Catégories
self-défense/ Arts Martiaux

Maitre Jean-Pierre Vignau Ă  la SACD, rue Ballu, Paris, ce mardi 25 avril 2023

Maitre Jean-Pierre Vignau, ce mardi 25 avril 2023, Ă  la SACD, rue Ballu, Paris. Photo©Franck.Unimon

Maitre Jean-Pierre Vignau Ă  la SACD, rue Ballu, Paris, ce mardi 25 avril 2023.

 

 

On trouve chez un Maitre ce que l’on croit et ce que l’on craint.

 

On trouve chez un Maitre ce que l’on cherche, ce que l’on a perdu ou Ă©garĂ©.

 

Jean-Pierre Vignau, prĂ©sident de l’I.B.A France, 9Ăšme dan I.B.A de KaratĂ© Shotokan, 6Ăšme dan I.B.A d’Atemi-jitsu (Self-dĂ©fense), 3Ăšme dan I.B.A de Kobudo, 2Ăšme dan I.B.A de judo et d’AĂŻkido, pour moi, fait partie de ces Maitres.

 

Peut-ĂȘtre que les apparences ou la forme de cet article sont contre lui et contre moi, son auteur. Et qu’en commençant la lecture de cet article, on se dit qu’il s’agit d’un exercice de philo ou d’une rĂ©vision avant les Ă©preuves du Bac dans quelques mois.

 

Peut-ĂȘtre aussi que l’on peut se dire que c’est un article de plus Ă  ranger dans la catĂ©gorie de la branlette intellectuelle. Alors que ce l’on que l’on veut, c’est surtout, et rapidement, et toujours, plus d’efficacitĂ©, du concret et des techniques qui marchent tout de suite, tout le temps et Ă  volontĂ©.

 

Pas du bla-bla.

 

Mais je crois qu’il faut quand mĂȘme commencer cet article comme ça. Et que c’est surtout de la vie, de notre vie, de nos choix, de notre santĂ© mentale et physique, de nos dĂ©cisions et de nos libertĂ©s dont je parle.

 

Et dont les Arts Martiaux, toujours, nous parlent.

 

Jean-Pierre Vignau ne dira rien Ă  beaucoup de personnes aujourd’hui, en 2023. Moi-mĂȘme, il y a encore trois ans, je ne connaissais pas Jean-Pierre Vignau, Maitre d’Arts Martiaux, 78 ou 79 ans cette annĂ©e.

 

Il y a encore trois ans, je ne connaissais pas Jean-Pierre Vignau malgrĂ© le fait que depuis plus d’une trentaine d’annĂ©es, j’ai souvent Ă©tĂ© attirĂ© par les Arts Martiaux sous plusieurs de leurs reprĂ©sentations ou expĂ©riences. Sur un tatamis, au cinĂ©ma, dans mes lectures ou mĂȘme dans certains de mes voyages (le Japon en 1999).

Enfant, comme beaucoup, j’avais Ă©tĂ© fascinĂ© par Bruce Lee. Evidemment. Et, j’avais « fait Â» un peu de karatĂ© jusqu’à la ceinture verte. J’avais 12 ou 13 ans. J’étais assez appliquĂ©, je connaissais mes katas. Puis, j’ai arrĂȘtĂ©. Sans doute parce-que, pour moi, alors, faire du karatĂ© ou de la boxe anglaise, c’était avant tout apprendre Ă  se dĂ©fendre, Ă  donner des coups de pied et des coups de poing. Apprendre Ă  devenir « fort Â» et viril. A devenir un Homme.

 

A ne pas avoir peur. A n’avoir-jamais- peur de rien.

 

Peu m’importait la diffĂ©rence qu’il pouvait y avoir entre du Kung Fu et du karatĂ©. Le karatĂ© Ă©tait ce qui me parlait le plus ou ce qui Ă©tait connu de moi, lĂ  oĂč je vivais alors, avec mes parents, dans une citĂ© Ă  Nanterre. Dans un immeuble HLM de 18 Ă©tages. Si nous avions vĂ©cu Ă  l’époque dans le 13Ăšme arrondissement de Paris, peut-ĂȘtre aurais-je pu mieux commencer Ă   faire la diffĂ©rence entre le Kung Fu et du KaratĂ©.

 

Puis, grĂące Ă  un concours de circonstances, aprĂšs le karatĂ©, plus tard, il y a eu la pratique du Judo pendant une dizaine d’annĂ©es. Un sport de combat dĂ©couvert Ă  l’universitĂ© de Nanterre. Un peu par hasard. Une histoire d’horaires de cours qui m’a empĂȘchĂ© d’aller plutĂŽt dĂ©couvrir la boxe anglaise comme je le souhaitais.

Le judo m’avait rapidement flattĂ©. Parce-que la nouveautĂ© et mes aptitudes athlĂ©tiques, toniques, explosives et instinctives, enfin, me permettaient d’ĂȘtre « bon Â». De « battre Â» des pratiquants plus expĂ©rimentĂ©s que moi. Ou de leur donner du mal. Et puis, je pouvais, Ă  nouveau, m’entraĂźner rĂ©guliĂšrement sans me blesser. Sans me donner ces contractures aux ischio-jambiers que le sprint, en athlĂ©tisme, m’avait « laissĂ©es Â».

 

Beaucoup de pratiquants d’un sport ou d’une activitĂ© physique ou martiale ont dans leur pratique ou leurs « bagages Â» des cicatrices liĂ©es Ă  l’engagement de leur corps et de leur volontĂ© dans leur activitĂ© sportive ou physique prĂ©fĂ©rĂ©e. Une activitĂ© ou, souvent, ils se sont constituĂ©s des amitiĂ©s, des amours ou des inimitiĂ©s passionnelles, profondes ou dĂ©finitives.

 

Ces cicatrices, liées à une pratique répétée ou intensive, sont souvent vécues comme des injustices ou, au contraire, regardées avec fierté comme des blessures de guerrier. Des blessures de combattant. Des blessures de samouraï.

 

Il faut du temps pour comprendre qu’un certain nombre de ces blessures physiques, mais aussi morales, prĂ©datrices de notre temps et de notre organisme ou de nos relations, ne sont pas aussi nĂ©cessaires que l’on a besoin de le croire afin de devenir « bon Â» ou le « meilleur Â» ou le « champion Â» que l’on aspire Ă  ĂȘtre Ă  nos yeux ou dans le regard des autres.

 

Comme je ne l’avais pas encore compris en pratiquant le judo, j’ai continuĂ© de me blesser. Ou j’ai recommencĂ© Ă  me blesser en «faisant Â» du judo.

 

Et puis, j’en ai eu assez du Judo. J’ai fait un petit peu de Ju-Jitsu brĂ©silien. A l’époque, les frĂšres Gracie Ă©taient la rĂ©fĂ©rence ultime du Ju-Jitsu brĂ©silien.

 

Puis, quelques annĂ©es plus tard, j’ai « fait Â» un petit peu de boxe française oĂč, lĂ , je me suis cette fois rompu le tendon d’achille lors d’un exercice tout simple. AprĂšs ça, pendant quelques annĂ©es, j’ai arrĂȘtĂ© tout ce qui pouvait ressembler Ă  la pratique du combat ou d’un Art martial. Tout en continuant bien-sĂ»r, de temps Ă  autre, Ă  lire ou Ă  regarder ici ou lĂ , ce qui pouvait avoir trait aux Arts Martiaux, au combat etc


Photo prise Ă  Paris en septembre 2020. ©Franck.Unimon

Puis sont arrivĂ©s la pandĂ©mie du Covid en 2020 et les confinements. Le passe sanitaire, la restriction de nos sorties, de nos dĂ©placements gĂ©ographiques ou kilomĂ©triques. L’angoisse et la peur massive de notre anĂ©antissement proche ou quasi-immĂ©diat.

 

J’ai fait partie des personnes dont la profession a Ă©tĂ© jugĂ©e comme « essentielle Â». Je suis infirmier en pĂ©dopsychiatrie et en psychiatrie depuis des annĂ©es. J’ai donc continuĂ© Ă  travailler durant la pandĂ©mie. D’abord sans masque et sans protection matĂ©rielle rĂ©elle. Mais aussi, au dĂ©but, sans vaccin anti-Covid.

Photo prise le 1er septembre 2021 dans les transports en commun. Sans doute dans le mĂ©tro parisien. Photo©Franck.Unimon

 

Et pour limiter ce refuge dans l’angoisse dans laquelle nous Ă©tions nombreux Ă  ĂȘtre tombĂ©s et sĂ©questrĂ©s, j’ai un moment dĂ©cidĂ© de trouver des Ă©chappatoires aussi dans la lecture de journaux.

 

Par chance, il y avait prĂšs de mon lieu de travail, dans le 13 Ăšme arrondissement de Paris, Ă  mĂ©tro Gobelins, un des rares centres de presse restĂ©s ouverts durant la pandĂ©mie et les confinements successifs : Le Canon de la Presse.

Le Yashima d’octobre 2020, achetĂ© au Canon de la Presse, mĂ©tro Gobelins, Paris 13Ăšme.

C’est lĂ  que j’ai commencĂ© Ă  me fournir, aussi, en Yashima, AĂŻkido, Self & Dragon
..et Ă  dĂ©couvrir, donc, Maitre Jean-Pierre Vignau, lors de son interview par Maitre LĂ©o Tamaki dont j’avais dĂ©couvert l’existence Ă  peine quelques jours ou quelques semaines auparavant.

 

« Les Arts Martiaux, ça ne se rĂ©sume pas Ă  seulement apprendre Ă  donner des coups de pied et des coups de poing
 Â».

 

C’est ce que j’ai affirmĂ© il y a encore quelques jours Ă  ma propre compagne qui avait voulu voir dans mon souhait de participer au Masters Tour proposĂ© et organisĂ© annuellement au Japon par LĂ©o Tamaki, Maitre d’AĂŻkido, un temps Ă©lĂšve de Maitre Jean-Pierre Vignau, une simple dĂ©marche touristique.

 

La quĂȘte d’une certaine spiritualitĂ© et d’un certain sens Ă  notre vie se trouve aussi dans la pratique des Arts Martiaux. Les religions ne sont pas les seuls domaines ou les seules disciplines grĂące auxquelles on peut s’aider Ă  s’élever spirituellement mais aussi en tant qu’ĂȘtre humain. Et, il me semble que beaucoup de personnes l’ignorent ou l’ont oubliĂ© lorsqu’elles (vous) parlent des Arts Martiaux. Pour ces personnes, les Arts Martiaux mais aussi les sports de combat, c’est surtout du spectacle, une mise en scĂšne proche du cirque. Ou ça revient Ă  se rendre Ă  un concert ou Ă  une sĂ©ance de cinĂ©ma afin de se distraire ou de se dĂ©fouler pour se vider la tĂȘte avant de rentrer chez soi ou repartir au travail le soir ou le lendemain. Ou ça revient Ă  apprendre Ă  se « dĂ©fendre Â» et Ă  pouvoir se sentir fort lorsque l’on sort ou afin de protĂ©ger une personne Ă  laquelle on tient.

Photo prise Ă  la gare St-Lazare, le 7 septembre 2020. Photo©Franck.Unimon

 

Je me suis plusieurs fois senti trĂšs fort il y a plusieurs annĂ©es alors que je revenais d’une bonne sĂ©ance de Judo dans mon club. Je marchais trĂšs sĂ»r de moi en rentrant. C’était une sensation trĂšs agrĂ©able et, pourtant, trompeuse. Surtout dans des rues dĂ©sertes, la nuit, oĂč personne ne nous veut du mal. Alors qu’en plein jour, lors de certaines situations Ă©motionnellement et affectivement difficiles pour moi, je pouvais perdre mes moyens comme si je n’avais rien appris ou Ă©tais un incapable majeur.

 

 

Ce mardi soir, Ă  la SACD, un des Ă©lĂšves de Maitre Jean-Pierre Vignau depuis plus de quarante ans, l’a d’abord remerciĂ© pour tout ce qu’il lui avait apportĂ© dans sa vie. Puis, il lui a demandĂ© :

 

« Pourquoi tu contiens toujours autant tes Ă©motions, Jean-Pierre?».

 

Debout face Ă  nous tous dans la salle, aprĂšs la projection du premier documentaire (de Jean de Loriol) qui faisait son portrait dans Le Maitre et le batard, et avant la projection du documentaire Dans la tĂȘte du videur ( toujours rĂ©alisĂ© par Jean de Loriol) Jean-Pierre a rĂ©pondu :

 

« Je n’ai pas le temps ! Â».

 

Nous avons sans doute tous rigolé dans la salle. Beaucoup de Jean-Pierre est contenu dans cette phrase. Simple. Concret. Direct. Pratique. Tranchant. Efficace. Impliqué.

 

Un Maitre d’Arts martiaux, c’est quelqu’un, qui, incessamment, se remet à son ouvrage et donne le meilleur de lui.

 

Sans se décourager.

 

AprĂšs plus d’une vingtaine d’annĂ©es d’existence, son dojo le Fair-Play Sport a dĂ» fermer, pour raisons Ă©conomiques,  Ă  cause de la pandĂ©mie et du Covid ( lire  Le Dojo de Jean-Pierre Vignau ?) DĂ©sormais, Jean-Pierre dispense ses enseignements Ă  la Maison du Taiji au 57, rue Jules Ferry Ă  Bagnolet, mĂ©tro Robespierre, ligne 9.  

 Dans son interview par LĂ©o Tamaki, par lequel je l’avais dĂ©couvert en plein confinement sanitaire, Jean-Pierre disait Ă  un moment donnĂ© :

 

« Mais, moi, pour certains, je suis un malade mental ! Â». Cela m’avait beaucoup plu.

 

Mais ce qui m’avait aussi beaucoup plu, c’était ce qu’il disait de son Dojo, le Fair-Play Sport. Un endroit oĂč il demandait Ă  chaque pratiquant de laisser ses soucis Ă  l’extĂ©rieur et oĂč il acceptait tout le monde dĂšs lors que celui-ci respectait les rĂšgles du Dojo.

 

Et ce qui continue de me plaire chez lui, c’est sa longĂ©vitĂ©, sa libertĂ©.

 

J’ai appris seulement cette semaine que le boxeur Marvin Hagler, surnommĂ© « The Marvelous Â», trĂšs grand champion de boxe, Ă©tait dĂ©cĂ©dĂ© seulement Ă  l’ñge de 66 ans en 2021.

 

Pour moi, un Maitre, c’est aussi sa longĂ©vitĂ©. Car sa longĂ©vitĂ© dĂ©montre aussi que ce qu’il pratique et enseigne est favorable Ă  la vie. Et au meilleur de la vie. Entre-autres, Ă  une vie active oĂč, au delĂ  de soixante dix ans au minimum, on continue de pouvoir pratiquer, de transmettre et d’ĂȘtre un exemple pour d’autres.

 

Cette remarque est sans doute lapidaire ou peut-ĂȘtre injuste. Mais lorsque l’on prend le temps de regarder de prĂšs l’ñge de dĂ©cĂšs de bien des Maitres d’Arts Martiaux, Ă©trangers ou français, ou encore en activitĂ©, on s’aperçoit qu’ils dĂ©passent souvent ou rĂ©guliĂšrement les 70 annĂ©es d’existence.

 

Lorsque l’on sait que Jean-Pierre a eu le contraire d’une vie pĂ©pĂšre et casaniĂšre, cela nous convainc encore plus facilement des bienfaits de la pratique martiale.

 

Cette longĂ©vitĂ© nous assure aussi que les choix de vie, les dĂ©cisions mais aussi les libertĂ©s que ces Maitres ont pris ou su prendre, avec les risques qu’ont comportĂ© et que comportent ces choix de vie et ces dĂ©cisions, Ă©taient les bons ou les meilleurs pour eux mais aussi pour celles et ceux qui les entourent et viennent chercher auprĂšs d’eux Savoir et ExpĂ©rience.

 

Le terme de « Maitre Â» peut aussi beaucoup dĂ©ranger dans un pays dĂ©mocratique et libre oĂč l’on confond facilement les libertĂ©s dont on croit disposer avec nos libertĂ©s rĂ©elles et vĂ©ritables. Pourtant, il est tout un ensemble de Maitres que nous prĂ©fĂ©rons suivre ou croire par facilitĂ©, conformitĂ©, fainĂ©antise, ignorance ou volontĂ© de « rĂ©ussite Â» ou
de maitrise :

 

Le smartphone dernier cri, tous nos Ă©crans dans lesquels nous sommes plongĂ©s et ancrĂ©s en permanence, gagner plus d’argent, certaines influenceuses ou influenceurs, certaines tendances, certains types d’informations, certains types de rencontres ou de relations. L’anxiĂ©tĂ©. La peur. L’envie. Certains dĂ©sirs.

 

Donc, pour moi, le terme de « Maitre d’Arts martiaux Â» ne doit pas faire peur pour peu que l’on a bien-sĂ»r pris le temps de bien choisir ce qui nous correspond et ce que l’on recherche chez un Maitre.

Enfin, la reconnaissance par certains de leurs pairs, Maitres d’Arts martiaux Ă©galement, nous confirme aussi la lĂ©gitimitĂ© de ces Maitres d’Arts martiaux.

 

Ce mardi 25 avril 2023, Ă  la SACD, rue Ballu, Ă  Paris, lors de cette soirĂ©e consacrĂ©e Ă  Maitre Jean-Pierre Vignau, j’ai ainsi pu reconnaĂźtre en personne Maitre Pierre Portocarrero ainsi que Maitre Remi Mollet. Malheureusement, je n’ai pas eu la prĂ©sence d’esprit de les prendre en photo.

Cependant, je crois que leur prĂ©sence comme celle de diffĂ©rents Ă©lĂšves de Jean-Pierre Vignau, comme celle de certains de ses proches et amis de plusieurs annĂ©es ( dont sa femme Tina et Jean-Pierre Leloup) continuait d’attester de sa totale lĂ©gitimitĂ© en tant que Maitre. 

Maitre Jean-Pierre Vignau Ă  la SACD, rue Ballu, ce mardi 25 avril 2023. Photo©Franck.Unimon

Sur Jean-Pierre Vignau, on peut aussi lire entre-autres dans ce blog Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau 

Franck Unimon, jeune élÚve de Maitre Jean-Pierre Vignau, ce jeudi 27 avril 2023.

 

 

 

 

 

 

Catégories
Cinéma Théùtre

Etre déprimé : ébauche de texte pour du Stand Up

Etre dĂ©primĂ© : Ebauche de texte pour du stand Up.

 

Il est bien sĂ»r prĂ©fĂ©rable d’ĂȘtre dĂ©primĂ© plutĂŽt que dĂ©pressif.

 

Mais on ne choisit pas.

 

En surface, et en sociĂ©tĂ©, lorsque l’on nous demande:

« Tu vas bien ? Â», il « vaut Â» mieux bien sĂ»r rĂ©pondre – et dans un grand et magnifique sourire- (un peu comme si on venait de se dĂ©saltĂ©rer en buvant un grand verre d’eau bien fraĂźche ou de sortir d’une trĂšs bonne sĂ©ance de massage non Ă©rotique ) :

 

« Oui, ça va !  Â».

Notre sourire doit ĂȘtre un tourbillon de bien-ĂȘtre. Une mini-rĂ©plique de Autant en emporte le bonheur

 

Peu importe que l’on ait surtout envie d’immoler par le feu ou de dĂ©molir Ă  peu prĂšs tout ce que l’on approche Ă  commencer par soi-mĂȘme.

 

 Et, il vaut mieux y croire soi-mĂȘme un petit peu lorsque l’on affirme que tout va bien.

 

Tout va hyper-bien. Nous ne nous sommes jamais sentis aussi bien. C’Ă©tait ce que nous avions dĂ©ja affirmĂ© toutes les autres  fois. Mais, cette fois-ci, c’est encore plus vrai que d’habitude.

 

Il s’agit d’ĂȘtre crĂ©dible dans son rĂŽle. Et tout de suite. 

 

Si on peut, on peut mĂȘme en rajouter en disant :

 

« Bien-sur que ça va ?! Toujours ! Pourquoi ?! Y a un problĂšme ?!  Quel problĂšme ?! Et toi, ça va ?! Â».

Il faut bien montrer qu’il faudra s’y mettre au moins Ă  quatre pour essayer de nous abattre.

 

Cette rĂ©ponse, c’est un peu notre carte de visite.

 

Notre coefficient de fréquentabilité voire de respectabilité.

 

Cette rĂ©ponse nous rend « bankable Â», dĂ©sirable ou non. Allez voir votre conseillĂšre bancaire pour obtenir un prĂȘt en lui laissant imaginer que votre vĂ©ritable projet est surtout de vous suicider sitĂŽt que vous l’aurez quittĂ©e
.

 

Personne ne dĂ©sire un bout de bois tout vermoulu plein de champignons dont mĂȘme les vers se sĂ©parent.

 

Personne.

 

Si l’on rĂ©pond ou dĂ©cide de rĂ©pondre :

 

« Ă§a ne va pas… », les rĂ©actions et les divers algorithmes autour de soi se mettent Ă  varier selon les interlocuteurs.  

 

Cela peut aller de la fuite Ă  la curiositĂ© voyeuriste et quasi-extatique ( « Enfin
 Â»).

 

En passant par la pitié ou le dédain.

 

Et, tout de mĂȘme, aussi, on peut rencontrer de l’attention bienveillante proche du partage. C’est le cĂŽtĂ© jardinier chez certains. Ou le cĂŽtĂ© mitoyen. Car quelqu’un peut ainsi vous souffler dans l’oreille : «  Moi, aussi
tu sais Â».

 

 

Etre dĂ©primĂ©, c’est la honte. C’est comme ne pas savoir danser lors d’une soirĂ©e zouk ou salsa alors que tout le monde danse et a l’air de trĂšs bien s’amuser. Il n’y a plus qu’Ă  attendre qu’un peu plus de monde soit alcoolisĂ© ou dĂ©foncĂ© pour que cela perde de son importance. Ou, peut-ĂȘtre vaut-il mieux envisager de partir pendant que personne ne semble nous remarquer. MĂȘme si l’on sait qu’une fois que l’on sera parti (e) que tout le monde parlera de nous ensuite comme de la personne pathĂ©tique et seule dans son coin qui ne parlait Ă  personne. Et Ă  qui personne n’avait envie d’aller parler. 

 

Etre dĂ©primĂ© est plutĂŽt l’exemple Ă  ne pas suivre. L’image Ă  ne pas donner de soi. La dĂ©prime est au moral ce que la vergeture ou l’embonpoint est au corps. Ça dispose d’une volontĂ© propre aspirĂ©e par la pesanteur et le fond de l’abysse. Non seulement ça vous entraĂźne mais, en plus, ça vous suit partout Ă  un moment donnĂ©. ça vous attire mĂȘme de nouveaux amis tout autant dĂ©primĂ©s.

 

A moins d’ĂȘtre habile pour savoir Ă  qui s’adresser en de pareilles circonstances sans que cela n’ait de graves consĂ©quences.

 

Car, le dĂ©primĂ© ou la dĂ©primĂ©e, c’est « le Â» loser. Celle ou celui que l’on va Ă©pier dans Closer.

 

C’est celle ou celui qui attire la malchance ou le mauvais sort sur elle ou sur lui et qui pourrait le transmettre à toute personne proche de son corps.

 

Cette personne est rarement photogĂ©nique ou cinĂ©-gĂ©nique. On n’a pas trĂšs envie de se faire prendre en selfie avec. A moins de s’appeler Tiger Woods, Serge Gainsbourg, Amy Winehouse, CĂ©line Dion ou Stromae.

 

 Bien des productions du spectacle « vivant Â» l’ont bien compris.

Il y a quelques jours, je suis allĂ© voir le film  Les Trois Mousquetaires. D’Artagnan de Martin Bourbolon. Un film français sorti ce 5 avril 2023 et qui marche trĂšs bien.

 

Je n’ai pas Ă©crit :  Â«  Un film français qui dĂ©prime Â». Mais un film français qui « marche trĂšs bien Â». Afin, aussi, de faire savoir que les rĂ©alisateurs français savent ou ont appris Ă  faire des films qui marchent plutĂŽt que des rĂ©clames publicitaires pour le prozac et le lexomil.

 

HĂ© bien, dans Les Trois Mousquetaires. D’Artagnan, aucun des protagonistes principaux ne dĂ©prime.

 

Sauf Athos, trĂšs bien jouĂ© par Vincent Cassel. On peut mĂȘme dĂ©clarer que Athos/ Vincent Cassel est dĂ©pressif.

Athos joué par Vincent Cassel.

 

Mais « sans pathos Â».

 

Dans le film, Athos le dĂ©pressif dont les « remords Â» ou les « tourments Â» ont appris Ă  nager reste un modĂšle auquel on aimerait beaucoup ressembler. Et ça, c’est un grand tour de force.

 

La force, qu’elle soit mentale, morale, intellectuelle, affective, viscĂ©rale ou physique, c’est ce qui manque au dĂ©primĂ© et encore plus au dĂ©pressif. Et, c’est, aussi, ce qu’on lui reproche.

 

Ou, ce dont on peut abuser.

Athos/ Vincent Cassel entre Aramis/ Romain Duris et D’Artagnan/ François Civil.

Cependant, Athos,  lui, ne manque pas de force.  Son caractĂšre subversif ou « disruptif Â», sa libertĂ©, son sens de l’honneur, son humour, son courage, sa vitalitĂ© Ă©rectile et, bien-sĂ»r, son expertise dans les armes et l’art du combat font d’Athos un homme fort. Sa dĂ©pression est un peu son aurĂ©ole d’ĂȘtre humain. Sans elle, Athos serait un demi Dieu ou un Dieu.  

 

Un surhomme.

 

On ne le dirait pas comme ça parce-que nous sommes beaucoup influencĂ©s par la « modernitĂ© Â» de ce que nous voyons, mais les trois Mousquetaires sont bien l’équivalent des ninjas ou des super-hĂ©ros que nous pouvons voir dans des productions asiatiques et amĂ©ricaines :

 

La scĂšne de combat, nocturne, en pleine forĂȘt, et Ă  l’épĂ©e, entre D’Artagnan (jouĂ© par François Civil) et Athos/ Vincent Cassel «  le dĂ©pressif Â» vaut bien une scĂšne de combat de « type Â» ninja. Ou une tentative de sodomie dans une back room.

 

Mais cette scĂšne d’escrime peut nous sĂ©duire au point de nous faire oublier le sujet de la dĂ©prime. Alors, redevenons terre Ă  terre. Retournons aux « bouseux Â».

Cait/ l’actrice Catherine Clinch dans The Quiet Girl

 

Dans le film The Quiet girl («  film en langue irlandaise le plus rentable de tous les temps Â») on retrouve aussi la mĂȘme idĂ©e vis Ă  vis de la dĂ©prime.

 

The Quiet Girl  est un film rĂ©alisĂ© par Colm BairĂ©ad et sorti en salles ce 12 avril 2023.

 

 

Je suis allĂ© le voir cette semaine, ce lundi 17 avril 2023 trĂšs prĂ©cisĂ©ment. Puisque les critiques Ă©taient trĂšs Ă©logieuses :

 

«  La pĂ©pite irlandaise Â» ; «  un film irlandais tout en sensibilitĂ© Â» ; « la belle histoire d’un petit film qui devient grand
. Â».

 

Le film a Ă©tĂ© retenu pour les Oscars. C’est un grand succĂšs en devenir tant commercial que critique.

DĂšs le gĂ©nĂ©rique du film, j’ai appris que The Quiet Girl  Ă©tait inspirĂ© de la nouvelle, Les Trois lumiĂšres, Ă©crite par Claire Keegan. Il se trouve que j’avais lu et beaucoup aimĂ© cette nouvelle de Claire Keegan il y a environ cinq ans. GrĂące Ă  l’action de la mĂ©diathĂšque de ma ville, Ă  Argenteuil, qui nous sollicitait pour lire plusieurs ouvrages venant de paraĂźtre afin d’en discuter entre nous mais, aussi, pour Ă©lire celui que nous avions prĂ©fĂ©rĂ©s.

 

Mais dans The Quiet Girl, nous ne sommes pas Ă  Argenteuil, ville de banlieue parisienne, trĂšs bĂ©tonnĂ©e, mal rĂ©putĂ©e. Et beaucoup moins exotique que l’Irlande.

 

Car cela se passe en Irlande. La jeune héroïne, Cait, peut faire penser à Cosette ou à une héroïne de Rue, cases nÚgres.

 

Je croyais au dĂ©part qu’il s’agissait d’une histoire d’inceste. J’ai dĂ» confondre avec un autre film, Ă©galement plĂ©biscitĂ© par la critique,  et sorti rĂ©cemment, oĂč une jeune fille subit un inceste.

 

Non. Pas de ça dans The Quiet girl.

 

Cependant, la petite Cait en prend nĂ©anmoins plein la tĂȘte dans sa famille.

 

Sa mùre est une femme volontaire, travailleuse, croyante mais ignorante- ou rejetante- de tout moyen de contraception comme d’avortement. Nous sommes en Irlande.

 

 ET dans les annĂ©es 1970-1980.

 

Question mariage, la « pauvre Â» mĂšre de Cait, comme beaucoup de femmes dirons-nous, a tirĂ© le mauvais numĂ©ro Ă  la loterie. Pour effectuer ce portrait du pĂšre, Picasso aurait sans doute accompli un nouveau chef d’Ɠuvre.

 

Le pĂšre de Cait est en effet fumeur, fumiste, buveur de biĂšre, joueur, queutard, reproducteur de viande – ou d’enfants- Ă  la chaine mais aussi dĂ©biteur de dĂ©faites en tout genre.

 

Et c’est un violent moral.

 

Le pĂšre de Cait est le portrait du bon beauf ou du mec « normal Â» diraient certaines personnes. Ce qui n’empĂȘchera pas certaines de ces mĂȘmes personnes de finir leur nuit ou leur vie avec ce mĂȘme genre de mec par ailleurs. Car chacun sa vie, chacun ses choix et tout le monde est libre de faire Ă  peu prĂšs ce qu’il ou elle veut comme tout le monde le sait.

 

Etant donnĂ© les dispositions de ses parents, on se dit que la jeune Cait pourrait peut-ĂȘtre trouver refuge dans cette solidaritĂ© qui se trouve parfois entre frĂšres et sƓurs ou chez quelque enfant de son Ăąge.

 

Mais c’est chacun pour soi. La jeune Cait passe plutĂŽt pour ĂȘtre « weird Â» ( « bizarre Â») auprĂšs des autres. Et le Professeur Xavier, mentor des X-Men, ne lui trouve pas de super-pouvoir de mutante pour avoir envie de venir la sauver en Irlande ou lui parler dans sa tĂȘte afin de lui recommander de continuer de croire en elle. Quant Ă  Dieu, ou un autre, il ne se manifeste pas particuliĂšrement sous la forme de visions pouvant au moins faire d’elle l’équivalent d’une Jeanne d’Arc ou d’une quelconque aventuriĂšre.

 

MoralitĂ© : Cait n’est pas du tout faite pour cette guerre totale qu’est sa vie sur terre depuis son plus jeune Ăąge. Et, elle est vraiment trĂšs seule sur terre. Il n’y a mĂȘme pas un rĂ©seau social de disponible sur lequel elle pourrait se trouver deux-trois amis. Et mĂȘme si ça avait dĂ©ja existĂ© Ă  cette Ă©poque, il est certain que dans son coin, il n’y aurait pas eu de rĂ©seau ou que son pĂšre aurait gardĂ© en permanence la main dessus afin de se trouver ses plans cul comme on peut se trouver des plans came.

 

Aujourd’hui, en 2023, oĂč l’on a « beaucoup Â» de recul et accompli diverses Ă©tudes sociologiques, psychologiques et bien-sĂ»r scientifiques sur ce type de conditions de vie prĂ©coces ou « inaugurales Â», mais aussi beaucoup lu, on dirait que Cait a le profil type, voire le morphotype, de la jeune souffre-douleur destinĂ©e Ă  ĂȘtre sacrifiĂ©e sur l’autel de la collectivitĂ©.

 

En se faisant harceler, tabasser ou, pourquoi pas, violer, engrosser, psychiatriser, clochardiser ou prostituer avant mĂȘme sa majoritĂ©. En passant, bien sĂ»r, par la consommation concentrĂ©e et rĂ©pĂ©tĂ©e de diverses substances telles que tabac, stupĂ©fiants ou autres.

 

Qu’est-ce que l’on croit ? Fille-mĂšre toxicomane ou prostituĂ©e, c’est un projet de vie parfaitement normal pour une fille comme Cait vue de lĂ  d’oĂč elle vient.

 

 

Chacun son karma.

 

 

 En plus, Cait, contrairement Ă  Billy Elliot ne sait mĂȘme pas danser et ne montre mĂȘme pas de disposition particuliĂšre pour cela. Elle pourrait au moins essayer d’esquisser quelques petits pas de danse.

 

MĂȘme pas.

 

 Alors que contrairement Ă  Billy Elliot mais aussi Ă  l’adolescent du film Girl de Luke Dhont, Cait a pour elle d’appartenir dĂšs sa naissance au genre sexuĂ© consacrĂ© pour la danse, la petite « idiote Â» dĂ©laisse complĂštement cet avantage et n’offre aucune volontĂ© pour s’en sortir.

 

Sans prendre trop de risques, on peut se hasarder Ă  conclure que Cait n’a aucune –bonne- carte en main. Et, alors qu’elle touche Ă  peine ses dix ans, qu’elle a largement de quoi ĂȘtre dĂ©pressive, suicidaire ou trĂšs agressive.

 

 

HĂ© bien, pas de ça entre nous dans The Quiet Girl 


 

Tout le film durant, la petite Cait reste aussi douce, mignonne, gentille, sensible et jolie que le bon lait.

 

Cait sait se tenir.

Jamais, Cait ne se montre en colÚre. Une véritable petite sainte sur terre.

 

Une future femme soumise, peut-ĂȘtre. Ou une Ăąme « pure Â» et sans dĂ©fauts comme on dit. Et qui a pour elle, non seulement, d’avoir gardĂ©, malgrĂ© elle, sa virginitĂ© mais aussi
 son insouciance. Les deux vont peut-ĂȘtre ensemble. Cela n’est pas tout Ă  fait soulignĂ© dans le film. J’ai pourtant fait attention de bien lire les sous-titres en Français.

 

Cait est l’enfant parfaite qui peut donner trùs facilement bonne conscience- et gratification- aux adultes qui savent prendre soin d’elle.

 

Ce qui n’est pas trĂšs difficile pour les adultes « Ă©clairĂ©s Â» que nous sommes devant ce film.

 

Alors que dans la vraie vie, c’est Ă©tonnant comme notre aveuglement nous guide trĂšs facilement.

 

Résilience et rebondissements

 

 

Il y a Ă  peine deux mois maintenant, au salon du livre d’Argenteuil, lors d’une discussion  avec une adulte, peut-ĂȘtre grand-mĂšre aujourd’hui, celle-ci a louĂ©, voire presque revendiquĂ©, la trĂšs forte capacitĂ© de « rĂ©silience Â» des enfants.

 

A Ă©couter cette personne sincĂšre et convaincue, on aurait presque pu  conclure que tout enfant qui rencontre et vit des expĂ©riences difficiles ou trĂšs difficiles se « doit Â» d’ĂȘtre « rĂ©silient Â». En caricaturant un peu sa logique, cela aurait pu donner Ă  peu prĂšs ceci :

 

« Les enfants qui vivent la guerre en Ukraine ? RĂ©silients ! Les enfants des gilets jaunes ? RĂ©silients ! Les enfants de celles et ceux dont la rĂ©cente rĂ©forme des retraites imposĂ©e Ă  coup de 49.3 a un peu plus  dĂ©truit celles et ceux, pour qui, deux annĂ©es de travail supplĂ©mentaire, en raison de leurs conditions pĂ©nibles de travail, c’est beaucoup ? RĂ©silients !

Les enfants des migrants morts en pleine mer aprĂšs s’ĂȘtre faits arnaquer par des passeurs ? RĂ©silients !  Â».

 

J’en arrive Ă  me dire que ce genre de raisonnement Ă©mis par des adultes, qu’ils soient des « spĂ©cialistes Â» de la petite enfance, de l’éducation ou d’anciens parents a pour but principal de rassurer ces adultes.

 

Et de leur donner bonne conscience en toute circonstance.

 

Il doit bien se trouver quelques unes et quelques uns de ces adultes parmi ces critiques et journalistes qui ont encensĂ© The Quiet girl. Toujours prompts pour applaudir. Souvent absents lorsqu’il s’agit de vĂ©ritablement tendre la main.

 

Pour ces quelques raisons, j’ai beaucoup de mal avec certains de ces termes avec lesquels nous sommes rĂ©guliĂšrement badigeonnĂ©s comme on peut le faire sur la plage avec de la crĂšme de bronzage avant une exposition prolongĂ©e au soleil :

 

« RĂ©silience Â», « rebondir Â»â€Š

 

Pour moi, la petite Cait attendrit parce qu’il est possible, sans trop de difficultĂ©s, de s’identifier Ă  elle ou aux parents de substitution qui, dans le film, peuvent la sauver.

 

La « petite Â» est touchante. Les adultes qui la recueillent le sont tout autant. Et, entre les deux, il y a des mĂ©chants et des ignorants qui n’en valent vraiment pas la peine ainsi qu’une petite musique qui fait le service comme il se doit.

 

Tout ça, dans une pĂ©riode post-covid et de pĂ©nurie oĂč l’on est devenu d’autant plus sensible au fait d’avoir une maison, son espace de libertĂ© et d’autonomie Ă  soi. Ce qui est le cas des parents de substitution qui ont Ă©galement une souffrance intime et secrĂšte. Ainsi qu’une grande maison bien chauffĂ©e Ă  la campagne oĂč l’on ne manque pas d’amour et de confort matĂ©riel.

 

Dans le film As Bestas de Rodrigo Sorogoyen, sorti en juillet 2022, les hĂ©ros (adultes) paient par la mort et le harcĂšlement leur droit de passage dĂ©finitif  dans ce paradis Ă©tranger pour lequel ils avaient quittĂ© un monde parisien et urbain fait d’artificialitĂ©.

 

Dans The Quiet Girl, nous sommes de plain pied dans la ruralitĂ© sauf que nous dĂ©butons  par le plus mauvais et le plus misĂ©rable de ses extrĂȘmes. Et, il s’agit de nous montrer que, malgrĂ© cela, il reste possible de sauver la petite Cait, et, Ă  travers, elle, de sauver notre Ăąme. MĂȘme si ses sƓurs et son petit frĂšre sont aussi mal partis qu’elle mais de cela on s’en contrefiche puisque l’on se focalise sur Cait.

 

Et puis, ce sera bientĂŽt les vacances d’étĂ© et l’Irlande, c’est vraiment une trĂšs chouette destination pour le tourisme.

 

 

A la fin du film, Ă  Paris, dans cette salle de cinĂ©ma prĂšs d’OdĂ©on, j’ai aperçu deux personnes dont l’émotion Ă©tait trĂšs visible. L’une d’elle essuyait ses larmes dĂ©licatement.

Je me suis quand mĂȘme laissĂ© prendre par l’émotion. Mais quelque chose m’a gĂȘnĂ© dans le film :

 

On nous montre la petite Cait aux « meilleurs Â» moments de sa vie. LĂ  oĂč il est encore, de maniĂšre visible, possible de la sauver. Et lorsqu’elle est encore trĂšs « prĂ©sentable Â». Mignonne, polie, naĂŻve, sans rancƓur, vulnĂ©rable
.

 

Cait est Ă  peu prĂšs tout ce que l’on veut pouvoir attribuer Ă  l’enfance et que nous avons plus ou moins perdu en devenant adultes ou que, une fois devenus adultes, nous avons pour devoir, en principe, de prĂ©server chez les autres.

 

Chez celles et ceux qui nous entourent, petits ou grands, ou que nous aimons.

 

Ou sur ceux envers lesquels nous avons certaines responsabilités et sur qui nous pouvons exercer une certaine autorité.

 

Sauf que, sauvĂ©e ou non, pour moi, il est impossible que la jeune Cait reste aussi douce et aussi parfaite qu’on nous la montre.

 

Et, c’est pareil pour ses parents de substitution.

 

 

Pour moi, l’avenir de Cait pourrait ressembler Ă  quelque hĂ©roĂŻne  du film Moi, Christiane F, 13 ans, droguĂ©e, prostituĂ©e ( 1981) ou du film Requiem for a dream ( 2000).

 

Mais cela, je l’écris seulement parce-que je suis dĂ©primĂ©, aigri, ou dĂ©mesurĂ©ment pessimiste et dĂ©faitiste. Parce-que j’ai des idĂ©es trop noires.

 

Ou parce-que je n’ai absolument rien compris au film.

Ce qui est le propre de la mentalité de tout cynique et de tout perdant.

 

Seuls celles et ceux qui sont combattifs, mĂ©ritants – et rĂ©silients– peuvent vĂ©ritablement apprĂ©cier le film Ă  sa juste valeur.

 

The Quiet Girl  est le film-filtre qui dĂ©partagera les rĂ©silients de tous les autres. AprĂšs la sĂ©ance, les « autres Â» seront priĂ©s de retourner au nĂ©ant prĂ©alable de leur existence sans dĂ©ranger. Puisqu’ils ne sont mĂȘme pas capables de saisir la chance qui leur a Ă©tĂ© proposĂ©e, au travers de ce film, de croire en leur avenir et de se battre pour lui.

 

Parce-que, dans la vraie vie, on aime celles et ceux qui en prennent plein la gueule et qui rĂ©sistent avec le sourire. Parce-que c’est cela, ĂȘtre sain d’esprit.

 

Pourtant, quoi de plus « normal Â» que la dĂ©prime ?

 

Il y a du faux et du suspect, voire de l’inquiĂ©tant, chez celle ou celui qui, en toutes circonstances, en dĂ©pit de ses ratĂ©s, de ses doutes, de ses inquiĂ©tudes ou de ses deuils affirme que tout va trĂšs bien ou que tout se dĂ©roule « absolument comme prĂ©vu Â».

 

Le dirigeant actuel de la Chine, future PremiĂšre Puissance Mondiale hypothĂ©tique, a ratĂ© neuf fois son admission au parti communiste chinois. On peut louer sa persĂ©vĂ©rance ou parler de « rĂ©silience Â» Ă  son sujet et chercher Ă  s’inspirer de son exemple. Pourtant, on peut aussi se dire que les refus qu’il avait rencontrĂ©s ou sa persĂ©vĂ©rance, finalement couronnĂ©e de succĂšs, avaient leurs raisons d’ĂȘtre. Pour notre avenir.

 

Si déprimer est un état désagréable dont on aimerait souvent se dispenser, on peut aussi se dire que cela aurait été mieux si certaines personnes pouvaient simplement accepter de déprimer.

Mais nous sortons de l’hiver. Et mĂȘme si je ne parle pas de celui Ă©voquĂ© dans la sĂ©rie Game of thrones, succĂšs dĂ©jĂ  datĂ©,  quoi de plus normal que de dĂ©primer un peu ou beaucoup en ce moment?

Alors que nous avons changĂ© d’annĂ©e et sommes repassĂ©s Ă  l’heure d’étĂ©. Alors que nous avons Ă©tĂ© plus ou moins Ă©prouvĂ©s par le changement des saisons comme par certains Ă©vĂ©nements divers personnels ou autres  : guerre en Ukraine, pĂ©nuries diverses, augmentation du prix des denrĂ©es alimentaires, du prix de l’essence, rĂ©forme des retraites, conflits sociaux qui en dĂ©coulent, rĂ©chauffement climatique, crise des migrants…

Quoi de plus normal que de dĂ©primer devant certains de ces Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs mais aussi intimes et personnels ? Et d’avoir besoin de rester quelque peu en jachĂšre, ou en retrait, durant quelques temps ?

Le temps de récupérer. Un temps parfois ou souvent difficile à évaluer.

 

Il faudrait ou nous devrions ĂȘtre capables de prĂ©dire combien de temps nous sera nĂ©cessaire afin de pouvoir vĂ©ritablement rĂ©cupĂ©rer des efforts et des Ă©vĂ©nements passĂ©s. Et, autant que possible, nous devrions raccourcir au plus vite cette pĂ©riode de rĂ©cupĂ©ration, pouvoir annoncer son terme afin de pouvoir ĂȘtre Ă  nouveau opĂ©rationnels et disponibles et en premiĂšre ligne sur tous les fronts du monde pour le confort et la satisfaction de quelques autres.

 

Comme s’il ne s’était jamais rien passĂ© de marquant dans notre vie. Comme si le deuil et sa nĂ©cessitĂ© n’existaient pas dans notre vie. Comme si nous Ă©tions des ĂȘtres Ă©ternels et inchangĂ©s malgrĂ© le temps qui passe. Comme si nous Ă©tions indiffĂ©rents Ă  notre usure ou Ă  notre sentiment d’usure ou de blessure intĂ©rieur et personnel.

 

Comme si nous étions, aussi, des piÚces mais aussi des expériences interchangeables.

 

Chaque fois que l’on refuse l’idĂ©e d’ĂȘtre dĂ©primĂ©, on refuse aussi l’idĂ©e de faire partie de l’humanitĂ© et de notre particularitĂ©. Et, on devient, alors, autre chose ou quelqu’un d’autre. Un personnage de film ou de bande dessinĂ©e. Un dictateur ou une petite sainte.

 

MalgrĂ© nos « victoires Â» et nos « succĂšs Â» publics ou d’estime.

Notre sourire intĂ©rieur importe plus que celui qui se voit, se rĂ©compense et s’entend. Lui seul peut vĂ©ritablement nous tenir Ă  distance de la dĂ©prime et de la dĂ©pression. Et, il est plus difficile Ă  obtenir et Ă  prĂ©server.

 

Franck Unimon, ce vendredi 21 avril 2023.

 

 

Catégories
Vélo Taffe

Vélo taffe, réforme des retraites et 49.3

Paris, jeudi 16 mars 2023, Bd Haussmann, Ă  quelques minutes Ă  pied des Galeries Lafayette et de la gare St Lazare. Photo©Franck.Unimon

Vélo taffe, réforme des retraites et 49.3

 

 

Ce jeudi 16 mars 2023, vers 20H30, aprĂšs le travail, pour rentrer chez moi, j’ai pris le mĂȘme chemin que d’habitude.

 

Banlieusard de naissance, je travaille Ă  Paris depuis l’étĂ© 2009. Depuis fĂ©vrier 2021, j’ai dĂ©couvert l’usage et le plaisir du vĂ©lo pliant pour parcourir la seconde partie de mon trajet lorsque je vais au travail. La premiĂšre partie se dĂ©roule en prenant le train avec mon vĂ©lo depuis Argenteuil, une ville de banlieue, oĂč j’habite.

 

Faire le trajet en utilisant uniquement les transports en commun jusqu’à mon lieu de travail m’avait vite rebutĂ© lorsque j’avais commencĂ© dans mon nouveau service en janvier 2021, du cĂŽtĂ© de Denfert Rochereau, dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris. A cause des correspondances, des « problĂšmes Â» de train et de la foule aux heures de pointe.

 

Je n’invente rien. Et je ne me plains pas. Il me faut entre trois quarts d’heure et une heure pour me rendre Ă  mon travail. Certains de mes collĂšgues ont besoin d’une heure et demi ou de deux heures pour le faire que ce soit en voiture ou par le train. Ils n’ont pas eu d’autre choix que de s’éloigner pour pouvoir s’acheter une maison ou un appartement Ă  crĂ©dit. OĂč ils n’ont pas pu trouver d’emploi plus prĂšs de chez eux.

 

Comme moi, et comme d’autres, je crois, mes collĂšgues prennent de l’ñge. Lorsque l’on prend de l’ñge, mĂȘme si l’on vit de plus en plus vieux, certaines contraintes nous pĂšsent davantage. Et encore plus si l’on s’efforce depuis des annĂ©es de remplir nos obligations  malgrĂ© tout. MalgrĂ© les difficultĂ©s inhĂ©rentes Ă  notre mĂ©tier, malgrĂ© les problĂšmes de santĂ©, les inquiĂ©tudes et les contraintes diverses et personnelles, malgrĂ© l’augmentation du coĂ»t de la vie.

 

 

Comme n’importe qui pourrait l’ĂȘtre aprĂšs une deuxiĂšme journĂ©e de travail de 13 heures qui a commencĂ© par un rĂ©veil vers 5h30 du matin, j’étais fatiguĂ© tout Ă  l’heure  en montant sur mon vĂ©lo aprĂšs ĂȘtre sorti de mon service. Mon but Ă©tait en prioritĂ© de rentrer sans accident puisque j’étais fatiguĂ© et Ă  vĂ©lo.

Paris, rue de Rivoli, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

Je n’avais pas prĂ©vu de m’asseoir en rentrant pour Ă©crire un article sur la rĂ©forme des retraites, le 49.3, les gilets jaunes, la pandĂ©mie du Covid et le confinement. Et en montrant des photos que j’ai pu prendre tout Ă  l’heure sur ce trajet que je prends d’habitude lorsque je me rends Ă  mon travail et que j’en reviens. Mais certaines des rĂ©actions suscitĂ©es ce soir par cette rĂ©forme des retraites font partie de notre histoire. Ces photos et cet article auront donc sans doute une certaine importance plus tard.

Paris, rue St Florentin, prĂšs de la place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

C’est la deuxiĂšme fois, maintenant, qu’en sortant de mon travail, je me retrouve un peu dans la mĂȘme situation que le personnage de David Vincent, lorsque celui-ci, en rentrant chez lui en pleine nuit en voiture, aperçoit une soucoupe volante d’extra-terrestres malveillants en train d’atterrir discrĂštement sur « terre Â».

Paris, rue St Florentin, prĂšs de le rue de Rivoli et de la place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

La premiĂšre fois que je m’étais senti un peu comme le personnage David Vincent, c’était en tombant sur ce qui allait devenir la derniĂšre manifestation officielle des gilets jaunes quelques jours avant le premier confinement en mars 2020. ( Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020)

 

Ce soir, la mĂȘme situation s’est rĂ©pĂ©tĂ©e avec ces manifestations suite Ă  l’utilisation du 49.3.

Paris, rue St Florentin, prĂšs de la rue de Rivoli et de la Place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

Pourtant, on ne peut pas dire que la rĂ©forme des retraites ait Ă©tĂ© un sujet « discret Â». On en entend parler depuis des annĂ©es. Avant la premiĂšre Ă©lection du PrĂ©sident Macron, je crois. Et depuis des annĂ©es, c’est un sujet de tension et d’inquiĂ©tude sociale. En France, l’image idĂ©ale du dĂ©part Ă  la retraite rime avec celle d’un repos bien mĂ©ritĂ© aprĂšs des annĂ©es de travail. Si l’on peut au dĂ©part aimer exercer son travail, ses conditions d’exercice et sa pĂ©nibilitĂ© peuvent, avec les annĂ©es, nous le rendre de plus en plus difficile Ă  vivre ou Ă  supporter. Surtout si ses conditions d’exercice se dĂ©tĂ©riorent comme on le voit dans bien des institutions publiques.

Paris, rue St Florentin, en s’Ă©loignant de la rue de Rivoli et de la place de la Concorde, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

Dans mon mĂ©tier d’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, par exemple, un milieu touchĂ© par la pĂ©nurie depuis des annĂ©es et encore plus depuis la pandĂ©mie du Covid, Ă  mesure que l’on prend de l’ñge, le travail de nuit, reconnu comme un travail pĂ©nible, peut avoir des rĂ©percussions sur la santĂ©. Certains horaires matinaux, aussi. Car pour dĂ©buter une journĂ©e de travail Ă  6h45, selon le temps de trajet Ă  effectuer, un rĂ©veil plus prĂ©coce peut nĂ©cessiter, avec le temps, des efforts de plus en plus contraignants. Ensuite, chaque profession a ses difficultĂ©s. Et, certaines de ces difficultĂ©s, selon moi, restent impraticables pour d’autres.

Paris, rue St HonorĂ©, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

Mais si Paris brĂ»le ou a brĂ»lĂ© par endroits, ce jeudi 16 mars au soir, c’est ,selon moi, parce-que depuis trois ans, se sont accumulĂ©es des contraintes et des contrariĂ©tĂ©s diverses. J’en discutais quelques heures plus tĂŽt avec deux collĂšgues dans mon service avant de dĂ©couvrir le rĂ©sultat dans certaines rues de Paris en rentrant :

 

Le mouvement des gilets jaunes avait pour origine une usure sociale et Ă©conomique profonde. Le mouvement a fini par ĂȘtre Ă©touffĂ© Ă  la fois, par certaines de ses dissensions ou ses excĂšs mais aussi parce-que le gouvernement Macron a profitĂ© de la pandĂ©mie du Covid pour dĂ©cider d’un confinement strict et interdire les rassemblements publics. Pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois, nous avons dĂ» accepter une suppression de nos libertĂ©s, limiter nos dĂ©placements, les justifier. Puis, nous avons dĂ» fournir des passe sanitaires et donc nous faire vacciner pour les obtenir. Si bien des personnes ont rapidement Ă©tĂ© consentantes et rassurĂ©es par les vaccins anti-Covid fabriquĂ©s en express, il y a un nombre assez important de personnes- dont je fais partie- qui a acceptĂ© de se faire vacciner sous la contrainte. Afin de pouvoir recouvrer une partie de ses libertĂ©s mais aussi pour conserver son emploi.  

AprĂšs toute cette pĂ©riode de pandĂ©mie du Covid, du confinement et de ses excĂšs, dont nous semblons nous Ă©loigner depuis Ă  peu prĂšs un an ou plus maintenant, la guerre en Ukraine est « arrivĂ©e Â» en fĂ©vrier de l’annĂ©e derniĂšre. Le prix de l’essence a alors enflĂ©. Jusqu’à deux euros le litre d’essence 95. Peut-ĂȘtre plus. Aujourd’hui, on peut trouver des stations service oĂč le litre d’essence est redescendu Ă  1,89 euro le litre. C’est Ă  dire qu’il coĂ»te plus de 40 centimes qu’avant la guerre en Ukraine. Et, Ă  mon avis, son prix ne retrouvera pas le niveau qui Ă©tait le sien avant la guerre en Ukraine.

En plus du coĂ»t l’essence, celui des produits alimentaires a aussi augmentĂ© de quinze pour cent depuis le dĂ©but de la guerre en Ukraine. Dix pour cent d’augmentation supplĂ©mentaires sont prĂ©vus d’ici le mois de juin de cette annĂ©e.

Ensuite, se rajoute le fait que depuis cette annĂ©e, les taux bancaires remontent et que les banques sont plus rĂ©ticentes pour prĂȘter de l’argent aux personnes qui souhaitent obtenir un prĂȘt immobilier. Donc, mĂȘme dans l’immobilier, l’horizon se bouche.

Paris, prĂšs de la Madeleine, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

Et, maintenant, la rĂ©forme des retraites avec le recul de l’ñge du dĂ©part Ă  la retraite qui passe de 62 ans  Ă  64 ans est imposĂ©e Ă  coup de 49.3. Et, par qui ?

 

Par le gouvernement Macron. Le gouvernement du PrĂ©sident Macron, un homme qui n’a pas 50 ans, dont la retraite est dĂ©jĂ  largement plus que bien assurĂ©e- et bien entourĂ©e- et qui donne le sentiment d’avoir toujours Ă©tĂ© privilĂ©giĂ©.

 

Si le sentiment d’appartenance et le sentiment de sĂ©curitĂ© ou d’insĂ©curitĂ© font partie des sentiments qui nous inspirent ou qui permettent de nous dominer, le sentiment de justice ou d’injustice, aussi, peut pousser Ă  agir lorsqu’il est consĂ©quent.

Paris, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

Ce jeudi soir, lors de ces quelques minutes oĂč j’ai « Ă©chouĂ© Â» au milieu de ces manifestations, et oĂč je suis descendu de mon vĂ©lo pour marcher tout en prenant des photos sur mon trajet habituel, j’ai croisĂ© des personnes assez jeunes (dans la vingtaine et trentaine) plutĂŽt souriantes qui se sentaient aussi sans aucun doute victimes d’une grande injustice. Comme les gilets jaunes trois ans plus tĂŽt. Sauf que, lĂ , cette rĂ©forme des retraites concerne une plus grande partie de la population et donc, aussi, des classes sociales plus favorisĂ©es, ou des personnes plus destinĂ©es Ă  occuper des fonctions « supĂ©rieures Â» que les gilets jaunes.

Paris, Bd Haussmann, prĂšs des Galeries Lafayette et de la gare St Lazare, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

MĂȘme si l’on vit dĂ©sormais plus vieux qu’il y a vingt, trente ou quarante ans, nous savons aussi que nous pouvons mourir Ă  n’importe quel Ăąge. Et que notre mort n’est pas automatiquement corrĂ©lĂ©e avec les mauvais choix de vie que nous aurions pu faire. Dans ma famille, on vit vieux. Cela devrait me suffire pour me convaincre que tout ira bien pour moi. Car des personnes retraitĂ©es, que j’ai connues actives, j’en connais dĂ©sormais quelques unes. Et, elles vivent plutĂŽt bien leur retraite alors qu’elles l’ont prise entre 55 et 64 ans. Sans compter quelques personnes de 70 ans ou plus que je peux cĂŽtoyer qui me donnent le sentiment de bien profiter de la vie et de conserver un entrain pour celle-ci. Sauf que deux ans de plus, lorsque ça ne va pas, c’est beaucoup.

 

Si cette rĂ©forme des retraites ne passe pas, c’est parce-que l’avenir continue d’inquiĂ©ter et de se refermer. AprĂšs les jeunes « de Â» banlieue populaire ou dĂ©favorisĂ©e dans les annĂ©es 90-2000, aprĂšs le terrorisme islamiste et l’intĂ©grisme religieux,  aprĂšs les gilets jaunes, c’est au tour des jeunes mais aussi des moins jeunes de classes sociales diverses de refuser de se faire enfermer dans un monde et une vie dont ils ne veulent pas.

Paris, gare St Lazare, jeudi 16 mars 2023. Photo©Franck.Unimon

Etonnamment, Ă  la gare St Lazare, tout est calme. Et, quelques minutes plus tard, lorsque je retrouve Argenteuil, ville de banlieue proche de Paris, dont la rĂ©putation est plutĂŽt mauvaise, tout est calme. Devant ce calme, on pourrait penser que ce je viens d’apercevoir dans la capitale n’a jamais existĂ©.

 

 

Franck Unimon pour balistiqueduquotidien.com, ce vendredi 17 mars 2023.

Catégories
Argenteuil

Au salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 fĂ©vrier 2023

Au salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque d’Argenteuil, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.

 Au Salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 fĂ©vrier 2023

 

 

Ailleurs, ces ilots réfléchis dans la prose et dans des bulles, ont été avalés par le goulot du passé.

 

Depuis des annĂ©es, telle une fin du monde pronostiquĂ©e et ingĂ©rĂ©e cul sec une nouvelle fois, puis une autre fois, et encore une fois, jusqu’à ne plus savoir compter, leur disparition est annoncĂ©e voire souhaitĂ©e avec une certaine ferveur.

 

« Ils Â» seraient devenus pĂ©rimĂ©s, auraient perdu pied. Ils n’auraient plus rien Ă  dire. Toute musique et toute vitalitĂ©, en eux, auraient dĂ©finitivement abdiquĂ©. Ils se seraient taris et auraient abandonnĂ© l’HumanitĂ©.

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque d’Argenteuil, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.

 

Ils ne feraient plus le poids face Ă  la vitesse et aux pulsations volatiles- et versatiles- des images et des Ă©motions que celles-ci nous administrent Ă  hautes doses, face aux croyances technologiques de pointe, aux rumeurs acĂ©rĂ©es, cutanĂ©es et instantanĂ©es, aux publicitĂ©s, au pavot, au feu, Ă  la mĂ©diocritĂ©. Face  aux tombeaux, au pessimisme et Ă  la dĂ©pression. Face aux destructions de toutes sortes y compris celles des arbres.

Au Salon du livre d’Argenteuil, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.
Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.

Ils seraient des ronces et des gadgets dont il faudrait  se dĂ©barrasser. ArrivĂ©s Ă  un certain Ăąge, Ils prendraient beaucoup trop de place comme des jeux d’enfants sans lendemains.  A peine solvables en bourse, ce sont des combustibles beaucoup moins performants qu’une bĂ»che de bois. Si peu savoureux en bouche, Ă  peine vecteurs de protĂ©ines, de glucides ou de lipides, et mĂȘme pas conducteurs d’électricitĂ©, ils ne produisent pas de pĂ©trole, ni de gaz ou de vent. Ils ne se rechargent pas en plein soleil. En plus, ils sont fragiles et ils ne donnent pas l’heure.

 

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.

A cela, il faut ajouter que fabriquer un livre, le lire, le conseiller, le proposer, le commander, le vendre, c’est du boulot.

Au Centre, Gilles, l’un des gĂ©rants de la librairie Presse Papier d’Argenteuil. Avec AgnĂšs REINMANN, PrĂ©sidente de l’association sous les couvertures et l’un des photographes de l’association et de l’Ă©vĂ©nement. Photo©Franck.Unimon
De profil, Catherine, l’une des gĂ©rantes de la librairie Presse Papier avec Pamela ( de face), une des employĂ©es du rayon librairie. Au salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 fĂ©vrier 2023. Photo©Franck.Unimon
Dominique Mariette, interviewĂ© au Salon du livre d’Argenteuil par de jeunes argenteuillaises. Photo©Franck.Unimon
A gauche, la main levĂ©e, Margot, une des employĂ©es de la librairie Presse Papier d’Argenteuil, avec plusieurs des bĂ©nĂ©voles, lors de la pause dĂ©jeuner au Salon du livre d’Argenteuil, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023. Photo©Franck.Unimon

 

Parce qu’il faut prendre son temps pour bien s’occuper d’un livre et pour lui accorder autant d’importance. Par saccades. En hĂ©sitant. En se demandant oĂč l’on se rend et Ă  quoi l’on joue.

 

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.

Parfois, il faut mĂȘme relire ou regarder plusieurs fois les mĂȘmes passages, tourner des pages attentivement pour bien comprendre. Porter l’objet de lecture. Alors que ce que l’on voudrait, dĂ©sormais, lorsque l’on est bien dans le coup, ce serait des objets de plus en plus lĂ©gers, des contenus simplifiĂ©s, ainsi que des interactions beaucoup plus faciles d’usage, Ă  profusion. Et aussi plus de goudron pour avoir devant soi des grands boulevards qui nous emmĂšnent partout et tout de suite lĂ  oĂč on le dĂ©sire.

 

Tout le temps. Sans interruption. Sans avoir besoin de respirer. Sans digestion.

 

Sans imagination, aussi. Mais, cela, ce « n’est pas » une prioritĂ© semble-t’il.

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.

La prioritĂ©, ce serait de prĂ©voir l’avenir avec exactitude et le temps qu’il nous faudra pour effectuer les bonnes opĂ©rations. Pour tout planifier avant « leurre Â». Puisqu’il n’y a que cela de vrai. Et de concret. Alors que lire, c’est d’abord accepter de se faire surprendre. D’oublier le temps que l’on prend. D’accepter d’en perdre. C’est un peu, une folie.

Au Salon du livre d’Argenteuil, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023, au lycĂ©e Georges Braque.

Le salon du livre d’Argenteuil organisĂ© par la librairie d’Argenteuil, Presse Papier,  les bĂ©nĂ©voles de l’association Sous les couvertures et d’autres partenaires, l’a pourtant rappelĂ© ces 4 et 5 fĂ©vrier dernier, dans le lycĂ©e Georges Braque d’Argenteuil, Ă©galement partenaire de l’évĂ©nement :

 

En 2023, au 21 ùme siùcle, il reste encore beaucoup d’otages volontaires qui se laissent prendre et surprendre par des livres afin de devenir plus libres.

Au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque, les 4 et 5 fĂ©vrier 2023.

Tant qu’il y aura des personnes qui voudront faire des pauses et reprendre leur souffle, il y aura des livres. Et tant qu’il y aura des livres, il y aura des personnes qui viendront les ouvrir et puiser dedans divers remùdes et intermùdes.

 

Car on lit peut-ĂȘtre comme on se soigne. Chacun empoigne son remĂšde en adoptant la posologie qui lui est propre. La lecture Ă©tant cette bougie allumĂ©e avec laquelle chacune et chacun s’avance et s’éclaire dans cette pĂ©nombre qui lui est personnelle.

Xavier Leclerc, l’auteur du livre  » Un homme sans titre » au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque. A ses cĂŽtĂ©s, avec la loupe, un des bĂ©nĂ©voles du Salon du livre. Photo©Franck.Unimon

Il y avait beaucoup Ă  parcourir ce  4 et 5 fĂ©vrier 2023 dans ce salon du livre d’Argenteuil dont l’un des thĂšmes Ă©tait En quĂȘte d’AlgĂ©rie.

Plusieurs heures Ă©taient nĂ©cessaires pour bien arpenter ce salon prĂ©parĂ© aussi avec le CollĂšge Paul Vaillant Couturier d’Argenteuil, Les Amis de Georges Braque et la SociĂ©tĂ© Historique et ArchĂ©ologique d’Argenteuil et du Parisis.

Un atelier peinture proposĂ© par l’association NĂ©nuphar d’Argenteuil, au Salon du livre d’Argenteuil les 4 et 5 fĂ©vrier 2023. Photo©Franck.Unimon

 

Plusieurs animations, en plus des interviews d’auteurs et de traducteurs, ont Ă©tĂ© proposĂ©es telles qu’un Escape Game et Le Grand Jeu « En QuĂȘte de Braque Â».

 

Thibaut Dumonet, de la Librairie Presse Papier, en train d’interviewer les auteurs Pierre et François Place au Salon du livre d’Argenteuil, au lycĂ©e Georges Braque. Photo©Franck.Unimon

Lors de ce salon, beaucoup de vies Ă©taient dans ces livres, autour d’eux, sur leurs couvertures, parmi les auteurs et artistes invitĂ©s (Pierre et François Place, Xavier Leclerc
) ainsi que dans ce public venu en trĂšs grand nombre (prĂšs de 3000 visiteurs) les rencontrer.

 

En quittant ce salon, beaucoup sont repartis Ă  la ligne en emportant ailleurs avec eux des parties de vies traduites dans des livres et dans des rencontres.

Franck Unimon, ce lundi 13 mars 2023

Catégories
Cinéma

Les Rascals un film de Jimmy Laporal-Tresor

Les Rascals un film de Jimmy Laporal-Trésor

 

 

Sorti en janvier 2023, aurĂ©olĂ© d’assez bonnes critiques, Les Rascals est passĂ© assez inaperçu devant le public derriĂšre les « colosses Â» Black Panther 2 et Avatar 2 prĂ©sents Ă©galement en salles en ce dĂ©but d’annĂ©e. Cependant, comme dans certaines oeuvres cinĂ©matographiques oĂč l’on a pu voir « dĂ©buter », certaines actrices et acteurs, amusons-nous Ă  mĂ©moriser aujourd’hui le visage et les noms des acteurs principaux de cette piĂšce visuelle. Nous aurons plaisir Ă  nous en rappeler plus tard lorsque certains membres du casting deviendront des artistes « reconnus ».

 

En effet, parmi les assez innombrables sorties de films, de sĂ©ries, et leurs copies, peut-on dire que  Les Rascals est un petit film d’auteur de plus ?

 

CĂŽtĂ© filiation, l’Ɠuvre de Jimmy Laporal-TrĂ©sor, dont l’histoire se dĂ©roule Ă  Paris ainsi qu’en banlieue parisienne dans les annĂ©es 70-80 d’avant l’explosion de l’épidĂ©mie du Sida, m’a tout de suite fait penser Ă  Un Français rĂ©alisĂ© par Diasteme en 2014 et Ă  The Club (Neil Thompson, 2008). Mais, bien-sĂ»r, il peut ĂȘtre reliĂ© Ă  d’autres oeuvres antĂ©rieures en particulier anglo-saxonnes.

Adam ( l’acteur Victor Meutelet) convaincant dans son rĂŽle.

Croquis social, Les Rascals se situe Ă  l’époque oĂč le groupe de rockabilly les Stray Cats avait la cĂŽte tandis que refluait en France hors des cendres du temps un racisme anti arabe et anti noir de plus en plus pressĂ© sur la scĂšne politique française par le Front National du papa de Marine Le Pen. Laquelle Ă©tait alors Ă©trangĂšre Ă  toute ambition politique comme Ă  toute exposition mĂ©diatique. Sa niĂšce Ă©tait alors Ă  peine issue de la conception. Et Eric Zemmour Ă©tait peut-ĂȘtre encore Ă©tudiant, jeune journaliste ou devait faire du porte Ă  porte quelque part en essayant de vendre des tapis de sol pour la pratique du yoga.

FrĂ©dĂ©rique ( l’actrice Angelina Woreth) et Adam( l’acteur Victor Meutelet) « RASCALS »
un film de JIMMY LAPORAL-TRESOR
Paris, FRANCE le 16/07/21
© Jean-Philippe BALTEL / SPADE / AGAT FILMS ET CIE

Comme dans Un Français de Diasteme, le film rĂ©ussit bien le portrait fĂ©minin fascisant de la jeune FrĂ©dĂ©rique (l’actrice Angelina Woreth). Il m’est difficile de savoir si cela a Ă©tĂ© voulu par Jimmy Laporal-TrĂ©sor mais le personnage de la jeune FrĂ©dĂ©rique peut, Ă  un moment donnĂ©, Ă©voquer celui de la jeune femme qui avait appĂątĂ© Ilan Halimi en 2006.

NĂ©anmoins, il est peut-ĂȘtre encore un peu tĂŽt pour que le cinĂ©ma français s’empare d’un rĂŽle fĂ©minin comme celui de la jeune FrĂ©dĂ©rique et le regarde dans les yeux de bout en bout. A l’image de ce que  Diasteme avait pu faire avec le personnage interprĂ©tĂ© par Alban Lenoir dans Un Français.

 

Mais l’un des autres personnages trùs importants du film, c’est la musique.

Musicalement, Ă  l’époque que nous raconte Les Rascals, le Rap  dĂ©marrait pour de bon mais on ne le savait pas encore. Ses danses attiraient davantage l’attention en particulier au TrocadĂ©ro. Dans Les Rascals, on aperçoit Sidney, l’ancien animateur radio, « hĂ©ros Â» d’une Ă©poque avec son Ă©mission tĂ©lĂ©visĂ©e consacrĂ©e au Hip Hop.

 

Bob Marley, lui,  Ă©tait mort depuis peu. Serge Gainsbourg Ă©tait encore vivant. La New Wave avait dĂ©jĂ  ses standards. Le Hard Rock Ă©tait entrĂ© par effraction dans les collĂšges avec AC/DC et Ă©tait Ă  certains ados  ce que le Rap allait devenir ensuite d’abord pour des ados de citĂ©s et de banlieue. Le Zouk arrivait mais le monde ne connaissait pas encore le groupe Kassav’. Le Rock semblait encore ĂȘtre le plus grand armateur musical du monde.

Les Rascals, film sonorisĂ© par le groupe DelgrĂšs, prend particuliĂšrement soin d’ancrer son histoire aussi avec quelques pochettes de disques telles celle de l’album vinyle Thriller de MichaĂ«l Jackson ou celle du groupe antillais Lazair.

 

Culturellement, Jimmy Laporal-TrĂ©sor a d’ailleurs axĂ© son film selon un point de vue antillais. Et, j’ai beaucoup aimĂ© sa description de certains des codes de la culture antillaise. Qu’il s’agisse du recours au CrĂ©ole lors de certains passages ou des relations du hĂ©ros Rudy (l’acteur Jonathan Feltre) avec sa mĂšre. Depuis au moins Rue Cases-NĂšgres adaptĂ© par Euzhan Palcy en 1983, en passant par les films de Jean-Claude Flamand-Barny plus tard, Les Rascals contribue Ă  l’édification d’une mĂ©moire cinĂ©matographique qui inclut les Antilles françaises
dans l’Histoire de France. Car le film montre au grand jour que les Antillaises et Antillais, en France, Ă  l’image de bien des immigrĂ©s, ont pu ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme les restes d’un univers souterrain, ignorĂ©, vitrifiĂ©, sacrifiĂ©.

 

De gauche Ă  droite, Mandal ( l’acteur Marvin Dubart), Boboche ( l’acteur Taddeus Kufus), Rudy ( l’acteur Jonathan Feltre) Rico ( l’acteur Missoum Slimani) Sovann ( l’acteur Jonathan Eap).

Mais Les Rascals est aussi de ces films Ă  classer dans la catĂ©gorie des Stand By me : des copains qui se connaissent depuis l’enfance et meurtris par un environnement et un trauma communs se soudent jusqu’à espĂ©rer franchir ensemble le mur du son du monde adulte.

 

Franck Unimon, ce jeudi 23 février 202

Catégories
Massages

Massage Ă  l’huile au Ban MaĂŻ ThaĂŻ

Au Ban MaĂŻ ThaĂŻ, ce jeudi 26 janvier 2023, aprĂšs le massage. Photo©Franck.Unimon

       Massage Ă  l’huile au Ban MaĂŻ ThaĂŻ

 

Auparavant, je n’avais jamais envisagĂ© qu’une table de massage puisse ĂȘtre une table d’opĂ©ration. Et que la plus grande partie de mon corps recevrait cette opĂ©ration.

 

Nous nous plaignons de relations superficielles. Ce que j’ai vĂ©cu hier avait un peu un  caractĂšre sacrificiel. Mais je ne le savais pas  en choisissant d’entrer dans ce salon de massage au 99, rue GlaciĂšre, dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris, plutĂŽt que dans le salon de thĂ© un peu plus loin. 

 

Tout ce que je voulais, tout ce que je voyais, c’était que j’avais besoin de me rĂ©chauffer.

Paris, prĂšs de St Lazare, le 19 janvier 2023. Photo©Franck.Unimon

A la fin de ce mois de janvier, je me sentais fatiguĂ©. Il faisait froid et humide depuis plusieurs jours. Et cela faisait plusieurs annĂ©es que je m’étais dit que ce serait bien d’aller me faire me masser de temps en temps.

 

Mais par oĂč commencer ? Dans quel lieu de massage ? Il y avait les instituts de beautĂ©, les forfaits massages sans Ăąme, les endroits oĂč l’on vous fait payer le cadre plus que la rĂ©elle habilitĂ© Ă  vous relaxer, les dĂ©barras de sperme camouflĂ©s
.

 

J’en ai fait un peu l’expĂ©rience : en France, lorsque vous parlez massage, on pense tout de suite aux prĂ©liminaires sexuels. On est encore assez peu sportif en France question massage.

 

MĂȘme si l’on parle de yoga, de zen, d’Arts martiaux, d’application de mĂ©ditation, de l’importance de prendre son temps, de se reconnecter avec soi-mĂȘme, dĂšs que l’on parle de massage, un trouble se dĂ©clare. J’ai l’impression que celui qui se montre sympathique ou inoffensif et en profite pour verser en douce du GHB dans un verre est presque plus frĂ©quentable que celui qui va parler de « massage Â».

 

« Je n’aime pas que l’on me touche Â» m’a dit hier soir une collĂšgue plutĂŽt sympathique alors que nous marchions tous les deux cĂŽte Ă  cĂŽte en discutant vers le mĂ©tro. Pour plaisanter, je lui ai alors demandĂ© :

« J’espĂšre que je ne suis pas trop prĂšs de toi pendant qu’on parle ». Elle a souri voire elle a rigolĂ©. Un peu.

 

J’ai un rapport diffĂ©rent au massage. Un jour, un de mes collĂšgues formĂ© Ă  la psychanalyse qui doit Ă  mon avis peu se faire masser m’a dit :

« Le corps, c’est l’inconscient Â». ça m’a marquĂ©. Notre corps nous marque et nous attache. Et un massage marche sur toutes ces marques et toutes ces attaches que notre histoire nous a laissĂ©e. Cela n’a pas grand chose de sexuel mĂȘme si un massage peut aussi ĂȘtre d’inspiration sexuelle.

 

J’ai Ă©tĂ© sportif et le suis encore un peu. Et, pour moi, un massage, cela a d’abord Ă©tĂ© d’ordre sportif. Lorsqu’un joueur de tennis se fait masser sur un court de tennis, le but recherchĂ© n’est pas l’obtention d’une plus grande Ă©rection mĂȘme si son but, ensuite, consistera Ă  faire tout son possible pour envoyer profond sa balle de tennis (ne changez pas le mot en chemin dans votre tĂȘte, s’il vous plait) dans les limites du terrain adverse.

 

Mais avant le sport, j’avais appris dĂšs l’enfance Ă  approcher un autre corps par la danse et la musique. C’était une rĂšgle et mĂȘme une obligation culturelle et sociale. Ne pas savoir danser avec quelqu’un d’autre, c’était la honte. Et, je parle d’une danse rapprochĂ©e. Avec des titres aussi longs voire plus longs que les slows cĂ©lĂšbres.

 

Enfin, le chĂątiment corporel, y compris en public, ça peut aussi dĂ©complexer question rapport Ă  son propre corps. Cette semaine, ma fille m’a demandĂ© si, enfant, j’avais connu des maitres Ă  l’école qui tiraient les oreilles. Oui, ma fille. Et mĂȘme des maitres qui giflaient. J’ai mĂȘme reçu un coup de pied dans le derriĂšre. Tiens, je vais te raconter une histoire. Figure-toi qu’un jour, ton grand-pĂšre est allĂ© voir mon maitre avec moi Ă  l’école. J’étais en CE2. Il a dit Ă  mon maitre : «  Vous savez, Franck, s’il fait des bĂȘtises, vous pouvez le frapper
. Â».

 

Sourire.

 

Ça peut vous dĂ©complexer avec le fait que l’on touche votre corps. Ça et  toutes ces expĂ©riences sensorielles oĂč notre corps est sollicitĂ©. A travers une pratique sportive, pour peu que l’on se soit appliquĂ© Ă  ĂȘtre aussi performant que possible dans la durĂ©e, on fait l’apprentissage de certaines rĂ©actions de notre corps. Voire, on les accepte. Peut-ĂȘtre trop, aussi.

 

Quelqu’un m’a dit un jour : « Je n’aime pas transpirer Â». ça m’a marquĂ©.

 

Mais si le massage donne souvent l’impression Ă  certains d’ĂȘtre seulement l’antichambre d’Eros, la suite de cette anecdote a plutĂŽt Ă  voir avec le seuil de douleur que l’on accepte d’approcher. Car si ma collĂšgue –celle qui n’aime pas se faire masser-  a d’ores et dĂ©jĂ  de l’arthrose dans les genoux au point de prĂ©fĂ©rer l’escalator aux escaliers, le massage d’hier m’a catapultĂ© dans une expĂ©rience trĂšs engagĂ©e du massage. Il n’y avait absolument rien de superficiel dans ce que j’ai vĂ©cu hier.

 

Je l’ai dĂ©jĂ  fait comprendre, je n’avais pas d’apprĂ©hension en entrant dans ce salon de massage hier. J’avais Ă  peu prĂšs deux heures devant moi avant de retourner au travail pour une rĂ©union. Un peu plus tĂŽt dans l’aprĂšs-midi, dĂ©jĂ , je m’étais arrĂȘtĂ©, rue du Cherche-Midi, dans un salon de massage chinois bien recommandĂ© par certains avis lus sur internet. C’était sur mon trajet avant de me rendre Ă  une confĂ©rence Ă  mon travail sur les UMJ (les unitĂ©s mĂ©dico-judiciaires). Je me suis contentĂ© d’un massage des pieds de quinze minutes. Bain de pieds chaud au prĂ©alable. Puis, massage des pieds en commençant par les chevilles. Je m’attendais Ă  un massage plus poussĂ© des pieds mais cela fut agrĂ©able. En plus, comme c’était une pĂ©riode creuse, j’ai eu le droit Ă  un (petit) massage de la nuque. Avant de partir, on m’a aussi servi un thĂ©. 15 euros pour 15 minutes au lieu de 20 euros. Je me suis ensuite dirigĂ© vers la gare Montparnasse.

 

AprĂšs le sĂ©minaire, j’avais Ă  peu prĂšs deux heures de libres. J’en ai profitĂ© pour dĂ©couvrir un peu plus les environs. Je suis passĂ© devant ce salon de massage thaĂŻlandais, le Ban MaĂŻ ThaĂŻ. ExtĂ©rieurement, il m’a fait une plutĂŽt bonne impression. Et ses tarifs pour une heure de massage, bien qu’un peu Ă©levĂ©s par rapport Ă  mes enseignements (un euro par minute de massage) restaient observables. Je ne suis pas entrĂ© tout de suite. J’ai continuĂ© de me balader.

Paris, prĂšs de la rue GlaciĂšre, ce jeudi 26 janvier 2023. Photo©Franck.Unimon

 

Puis, je suis revenu environ trente minutes plus tard.

 

J’ai Ă©tĂ© formĂ© au massage bien-ĂȘtre. J’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© massĂ© un certain nombre de fois. C’était un des principes de la formation. Masser des personnes diffĂ©rentes et se faire masser par des personnes diffĂ©rentes. Je suis donc entrĂ© hier en demandeur et en « connaisseur Â». Du moins, en connaisseur de ce que je connaissais dĂ©jĂ .

 

Massage (complet) aux huiles ou massage thaĂŻlandais ? Telle Ă©tait la question. On partait pour une heure, de toute façon, pour 70 euros. Je pouvais accepter ce tarif. C’était la fin du mois. Plus cher, j’aurais tiquĂ© pour une premiĂšre fois.

 

La femme qui m’accueillait, trĂšs certainement d’origine thaĂŻlandaise, Ă©tait tout sourire. Et, dans son Français, elle faisait de son mieux pour me renseigner. Elle m’a assez vite dirigĂ© vers le massage aux huiles. Mais je trouvais que ça faisait trop clichĂ©, le client qui demande un massage aux huiles. J’avais encore en tĂȘte le massage californien et peut-ĂȘtre aussi le titre HĂŽtel California des Eagles.  

 

MalgrĂ©  toutes les informations devant moi, je n’avais toujours pas traversĂ© l’ocĂ©an pacifique jusqu’à l’Asie.

 

J’ai vraiment eu envie du massage thaĂŻlandais. Je pensais Ă  des Ă©tirements tout en douceur


 

Lorsque je lui ai demandĂ© si ce massage faisait du bien ensuite, mon hĂŽtesse m’a rĂ©pondu en gardant son sourire qu’aprĂšs je prendrais peut-ĂȘtre du doliprane. Mais que le lendemain, je me sentirais bien. Puis, presqu’en forçant sa nature, elle s’est montrĂ©e un peu directive en me disant « Je pense que le massage aux huiles, ce serait bien pour la premiĂšre fois Â».

 

Je l’ai Ă©coutĂ©e. J’ai bien fait.

 

J’ai d’abord payĂ©. Puis, elle m’a apportĂ© une paire de sandales. Je me suis dĂ©chaussĂ©. J’ai voulu me lever pour amener mes chaussures. Elle m’a fait comprendre que c’était son travail et elle les a dĂ©posĂ©es prĂšs d’autres chaussures rangĂ©es Ă  l’entrĂ©e. Il y avait une paire de baskets Nike blanches.

 

Vous voulez aller aux toilettes ? J’ai acquiescĂ©.

 

Ensuite, toujours souriante, elle m’a demandĂ© si j’avais mal quelque part. J’ai donnĂ© quelques indications. Puis, elle s’est volatilisĂ©e. Peu aprĂšs, elle est revenue avec une jeune femme, d’une trentaine d’annĂ©es Ă  peine, aussi petite qu’elle, Ă  peu prĂšs un mĂštre soixante, peut-ĂȘtre moins. Toute aussi souriante, celle-ci m’a accompagnĂ© vers un escalier qui nous a fait descendre jusqu’à une petite piĂšce oĂč attendait une salle de massage. Je dirais que la salle devait faire dans les 6 mĂštres carrĂ©s. Tout Ă©tait optimisĂ©. La table, deux cintres, de quoi poser ses vĂȘtements. La lumiĂšre Ă©tait apaisante. Une musique mĂ©lodique et sans doute trĂšs uniforme aussi n’a cessĂ© de couler pendant la sĂ©ance.

 

Ma future masseuse m’a remis un sachet fermĂ© contenant  un slip jetable bleu qui avait l’allure d’un string et s’est Ă©clipsĂ©e. Lorsqu’elle est revenue et que je l’attendais, allongĂ©e sur le dos, celle-ci s’est aperçue que j’avais mis le slip Ă  l’envers. Petit rire. Nouvelle Ă©clipse. Nouveau retour.

 

Je me suis allongĂ© sur le ventre comme elle me l’a demandĂ©. J’ai fermĂ© les yeux. J’ai Ă©tĂ© recouvert de serviettes chaudes. Puis, sans beaucoup attendre, ma masseuse souriante a encastrĂ© son « savoir- fer » dans mon corps. Elle a bien dĂ» monter sur la table afin de  mettre tout son poids. En tout cas, elle m’est montĂ©e dessus ou a roulĂ© sur mon corps. Alors, je me suis rappelĂ© ce que j’avais entendu dire, dans le passĂ©, Ă  propos de ces massages en ThaĂŻlande qui pouvaient ĂȘtre difficiles Ă  supporter physiquement.

 

Cinq Ă  dix minutes Ă  peine s’étaient passĂ©es que je louais mes capacitĂ©s expiratoires afin d’accepter le programme essorage de ma jeune praticienne. Je n’ai pas perçu d’agressivitĂ© particuliĂšre de sa part mais je me suis bien demandĂ© oĂč Ă©tait la frontiĂšre  consciente entre un massage et un acte de guerre.

Bien-sĂ»r, j’ai pensĂ© Ă  la torture. Cet ensemble d’actions par lequel on refuse que l’autre nous Ă©chappe.

Mais quand je pense Ă  la guerre, c’est pour cette grande connaissance du corps humain. Tant pour la connaissance de ses points faibles que de ses zones de rĂ©sistance.

 

« You, Ok ? Â» m’a demandĂ© gentiment ma masseuse par intervalles de dix minutes. Elle semblait bien renseignĂ©e quant au fait que je pouvais connaĂźtre des moments difficiles.

 

J’ai rĂ©pondu, oui.

 

Je me suis dit que le peuple thaĂŻlandais devait ĂȘtre un peuple particuliĂšrement souple pour avoir ce type de massage-repassage.

 

Cependant, Ă©tant allongĂ© sur le ventre, et stimulĂ© en profondeur comme je l’étais, j’ai commencĂ© Ă  redouter la venue d’une Ă©rection. J’ai pensĂ© Ă  Desproges qui, dans un de ses sketches, racontait ce malaise qu’il avait pu ressentir en Ă©tant collĂ© Ă  un de ses voisins dans l’ascenseur exigu de son immeuble mais aussi sa crainte de voir survenir en lui une Ă©rection.

 

Mon inquiĂ©tude a Ă©tĂ© facilement Ă©conduite. La tonicitĂ© du massage et les Ă©tirements assez poussĂ©s ne s’accouplaient pas avec une Ă©rection. Et l’intention de ma masseuse aussi, sans aucun doute.

 

Tout cela, c’était la prise en main, Ă  sec, des jambes et des pieds. Nous n’en n’étions qu’au commencement.

De l’huile chaude est arrivĂ©e sur ma peau. Juste comme il faut. Ma masseuse a poursuivi son travail de conquĂȘte cutanĂ©e. Parvenue en haut de mon dos, mes jambes recouvertes Ă  nouveau par une serviette, il y a eu un premier craquement. Puis un second. Puis un troisiĂšme. Elle n’allait pas laisser passer ça.

 

« You, ok ? Â».

 

Dans cette sĂ©ance de massage particuliĂšrement satisfaisante, le summum a Ă©tĂ© atteint lorsqu’elle s’est occupĂ©e de mes omoplates. En particulier, peut-ĂȘtre du muscle trapĂšze. Elle m’a donnĂ© l’impression de le tasser avec son coude.

 

Coudes, poids du corps sur la table et poing Ă©taient en libre service lors de cette sĂ©ance.  

 

Le massage du ventre et des pectoraux Ă©tait moins accompli mais j’avais eu mon compte. Une fois installĂ© sur la table de massage, l’heure est passĂ©e rapidement.

 

AprĂšs m’ĂȘtre rhabillĂ©, je suis remontĂ©. Un thĂ© chaud m’attendait avec une coupelle contenant quelques fruits. Ainsi que mes chaussures.

AprĂšs le massage, hier. Photo©Franck.Unimon

J’ai revu celle qui m’avait massĂ© et lui ai demandĂ© son prĂ©nom. J’avais un peu de mal Ă  la reconnaĂźtre. Je n’avais fait que l’apercevoir.  Il m’a semblĂ© qu’elle estimait n’avoir fait que son travail. Ce qui Ă©tait vrai. Mais c’était un travail plutĂŽt bien fait et il fallait le remarquer. La jeune masseuse, aprĂšs m’avoir prononcĂ© son prĂ©nom Ă  la ThaĂŻlandaise m’a amenĂ© une carte du salon en souriant. Je l’ai prise mĂȘme si j’en avais dĂ©jĂ  une. Puis, elle a disparu pour rejoindre d’autres masseuses dans une piĂšce oĂč j’avais l’impression qu’elles s’y mettaient Ă  plusieurs pour s’occuper d’une personne.

 

 Â« L’ hĂŽtesse Â» s’est aussi assurĂ©e que tout s’était bien passĂ©. Dans ce genre de commerce souvent tenu par des femmes, j’ai l’impression, un homme est venu discrĂštement prendre la suite Ă  l’accueil. Le salon allait fermer dans moins d’une heure.

Devant le Ban MaĂŻ ThaĂŻ, ce jeudi 26 janvier 2023, vers 19h. Photo©Franck.Unimon

 

Entre 11h et 14h, l’heure de massage descend Ă  57 ou 56 euros. Je reviendrai sĂ»rement en profiter un jour.

 

Mon corps Ă©tait rĂ©chauffĂ© lorsque je suis parti. La prochaine fois, j’irai aussi au salon de thĂ© qui se trouve un peu plus loin.

 

Je suis arrivĂ© avec environ vingt minutes de retard Ă  ma rĂ©union au travail. J’étais un petit peu ailleurs. Mais il n’y avait pas de nĂ©cessitĂ© de s’agiter. Et puis, je faisais partie des prĂ©sents dans la salle. Quelques autres collĂšgues Ă©taient sur Skype.

 

La rĂ©union a durĂ© moins longtemps que je ne l’avais prĂ©vue. En partant, je n’ai pas eu l’impression d’avoir perdu mon temps. J’ai mĂȘme fait une partie du trajet avec une de mes collĂšgues qui n’aime pas qu’on la touche. Nous avons discutĂ©. C’était un moment assez privilĂ©giĂ©, personnel et dĂ©tendu. C’était la premiĂšre fois que nous le faisions en dehors du service.

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 janvier 2023.

 

 

 

 

 

Catégories
En Concert

Rodolphe Burger, Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab en concert au New Morning ce 15 décembre 2022

Rodolphe Burger avec Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab au New Morning ce 15 décembre 2022

Sofiane SaĂŻdi, Rodolphe Burger et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022 Ă  la fin du concert. Photo©Franck.Unimon

 

La musique et ses artistes. Nos choix, nos mesures. Ceux que l’on a retenus, ceux qui nous ont laissĂ© leur morsure et d’autres, leur monture. Je reste inconsolĂ©, dĂ©sormais, chaque fois que je repense Ă  Finley Quaye qui avait tout pour lui et qui a tout perdu Ă  la fin des annĂ©es 90 :

Le charme, le toucher de guitare Jazz,  la « soul Â», le Reggae, l’électronique, la voix, la chaleur, la crĂ©dibilitĂ©, la cĂ©lĂ©britĂ© Ă  moins de 25 ans aux cĂŽtĂ©s de piliers comme Massive Attack, Tricky, Portishead, Björk. Björk dont, dĂ©sormais, le montant des places de concert,  ressemble Ă  celui de certains restaurants luxueux que seules peuvent s’offrir des personnes aisĂ©es et mondaines qui vont se faire « Un Björk Â» comme on va « se faire un Picasso Â» ou des fans prĂȘts Ă  se mettre Ă  dĂ©couvert et Ă  endetter leur descendance sur trois gĂ©nĂ©rations pour rester fidĂšles Ă  « leur Â» artiste.

Finley Quaye ne connaĂźtra pas ça. Cette vie de star Ă©tait peut-ĂȘtre trop dure pour lui. Et, il n’est pas le seul Ă  qui cela est arrivĂ© et Ă  qui cela arrivera.

Cela n’arrivera pas ou ne devrait pas arriver Ă  Rodolphe Burger, Sofiane SaĂŻdi et Mehdi Haddab. Des trois, et il faudra m’excuser pour cela, le premier est celui que je connais le « mieux Â». MĂȘme si c’est peu, je ne compte pas m’inventer un Savoir artificiel pour parler d’eux.

Mehdi Haddab, Ă  droite, la main sur son oud, Rodolphe Burger au milieu, puis Sofiane SaĂŻdi au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022 Ă  la fin du concert. Photo©Franck.Unimon

Mehdi Haddab, je sais qu’il a jouĂ© avec Smadj, qu’il a Ă©lectrifiĂ© son Oud dont il est l’un des plus grand maitres actuels depuis une bonne vingtaine d’annĂ©es. J’ai lu qu’aprĂšs avoir d’abord Ă©tĂ© guitariste rock qu’il avait ensuite appris Ă  jouer de son instrument avec les plus grands Maitres. En particulier, en Egypte. En cela, mĂȘme si son parcours est Ă©videmment singulier et personnel, il peut rappeler l’Anglaise Susheela Raman, lorsque celle-ci Ă©tait partie perfectionner son chant en Inde avant de se faire connaĂźtre internationalement.

 

Mehdi Haddab, franco-algĂ©rien, avant d’ĂȘtre un trĂšs grand musicien, a Ă©tĂ© un trĂšs grand cosmopolite. Sur le net, je suis tombĂ© sur une interview de lui (datĂ©e de 2016) par la journaliste Anne Berthod pour TĂ©lĂ©rama.  Ses propos concernant un concert de m’balax « pur et dur, hardcore, musicalement trĂšs Ă©levĂ© Â» de Pape Diouf au Thiossane, commencĂ© Ă  2 heures du matin pour se terminer Ă  6 heures, m’ont donnĂ© envie d’ĂȘtre avec lui Ă  ce moment-lĂ . Mais, pour cela, encore faut-il ĂȘtre prĂȘt Ă  voyager par la musique Ă  deux heures du matin en pays Ă©tranger.

Sofiane SaĂŻdi et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Nos rencontres et nos soirĂ©es, tant que l’on en connaĂźt, nous permettent de nous dispenser de ce genre de dĂ©calage horaire comme de ce genre de trajet Ă  forte valeur ajoutĂ©e kilomĂ©trique, ou, au contraire, Ă  les rechercher. Typiquement, ces rencontres et ces soirĂ©es Ă  forte tendance musicale correspondent Ă  cette pĂ©riode grosso modo situĂ©e entre nos premiĂšres bouffĂ©es de chaleur dues Ă  la prĂ©adolescence jusqu’ Ă  leurs effets ou conclusions couronnĂ©es ou non de succĂšs au dĂ©but de l’ñge adulte. Un Ăąge adulte qui varie encore selon les individus mais qui dĂ©bouche quand mĂȘme Ă  peu prĂšs toujours et sensiblement sur la mĂȘme espĂšce de conclusions. Celles-ci consistent gĂ©nĂ©ralement Ă  se retrouver dans le monde du travail, aprĂšs avoir connu si possible quelques accouplements uniques ou rĂ©pĂ©tĂ©s plus ou moins satisfaisants, plus ou moins secondaires, avec ou sans progĂ©niture active, mais avec de la fatigue, quelques kilos et du ventre en trop. Et, aussi,  pour certaines et certains, en ayant « attrapĂ© Â» des addictions au passage.   

 

PassĂ© ce cap oĂč l’on sort le soir comme l’ensemble des personnes de notre entourage et d’à peu prĂšs notre Ăąge, il reste un noyau dur. Tant du cĂŽtĂ© des artistes que du cĂŽtĂ© de celles et ceux qui viennent les voir et les Ă©couter. Celui pour lequel, la musique reste une matiĂšre indispensable. Pour laquelle, on acceptera de continuer de se dĂ©placer qu’il s’agisse dans un festival, un concert ou, simplement, une mĂ©diathĂšque ou un fournisseur physique ou numĂ©rique d’accĂšs Ă  la musique.

 

Rodolphe Burger, Sofiane Saïdi et Mehdi Haddab sont des artistes et des personnes pour lesquelles la musique est une matiùre indispensable. Il ne s’agit pas d’une mode pour eux.

 

Sofiane SaĂŻdi au premier plan au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. En arriĂšre plan, Mehdi Haddab. Photo©Franck.Unimon

Sofiane SaĂŻdi, AlgĂ©rien, je l’ai dĂ©couvert ce 15 dĂ©cembre sur scĂšne. Mehdi Haddab, je l’avais mĂȘme croisĂ© sur scĂšne en faisant partie des figurants d’une piĂšce de théùtre Ă  laquelle il participait en tant que musicien au Figuier blanc, Ă  Argenteuil. Une version modernisĂ©e d’Othello avec le rappeur Disiz la Peste dans le rĂŽle d’Othello, mais aussi avec l’acteur Denis Lavant et la musicienne Sapho et d’autres comĂ©diens et danseurs. Mais Sofiane SaĂŻdi, inconnu pour moi. Sur scĂšne, au New Morning, ce 15 dĂ©cembre, c’est lui qui rappellera la grande Cheikha Rimitti mais aussi que des personnes sont mortes en AlgĂ©rie pour s’ĂȘtre exprimĂ©es au travers du RaĂŻ. Et, leur premiĂšre partie, dont j’ai oubliĂ© le prĂ©nom et le nom, lui, rappellera Rachid Taha.

 

Rodolphe Burger, voix et guitare, c’est d’abord un Alsacien. Mais aussi le meneur ou l’un des meneurs du groupe Kat Onoma. C’est comme ça que j’avais entendu parler de Rodolphe Burger, la premiĂšre fois. Dans les annĂ©es 90-2000. Le titre Scie Ă©lectrique m’avait particuliĂšrement attirĂ©. Rodolphe Burger ne chante pas tout Ă  fait. Il « parle-chante Â» Ă  la façon d’un Alain Bashung (ou d’un Serge Gainsbourg sans les excĂšs de langage) que j’écoutais davantage dans les annĂ©es 90-2000 et que j’étais allĂ© voir en concert.

Rodolphe Burger au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

 

Je n’avais pas trop Ă©coutĂ© les paroles chantĂ©es-parlĂ©es par Burger. C’était la musique, principalement, qui avait occupĂ© mon attention. AprĂšs cet album intitulĂ© Kat Onoma, je n’avais pas essayĂ© d’en savoir plus sur Rodolphe Burger.

 

Puis, j’ai Ă©tĂ© surpris de tomber sur lui dans un des films de Rabah Ameur-ZaĂŻmeche, un rĂ©alisateur dont j’ai vu la plupart des films au cinĂ©ma. Il devait s’agir du film Dernier maquis (2008) ou Les Chants de mandrin (2012). On y voyait Rodolphe Burger jouer seul de la guitare en plein dĂ©sert. Un peu Ă  la façon du titre White dans l’album Aura de Miles Davis.

 

MalgrĂ© cette surprise, je n’ai pas Ă©tĂ© plus curieux que ça envers Rodolphe Burger.

 

Jusqu’à l’annĂ©e derniĂšre.

Rodolphe Burger au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

J’ai oubliĂ© ce qui s’est passĂ©. La radio n’y est pour rien. Pas plus qu’un Ă©ventuel « tube Â» de Rodolphe Burger. Par contre, il y a quelques mois, j’ai empruntĂ© l’album Before Bach qui date de 2004 dans lequel Rodolphe Burger, Erik Marchand, le chanteur breton et
Mehdi Haddab jouent ensemble sur plusieurs titres pour ne pas dire tous les titres de l’album.

Mehdi Haddab au centre, et Rodolphe Burger au New Morning ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Il suffit d’une circonstance, d’une rencontre, d’une soirĂ©e ou d’un titre pour qu’ensuite tout s’enclenche. Ce peut donc ĂȘtre cet album oĂč le fait d’avoir vu une photo en noir en blanc de la musicienne Sarah Murcia, au Triton, aux Lilas, l’annĂ©e derniĂšre, puis d’avoir dĂ©couvert ensuite sa reprise avec Rodolphe Burger du titre Billie Jean de MichaĂ«l Jackson qui m’a « rattrapĂ© Â».

 

Aujourd’hui, avec ses cheveux blancs, sa longĂ©vitĂ©, ses diverses traversĂ©es de par le monde, et son absence voire son silence dans les mĂ©dia qui font le buzz, je vois Rodolphe Burger comme une sorte d’Eric Tabarly. Un Tabarly qui continue de multiplier les projets sur les divers ocĂ©ans de la musique. Sa musique n’est pas gentille. MĂȘme si elle peut ĂȘtre douce et mĂ©ditative, ou drĂŽle et absurde, elle laisse aussi fermenter ses rĂ©cifs qui se dirigent droit sur nous alors que l’on ne s’y attend pas.  

 

Quitte Ă  me contredire sur la « gentillesse Â», je vous invite aussi Ă  Ă©couter l’album Environs sorti en 2020. Pour l’instant, Lost & Looking (avec Sarah Murcia)  et La Chambre (avec Christophe et Philippe Poirier)  y sont mes titres prĂ©fĂ©rĂ©s.  

Sofiane SaĂŻdi et Mehdi Haddab au New Morning, ce 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Il eut Ă©tĂ© regrettable de rater ce concert du 15 dĂ©cembre au New Morning. Lequel Ă©tait complet. PlutĂŽt majoritairement masculin, d’une moyenne d’ñge de 40-45 ans, il se trouvait un public fĂ©minin bien prĂ©sent. Les trois artistes ont vraisemblablement attirĂ© leurs publics conjoints et respectifs. La place de concert a coĂ»tĂ© 40 euros.

Franck Unimon, ce mardi 17 janvier 2023.

 

Catégories
BD ou Bulles dessinées

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinée de Frédéric Ciriez et Romain Lamy

 

Frantz Fanon dans une bande dessinĂ©e ? Cela a de quoi faire rigoler. Mes premiĂšres bandes dessinĂ©es n’avaient rien d’aussi rĂ©volutionnaire mĂȘme lorsqu’elles devinrent fantastiques. Mais cette bande dessinĂ©e n’a rien de rigolo.

 

Celle de FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy, parue en 2020 aux Ă©ditions de la DĂ©couverte, raconte la rencontre en Italie entre Fanon – dĂ©jĂ  atteint de la leucĂ©mie dont la lave l’emportera dans un hĂŽpital amĂ©ricain-  et Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir et Claude Lanzmann.

C’est Ă  dire quelques mois avant la mort du rĂ©volutionnaire, psychiatre, Ă©crivain et penseur martiniquais.

Au dĂ©but, en apprenant que cette bande dessinĂ©e se « rĂ©sumait Â» Ă  cette partie de l’existence brĂšve et trĂšs intensive de Fanon (celui-ci est mort Ă  36 ans), j’ai Ă©tĂ© un peu frustrĂ© qu’on la ramĂšne « encore Â» Ă  Sartre et Ă  Simone de Beauvoir.

 

Lanzmann, le rĂ©alisateur de La Shoah, l’ancien rĂ©sistant, l’écrivain et l’amant durant plusieurs annĂ©es de Simone de Beauvoir, a permis cette rencontre entre Fanon (qui la rĂ©clamait) et Sartre :

« Dites Ă  Sartre que je pense Ă  lui chaque fois que je me mets Ă  ma table de travail
 Â».

 

Il faut ĂȘtre vieux, fĂ©ministe, Juif, Africain, Antillais ou s’intĂ©resser un peu Ă  l’Histoire et Ă  la guerre d’AlgĂ©rie pour avoir entendu parler de Fanon, Sartre, Beauvoir et Lanzmann. Ou c’est peut-ĂȘtre un fantĂŽme qui revient.

 

Fanon est mort en 1961.

 

Si FrĂ©dĂ©ric Ciriez, nĂ© en 1971, est assez « vieux Â», sa naissance Ă  Paimpol ne fait pas de lui un Africain ou un Antillais Ă  premiĂšre vue. Et, pour Romain Lamy, le dessinateur, c’est encore « pire Â» car il est nĂ© Ă  Grenoble en 1982, le « jeunot Â» !

 

Et, il faut suffisamment aimer lire des bandes dessinĂ©es pour dĂ©couvrir Frantz Fanon de FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy. Une bande dessinĂ©e assez imposante dont il « faut Â» tourner les plus de deux cents pages, impossible Ă  faire rentrer dans sa poche contre son smartphone et plus lourde qu’une tablette tactile.

 

Pourtant, en France, la bande dessinĂ©e, sous toutes ses formes, se porte bien. C’est un monde que je vois de trĂšs trĂšs loin depuis des annĂ©es. Car bien lire prend du temps et il y a tant Ă  lire.

Fanon est un nom qu’aujourd’hui Ă  l’époque de BĂ©yoncĂ©, Rihanna, Billie Eilish, Dua Lupa, Booba, Aya Nakamura, Niska ou Tiakola, beaucoup ne connaissent pas du tout. 

 

Il y a les nostalgiques et les quelques « spĂ©cialistes Â» qui voient bien ou un peu qui a pu ĂȘtre Fanon tout en dansant par ailleurs sur le dernier tube de Rihanna, Dua Lipa ou Niska.

Au spot 13, novembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Et puis, il y a le plus grand nombre qui n’a jamais entendu parler de Frantz Fanon.

 

La salle ovale de la Bnf Richelieu, en octobre 2022, Ă  la fermeture. Photo©Franck.Unimon

 

Dans la salle ovale de la Bnf Richelieu, en plein Paris, Ă  la fin de l’annĂ©e derniĂšre, en 2022, j’avais dĂ» Ă©peler plusieurs fois le prĂ©nom et le nom de Frantz Fanon Ă  une des bibliothĂ©caires afin qu’elle effectue des recherches pour trouver la bande dessinĂ©e de Ciriez et de Lamy. Lorsque l’on sait que Frantz Fanon Ă©tait un trĂšs grand lecteur, du type « supersonique Â», et qu’il aurait sans aucun doute aimĂ© frĂ©quenter ce genre d’endroit, on peut se dire que l’univers de la Culture et du Savoir peut beaucoup manquer de mĂ©moire et connaĂźtre des trĂšs grands ratĂ©s.

Car Fanon, avec AimĂ© CĂ©saire et Edouard Glissant, fait partie des premiĂšres personnalitĂ©s noires et antillaises Ă  avoir faire connaĂźtre la Martinique dans le monde  depuis l’abolition de l’Esclavage en 1848. 

 

Sauf que Fanon, du fait de son engagement auprĂšs du FLN algĂ©rien durant la guerre d’indĂ©pendance contre la colonisation française (« L’AlgĂ©rie, c’est la France Â») et de ses Ă©crits en faveur d’une violence armĂ©e Ă©mancipatrice et « thĂ©rapeutique Â» car dĂ©colonisatrice et promettant l’avĂšnement d’un homme (et d’une femme) nouveau et libre a beaucoup crispĂ©.

 

Fanon, en France, a donc Ă©tĂ© « oubliĂ© Â» par l’Histoire officielle alors que son nom peut ĂȘtre trĂšs connu Ă  l’étranger, aux Etats-Unis ou en Afrique. C’est la raison pour laquelle la bande dessinĂ©e de Ciriez et Lamy est importante car elle rend plus visible et plus facilement accessible une partie de la vie de Fanon. On peut la voir comme un « prolapsus Â» de l’Histoire. Par ailleurs, l’écriture du projet a Ă©tĂ© aidĂ©e « de prĂšs ou de loin et parfois de maniĂšre informelle ou indirecte Â» par des proches de Fanon, incluant aussi bien ses enfants que des personnes qui l’ont connu mais aussi des personnes qui se sont intĂ©ressĂ©es Ă  son Histoire. Ce qui la rend encore plus lĂ©gitime.

 

C’est une trùs grande histoire que celle de Fanon.

 

La rencontre avec Sartre-Beauvoir-Lanzmann dĂ©bute en aout 1961 en Italie. ( Fanon et Lanzmann avaient auparavant fait connaissance en Tunisie). Elle durera quelques jours et marquera le trio. 

Fanon dĂ©cĂ©dera aux Etats-Unis le 6 dĂ©cembre 1961. L’AlgĂ©rie, pays pour lequel Fanon s’est engagĂ© et dont il est alors l’ambassadeur aprĂšs avoir Ă©tĂ© le porte-parole du FLN, deviendra indĂ©pendante en mars 1962.

 

Dans cette bande dessinĂ©e, on voit un homme enchevĂȘtrĂ© dans sa cause mais aussi dans son idĂ©al. Un homme lancĂ© Ă  pleine vitesse et Ă  pleine puissance malgrĂ© le fait que son vaisseau, son propre corps, n’arrive plus Ă  suivre les trajectoires et les buts qu’il s’est fixĂ©.

 

« Je n’aime pas les gens qui s’économisent Â» peut dire Fanon dans les premiĂšres pages de cette bande dessinĂ©e. On peut dire que Fanon aura passĂ© une bonne partie de sa vie auprĂšs de personnes qui ne s’économisent pas. On comprend que plusieurs annĂ©es aprĂšs sa mort, celles et ceux qui l’ont connu, observĂ©, cĂŽtoyĂ©  ou affrontĂ©, se rappellent encore de lui. Mais celles et ceux qui se sont servis de lui ?

 

L’ouvrage de Ciriez et Lamy montre bien que si Fanon happe son entourage de par sa sincĂ©ritĂ© et ses connaissances qu’il est bien moins ou de moins en moins le maitre et l’architecte de ce qu’il souhaite et prĂ©voit. AttablĂ© Ă  forger son utopie, on le dirait entourĂ© de mains habiles toutes contentes de se servir de sa matiĂšre grise en lui laissant la bile de dĂ©sillusions grandissantes et Ă  venir.

 

En lisant, je me demande comment Fanon  a pu encore croire en la rĂ©volution algĂ©rienne aprĂšs l’assassinat d’Abane Ramdane. Il a dĂ» fournir un effort surhumain pour y parvenir. Ou refuser par orgueil de se faire contredire par les faits. Ou, peut-ĂȘtre, comme certains joueurs pathologiques, mais magnifiques, ĂȘtre victime de ses propres croyances erronĂ©es ( Marc Valleur nous parle du jeu pathologique ). Et, Sartre, De Beauvoir et Lanzmann, des personnalitĂ©s de premier plan engagĂ©es et capables de prendre des risques, au cƓur de l’action et de l’Histoire, ne pouvaient qu’ĂȘtre captivĂ©es par Fanon qui leur ressemblait et qui, comme eux, voulait faire l’Histoire plutĂŽt que la subir.

 

L’attachement viscĂ©ral de Fanon Ă  la cause algĂ©rienne vient peut-ĂȘtre aussi du fait qu’il aurait voulu voir cette rĂ©volution advenir en Martinique. Et que, pour lui, arrĂȘter de croire en la rĂ©volution algĂ©rienne serait peut-ĂȘtre revenu Ă  ne plus avoir d’espoir pour l’avenir de la Martinique et des « rĂ©gions Â» d’outre-mer. Fanon Ă©tait contre la dĂ©partementalisation choisie par AimĂ© CĂ©saire. La dĂ©partementalisation allait sans doute de pair avec la fonctionnarisation, ce qui Ă©tait contraire au rĂ©volutionnaire Fanon.

 

Ce qui a peut-ĂȘtre Ă©tĂ© le plus reprochĂ© Ă  Fanon, et c’est aussi la raison pour laquelle il a Ă©tĂ© craint et dĂ©testĂ©, ou adorĂ©, c’est d’avoir Ă©tĂ© un homme sur-intelligent et instinctif souvent prĂȘt Ă  prendre tous les risques. Un homme noir mariĂ© Ă  une femme blanche. Donc, un homme affranchi dans tous les sens possibles   ( libre, formĂ© et informĂ©), dĂ©cidĂ©, dĂ©cideur, sur-mesurĂ©, indomptable et imprĂ©visible, plutĂŽt que sur mesure.

Il est donc l’Ă©quivalent ou a presque Ă©tĂ© l’Ă©quivalent d’un Lumumba, d’un Malcolm X….

Frantz Fanon, c’est beaucoup plus que le film  Django Unchained rĂ©alisĂ© en 2012 par l’AmĂ©ricain Quentin Tarantino  et avec quarante ans d’avance ! Car cela se passe pour de vrai et non alors que l’on est assis sagement devant un Ă©cran de cinĂ©ma pour lequel on a payĂ© sa place afin de connaĂźtre un (trĂšs) bon moment de divertissement. Avant de rentrer ensuite chez soi tout aussi sagement pour repartir le lendemain au travail oĂč l’on sera content d’en parler avec les collĂšgues ou les amis.

 

Aujourd’hui et demain encore, au cinĂ©ma mais d’abord dans toute forme de vie ou d’expression artistique, intellectuelle, culturelle ou personnelle, une nette distinction se fait et se fera entre, d’un cĂŽtĂ©, les femmes et les hommes attentistes qui s’engagent seulement aprĂšs avoir obtenu toutes les assurances d’ĂȘtre du bon cĂŽtĂ© et d’arriver au bon moment. Et celles et ceux qui s’engagent sans demander la permission et sans la moindre garantie de rĂ©ussite.

 

On s’allie souvent avec les premiers. Et on se rĂȘve ou on les trompe peut-ĂȘtre aussi- souvent- avec les seconds.

 

Franck Unimon, ce mardi 17 janvier 2023.

Catégories
Addictions

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

 

 

Marc Valleur nous parle du jeu pathologique

De gauche Ă  droite avec le micro, Mario Blaise, l’actuel mĂ©decin chef de Marmottan, Marc Valleur, le prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan, Jan Kounen, rĂ©alisateur, Marc Batard, alpiniste et Ă©crivain lors du cinquantenaire de Marmottan Ă  la Cigale, dĂ©cembre 2021. Photo©Franck.Unimon

 

Introduction

Ce samedi 14 janvier 2023, Ă  l’hĂŽpital Sainte Anne, nous sommes une petite dizaine Ă  ĂȘtre venus Ă©couter et rencontrer Marc Valleur. Marc Valleur, psychiatre retraitĂ©, est aussi celui qui Ă©tait devenu mĂ©decin chef de Marmottan, dans le 17Ăšme arrondissement de Paris, Ă  la suite de Claude Olievenstein (1933-2008) qu’il a bien connu.

 

Marmottan, situĂ© rue ArmaillĂ© entre l’avenue des Ternes et des Champs ElysĂ©es, qui compte aussi un CMP et un hĂŽpital de jour pour public adulte, Ă  cĂŽtĂ© du musĂ©e Marmottan, s’est fait connaĂźtre internationalement pour ses services de consultation et d’hospitalisation spĂ©cialisĂ©s dans le traitement des addictions.

 

Marmottan, le service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions, avait Ă©tĂ© ouvert en 1971 par Claude Olievenstein (aussi surnommĂ© « Olive Â» ou « Monsieur Drogue Â») et dĂ©pendait Ă  l’origine administrativement du centre hospitalier Perray-Vaucluse ouvert en 1869 dans l’Essonne (d’abord asile puis hĂŽpital psychiatrique). Marmottan a fĂȘtĂ© son cinquantenaire  Ă  la salle de concerts la Cigale ainsi que par des portes ouvertes, des expositions et diverses manifestations lors du premier week-end de dĂ©cembre 2021.( La ferveur de Marmottan)

 

Ce matin du 14 janvier 2023, Marc Valleur est devant nous lors de ce sĂ©minaire proposĂ© un samedi par mois par Claude Orsel, Ă  l’hĂŽpital Sainte Anne, dans le 14 Ăšme arrondissement de Paris.

 

Avec Claude Olievenstein, psychiatre, Claude Orsel (nĂ© en 1937), psychiatre et psychanalyste, a Ă©tĂ© un des pionniers du traitement des toxicomanies en France en fondant l’Abbaye en 1969 Ă  St Germain des PrĂ©s.

 

Un samedi matin par mois, Ă  l’hĂŽpital Sainte Anne, dans le service du Dr Xavier Laqueille, psychiatre, Claude Orsel propose ce sĂ©minaire PsychothĂ©rapies, Psychanalyse et Addictions ( P. P. A) Transfert et Contre-Transfert.

 

L’accĂšs Ă  ce sĂ©minaire – qui se dĂ©roule de 9h30 Ă  12h30- est libre aprĂšs avoir pris  contact au prĂ©alable avec Claude Orsel.

 

S’il s’y trouve gĂ©nĂ©ralement des professionnels trĂšs expĂ©rimentĂ©s- voire retraitĂ©s- dans le traitement des addictions, dont plusieurs ont connu Claude Orsel et travaillĂ© avec lui, il arrive aussi que des patients de celui-ci y soient prĂ©sents et participent.

 

Un certain nombre des participants et des intervenants amĂšne avec lui un imposant abattage thĂ©orique, conceptuel mais aussi pratique. La moyenne d’ñge avoisine la bonne cinquantaine d’annĂ©es.

 

Mentionner la prĂ©sence de tous ces « psy Â» (psychiatres, psychothĂ©rapeutes, psychologues, psychanalystes
) pourrait donner l’impression que ces sĂ©minaires – filmĂ©s par Claude Orsel- sont des cercueils marbrĂ©s d’ennui et de thĂ©ories. Alors qu’ils sortent plutĂŽt des clous et des colonnes.

 

La psychiatrie et la sociĂ©tĂ© semblent dotĂ©es de moyens pour s’accroĂźtre en prioritĂ© comme des technologies et des pharmacies ombilicales par lesquelles et vers lesquelles nous sommes constamment entraĂźnĂ©s, faisant de nous des sidĂ©rurgies sidĂ©rĂ©es et jamais Ă  jour malgrĂ© nos libertĂ©s.

 

Un tel sĂ©minaire est une pause dans ces processus de constitution de notre cĂ©citĂ© que nous connaissons tous. D’autant plus que chaque fois que je peux y assister, j’ai l’impression de recueillir une toute petite parcelle de cette trĂšs grande Histoire et de  cette grande Culture de la pensĂ©e, du soin, de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la SantĂ© mentale inaperçues par et pour la majoritĂ©. Ce sĂ©minaire fait partie de ces moments oĂč j’ai l’impression de me retrouver au pied de certaines immensitĂ©s de connaissances et d’expĂ©riences trop largement ignorĂ©es.

 

Des immensitĂ©s ou des personnalitĂ©s, dans diverses disciplines (pas seulement dans le domaine de la SantĂ© mentale comme lors de ce sĂ©minaire autour de Marc Valleur ) Ă  cĂŽtĂ© desquelles je suis aussi beaucoup passĂ© moi-mĂȘme, en m’en remettant beaucoup Ă  l’habitude, Ă  la facilitĂ© de mes certitudes mais aussi au hasard oĂč Ă  mon volontariat lĂ  oĂč l’on a bien voulu de moi. 

 

Alors que ces immensités nous aident ou peuvent nous aider à vivre.

 

 

Ce matin, je marque un temps d’arrĂȘt en voyant posĂ© sur la table, devant Claude Orsel, l’ouvrage La lionne du barreau de Clarisse Serre (aux Ă©ditions Sonatine) accompagnĂ© de cette accroche sur la page de couverture :

 

« Je suis une femme, je fais du pĂ©nal, j’exerce dans le 9-3, et alors? ».

 

Fin dĂ©cembre, dans la librairie de ma ville, aprĂšs avoir rĂ©cupĂ©rĂ© mes livres, j’étais tombĂ© sur cet ouvrage dans les rayons. Je l’avais un peu feuilletĂ©, tentĂ© de le prendre avant de me dĂ©cider finalement Ă  diffĂ©rer son acquisition


 

AmusĂ© par mon intĂ©rĂȘt soudain pour ce livre, ce samedi matin, Claude Orsel, m’a lancĂ© :

 

« Vous pouvez le prendre si vous le voulez. Je ne sais pas combien je l’ai acheté  Â».

 

J’ai optĂ© pour partir m’asseoir en laissant le livre Ă  sa place et Ă  son propriĂ©taire.

 

Marc Valleur prend la parole

 

Marc Valleur est arrivĂ© Ă  Marmottan en 1974. Au dĂ©part, il s’occupait spĂ©cifiquement des toxicomanes :

Héroïne, Cocaïne, Crack.

 

En 1974, l’Abbaye et Marmottan Ă©taient les services pilotes pour s’occuper des toxicomanes.

 

En 1981, il a commencé à parler de conduite ordalique. AprÚs la mort de plusieurs patients par overdose qui ont beaucoup éprouvé les soignants, Marc Valleur a commencé à penser à la notion de conduite ordalique.

Dans la conduite ordalique, il y a une perception positive et subjective de la conduite Ă  risque : Le risque et le danger Ă©taient attirants.

Les toxicomanes prenaient des produits car c’était dangereux.

 

Marc Valleur cite l’ouvrage Sorcellerie et ordalies  (paru en 1974) d’Anne Retel-Laurentin (mĂ©decin et ethnologue dĂ©cĂ©dĂ©e) pour parler des Ă©preuves par le poison.

 

 

Marc Valleur :

 

« Dans le jeu de l’argent, on ne s’injecte pas le produit mais le joueur est reprĂ©sentĂ© par son enjeu Â».

 

Marc Valleur cite Le Joueur et Les FrĂšres Karamazov de DostoĂŻevski ainsi que l’ouvrage Figures du crime chez DostoĂŻevski  (paru en 1990) de Vladimir Marinov (psychologue et psychanalyste).

En 1991-1992, le jeu est alors peu abordé en psychanalyse.

 

En 1997, Marc Valleur Ă©crit un Que sais-je ? sur le jeu. AprĂšs la parution de ce livre, des joueurs ont commencĂ© Ă  demander Ă  consulter Ă  Marmottan. Des joueurs ont pu dire :

« Le crack, j’arrĂȘte quand je veux. Moi, c’est le jeu que je n’arrive pas Ă  arrĂȘter Â».

 

Cette nouvelle attention portĂ©e aux joueurs pathologiques a d’abord suscitĂ© du scepticisme au sein des Pouvoirs publics. Un scepticisme partagĂ© au sein de Marmottan lorsque les soignants ont appris qu’ils allaient ĂȘtre amenĂ©s Ă  s’occuper aussi de joueurs pathologiques.

 

Marc Valleur relate qu’un soignant du service d’hospitalisation de Marmottan avait d’abord Ă©clatĂ© de rire lorsqu’il lui avait annoncĂ© la venue d’un patient joueur pathologique. Le soignant avait cru que c’était une blague.

 

Marc Valleur explique : « Le toxicomane faisait peur. Cela donnait un cĂŽtĂ© sulfureux Ă  Marmottan. Le joueur, ça faisait rire Â».

 

Marc Valleur ajoute qu’il existait aussi des images prĂ©conçues du toxicomane et du joueur.

 

Le toxicomane Ă©tait vu comme quelqu’un « de gauche (politiquement), maigre et qui s’opposait au systĂšme Â». Alors que le joueur, lui, Ă©tait vu comme quelqu’un « de droite (politiquement), gros, bourgeois et portant de grosses bagues
 Â».

 

Et, puis, trĂšs vite, les soignants du service d’hospitalisation de Marmottan se sont aperçus que c’était plus dur avec les joueurs qu’avec les toxicomanes.

 

En 2006, les Pouvoirs publics montrent leurs premiers signes d’intĂ©rĂȘt pour les joueurs pathologiques.

 

En 2008, une Ă©tude de l’INSERM parle du jeu pathologique.

 

A partir de 2006-2008, le regard sur les joueurs a commencé à changer.

 

2010 marque le dĂ©but de la libĂ©ralisation des jeux en ligne. A partir de lĂ , les joueurs addict commencent Ă  vĂ©ritablement ĂȘtre pris en considĂ©ration.

 

« Le joueur tente Dieu en lui posant des questions Â» selon une perception thĂ©ologique du jeu.

 

En 2010, le poker et les paris en ligne se dĂ©veloppent. Mais, contrairement aux prĂ©visions (sauf pendant le confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid ) le poker en ligne s’est peu dĂ©veloppĂ©. Ce sont plutĂŽt les paris sportifs qui ont connu un grand essor sur internet.

 

Robert Ladouceur (nĂ© en 1945), psychologue, auteur et chercheur quĂ©becois, spĂ©cialisĂ© dans les jeux d’argent et de hasard, souligne les problĂšmes de croyance chez les joueurs. (croyances et cognitions erronĂ©es des joueurs)

« Il faut que je rejoue pour que je me refasse Â». Les joueurs croient avoir la prĂ©science.

Il existe une illusion de contrîle chez les joueurs alors que le hasard l’emporte souvent.

 

Marc Valleur cite un article psychanalytique datant de 1914 intitulĂ© Le plaisir de la peur et l’érotisme anal. Marc Valleur dit que cet article « n’est pas gĂ©nial Â» mais qu’il est une premiĂšre tentative de comprendre le jeu.

 

Selon la vision freudienne, en 1928, la chance et la malchance peuvent représenter les puissances parentales.

 

DostoĂŻevski, lui-mĂȘme, a Ă©tĂ© un joueur pathologique. Il est donc trĂšs pointu pour parler du jeu.

 

En 1945, Fenichel (psychiatre et psychanalyste autrichien décédé en 1946) parle des addictions sans substances.

 

En 1954, Skinner (psychologue et penseur amĂ©ricain dĂ©cĂ©dĂ© en 1990) Ă©crit un article sur les machines Ă  sous qu’il dĂ©crit comme « le meilleur conditionnement pour faire payer les gens Â».

 

Erving Goffman (sociologue et linguiste amĂ©ricain d’origine canadienne, 1922-1982) a Ă©crit sur le jeu.

Le joueur s’imagine qu’il va influer sur le destin.

On aime jouer car on se retrouve dans un monde magique et dans un espace qui n’est pas la vie quotidienne. Le jeu est quelque chose de trĂšs sĂ©rieux.

 

Le contraire du jeu, c’est la rĂ©alitĂ© quotidienne.

Les croyances erronĂ©es font partie de l’intĂ©rĂȘt du jeu.

Marc Valleur cite l’ouvrage En passant par hasard Ă©crit en 1999 par Gilles PagĂšs (mathĂ©maticien) et Claude Bouzitat.

Les gens jouent « pour le vertige du risque Â». Les joueurs non pathologiques arrivent Ă  faire en sorte que le jeu n’ait pas d’incidence sur leur vie.

 

R, un des patients de Claude Orsel, assis Ă  droite de Marc Valleur, se prĂ©sente comme « joueur depuis 35 ans Â». R
parle de sa frustration, de son Ă©chec. Et de son amertume. Il parle de ses expĂ©riences prĂ©coces du jeu qu’il a faites trĂšs tĂŽt.

 

R : «  On essaie de se convaincre qu’on est bon Ă  quelque chose Â». R dit que sa premiĂšre addiction a Ă©tĂ© une addiction aux Ă©crans Ă  l’ñge de 8 ans.

Marc Valleur commente :

« La tĂ©lĂ©vision est la grande addiction mondiale
mais personne n’en parle Â». « Il y a une seule personne en 50 ans qui est venue Ă  Marmottan pour une addiction Ă  la tĂ©lĂ©vision.. Â».

 

Pour soigner une addiction, Marc Valleur insiste sur :

 

Une approche multimodale (sociale, familiale et autre
)

La qualitĂ© de l’accueil (« Ce qui se passe au premier entretien est dĂ©terminant Â» ; « Une thĂ©rapie, c’est l’exĂ©gĂšse de ce qui s’est dit au premier entretien Â»)

La qualité de la relation

Marc Valleur poursuit :

« Le but de l’Abbaye et de Marmottan, c’était de crĂ©er
de recevoir les personnes sans conception canonique du traitement et du soin
De recevoir la personne et, Ă  partir de lĂ , aprĂšs l’avoir Ă©coutĂ©e, de voir ce que l’on peut faire Â».

 

Marc Valleur nous recommande particuliÚrement de lire The Great Psychotherapy Debate écrit par Wampold et Imel (paru en 2015).

Marc Valeur prĂ©cise que toutes les mĂ©thodes thĂ©rapeutiques « marchent Â» et ont de trĂšs bons rĂ©sultats. Et qu’il n’existe pas une mĂ©thode thĂ©rapeutique meilleure qu’une autre.

(Je m’abstiens de dire que l’on peut sĂ»rement transposer cela dans beaucoup de disciplines comme dans les mĂ©thodes de combats et les Arts Martiaux : la personnalitĂ© du combattant importe plus que les techniques de combats ou les Arts martiaux qu’il a « appris Â» ou pratique. La personnalitĂ© du Maitre ou du professeur importe plus que les techniques ou les Arts martiaux qu’il enseigne
).

 

Marc Valleur souligne qu’il est des mauvais thĂ©rapeutes qui, pourtant, sont « trĂšs compĂ©tents Â» en termes de formation et de connaissances.

 

Marc Valleur me confirme que, plus que les thĂ©rapies, le plus important, c’est la rencontre. La qualitĂ© de l’accueil. La qualitĂ© de la relation thĂ©rapeutique.

 

Marc Valleur parle aussi de ces patients qui en savent beaucoup plus sur l’objet de leur addiction que le thĂ©rapeute lui-mĂȘme. Il cite l’exemple d’un patient addict aux jeux vidĂ©os qui ne sortait plus de chez lui et qui refusait de rencontrer psychiatre ou psychologue. Marc Valleur a demandĂ© aux parents de ce patient de lui dire qu’il n’y connaissait rien en jeux vidĂ©os et qu’il aimerait bien qu’il vienne lui expliquer ce que c’est. (Marc Valleur confirme qu’il avait un rĂ©el intĂ©rĂȘt pour ce que pouvaient lui dire ses patients). Le patient Ă©tait venu rencontrer Marc Valleur et lui avait en quelque sorte fait  cours.

Marc Valleur me confirme que le dogmatisme (thĂ©rapeutique) va souvent de pair avec l’excĂšs de thĂ©orie thĂ©rapeutique.

(A ce moment du séminaire, comme à son habitude, Claude Orsel fait passer un paquet de chouquettes achetées à la boulangerie)

Marc Valleur me confirme l’importance de l’engagement du corps du thĂ©rapeute dans sa rencontre avec le patient. Il se remĂ©more qu’un patient lui avait dit s’ĂȘtre attachĂ© Ă  lui lors du premier entretien car, Ă  un moment donnĂ©, il (Marc Valleur) lui avait touchĂ© le genou.

R, patient de Claude Orsel, dit :

« Le jeu n’est pas un amusement. C’est un exutoire Â» ; « Entre joueurs, on s’intoxique. C’est aussi ce qui nous fait rester dans le jeu Â» ; « Si, lui, il joue aussi, ça veut dire que je ne suis pas fou Â».

(Plus tĂŽt, R
nous a aussi dit avoir consultĂ© un addictologue pendant dix ans avant que celui-ci ne lui parle de Claude Orsel qu’il voit maintenant depuis 2013 ou 2014. Selon R, l’addictologue, pourtant plutĂŽt rĂ©putĂ©, ne l’écoutait pas. En Ă©coutant R parler en termes Ă©logieux de Claude Orsel, j’ai eu l’impression que celui-ci trouvait Claude Orsel « plus puissant Â» en tant que thĂ©rapeute, que son thĂ©rapeute prĂ©cĂ©dent).

 

Marc Valleur rĂ©pond Ă  Claude Orsel qu’il existe diffĂ©rents profils dans la biographie des toxicomanes.

 

Marc Valleur cite Michel Foucault ( Philosophe français, 1926-1984) :

« Le but de la transgression, c’est de glorifier ce qu’elle paraĂźt exclure Â». ( Dits et Ă©crits de Michel Foucault, de 1954 Ă  1988, deux tomes de plus de 1700 pages chacun ).

Marc Valleur rĂ©pond que chez les consommateurs de crack, souvent, la protection maternelle s’est arrĂȘtĂ©e trĂšs tĂŽt (viols dans l’enfance, traumas rĂ©pĂ©tĂ©s
).

R..dit : « La probabilitĂ©, c’est la vĂ©ritĂ© Â». « La probabilitĂ© ne ment pas Â».

Le livre Dans le jardin de l’ogre (citĂ© par qui ?) de LeĂŻla Slimani est mentionnĂ© pour Ă©voquer l’addiction sexuelle fĂ©minine.

 

Conclusions

Avec le micro, Marc Valleur, le prĂ©cĂ©dent mĂ©decin chef de Marmottan Ă  droite, Jan Kounen, rĂ©alisateur. Lors du cinquantenaire de Marmottan Ă  la Cigale. Photo©Franck.Unimon

 

Je demande Ă  Marc Valleur et Claude Orsel comment  ils font pour ne pas se dĂ©courager face Ă  des patients dont les addictions sont longues Ă  soigner. Mais aussi pour vivre dans un monde comme le nĂŽtre oĂč une « guerre Â» quotidienne nous est faite afin de nous rendre addict.

Marc Valleur rĂ©pond que, bien que retraitĂ©, il a encore des contacts par mail avec d’anciens patients qui lui donnent de leurs nouvelles et qui vont mieux. Lors de son intervention, Marc Valleur nous a aussi parlĂ© d’anciens patients qui ont trĂšs bien rĂ©ussi leur vie par la suite y compris mieux que lui-mĂȘme a-t’il ajoutĂ© dans un sourire. Et, tout en gardant le sourire, Marc Valleur a convenu qu’en effet, tout est fait dans notre sociĂ©tĂ© pour que l’on soit « accrochĂ© Â» et que cela est assez dĂ©sespĂ©rant. Il a ainsi citĂ© les producteurs d’alcool qui, malgrĂ© leurs discours empathiques, prospĂšrent grĂące Ă  toutes les personnes dĂ©pendantes qui consomment leurs produits.

 

(Un peu plus tĂŽt, R
avait fait rĂ©fĂ©rence Ă  ces joueurs de PMU, un lieu qu’il connaĂźt et dont il observe les usagers Ă  l’écouter, qui, dĂšs qu’ils gagnent un ou deux euros au jeu le rejouent alors qu’ils vivent dĂ©ja dans des conditions trĂšs prĂ©caires).

 

Claude Orsel, rĂ©pond en souriant, qu’il a envie de « connaĂźtre la suite Â». A l’entendre, lui comme Marc Valleur, cela semble trĂšs simple de s’occuper de personnes addict. Au point que je me demande pour quelle raison seule une minoritĂ© de personnes, Ă  laquelle je n’appartiens pas, parvient comme eux Ă  s’occuper de personnes addict sur du long terme :

Le travail qui peut ĂȘtre effectuĂ© dans un service de psychiatrie institutionnelle lambda- mĂȘme si cela peut aussi ĂȘtre sur du trĂšs long terme- est trĂšs diffĂ©rent de celui que j’ai pu voir pratiquĂ© Ă  Marmottan lors des quelques remplacements ( une quinzaine) que j’ai pu y faire. La distance relationnelle entre le patient/client et le soignant, par exemple, est trĂšs diffĂ©rente. Si, en psychiatrie adulte, la psychose des patients peut effrayer certains, l’absence de psychose, comme c’est souvent le « cas Â» Ă  Marmottan peut dĂ©stabiliser, enrayer certaines frontiĂšres et les rendre assez floues entre le patient/client et le soignant. Pour ne parler que de ça. Alors, si, en plus, dans le domaine de l’addiction, le patient/client en sait plus que le soignant, il peut y avoir de quoi ĂȘtre troublĂ©.

 

Claude Orsel m’apprend qu’il est possible que Patrick Declerck (philosophe, ethnologue, psychanalyste et Ă©crivain nĂ© en 1953) intervienne Ă  nouveau lors d’un prochain sĂ©minaire. Claude Orsel m’apprend aussi qu’il n’y a eu aucun article dans la presse Ă©crit sur le dernier ouvrage de Patrick Declerck, paru en 2022, Sniper en Arizona, dans lequel, celui-ci raconte sa formation de sniper aux Etats-Unis.

 

R, qui ne demandait qu’à parler, qui a beaucoup Ă  dire, entre-autres sur le poker, et qui a plusieurs fois pris la parole de façon assez intempestive au cours de l’intervention de Marc Valleur, m’a d’abord agacĂ© comme d’autres personnes assistant Ă  ce sĂ©minaire. Il fallait entendre R, arrivĂ© avec un peu de retard, dire ensuite Ă  Marc Valleur, Ă  un moment donnĂ©, avec une certaine autoritĂ© :

« Ce que vous avez oubliĂ© de dire
 Â».

Devant l’attitude rĂ©pĂ©tĂ©e de R, j’ai d’abord regardĂ© ces vieux briscards que sont Marc Valleur et Claude Orsel qui n’en n’étaient pas une interruption prĂšs. Lesquels ont poliment invitĂ© R,  Ă  tour de rĂŽle, Ă  attendre que Marc Valleur ait fini de s’exprimer. Ce qui n’a pas empĂȘchĂ© R de recommencer.

Ensuite, j’ai compris que R Ă©tait celui qui Ă©tait annoncĂ© par Claude Orsel comme le joueur venant nous faire part de son expĂ©rience. Et que R rĂ©agissait car Marc Valleur parlait de sa vie.

Puis, j’ai saisi que R Ă©tait porteur de connaissances dont j’étais dĂ©pourvu.

 

 Ce samedi, alors que Marc Valleur est dĂ©jĂ  parti aprĂšs nous avoir saluĂ© en nous disant que c’était « bien Â», je suis plus disposĂ© pour Ă©couter R qui, en plus, avait « contre lui Â», en prime abord, le fait de me rappeler un ancien collĂšgue qui a pu avoir tendance Ă  une Ă©poque Ă  me sortir par les yeux. Au travers de R, sans doute ai-je mieux perçu ce samedi, de maniĂšre consciente, la dimension addict et sub-agressive de la personnalitĂ© de cet ancien collĂšgue


 

R m’explique avoir connu un joueur de poker, « parti de rien Â», et qui, aujourd’hui « est millionnaire Â». R m’explique que, durant des annĂ©es, ce joueur a acceptĂ© de « ne rien gagner Â». En s’en tenant Ă  des rĂšgles de conduite- et Ă  des limites- qu’il s’était fixĂ©, acceptant de gagner petit et Ă©vitant de perdre de l’argent. En somme, ce joueur est restĂ© prudent, patient et persĂ©vĂ©rant. R, Ă  ce que je comprends, n’est ni patient ni prudent bien qu’intelligent et persĂ©vĂ©rant. Et, il est sĂ»rement aussi convaincu. Et convaincant. Lorsque R m’apprend qu’il a travaillĂ© pendant des annĂ©es dans « le phoning Â» et qu’il sent les gens, j’ai tendance Ă  le croire.

 

Franck Unimon, ce lundi 16 janvier 2023.

Catégories
Argenteuil

Au Hammam de la gare

 

 

                           Au Hammam de la gare

 

Le hammam de la gare Ă  Argenteuil, rue du Dr Leray, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©Franck.Unimon

 

« La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent Â» nous avertit Marc Verillote, ancien membre du RAID pendant vingts ans de 1998 Ă  2018, dans son ouvrage Au CƓur du RAID Ă©crit avec Karim Ben IsmaĂŻl et publiĂ© en 2022. Ouvrage dont j’ai commencĂ© la lecture alors que je n’ai pas terminĂ© ma relecture de Frantz portrait Fanon d’Alice Cherki paru en 2000 ainsi que la bande dessinĂ©e Frantz Fanon rĂ©alisĂ©e par FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy et parue, elle, en 2020.

 

AprĂšs avoir connu plus de trois semaines de grĂšve dite « dure Â» dans mon service, grĂšve « fantĂŽme Â» qui s’est terminĂ©e il y a quelques jours (en obtenant plusieurs rĂ©parations et avancĂ©es), et aprĂšs avoir beaucoup travaillĂ©, entre-autres de nuit, comme beaucoup, je me sens fatiguĂ© en ce dĂ©but d’annĂ©e.

Paris, Bd Raspail, fin 2022. Au loin, la Tour Montparnasse. On peut m’apercevoir en train de traverser, la route : ). Photo©Franck.Unimon

 

Comme beaucoup, aussi, j’ai appris cette semaine l’officialisation du recul du dĂ©part de l’ñge Ă  la retraite qui est passĂ© de 62 Ă  64 ans ainsi que la nouvelle de la grande manifestation prĂ©vue dans six jours, le 19 janvier, pour protester contre cette dĂ©cision annoncĂ©e par la PremiĂšre Ministre Elizabeth Borne soutenue en cela par le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Emmanuel Macron, réélu l’annĂ©e derniĂšre pour son deuxiĂšme mandat.

 

La phrase de Marc Verillote, ancien membre du RAID, est bien sûr à prendre avec des pincettes dans ce contexte économique, social, culturel et historique qui est le nÎtre.

 

La sienne se rĂ©fĂšre Ă  une compĂ©tition de Judo, Ă  un trĂšs haut niveau, pour laquelle, rĂ©trospectivement, il estime s’ĂȘtre trop mĂ©nagĂ© lors de sa prĂ©paration pour se donner les moyens de gagner la finale. Marc Verillote se dit en effet qu’il aurait dĂ» la prendre, cette « douche glacĂ©e Â» Ă  laquelle il avait pensĂ© avant la finale de cette compĂ©tition de judo en Georgie alors qu’il faisait encore partie de l’équipe de France de Judo.

 

Si nous prenons souvent les sportifs de haut niveau ou des professionnels qui, comme Marc Verillote, dans leur domaine, font partie de l’élite – fĂ©minine ou masculine-, c’est parce-que ceux-ci nous inspirent ou peuvent nous inspirer pour les usages ou les dĂ©fis de notre vie quotidienne.  

 

Notre vie quotidienne peut ĂȘtre usante, contraignante, insatisfaisante ou dĂ©courageante. Alors qu’il suffit parfois de peu pour commencer Ă  se sortir du malaise dans lequel on s’est peu Ă  peu enlisĂ©. Et, cette Ă©lite ou ces modĂšles que nous regardons nous donnent l’exemple afin de nous dĂ©pĂȘtrer de cet enlisement-isolement. Car, si, nous, la majoritĂ© et la plupart d’entre nous, nous nous embourbons et piĂ©tinons, si nous, nous nous Ă©tourdissons et nous Ă©puisons dans des existences exsangues, l’élite a pour elle de savoir survoler les obstacles mais aussi de se survolter devant eux. 

 

L’élite est un exemple ou un visage qui nous ressemble ou que nous connaissons et que nous essayons de suivre Ă  notre mesure.

Paris, fin dĂ©cembre 2022, dans le 10Ăšme arrondissement, le matin. Photo©Franck.Unimon

Si le fait de beaucoup travailler ou de beaucoup donner de soi peut user, je crois aussi que l’on s’use d’autant plus rapidement et d’autant plus durablement lorsque l’on « vit Â» et « fait Â» par habitude de maniĂšre systĂ©matique les mĂȘmes erreurs. Nous avons la capacitĂ© de reproduire les mĂȘmes gestes, les mĂȘmes façons de pensĂ©e et les mĂȘmes choix pendant des annĂ©es en nous contentant du fait de les exĂ©cuter. Mais nous avons aussi une certaine capacitĂ© Ă  pouvoir les imposer autour de nous.

 

A moins de nous apercevoir de nous-mĂȘmes que quelque chose cloche mĂȘme si ça « roule Â» ou « marche Â», ou d’avoir quelqu’un dans notre entourage capable de nous prĂ©venir – quelqu’un que nous sommes disposĂ©s Ă  entendre- il nous faut souvent un symptĂŽme, une rupture, un accident ou un signal d’alarme pour percuter. Pour voir que sur notre belle chaine de montage, nous avons laissĂ© se dĂ©velopper quelques erreurs qui nous Ă©loignent plus qu’elles ne nous rapprochent de notre vĂ©ritable projet.

 

A condition que nous soyons encore capables de voir et de rĂ©agir. Et, s’il n’est pas trop tard.

Paris, fin 2022, dans le RER B, station Luxembourg.

 

Car, si «  La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent Â» comme l’annonce Marc Verillote, il est Ă©tonnant de voir comme nous pouvons trĂšs facilement ĂȘtre trĂšs performants et grandement dĂ©vouĂ©s en tant qu’inlassables bourrins continuant de labourer dans le mĂȘme champ de nos mines anti-personnelles.

 

A moins d’avoir des projets en rapport avec cette pĂ©riode, les soldes qui ont commencĂ© cette semaine vont assez peu nous aider Ă  lever le pied. Et, le lieu oĂč nous rĂ©sidons peut avoir une incidence sur les moyens dont nous disposons pour prendre le temps de reprendre notre souffle.

 

Mais encore faut-il avoir une certaine estime pour ces moyens.

La Gare d’Argenteuil centre ville, fin 2022. En regardant vers Paris. Photo©Franck.Unimon

La ville d’Argenteuil, oĂč j’habite, est une pĂ©ripĂ©tie. Une partie d’elle se dĂ©siste, une autre partie est une pĂ©pite et l’autre, Ă  mon avis, dĂ©cline. AprĂšs plusieurs annĂ©es dans ses murs et ses rues, ce constat est pour moi plutĂŽt dĂ©primant. A moins d’avoir bien su choisir son quartier ainsi que son lieu de travail par rapport Ă  elle.

 

Pourtant, je n’ai pas envie de tirer d’elle un portrait plus dĂ©labrĂ© qu’il ne l’est d’autant qu’un certain nombre de beaux ou de trĂšs beaux quartiers Ă  Paris ou ailleurs font selon moi rĂȘver  principalement parce qu’ils nous sont Ă©trangers ou interdits.  Mais aussi parce-que que l’on ne connaĂźt pas beaucoup celles et ceux qui s’y trouvent.

Paris, dans le 13Ăšme arrondissement, en dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Et puis, on l’aura compris, ce que je dis aujourd’hui d’Argenteuil s’applique à ce que je suis, aujourd’hui. Puisque cette ville, d’une façon ou d’une autre, me ressemble.

 

 

Il suffit parfois de peu pour commencer Ă  se sortir du malaise dans lequel on s’est peu Ă  peu enlisĂ©. J’ai dĂ©jĂ  Ă©crit cette phrase. C’est aussi une situation que j’ai dĂ©jĂ  vĂ©cue oĂč il suffit, quelques fois, de sortir un peu de chez soi, de traverser deux ou trois rues pour qu’une rencontre ou une expĂ©rience nous procure un nouvel Ă©lan et nous Ă©loigne de cette perspicacitĂ© dĂ©faitiste et dĂ©pressive dont un certain nombre de nos actions semblaient devenir le moteur.

Le hammam de la gare, Ă  Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©Franck.Unimon

PrĂšs de chez moi, il se trouve un hammam, oĂč je suis dĂ©jĂ  allĂ© une ou deux fois, il y a deux ou trois ans. Plusieurs fois par semaine, je passe devant ce hammam. Plusieurs fois par semaine, aussi,  je passe plus d’une heure dans les transports en commun, afin de me rendre Ă  tel ou tel endroit. Il peut s’agir du travail ou d’une autre activitĂ© responsable, justifiĂ©e, incontournable. Ou d’une sortie de loisirs comme, demain soir, pour aller voir Sarah Murcia en concert Ă  la Maison de la Radio. Vous ne connaissez pas Sarah Murcia ? Je ne la connaissais pas non plus il y a quelques mois. J’ai d’abord vu une photo en noir et blanc d’elle au Triton en me rendant Ă  l’exposition des tableaux de Marie-Jo, une ancienne collĂšgue infirmiĂšre qui avait pris sa retraite quelques mois plus tĂŽt.

Pour dĂ©couvrir Sarah Murcia, je vous propose de la voir en duo avec Rodolphe Burger lorsqu’ils ont tous les deux repris le titre Billie Jean de MichaĂ«l Jackson.

Paris, fin 2022. Photo©Franck.Unimon

Billie Jean, MichaĂ«l Jackson, c’est loin.  J’ai de la « chance Â», pour aller demain soir au concert de Sarah Murcia la gare est proche de chez  nous. Moins de cinq minutes Ă  pied. Cette chance tient aussi au choix que nous avons fait de nous installer  il y a dix ans prĂšs de la gare. MĂȘme si je passerai sans doute plus de temps dans les transports en commun demain soir pour aller au concert que pour y assister Ă  la maison de la radio dans le 16Ăšmearrondissement de Paris.

 

Le hammam est plus proche de chez nous que la gare. Mais, Ă©videmment, je me rends bien plus souvent Ă  la gare qu’au hammam. Et, Ă©videmment, aussi, Sarah Murcia et tous les autres artistes, ne font pas encore leurs concerts dans un hammam.

 

MalgrĂ© cette dĂ©sillusion, ce matin, un peu aprĂšs 7h30, je suis retournĂ© au hammam. Car, nous avons la chance, Ă  Argenteuil, d’avoir un hammam qui ouvre dĂšs 7 heures du matin. Il est ouvert tous les jours sauf le mardi.

 

« C’est 15 euros, maintenant. Le prix a augmentĂ© Ă  cause le gaz
 Â» s’excuse le gĂ©rant qui me reçoit. RĂ©guliĂšrement, j’ai pu le saluer chaque fois que je l’avais croisĂ© dehors, en passant, devant le hammam. Alors que j’emmenais ma fille Ă  l’école ou au centre de loisirs.

 

Auparavant, l’entrĂ©e coĂ»tait 12 euros, thĂ© Ă  la menthe inclus.

Paris, le 15 dĂ©cembre 2022. Photo©Franck.Unimon

Le hammam de la gare est un hammam simple et propre. Peut-ĂȘtre rustique. Peut-ĂȘtre dĂ©cati. Mais il a sa clientĂšle. Il est courant de voir une caisse garĂ©e Ă  cheval quelques minutes sur le trottoir en face de son entrĂ©e. On pourrait penser au braquage de la caisse. C’est plutĂŽt de la dĂ©brouille. Car trouver une place oĂč se garer dans le centre ville d’Argenteuil est hasardeux et peut-ĂȘtre mĂȘme, miraculeux.

 

Plusieurs mois sans pratiquer le karatĂ© Ă  Bagnolet avec Maitre Jean-Pierre Vignau. Plusieurs mois sans pratiquer l’apnĂ©e dĂ©sormais Ă  Villeneuve la Garenne avec le club Subaqua club de Colombes aujourd’hui « exilĂ© Â» car la piscine de Colombes est dĂ©sormais en travaux pour les Jeux Olympiques de 2024.

 

Plusieurs annĂ©es sans faire de théùtre. Plusieurs annĂ©es, aussi, sans pratiquer le massage bien-ĂȘtre. Plusieurs semaines sans Ă©crire un seul article pour mon blog, lequel, a connu quelques ratĂ©s techniques durant plusieurs semaines. Jusqu’à ce qu’Eddy, l’ami photographe, l’ingĂ©nieur informatique, le crĂ©atif, n’accepte gentiment de se rendre disponible plusieurs  heures Ă  la fin de l’annĂ©e derniĂšre, dans son studio, afin de m’aider avec WordPress.

 

En ce dĂ©but d’annĂ©e 2023, et depuis plusieurs jours, j’ai l’impression de vĂ©gĂ©ter. J’ai l’impression que « mes chakras sont bouchĂ©s Â» pour employer les termes tenus par un ancien collĂšgue infirmier, formĂ© au massage bien-ĂȘtre bien avant moi et qui avait commencĂ© une formation de Shiatsu qu’il avait arrĂȘtĂ©. Une formation qui m’avait un moment attirĂ© sauf que je n’ai rien fait de concret Ă  ce sujet. C’était avant le karatĂ©. Avant l’apnĂ©e.

Le hammam de la gare, Ă  Argenteuil, ce vendredi 13 janvier 2023 vers 21h. Photo©Franck.Unimon

Hier soir, je me suis dit que le hammam de la gare Ă©tait un trĂšs bon moyen de commencer Ă  arrĂȘter de circuler dans le mauvais sens. Et que j’avais trop attendu pour y retourner. Lorsque hier soir, j’ai effectuĂ© l’effort de me rendre en voiture jusqu’à la piscine de Villeneuve la Garenne afin de pouvoir renouer avec la vie sociale du club Ă  l’occasion de  la galette des rois offerte par le club, j’ai bien vu que j’encaissais au ralenti lorsque l’on me parlait. Alors que tout le monde dĂ©bordait de tonus et trouvait cela parfaitement normal. Cela n’avait rien Ă  voir avec la fĂšve. Je n’ai rien bu et rien touchĂ© hier de liquide, gazeux ou de solide au club. J’avais dĂ©jĂ  mangĂ© suffisamment  de parts de galettes de roi au travail ces derniers jours. Et puis, depuis quelques jours, on ne voit que ça. Des galettes de roi, des couronnes, des fĂšves. BientĂŽt, ce sera autre chose.

 

Ce matin, en me levant un peu avant 6h30, j’ai fait mes Ă©tirements et des abdos, suivis de quelques galipettes avant et arriĂšre.

Photo©Franck.Unimon

AprĂšs un thĂ© en sachet bu dans une de ces tasses ramenĂ©es du Japon en 1999, ce pays, plus loin que le hammam, oĂč je ne suis pas retournĂ©, contrairement Ă  ce que je m’étais dit Ă  l’époque, je descends les escaliers de l’immeuble. AprĂšs avoir saluĂ© ma fille qui va partir Ă  l’école et ma compagne. En laissant derriĂšre moi toute cette panoplie de tentacules qui nous met aux prises avec de multiples (fausses) urgences et autres  bienveillantes addictions et soumissions :

 

Carte bancaire, internet, téléphone portable, écran en tout genre, baladeur, montre


 

Je n’existe plus pour le monde connectĂ©, moderne, efficace, virtuel, instantanĂ©, lyophilisĂ©.  Et civilisĂ©. Je n’existe plus. J’ai mĂȘme disparu des rĂ©seaux sociaux, nouvelles zones Ă©rogĂšnes dont les milliards de connexions se sont beaucoup plus vite dĂ©veloppĂ©es ces derniĂšres annĂ©es que les forĂȘts qui disparaissent aprĂšs avoir d’abord disparu de notre regard.

 

Mais Ă©tant donnĂ© que je ne suis pas tout  Ă  fait  l’homme invisible pour les autres dans la rue, je me suis tout de mĂȘme habillĂ© avant de partir de chez moi. J’ai pris mes clĂ©s d’appartement comme de quoi me changer et me laver. Et des espĂšces pour payer.

Paris, novembre 2022, prĂšs de Nation. Photo©Franck.Unimon

7h30, pour arriver au hammam, ce n’est pas si tĂŽt que ça. C’est beaucoup moins tĂŽt que 6h00 ou 6h30, moment oĂč, au Dojo Tenshin, Ă©cole Itsuo Tsuda de RĂ©gis et Manon Soavi (le pĂšre et la fille) tous les jours de la semaine, des pratiquants se retrouvent. Et le week-end, aussi, Ă  8 heures. ( Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022 )

 

7h30,  c’est aussi beaucoup moins tĂŽt sans aucun doute que l’heure Ă  laquelle Maitre LĂ©o Tamaki dĂ©bute ses journĂ©es et ses marathons de voyages et de stages ( Dojo 5Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022  ) . C’est sans doute aussi plus tard que l’heure Ă  laquelle Maitre Jean-Pierre Vignau (Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau) dĂ©marre ses journĂ©es ainsi que Yves ( PrĂ©paratifs pour le stage d’apnĂ©e Ă  Quiberon, Mai 2021, Quiberon, Mai 2021.  ) le responsable de la section apnĂ©e de mon club qui ne vit pas de cette activitĂ© et qui a aussi un emploi et une vie de famille.

 

A l’arriĂšre plan, on peut voir une affiche montrant Fela, beaucoup plus NigĂ©rian qu’EuropĂ©en. Photo©Franck. Unimon, Paris, fin 2022.

Au hammam, Ă  quelques mĂštres de la douche, je tombe sur un homme. En maillot de bain, torse nu, il porte des lunettes de vue. MĂȘme si j’ai laissĂ© les miennes dans mon casier, je vois que c’est un EuropĂ©en. Comme j’ai un peu oubliĂ© comment ça se passe, je l’interroge. Celui-ci me rĂ©pond cordialement. J’apprends aussi qu’il va au hammam une fois par semaine. TantĂŽt Ă  celui-ci. TantĂŽt Ă  un autre, Ă  BarbĂšs. Il habite Ă  Cormeilles en Parisis, pas trĂšs loin en train. Une ville que je connais et que j’aime bien. J’y vais quelques fois. A sa mĂ©diathĂšque trĂšs bien fournie en dvds.

 

Le hammam Ă  BarbĂšs « fait plus hammam Â» me rĂ©pond-t’il. C’est aussi un peu plus cher. 22 euros. « Ici, ça fait plutĂŽt sauna. Mais, ce qui est bien, c’est que ça  ouvre Ă  7 heures. Alors qu’ailleurs, ça ouvre souvent Ă  10h ou 11h. Habituellement, ici, je viens plutĂŽt le samedi matin. Entre 7h et 9h, c’est trĂšs bien. Il n’y a personne. Aujourd’hui, je suis en congĂ©. Lorsque je ne vais pas au hammam pendant une semaine, je ne me sens pas bien. C’est comme faire du sport Â» me dit-il.

A la Gare du Nord, en juin 2022.

 

Avec mes horaires dĂ©calĂ©s et la proximitĂ©, je n’ai pas de bonne raison pour avoir ignorĂ© aussi longtemps ce hammam de la gare. A part le fait et ma prĂ©tention d’avoir toujours eu d’autres prioritĂ©s et d’ĂȘtre pressĂ©. Car pour bien profiter du hammam, il faut bien avoir deux Ă  trois heures devant soi au minimum.

 

Une des oeuvres exposĂ©es de CĂ©cile Thonus, lors d’une journĂ©e portes ouvertes des artistes Ă  Argenteuil. Photo©Franck.Unimon

La douche est trĂšs chaude. Cela m’étonne. Celui qui m’a prĂ©cĂ©dĂ© dans le hammam me rĂ©pond que c’est lui qui l’a rĂ©glĂ©e de cette façon. Il « ramĂšne Â» l’eau froide. Mes premiĂšres expĂ©riences de sauna et de hammam datent de mon adolescence. Lorsque je faisais de l’athlĂ©tisme. L’eau trĂšs froide, le trĂšs chaud. L’alternance. Douches froides, bain froid, sauna. Courir dehors par temps froid, faire des cross, y compris dans la boue.  C’est Ă  cette Ă©poque que j’avais dĂ©couvert ça. Je n’ai jamais gagnĂ© le moindre cross mais je les avais toujours finis.

 

Plusieurs annĂ©es plus tard, je continue de suivre les mĂȘmes principes. Ceux que l’on m’avait appris dans ce club d’athlĂ©tisme, Ă  Nanterre, mais aussi chez moi. Dans ma famille.

 

Nous entrons tous les deux dans le hammam ou le sauna car il s’agit d’une chaleur sĂšche. Nous continuons encore de discuter. L’homme est devant moi en train de parler depuis Ă  peine deux minutes quand il me dit :

 

« Il fait chaud ! Â». Puis, il sort. Ou, plutĂŽt, il se dĂ©pĂȘche de sortir.

Paris, fin 2022. Photo©Franck.Unimon

Je m’installe et m’assieds sur la plaque de marbre sous ce soleil de pierre. Et, peut-ĂȘtre, de priĂšres. Je pense trĂšs vite Ă  mon travail. Puis Ă  ma compagne dans une situation dĂ©cisive. Ensuite, c’est un bombardement de pensĂ©es. Un carnage. Je me dis qu’avant un acte amoureux, il faudrait d’abord aller au hammam ou au sauna chacun de son cĂŽtĂ©. Puis, ensuite, se retrouver. Pourquoi s’enquiquiner dans un restaurant Ă  s’alourdir la panse en restant coincĂ©s dans des vĂȘtements de convenance ou Ă  rester assis dans une salle de cinĂ©ma Ă  se frotter les yeux avec de la 3D alors que ce que l’on veut, c’est le plan B ?

 

 

Avatar 2, Black Panther 2, Pacifiction, Les Rascals, Grand Marin et d’autres Ɠuvres cinĂ©matographiques attendront encore un peu malgrĂ© leur (trĂšs) grand succĂšs public et critique. Car je suis au hammam de la gare d’Argenteuil et au summum de ma pensĂ©e.

Une des oeuvres de Thibaut Dapoigny lors d’une des portes ouvertes des artistes Ă  Argenteuil. Photo©Franck.Unimon

 

Lorsque mon « guide Â» du hammam revient, il commence Ă  s’enduire le corps de savon noir. Puis, en me tournant le dos et en baissant un peu son maillot de bain, il me demande si je veux bien lui en mettre sur le dos. Je sais que cela peut se faire. Mais je me dis maintenant que savonner quelqu’un peut ĂȘtre une pratique risquĂ©e. Car je me rappelle que le hammam peut ĂȘtre un lieu de rencontres sociales mais aussi de drague.

 

Les autres risques, c’est le bruit et l’agitation. Ici, pour celles et ceux qui l’auraient imaginĂ©, je ne pense pas du tout aux coups de feu du colt du coĂŻt dans un hammam et au risque d’y ĂȘtre dĂ©couvert. Mais au fait  que je vais aussi au hammam pour ĂȘtre au calme. Certains s’isolent dans un cloĂźtre ou dans une maison de campagne. Moi, je vais au hammam. Chacun ses moyens.

 

Mon « voisin Â» ne tient pas en place. Trop forte chaleur ou Ă©rection,  il sort Ă  peu prĂšs toutes les quatre minutes ou plus rapidement. Il part se doucher. Puis revient aprĂšs quelques minutes. Cependant, il ne m’envahit pas. S’il m’a tutoyĂ© au dĂ©part, il s’est ensuite fidĂ©lisĂ© Ă  mon vouvoiement.

 

 

J’estime qu’à peu prĂšs dix minutes se sont Ă©coulĂ©es lorsque je pars prendre ma premiĂšre douche froide.

 

ça passe.

 

Je retourne dans le hammam oĂč, cette fois, je m’allonge sur cette petite plage de marbre en gardant mes jambes repliĂ©es car il n’y a pas la place pour s’étendre de tout son long. Pendant ce temps,  mon voisin poursuit ses pĂ©rĂ©grinations. J’entends le bruit de ses claquettes mais aussi de son maillot de bain qui glisse lorsqu’il se remet debout. Ses pas accĂ©lĂ©rĂ©s. La porte poussĂ©e avec hĂąte quand il sort comme s’il quittait un saloon de western.

Affiche du chanteur Renaud, dans le métro, en 2022.

A ma deuxiĂšme douche froide, je sens que je vacille un peu sous l’eau lorsque je ferme les yeux. J’ai un peu le souffle coupĂ© lorsque celle-ci me tombe sur la tĂȘte, la nuque, et recouvre mon visage.

 

Je titube un peu en allant vers ma troisiĂšme douche froide. Entre temps, alors que j’étais allongĂ©, un Arabe massif est arrivĂ©. Il doit bien faire dans les 110 ou 120 kilos. Nous nous sommes retrouvĂ©s Ă  trois dans le hammam :

 

Un Européen, un Antillais et un Arabe. Belle mixité.

 

Mais si l’Antillais est bien sĂ»r indolent, il se trouve avec, d’un cĂŽtĂ©, un agité .et un compĂ©titeur.

L’aventurier Mike Horn, en couverture du magazine Survivre, en 2022.

Je me dis qu’il doit souvent se retrouver ces trois catĂ©gories dans un hammam ou dans un sauna. Celui qui multiplie les expositions brĂšves de trois Ă  cinq minutes (les sprints) dans le trĂšs chaud. Celui qui prend son temps, l’endormi ou l’aguicheur, c’est selon. Et, celui qui veut faire le maximum et, si possible, qui tient Ă  rester plus longtemps que les autres.

 

Peut-ĂȘtre que j’en rajoute.

 

Peut-ĂȘtre que notre lutteur du hammam avait peu de temps devant lui. Mais cela m’a fait drĂŽle de l’entendre s’encourager, de boire un peu d’eau Ă  deux ou trois reprises. Comme s’il essayait de gagner une course contre l’augmentation de la tempĂ©rature. 

 

ll avait l’air de serrer les dents. Il lui fallait tenir la corde jusqu’au bout et garder la position ainsi que la tĂȘte haute. Etait-il satisfait de lui lorsque je l’ai entendu sortir en se ruant presque  hors de la piĂšce ?  Alors qu’il Ă©tait en train se faire « gommer Â» ?

 

« Gommeur Â», dans un hammam, c’est dur. Passer des heures, torse nu, dans la chaleur, Ă  passer sur les peaux des autres.

 

 

Ma quatriĂšme douche froide est rĂ©ussie. Je me sens bien sous l’eau froide. Je respire de maniĂšre apaisĂ©e.

 

AprĂšs Ă§a, en sortant, j’ai le plaisir de voir le thermos prĂšs du plateau qui contient quelques verres de thĂ©. Ils sont tous retournĂ©s sauf un. D’emblĂ©e, je sais ce qui se trouve dans le thermos. Je me sers aussitĂŽt un premier verre. C’est chaud. C’est bon. SucrĂ© comme il le faut.

A Montreuil, le 4 juin 2021. Photo©Franck.Unimon

 

 

Je me dirige vers la salle de repos. Je cherche l’heure. 9h05. A peu prĂšs 1h30. Je crois que c’est plutĂŽt une bonne sĂ©ance pour une reprise.

 

Ce temps dans la salle de repos est selon moi aussi important que celui passé dans le hammam et sous la douche froide.

 

Je prends la dĂ©cision rĂ©solue de m’en tenir Ă  trois verres de thĂ©. J’en boirai cinq.

 

TrĂšs vite, trente minutes passent. Puis, c’est le moment d’aller se rhabiller et de partir aprĂšs avoir remerciĂ© le gĂ©rant et la dame, assise dans la cuisine derriĂšre lui, prĂšs de la table. C’est elle qui a prĂ©parĂ© le thĂ© Ă  la menthe. PrĂšs du comptoir, je vois aussi plein de canettes de sodas sucrĂ©s. Je dis que j’espĂšre prendre moins de temps pour revenir la prochaine fois.

Gare St Lazare, Paris, 22 septembre 2020. Photo©Franck.Unimon

Je sors lĂ©ger en optant pour avoir une vraie journĂ©e de repos. Pour faire une vraie sieste cette aprĂšs-midi avant de retourner ce soir au karatĂ©. Un Maitre comme Jean-Pierre Vignau, 77 ans, qui prend la peine d’appeler tous ses Ă©lĂšves pour leur souhaiter la nouvelle annĂ©e est un Maitre qu’il faut aller retrouver. MĂȘme si c’est Ă  une heure de transports en commun de chez soi. MĂȘme si demain, matin, j’ai prĂ©vu de me rendre Ă  Ste Anne Ă  un sĂ©minaire animĂ© par Claude Orsel sur les addictions au jeu avec la prĂ©sence, entre autre, de Marc Valleur, l’ancien mĂ©decin chef de Marmottan.

 

J’attends une heure au minimum avant de manger.  En attendant, je me mets Ă  Ă©crire cet article, et, Ă©videmment, j’écris pendant plus d’une heure. Plus de quatre heures sont passĂ©es depuis ma sortie du hammam.

 

 

Je ne pourrai peut-ĂȘtre pas aller dans un hammam une fois par semaine comme cet homme que j’ai rencontrĂ©. Mais j’aimerais bien recommencer ici et ailleurs ce genre de sĂ©ance. En allant aussi me faire masser dans des lieux de massage.

 

 

Bonne annĂ©e 2023, et meilleurs vƓux !

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 janvier 2023.