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self-défense/ Arts Martiaux

Maitre Jean-Pierre Vignau à la SACD, rue Ballu, Paris, ce mardi 25 avril 2023

Maitre Jean-Pierre Vignau, ce mardi 25 avril 2023, à la SACD, rue Ballu, Paris. Photo©️Franck.Unimon

Maitre Jean-Pierre Vignau à la SACD, rue Ballu, Paris, ce mardi 25 avril 2023.

 

 

On trouve chez un Maitre ce que l’on croit et ce que l’on craint.

 

On trouve chez un Maitre ce que l’on cherche, ce que l’on a perdu ou égaré.

 

Jean-Pierre Vignau, président de l’I.B.A France, 9ème dan I.B.A de Karaté Shotokan, 6ème dan I.B.A d’Atemi-jitsu (Self-défense), 3ème dan I.B.A de Kobudo, 2ème dan I.B.A de judo et d’Aïkido, pour moi, fait partie de ces Maitres.

 

Peut-être que les apparences ou la forme de cet article sont contre lui et contre moi, son auteur. Et qu’en commençant la lecture de cet article, on se dit qu’il s’agit d’un exercice de philo ou d’une révision avant les épreuves du Bac dans quelques mois.

 

Peut-être aussi que l’on peut se dire que c’est un article de plus à ranger dans la catégorie de la branlette intellectuelle. Alors que ce l’on que l’on veut, c’est surtout, et rapidement, et toujours, plus d’efficacité, du concret et des techniques qui marchent tout de suite, tout le temps et à volonté.

 

Pas du bla-bla.

 

Mais je crois qu’il faut quand même commencer cet article comme ça. Et que c’est surtout de la vie, de notre vie, de nos choix, de notre santé mentale et physique, de nos décisions et de nos libertés dont je parle.

 

Et dont les Arts Martiaux, toujours, nous parlent.

 

Jean-Pierre Vignau ne dira rien à beaucoup de personnes aujourd’hui, en 2023. Moi-même, il y a encore trois ans, je ne connaissais pas Jean-Pierre Vignau, Maitre d’Arts Martiaux, 78 ou 79 ans cette année.

 

Il y a encore trois ans, je ne connaissais pas Jean-Pierre Vignau malgré le fait que depuis plus d’une trentaine d’années, j’ai souvent été attiré par les Arts Martiaux sous plusieurs de leurs représentations ou expériences. Sur un tatamis, au cinéma, dans mes lectures ou même dans certains de mes voyages (le Japon en 1999).

Enfant, comme beaucoup, j’avais été fasciné par Bruce Lee. Evidemment. Et, j’avais « fait » un peu de karaté jusqu’à la ceinture verte. J’avais 12 ou 13 ans. J’étais assez appliqué, je connaissais mes katas. Puis, j’ai arrêté. Sans doute parce-que, pour moi, alors, faire du karaté ou de la boxe anglaise, c’était avant tout apprendre à se défendre, à donner des coups de pied et des coups de poing. Apprendre à devenir « fort » et viril. A devenir un Homme.

 

A ne pas avoir peur. A n’avoir-jamais- peur de rien.

 

Peu m’importait la différence qu’il pouvait y avoir entre du Kung Fu et du karaté. Le karaté était ce qui me parlait le plus ou ce qui était connu de moi, là où je vivais alors, avec mes parents, dans une cité à Nanterre. Dans un immeuble HLM de 18 étages. Si nous avions vécu à l’époque dans le 13ème arrondissement de Paris, peut-être aurais-je pu mieux commencer à  faire la différence entre le Kung Fu et du Karaté.

 

Puis, grâce à un concours de circonstances, après le karaté, plus tard, il y a eu la pratique du Judo pendant une dizaine d’années. Un sport de combat découvert à l’université de Nanterre. Un peu par hasard. Une histoire d’horaires de cours qui m’a empêché d’aller plutôt découvrir la boxe anglaise comme je le souhaitais.

Le judo m’avait rapidement flatté. Parce-que la nouveauté et mes aptitudes athlétiques, toniques, explosives et instinctives, enfin, me permettaient d’être « bon ». De « battre » des pratiquants plus expérimentés que moi. Ou de leur donner du mal. Et puis, je pouvais, à nouveau, m’entraîner régulièrement sans me blesser. Sans me donner ces contractures aux ischio-jambiers que le sprint, en athlétisme, m’avait « laissées ».

 

Beaucoup de pratiquants d’un sport ou d’une activité physique ou martiale ont dans leur pratique ou leurs « bagages » des cicatrices liées à l’engagement de leur corps et de leur volonté dans leur activité sportive ou physique préférée. Une activité ou, souvent, ils se sont constitués des amitiés, des amours ou des inimitiés passionnelles, profondes ou définitives.

 

Ces cicatrices, liées à une pratique répétée ou intensive, sont souvent vécues comme des injustices ou, au contraire, regardées avec fierté comme des blessures de guerrier. Des blessures de combattant. Des blessures de samouraï.

 

Il faut du temps pour comprendre qu’un certain nombre de ces blessures physiques, mais aussi morales, prédatrices de notre temps et de notre organisme ou de nos relations, ne sont pas aussi nécessaires que l’on a besoin de le croire afin de devenir « bon » ou le « meilleur » ou le « champion » que l’on aspire à être à nos yeux ou dans le regard des autres.

 

Comme je ne l’avais pas encore compris en pratiquant le judo, j’ai continué de me blesser. Ou j’ai recommencé à me blesser en «faisant » du judo.

 

Et puis, j’en ai eu assez du Judo. J’ai fait un petit peu de Ju-Jitsu brésilien. A l’époque, les frères Gracie étaient la référence ultime du Ju-Jitsu brésilien.

 

Puis, quelques années plus tard, j’ai « fait » un petit peu de boxe française où, là, je me suis cette fois rompu le tendon d’achille lors d’un exercice tout simple. Après ça, pendant quelques années, j’ai arrêté tout ce qui pouvait ressembler à la pratique du combat ou d’un Art martial. Tout en continuant bien-sûr, de temps à autre, à lire ou à regarder ici ou là, ce qui pouvait avoir trait aux Arts Martiaux, au combat etc…

Photo prise à Paris en septembre 2020. ©️Franck.Unimon

Puis sont arrivés la pandémie du Covid en 2020 et les confinements. Le passe sanitaire, la restriction de nos sorties, de nos déplacements géographiques ou kilométriques. L’angoisse et la peur massive de notre anéantissement proche ou quasi-immédiat.

 

J’ai fait partie des personnes dont la profession a été jugée comme « essentielle ». Je suis infirmier en pédopsychiatrie et en psychiatrie depuis des années. J’ai donc continué à travailler durant la pandémie. D’abord sans masque et sans protection matérielle réelle. Mais aussi, au début, sans vaccin anti-Covid.

Photo prise le 1er septembre 2021 dans les transports en commun. Sans doute dans le métro parisien. Photo©️Franck.Unimon

 

Et pour limiter ce refuge dans l’angoisse dans laquelle nous étions nombreux à être tombés et séquestrés, j’ai un moment décidé de trouver des échappatoires aussi dans la lecture de journaux.

 

Par chance, il y avait près de mon lieu de travail, dans le 13 ème arrondissement de Paris, à métro Gobelins, un des rares centres de presse restés ouverts durant la pandémie et les confinements successifs : Le Canon de la Presse.

Le Yashima d’octobre 2020, acheté au Canon de la Presse, métro Gobelins, Paris 13ème.

C’est là que j’ai commencé à me fournir, aussi, en Yashima, Aïkido, Self & Dragon…..et à découvrir, donc, Maitre Jean-Pierre Vignau, lors de son interview par Maitre Léo Tamaki dont j’avais découvert l’existence à peine quelques jours ou quelques semaines auparavant.

 

« Les Arts Martiaux, ça ne se résume pas à seulement apprendre à donner des coups de pied et des coups de poing… ».

 

C’est ce que j’ai affirmé il y a encore quelques jours à ma propre compagne qui avait voulu voir dans mon souhait de participer au Masters Tour proposé et organisé annuellement au Japon par Léo Tamaki, Maitre d’Aïkido, un temps élève de Maitre Jean-Pierre Vignau, une simple démarche touristique.

 

La quête d’une certaine spiritualité et d’un certain sens à notre vie se trouve aussi dans la pratique des Arts Martiaux. Les religions ne sont pas les seuls domaines ou les seules disciplines grâce auxquelles on peut s’aider à s’élever spirituellement mais aussi en tant qu’être humain. Et, il me semble que beaucoup de personnes l’ignorent ou l’ont oublié lorsqu’elles (vous) parlent des Arts Martiaux. Pour ces personnes, les Arts Martiaux mais aussi les sports de combat, c’est surtout du spectacle, une mise en scène proche du cirque. Ou ça revient à se rendre à un concert ou à une séance de cinéma afin de se distraire ou de se défouler pour se vider la tête avant de rentrer chez soi ou repartir au travail le soir ou le lendemain. Ou ça revient à apprendre à se « défendre » et à pouvoir se sentir fort lorsque l’on sort ou afin de protéger une personne à laquelle on tient.

Photo prise à la gare St-Lazare, le 7 septembre 2020. Photo©️Franck.Unimon

 

Je me suis plusieurs fois senti très fort il y a plusieurs années alors que je revenais d’une bonne séance de Judo dans mon club. Je marchais très sûr de moi en rentrant. C’était une sensation très agréable et, pourtant, trompeuse. Surtout dans des rues désertes, la nuit, où personne ne nous veut du mal. Alors qu’en plein jour, lors de certaines situations émotionnellement et affectivement difficiles pour moi, je pouvais perdre mes moyens comme si je n’avais rien appris ou étais un incapable majeur.

 

 

Ce mardi soir, à la SACD, un des élèves de Maitre Jean-Pierre Vignau depuis plus de quarante ans, l’a d’abord remercié pour tout ce qu’il lui avait apporté dans sa vie. Puis, il lui a demandé :

 

« Pourquoi tu contiens toujours autant tes émotions, Jean-Pierre?».

 

Debout face à nous tous dans la salle, après la projection du premier documentaire (de Jean de Loriol) qui faisait son portrait dans Le Maitre et le batard, et avant la projection du documentaire Dans la tête du videur ( toujours réalisé par Jean de Loriol) Jean-Pierre a répondu :

 

« Je n’ai pas le temps ! ».

 

Nous avons sans doute tous rigolé dans la salle. Beaucoup de Jean-Pierre est contenu dans cette phrase. Simple. Concret. Direct. Pratique. Tranchant. Efficace. Impliqué.

 

Un Maitre d’Arts martiaux, c’est quelqu’un, qui, incessamment, se remet à son ouvrage et donne le meilleur de lui.

 

Sans se décourager.

 

Après plus d’une vingtaine d’années d’existence, son dojo le Fair-Play Sport a dû fermer, pour raisons économiques,  à cause de la pandémie et du Covid ( lire  Le Dojo de Jean-Pierre Vignau ?) Désormais, Jean-Pierre dispense ses enseignements à la Maison du Taiji au 57, rue Jules Ferry à Bagnolet, métro Robespierre, ligne 9.  

 Dans son interview par Léo Tamaki, par lequel je l’avais découvert en plein confinement sanitaire, Jean-Pierre disait à un moment donné :

 

« Mais, moi, pour certains, je suis un malade mental ! ». Cela m’avait beaucoup plu.

 

Mais ce qui m’avait aussi beaucoup plu, c’était ce qu’il disait de son Dojo, le Fair-Play Sport. Un endroit où il demandait à chaque pratiquant de laisser ses soucis à l’extérieur et où il acceptait tout le monde dès lors que celui-ci respectait les règles du Dojo.

 

Et ce qui continue de me plaire chez lui, c’est sa longévité, sa liberté.

 

J’ai appris seulement cette semaine que le boxeur Marvin Hagler, surnommé « The Marvelous », très grand champion de boxe, était décédé seulement à l’âge de 66 ans en 2021.

 

Pour moi, un Maitre, c’est aussi sa longévité. Car sa longévité démontre aussi que ce qu’il pratique et enseigne est favorable à la vie. Et au meilleur de la vie. Entre-autres, à une vie active où, au delà de soixante dix ans au minimum, on continue de pouvoir pratiquer, de transmettre et d’être un exemple pour d’autres.

 

Cette remarque est sans doute lapidaire ou peut-être injuste. Mais lorsque l’on prend le temps de regarder de près l’âge de décès de bien des Maitres d’Arts Martiaux, étrangers ou français, ou encore en activité, on s’aperçoit qu’ils dépassent souvent ou régulièrement les 70 années d’existence.

 

Lorsque l’on sait que Jean-Pierre a eu le contraire d’une vie pépère et casanière, cela nous convainc encore plus facilement des bienfaits de la pratique martiale.

 

Cette longévité nous assure aussi que les choix de vie, les décisions mais aussi les libertés que ces Maitres ont pris ou su prendre, avec les risques qu’ont comporté et que comportent ces choix de vie et ces décisions, étaient les bons ou les meilleurs pour eux mais aussi pour celles et ceux qui les entourent et viennent chercher auprès d’eux Savoir et Expérience.

 

Le terme de « Maitre » peut aussi beaucoup déranger dans un pays démocratique et libre où l’on confond facilement les libertés dont on croit disposer avec nos libertés réelles et véritables. Pourtant, il est tout un ensemble de Maitres que nous préférons suivre ou croire par facilité, conformité, fainéantise, ignorance ou volonté de « réussite » ou…de maitrise :

 

Le smartphone dernier cri, tous nos écrans dans lesquels nous sommes plongés et ancrés en permanence, gagner plus d’argent, certaines influenceuses ou influenceurs, certaines tendances, certains types d’informations, certains types de rencontres ou de relations. L’anxiété. La peur. L’envie. Certains désirs.

 

Donc, pour moi, le terme de « Maitre d’Arts martiaux » ne doit pas faire peur pour peu que l’on a bien-sûr pris le temps de bien choisir ce qui nous correspond et ce que l’on recherche chez un Maitre.

Enfin, la reconnaissance par certains de leurs pairs, Maitres d’Arts martiaux également, nous confirme aussi la légitimité de ces Maitres d’Arts martiaux.

 

Ce mardi 25 avril 2023, à la SACD, rue Ballu, à Paris, lors de cette soirée consacrée à Maitre Jean-Pierre Vignau, j’ai ainsi pu reconnaître en personne Maitre Pierre Portocarrero ainsi que Maitre Remi Mollet. Malheureusement, je n’ai pas eu la présence d’esprit de les prendre en photo.

Cependant, je crois que leur présence comme celle de différents élèves de Jean-Pierre Vignau, comme celle de certains de ses proches et amis de plusieurs années ( dont sa femme Tina et Jean-Pierre Leloup) continuait d’attester de sa totale légitimité en tant que Maitre. 

Maitre Jean-Pierre Vignau à la SACD, rue Ballu, ce mardi 25 avril 2023. Photo©️Franck.Unimon

Sur Jean-Pierre Vignau, on peut aussi lire entre-autres dans ce blog Arts Martiaux : un article inspiré par Maitre Jean-Pierre Vignau 

Franck Unimon, jeune élève de Maitre Jean-Pierre Vignau, ce jeudi 27 avril 2023.

 

 

 

 

 

 

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Cinéma Théâtre

Etre déprimé : ébauche de texte pour du Stand Up

Etre déprimé : Ebauche de texte pour du stand Up.

 

Il est bien sûr préférable d’être déprimé plutôt que dépressif.

 

Mais on ne choisit pas.

 

En surface, et en société, lorsque l’on nous demande:

« Tu vas bien ? », il « vaut » mieux bien sûr répondre – et dans un grand et magnifique sourire- (un peu comme si on venait de se désaltérer en buvant un grand verre d’eau bien fraîche ou de sortir d’une très bonne séance de massage non érotique ) :

 

« Oui, ça va !  ».

Notre sourire doit être un tourbillon de bien-être. Une mini-réplique de Autant en emporte le bonheur

 

Peu importe que l’on ait surtout envie d’immoler par le feu ou de démolir à peu près tout ce que l’on approche à commencer par soi-même.

 

 Et, il vaut mieux y croire soi-même un petit peu lorsque l’on affirme que tout va bien.

 

Tout va hyper-bien. Nous ne nous sommes jamais sentis aussi bien. C’était ce que nous avions déja affirmé toutes les autres  fois. Mais, cette fois-ci, c’est encore plus vrai que d’habitude.

 

Il s’agit d’être crédible dans son rôle. Et tout de suite. 

 

Si on peut, on peut même en rajouter en disant :

 

« Bien-sur que ça va ?! Toujours ! Pourquoi ?! Y a un problème ?!  Quel problème ?! Et toi, ça va ?! ».

Il faut bien montrer qu’il faudra s’y mettre au moins à quatre pour essayer de nous abattre.

 

Cette réponse, c’est un peu notre carte de visite.

 

Notre coefficient de fréquentabilité voire de respectabilité.

 

Cette réponse nous rend « bankable », désirable ou non. Allez voir votre conseillère bancaire pour obtenir un prêt en lui laissant imaginer que votre véritable projet est surtout de vous suicider sitôt que vous l’aurez quittée….

 

Personne ne désire un bout de bois tout vermoulu plein de champignons dont même les vers se séparent.

 

Personne.

 

Si l’on répond ou décide de répondre :

 

« ça ne va pas… », les réactions et les divers algorithmes autour de soi se mettent à varier selon les interlocuteurs.  

 

Cela peut aller de la fuite à la curiosité voyeuriste et quasi-extatique ( « Enfin… »).

 

En passant par la pitié ou le dédain.

 

Et, tout de même, aussi, on peut rencontrer de l’attention bienveillante proche du partage. C’est le côté jardinier chez certains. Ou le côté mitoyen. Car quelqu’un peut ainsi vous souffler dans l’oreille : «  Moi, aussi…tu sais ».

 

 

Etre déprimé, c’est la honte. C’est comme ne pas savoir danser lors d’une soirée zouk ou salsa alors que tout le monde danse et a l’air de très bien s’amuser. Il n’y a plus qu’à attendre qu’un peu plus de monde soit alcoolisé ou défoncé pour que cela perde de son importance. Ou, peut-être vaut-il mieux envisager de partir pendant que personne ne semble nous remarquer. Même si l’on sait qu’une fois que l’on sera parti (e) que tout le monde parlera de nous ensuite comme de la personne pathétique et seule dans son coin qui ne parlait à personne. Et à qui personne n’avait envie d’aller parler. 

 

Etre déprimé est plutôt l’exemple à ne pas suivre. L’image à ne pas donner de soi. La déprime est au moral ce que la vergeture ou l’embonpoint est au corps. Ça dispose d’une volonté propre aspirée par la pesanteur et le fond de l’abysse. Non seulement ça vous entraîne mais, en plus, ça vous suit partout à un moment donné. ça vous attire même de nouveaux amis tout autant déprimés.

 

A moins d’être habile pour savoir à qui s’adresser en de pareilles circonstances sans que cela n’ait de graves conséquences.

 

Car, le déprimé ou la déprimée, c’est « le » loser. Celle ou celui que l’on va épier dans Closer.

 

C’est celle ou celui qui attire la malchance ou le mauvais sort sur elle ou sur lui et qui pourrait le transmettre à toute personne proche de son corps.

 

Cette personne est rarement photogénique ou ciné-génique. On n’a pas très envie de se faire prendre en selfie avec. A moins de s’appeler Tiger Woods, Serge Gainsbourg, Amy Winehouse, Céline Dion ou Stromae.

 

 Bien des productions du spectacle « vivant » l’ont bien compris.

Il y a quelques jours, je suis allé voir le film  Les Trois Mousquetaires. D’Artagnan de Martin Bourbolon. Un film français sorti ce 5 avril 2023 et qui marche très bien.

 

Je n’ai pas écrit :  «  Un film français qui déprime ». Mais un film français qui « marche très bien ». Afin, aussi, de faire savoir que les réalisateurs français savent ou ont appris à faire des films qui marchent plutôt que des réclames publicitaires pour le prozac et le lexomil.

 

Hé bien, dans Les Trois Mousquetaires. D’Artagnan, aucun des protagonistes principaux ne déprime.

 

Sauf Athos, très bien joué par Vincent Cassel. On peut même déclarer que Athos/ Vincent Cassel est dépressif.

Athos joué par Vincent Cassel.

 

Mais « sans pathos ».

 

Dans le film, Athos le dépressif dont les « remords » ou les « tourments » ont appris à nager reste un modèle auquel on aimerait beaucoup ressembler. Et ça, c’est un grand tour de force.

 

La force, qu’elle soit mentale, morale, intellectuelle, affective, viscérale ou physique, c’est ce qui manque au déprimé et encore plus au dépressif. Et, c’est, aussi, ce qu’on lui reproche.

 

Ou, ce dont on peut abuser.

Athos/ Vincent Cassel entre Aramis/ Romain Duris et D’Artagnan/ François Civil.

Cependant, Athos,  lui, ne manque pas de force.  Son caractère subversif ou « disruptif », sa liberté, son sens de l’honneur, son humour, son courage, sa vitalité érectile et, bien-sûr, son expertise dans les armes et l’art du combat font d’Athos un homme fort. Sa dépression est un peu son auréole d’être humain. Sans elle, Athos serait un demi Dieu ou un Dieu.  

 

Un surhomme.

 

On ne le dirait pas comme ça parce-que nous sommes beaucoup influencés par la « modernité » de ce que nous voyons, mais les trois Mousquetaires sont bien l’équivalent des ninjas ou des super-héros que nous pouvons voir dans des productions asiatiques et américaines :

 

La scène de combat, nocturne, en pleine forêt, et à l’épée, entre D’Artagnan (joué par François Civil) et Athos/ Vincent Cassel «  le dépressif » vaut bien une scène de combat de « type » ninja. Ou une tentative de sodomie dans une back room.

 

Mais cette scène d’escrime peut nous séduire au point de nous faire oublier le sujet de la déprime. Alors, redevenons terre à terre. Retournons aux « bouseux ».

Cait/ l’actrice Catherine Clinch dans The Quiet Girl

 

Dans le film The Quiet girl («  film en langue irlandaise le plus rentable de tous les temps ») on retrouve aussi la même idée vis à vis de la déprime.

 

The Quiet Girl  est un film réalisé par Colm Bairéad et sorti en salles ce 12 avril 2023.

 

 

Je suis allé le voir cette semaine, ce lundi 17 avril 2023 très précisément. Puisque les critiques étaient très élogieuses :

 

«  La pépite irlandaise » ; «  un film irlandais tout en sensibilité » ; « la belle histoire d’un petit film qui devient grand…. ».

 

Le film a été retenu pour les Oscars. C’est un grand succès en devenir tant commercial que critique.

Dès le générique du film, j’ai appris que The Quiet Girl  était inspiré de la nouvelle, Les Trois lumières, écrite par Claire Keegan. Il se trouve que j’avais lu et beaucoup aimé cette nouvelle de Claire Keegan il y a environ cinq ans. Grâce à l’action de la médiathèque de ma ville, à Argenteuil, qui nous sollicitait pour lire plusieurs ouvrages venant de paraître afin d’en discuter entre nous mais, aussi, pour élire celui que nous avions préférés.

 

Mais dans The Quiet Girl, nous ne sommes pas à Argenteuil, ville de banlieue parisienne, très bétonnée, mal réputée. Et beaucoup moins exotique que l’Irlande.

 

Car cela se passe en Irlande. La jeune héroïne, Cait, peut faire penser à Cosette ou à une héroïne de Rue, cases nègres.

 

Je croyais au départ qu’il s’agissait d’une histoire d’inceste. J’ai dû confondre avec un autre film, également plébiscité par la critique,  et sorti récemment, où une jeune fille subit un inceste.

 

Non. Pas de ça dans The Quiet girl.

 

Cependant, la petite Cait en prend néanmoins plein la tête dans sa famille.

 

Sa mère est une femme volontaire, travailleuse, croyante mais ignorante- ou rejetante- de tout moyen de contraception comme d’avortement. Nous sommes en Irlande.

 

 ET dans les années 1970-1980.

 

Question mariage, la « pauvre » mère de Cait, comme beaucoup de femmes dirons-nous, a tiré le mauvais numéro à la loterie. Pour effectuer ce portrait du père, Picasso aurait sans doute accompli un nouveau chef d’œuvre.

 

Le père de Cait est en effet fumeur, fumiste, buveur de bière, joueur, queutard, reproducteur de viande – ou d’enfants- à la chaine mais aussi débiteur de défaites en tout genre.

 

Et c’est un violent moral.

 

Le père de Cait est le portrait du bon beauf ou du mec « normal » diraient certaines personnes. Ce qui n’empêchera pas certaines de ces mêmes personnes de finir leur nuit ou leur vie avec ce même genre de mec par ailleurs. Car chacun sa vie, chacun ses choix et tout le monde est libre de faire à peu près ce qu’il ou elle veut comme tout le monde le sait.

 

Etant donné les dispositions de ses parents, on se dit que la jeune Cait pourrait peut-être trouver refuge dans cette solidarité qui se trouve parfois entre frères et sœurs ou chez quelque enfant de son âge.

 

Mais c’est chacun pour soi. La jeune Cait passe plutôt pour être « weird » ( « bizarre ») auprès des autres. Et le Professeur Xavier, mentor des X-Men, ne lui trouve pas de super-pouvoir de mutante pour avoir envie de venir la sauver en Irlande ou lui parler dans sa tête afin de lui recommander de continuer de croire en elle. Quant à Dieu, ou un autre, il ne se manifeste pas particulièrement sous la forme de visions pouvant au moins faire d’elle l’équivalent d’une Jeanne d’Arc ou d’une quelconque aventurière.

 

Moralité : Cait n’est pas du tout faite pour cette guerre totale qu’est sa vie sur terre depuis son plus jeune âge. Et, elle est vraiment très seule sur terre. Il n’y a même pas un réseau social de disponible sur lequel elle pourrait se trouver deux-trois amis. Et même si ça avait déja existé à cette époque, il est certain que dans son coin, il n’y aurait pas eu de réseau ou que son père aurait gardé en permanence la main dessus afin de se trouver ses plans cul comme on peut se trouver des plans came.

 

Aujourd’hui, en 2023, où l’on a « beaucoup » de recul et accompli diverses études sociologiques, psychologiques et bien-sûr scientifiques sur ce type de conditions de vie précoces ou « inaugurales », mais aussi beaucoup lu, on dirait que Cait a le profil type, voire le morphotype, de la jeune souffre-douleur destinée à être sacrifiée sur l’autel de la collectivité.

 

En se faisant harceler, tabasser ou, pourquoi pas, violer, engrosser, psychiatriser, clochardiser ou prostituer avant même sa majorité. En passant, bien sûr, par la consommation concentrée et répétée de diverses substances telles que tabac, stupéfiants ou autres.

 

Qu’est-ce que l’on croit ? Fille-mère toxicomane ou prostituée, c’est un projet de vie parfaitement normal pour une fille comme Cait vue de là d’où elle vient.

 

 

Chacun son karma.

 

 

 En plus, Cait, contrairement à Billy Elliot ne sait même pas danser et ne montre même pas de disposition particulière pour cela. Elle pourrait au moins essayer d’esquisser quelques petits pas de danse.

 

Même pas.

 

 Alors que contrairement à Billy Elliot mais aussi à l’adolescent du film Girl de Luke Dhont, Cait a pour elle d’appartenir dès sa naissance au genre sexué consacré pour la danse, la petite « idiote » délaisse complètement cet avantage et n’offre aucune volonté pour s’en sortir.

 

Sans prendre trop de risques, on peut se hasarder à conclure que Cait n’a aucune –bonne- carte en main. Et, alors qu’elle touche à peine ses dix ans, qu’elle a largement de quoi être dépressive, suicidaire ou très agressive.

 

 

Hé bien, pas de ça entre nous dans The Quiet Girl

 

Tout le film durant, la petite Cait reste aussi douce, mignonne, gentille, sensible et jolie que le bon lait.

 

Cait sait se tenir.

Jamais, Cait ne se montre en colère. Une véritable petite sainte sur terre.

 

Une future femme soumise, peut-être. Ou une âme « pure » et sans défauts comme on dit. Et qui a pour elle, non seulement, d’avoir gardé, malgré elle, sa virginité mais aussi… son insouciance. Les deux vont peut-être ensemble. Cela n’est pas tout à fait souligné dans le film. J’ai pourtant fait attention de bien lire les sous-titres en Français.

 

Cait est l’enfant parfaite qui peut donner très facilement bonne conscience- et gratification- aux adultes qui savent prendre soin d’elle.

 

Ce qui n’est pas très difficile pour les adultes « éclairés » que nous sommes devant ce film.

 

Alors que dans la vraie vie, c’est étonnant comme notre aveuglement nous guide très facilement.

 

Résilience et rebondissements

 

 

Il y a à peine deux mois maintenant, au salon du livre d’Argenteuil, lors d’une discussion  avec une adulte, peut-être grand-mère aujourd’hui, celle-ci a loué, voire presque revendiqué, la très forte capacité de « résilience » des enfants.

 

A écouter cette personne sincère et convaincue, on aurait presque pu  conclure que tout enfant qui rencontre et vit des expériences difficiles ou très difficiles se « doit » d’être « résilient ». En caricaturant un peu sa logique, cela aurait pu donner à peu près ceci :

 

« Les enfants qui vivent la guerre en Ukraine ? Résilients ! Les enfants des gilets jaunes ? Résilients ! Les enfants de celles et ceux dont la récente réforme des retraites imposée à coup de 49.3 a un peu plus  détruit celles et ceux, pour qui, deux années de travail supplémentaire, en raison de leurs conditions pénibles de travail, c’est beaucoup ? Résilients !

Les enfants des migrants morts en pleine mer après s’être faits arnaquer par des passeurs ? Résilients !  ».

 

J’en arrive à me dire que ce genre de raisonnement émis par des adultes, qu’ils soient des « spécialistes » de la petite enfance, de l’éducation ou d’anciens parents a pour but principal de rassurer ces adultes.

 

Et de leur donner bonne conscience en toute circonstance.

 

Il doit bien se trouver quelques unes et quelques uns de ces adultes parmi ces critiques et journalistes qui ont encensé The Quiet girl. Toujours prompts pour applaudir. Souvent absents lorsqu’il s’agit de véritablement tendre la main.

 

Pour ces quelques raisons, j’ai beaucoup de mal avec certains de ces termes avec lesquels nous sommes régulièrement badigeonnés comme on peut le faire sur la plage avec de la crème de bronzage avant une exposition prolongée au soleil :

 

« Résilience », « rebondir »…

 

Pour moi, la petite Cait attendrit parce qu’il est possible, sans trop de difficultés, de s’identifier à elle ou aux parents de substitution qui, dans le film, peuvent la sauver.

 

La « petite » est touchante. Les adultes qui la recueillent le sont tout autant. Et, entre les deux, il y a des méchants et des ignorants qui n’en valent vraiment pas la peine ainsi qu’une petite musique qui fait le service comme il se doit.

 

Tout ça, dans une période post-covid et de pénurie où l’on est devenu d’autant plus sensible au fait d’avoir une maison, son espace de liberté et d’autonomie à soi. Ce qui est le cas des parents de substitution qui ont également une souffrance intime et secrète. Ainsi qu’une grande maison bien chauffée à la campagne où l’on ne manque pas d’amour et de confort matériel.

 

Dans le film As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, sorti en juillet 2022, les héros (adultes) paient par la mort et le harcèlement leur droit de passage définitif  dans ce paradis étranger pour lequel ils avaient quitté un monde parisien et urbain fait d’artificialité.

 

Dans The Quiet Girl, nous sommes de plain pied dans la ruralité sauf que nous débutons  par le plus mauvais et le plus misérable de ses extrêmes. Et, il s’agit de nous montrer que, malgré cela, il reste possible de sauver la petite Cait, et, à travers, elle, de sauver notre âme. Même si ses sœurs et son petit frère sont aussi mal partis qu’elle mais de cela on s’en contrefiche puisque l’on se focalise sur Cait.

 

Et puis, ce sera bientôt les vacances d’été et l’Irlande, c’est vraiment une très chouette destination pour le tourisme.

 

 

A la fin du film, à Paris, dans cette salle de cinéma près d’Odéon, j’ai aperçu deux personnes dont l’émotion était très visible. L’une d’elle essuyait ses larmes délicatement.

Je me suis quand même laissé prendre par l’émotion. Mais quelque chose m’a gêné dans le film :

 

On nous montre la petite Cait aux « meilleurs » moments de sa vie. Là où il est encore, de manière visible, possible de la sauver. Et lorsqu’elle est encore très « présentable ». Mignonne, polie, naïve, sans rancœur, vulnérable….

 

Cait est à peu près tout ce que l’on veut pouvoir attribuer à l’enfance et que nous avons plus ou moins perdu en devenant adultes ou que, une fois devenus adultes, nous avons pour devoir, en principe, de préserver chez les autres.

 

Chez celles et ceux qui nous entourent, petits ou grands, ou que nous aimons.

 

Ou sur ceux envers lesquels nous avons certaines responsabilités et sur qui nous pouvons exercer une certaine autorité.

 

Sauf que, sauvée ou non, pour moi, il est impossible que la jeune Cait reste aussi douce et aussi parfaite qu’on nous la montre.

 

Et, c’est pareil pour ses parents de substitution.

 

 

Pour moi, l’avenir de Cait pourrait ressembler à quelque héroïne  du film Moi, Christiane F, 13 ans, droguée, prostituée ( 1981) ou du film Requiem for a dream ( 2000).

 

Mais cela, je l’écris seulement parce-que je suis déprimé, aigri, ou démesurément pessimiste et défaitiste. Parce-que j’ai des idées trop noires.

 

Ou parce-que je n’ai absolument rien compris au film.

Ce qui est le propre de la mentalité de tout cynique et de tout perdant.

 

Seuls celles et ceux qui sont combattifs, méritants – et résilients– peuvent véritablement apprécier le film à sa juste valeur.

 

The Quiet Girl  est le film-filtre qui départagera les résilients de tous les autres. Après la séance, les « autres » seront priés de retourner au néant préalable de leur existence sans déranger. Puisqu’ils ne sont même pas capables de saisir la chance qui leur a été proposée, au travers de ce film, de croire en leur avenir et de se battre pour lui.

 

Parce-que, dans la vraie vie, on aime celles et ceux qui en prennent plein la gueule et qui résistent avec le sourire. Parce-que c’est cela, être sain d’esprit.

 

Pourtant, quoi de plus « normal » que la déprime ?

 

Il y a du faux et du suspect, voire de l’inquiétant, chez celle ou celui qui, en toutes circonstances, en dépit de ses ratés, de ses doutes, de ses inquiétudes ou de ses deuils affirme que tout va très bien ou que tout se déroule « absolument comme prévu ».

 

Le dirigeant actuel de la Chine, future Première Puissance Mondiale hypothétique, a raté neuf fois son admission au parti communiste chinois. On peut louer sa persévérance ou parler de « résilience » à son sujet et chercher à s’inspirer de son exemple. Pourtant, on peut aussi se dire que les refus qu’il avait rencontrés ou sa persévérance, finalement couronnée de succès, avaient leurs raisons d’être. Pour notre avenir.

 

Si déprimer est un état désagréable dont on aimerait souvent se dispenser, on peut aussi se dire que cela aurait été mieux si certaines personnes pouvaient simplement accepter de déprimer.

Mais nous sortons de l’hiver. Et même si je ne parle pas de celui évoqué dans la série Game of thrones, succès déjà daté,  quoi de plus normal que de déprimer un peu ou beaucoup en ce moment?

Alors que nous avons changé d’année et sommes repassés à l’heure d’été. Alors que nous avons été plus ou moins éprouvés par le changement des saisons comme par certains événements divers personnels ou autres  : guerre en Ukraine, pénuries diverses, augmentation du prix des denrées alimentaires, du prix de l’essence, réforme des retraites, conflits sociaux qui en découlent, réchauffement climatique, crise des migrants…

Quoi de plus normal que de déprimer devant certains de ces événements extérieurs mais aussi intimes et personnels ? Et d’avoir besoin de rester quelque peu en jachère, ou en retrait, durant quelques temps ?

Le temps de récupérer. Un temps parfois ou souvent difficile à évaluer.

 

Il faudrait ou nous devrions être capables de prédire combien de temps nous sera nécessaire afin de pouvoir véritablement récupérer des efforts et des événements passés. Et, autant que possible, nous devrions raccourcir au plus vite cette période de récupération, pouvoir annoncer son terme afin de pouvoir être à nouveau opérationnels et disponibles et en première ligne sur tous les fronts du monde pour le confort et la satisfaction de quelques autres.

 

Comme s’il ne s’était jamais rien passé de marquant dans notre vie. Comme si le deuil et sa nécessité n’existaient pas dans notre vie. Comme si nous étions des êtres éternels et inchangés malgré le temps qui passe. Comme si nous étions indifférents à notre usure ou à notre sentiment d’usure ou de blessure intérieur et personnel.

 

Comme si nous étions, aussi, des pièces mais aussi des expériences interchangeables.

 

Chaque fois que l’on refuse l’idée d’être déprimé, on refuse aussi l’idée de faire partie de l’humanité et de notre particularité. Et, on devient, alors, autre chose ou quelqu’un d’autre. Un personnage de film ou de bande dessinée. Un dictateur ou une petite sainte.

 

Malgré nos « victoires » et nos « succès » publics ou d’estime.

Notre sourire intérieur importe plus que celui qui se voit, se récompense et s’entend. Lui seul peut véritablement nous tenir à distance de la déprime et de la dépression. Et, il est plus difficile à obtenir et à préserver.

 

Franck Unimon, ce vendredi 21 avril 2023.

 

 

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Vélo Taffe

Vélo taffe, réforme des retraites et 49.3

Paris, jeudi 16 mars 2023, Bd Haussmann, à quelques minutes à pied des Galeries Lafayette et de la gare St Lazare. Photo©️Franck.Unimon

Vélo taffe, réforme des retraites et 49.3

 

 

Ce jeudi 16 mars 2023, vers 20H30, après le travail, pour rentrer chez moi, j’ai pris le même chemin que d’habitude.

 

Banlieusard de naissance, je travaille à Paris depuis l’été 2009. Depuis février 2021, j’ai découvert l’usage et le plaisir du vélo pliant pour parcourir la seconde partie de mon trajet lorsque je vais au travail. La première partie se déroule en prenant le train avec mon vélo depuis Argenteuil, une ville de banlieue, où j’habite.

 

Faire le trajet en utilisant uniquement les transports en commun jusqu’à mon lieu de travail m’avait vite rebuté lorsque j’avais commencé dans mon nouveau service en janvier 2021, du côté de Denfert Rochereau, dans le 14 ème arrondissement de Paris. A cause des correspondances, des « problèmes » de train et de la foule aux heures de pointe.

 

Je n’invente rien. Et je ne me plains pas. Il me faut entre trois quarts d’heure et une heure pour me rendre à mon travail. Certains de mes collègues ont besoin d’une heure et demi ou de deux heures pour le faire que ce soit en voiture ou par le train. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de s’éloigner pour pouvoir s’acheter une maison ou un appartement à crédit. Où ils n’ont pas pu trouver d’emploi plus près de chez eux.

 

Comme moi, et comme d’autres, je crois, mes collègues prennent de l’âge. Lorsque l’on prend de l’âge, même si l’on vit de plus en plus vieux, certaines contraintes nous pèsent davantage. Et encore plus si l’on s’efforce depuis des années de remplir nos obligations  malgré tout. Malgré les difficultés inhérentes à notre métier, malgré les problèmes de santé, les inquiétudes et les contraintes diverses et personnelles, malgré l’augmentation du coût de la vie.

 

 

Comme n’importe qui pourrait l’être après une deuxième journée de travail de 13 heures qui a commencé par un réveil vers 5h30 du matin, j’étais fatigué tout à l’heure  en montant sur mon vélo après être sorti de mon service. Mon but était en priorité de rentrer sans accident puisque j’étais fatigué et à vélo.

Paris, rue de Rivoli, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Je n’avais pas prévu de m’asseoir en rentrant pour écrire un article sur la réforme des retraites, le 49.3, les gilets jaunes, la pandémie du Covid et le confinement. Et en montrant des photos que j’ai pu prendre tout à l’heure sur ce trajet que je prends d’habitude lorsque je me rends à mon travail et que j’en reviens. Mais certaines des réactions suscitées ce soir par cette réforme des retraites font partie de notre histoire. Ces photos et cet article auront donc sans doute une certaine importance plus tard.

Paris, rue St Florentin, près de la place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

C’est la deuxième fois, maintenant, qu’en sortant de mon travail, je me retrouve un peu dans la même situation que le personnage de David Vincent, lorsque celui-ci, en rentrant chez lui en pleine nuit en voiture, aperçoit une soucoupe volante d’extra-terrestres malveillants en train d’atterrir discrètement sur « terre ».

Paris, rue St Florentin, près de le rue de Rivoli et de la place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

La première fois que je m’étais senti un peu comme le personnage David Vincent, c’était en tombant sur ce qui allait devenir la dernière manifestation officielle des gilets jaunes quelques jours avant le premier confinement en mars 2020. ( Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020)

 

Ce soir, la même situation s’est répétée avec ces manifestations suite à l’utilisation du 49.3.

Paris, rue St Florentin, près de la rue de Rivoli et de la Place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Pourtant, on ne peut pas dire que la réforme des retraites ait été un sujet « discret ». On en entend parler depuis des années. Avant la première élection du Président Macron, je crois. Et depuis des années, c’est un sujet de tension et d’inquiétude sociale. En France, l’image idéale du départ à la retraite rime avec celle d’un repos bien mérité après des années de travail. Si l’on peut au départ aimer exercer son travail, ses conditions d’exercice et sa pénibilité peuvent, avec les années, nous le rendre de plus en plus difficile à vivre ou à supporter. Surtout si ses conditions d’exercice se détériorent comme on le voit dans bien des institutions publiques.

Paris, rue St Florentin, en s’éloignant de la rue de Rivoli et de la place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Dans mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie, par exemple, un milieu touché par la pénurie depuis des années et encore plus depuis la pandémie du Covid, à mesure que l’on prend de l’âge, le travail de nuit, reconnu comme un travail pénible, peut avoir des répercussions sur la santé. Certains horaires matinaux, aussi. Car pour débuter une journée de travail à 6h45, selon le temps de trajet à effectuer, un réveil plus précoce peut nécessiter, avec le temps, des efforts de plus en plus contraignants. Ensuite, chaque profession a ses difficultés. Et, certaines de ces difficultés, selon moi, restent impraticables pour d’autres.

Paris, rue St Honoré, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Mais si Paris brûle ou a brûlé par endroits, ce jeudi 16 mars au soir, c’est ,selon moi, parce-que depuis trois ans, se sont accumulées des contraintes et des contrariétés diverses. J’en discutais quelques heures plus tôt avec deux collègues dans mon service avant de découvrir le résultat dans certaines rues de Paris en rentrant :

 

Le mouvement des gilets jaunes avait pour origine une usure sociale et économique profonde. Le mouvement a fini par être étouffé à la fois, par certaines de ses dissensions ou ses excès mais aussi parce-que le gouvernement Macron a profité de la pandémie du Covid pour décider d’un confinement strict et interdire les rassemblements publics. Pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, nous avons dû accepter une suppression de nos libertés, limiter nos déplacements, les justifier. Puis, nous avons dû fournir des passe sanitaires et donc nous faire vacciner pour les obtenir. Si bien des personnes ont rapidement été consentantes et rassurées par les vaccins anti-Covid fabriqués en express, il y a un nombre assez important de personnes- dont je fais partie- qui a accepté de se faire vacciner sous la contrainte. Afin de pouvoir recouvrer une partie de ses libertés mais aussi pour conserver son emploi.  

Après toute cette période de pandémie du Covid, du confinement et de ses excès, dont nous semblons nous éloigner depuis à peu près un an ou plus maintenant, la guerre en Ukraine est « arrivée » en février de l’année dernière. Le prix de l’essence a alors enflé. Jusqu’à deux euros le litre d’essence 95. Peut-être plus. Aujourd’hui, on peut trouver des stations service où le litre d’essence est redescendu à 1,89 euro le litre. C’est à dire qu’il coûte plus de 40 centimes qu’avant la guerre en Ukraine. Et, à mon avis, son prix ne retrouvera pas le niveau qui était le sien avant la guerre en Ukraine.

En plus du coût l’essence, celui des produits alimentaires a aussi augmenté de quinze pour cent depuis le début de la guerre en Ukraine. Dix pour cent d’augmentation supplémentaires sont prévus d’ici le mois de juin de cette année.

Ensuite, se rajoute le fait que depuis cette année, les taux bancaires remontent et que les banques sont plus réticentes pour prêter de l’argent aux personnes qui souhaitent obtenir un prêt immobilier. Donc, même dans l’immobilier, l’horizon se bouche.

Paris, près de la Madeleine, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Et, maintenant, la réforme des retraites avec le recul de l’âge du départ à la retraite qui passe de 62 ans  à 64 ans est imposée à coup de 49.3. Et, par qui ?

 

Par le gouvernement Macron. Le gouvernement du Président Macron, un homme qui n’a pas 50 ans, dont la retraite est déjà largement plus que bien assurée- et bien entourée- et qui donne le sentiment d’avoir toujours été privilégié.

 

Si le sentiment d’appartenance et le sentiment de sécurité ou d’insécurité font partie des sentiments qui nous inspirent ou qui permettent de nous dominer, le sentiment de justice ou d’injustice, aussi, peut pousser à agir lorsqu’il est conséquent.

Paris, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Ce jeudi soir, lors de ces quelques minutes où j’ai « échoué » au milieu de ces manifestations, et où je suis descendu de mon vélo pour marcher tout en prenant des photos sur mon trajet habituel, j’ai croisé des personnes assez jeunes (dans la vingtaine et trentaine) plutôt souriantes qui se sentaient aussi sans aucun doute victimes d’une grande injustice. Comme les gilets jaunes trois ans plus tôt. Sauf que, là, cette réforme des retraites concerne une plus grande partie de la population et donc, aussi, des classes sociales plus favorisées, ou des personnes plus destinées à occuper des fonctions « supérieures » que les gilets jaunes.

Paris, Bd Haussmann, près des Galeries Lafayette et de la gare St Lazare, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Même si l’on vit désormais plus vieux qu’il y a vingt, trente ou quarante ans, nous savons aussi que nous pouvons mourir à n’importe quel âge. Et que notre mort n’est pas automatiquement corrélée avec les mauvais choix de vie que nous aurions pu faire. Dans ma famille, on vit vieux. Cela devrait me suffire pour me convaincre que tout ira bien pour moi. Car des personnes retraitées, que j’ai connues actives, j’en connais désormais quelques unes. Et, elles vivent plutôt bien leur retraite alors qu’elles l’ont prise entre 55 et 64 ans. Sans compter quelques personnes de 70 ans ou plus que je peux côtoyer qui me donnent le sentiment de bien profiter de la vie et de conserver un entrain pour celle-ci. Sauf que deux ans de plus, lorsque ça ne va pas, c’est beaucoup.

 

Si cette réforme des retraites ne passe pas, c’est parce-que l’avenir continue d’inquiéter et de se refermer. Après les jeunes « de » banlieue populaire ou défavorisée dans les années 90-2000, après le terrorisme islamiste et l’intégrisme religieux,  après les gilets jaunes, c’est au tour des jeunes mais aussi des moins jeunes de classes sociales diverses de refuser de se faire enfermer dans un monde et une vie dont ils ne veulent pas.

Paris, gare St Lazare, jeudi 16 mars 2023. Photo©️Franck.Unimon

Etonnamment, à la gare St Lazare, tout est calme. Et, quelques minutes plus tard, lorsque je retrouve Argenteuil, ville de banlieue proche de Paris, dont la réputation est plutôt mauvaise, tout est calme. Devant ce calme, on pourrait penser que ce je viens d’apercevoir dans la capitale n’a jamais existé.

 

 

Franck Unimon pour balistiqueduquotidien.com, ce vendredi 17 mars 2023.

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Argenteuil

Au salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 février 2023

Au salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque d’Argenteuil, les 4 et 5 février 2023.

 Au Salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 février 2023

 

 

Ailleurs, ces ilots réfléchis dans la prose et dans des bulles, ont été avalés par le goulot du passé.

 

Depuis des années, telle une fin du monde pronostiquée et ingérée cul sec une nouvelle fois, puis une autre fois, et encore une fois, jusqu’à ne plus savoir compter, leur disparition est annoncée voire souhaitée avec une certaine ferveur.

 

« Ils » seraient devenus périmés, auraient perdu pied. Ils n’auraient plus rien à dire. Toute musique et toute vitalité, en eux, auraient définitivement abdiqué. Ils se seraient taris et auraient abandonné l’Humanité.

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque d’Argenteuil, les 4 et 5 février 2023.

 

Ils ne feraient plus le poids face à la vitesse et aux pulsations volatiles- et versatiles- des images et des émotions que celles-ci nous administrent à hautes doses, face aux croyances technologiques de pointe, aux rumeurs acérées, cutanées et instantanées, aux publicités, au pavot, au feu, à la médiocrité. Face  aux tombeaux, au pessimisme et à la dépression. Face aux destructions de toutes sortes y compris celles des arbres.

Au Salon du livre d’Argenteuil, les 4 et 5 février 2023.
Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque, les 4 et 5 février 2023.

Ils seraient des ronces et des gadgets dont il faudrait  se débarrasser. Arrivés à un certain âge, Ils prendraient beaucoup trop de place comme des jeux d’enfants sans lendemains.  A peine solvables en bourse, ce sont des combustibles beaucoup moins performants qu’une bûche de bois. Si peu savoureux en bouche, à peine vecteurs de protéines, de glucides ou de lipides, et même pas conducteurs d’électricité, ils ne produisent pas de pétrole, ni de gaz ou de vent. Ils ne se rechargent pas en plein soleil. En plus, ils sont fragiles et ils ne donnent pas l’heure.

 

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque, les 4 et 5 février 2023.

A cela, il faut ajouter que fabriquer un livre, le lire, le conseiller, le proposer, le commander, le vendre, c’est du boulot.

Au Centre, Gilles, l’un des gérants de la librairie Presse Papier d’Argenteuil. Avec Agnès REINMANN, Présidente de l’association sous les couvertures et l’un des photographes de l’association et de l’événement. Photo©️Franck.Unimon
De profil, Catherine, l’une des gérantes de la librairie Presse Papier avec Pamela ( de face), une des employées du rayon librairie. Au salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 février 2023. Photo©️Franck.Unimon
Dominique Mariette, interviewé au Salon du livre d’Argenteuil par de jeunes argenteuillaises. Photo©️Franck.Unimon
A gauche, la main levée, Margot, une des employées de la librairie Presse Papier d’Argenteuil, avec plusieurs des bénévoles, lors de la pause déjeuner au Salon du livre d’Argenteuil, les 4 et 5 février 2023. Photo©️Franck.Unimon

 

Parce qu’il faut prendre son temps pour bien s’occuper d’un livre et pour lui accorder autant d’importance. Par saccades. En hésitant. En se demandant où l’on se rend et à quoi l’on joue.

 

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque, les 4 et 5 février 2023.

Parfois, il faut même relire ou regarder plusieurs fois les mêmes passages, tourner des pages attentivement pour bien comprendre. Porter l’objet de lecture. Alors que ce que l’on voudrait, désormais, lorsque l’on est bien dans le coup, ce serait des objets de plus en plus légers, des contenus simplifiés, ainsi que des interactions beaucoup plus faciles d’usage, à profusion. Et aussi plus de goudron pour avoir devant soi des grands boulevards qui nous emmènent partout et tout de suite là où on le désire.

 

Tout le temps. Sans interruption. Sans avoir besoin de respirer. Sans digestion.

 

Sans imagination, aussi. Mais, cela, ce « n’est pas » une priorité semble-t’il.

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque, les 4 et 5 février 2023.

La priorité, ce serait de prévoir l’avenir avec exactitude et le temps qu’il nous faudra pour effectuer les bonnes opérations. Pour tout planifier avant « leurre ». Puisqu’il n’y a que cela de vrai. Et de concret. Alors que lire, c’est d’abord accepter de se faire surprendre. D’oublier le temps que l’on prend. D’accepter d’en perdre. C’est un peu, une folie.

Au Salon du livre d’Argenteuil, les 4 et 5 février 2023, au lycée Georges Braque.

Le salon du livre d’Argenteuil organisé par la librairie d’Argenteuil, Presse Papier,  les bénévoles de l’association Sous les couvertures et d’autres partenaires, l’a pourtant rappelé ces 4 et 5 février dernier, dans le lycée Georges Braque d’Argenteuil, également partenaire de l’événement :

 

En 2023, au 21 ème siècle, il reste encore beaucoup d’otages volontaires qui se laissent prendre et surprendre par des livres afin de devenir plus libres.

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque, les 4 et 5 février 2023.

Tant qu’il y aura des personnes qui voudront faire des pauses et reprendre leur souffle, il y aura des livres. Et tant qu’il y aura des livres, il y aura des personnes qui viendront les ouvrir et puiser dedans divers remèdes et intermèdes.

 

Car on lit peut-être comme on se soigne. Chacun empoigne son remède en adoptant la posologie qui lui est propre. La lecture étant cette bougie allumée avec laquelle chacune et chacun s’avance et s’éclaire dans cette pénombre qui lui est personnelle.

Xavier Leclerc, l’auteur du livre  » Un homme sans titre » au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque. A ses côtés, avec la loupe, un des bénévoles du Salon du livre. Photo©️Franck.Unimon

Il y avait beaucoup à parcourir ce  4 et 5 février 2023 dans ce salon du livre d’Argenteuil dont l’un des thèmes était En quête d’Algérie.

Plusieurs heures étaient nécessaires pour bien arpenter ce salon préparé aussi avec le Collège Paul Vaillant Couturier d’Argenteuil, Les Amis de Georges Braque et la Société Historique et Archéologique d’Argenteuil et du Parisis.

Un atelier peinture proposé par l’association Nénuphar d’Argenteuil, au Salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 février 2023. Photo©️Franck.Unimon

 

Plusieurs animations, en plus des interviews d’auteurs et de traducteurs, ont été proposées telles qu’un Escape Game et Le Grand Jeu « En Quête de Braque ».

 

Thibaut Dumonet, de la Librairie Presse Papier, en train d’interviewer les auteurs Pierre et François Place au Salon du livre d’Argenteuil, au lycée Georges Braque. Photo©️Franck.Unimon

Lors de ce salon, beaucoup de vies étaient dans ces livres, autour d’eux, sur leurs couvertures, parmi les auteurs et artistes invités (Pierre et François Place, Xavier Leclerc…) ainsi que dans ce public venu en très grand nombre (près de 3000 visiteurs) les rencontrer.

 

En quittant ce salon, beaucoup sont repartis à la ligne en emportant ailleurs avec eux des parties de vies traduites dans des livres et dans des rencontres.

Franck Unimon, ce lundi 13 mars 2023

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Cinéma

Les Rascals un film de Jimmy Laporal-Tresor

Les Rascals un film de Jimmy Laporal-Trésor

 

 

Sorti en janvier 2023, auréolé d’assez bonnes critiques, Les Rascals est passé assez inaperçu devant le public derrière les « colosses » Black Panther 2 et Avatar 2 présents également en salles en ce début d’année. Cependant, comme dans certaines oeuvres cinématographiques où l’on a pu voir « débuter », certaines actrices et acteurs, amusons-nous à mémoriser aujourd’hui le visage et les noms des acteurs principaux de cette pièce visuelle. Nous aurons plaisir à nous en rappeler plus tard lorsque certains membres du casting deviendront des artistes « reconnus ».

 

En effet, parmi les assez innombrables sorties de films, de séries, et leurs copies, peut-on dire que  Les Rascals est un petit film d’auteur de plus ?

 

Côté filiation, l’œuvre de Jimmy Laporal-Trésor, dont l’histoire se déroule à Paris ainsi qu’en banlieue parisienne dans les années 70-80 d’avant l’explosion de l’épidémie du Sida, m’a tout de suite fait penser à Un Français réalisé par Diasteme en 2014 et à The Club (Neil Thompson, 2008). Mais, bien-sûr, il peut être relié à d’autres oeuvres antérieures en particulier anglo-saxonnes.

Adam ( l’acteur Victor Meutelet) convaincant dans son rôle.

Croquis social, Les Rascals se situe à l’époque où le groupe de rockabilly les Stray Cats avait la côte tandis que refluait en France hors des cendres du temps un racisme anti arabe et anti noir de plus en plus pressé sur la scène politique française par le Front National du papa de Marine Le Pen. Laquelle était alors étrangère à toute ambition politique comme à toute exposition médiatique. Sa nièce était alors à peine issue de la conception. Et Eric Zemmour était peut-être encore étudiant, jeune journaliste ou devait faire du porte à porte quelque part en essayant de vendre des tapis de sol pour la pratique du yoga.

Frédérique ( l’actrice Angelina Woreth) et Adam( l’acteur Victor Meutelet) « RASCALS »
un film de JIMMY LAPORAL-TRESOR
Paris, FRANCE le 16/07/21
© Jean-Philippe BALTEL / SPADE / AGAT FILMS ET CIE

Comme dans Un Français de Diasteme, le film réussit bien le portrait féminin fascisant de la jeune Frédérique (l’actrice Angelina Woreth). Il m’est difficile de savoir si cela a été voulu par Jimmy Laporal-Trésor mais le personnage de la jeune Frédérique peut, à un moment donné, évoquer celui de la jeune femme qui avait appâté Ilan Halimi en 2006.

Néanmoins, il est peut-être encore un peu tôt pour que le cinéma français s’empare d’un rôle féminin comme celui de la jeune Frédérique et le regarde dans les yeux de bout en bout. A l’image de ce que  Diasteme avait pu faire avec le personnage interprété par Alban Lenoir dans Un Français.

 

Mais l’un des autres personnages très importants du film, c’est la musique.

Musicalement, à l’époque que nous raconte Les Rascals, le Rap  démarrait pour de bon mais on ne le savait pas encore. Ses danses attiraient davantage l’attention en particulier au Trocadéro. Dans Les Rascals, on aperçoit Sidney, l’ancien animateur radio, « héros » d’une époque avec son émission télévisée consacrée au Hip Hop.

 

Bob Marley, lui,  était mort depuis peu. Serge Gainsbourg était encore vivant. La New Wave avait déjà ses standards. Le Hard Rock était entré par effraction dans les collèges avec AC/DC et était à certains ados  ce que le Rap allait devenir ensuite d’abord pour des ados de cités et de banlieue. Le Zouk arrivait mais le monde ne connaissait pas encore le groupe Kassav’. Le Rock semblait encore être le plus grand armateur musical du monde.

Les Rascals, film sonorisé par le groupe Delgrès, prend particulièrement soin d’ancrer son histoire aussi avec quelques pochettes de disques telles celle de l’album vinyle Thriller de Michaël Jackson ou celle du groupe antillais Lazair.

 

Culturellement, Jimmy Laporal-Trésor a d’ailleurs axé son film selon un point de vue antillais. Et, j’ai beaucoup aimé sa description de certains des codes de la culture antillaise. Qu’il s’agisse du recours au Créole lors de certains passages ou des relations du héros Rudy (l’acteur Jonathan Feltre) avec sa mère. Depuis au moins Rue Cases-Nègres adapté par Euzhan Palcy en 1983, en passant par les films de Jean-Claude Flamand-Barny plus tard, Les Rascals contribue à l’édification d’une mémoire cinématographique qui inclut les Antilles françaises…dans l’Histoire de France. Car le film montre au grand jour que les Antillaises et Antillais, en France, à l’image de bien des immigrés, ont pu être considérés comme les restes d’un univers souterrain, ignoré, vitrifié, sacrifié.

 

De gauche à droite, Mandal ( l’acteur Marvin Dubart), Boboche ( l’acteur Taddeus Kufus), Rudy ( l’acteur Jonathan Feltre) Rico ( l’acteur Missoum Slimani) Sovann ( l’acteur Jonathan Eap).

Mais Les Rascals est aussi de ces films à classer dans la catégorie des Stand By me : des copains qui se connaissent depuis l’enfance et meurtris par un environnement et un trauma communs se soudent jusqu’à espérer franchir ensemble le mur du son du monde adulte.

 

Franck Unimon, ce jeudi 23 février 202

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Massages

Massage à l’huile au Ban Maï Thaï

Au Ban Maï Thaï, ce jeudi 26 janvier 2023, après le massage. Photo©️Franck.Unimon

       Massage à l’huile au Ban Maï Thaï

 

Auparavant, je n’avais jamais envisagé qu’une table de massage puisse être une table d’opération. Et que la plus grande partie de mon corps recevrait cette opération.

 

Nous nous plaignons de relations superficielles. Ce que j’ai vécu hier avait un peu un  caractère sacrificiel. Mais je ne le savais pas  en choisissant d’entrer dans ce salon de massage au 99, rue Glacière, dans le 14 ème arrondissement de Paris, plutôt que dans le salon de thé un peu plus loin. 

 

Tout ce que je voulais, tout ce que je voyais, c’était que j’avais besoin de me réchauffer.

Paris, près de St Lazare, le 19 janvier 2023. Photo©️Franck.Unimon

A la fin de ce mois de janvier, je me sentais fatigué. Il faisait froid et humide depuis plusieurs jours. Et cela faisait plusieurs années que je m’étais dit que ce serait bien d’aller me faire me masser de temps en temps.

 

Mais par où commencer ? Dans quel lieu de massage ? Il y avait les instituts de beauté, les forfaits massages sans âme, les endroits où l’on vous fait payer le cadre plus que la réelle habilité à vous relaxer, les débarras de sperme camouflés….

 

J’en ai fait un peu l’expérience : en France, lorsque vous parlez massage, on pense tout de suite aux préliminaires sexuels. On est encore assez peu sportif en France question massage.

 

Même si l’on parle de yoga, de zen, d’Arts martiaux, d’application de méditation, de l’importance de prendre son temps, de se reconnecter avec soi-même, dès que l’on parle de massage, un trouble se déclare. J’ai l’impression que celui qui se montre sympathique ou inoffensif et en profite pour verser en douce du GHB dans un verre est presque plus fréquentable que celui qui va parler de « massage ».

 

« Je n’aime pas que l’on me touche » m’a dit hier soir une collègue plutôt sympathique alors que nous marchions tous les deux côte à côte en discutant vers le métro. Pour plaisanter, je lui ai alors demandé :

« J’espère que je ne suis pas trop près de toi pendant qu’on parle…». Elle a souri voire elle a rigolé. Un peu.

 

J’ai un rapport différent au massage. Un jour, un de mes collègues formé à la psychanalyse qui doit à mon avis peu se faire masser m’a dit :

« Le corps, c’est l’inconscient ». ça m’a marqué. Notre corps nous marque et nous attache. Et un massage marche sur toutes ces marques et toutes ces attaches que notre histoire nous a laissée. Cela n’a pas grand chose de sexuel même si un massage peut aussi être d’inspiration sexuelle.

 

J’ai été sportif et le suis encore un peu. Et, pour moi, un massage, cela a d’abord été d’ordre sportif. Lorsqu’un joueur de tennis se fait masser sur un court de tennis, le but recherché n’est pas l’obtention d’une plus grande érection même si son but, ensuite, consistera à faire tout son possible pour envoyer profond sa balle de tennis (ne changez pas le mot en chemin dans votre tête, s’il vous plait) dans les limites du terrain adverse.

 

Mais avant le sport, j’avais appris dès l’enfance à approcher un autre corps par la danse et la musique. C’était une règle et même une obligation culturelle et sociale. Ne pas savoir danser avec quelqu’un d’autre, c’était la honte. Et, je parle d’une danse rapprochée. Avec des titres aussi longs voire plus longs que les slows célèbres.

 

Enfin, le châtiment corporel, y compris en public, ça peut aussi décomplexer question rapport à son propre corps. Cette semaine, ma fille m’a demandé si, enfant, j’avais connu des maitres à l’école qui tiraient les oreilles. Oui, ma fille. Et même des maitres qui giflaient. J’ai même reçu un coup de pied dans le derrière. Tiens, je vais te raconter une histoire. Figure-toi qu’un jour, ton grand-père est allé voir mon maitre avec moi à l’école. J’étais en CE2. Il a dit à mon maitre : «  Vous savez, Franck, s’il fait des bêtises, vous pouvez le frapper…. ».

 

Sourire.

 

Ça peut vous décomplexer avec le fait que l’on touche votre corps. Ça et  toutes ces expériences sensorielles où notre corps est sollicité. A travers une pratique sportive, pour peu que l’on se soit appliqué à être aussi performant que possible dans la durée, on fait l’apprentissage de certaines réactions de notre corps. Voire, on les accepte. Peut-être trop, aussi.

 

Quelqu’un m’a dit un jour : « Je n’aime pas transpirer ». ça m’a marqué.

 

Mais si le massage donne souvent l’impression à certains d’être seulement l’antichambre d’Eros, la suite de cette anecdote a plutôt à voir avec le seuil de douleur que l’on accepte d’approcher. Car si ma collègue –celle qui n’aime pas se faire masser-  a d’ores et déjà de l’arthrose dans les genoux au point de préférer l’escalator aux escaliers, le massage d’hier m’a catapulté dans une expérience très engagée du massage. Il n’y avait absolument rien de superficiel dans ce que j’ai vécu hier.

 

Je l’ai déjà fait comprendre, je n’avais pas d’appréhension en entrant dans ce salon de massage hier. J’avais à peu près deux heures devant moi avant de retourner au travail pour une réunion. Un peu plus tôt dans l’après-midi, déjà, je m’étais arrêté, rue du Cherche-Midi, dans un salon de massage chinois bien recommandé par certains avis lus sur internet. C’était sur mon trajet avant de me rendre à une conférence à mon travail sur les UMJ (les unités médico-judiciaires). Je me suis contenté d’un massage des pieds de quinze minutes. Bain de pieds chaud au préalable. Puis, massage des pieds en commençant par les chevilles. Je m’attendais à un massage plus poussé des pieds mais cela fut agréable. En plus, comme c’était une période creuse, j’ai eu le droit à un (petit) massage de la nuque. Avant de partir, on m’a aussi servi un thé. 15 euros pour 15 minutes au lieu de 20 euros. Je me suis ensuite dirigé vers la gare Montparnasse.

 

Après le séminaire, j’avais à peu près deux heures de libres. J’en ai profité pour découvrir un peu plus les environs. Je suis passé devant ce salon de massage thaïlandais, le Ban Maï Thaï. Extérieurement, il m’a fait une plutôt bonne impression. Et ses tarifs pour une heure de massage, bien qu’un peu élevés par rapport à mes enseignements (un euro par minute de massage) restaient observables. Je ne suis pas entré tout de suite. J’ai continué de me balader.

Paris, près de la rue Glacière, ce jeudi 26 janvier 2023. Photo©️Franck.Unimon

 

Puis, je suis revenu environ trente minutes plus tard.

 

J’ai été formé au massage bien-être. J’ai déjà été massé un certain nombre de fois. C’était un des principes de la formation. Masser des personnes différentes et se faire masser par des personnes différentes. Je suis donc entré hier en demandeur et en « connaisseur ». Du moins, en connaisseur de ce que je connaissais déjà.

 

Massage (complet) aux huiles ou massage thaïlandais ? Telle était la question. On partait pour une heure, de toute façon, pour 70 euros. Je pouvais accepter ce tarif. C’était la fin du mois. Plus cher, j’aurais tiqué pour une première fois.

 

La femme qui m’accueillait, très certainement d’origine thaïlandaise, était tout sourire. Et, dans son Français, elle faisait de son mieux pour me renseigner. Elle m’a assez vite dirigé vers le massage aux huiles. Mais je trouvais que ça faisait trop cliché, le client qui demande un massage aux huiles. J’avais encore en tête le massage californien et peut-être aussi le titre Hôtel California des Eagles.  

 

Malgré  toutes les informations devant moi, je n’avais toujours pas traversé l’océan pacifique jusqu’à l’Asie.

 

J’ai vraiment eu envie du massage thaïlandais. Je pensais à des étirements tout en douceur…

 

Lorsque je lui ai demandé si ce massage faisait du bien ensuite, mon hôtesse m’a répondu en gardant son sourire qu’après je prendrais peut-être du doliprane. Mais que le lendemain, je me sentirais bien. Puis, presqu’en forçant sa nature, elle s’est montrée un peu directive en me disant « Je pense que le massage aux huiles, ce serait bien pour la première fois ».

 

Je l’ai écoutée. J’ai bien fait.

 

J’ai d’abord payé. Puis, elle m’a apporté une paire de sandales. Je me suis déchaussé. J’ai voulu me lever pour amener mes chaussures. Elle m’a fait comprendre que c’était son travail et elle les a déposées près d’autres chaussures rangées à l’entrée. Il y avait une paire de baskets Nike blanches.

 

Vous voulez aller aux toilettes ? J’ai acquiescé.

 

Ensuite, toujours souriante, elle m’a demandé si j’avais mal quelque part. J’ai donné quelques indications. Puis, elle s’est volatilisée. Peu après, elle est revenue avec une jeune femme, d’une trentaine d’années à peine, aussi petite qu’elle, à peu près un mètre soixante, peut-être moins. Toute aussi souriante, celle-ci m’a accompagné vers un escalier qui nous a fait descendre jusqu’à une petite pièce où attendait une salle de massage. Je dirais que la salle devait faire dans les 6 mètres carrés. Tout était optimisé. La table, deux cintres, de quoi poser ses vêtements. La lumière était apaisante. Une musique mélodique et sans doute très uniforme aussi n’a cessé de couler pendant la séance.

 

Ma future masseuse m’a remis un sachet fermé contenant  un slip jetable bleu qui avait l’allure d’un string et s’est éclipsée. Lorsqu’elle est revenue et que je l’attendais, allongée sur le dos, celle-ci s’est aperçue que j’avais mis le slip à l’envers. Petit rire. Nouvelle éclipse. Nouveau retour.

 

Je me suis allongé sur le ventre comme elle me l’a demandé. J’ai fermé les yeux. J’ai été recouvert de serviettes chaudes. Puis, sans beaucoup attendre, ma masseuse souriante a encastré son « savoir- fer » dans mon corps. Elle a bien dû monter sur la table afin de  mettre tout son poids. En tout cas, elle m’est montée dessus ou a roulé sur mon corps. Alors, je me suis rappelé ce que j’avais entendu dire, dans le passé, à propos de ces massages en Thaïlande qui pouvaient être difficiles à supporter physiquement.

 

Cinq à dix minutes à peine s’étaient passées que je louais mes capacités expiratoires afin d’accepter le programme essorage de ma jeune praticienne. Je n’ai pas perçu d’agressivité particulière de sa part mais je me suis bien demandé où était la frontière  consciente entre un massage et un acte de guerre.

Bien-sûr, j’ai pensé à la torture. Cet ensemble d’actions par lequel on refuse que l’autre nous échappe.

Mais quand je pense à la guerre, c’est pour cette grande connaissance du corps humain. Tant pour la connaissance de ses points faibles que de ses zones de résistance.

 

« You, Ok ? » m’a demandé gentiment ma masseuse par intervalles de dix minutes. Elle semblait bien renseignée quant au fait que je pouvais connaître des moments difficiles.

 

J’ai répondu, oui.

 

Je me suis dit que le peuple thaïlandais devait être un peuple particulièrement souple pour avoir ce type de massage-repassage.

 

Cependant, étant allongé sur le ventre, et stimulé en profondeur comme je l’étais, j’ai commencé à redouter la venue d’une érection. J’ai pensé à Desproges qui, dans un de ses sketches, racontait ce malaise qu’il avait pu ressentir en étant collé à un de ses voisins dans l’ascenseur exigu de son immeuble mais aussi sa crainte de voir survenir en lui une érection.

 

Mon inquiétude a été facilement éconduite. La tonicité du massage et les étirements assez poussés ne s’accouplaient pas avec une érection. Et l’intention de ma masseuse aussi, sans aucun doute.

 

Tout cela, c’était la prise en main, à sec, des jambes et des pieds. Nous n’en n’étions qu’au commencement.

De l’huile chaude est arrivée sur ma peau. Juste comme il faut. Ma masseuse a poursuivi son travail de conquête cutanée. Parvenue en haut de mon dos, mes jambes recouvertes à nouveau par une serviette, il y a eu un premier craquement. Puis un second. Puis un troisième. Elle n’allait pas laisser passer ça.

 

« You, ok ? ».

 

Dans cette séance de massage particulièrement satisfaisante, le summum a été atteint lorsqu’elle s’est occupée de mes omoplates. En particulier, peut-être du muscle trapèze. Elle m’a donné l’impression de le tasser avec son coude.

 

Coudes, poids du corps sur la table et poing étaient en libre service lors de cette séance.  

 

Le massage du ventre et des pectoraux était moins accompli mais j’avais eu mon compte. Une fois installé sur la table de massage, l’heure est passée rapidement.

 

Après m’être rhabillé, je suis remonté. Un thé chaud m’attendait avec une coupelle contenant quelques fruits. Ainsi que mes chaussures.

Après le massage, hier. Photo©️Franck.Unimon

J’ai revu celle qui m’avait massé et lui ai demandé son prénom. J’avais un peu de mal à la reconnaître. Je n’avais fait que l’apercevoir.  Il m’a semblé qu’elle estimait n’avoir fait que son travail. Ce qui était vrai. Mais c’était un travail plutôt bien fait et il fallait le remarquer. La jeune masseuse, après m’avoir prononcé son prénom à la Thaïlandaise m’a amené une carte du salon en souriant. Je l’ai prise même si j’en avais déjà une. Puis, elle a disparu pour rejoindre d’autres masseuses dans une pièce où j’avais l’impression qu’elles s’y mettaient à plusieurs pour s’occuper d’une personne.

 

 « L’ hôtesse » s’est aussi assurée que tout s’était bien passé. Dans ce genre de commerce souvent tenu par des femmes, j’ai l’impression, un homme est venu discrètement prendre la suite à l’accueil. Le salon allait fermer dans moins d’une heure.

Devant le Ban Maï Thaï, ce jeudi 26 janvier 2023, vers 19h. Photo©️Franck.Unimon

 

Entre 11h et 14h, l’heure de massage descend à 57 ou 56 euros. Je reviendrai sûrement en profiter un jour.

 

Mon corps était réchauffé lorsque je suis parti. La prochaine fois, j’irai aussi au salon de thé qui se trouve un peu plus loin.

 

Je suis arrivé avec environ vingt minutes de retard à ma réunion au travail. J’étais un petit peu ailleurs. Mais il n’y avait pas de nécessité de s’agiter. Et puis, je faisais partie des présents dans la salle. Quelques autres collègues étaient sur Skype.

 

La réunion a duré moins longtemps que je ne l’avais prévue. En partant, je n’ai pas eu l’impression d’avoir perdu mon temps. J’ai même fait une partie du trajet avec une de mes collègues qui n’aime pas qu’on la touche. Nous avons discuté. C’était un moment assez privilégié, personnel et détendu. C’était la première fois que nous le faisions en dehors du service.

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 janvier 2023.

 

 

 

 

 

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En Concert

Rodolphe Burger, Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab en concert au New Morning ce 15 décembre 2022

Rodolphe Burger avec Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab au New Morning ce 15 décembre 2022

Sofiane Saïdi, Rodolphe Burger et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 décembre 2022 à la fin du concert. Photo©️Franck.Unimon

 

La musique et ses artistes. Nos choix, nos mesures. Ceux que l’on a retenus, ceux qui nous ont laissé leur morsure et d’autres, leur monture. Je reste inconsolé, désormais, chaque fois que je repense à Finley Quaye qui avait tout pour lui et qui a tout perdu à la fin des années 90 :

Le charme, le toucher de guitare Jazz,  la « soul », le Reggae, l’électronique, la voix, la chaleur, la crédibilité, la célébrité à moins de 25 ans aux côtés de piliers comme Massive Attack, Tricky, Portishead, Björk. Björk dont, désormais, le montant des places de concert,  ressemble à celui de certains restaurants luxueux que seules peuvent s’offrir des personnes aisées et mondaines qui vont se faire « Un Björk » comme on va « se faire un Picasso » ou des fans prêts à se mettre à découvert et à endetter leur descendance sur trois générations pour rester fidèles à « leur » artiste.

Finley Quaye ne connaîtra pas ça. Cette vie de star était peut-être trop dure pour lui. Et, il n’est pas le seul à qui cela est arrivé et à qui cela arrivera.

Cela n’arrivera pas ou ne devrait pas arriver à Rodolphe Burger, Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab. Des trois, et il faudra m’excuser pour cela, le premier est celui que je connais le « mieux ». Même si c’est peu, je ne compte pas m’inventer un Savoir artificiel pour parler d’eux.

Mehdi Haddab, à droite, la main sur son oud, Rodolphe Burger au milieu, puis Sofiane Saïdi au New Morning, ce 15 décembre 2022 à la fin du concert. Photo©️Franck.Unimon

Mehdi Haddab, je sais qu’il a joué avec Smadj, qu’il a électrifié son Oud dont il est l’un des plus grand maitres actuels depuis une bonne vingtaine d’années. J’ai lu qu’après avoir d’abord été guitariste rock qu’il avait ensuite appris à jouer de son instrument avec les plus grands Maitres. En particulier, en Egypte. En cela, même si son parcours est évidemment singulier et personnel, il peut rappeler l’Anglaise Susheela Raman, lorsque celle-ci était partie perfectionner son chant en Inde avant de se faire connaître internationalement.

 

Mehdi Haddab, franco-algérien, avant d’être un très grand musicien, a été un très grand cosmopolite. Sur le net, je suis tombé sur une interview de lui (datée de 2016) par la journaliste Anne Berthod pour Télérama.  Ses propos concernant un concert de m’balax « pur et dur, hardcore, musicalement très élevé » de Pape Diouf au Thiossane, commencé à 2 heures du matin pour se terminer à 6 heures, m’ont donné envie d’être avec lui à ce moment-là. Mais, pour cela, encore faut-il être prêt à voyager par la musique à deux heures du matin en pays étranger.

Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Nos rencontres et nos soirées, tant que l’on en connaît, nous permettent de nous dispenser de ce genre de décalage horaire comme de ce genre de trajet à forte valeur ajoutée kilométrique, ou, au contraire, à les rechercher. Typiquement, ces rencontres et ces soirées à forte tendance musicale correspondent à cette période grosso modo située entre nos premières bouffées de chaleur dues à la préadolescence jusqu’ à leurs effets ou conclusions couronnées ou non de succès au début de l’âge adulte. Un âge adulte qui varie encore selon les individus mais qui débouche quand même à peu près toujours et sensiblement sur la même espèce de conclusions. Celles-ci consistent généralement à se retrouver dans le monde du travail, après avoir connu si possible quelques accouplements uniques ou répétés plus ou moins satisfaisants, plus ou moins secondaires, avec ou sans progéniture active, mais avec de la fatigue, quelques kilos et du ventre en trop. Et, aussi,  pour certaines et certains, en ayant « attrapé » des addictions au passage.   

 

Passé ce cap où l’on sort le soir comme l’ensemble des personnes de notre entourage et d’à peu près notre âge, il reste un noyau dur. Tant du côté des artistes que du côté de celles et ceux qui viennent les voir et les écouter. Celui pour lequel, la musique reste une matière indispensable. Pour laquelle, on acceptera de continuer de se déplacer qu’il s’agisse dans un festival, un concert ou, simplement, une médiathèque ou un fournisseur physique ou numérique d’accès à la musique.

 

Rodolphe Burger, Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab sont des artistes et des personnes pour lesquelles la musique est une matière indispensable. Il ne s’agit pas d’une mode pour eux.

 

Sofiane Saïdi au premier plan au New Morning, ce 15 décembre 2022. En arrière plan, Mehdi Haddab. Photo©️Franck.Unimon

Sofiane Saïdi, Algérien, je l’ai découvert ce 15 décembre sur scène. Mehdi Haddab, je l’avais même croisé sur scène en faisant partie des figurants d’une pièce de théâtre à laquelle il participait en tant que musicien au Figuier blanc, à Argenteuil. Une version modernisée d’Othello avec le rappeur Disiz la Peste dans le rôle d’Othello, mais aussi avec l’acteur Denis Lavant et la musicienne Sapho et d’autres comédiens et danseurs. Mais Sofiane Saïdi, inconnu pour moi. Sur scène, au New Morning, ce 15 décembre, c’est lui qui rappellera la grande Cheikha Rimitti mais aussi que des personnes sont mortes en Algérie pour s’être exprimées au travers du Raï. Et, leur première partie, dont j’ai oublié le prénom et le nom, lui, rappellera Rachid Taha.

 

Rodolphe Burger, voix et guitare, c’est d’abord un Alsacien. Mais aussi le meneur ou l’un des meneurs du groupe Kat Onoma. C’est comme ça que j’avais entendu parler de Rodolphe Burger, la première fois. Dans les années 90-2000. Le titre Scie électrique m’avait particulièrement attiré. Rodolphe Burger ne chante pas tout à fait. Il « parle-chante » à la façon d’un Alain Bashung (ou d’un Serge Gainsbourg sans les excès de langage) que j’écoutais davantage dans les années 90-2000 et que j’étais allé voir en concert.

Rodolphe Burger au New Morning, ce 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

 

Je n’avais pas trop écouté les paroles chantées-parlées par Burger. C’était la musique, principalement, qui avait occupé mon attention. Après cet album intitulé Kat Onoma, je n’avais pas essayé d’en savoir plus sur Rodolphe Burger.

 

Puis, j’ai été surpris de tomber sur lui dans un des films de Rabah Ameur-Zaïmeche, un réalisateur dont j’ai vu la plupart des films au cinéma. Il devait s’agir du film Dernier maquis (2008) ou Les Chants de mandrin (2012). On y voyait Rodolphe Burger jouer seul de la guitare en plein désert. Un peu à la façon du titre White dans l’album Aura de Miles Davis.

 

Malgré cette surprise, je n’ai pas été plus curieux que ça envers Rodolphe Burger.

 

Jusqu’à l’année dernière.

Rodolphe Burger au New Morning, ce 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

J’ai oublié ce qui s’est passé. La radio n’y est pour rien. Pas plus qu’un éventuel « tube » de Rodolphe Burger. Par contre, il y a quelques mois, j’ai emprunté l’album Before Bach qui date de 2004 dans lequel Rodolphe Burger, Erik Marchand, le chanteur breton et…Mehdi Haddab jouent ensemble sur plusieurs titres pour ne pas dire tous les titres de l’album.

Mehdi Haddab au centre, et Rodolphe Burger au New Morning ce 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Il suffit d’une circonstance, d’une rencontre, d’une soirée ou d’un titre pour qu’ensuite tout s’enclenche. Ce peut donc être cet album où le fait d’avoir vu une photo en noir en blanc de la musicienne Sarah Murcia, au Triton, aux Lilas, l’année dernière, puis d’avoir découvert ensuite sa reprise avec Rodolphe Burger du titre Billie Jean de Michaël Jackson qui m’a « rattrapé ».

 

Aujourd’hui, avec ses cheveux blancs, sa longévité, ses diverses traversées de par le monde, et son absence voire son silence dans les média qui font le buzz, je vois Rodolphe Burger comme une sorte d’Eric Tabarly. Un Tabarly qui continue de multiplier les projets sur les divers océans de la musique. Sa musique n’est pas gentille. Même si elle peut être douce et méditative, ou drôle et absurde, elle laisse aussi fermenter ses récifs qui se dirigent droit sur nous alors que l’on ne s’y attend pas.  

 

Quitte à me contredire sur la « gentillesse », je vous invite aussi à écouter l’album Environs sorti en 2020. Pour l’instant, Lost & Looking (avec Sarah Murcia)  et La Chambre (avec Christophe et Philippe Poirier)  y sont mes titres préférés.  

Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Il eut été regrettable de rater ce concert du 15 décembre au New Morning. Lequel était complet. Plutôt majoritairement masculin, d’une moyenne d’âge de 40-45 ans, il se trouvait un public féminin bien présent. Les trois artistes ont vraisemblablement attiré leurs publics conjoints et respectifs. La place de concert a coûté 40 euros.

Franck Unimon, ce mardi 17 janvier 2023.

 

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BD ou Bulles dessinées

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinée ? Cela a de quoi faire rigoler. Mes premières bandes dessinées n’avaient rien d’aussi révolutionnaire même lorsqu’elles devinrent fantastiques. Mais cette bande dessinée n’a rien de rigolo.

 

Celle de Frédéric Ciriez et Romain Lamy, parue en 2020 aux éditions de la Découverte, raconte la rencontre en Italie entre Fanon – déjà atteint de la leucémie dont la lave l’emportera dans un hôpital américain-  et Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann.

C’est à dire quelques mois avant la mort du révolutionnaire, psychiatre, écrivain et penseur martiniquais.

Au début, en apprenant que cette bande dessinée se « résumait » à cette partie de l’existence brève et très intensive de Fanon (celui-ci est mort à 36 ans), j’ai été un peu frustré qu’on la ramène « encore » à Sartre et à Simone de Beauvoir.

 

Lanzmann, le réalisateur de La Shoah, l’ancien résistant, l’écrivain et l’amant durant plusieurs années de Simone de Beauvoir, a permis cette rencontre entre Fanon (qui la réclamait) et Sartre :

« Dites à Sartre que je pense à lui chaque fois que je me mets à ma table de travail… ».

 

Il faut être vieux, féministe, Juif, Africain, Antillais ou s’intéresser un peu à l’Histoire et à la guerre d’Algérie pour avoir entendu parler de Fanon, Sartre, Beauvoir et Lanzmann. Ou c’est peut-être un fantôme qui revient.

 

Fanon est mort en 1961.

 

Si Frédéric Ciriez, né en 1971, est assez « vieux », sa naissance à Paimpol ne fait pas de lui un Africain ou un Antillais à première vue. Et, pour Romain Lamy, le dessinateur, c’est encore « pire » car il est né à Grenoble en 1982, le « jeunot » !

 

Et, il faut suffisamment aimer lire des bandes dessinées pour découvrir Frantz Fanon de Frédéric Ciriez et Romain Lamy. Une bande dessinée assez imposante dont il « faut » tourner les plus de deux cents pages, impossible à faire rentrer dans sa poche contre son smartphone et plus lourde qu’une tablette tactile.

 

Pourtant, en France, la bande dessinée, sous toutes ses formes, se porte bien. C’est un monde que je vois de très très loin depuis des années. Car bien lire prend du temps et il y a tant à lire.

Fanon est un nom qu’aujourd’hui à l’époque de Béyoncé, Rihanna, Billie Eilish, Dua Lupa, Booba, Aya Nakamura, Niska ou Tiakola, beaucoup ne connaissent pas du tout. 

 

Il y a les nostalgiques et les quelques « spécialistes » qui voient bien ou un peu qui a pu être Fanon tout en dansant par ailleurs sur le dernier tube de Rihanna, Dua Lipa ou Niska.

Au spot 13, novembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Et puis, il y a le plus grand nombre qui n’a jamais entendu parler de Frantz Fanon.

 

La salle ovale de la Bnf Richelieu, en octobre 2022, à la fermeture. Photo©️Franck.Unimon

 

Dans la salle ovale de la Bnf Richelieu, en plein Paris, à la fin de l’année dernière, en 2022, j’avais dû épeler plusieurs fois le prénom et le nom de Frantz Fanon à une des bibliothécaires afin qu’elle effectue des recherches pour trouver la bande dessinée de Ciriez et de Lamy. Lorsque l’on sait que Frantz Fanon était un très grand lecteur, du type « supersonique », et qu’il aurait sans aucun doute aimé fréquenter ce genre d’endroit, on peut se dire que l’univers de la Culture et du Savoir peut beaucoup manquer de mémoire et connaître des très grands ratés.

Car Fanon, avec Aimé Césaire et Edouard Glissant, fait partie des premières personnalités noires et antillaises à avoir faire connaître la Martinique dans le monde  depuis l’abolition de l’Esclavage en 1848. 

 

Sauf que Fanon, du fait de son engagement auprès du FLN algérien durant la guerre d’indépendance contre la colonisation française (« L’Algérie, c’est la France ») et de ses écrits en faveur d’une violence armée émancipatrice et « thérapeutique » car décolonisatrice et promettant l’avènement d’un homme (et d’une femme) nouveau et libre a beaucoup crispé.

 

Fanon, en France, a donc été « oublié » par l’Histoire officielle alors que son nom peut être très connu à l’étranger, aux Etats-Unis ou en Afrique. C’est la raison pour laquelle la bande dessinée de Ciriez et Lamy est importante car elle rend plus visible et plus facilement accessible une partie de la vie de Fanon. On peut la voir comme un « prolapsus » de l’Histoire. Par ailleurs, l’écriture du projet a été aidée « de près ou de loin et parfois de manière informelle ou indirecte » par des proches de Fanon, incluant aussi bien ses enfants que des personnes qui l’ont connu mais aussi des personnes qui se sont intéressées à son Histoire. Ce qui la rend encore plus légitime.

 

C’est une très grande histoire que celle de Fanon.

 

La rencontre avec Sartre-Beauvoir-Lanzmann débute en aout 1961 en Italie. ( Fanon et Lanzmann avaient auparavant fait connaissance en Tunisie). Elle durera quelques jours et marquera le trio. 

Fanon décédera aux Etats-Unis le 6 décembre 1961. L’Algérie, pays pour lequel Fanon s’est engagé et dont il est alors l’ambassadeur après avoir été le porte-parole du FLN, deviendra indépendante en mars 1962.

 

Dans cette bande dessinée, on voit un homme enchevêtré dans sa cause mais aussi dans son idéal. Un homme lancé à pleine vitesse et à pleine puissance malgré le fait que son vaisseau, son propre corps, n’arrive plus à suivre les trajectoires et les buts qu’il s’est fixé.

 

« Je n’aime pas les gens qui s’économisent » peut dire Fanon dans les premières pages de cette bande dessinée. On peut dire que Fanon aura passé une bonne partie de sa vie auprès de personnes qui ne s’économisent pas. On comprend que plusieurs années après sa mort, celles et ceux qui l’ont connu, observé, côtoyé  ou affronté, se rappellent encore de lui. Mais celles et ceux qui se sont servis de lui ?

 

L’ouvrage de Ciriez et Lamy montre bien que si Fanon happe son entourage de par sa sincérité et ses connaissances qu’il est bien moins ou de moins en moins le maitre et l’architecte de ce qu’il souhaite et prévoit. Attablé à forger son utopie, on le dirait entouré de mains habiles toutes contentes de se servir de sa matière grise en lui laissant la bile de désillusions grandissantes et à venir.

 

En lisant, je me demande comment Fanon  a pu encore croire en la révolution algérienne après l’assassinat d’Abane Ramdane. Il a dû fournir un effort surhumain pour y parvenir. Ou refuser par orgueil de se faire contredire par les faits. Ou, peut-être, comme certains joueurs pathologiques, mais magnifiques, être victime de ses propres croyances erronées ( Marc Valleur nous parle du jeu pathologique ). Et, Sartre, De Beauvoir et Lanzmann, des personnalités de premier plan engagées et capables de prendre des risques, au cœur de l’action et de l’Histoire, ne pouvaient qu’être captivées par Fanon qui leur ressemblait et qui, comme eux, voulait faire l’Histoire plutôt que la subir.

 

L’attachement viscéral de Fanon à la cause algérienne vient peut-être aussi du fait qu’il aurait voulu voir cette révolution advenir en Martinique. Et que, pour lui, arrêter de croire en la révolution algérienne serait peut-être revenu à ne plus avoir d’espoir pour l’avenir de la Martinique et des « régions » d’outre-mer. Fanon était contre la départementalisation choisie par Aimé Césaire. La départementalisation allait sans doute de pair avec la fonctionnarisation, ce qui était contraire au révolutionnaire Fanon.

 

Ce qui a peut-être été le plus reproché à Fanon, et c’est aussi la raison pour laquelle il a été craint et détesté, ou adoré, c’est d’avoir été un homme sur-intelligent et instinctif souvent prêt à prendre tous les risques. Un homme noir marié à une femme blanche. Donc, un homme affranchi dans tous les sens possibles   ( libre, formé et informé), décidé, décideur, sur-mesuré, indomptable et imprévisible, plutôt que sur mesure.

Il est donc l’équivalent ou a presque été l’équivalent d’un Lumumba, d’un Malcolm X….

Frantz Fanon, c’est beaucoup plus que le film  Django Unchained réalisé en 2012 par l’Américain Quentin Tarantino  et avec quarante ans d’avance ! Car cela se passe pour de vrai et non alors que l’on est assis sagement devant un écran de cinéma pour lequel on a payé sa place afin de connaître un (très) bon moment de divertissement. Avant de rentrer ensuite chez soi tout aussi sagement pour repartir le lendemain au travail où l’on sera content d’en parler avec les collègues ou les amis.

 

Aujourd’hui et demain encore, au cinéma mais d’abord dans toute forme de vie ou d’expression artistique, intellectuelle, culturelle ou personnelle, une nette distinction se fait et se fera entre, d’un côté, les femmes et les hommes attentistes qui s’engagent seulement après avoir obtenu toutes les assurances d’être du bon côté et d’arriver au bon moment. Et celles et ceux qui s’engagent sans demander la permission et sans la moindre garantie de réussite.

 

On s’allie souvent avec les premiers. Et on se rêve ou on les trompe peut-être aussi- souvent- avec les seconds.

 

Franck Unimon, ce mardi 17 janvier 2023.

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Addictions

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

 

 

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

De gauche à droite avec le micro, Mario Blaise, l’actuel médecin chef de Marmottan, Marc Valleur, le précédent médecin chef de Marmottan, Jan Kounen, réalisateur, Marc Batard, alpiniste et écrivain lors du cinquantenaire de Marmottan à la Cigale, décembre 2021. Photo©️Franck.Unimon

 

Introduction

Ce samedi 14 janvier 2023, à l’hôpital Sainte Anne, nous sommes une petite dizaine à être venus écouter et rencontrer Marc Valleur. Marc Valleur, psychiatre retraité, est aussi celui qui était devenu médecin chef de Marmottan, dans le 17ème arrondissement de Paris, à la suite de Claude Olievenstein (1933-2008) qu’il a bien connu.

 

Marmottan, situé rue Armaillé entre l’avenue des Ternes et des Champs Elysées, qui compte aussi un CMP et un hôpital de jour pour public adulte, à côté du musée Marmottan, s’est fait connaître internationalement pour ses services de consultation et d’hospitalisation spécialisés dans le traitement des addictions.

 

Marmottan, le service spécialisé dans le traitement des addictions, avait été ouvert en 1971 par Claude Olievenstein (aussi surnommé « Olive » ou « Monsieur Drogue ») et dépendait à l’origine administrativement du centre hospitalier Perray-Vaucluse ouvert en 1869 dans l’Essonne (d’abord asile puis hôpital psychiatrique). Marmottan a fêté son cinquantenaire  à la salle de concerts la Cigale ainsi que par des portes ouvertes, des expositions et diverses manifestations lors du premier week-end de décembre 2021.( La ferveur de Marmottan)

 

Ce matin du 14 janvier 2023, Marc Valleur est devant nous lors de ce séminaire proposé un samedi par mois par Claude Orsel, à l’hôpital Sainte Anne, dans le 14 ème arrondissement de Paris.

 

Avec Claude Olievenstein, psychiatre, Claude Orsel (né en 1937), psychiatre et psychanalyste, a été un des pionniers du traitement des toxicomanies en France en fondant l’Abbaye en 1969 à St Germain des Prés.

 

Un samedi matin par mois, à l’hôpital Sainte Anne, dans le service du Dr Xavier Laqueille, psychiatre, Claude Orsel propose ce séminaire Psychothérapies, Psychanalyse et Addictions ( P. P. A) Transfert et Contre-Transfert.

 

L’accès à ce séminaire – qui se déroule de 9h30 à 12h30- est libre après avoir pris  contact au préalable avec Claude Orsel.

 

S’il s’y trouve généralement des professionnels très expérimentés- voire retraités- dans le traitement des addictions, dont plusieurs ont connu Claude Orsel et travaillé avec lui, il arrive aussi que des patients de celui-ci y soient présents et participent.

 

Un certain nombre des participants et des intervenants amène avec lui un imposant abattage théorique, conceptuel mais aussi pratique. La moyenne d’âge avoisine la bonne cinquantaine d’années.

 

Mentionner la présence de tous ces « psy » (psychiatres, psychothérapeutes, psychologues, psychanalystes…) pourrait donner l’impression que ces séminaires – filmés par Claude Orsel- sont des cercueils marbrés d’ennui et de théories. Alors qu’ils sortent plutôt des clous et des colonnes.

 

La psychiatrie et la société semblent dotées de moyens pour s’accroître en priorité comme des technologies et des pharmacies ombilicales par lesquelles et vers lesquelles nous sommes constamment entraînés, faisant de nous des sidérurgies sidérées et jamais à jour malgré nos libertés.

 

Un tel séminaire est une pause dans ces processus de constitution de notre cécité que nous connaissons tous. D’autant plus que chaque fois que je peux y assister, j’ai l’impression de recueillir une toute petite parcelle de cette très grande Histoire et de  cette grande Culture de la pensée, du soin, de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la Santé mentale inaperçues par et pour la majorité. Ce séminaire fait partie de ces moments où j’ai l’impression de me retrouver au pied de certaines immensités de connaissances et d’expériences trop largement ignorées.

 

Des immensités ou des personnalités, dans diverses disciplines (pas seulement dans le domaine de la Santé mentale comme lors de ce séminaire autour de Marc Valleur ) à côté desquelles je suis aussi beaucoup passé moi-même, en m’en remettant beaucoup à l’habitude, à la facilité de mes certitudes mais aussi au hasard où à mon volontariat là où l’on a bien voulu de moi. 

 

Alors que ces immensités nous aident ou peuvent nous aider à vivre.

 

 

Ce matin, je marque un temps d’arrêt en voyant posé sur la table, devant Claude Orsel, l’ouvrage La lionne du barreau de Clarisse Serre (aux éditions Sonatine) accompagné de cette accroche sur la page de couverture :

 

« Je suis une femme, je fais du pénal, j’exerce dans le 9-3, et alors? ».

 

Fin décembre, dans la librairie de ma ville, après avoir récupéré mes livres, j’étais tombé sur cet ouvrage dans les rayons. Je l’avais un peu feuilleté, tenté de le prendre avant de me décider finalement à différer son acquisition…

 

Amusé par mon intérêt soudain pour ce livre, ce samedi matin, Claude Orsel, m’a lancé :

 

« Vous pouvez le prendre si vous le voulez. Je ne sais pas combien je l’ai acheté… ».

 

J’ai opté pour partir m’asseoir en laissant le livre à sa place et à son propriétaire.

 

Marc Valleur prend la parole

 

Marc Valleur est arrivé à Marmottan en 1974. Au départ, il s’occupait spécifiquement des toxicomanes :

Héroïne, Cocaïne, Crack.

 

En 1974, l’Abbaye et Marmottan étaient les services pilotes pour s’occuper des toxicomanes.

 

En 1981, il a commencé à parler de conduite ordalique. Après la mort de plusieurs patients par overdose qui ont beaucoup éprouvé les soignants, Marc Valleur a commencé à penser à la notion de conduite ordalique.

Dans la conduite ordalique, il y a une perception positive et subjective de la conduite à risque : Le risque et le danger étaient attirants.

Les toxicomanes prenaient des produits car c’était dangereux.

 

Marc Valleur cite l’ouvrage Sorcellerie et ordalies  (paru en 1974) d’Anne Retel-Laurentin (médecin et ethnologue décédée) pour parler des épreuves par le poison.

 

 

Marc Valleur :

 

« Dans le jeu de l’argent, on ne s’injecte pas le produit mais le joueur est représenté par son enjeu ».

 

Marc Valleur cite Le Joueur et Les Frères Karamazov de Dostoïevski ainsi que l’ouvrage Figures du crime chez Dostoïevski  (paru en 1990) de Vladimir Marinov (psychologue et psychanalyste).

En 1991-1992, le jeu est alors peu abordé en psychanalyse.

 

En 1997, Marc Valleur écrit un Que sais-je ? sur le jeu. Après la parution de ce livre, des joueurs ont commencé à demander à consulter à Marmottan. Des joueurs ont pu dire :

« Le crack, j’arrête quand je veux. Moi, c’est le jeu que je n’arrive pas à arrêter ».

 

Cette nouvelle attention portée aux joueurs pathologiques a d’abord suscité du scepticisme au sein des Pouvoirs publics. Un scepticisme partagé au sein de Marmottan lorsque les soignants ont appris qu’ils allaient être amenés à s’occuper aussi de joueurs pathologiques.

 

Marc Valleur relate qu’un soignant du service d’hospitalisation de Marmottan avait d’abord éclaté de rire lorsqu’il lui avait annoncé la venue d’un patient joueur pathologique. Le soignant avait cru que c’était une blague.

 

Marc Valleur explique : « Le toxicomane faisait peur. Cela donnait un côté sulfureux à Marmottan. Le joueur, ça faisait rire ».

 

Marc Valleur ajoute qu’il existait aussi des images préconçues du toxicomane et du joueur.

 

Le toxicomane était vu comme quelqu’un « de gauche (politiquement), maigre et qui s’opposait au système ». Alors que le joueur, lui, était vu comme quelqu’un « de droite (politiquement), gros, bourgeois et portant de grosses bagues… ».

 

Et, puis, très vite, les soignants du service d’hospitalisation de Marmottan se sont aperçus que c’était plus dur avec les joueurs qu’avec les toxicomanes.

 

En 2006, les Pouvoirs publics montrent leurs premiers signes d’intérêt pour les joueurs pathologiques.

 

En 2008, une étude de l’INSERM parle du jeu pathologique.

 

A partir de 2006-2008, le regard sur les joueurs a commencé à changer.

 

2010 marque le début de la libéralisation des jeux en ligne. A partir de là, les joueurs addict commencent à véritablement être pris en considération.

 

« Le joueur tente Dieu en lui posant des questions » selon une perception théologique du jeu.

 

En 2010, le poker et les paris en ligne se développent. Mais, contrairement aux prévisions (sauf pendant le confinement dû à la pandémie du Covid ) le poker en ligne s’est peu développé. Ce sont plutôt les paris sportifs qui ont connu un grand essor sur internet.

 

Robert Ladouceur (né en 1945), psychologue, auteur et chercheur québecois, spécialisé dans les jeux d’argent et de hasard, souligne les problèmes de croyance chez les joueurs. (croyances et cognitions erronées des joueurs)

« Il faut que je rejoue pour que je me refasse ». Les joueurs croient avoir la préscience.

Il existe une illusion de contrôle chez les joueurs alors que le hasard l’emporte souvent.

 

Marc Valleur cite un article psychanalytique datant de 1914 intitulé Le plaisir de la peur et l’érotisme anal. Marc Valleur dit que cet article « n’est pas génial » mais qu’il est une première tentative de comprendre le jeu.

 

Selon la vision freudienne, en 1928, la chance et la malchance peuvent représenter les puissances parentales.

 

Dostoïevski, lui-même, a été un joueur pathologique. Il est donc très pointu pour parler du jeu.

 

En 1945, Fenichel (psychiatre et psychanalyste autrichien décédé en 1946) parle des addictions sans substances.

 

En 1954, Skinner (psychologue et penseur américain décédé en 1990) écrit un article sur les machines à sous qu’il décrit comme « le meilleur conditionnement pour faire payer les gens ».

 

Erving Goffman (sociologue et linguiste américain d’origine canadienne, 1922-1982) a écrit sur le jeu.

Le joueur s’imagine qu’il va influer sur le destin.

On aime jouer car on se retrouve dans un monde magique et dans un espace qui n’est pas la vie quotidienne. Le jeu est quelque chose de très sérieux.

 

Le contraire du jeu, c’est la réalité quotidienne.

Les croyances erronées font partie de l’intérêt du jeu.

Marc Valleur cite l’ouvrage En passant par hasard écrit en 1999 par Gilles Pagès (mathématicien) et Claude Bouzitat.

Les gens jouent « pour le vertige du risque ». Les joueurs non pathologiques arrivent à faire en sorte que le jeu n’ait pas d’incidence sur leur vie.

 

R, un des patients de Claude Orsel, assis à droite de Marc Valleur, se présente comme « joueur depuis 35 ans ». R…parle de sa frustration, de son échec. Et de son amertume. Il parle de ses expériences précoces du jeu qu’il a faites très tôt.

 

R : «  On essaie de se convaincre qu’on est bon à quelque chose ». R dit que sa première addiction a été une addiction aux écrans à l’âge de 8 ans.

Marc Valleur commente :

« La télévision est la grande addiction mondiale…mais personne n’en parle ». « Il y a une seule personne en 50 ans qui est venue à Marmottan pour une addiction à la télévision.. ».

 

Pour soigner une addiction, Marc Valleur insiste sur :

 

Une approche multimodale (sociale, familiale et autre…)

La qualité de l’accueil (« Ce qui se passe au premier entretien est déterminant » ; « Une thérapie, c’est l’exégèse de ce qui s’est dit au premier entretien »)

La qualité de la relation

Marc Valleur poursuit :

« Le but de l’Abbaye et de Marmottan, c’était de créer…de recevoir les personnes sans conception canonique du traitement et du soin…De recevoir la personne et, à partir de là, après l’avoir écoutée, de voir ce que l’on peut faire ».

 

Marc Valleur nous recommande particulièrement de lire The Great Psychotherapy Debate écrit par Wampold et Imel (paru en 2015).

Marc Valeur précise que toutes les méthodes thérapeutiques « marchent » et ont de très bons résultats. Et qu’il n’existe pas une méthode thérapeutique meilleure qu’une autre.

(Je m’abstiens de dire que l’on peut sûrement transposer cela dans beaucoup de disciplines comme dans les méthodes de combats et les Arts Martiaux : la personnalité du combattant importe plus que les techniques de combats ou les Arts martiaux qu’il a « appris » ou pratique. La personnalité du Maitre ou du professeur importe plus que les techniques ou les Arts martiaux qu’il enseigne…).

 

Marc Valleur souligne qu’il est des mauvais thérapeutes qui, pourtant, sont « très compétents » en termes de formation et de connaissances.

 

Marc Valleur me confirme que, plus que les thérapies, le plus important, c’est la rencontre. La qualité de l’accueil. La qualité de la relation thérapeutique.

 

Marc Valleur parle aussi de ces patients qui en savent beaucoup plus sur l’objet de leur addiction que le thérapeute lui-même. Il cite l’exemple d’un patient addict aux jeux vidéos qui ne sortait plus de chez lui et qui refusait de rencontrer psychiatre ou psychologue. Marc Valleur a demandé aux parents de ce patient de lui dire qu’il n’y connaissait rien en jeux vidéos et qu’il aimerait bien qu’il vienne lui expliquer ce que c’est. (Marc Valleur confirme qu’il avait un réel intérêt pour ce que pouvaient lui dire ses patients). Le patient était venu rencontrer Marc Valleur et lui avait en quelque sorte fait  cours.

Marc Valleur me confirme que le dogmatisme (thérapeutique) va souvent de pair avec l’excès de théorie thérapeutique.

(A ce moment du séminaire, comme à son habitude, Claude Orsel fait passer un paquet de chouquettes achetées à la boulangerie)

Marc Valleur me confirme l’importance de l’engagement du corps du thérapeute dans sa rencontre avec le patient. Il se remémore qu’un patient lui avait dit s’être attaché à lui lors du premier entretien car, à un moment donné, il (Marc Valleur) lui avait touché le genou.

R, patient de Claude Orsel, dit :

« Le jeu n’est pas un amusement. C’est un exutoire » ; « Entre joueurs, on s’intoxique. C’est aussi ce qui nous fait rester dans le jeu » ; « Si, lui, il joue aussi, ça veut dire que je ne suis pas fou ».

(Plus tôt, R…nous a aussi dit avoir consulté un addictologue pendant dix ans avant que celui-ci ne lui parle de Claude Orsel qu’il voit maintenant depuis 2013 ou 2014. Selon R, l’addictologue, pourtant plutôt réputé, ne l’écoutait pas. En écoutant R parler en termes élogieux de Claude Orsel, j’ai eu l’impression que celui-ci trouvait Claude Orsel « plus puissant » en tant que thérapeute, que son thérapeute précédent).

 

Marc Valleur répond à Claude Orsel qu’il existe différents profils dans la biographie des toxicomanes.

 

Marc Valleur cite Michel Foucault ( Philosophe français, 1926-1984) :

« Le but de la transgression, c’est de glorifier ce qu’elle paraît exclure ». ( Dits et écrits de Michel Foucault, de 1954 à 1988, deux tomes de plus de 1700 pages chacun ).

Marc Valleur répond que chez les consommateurs de crack, souvent, la protection maternelle s’est arrêtée très tôt (viols dans l’enfance, traumas répétés…).

R..dit : « La probabilité, c’est la vérité ». « La probabilité ne ment pas ».

Le livre Dans le jardin de l’ogre (cité par qui ?) de Leïla Slimani est mentionné pour évoquer l’addiction sexuelle féminine.

 

Conclusions

Avec le micro, Marc Valleur, le précédent médecin chef de Marmottan à droite, Jan Kounen, réalisateur. Lors du cinquantenaire de Marmottan à la Cigale. Photo©️Franck.Unimon

 

Je demande à Marc Valleur et Claude Orsel comment  ils font pour ne pas se décourager face à des patients dont les addictions sont longues à soigner. Mais aussi pour vivre dans un monde comme le nôtre où une « guerre » quotidienne nous est faite afin de nous rendre addict.

Marc Valleur répond que, bien que retraité, il a encore des contacts par mail avec d’anciens patients qui lui donnent de leurs nouvelles et qui vont mieux. Lors de son intervention, Marc Valleur nous a aussi parlé d’anciens patients qui ont très bien réussi leur vie par la suite y compris mieux que lui-même a-t’il ajouté dans un sourire. Et, tout en gardant le sourire, Marc Valleur a convenu qu’en effet, tout est fait dans notre société pour que l’on soit « accroché » et que cela est assez désespérant. Il a ainsi cité les producteurs d’alcool qui, malgré leurs discours empathiques, prospèrent grâce à toutes les personnes dépendantes qui consomment leurs produits.

 

(Un peu plus tôt, R…avait fait référence à ces joueurs de PMU, un lieu qu’il connaît et dont il observe les usagers à l’écouter, qui, dès qu’ils gagnent un ou deux euros au jeu le rejouent alors qu’ils vivent déja dans des conditions très précaires).

 

Claude Orsel, répond en souriant, qu’il a envie de « connaître la suite ». A l’entendre, lui comme Marc Valleur, cela semble très simple de s’occuper de personnes addict. Au point que je me demande pour quelle raison seule une minorité de personnes, à laquelle je n’appartiens pas, parvient comme eux à s’occuper de personnes addict sur du long terme :

Le travail qui peut être effectué dans un service de psychiatrie institutionnelle lambda- même si cela peut aussi être sur du très long terme- est très différent de celui que j’ai pu voir pratiqué à Marmottan lors des quelques remplacements ( une quinzaine) que j’ai pu y faire. La distance relationnelle entre le patient/client et le soignant, par exemple, est très différente. Si, en psychiatrie adulte, la psychose des patients peut effrayer certains, l’absence de psychose, comme c’est souvent le « cas » à Marmottan peut déstabiliser, enrayer certaines frontières et les rendre assez floues entre le patient/client et le soignant. Pour ne parler que de ça. Alors, si, en plus, dans le domaine de l’addiction, le patient/client en sait plus que le soignant, il peut y avoir de quoi être troublé.

 

Claude Orsel m’apprend qu’il est possible que Patrick Declerck (philosophe, ethnologue, psychanalyste et écrivain né en 1953) intervienne à nouveau lors d’un prochain séminaire. Claude Orsel m’apprend aussi qu’il n’y a eu aucun article dans la presse écrit sur le dernier ouvrage de Patrick Declerck, paru en 2022, Sniper en Arizona, dans lequel, celui-ci raconte sa formation de sniper aux Etats-Unis.

 

R, qui ne demandait qu’à parler, qui a beaucoup à dire, entre-autres sur le poker, et qui a plusieurs fois pris la parole de façon assez intempestive au cours de l’intervention de Marc Valleur, m’a d’abord agacé comme d’autres personnes assistant à ce séminaire. Il fallait entendre R, arrivé avec un peu de retard, dire ensuite à Marc Valleur, à un moment donné, avec une certaine autorité :

« Ce que vous avez oublié de dire… ».

Devant l’attitude répétée de R, j’ai d’abord regardé ces vieux briscards que sont Marc Valleur et Claude Orsel qui n’en n’étaient pas une interruption près. Lesquels ont poliment invité R,  à tour de rôle, à attendre que Marc Valleur ait fini de s’exprimer. Ce qui n’a pas empêché R de recommencer.

Ensuite, j’ai compris que R était celui qui était annoncé par Claude Orsel comme le joueur venant nous faire part de son expérience. Et que R réagissait car Marc Valleur parlait de sa vie.

Puis, j’ai saisi que R était porteur de connaissances dont j’étais dépourvu.

 

 Ce samedi, alors que Marc Valleur est déjà parti après nous avoir salué en nous disant que c’était « bien », je suis plus disposé pour écouter R qui, en plus, avait « contre lui », en prime abord, le fait de me rappeler un ancien collègue qui a pu avoir tendance à une époque à me sortir par les yeux. Au travers de R, sans doute ai-je mieux perçu ce samedi, de manière consciente, la dimension addict et sub-agressive de la personnalité de cet ancien collègue…

 

R m’explique avoir connu un joueur de poker, « parti de rien », et qui, aujourd’hui « est millionnaire ». R m’explique que, durant des années, ce joueur a accepté de « ne rien gagner ». En s’en tenant à des règles de conduite- et à des limites- qu’il s’était fixé, acceptant de gagner petit et évitant de perdre de l’argent. En somme, ce joueur est resté prudent, patient et persévérant. R, à ce que je comprends, n’est ni patient ni prudent bien qu’intelligent et persévérant. Et, il est sûrement aussi convaincu. Et convaincant. Lorsque R m’apprend qu’il a travaillé pendant des années dans « le phoning » et qu’il sent les gens, j’ai tendance à le croire.

 

Franck Unimon, ce lundi 16 janvier 2023.

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Argenteuil

Au Hammam de la gare

 

 

                           Au Hammam de la gare

 

Le hammam de la gare à Argenteuil, rue du Dr Leray, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

 

« La nature punit toujours ceux qui se préservent » nous avertit Marc Verillote, ancien membre du RAID pendant vingts ans de 1998 à 2018, dans son ouvrage Au Cœur du RAID écrit avec Karim Ben Ismaïl et publié en 2022. Ouvrage dont j’ai commencé la lecture alors que je n’ai pas terminé ma relecture de Frantz portrait Fanon d’Alice Cherki paru en 2000 ainsi que la bande dessinée Frantz Fanon réalisée par Frédéric Ciriez et Romain Lamy et parue, elle, en 2020.

 

Après avoir connu plus de trois semaines de grève dite « dure » dans mon service, grève « fantôme » qui s’est terminée il y a quelques jours (en obtenant plusieurs réparations et avancées), et après avoir beaucoup travaillé, entre-autres de nuit, comme beaucoup, je me sens fatigué en ce début d’année.

Paris, Bd Raspail, fin 2022. Au loin, la Tour Montparnasse. On peut m’apercevoir en train de traverser, la route : ). Photo©️Franck.Unimon

 

Comme beaucoup, aussi, j’ai appris cette semaine l’officialisation du recul du départ de l’âge à la retraite qui est passé de 62 à 64 ans ainsi que la nouvelle de la grande manifestation prévue dans six jours, le 19 janvier, pour protester contre cette décision annoncée par la Première Ministre Elizabeth Borne soutenue en cela par le Président de la République, Emmanuel Macron, réélu l’année dernière pour son deuxième mandat.

 

La phrase de Marc Verillote, ancien membre du RAID, est bien sûr à prendre avec des pincettes dans ce contexte économique, social, culturel et historique qui est le nôtre.

 

La sienne se réfère à une compétition de Judo, à un très haut niveau, pour laquelle, rétrospectivement, il estime s’être trop ménagé lors de sa préparation pour se donner les moyens de gagner la finale. Marc Verillote se dit en effet qu’il aurait dû la prendre, cette « douche glacée » à laquelle il avait pensé avant la finale de cette compétition de judo en Georgie alors qu’il faisait encore partie de l’équipe de France de Judo.

 

Si nous prenons souvent les sportifs de haut niveau ou des professionnels qui, comme Marc Verillote, dans leur domaine, font partie de l’élite – féminine ou masculine-, c’est parce-que ceux-ci nous inspirent ou peuvent nous inspirer pour les usages ou les défis de notre vie quotidienne.  

 

Notre vie quotidienne peut être usante, contraignante, insatisfaisante ou décourageante. Alors qu’il suffit parfois de peu pour commencer à se sortir du malaise dans lequel on s’est peu à peu enlisé. Et, cette élite ou ces modèles que nous regardons nous donnent l’exemple afin de nous dépêtrer de cet enlisement-isolement. Car, si, nous, la majorité et la plupart d’entre nous, nous nous embourbons et piétinons, si nous, nous nous étourdissons et nous épuisons dans des existences exsangues, l’élite a pour elle de savoir survoler les obstacles mais aussi de se survolter devant eux. 

 

L’élite est un exemple ou un visage qui nous ressemble ou que nous connaissons et que nous essayons de suivre à notre mesure.

Paris, fin décembre 2022, dans le 10ème arrondissement, le matin. Photo©️Franck.Unimon

Si le fait de beaucoup travailler ou de beaucoup donner de soi peut user, je crois aussi que l’on s’use d’autant plus rapidement et d’autant plus durablement lorsque l’on « vit » et « fait » par habitude de manière systématique les mêmes erreurs. Nous avons la capacité de reproduire les mêmes gestes, les mêmes façons de pensée et les mêmes choix pendant des années en nous contentant du fait de les exécuter. Mais nous avons aussi une certaine capacité à pouvoir les imposer autour de nous.

 

A moins de nous apercevoir de nous-mêmes que quelque chose cloche même si ça « roule » ou « marche », ou d’avoir quelqu’un dans notre entourage capable de nous prévenir – quelqu’un que nous sommes disposés à entendre- il nous faut souvent un symptôme, une rupture, un accident ou un signal d’alarme pour percuter. Pour voir que sur notre belle chaine de montage, nous avons laissé se développer quelques erreurs qui nous éloignent plus qu’elles ne nous rapprochent de notre véritable projet.

 

A condition que nous soyons encore capables de voir et de réagir. Et, s’il n’est pas trop tard.

Paris, fin 2022, dans le RER B, station Luxembourg.

 

Car, si «  La nature punit toujours ceux qui se préservent » comme l’annonce Marc Verillote, il est étonnant de voir comme nous pouvons très facilement être très performants et grandement dévoués en tant qu’inlassables bourrins continuant de labourer dans le même champ de nos mines anti-personnelles.

 

A moins d’avoir des projets en rapport avec cette période, les soldes qui ont commencé cette semaine vont assez peu nous aider à lever le pied. Et, le lieu où nous résidons peut avoir une incidence sur les moyens dont nous disposons pour prendre le temps de reprendre notre souffle.

 

Mais encore faut-il avoir une certaine estime pour ces moyens.

La Gare d’Argenteuil centre ville, fin 2022. En regardant vers Paris. Photo©️Franck.Unimon

La ville d’Argenteuil, où j’habite, est une péripétie. Une partie d’elle se désiste, une autre partie est une pépite et l’autre, à mon avis, décline. Après plusieurs années dans ses murs et ses rues, ce constat est pour moi plutôt déprimant. A moins d’avoir bien su choisir son quartier ainsi que son lieu de travail par rapport à elle.

 

Pourtant, je n’ai pas envie de tirer d’elle un portrait plus délabré qu’il ne l’est d’autant qu’un certain nombre de beaux ou de très beaux quartiers à Paris ou ailleurs font selon moi rêver  principalement parce qu’ils nous sont étrangers ou interdits.  Mais aussi parce-que que l’on ne connaît pas beaucoup celles et ceux qui s’y trouvent.

Paris, dans le 13ème arrondissement, en décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Et puis, on l’aura compris, ce que je dis aujourd’hui d’Argenteuil s’applique à ce que je suis, aujourd’hui. Puisque cette ville, d’une façon ou d’une autre, me ressemble.

 

 

Il suffit parfois de peu pour commencer à se sortir du malaise dans lequel on s’est peu à peu enlisé. J’ai déjà écrit cette phrase. C’est aussi une situation que j’ai déjà vécue où il suffit, quelques fois, de sortir un peu de chez soi, de traverser deux ou trois rues pour qu’une rencontre ou une expérience nous procure un nouvel élan et nous éloigne de cette perspicacité défaitiste et dépressive dont un certain nombre de nos actions semblaient devenir le moteur.

Le hammam de la gare, à Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

Près de chez moi, il se trouve un hammam, où je suis déjà allé une ou deux fois, il y a deux ou trois ans. Plusieurs fois par semaine, je passe devant ce hammam. Plusieurs fois par semaine, aussi,  je passe plus d’une heure dans les transports en commun, afin de me rendre à tel ou tel endroit. Il peut s’agir du travail ou d’une autre activité responsable, justifiée, incontournable. Ou d’une sortie de loisirs comme, demain soir, pour aller voir Sarah Murcia en concert à la Maison de la Radio. Vous ne connaissez pas Sarah Murcia ? Je ne la connaissais pas non plus il y a quelques mois. J’ai d’abord vu une photo en noir et blanc d’elle au Triton en me rendant à l’exposition des tableaux de Marie-Jo, une ancienne collègue infirmière qui avait pris sa retraite quelques mois plus tôt.

Pour découvrir Sarah Murcia, je vous propose de la voir en duo avec Rodolphe Burger lorsqu’ils ont tous les deux repris le titre Billie Jean de Michaël Jackson.

Paris, fin 2022. Photo©️Franck.Unimon

Billie Jean, Michaël Jackson, c’est loin.  J’ai de la « chance », pour aller demain soir au concert de Sarah Murcia la gare est proche de chez  nous. Moins de cinq minutes à pied. Cette chance tient aussi au choix que nous avons fait de nous installer  il y a dix ans près de la gare. Même si je passerai sans doute plus de temps dans les transports en commun demain soir pour aller au concert que pour y assister à la maison de la radio dans le 16èmearrondissement de Paris.

 

Le hammam est plus proche de chez nous que la gare. Mais, évidemment, je me rends bien plus souvent à la gare qu’au hammam. Et, évidemment, aussi, Sarah Murcia et tous les autres artistes, ne font pas encore leurs concerts dans un hammam.

 

Malgré cette désillusion, ce matin, un peu après 7h30, je suis retourné au hammam. Car, nous avons la chance, à Argenteuil, d’avoir un hammam qui ouvre dès 7 heures du matin. Il est ouvert tous les jours sauf le mardi.

 

« C’est 15 euros, maintenant. Le prix a augmenté à cause le gaz… » s’excuse le gérant qui me reçoit. Régulièrement, j’ai pu le saluer chaque fois que je l’avais croisé dehors, en passant, devant le hammam. Alors que j’emmenais ma fille à l’école ou au centre de loisirs.

 

Auparavant, l’entrée coûtait 12 euros, thé à la menthe inclus.

Paris, le 15 décembre 2022. Photo©️Franck.Unimon

Le hammam de la gare est un hammam simple et propre. Peut-être rustique. Peut-être décati. Mais il a sa clientèle. Il est courant de voir une caisse garée à cheval quelques minutes sur le trottoir en face de son entrée. On pourrait penser au braquage de la caisse. C’est plutôt de la débrouille. Car trouver une place où se garer dans le centre ville d’Argenteuil est hasardeux et peut-être même, miraculeux.

 

Plusieurs mois sans pratiquer le karaté à Bagnolet avec Maitre Jean-Pierre Vignau. Plusieurs mois sans pratiquer l’apnée désormais à Villeneuve la Garenne avec le club Subaqua club de Colombes aujourd’hui « exilé » car la piscine de Colombes est désormais en travaux pour les Jeux Olympiques de 2024.

 

Plusieurs années sans faire de théâtre. Plusieurs années, aussi, sans pratiquer le massage bien-être. Plusieurs semaines sans écrire un seul article pour mon blog, lequel, a connu quelques ratés techniques durant plusieurs semaines. Jusqu’à ce qu’Eddy, l’ami photographe, l’ingénieur informatique, le créatif, n’accepte gentiment de se rendre disponible plusieurs  heures à la fin de l’année dernière, dans son studio, afin de m’aider avec WordPress.

 

En ce début d’année 2023, et depuis plusieurs jours, j’ai l’impression de végéter. J’ai l’impression que « mes chakras sont bouchés » pour employer les termes tenus par un ancien collègue infirmier, formé au massage bien-être bien avant moi et qui avait commencé une formation de Shiatsu qu’il avait arrêté. Une formation qui m’avait un moment attiré sauf que je n’ai rien fait de concret à ce sujet. C’était avant le karaté. Avant l’apnée.

Le hammam de la gare, à Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©️Franck.Unimon

Hier soir, je me suis dit que le hammam de la gare était un très bon moyen de commencer à arrêter de circuler dans le mauvais sens. Et que j’avais trop attendu pour y retourner. Lorsque hier soir, j’ai effectué l’effort de me rendre en voiture jusqu’à la piscine de Villeneuve la Garenne afin de pouvoir renouer avec la vie sociale du club à l’occasion de  la galette des rois offerte par le club, j’ai bien vu que j’encaissais au ralenti lorsque l’on me parlait. Alors que tout le monde débordait de tonus et trouvait cela parfaitement normal. Cela n’avait rien à voir avec la fève. Je n’ai rien bu et rien touché hier de liquide, gazeux ou de solide au club. J’avais déjà mangé suffisamment  de parts de galettes de roi au travail ces derniers jours. Et puis, depuis quelques jours, on ne voit que ça. Des galettes de roi, des couronnes, des fèves. Bientôt, ce sera autre chose.

 

Ce matin, en me levant un peu avant 6h30, j’ai fait mes étirements et des abdos, suivis de quelques galipettes avant et arrière.

Photo©️Franck.Unimon

Après un thé en sachet bu dans une de ces tasses ramenées du Japon en 1999, ce pays, plus loin que le hammam, où je ne suis pas retourné, contrairement à ce que je m’étais dit à l’époque, je descends les escaliers de l’immeuble. Après avoir salué ma fille qui va partir à l’école et ma compagne. En laissant derrière moi toute cette panoplie de tentacules qui nous met aux prises avec de multiples (fausses) urgences et autres  bienveillantes addictions et soumissions :

 

Carte bancaire, internet, téléphone portable, écran en tout genre, baladeur, montre…

 

Je n’existe plus pour le monde connecté, moderne, efficace, virtuel, instantané, lyophilisé.  Et civilisé. Je n’existe plus. J’ai même disparu des réseaux sociaux, nouvelles zones érogènes dont les milliards de connexions se sont beaucoup plus vite développées ces dernières années que les forêts qui disparaissent après avoir d’abord disparu de notre regard.

 

Mais étant donné que je ne suis pas tout  à fait  l’homme invisible pour les autres dans la rue, je me suis tout de même habillé avant de partir de chez moi. J’ai pris mes clés d’appartement comme de quoi me changer et me laver. Et des espèces pour payer.

Paris, novembre 2022, près de Nation. Photo©️Franck.Unimon

7h30, pour arriver au hammam, ce n’est pas si tôt que ça. C’est beaucoup moins tôt que 6h00 ou 6h30, moment où, au Dojo Tenshin, école Itsuo Tsuda de Régis et Manon Soavi (le père et la fille) tous les jours de la semaine, des pratiquants se retrouvent. Et le week-end, aussi, à 8 heures. ( Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022 )

 

7h30,  c’est aussi beaucoup moins tôt sans aucun doute que l’heure à laquelle Maitre Léo Tamaki débute ses journées et ses marathons de voyages et de stages ( Dojo 5Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022  ) . C’est sans doute aussi plus tard que l’heure à laquelle Maitre Jean-Pierre Vignau (Arts Martiaux : un article inspiré par Maitre Jean-Pierre Vignau) démarre ses journées ainsi que Yves ( Préparatifs pour le stage d’apnée à Quiberon, Mai 2021, Quiberon, Mai 2021.  ) le responsable de la section apnée de mon club qui ne vit pas de cette activité et qui a aussi un emploi et une vie de famille.

 

A l’arrière plan, on peut voir une affiche montrant Fela, beaucoup plus Nigérian qu’Européen. Photo©️Franck. Unimon, Paris, fin 2022.

Au hammam, à quelques mètres de la douche, je tombe sur un homme. En maillot de bain, torse nu, il porte des lunettes de vue. Même si j’ai laissé les miennes dans mon casier, je vois que c’est un Européen. Comme j’ai un peu oublié comment ça se passe, je l’interroge. Celui-ci me répond cordialement. J’apprends aussi qu’il va au hammam une fois par semaine. Tantôt à celui-ci. Tantôt à un autre, à Barbès. Il habite à Cormeilles en Parisis, pas très loin en train. Une ville que je connais et que j’aime bien. J’y vais quelques fois. A sa médiathèque très bien fournie en dvds.

 

Le hammam à Barbès « fait plus hammam » me répond-t’il. C’est aussi un peu plus cher. 22 euros. « Ici, ça fait plutôt sauna. Mais, ce qui est bien, c’est que ça  ouvre à 7 heures. Alors qu’ailleurs, ça ouvre souvent à 10h ou 11h. Habituellement, ici, je viens plutôt le samedi matin. Entre 7h et 9h, c’est très bien. Il n’y a personne. Aujourd’hui, je suis en congé. Lorsque je ne vais pas au hammam pendant une semaine, je ne me sens pas bien. C’est comme faire du sport » me dit-il.

A la Gare du Nord, en juin 2022.

 

Avec mes horaires décalés et la proximité, je n’ai pas de bonne raison pour avoir ignoré aussi longtemps ce hammam de la gare. A part le fait et ma prétention d’avoir toujours eu d’autres priorités et d’être pressé. Car pour bien profiter du hammam, il faut bien avoir deux à trois heures devant soi au minimum.

 

Une des oeuvres exposées de Cécile Thonus, lors d’une journée portes ouvertes des artistes à Argenteuil. Photo©️Franck.Unimon

La douche est très chaude. Cela m’étonne. Celui qui m’a précédé dans le hammam me répond que c’est lui qui l’a réglée de cette façon. Il « ramène » l’eau froide. Mes premières expériences de sauna et de hammam datent de mon adolescence. Lorsque je faisais de l’athlétisme. L’eau très froide, le très chaud. L’alternance. Douches froides, bain froid, sauna. Courir dehors par temps froid, faire des cross, y compris dans la boue.  C’est à cette époque que j’avais découvert ça. Je n’ai jamais gagné le moindre cross mais je les avais toujours finis.

 

Plusieurs années plus tard, je continue de suivre les mêmes principes. Ceux que l’on m’avait appris dans ce club d’athlétisme, à Nanterre, mais aussi chez moi. Dans ma famille.

 

Nous entrons tous les deux dans le hammam ou le sauna car il s’agit d’une chaleur sèche. Nous continuons encore de discuter. L’homme est devant moi en train de parler depuis à peine deux minutes quand il me dit :

 

« Il fait chaud ! ». Puis, il sort. Ou, plutôt, il se dépêche de sortir.

Paris, fin 2022. Photo©️Franck.Unimon

Je m’installe et m’assieds sur la plaque de marbre sous ce soleil de pierre. Et, peut-être, de prières. Je pense très vite à mon travail. Puis à ma compagne dans une situation décisive. Ensuite, c’est un bombardement de pensées. Un carnage. Je me dis qu’avant un acte amoureux, il faudrait d’abord aller au hammam ou au sauna chacun de son côté. Puis, ensuite, se retrouver. Pourquoi s’enquiquiner dans un restaurant à s’alourdir la panse en restant coincés dans des vêtements de convenance ou à rester assis dans une salle de cinéma à se frotter les yeux avec de la 3D alors que ce que l’on veut, c’est le plan B ?

 

 

Avatar 2, Black Panther 2, Pacifiction, Les Rascals, Grand Marin et d’autres œuvres cinématographiques attendront encore un peu malgré leur (très) grand succès public et critique. Car je suis au hammam de la gare d’Argenteuil et au summum de ma pensée.

Une des oeuvres de Thibaut Dapoigny lors d’une des portes ouvertes des artistes à Argenteuil. Photo©️Franck.Unimon

 

Lorsque mon « guide » du hammam revient, il commence à s’enduire le corps de savon noir. Puis, en me tournant le dos et en baissant un peu son maillot de bain, il me demande si je veux bien lui en mettre sur le dos. Je sais que cela peut se faire. Mais je me dis maintenant que savonner quelqu’un peut être une pratique risquée. Car je me rappelle que le hammam peut être un lieu de rencontres sociales mais aussi de drague.

 

Les autres risques, c’est le bruit et l’agitation. Ici, pour celles et ceux qui l’auraient imaginé, je ne pense pas du tout aux coups de feu du colt du coït dans un hammam et au risque d’y être découvert. Mais au fait  que je vais aussi au hammam pour être au calme. Certains s’isolent dans un cloître ou dans une maison de campagne. Moi, je vais au hammam. Chacun ses moyens.

 

Mon « voisin » ne tient pas en place. Trop forte chaleur ou érection,  il sort à peu près toutes les quatre minutes ou plus rapidement. Il part se doucher. Puis revient après quelques minutes. Cependant, il ne m’envahit pas. S’il m’a tutoyé au départ, il s’est ensuite fidélisé à mon vouvoiement.

 

 

J’estime qu’à peu près dix minutes se sont écoulées lorsque je pars prendre ma première douche froide.

 

ça passe.

 

Je retourne dans le hammam où, cette fois, je m’allonge sur cette petite plage de marbre en gardant mes jambes repliées car il n’y a pas la place pour s’étendre de tout son long. Pendant ce temps,  mon voisin poursuit ses pérégrinations. J’entends le bruit de ses claquettes mais aussi de son maillot de bain qui glisse lorsqu’il se remet debout. Ses pas accélérés. La porte poussée avec hâte quand il sort comme s’il quittait un saloon de western.

Affiche du chanteur Renaud, dans le métro, en 2022.

A ma deuxième douche froide, je sens que je vacille un peu sous l’eau lorsque je ferme les yeux. J’ai un peu le souffle coupé lorsque celle-ci me tombe sur la tête, la nuque, et recouvre mon visage.

 

Je titube un peu en allant vers ma troisième douche froide. Entre temps, alors que j’étais allongé, un Arabe massif est arrivé. Il doit bien faire dans les 110 ou 120 kilos. Nous nous sommes retrouvés à trois dans le hammam :

 

Un Européen, un Antillais et un Arabe. Belle mixité.

 

Mais si l’Antillais est bien sûr indolent, il se trouve avec, d’un côté, un agité….et un compétiteur.

L’aventurier Mike Horn, en couverture du magazine Survivre, en 2022.

Je me dis qu’il doit souvent se retrouver ces trois catégories dans un hammam ou dans un sauna. Celui qui multiplie les expositions brèves de trois à cinq minutes (les sprints) dans le très chaud. Celui qui prend son temps, l’endormi ou l’aguicheur, c’est selon. Et, celui qui veut faire le maximum et, si possible, qui tient à rester plus longtemps que les autres.

 

Peut-être que j’en rajoute.

 

Peut-être que notre lutteur du hammam avait peu de temps devant lui. Mais cela m’a fait drôle de l’entendre s’encourager, de boire un peu d’eau à deux ou trois reprises. Comme s’il essayait de gagner une course contre l’augmentation de la température. 

 

ll avait l’air de serrer les dents. Il lui fallait tenir la corde jusqu’au bout et garder la position ainsi que la tête haute. Etait-il satisfait de lui lorsque je l’ai entendu sortir en se ruant presque  hors de la pièce ?  Alors qu’il était en train se faire « gommer » ?

 

« Gommeur », dans un hammam, c’est dur. Passer des heures, torse nu, dans la chaleur, à passer sur les peaux des autres.

 

 

Ma quatrième douche froide est réussie. Je me sens bien sous l’eau froide. Je respire de manière apaisée.

 

Après ça, en sortant, j’ai le plaisir de voir le thermos près du plateau qui contient quelques verres de thé. Ils sont tous retournés sauf un. D’emblée, je sais ce qui se trouve dans le thermos. Je me sers aussitôt un premier verre. C’est chaud. C’est bon. Sucré comme il le faut.

A Montreuil, le 4 juin 2021. Photo©️Franck.Unimon

 

 

Je me dirige vers la salle de repos. Je cherche l’heure. 9h05. A peu près 1h30. Je crois que c’est plutôt une bonne séance pour une reprise.

 

Ce temps dans la salle de repos est selon moi aussi important que celui passé dans le hammam et sous la douche froide.

 

Je prends la décision résolue de m’en tenir à trois verres de thé. J’en boirai cinq.

 

Très vite, trente minutes passent. Puis, c’est le moment d’aller se rhabiller et de partir après avoir remercié le gérant et la dame, assise dans la cuisine derrière lui, près de la table. C’est elle qui a préparé le thé à la menthe. Près du comptoir, je vois aussi plein de canettes de sodas sucrés. Je dis que j’espère prendre moins de temps pour revenir la prochaine fois.

Gare St Lazare, Paris, 22 septembre 2020. Photo©️Franck.Unimon

Je sors léger en optant pour avoir une vraie journée de repos. Pour faire une vraie sieste cette après-midi avant de retourner ce soir au karaté. Un Maitre comme Jean-Pierre Vignau, 77 ans, qui prend la peine d’appeler tous ses élèves pour leur souhaiter la nouvelle année est un Maitre qu’il faut aller retrouver. Même si c’est à une heure de transports en commun de chez soi. Même si demain, matin, j’ai prévu de me rendre à Ste Anne à un séminaire animé par Claude Orsel sur les addictions au jeu avec la présence, entre autre, de Marc Valleur, l’ancien médecin chef de Marmottan.

 

J’attends une heure au minimum avant de manger.  En attendant, je me mets à écrire cet article, et, évidemment, j’écris pendant plus d’une heure. Plus de quatre heures sont passées depuis ma sortie du hammam.

 

 

Je ne pourrai peut-être pas aller dans un hammam une fois par semaine comme cet homme que j’ai rencontré. Mais j’aimerais bien recommencer ici et ailleurs ce genre de séance. En allant aussi me faire masser dans des lieux de massage.

 

 

Bonne année 2023, et meilleurs vœux !

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 janvier 2023.