.

Catégories
En Concert

En concert avec Hollie Cook au Trabendo

En concert avec Hollie Cook au Trabendo

 

Trois jours après avoir vu Zentone à la Maroquinerie dans le 20ème arrondissement de Paris ( En concert avec Zentone à la Maroquinerie), le concert de Hollie Cook arrive ce vendredi soir au Trabendo dans le 19 ème arrondissement. Prix de la place en prévente :

29,90 euros. 

 

Dans le métro, ligne 5, jusqu’à la porte de Pantin, la mixité sociale et culturelle saute aux yeux comparativement à trois jours plus tôt.

 

Se rendre à la gare du Nord et dans certains endroits du 19ème arrondissement, c’est aussi passer dans des « juridictions » où augmente le nombre de personnes addicts et SDF. Je parle de celles et ceux qui n’en sont plus à se demander quand part le dernier métro.

 

Mais le 19ème arrondissement, c’est aussi des lieux culturels dont le Zénith, la Philarmonie de Paris, la Villette et le Conservatoire de musique. Il y a également la salle de concert, le Trabendo. C’est en me dirigeant vers lui que je me rappelle y être allé une première fois pour voir Brinsley Forde et Vincent Segal en concert, il y a environ dix ans. Un très bon souvenir. 

 

 

Avec Hollie Cook, mon histoire a connu un effet rebond. Au départ, il y a eu le titre Far from me sur l’album Vessel of love, sorti en 2018, peut-être écouté après avoir lu un article élogieux sur elle.

Il y avait aussi eu le titre Sugar Water (Look at my face). Et puis, plus rien. Je ne pensais plus particulièrement à Hollie Cook. Je ne me rappelle pas si j’avais lu, comme je l’ai déjà beaucoup relu depuis, que Hollie Cook est la fille d’un des membres des Sex Pistols et d’une des membres du groupe The Belle Stars.

J’avais beaucoup aimé le titre Sign Of  The Times des The Belle Star qui avait été un tube à sa sortie en 1983.  Un tube que tout le monde, moi y compris, avait déja oublié lorsque Prince avait sorti son album et titre Sign « O » Times seulement quatre ans plus tard en 1987.

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Ce vendredi 28 octobre 2022, lorsque je marche vers Hollie Cook, mon histoire a changé avec elle. Car j’ai écouté l’album Twice deux ou trois ans après Vessel of love. Je ne savais pas, alors, que Twice était antérieur (sorti en 2014) à l’album  Vessel of love.  Cependant, plusieurs titres m’ont très vite captivé dans l’album Twice :

99, Looking for real love et Superfast.

 

Et, lorsque j’ai découvert la vidéo officielle de Looking for real love, j’ai été suis séduit par la grâce de Hollie Cook. Laquelle, avec très peu de gestes, est habile pour happer notre attention. Sur une autre vidéo, je l’ai vue interpréter Sugar Water (Look at my face) en concert à Montreux avec Horseman à la batterie et à la voix. Sur une autre, 99. Et, j’en redemande. Je la cite d’ailleurs dans mon article sur l’ouvrage de Judith Duportail (L’Amour sous algorithme, un livre de Judith Duportail )

 

Hollie Cook a sorti un dernier album en 2022, Happy Hour, que je n’ai pas encore écouté.

 

Si les chansons de Hollie Cook parlent beaucoup d’Amour, la douceur de sa voix se plante dans un Reggae robuste. Et, cela me parle. Et, comme cela me parle, j’ai fait des recherches et vu qu’Hollie Cook était passée en concert à Paris il y a quelques années. Je l’avais donc manquée…. jusqu’à ce vendredi soir.

 

 

Ce soir, je ne saurais pas dire, comme j’avais pu le faire lors du concert de Zentone, quelle était la proportion de femmes et d’hommes dans le public. Car je me suis tout de suite mis devant la scène. Mais le public m’a paru un peu plus jeune en moyenne. Et les squaws étaient bien plus présentes tout près de la scène. Des squaws qui connaissaient les paroles des chansons de Hollie Cook.

 

Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

 

 

Dès son entrée sur scène, Hollie Cook nous a charmé par son sourire et son envie. Derrière elle et sur ses côtés, un guitariste, un batteur, un bassiste et un claviériste, parfois dans les chœurs, ont tourné avec elle la clé du concert.

 

Hollie Cook est plus qu’une voix agréable et un sourire sympathique. C’est aussi un corps heureux qui laisse s’échapper la musique jusqu’au Dub. C’est aussi une professionnelle très concentrée.

Depuis des années, dans le Reggae, la basse m’attire le plus. Mais cela fait deux concerts de suite où le batteur, parmi les musiciens, a ma préférence. Pourtant, les autres musiciens étaient bien présents.

 

Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Le concert a été si agréable et si léger, que, plusieurs fois, j’ai eu l’impression de vivre un rêve prolongé.

 

A la fin, Hollie Cook nous a nouveau remercié pour les bonnes vibrations et pour l’énergie que nous lui avions donnée. Elle nous a aussi dit que, dès le début de sa carrière, elle avait été très bien accueillie à Paris.

 

Après le concert, je l’ai aperçue à quelques mètres en compagnie de personnes qu’elle connaissait. Je me suis dit que je n’allais pas faire ma groupie. J’ai commencé à m’en aller tout en regardant. J’ai vu quelques personnes aller la voir et se faire prendre en photo avec elle. Je me suis dit que je ne pouvais pas partir comme ça.

 

J’ai redescendu les marches.

 

Lorsqu’est venu mon tour, je lui ai demandé :

 

« Hi, Hollie, May I ? ». Hollie a acquiescé. Si je recommence à me faire prendre en photo avec des artistes, il va falloir que je me détende un peu. Là, sur la photo, j’ai une tête d’assassin.

Avec Hollie Cook après le concert, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 Après la photo, je lui ai dit :

 

« I Took some pictures of you ». Tout en gardant le sourire, elle a fait « oui ». J’avais bien vu qu’elle m’avait vu la prendre en photo durant le concert. Puis, elle m’a demandé de lui en envoyer sur instagram.

 

Je lui ai répondu :

 

« I will try my best ».

 

Dans l’article précédent sur le concert de Zentone, j’avais oublié la pandémie du Covid. Je me suis davantage rappelé des attentats terroristes qui l’avaient précédée car, en plus de massacrer des personnes et de vouloir effrayer le monde,  l’un d’entre eux a aussi eu pour projet de détruire la musique. Et, aussi, parce-que, d’une façon ou d’une autre j’ai vu les morts de ces attentats.

 

J’ai eu la chance de n’avoir perdu personne du Covid.

 

Pendant le confinement décidé lors de la pandémie du Covid les manifestations publiques telles que les concerts ont été annulées. Se retrouver comme hier ou mardi soir, avec des inconnus, à visage découvert, sans avoir à fournir de passe sanitaire, dans une salle fermée à écouter la même musique, à danser voire à rêver ensemble grâce à la musique et des artistes  était devenu impossible. C’était il y a deux ans. Il n’y a pas si longtemps. ( Panorama 18 mars-19 avril 2020, Coronavirus Circus 2ème Panorama 15 avril-18 Mai 2020 par Franck Unimon). 

 

Ce à quoi nous tenons, ce que nous vivons, est éphémère. La musique renoue avec cet éphémère.

 

Voici mon « best of » des photos du concert d’Hollie Cook au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022.

 

Franck Unimon, ce samedi 29 octobre 2022.

 

Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, au Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Au concert de Hollie Cook, au Trabendo, ce vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, au Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Hollie Cook, Trabendo, vendredi 28 octobre 2022. Photo©️Franck.Unimon