Catégories
Echos Statiques

Sans Pardon

                                                         Sans Pardon

Seuls des parents peuvent apprendre le pardon Ă  leurs enfants pour eux-mĂȘmes et pour les autres. Et, ce faisant, ils leur Ă©vitent peut-ĂȘtre bien des prisons. C’est ce que ma fille m’a rappelĂ© tout Ă  l’heure alors que je venais de me lever. Debout plus tĂŽt ce matin afin de l’emmener Ă  l’école (cette fois-ci, en dĂ©pit  de la grĂšve et du service minimum actif dans bien des Ă©coles publiques, la maitresse de ma fille ne fait pas grĂšve A l’école de ma fille )  je pensais Ă  mes articles :

 

Je me disais que, pour l’époque, mes articles manquent de Rap, de Slam,  de théùtre, d’OpĂ©ra, de sport, d’images et de jeux vidĂ©os, de montages sonores et visuels, d’images de synthĂšse, de musique, de jeux de rĂŽles et aussi de rĂ©seaux sociaux numĂ©riques mais aussi humains. Et d’Ă©cologie. 

MĂȘme si le nombre de lectrices et de lecteurs augmente sur mon blog, je me dis qu’alors que j’aime rencontrer des gens, je dois ĂȘtre vraiment particuliĂšrement nĂ©vrosĂ©, plus qu’incompĂ©tent- et trĂšs  trĂšs mĂ©fiant – lorsqu’il s’agit de commettre un  « buzz Â», ou, plus simplement, de savoir partager avec d’autres certaines arcanes de mes comĂštes  mentales. Il est vrai que j’ai cette tendance depuis l’enfance : seuls certaines et certains Ă©lus ont (eu) mes faveurs pour le pire et le meilleur.

 

Lire quelques articles du site Urban Track’z  (créé par Zez Shalmani) pour lequel j’écris principalement dans la rubrique 7Ăšme art m’avait dĂ©jĂ  donnĂ© Ă   apprĂ©hender certains de mes manquements sociaux. Mais, en plus, hier soir, avant de me coucher, j’ai lu plusieurs articles sur le mĂ©dia en ligne BB qui a plus Ă  voir avec le Bondy Blog  qu’avec BB King ou Brigitte Bardot.

 

Je connaissais le Bondy Blog de nom depuis des annĂ©es mais je n’avais jamais pris le temps de lire autant de ses articles. C’est en tombant hier sur la page Facebook de Jamila Ouzahir, attachĂ©e de presse,  d’un article du Bondy Blog consacrĂ© au premier film rĂ©alisĂ© par Abdel Raouf Dafri qui sortira ce 22 janvier ( Qu’un sang impur
) que cela m’a donnĂ© envie de lire plus d’articles du Bondy Blog.

 

J’ai beaucoup aimĂ© la patte de l’article de la journaliste Latifa Oulkhouir :

Dafri, tonton flingueur.

Laquelle Latifa Oulkhouir s’est avĂ©rĂ©e ĂȘtre celle qui dirige maintenant le Bondy Blog.

Car aprĂšs avoir lu son article et l’interview qu’elle a rĂ©alisĂ©e, avec Audrey Pronesti, d’Abdel Raouf Dafri, j’ai ensuite pris le temps de cliquer sur Qui sommes nous ? et de regarder les photos des rĂ©dactrices et des rĂ©dacteurs du BB comme de lire la façon dont ils se prĂ©sentent.

 

Avec un peu de soulagement, j’ai constatĂ© que trĂšs peu d’entre eux Ă©taient sur Instagram en plus de Facebook alors que j’ai quand mĂȘme un compte Instagram. MĂȘme si je le nĂ©glige (balistiqueinstagram). J’ai constatĂ© la «panoplie Â» de profils des unes et des autres, leur niveau d’études et de compĂ©tences, ainsi que l’humour de certaines prĂ©sentations.  

 

Je n’ai pu que noter la briĂšvetĂ© de leurs articles par rapport aux miens. Ce qui donne Ă  coup sĂ»r un caractĂšre pratique Ă  leur lecture.

 

C’est ainsi que j’en suis arrivĂ© Ă  aimer lire :

L’interview du rappeur Dinos – que je ne connaissais pas mais j’ai plusieurs cratĂšres de lacunes dans le Rap- rĂ©alisĂ©e par FĂ©lix Mubenga : Le succĂšs arrivera quand il doit arriver.

 

L’article de Nesrine Slaoui Djebril Zonga, jamais deux vies sans trois sur l’acteur Djebril Zonga (qui joue dans le film Les MisĂ©rables de Ladj Ly Les misĂ©rables 2Ăšme partie ) mais aussi, toujours de Nesrine Slaoui, l’article A la finale d’Eloquentia, le poids des bons mots.

 

Soumaya, l’histoire vraie (qui dĂ©range) d’une citoyenne française, rĂ©digĂ© par Chahira Bakhtaoui.

 

Lyna Khoudri, destin d’actrice, mĂ©moires d’AlgĂ©rie, encore par Nesrine Slaoui.

 

Aya Ă  l’Huma : alliage improbable, succĂšs indĂ©niable par Fleury Vuadiambo.

 

La Tornade Megan Thee Stallion est passée à Paris ( et ça valait le détour) par Sylsphée Bertili.

 

Le Festival CinĂ©-Palestine, un regard tendre et juste sur Gaza  par Arno Pedram.

 

Ta-Nehisi Coates : Trump ou la revanche des suprĂ©macistes blancs par HĂ©lĂšna Berkaoui.

 

Trois femmes, trois rĂ©sistantes, trois hĂ©roĂŻnes de la guerre d’AlgĂ©rie par Kab Niang.

 

François Beaune : «  Mon boulot, c’est que la rĂ©alitĂ© te prenne en pleine figure Â» ( Ă  propos de son livre Omar et Greg) par Jimmy Saint-Louis.

 

 

Pourtant, je ne crois pas que la longueur variable de mes articles soit aujourd’hui le point faible principal de mon blog, balistiqueduquotidien.com, pour plus et mieux le faire connaütre.

 

 

Ce matin, je pensais aussi Ă  mon article sur le livre Bravo Two Zero d’Andy MacNab ( Bravo Two Zero ). Je me disais qu’il allait me falloir Ă©crire qu’il me faisait aussi penser au personnage jouĂ© par Sean Penn dans le film Mystic River rĂ©alisĂ© par Clint Eastwood en 2003. Et je remarquais que le nom de « Penn Â» rime facilement avec le nom de la ville Phnom Penn. Puis, ma fille m’a appelĂ© dans le noir. J’ai rĂ©pondu : «  Oui ? Â». Alors qu’elle est venue jusqu’à moi, j’ai fait un pas oĂč deux pour me rapprocher d’elle. Elle est venue se mettre contre moi. Nous nous sommes embrassĂ©s. Puis, elle est repartie avec le sourire. Je ne m’y attendais pas.

 

Mais il est des enfants qui grandissent sans pardon. Et se barricader a plus Ă  voir avec le rhum arrangĂ© qu’avec une solution pour Ă©viter le danger.

 

En allant voir ma fille pour la prĂ©parer pour l’école, je me suis dit que j’allais envoyer cet article au Bondy Blog dans leur partie Contactez-nous. J’hĂ©sitais encore sur la forme Ă  donner Ă  ce courrier :

 

Sous forme de lien numĂ©rique en provenance de mon blog  (le plus probable ), sous format Word (au cas oĂč ils craindraient un lien manutentionnĂ© par de mauvaises intentions) ou sous une forme verbale de type podcast comme je l’ai fait pour Descartes ? ( Descartes)

 

Franck Unimon, ce jeudi 9 janvier 2020.

 

 

Catégories
Echos Statiques

Entre le rĂȘve et le sel

                                            Entre le rĂȘve et le sel

«  Alors, Roybon, on ravage ?! Â». AprĂšs bien des efforts tĂȘtus au sortir de ma sieste, j’ai fini par retrouver et ressortir cette ancre disparue, cette fin de phrase aperçue lors de ma lecture il y a deux ou trois mois du livre Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel  de Jean-Pierre Roybon, ancien nageur de combat de la marine.

 

Chacun ses obsessions.

 

Dans son New York Vertigo, ( RentrĂ©e des classes)Patrick Declerck raconte bien avoir tenu, Ă  New York  en septembre 2012, Ă  prendre le temps de lire «  lentement Â» le nom des 2983 victimes des attentats terroristes. Soit, comme il le dĂ©compte scrupuleusement, «  les 2977 victimes des quatre attaques du 11 septembre aux deux tours, au pentagone, et dans le vol United Airlines 93  qui s’est Ă©crasĂ© en Pennsylvanie, plus les 6 tuĂ©s lors de la premiĂšre tentative du 26 fĂ©vrier 1993. Cette lecture lui prend «  un peu plus d’une heure et demie Â». Il estime que cela n’est pas beaucoup de temps mĂȘme si son action ne sert sans doute Ă  rien.

 

Cet article-ci, comme d’autres de mes articles, ne sert sans doute Ă  rien non plus. Il est salvateur, aussi, de savoir se regarder avec autant de prĂ©cision que de dĂ©rision. Mais je crois de plus en plus Ă  la vertu d’écrire au sortir du sommeil sans trop se circonscrire. Amadou HampatĂ© Ba. Amadou HampatĂ© Ba. Lorsque je l’aurai vu, il faudra aussi que j’écrive sur le film Grigris rĂ©alisĂ© en 2013 par Mahamet Saleh-Haroun. Quand j’avais interviewĂ© Mahamet Saleh-Haroun pour le mensuel Brazil Ă  propos de son film Un homme qui crie, je me souviens comme je l’avais beaucoup touchĂ© lorsque je lui avais dit Ă  propos du personnage principal, maitre-nageur dans un hĂŽtel de luxe au Tchad, ancien champion de natation :

«  On dirait qu’il liquide sa descendance Â». 

Je crois pouvoir affirmer, mĂȘme si cela ne regarde que moi et qu’il me sera sĂ»rement impossible de le dĂ©montrer, que le rĂ©alisateur Mahamat Saleh-Haroun, avait alors rĂ©pĂ©tĂ© ma phrase comme s’il assimilait une nouvelle donnĂ©e de son personnage principal ou cette autre façon de le dĂ©crire. 

 

 

J’estime avoir mal parlĂ© du livre de J-Pierre Roybon dans mon article d’il y a quelques mois Mes rĂȘves avaient un goĂ»t de sel. J’ai trop parlĂ© de moi et je continue. Mais il y a plusieurs façons de parler d’un livre. Notre inspiration varie selon les jours. Pour le livre Bravo Two Zero d’Andy MacNab, aussi, j’aurais pu m’y prendre autrement ( Bravo Two Zero ). D’ailleurs, je vais refaire quelques corrections dans mon article :

Si le numĂ©ro de TĂ©lĂ©rama de cette semaine a mis l’actrice amĂ©ricaine Scarlett Johansson en couverture avec le titre Star innĂ©e, je crois avoir un peu trop forcĂ© en parlant de l’élite des combattants et des forces de police comme des individus qui ont des capacitĂ©s « innĂ©es Â». Des capacitĂ©s physiques et mentales hors-normes, oui. InnĂ©es, pas forcĂ©ment.

Jean-Pierre Roybon, au dĂ©part, avant de s’engager dans l’armĂ©e un peu avant ses 18 ans, n’était pas particuliĂšrement sportif par exemple. Mais il rĂȘvait des nageurs de combat et de l’armĂ©e depuis trĂšs jeune. Dans un autre univers, Ellen Mac Arthur, la navigatrice, a beaucoup rĂȘvĂ© de la mer, enfant, avant de commencer Ă  prendre des cours de navigation. Contrairement Ă  un Jean-Pierre Roybon nĂ© au bord de la mer, Ă  Toulon, Ellen Mac Arthur, elle, a d’abord vĂ©cu dans les terres. Si l’on peut, Ă©videmment, avoir des aptitudes innĂ©es hors-normes, il est bien des personnes qui se transcendent le moment venu aprĂšs des annĂ©es de maturation, de formation et de rĂȘve. Que ce soit dans les Ă©tudes, dans une carriĂšre, dans une pratique sportive ou dans une activitĂ© quelconque. On peut souhaiter que cela soit aussi pour le « bien » d’autrui. Mais c’est souvent, d’abord, pour soi-mĂȘme. 

 

«  Alors, Roybon, on ravage ? Â».

 

C’était ce qu’un des instituteurs disait avec un peu d’ironie au jeune Roybon qui devait se contenter d’une pĂȘche de seconde main au bord de l’eau. Alors que l’instituteur, lui, partait en mer sur son bateau personnel. Dans son livre, Roybon raconte que ces rencontres assez frĂ©quentes et quelques peu « taquines Â» avec son instituteur, avaient eu peu d’incidence ascensionnelle sur ses notes scolaires. On peut facilement imaginer la scĂšne avec l’instituteur qui s’adresse sur un ton un peu sarcastique et hautain, de maniĂšre rĂ©pĂ©titive, avec l’accent du sud, au minot qu’il toise un peu et qu’il laisse sur place avec l’Ă©cume en prenant le large avec son bateau ou en revenant du large, le regard et le visage pleins d’embruns.

 

Pourtant, quelques annĂ©es plus tard, ce minot allait d’abord dĂ©couvrir- avec l’autorisation et l’encouragement de ses parents- la plongĂ©e sous-marine vers ses 15 et 16 ans en compagnie d’adultes expĂ©rimentĂ©s. Puis s’engager dans l’armĂ©e et, par Ă©tapes, Ă  force d’entraĂźnement, devenir un nageur de combat de la marine et faire partie des Ă©lites du «  corps Â» militaire.

 

On peut peut-ĂȘtre affirmer que son instituteur qui, pendant plusieurs annĂ©es, avait rencontrĂ© quantitĂ©s d’élĂšves, a pu ĂȘtre surpris plus d’une fois en apprenant plus tard, lorsqu’il l’a appris, ce qu’avaient pu « devenir Â» certaines et certains de ses Ă©lĂšves passĂ©s. Et, Ă  travers le parcours militaire d’un Jean-Pierre Roybon, plus que le soldat qui acquiert la capacitĂ© et le droit de dĂ©truire et de tuer, je souligne ici la discipline Ă  laquelle on est spontanĂ©ment capable de s’astreindre tous les jours dĂšs lors que l’on a un rĂȘve, un projet ou une ambition. MĂȘme si ça ne sert Ă  rien pour faire encore de l’humour noir. D’écrire. De faire de la musique. Du sport. De faire rire. De chanter. De dessiner. De croire en quelque chose. De croire en quelqu’un. Cela ne sert Ă  rien si l’on tient seulement, tout le temps et tout de suite, Ă  obtenir un retour sur investissement. Du succĂšs. De la reconnaissance. Une explication. Une rĂ©ponse. Un rĂ©sultat. A ĂȘtre une star innĂ©e. Et chaque fois que l’on nous demande «Comment vas-tu ? Â», toujours, nous devrions rĂ©pondre : « Ă§a ne sert Ă  rien Â». Chaque fois que l’on nous fait un compliment, nous devrions aussi ajouter : «  ça ne sert Ă  rien Â».

 

Je suis maintenant Ă  peu prĂšs rĂ©veillĂ© et c’est dĂ©sormais que certains ennuis commencent car il me faut trouver du sens Ă  ce que je viens d’écrire. Alors que ça ne sert Ă  rien.

 

Franck Unimon, ce mercredi 8 janvier 2020.

 

 

 

 

 

Catégories
Echos Statiques Puissants Fonds/ Livres

Rentrée des classes

 

                                                    RentrĂ©e des classes

La rentrĂ©e des classes s’est bien passĂ©e ce matin. Il y avait du givre sur le pare-brise de certaines voitures. Il faisait plus froid que ce Ă  quoi je m’attendais.

 

Nous sommes arrivĂ©s avec environ cinq minutes d’avance. D’autres parents, une majoritĂ© de mamans, Ă©taient dĂ©jĂ  prĂ©sents.

 

HĂ©bĂ©tĂ© devant l’école, et sĂ»rement aussi par mes pensĂ©es alors que je regardais ma fille s’éloigner dans la cour, je n’ai pas tout de suite entendu lorsque la maman d’une des copines de ma fille m’a saluĂ© et souhaitĂ© «  Bonne annĂ©e ! Â». La petite Ă©tait Ă©galement lĂ , souriante. J’ai remerciĂ© la maman et lui ai aussi adressĂ© les mĂȘmes vƓux. J’avais oubliĂ© ce rituel social auquel je suis pourtant attachĂ©.

 

C’est Ă©galement par surprise que la maitresse de ma fille m’a en quelque sorte adressĂ© ses meilleurs vƓux. Je voulais juste lui dire bonjour et, comme elle avait eu quelques mots pour ma fille venue Ă  sa rencontre, m’assurer que tout allait bien. Et puis, devant moi, avec son sourire et son attention amplifiĂ©es, Ă  en ĂȘtre illuminĂ©e, j’ai compris que mes quelques mots de politesse Ă©taient pour elle une extraordinaire source d’encouragement et de sympathie. C’était le premier jour de la rentrĂ©e des classes, ce lundi 6 janvier 2020, aprĂšs les vacances de NoĂ«l, et, dĂ©jĂ , par son attitude, la maitresse de ma fille signalait qu’elle Ă©tait prĂ©sente au poste et prĂȘte Ă  repartir Ă  l’assaut de l’enseignement avec le sourire. Quelles que soient les difficultĂ©s ! Quel que soit le mal infligĂ© et refait Ă  l’école publique !

 

Je me suis tu. Je me suis contentĂ© d’acquiescer en souriant. Et de partir. En rentrant, j’ai retrouvĂ© la longue file de voitures qui attendait au feu rouge en bas de chez nous. Et j’ai vu filer sur la gauche vers le feu, en short, casque et sac Ă  dos, sur son vĂ©lo, un homme noir qui partait sans doute au travail.

 

 

J’avais prĂ©vu d’écrire la troisiĂšme partie ( CrĂ©dibilitĂ© 2 )  de CrĂ©dibilitĂ© : A L’assaut des PyrĂ©nĂ©es   tout en me demandant si cela aurait un intĂ©rĂȘt particulier pour d’autres. Il a suffi de cette rentrĂ©e de classe de tout Ă  l’heure pour que j’opte de parler d’abord du livre New York Vertigo  de Patrick Declerck que j’ai pris le temps de terminer hier soir avant de me coucher.

Ce qui venait de se passer en ramenant ma fille Ă  l’école m’avait peut-ĂȘtre donnĂ© ma rĂ©ponse devant son pessimisme envers l’HumanitĂ© ( «  L’espĂšce est pourrie Â») qu’il justifiait- Ă  nouveau- simplement et magistralement dans les 120 petites pages de son dernier ouvrage Ă  ce jour.

 

 

 

Avant de lire New York Vertigo  paru en 2018 que j’avais achetĂ© sans doute Ă  sa sortie, j’avais lu quelques commentaires sur le net sur plusieurs de ses livres. Le dithyrambe cĂŽtoyait le sarcasme et la menace fantĂŽme.

 

 

Patrick Declerck fait partie des personnalitĂ©s que j’ai trĂšs vite pensĂ© interviewer pour mon blog balistiqueduquotidien.com. Mais je me suis aussi rapidement dit qu’avant d’essayer de le faire, qu’il faudrait d’abord que mon blog ait du fond. Et, du fond, pour moi, cela peut-ĂȘtre autant bien Ă©tudier l’Ɠuvre et la vie de la personne que l’on souhaite interviewer que, soi-mĂȘme, poser sur la table une partie de son bagage personnel qui va donner envie Ă  la personne interviewĂ©(e) de nous rencontrer et de se livrer. Beaucoup trop d’interviews voire de rencontres se rĂ©sument Ă  un Ă©change de balles de ping-pong, oĂč, d’un cĂŽtĂ©, une personne rĂ©pond Ă  des  demandes et Ă  des sollicitations formulĂ©es par des centaines ou des milliers d’anonymes, qui, dans les grandes lignes, malgrĂ© toute leur sincĂ©ritĂ© et leurs efforts d’originalitĂ©, restent des stĂ©rĂ©otypes. Cet Ă©change, plutĂŽt qu’une rencontre, se limite donc souvent Ă  une fonction promotionnelle. Si toute campagne de promotion compte pour la rĂ©ussite de nos projets (pour ĂȘtre embauchĂ© quelque part ou pour aborder et sĂ©duire une personne qui nous plait, il faut bien d’abord commencer par rĂ©ussir sa promotion personnelle) les vĂ©ritables rencontres, pour s’établir, et durer, ont besoin de plus que des compliments, des promesses et des sourires.  Mais, bien-sĂ»r, tout est affaire de moment, de tempĂ©rament et de prioritĂ© : certaines personnes prĂ©fĂšrent privilĂ©gier, en toutes circonstances, leur promotion et leur satisfaction personnelle. D’autres, peut-ĂȘtre par ignorance ou par faiblesse, vont chercher Ă  bĂątir des rencontres. Y compris, parfois, dans les pires conditions.

 

 

Patrick Declerck avait pu faire « parler Â» de lui en 2001 avec son livre Les NaufragĂ©s de la terre- avec les clochards de Paris. Psychanalyste et anthropologue, il consacrait alors une grosse partie de son temps Ă  la question des SDF. Il a Ă©crit d’autres livres :

Garanti sans moraline, Socrate dans la nuit, ou CrĂąne sur son intervention chirurgicale, alors qu’il Ă©tait Ă©veillĂ©, pour exfiltrer une tumeur.

 

New York Vertigo est le seul livre que j’ai lu de lui. Les NaufragĂ©s de la terre et Garanti sans moraline sont pourtant dans ma bibliothĂšque depuis des annĂ©es. Plus de dix ans en ce qui concerne son livre Les NaufragĂ©s de la terre. Depuis, sur le sujet des SDF, un mĂ©decin-psychiatre spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions m’a conseillĂ© l’ouvrage De la prĂ©caritĂ© sociale Ă  l’auto-exclusion : une confĂ©rence debat Ă©crit par Jean Furtos. Je l’ai aussi achetĂ© mais je ne l’ai pas encore lu.

 

 

«  C’est trop tard ! Â» avait dit Patrick Declerck. 

 

 

Ce jour-lĂ , Patrick Declerck, grand et massif, avait mis dans le magnĂ©toscope une cassette VHS. Sur le tĂ©lĂ©viseur, avec lui, nous avions dĂ©couvert un entretien. Un SDF Ă©tait interviewĂ© par quelqu’un. SitĂŽt l’interview lancĂ©e, Patrick Declerck s’était installĂ© par terre, devant le tĂ©lĂ©viseur, nous tournant pratiquement le dos. DĂ©jĂ  crĂąne rasĂ©, Il portait un long manteau en laine Ă©paisse de couleur sombre. Sortant un calepin, il avait commencĂ© Ă  prendre des notes. C’était la premiĂšre fois que je voyais ça. C’était sĂ»rement la premiĂšre fois que nous voyions, tous, quel que soit notre Ăąge un des intervenants venant nous faire cours avoir ce genre de comportement. Ordinairement, tous les autres intervenants nous faisaient cours en nous faisant face. La plupart du temps, assis sur une chaise ou debout.

 

C’était il y a trente ans. Peut-ĂȘtre un peu plus. Et nous Ă©tions une vingtaine d’élĂšves-infirmiers (ĂągĂ©s de 18-19 ans Ă  30 ans) avec lui dans la salle de cours de l’hĂŽpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre et qui Ă©tait une ancienne prison pour femmes Ă  ce que m’avait dit ma mĂšre. La Maison de Nanterre, oĂč ma mĂšre et deux de mes tantes ont travaillĂ© comme femmes de mĂ©nage (ASH) puis comme aides-soignantes, a longtemps Ă©tĂ© sous la tutelle de la PrĂ©fecture de Paris. Je l’ai connue dĂšs mon enfance avec ses SDF stationnĂ©s Ă  l’arrĂȘt du bus 304 mais aussi avec ses SDF devenus « rĂ©sidents Â» permanents Ă  l’hĂŽpital. Avec son pain qui Ă©tait fait sur place et auquel nous avions droit pendant des annĂ©es alors que ma mĂšre y travaillait.

 

 

«  C’est trop tard ! Â».

 

 

 

C’était trop tard selon Patrick Declerck parce-que l’intervieweur avait trop attendu pour poser au SDF la bonne question.

 

Il me reste peu de souvenirs du contenu du cours de Patrick Declerck. Je crois l’avoir recroisĂ© ensuite, ou avant,  lors de mon stage de quelques semaines au CASH dirigĂ© alors par le Dr Patrick Henry et qui proposait des soins, une consultation sociale et un hĂ©bergement aux SDF qui le souhaitaient. Je me rappelle que la majoritĂ© des SDF rencontrĂ©s, transportĂ©s depuis Paris dans des bus de la RATP, prĂ©fĂ©raient retourner Ă  la rue. Et aussi que l’un d’entre eux qui portait des lunettes, d’origine vietnamienne pour moitiĂ©, avait Ă  son poignet une montre Ă  aiguilles de grande valeur. Cet homme « prĂ©sentait Â» plutĂŽt bien. Il n’avait rien du pochtron ambulant. Il n’était pas- encore- marquĂ© physiquement par l’alcool ou par la vie dans la rue. J’avais alors entre 19 et 21 ans et avant ces Ă©tudes d’infirmier, je venais du lycĂ©e, Bac B, option Economie.  

 

 

Maintenant, et, depuis des annĂ©es, pour Patrick Declerck, «  l’espĂšce (humaine) est pourrie Â». Il ne parle pas des SDF. Je sais qu’il a Ă©crit «  Je les hais autant que je les aime Â». Je sais aussi qu’il dit prĂ©fĂ©rer leur proximitĂ© et celle de bien des marginaux Ă  celle de tant de personnes bien propres sur elles. Son humour noir Ă  la Cioran ou Ă  la Pierre Desproges est une carie morale pour d’autres. Trop de pessimisme et de cynisme dĂ©priment et dĂ©couragent. La princesse LeĂŻa le rappelle dans le dernier Star Wars Ă©pisode IX : l’Ascension de Skylwalker de J.J Abrams, film oĂč mon passage prĂ©fĂ©rĂ© est celui sur l’étoile morte.

Bien des survivalistes affirmeront sĂ»rement aussi que pour s’en sortir, garder le moral fait partie des conditions nĂ©cessaires. Par l’humour, par l’art, par toute activitĂ© et rĂ©crĂ©ation morale, intellectuelle, spirituelle ou physique qui permet de maintenir tout Ă©lan vital et toute forme d’espoir.

Mais avec son aplomb, son expĂ©rience de professionnel de terrain underground et sa culture de phacochĂšre, les arguments de Patrick Declerck nous encornent plusieurs fois. Et, Ă  ce jour, je ne connais pas de matador, qui, dans l’arĂšne ou dans la jungle, se soit prĂ©sentĂ© face Ă  un rhinocĂ©ros.

 

 

La Religion ? «  Une illusion pleine d’avenir Â» selon Freud, son maitre Ă  penser. Et dans son New York Vertigo, Patrick Declerck, Ă  travers le 11 septembre 2001, nous reparle, prĂ©cisĂ©ment et techniquement, voire de façon balistique, des attentats islamistes.

De mon cĂŽtĂ©, mĂȘme s’il est parfaitement autonome, je peux l’aider question religion en tant qu «  illusion pleine d’avenir Â».

Ce week-end, alors que j’écrivais CrĂ©dibilitĂ© 2,  ma compagne m’a appris « l’histoire Â» de « Madame Desbassayns Â» ou Marie Anne ThĂ©rĂšse Ombline Desbassayns nĂ©e Gonneau-Montbrun de l’üle de la RĂ©union.

 

Riche hĂ©ritiĂšre, cette demoiselle Gonneau-Montbrun, en devenant la femme de « Monsieur Desbassayns Â», est ensuite devenue, une fois veuve, «  une grande propriĂ©taire fonciĂšre de l’üle de la RĂ©union Â». GrĂące aussi Ă  ses esclaves.

 

Selon le site wikipédia, on peut lire que son image est controversée à la Réunion.

Elle aurait Ă©tĂ© une fĂ©roce esclavagiste. Pourtant «  DĂšs le XIXĂšme siĂšcle, ses invitĂ©s et ses proches politiques la couvrent d’éloges. Le gouverneur Milius la surnomme mĂȘme «  la seconde providence Â». Et, toujours sur le site wikipĂ©dia, on peut lire que «  Madame Desbassayns Â» Ă©tait «  d’une ferveur religieuse intense Â».  Mais aussi qu’elle a connu le privilĂšge supplĂ©mentaire de dĂ©cĂ©der (Ă  91 ans !) deux ans avant l’abolition de l’esclavage Ă  la RĂ©union ainsi qu’aux Antilles. En lisant ça, comme Patrick Declerck, je me suis aussi dit que «  la religion est une illusion pleine d’avenir Â» et que «  l’espĂšce (humaine) est pourrie Â».

 

Je crois que la religion ou internet sont, j’allais dire, de trĂšs bonnes inventions. Et que la science, aussi, permet de trĂšs bonnes inventions. Mais qu’ensuite, malheureusement, ça tourne mal car ce qui fait la diffĂ©rence, c’est ce que l’on en fait. Ce qui fait la diffĂ©rence, c’est nos intentions lorsque l’on dispose de tels instruments de pouvoir et de contrĂŽle.

 

 

«  Pouvoir et contrĂŽle Â» sont les deux carburants, les deux aimants, du tueur en sĂ©rie m’avait en quelque sorte rĂ©sumĂ© un jour StĂ©phane Bourgoin, spĂ©cialiste des tueurs en sĂ©rie. Mais, contrairement Ă  des chefs religieux, Ă  des industriels ou Ă  des hommes politiques, les tueurs en sĂ©rie sont gĂ©nĂ©ralement privĂ©s de projets pour le monde et la sociĂ©tĂ©. Pour ce que j’ai compris des tueurs en sĂ©rie, leur prioritĂ© est leur « petite Â» entreprise de destruction qui a dĂ©jĂ  suffisamment de rĂ©percussions douloureuses sur leurs victimes et leurs proches.

 

Les chefs religieux, les industriels et les hommes politiques, eux, prĂ©voient leurs projets sur une grande Ă©chelle : une Ă©chelle de masse. Et ça marche. Ça a marchĂ© et ça marchera encore, nous affirme Patrick Declerck dans son New York Vertigo. Et on est obligĂ© de le croire. Car on « sait Â» qu’il a des arguments. Et les quelques uns dont il nous fait l’obole dans son livre sont intraitables et incurables.

 

Patrick Declerck, homme de connaissances autant que d’expĂ©riences de l’ĂȘtre humain, me fait penser Ă  des personnalitĂ©s comme les avocats Jacques Verges (qui Ă©tait rĂ©unionnais) et Eric Dupont-Moretti. Des personnes qui, Ă  un moment de leur vie, me donnent l’impression d’avoir vĂ©cu l’expĂ©rience «  de trop Â» qui les a dĂ©routĂ©s de maniĂšre dĂ©finitive de certaines illusions concernant l’espĂšce humaine. Peut-ĂȘtre que mes comparaisons sont mauvaises et que cela me sera reprochĂ© par les deux vivants qui restent (Declerck et Dupont-Moretti) par leurs dĂ©tracteurs, par leurs proches ou  leurs admirateurs.

 

« L’espĂšce humaine est pourrie Â». Et, pourtant, j’aimerais savoir, si un jour je rencontre Patrick Declerck et Eric Dupont-Moretti, ce qui les maintient encore en vie. Et dans le plaisir. J’imagine facilement Patrick Declerck me rĂ©pondre laconiquement qu’il lui manque tout simplement le courage de se suicider. Ou qu’il cultive une sorte de lĂ©thargie et de jouissance morbide, sorte de protubĂ©rance parallĂšle Ă  sa conscience, Ă  ĂȘtre tĂ©moin de cette Â« dĂ©bauche gĂ©nĂ©rale Â».

 

Et puis, j’ai emmenĂ© ma fille Ă  l’école tout Ă  l’heure. Puis, je suis revenu de l’école.

 

 

 

Dans New-York Vertigo, Patrick Declerck se moque aussi, Ă©tude clinique Ă  l’appui, du prĂ©sident amĂ©ricain actuel, Donald Trump et «  l’exhorte Â» Ă  appuyer sur le bouton rouge car il y aura bientĂŽt dix milliards d’ĂȘtres humains en 2050. Soit dix milliards de reprĂ©sentants de cette espĂšce, notre espĂšce, qui dĂ©truit la planĂšte, tue, viole, massacre.

 

L’humour du dĂ©sespoir.

 

Si Patrick Declerck avait Ă©crit son livre ce mois-ci, il aurait sĂ»rement parlĂ© de la fuite rĂ©cente, mĂ©prisable et cocasse du Japon de Carlos Ghosn, PDG de Renault-Nissan, alors qu’il Ă©tait libĂ©rĂ© sous caution en attente de son jugement lĂ -bas. Pendant ce temps-lĂ , en France, le gouvernement Macron-Philippe manƓuvre pour dĂ©truire la rĂ©sistance sociale. Oui, «  l’espĂšce est pourrie Â».

 

 

Il y aura donc dix milliards d’ĂȘtres humains sur Terre en 2050. Et la Chine sera peut-ĂȘtre alors la PremiĂšre Puissance mondiale incontestĂ©e. Pour l’instant, les Etats-Unis sont encore cette PremiĂšre Puissance mondiale. S’il y a encore une Terre dans trente ans. S’il y a encore des ĂȘtres humains vivants sur Terre dans trente ans. Si je suis aussi obsĂ©dĂ© par la Chine depuis quelques temps, c’est parce-que j’ai perdu ce regard fascinĂ© et sentimental que je pouvais avoir avant sur la Chine et sa culture. Si la culture de la Chine existe bien-sĂ»r et est aussi admirable que bien d’autres cultures, je perçois aujourd’hui davantage ce que la Chine recĂšle comme capitalisme et rĂ©gime politique et social effrayants.

 

Pourtant, je crois ça : face Ă  ces horreurs dont est capable l’ĂȘtre humain, les enfants sont les champions du moment prĂ©sent. Nous, les adultes, Ă  force d’extrapoler, de penser au passĂ© et Ă  ce qui pourrait arriver de pire, nous en arrivons Ă  dĂ©truire notre propre prĂ©sent. Parce- que nous nous faisons dĂ©former et tabasser en permanence dĂšs notre enfance. Et mĂȘme avant. Parce-que c’est un combat titanesque que de sauvegarder, quotidiennement, une once d’enfance saine en soi et de lui Ă©viter la spĂ©culation financiĂšre et commerciale comme la benne Ă  ordures. Et qu’une fois adultes, il arrive que nous perdions ce combat titanesque. Aucun adulte ne peut s’exclamer, comme quelques rares boxeurs, qu’il compte uniquement des victoires dans son parcours personnel.

 

Et je crois aussi que si nous continuons Ă  vivre, Ă  faire des enfants, Ă  nous multiplier sur la Terre, malgrĂ© tous les signaux alarmants qui proviennent de nos propres comportements, c’est parce qu’il existe une raison- qui nous dĂ©passe- qui fait de nous des ĂȘtres douĂ©s pour la vie quelles que soient les conditions.

 

Ce qui est trĂšs difficile Ă  accepter pour l’ĂȘtre humain d’aujourd’hui, c’est le tri sĂ©lectif.

 

MalgrĂ© ou Ă  cause de toute sa science, de toute son Ă©rudition, de toutes ses solutions, l’ĂȘtre humain voudrait pouvoir dĂ©cider de tout et avoir le choix absolu. Or, il doit continuer d’apprendre que ses possibilitĂ©s de choix et de libertĂ©s restent fugaces, volatiles, imprĂ©cises et limitĂ©es.  Qu’il suffit parfois d’une rue, d’une dĂ©cimale, d’une seconde, d’une virgule, d’un regard, d’un mot, pour qu’un tri s’impose Ă  lui  violemment.

A ses choix,  Ă  sa vie ou Ă  celles et ceux de ses voisins et de ses proches. Et, cela,  selon des critĂšres pour lesquels, rien ni personne ne lui demandera son avis.  Notre vie moderne nous fait oublier constamment cet enseignement : nous sommes des corps soumis Ă  un tri plutĂŽt que des fantĂŽmes et cela a un prix.

 

Ce prix peut ĂȘtre insupportable. Car nous croyons en cette illusion que, forts de nos savoirs, de nos connaissances et de notre puissance, que nous pouvons dĂ©cider de ce prix ou le nĂ©gocier. Parce-que, d’une certaine façon, nous nous croyons Ă©ternels ou irremplaçables sur Terre. Et, ça, c’est aussi une sacrĂ©e illusion humaine pleine d’avenir. Contre ça, crier et pleurer peut peut-ĂȘtre soulager pendant quelques temps. Puis, il faudra vivre, si on le peut, parce-que c’est tout ce qui nous restera.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 6 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

Catégories
Argenteuil Echos Statiques

Jours de grĂšve

 

                                                          Jours de grĂšve

 

 

Le mouvement des gilets jaunes a dĂ©butĂ© il y a un peu plus d’un an maintenant( CrĂ©dibilitĂ©).  

J’ai lu quelque part qu’il y aurait 8000 manifestations par an en France et que les faire « encadrer » par les forces de l’ordre coĂ»terait 150 millions d’euros Ă  l’Etat. Ce soir, je ne trouve pas mes « sources ». 

Depuis ce 5 dĂ©cembre 2019, la grĂšve des transports en commun en rĂ©gion parisienne a dĂ©butĂ©. LĂ , je n’ai pas besoin de sources. Comme beaucoup, je m’adapte Ă  cette grĂšve des transports en commun. Je m’estime nĂ©anmoins moins pĂ©nalisĂ© que d’autres par cette grĂšve- dure- des transports en commun :

Je peux me rendre Ă  mon travail Ă  vĂ©lo en une quarantaine de minutes. Je peux me doucher Ă  mon travail. Et un certain nombre de trains passe encore par Argenteuil Ă  certaines heures de la journĂ©e. Argenteuil reste mieux desservie que bien d’autres villes  de banlieue et mieux aussi que certains coins de Paris.

Depuis le dĂ©but de la grĂšve des transports, seules les lignes de mĂ©tro 1 et 14, les deux seules lignes entiĂšrement automatisĂ©es, ont vraisemblablement continuĂ© d’acheminer des passagers comme si de rien n’Ă©tait. La ligne 7 du mĂ©tro a pu ĂȘtre active au bout de quelques jours. Et j’ai entendu parler de la ligne 5, peut-ĂȘtre, Ă  certains endroits. Autrement, toutes les autres lignes de mĂ©tro sont actuellement « mortes ». 

Certains bus sont prĂ©sents. Et souvent bondĂ©s. Dans certaines rues de Paris, par moments, on peut ressentir une petite sensation de hĂąte, parmi tous ces piĂ©tons en surplus. C’est ce que j’ai ressenti avant les fĂȘtes de NoĂ«l Ă  la marche en me dirigeant vers la place Clichy depuis la gare St Lazare.

 

Pour moi, la raison de cette grĂšve prolongĂ©e des transports en commun parisiens est destinĂ©e Ă  protester contre la rĂ©forme des retraites. Le 5 dĂ©cembre, les personnels des Ă©coles et des hĂŽpitaux publics faisaient Ă©galement grĂšve. 

 

Je crois que la longĂ©vitĂ© de cette grĂšve des transports va changer l’Ă©tat d’esprit de quelques personnes : par exemple, dans mon service, plusieurs de mes collĂšgues viennent dĂ©sormais Ă  vĂ©lo au lieu de prendre les transports en commun. Un de mes collĂšgues m’a appris qu’il pouvait ĂȘtre trĂšs difficile de trouver un vĂ©lib. Il regrettait d’avoir choisi l’option d’avoir pris un abonnement aux vĂ©lib en prĂ©vision de la grĂšve. Il estimait qu’il aurait mieux fait de s’acheter un vĂ©lo.

J’ai appris par une collĂšgue que les gens faisaient la queue pour faire rĂ©parer leur vĂ©lo Ă  DĂ©cathlon. Cette collĂšgue n’a pas eu de chance : deux crevaisons en deux jours. Elle avait reçu son vĂ©lo neuf trois semaines plus tĂŽt. La premiĂšre fois, Ă  DĂ©cathlon, sa crevaison avait Ă©tĂ© rĂ©parĂ©e assez rapidement. La seconde fois, elle avait dĂ» attendre 3h30.  » C’est 30 minutes par vĂ©lo » selon les propos d’un des employĂ©s de l’enseigne. Cette grĂšve des transports doit rendre heureux les vendeurs de vĂ©los et de trottinettes .

 

Avant cette grĂšve, je n’avais jamais fait le trajet Ă  pied jusqu’au travail depuis la gare St Lazare. Pourtant, j’aime marcher. Mais la « facilité » des transports en commun et leur caractĂšre pratique m’ont souvent rattrapĂ©. MĂȘme si j’essaie de plus en plus de rompre avec cet espace d’enfermement que peuvent ĂȘtre le mĂ©tro, les couloirs du mĂ©tro ainsi que les contrĂŽles de  » titre de transport » et leurs auxiliaires  dissĂ©minĂ©s  : les portes de « validation ». 

Il est vrai que j’habite Ă  une distance « raisonnable » de mon lieu de travail. A environ 14 kilomĂštres. Si j’habitais Ă  Melun ou Ă  Cergy, je m’abstiendrais d’essayer de venir au travail Ă  vĂ©lo ou Ă  pied. 

 

En me rendant au travail Ă  pied depuis la gare St-Lazare, lorsque j’ai pris le train Ă  Argenteuil, j’ai parfois eu l’impression que certaines personnes Ă  vĂ©lo se sentaient particuliĂšrement privilĂ©giĂ©es par rapport Ă  nous, les piĂ©tons. Je me suis dit qu’il suffisait de peu pour se sentir avantagĂ© et aussi de trĂšs peu pour crever. Ce qui m’est arrivĂ© d’ailleurs quelques jours plus tard en rentrant du travail. J’ai fini mon parcours en marchant Ă  cĂŽtĂ© de mon vĂ©lo pendant deux kilomĂštres. Il faisait assez frais. Quelques cyclistes, dont une espĂšce de club ou d’association de cyclistes, m’a dĂ©passĂ© sans s’arrĂȘter. Je ne leur en ai mĂȘme pas voulu.

J’avais tout ce qu’il fallait dans mon sac pour rĂ©parer. Mais je suis assez peu manuel. Je me suis dit que le temps de trouver l’endroit de la crevaison et Ă©tant donnĂ© ma lenteur, j’avais plus de chances d’attraper une pneumonie.

Bon, j’ai quand mĂȘme fait le nĂ©cessaire pour prendre le temps de rĂ©parer ma crevaison deux ou trois jours plus tard. J’ai mĂȘme fait beaucoup mieux que ça :

AprĂšs avoir rĂ©parĂ© ma crevaison,  j’ai gonflĂ© ma chambre Ă  air. Mais je n’Ă©tais pas satisfait. Je l’ai gonflĂ©e davantage. Mais quelque chose me gĂȘnait. Je trouvais que le pneu ne restait pas assez gonflĂ©. Donc j’ai gonflĂ© encore un peu. La chambre Ă  air a Ă©clatĂ©. Je ne crois pas l’avoir (trop) gonflĂ©e. Je crois que cette chambre Ă  air avait fait son temps. Heureusement, j’avais une chambre Ă  air toute neuve de rechange avec moi. Et quand je l’ai gonflĂ©e, elle,  son comportement m’a satisfait. 

 

Le 10 et le 11 dĂ©cembre, j’ai pris les transports en commun pour aller Ă  Paris. Nous sommes le 29 dĂ©cembre mais mes photos  » dans » les transports en commun datent du 10 et du 11 dĂ©cembre. Je n’en n’ai pas pris d’autres depuis : je me suis peut-ĂȘtre dĂ©ja un peu « habitué » Ă  cette grĂšve des transports.

Le 10 dĂ©cembre, je suis allĂ© Ă  Paris pour voir en projection de presse, le premier long mĂ©trage d’Abdel Raouf Dafri: Qu’un sang impur
  . Je suis allĂ© le voir avec une amie dont c’est l’anniversaire demain si je me souviens bien.

Cela aurait sĂ»rement Ă©tĂ© « mieux » d’avoir des photos plus rĂ©centes de cette grĂšve des transports en commun mais je me dis que c’est dĂ©ja « bien » d’en avoir quelques unes pour cet article. Avant que l’annĂ©e 2020 nous entraĂźne sur ses rails. Ce sont peut-ĂȘtre quelques uns des derniers clichĂ©s que j’ai pris avec mon Canon G9X Mark II que je crois avoir perdu car je ne le retrouve pas.  

Franck Unimon

A la gare St Lazare, ce 10 décembre 2019.

 

En chemin vers la projection de presse de  » Qu’un sang impur » d’Abdel Raouf Dafri. Comme on peut le voir, la grille de la station de mĂ©tro Miromesnil est baissĂ©e.

 

Au milieu de l’embouteillage, des personnes qui ont sans doute pris le parti de se dĂ©placer Ă  vĂ©lo.

 

 

 

 

 

AprĂšs la projection de presse de  » Qu’un sang impur », sur les Champs ElysĂ©es, vers 18h/18h30 ce mardi 10 dĂ©cembre 2019.

 

Ce mardi 10 dĂ©cembre 2019 sur les Champs aprĂšs la projection de  » Qu’un sang impur ».

 

 

Aux Halles ce mercredi 11 dĂ©cembre 2019, c’est plutĂŽt rare, en pleine journĂ©e de voir cette station aussi « vide ». MĂȘme si j’ai un peu trichĂ© pour Ă©viter de prendre quelqu’un en photo, il y a toujours du monde Ă  cette station en pleine journĂ©e.

 

Les Halles, ce 11 décembre 2019.

 

Aux Halles, ce 11 décembre 2019.

 

Station Les Halles, le 11 décembre 2019.

 

Catégories
Echos Statiques

Zombie public

                                           

 

                                              Zombie public

 

J’avais d’abord passĂ© une nuit pĂ©rissable. Vers deux heures trente, la petite Ă©tait venue me trouver. Comme Ă©tabli par sa mĂšre – enfin- fatiguĂ©e de se lever en pleine nuit. Puis, j’avais dĂ» changer de piĂšce Ă  cause du bruit. Tout ça pour me rendre compte trois quarts d’heure plus tard que la petite chantonnait ou se racontait des histoires. Il Ă©tait alors 3h30 du matin et j’allais l’emmener Ă  l’école quelques heures plus tard. Cette petite « timide » Ă©tait peut-ĂȘtre Ă  l’école primaire et avait sĂ»rement un trĂšs mauvais pĂšre mais elle savait dĂ©jĂ  plus que lui parler :

« Tu vas me briser le cƓur ! » m’avait-elle dit les yeux grand ouverts deux jours plus tĂŽt alors que je la disputais.

En outre, c’était son anniversaire et la veille au soir, il avait fallu renoncer aux devoirs de l’école. AprĂšs avoir pourtant trĂšs bien commencĂ© la lecture des sons comme demandĂ© par sa maitresse, au bout d’à peine cinq minutes, elle s’y Ă©tait ensuite refusĂ©e et avait fini par s’insurger. Criant qu’elle ne voulait pas faire les devoirs ! C’était nul, l’école et les devoirs ! Quelques jets de coussins par terre avaient suivi.

J’avais alors dĂ©crĂ©tĂ© la fin des devoirs et Ă©tais allĂ© expliquer Ă  sa mĂšre qu’il valait mieux passer par la case dĂźner et dodo. Puisque la petite clamait qu’elle Ă©tait fatiguĂ©e !

Au coucher, je lui avais fait la morale : « Etre grand, c’est faire ses devoirs quand on en a ». Auparavant, Ă  cette petite qui m’avait redit son ambition d’ĂȘtre « une princesse », j’avais dĂ©ja rĂ©pondu avec un peu de fiel :

« Tu sais, les princesses, aussi, ont des devoirs ».

 

Au rĂ©veil, tout s’était finalement trĂšs bien passĂ© avec la petite. MĂȘme s’il avait quand mĂȘme fallu lui rappeler que le temps du dodo Ă©tait dĂ©sormais terminĂ©. Et qu’il ne s’agissait plus d’essayer de trouver une position confortable dans son lit afin de mieux dormir. Toilette, rangement des jouets, petit-dĂ©jeuner, sĂ©paration d’avec maman lors de son dĂ©part au travail, fin des devoirs de la veille avant de partir Ă  l’école, tout s’était trĂšs bien passĂ©. Et, c’est une petite dĂ©tendue et chantante que j’avais dĂ©posĂ©e Ă  l’école sous la pluie fine.

Avant que je ne reparte, la maitresse Ă  l’entrĂ©e de la cour s’était subitement rappelĂ©e : Pour savoir oĂč nous en Ă©tions concernant le nombre de perles Ă  assembler par dix, Ă  raison d’une perle par jour, pour arriver au chiffre cent, il suffisait de regarder dans le cahier jaune. En effet, trois jours plus tĂŽt, je m’étais Ă  nouveau excusĂ© auprĂšs d’elle car nous nous Ă©tions perdus dans le nombre de perles, sa maman et moi. Et, la veille encore, ma compagne (ou ma femme pour s’harnacher scrupuleusement au protocole social) m’avait rĂ©pondu :

« ça fait trop de choses, on verra ça pendant les vacances scolaires ! ».

 

AprĂšs l’école ce matin, j’avais un peu d’avance pour me rendre Ă  la Banque Postale. Au 20Ăšme siĂšcle, le trĂšs grand physicien du rire Pierre Desproges avait dĂ©couvert le principe selon lequel « lorsque l’on plonge un corps dans un liquide, le tĂ©lĂ©phone sonne ». C’était avant internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile. Lorsque ça avait sonnĂ© plusieurs fois Ă  l’interphone deux jours plus tĂŽt, j’avais refusĂ© de me lever. J’étais plongĂ© dans l’Ă©criture et j’en avais assez ! Ce devait encore ĂȘtre un voisin qui avait oubliĂ© ses clĂ©s et sonnait un peu partout pour entrer dans l’immeuble !

Puis, dans notre boite Ă  lettres- trop petite- j’avais trouvĂ© cet avis de passage du facteur m’informant de mon absence alors qu’il avait l’intention de me dĂ©livrer un colis. Je devrais donc me rendre Ă  la Banque Postale Ă  partir du lendemain Ă  14h. Ce matin, deux jours plus tard, j’étais Ă  mi-chemin lorsque je me suis rappelĂ© que la Banque Postale, dĂ©sormais, ouvrait Ă  9h30 et non plus Ă  9h voire Ă  8h30 comme avant. Quand ses agences Ă©taient ouvertes dans d’autres endroits de la ville. Depuis deux ou trois mois, maintenant, son agence commerciale avait Ă©tĂ© rapatriĂ©e dans ce centre commercial que j’avais toujours trĂšs vite et trĂšs mal supportĂ© et Ă©vitĂ© le plus possible. Ce centre commercial me faisait un peu le mĂȘme effet que le tabac fumĂ©.

Pendant des annĂ©es, je pouvais ĂȘtre en prĂ©sence de l’un comme de l’autre sans m’en sentir gĂȘnĂ©. Aujourd’hui, dĂšs que je suis dans un lieu clos en leur compagnie, je me sens agressĂ©.

J’ai dĂ» ĂȘtre le premier client Ă  entrer dans ce centre commercial dont un vigile aimable et accueillant m’a ouvert la porte. C’était la premiĂšre fois que je venais aussi tĂŽt. En prenant l’escalator en marche, j’ai regardĂ© ses allĂ©es et ses cendres encore vides de tout mouvement. PostĂ© devant la grille fermĂ©e de la Banque Postale avec une bonne demi-heure d’avance, il s’agissait d’adopter une stratĂ©gie permettant d’enlever le temps d’attente de mes pensĂ©es. Pour cela, je me suis rabattu sur le journal gratuit de la ville. Parcouru en cinq minutes. J’ai flirtĂ© un peu avec mon tĂ©lĂ©phone portable (sms, rĂ©seau social
) avant de l’éteindre Ă  nouveau. Entretemps, assez rapidement, d’autres personnes sont venues me rejoindre devant La banque postale. Des mamans, certaines voilĂ©es, et quelques hommes d’une bonne quarantaine d’annĂ©es. Si au dĂ©but, j’étais calme, j’ai commencĂ© Ă  me sentir un peu stressĂ©. Ce centre commercial Ă©tait un cercueil. Et j’avais l’impression que mon soulagement viendrait plus de ma sortie de celui-ci que de l’obtention de mon colis. Il y avait de plus en plus de monde derriĂšre moi et sur mes cĂŽtĂ©s. Une bonne trentaine de personnes. Quelques fois, des employĂ©s de la Banque Postale se faufilaient entre nous. Un ou une de leur collĂšgue leur ouvrait alors le rideau de fer et la nouvelle ou le nouvel employĂ© ( e ) se courbait pour entrer dans ce lieu que nous convoitions et qui redevenait Ă  nouveau physiquement inaccessible.

J’ai entendu la musique d’ambiance du centre commercial. Une musique de chiotte comme souvent. A quelques mĂštres devant nous, Ă  travers le rideau refermĂ©, j’ai aperçu l’écran du tĂ©lĂ©viseur sur lequel passait une pub puis une autre. Tout prĂšs de nous, devant la grille fermĂ©e, entre deux distributeurs, il y avait cette pancarte publicitaire montrant une jeune femme svelte en pantalon, Ă©lĂ©gante, maquillĂ©e, souriante, pouvant avoir la vingtaine comme la trentaine. Et, un peu plus haut, cette « maxime » :

« Les tarifs de la banque postale ne changent pas en 2019. Nous protĂ©geons votre pouvoir d’achat ». J’ai pensĂ© Ă  un de mes rendez-vous avec notre «conseillĂšre », dans une autre banque, quelques mois plus tĂŽt. Celle-ci, comme bon nombre de ses semblables, expliquerait sans doute qu’elle aime beaucoup le « relationnel » avec les clients. Mais je m’étais trouvĂ© dans un bureau en contre-plaquĂ© alors qu’elle accĂ©dait Ă  son ordinateur professionnel. Et, hormis une bouteille d’eau, son sac, une ou deux photos, ses stylos et une bricole, je m’étais dit que cet endroit qui faisait office de banque pourrait tout aussi bien ĂȘtre transformĂ© en tout autre chose.

Notre conseillĂšre s’était ensuite prĂ©occupĂ©e de moi en s’en tenant Ă  des protocoles Ă©dictĂ©s soit par son ordinateur, soit par sa hiĂ©rarchie et les axes dĂ©cidĂ©s lors de rĂ©unions, soit par sa formation, et, bien-sĂ»r, par son tempĂ©rament en dernier ressort.

A travers le rideau baissĂ©, ce matin, nous avons vu les employĂ©s de la banque postale se faire la bise pour se dire bonjour. Dans « notre » banque, Ă  l’ouverture, j’avais vu les employĂ©s se faire une poignĂ©e de main ou une accolade qui signait leur appartenance Ă  l’agence comme Ă  l’équipe.

Ce matin, Ă  la Banque postale, la responsable d’équipe, une femme d’environ trente ans, s’est mise derriĂšre un guichet. Et la dizaine d’employĂ©s, face Ă  elle pour la plupart, l’ont Ă©coutĂ©. Je « connaissais » de vue certains des employĂ©s. En fait, nous ne connaissons pas ces gens que nous voyons voire revoyons dans ces lieux et ces administrations dont nous attendons souvent des services qui ont pourtant tant d’importance pour nous. Alors que, de leur cĂŽtĂ©, ces professionnels et ces personnels s’impliquent comme ils le peuvent dans l’exercice de leurs fonctions et selon des objectifs qui leur ont Ă©tĂ© fixĂ©s. Et, ce matin, comme tant d’autres jours, Ă  nouveau, nous Ă©tions lĂ , nous, la clientĂšle, de l’autre cĂŽtĂ© du rideau fermĂ© tels des zombies ou des animaux de zoo. Nous Ă©tions patients et disciplinĂ©s. Pourtant, je me suis demandĂ© ce que donnerait une pareille situation si, pour une quelconque raison nous poussant Ă  la panique ou Ă  la colĂšre, nous nous Ă©tions impatientĂ©s et que, de l’autre cĂŽtĂ© du rideau, ces mĂȘmes employĂ©s avaient dĂ» nous recevoir.

J’ai l’impression que l’agence a Ă©tĂ© ouverte avec un peu de retard. Je me suis avancĂ© le premier avec ma carte d’identitĂ© et mon avis de passage du facteur puisque j’étais le premier arrivĂ©. Une jeune femme, la « responsable » d’équipe que j’avais aperçu, m’a indiquĂ© une table ronde devant laquelle il fallait attendre. Je me suis arrĂȘtĂ© devant cette table ronde qui m’arrivait presque Ă  la poitrine et oĂč aucun agent de la Banque postale ne m’attendait. J’ai entendu une employĂ©e de la banque postale dire Ă  un ou plusieurs de ses collĂšgues :

« On accueille d’abord les gens ». Pendant ce temps, d’autres agents rĂ©gulaient la circulation, montrant Ă  telle cliente ou tel client oĂč se diriger selon ses «besoins ». Un agent de la sĂ©curitĂ© du centre accueil est entrĂ©, dĂ©tendu. Mais je me suis demandĂ© ce qu’il aurait bien pu faire, tout seul, en cas de tumulte.

AprĂšs quelques minutes, une femme d’une cinquantaine d’annĂ©es s’est mise devant nous un peu comme la responsable « d’équipe » l’avait fait avec eux. Montrant un avis de passage Ă  hauteur de visage, elle a dit d’une voix moyennement forte :

« Je m’occupe des instances. VĂ©rifiez bien la date sur votre avis de passage. Car si le facteur est passĂ© hier, le colis sera disponible le lendemain Ă  partir de 14h». Puis, elle s’est occupĂ©e de moi. J’étais bien dans les clous. Elle m’a ramenĂ© mon colis et m’a souhaitĂ© une bonne journĂ©e. Je l’ai remerciĂ©e et je suis reparti de cet endroit sans regret. Je n’ai pas encore regardĂ© ce qu’il y a dans ce colis.

Franck Unimon, ce jeudi 17 octobre 2019.

Catégories
Echos Statiques Musique

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

 » Danser, c’est prendre subitement en dĂ©goĂ»t tout ce qui empĂȘche de danser »

 » J’aimerais que l’une de mes chansons revienne, dans quelques annĂ©es, de l’oubli ou des malentendus (…) Faire danser les gens, longtemps aprĂšs ma mort. La vanitĂ© des vanitĂ©s. Comme ce serait consolant ».

 » Je n’allais pas bien. J’avais quarante et un ans et m’enlisais. Certes, je travaillais dans la plus grosse boite d’Europe, au Cap’tain, en Belgique. Mais ma musique pĂąlissait, elle devenait minimale, sans Ăąme, la mĂ©lodie n’existait plus. Que n’aurais-je donnĂ© pour renouer avec des Ă©motions simples ! Je rĂȘvais de compositions, de mes propres chansons, mais tout m’en empĂȘchait. Me manquaient le courage, l’argent, la chance. Je vivais seul, dans une maison qu’un Ă©crivain de jadis  eut appelĂ© masure (….) j’Ă©tais un mec Ă  la jeunesse enfuie (…..) sans aucune confiance en lui, odieusement, furieusement, maladivement mĂ©lancolique ».

C’est ce qu’a pu Ă©crire Fred Rister dans son livre Faire Danser les gens que j’avais lu cet Ă©tĂ©. En juillet, je crois. Je m’Ă©tais dit que j’en parlerais ainsi que d’autres de mes lectures. Et puis, je suis parti « ailleurs ».

Je ne connaissais pas Fred Rister avant de tomber sur ce livre Ă  la mĂ©diathĂšque. Je « connaissais »  de nom David Guetta avec lequel il a composĂ© plusieurs tubes ces dix ou quinze derniĂšres annĂ©es.

L’ancien prĂ©sident de la RĂ©publique Jacques Chirac est mort hier ou avant hier et l’on va beaucoup nous en parler et nous en reparler. Et nous expliquer comme il Ă©tait attachant et comment, avec sa mort, nous avons tous beaucoup perdu en mĂȘme temps qu’un ĂȘtre exceptionnel.

Bien des hommages Ă  certains dĂ©funts « cĂ©lĂšbres » me donnent l’impression d’ĂȘtre principalement destinĂ©s Ă  nous convaincre comme, nous, les ordinaires, nous avons des vies de merde comparĂ©es Ă  tous ces  » Monsieur » et toutes ces « Dame » qui partent. Car c’est bien connu :  » Seuls les meilleurs s’en vont ».

Alors, ce matin, plutĂŽt que de pleurer sur la mort de Jacques Chirac ou d’une autre personnalitĂ©- qui aura souvent principalement Ă©tĂ© obsĂ©dĂ©e par sa rĂ©ussite personnelle- que l’on nous sortira bientĂŽt de son dernier souffle,  je choisis de faire un hommage tardif Ă  Fred Rister, dĂ©cĂ©dĂ© dans la cinquantaine, le 20 aout dernier, d’un cancer vraisemblablement. Je n’ai pas vĂ©rifiĂ©. Mais en lisant son livre, j’avais appris qu’il avait commencĂ© Ă  se battre contre le cancer alors qu’il avait une vingtaine d’annĂ©es.

AprĂšs avoir lu son livre cet Ă©tĂ©, et donc vraisemblablement quelques semaines avant sa mort, j’avais eu envie de le contacter. De l’interviewer. C’Ă©tait Ă©videmment dĂ©ja trop tard et dĂ©placĂ©. Mais certains Ă©crits m’ont dĂ©ja donnĂ© cette envie.

Je n’aime pas particuliĂšrement ce que j’ai pu entendre, pour l’instant, de la musique de David Guetta. Mais j’avais Ă©tĂ© trĂšs touchĂ© par le livre simple et sincĂšre de Fred Rister. Bien qu’il laissera sĂ»rement moins de souvenirs que le livre sur la techno Ă©crit par Laurent Garnier, autre DJ français Ă  la renommĂ©e internationale.

C’est en réécoutant bien fort un Cd du groupe Tabou Combo que je mets ce matin la derniĂšre touche Ă  cet article. La musique de Tabou Combo, le Kompa, n’a au dĂ©part rien Ă  voir a priori avec l’univers musical de Fred Rister, David Guetta, Laurent Garnier et de leurs inspirateurs, contemporains et successeurs.

 

En ce moment, j’écoute beaucoup le quadruple album du groupe Tabou Combo (Gold) empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque. C’est une façon pour moi de retrouver des titres que j’ai pu entendre enfant dans les soirĂ©es antillaises (baptĂȘmes, mariages, repas familiaux
) oĂč mon pĂšre nous emmenait et dont j’ignorais les titres. Et de les réécouter avec mes oreilles d’adulte d’aujourd’hui et amateur de musiques. Depuis hier au moins, je reste « bloqué » sur les titres Allo et Banboch Paramount.

DĂšs le premier titre du premier Cd ( Tu as volĂ© ) de cet album, j’ai Ă©tĂ© Ă©patĂ© par le haut niveau musical de Tabou Combo. Comme on dit : « ça joue ! ».

J’ai aussitĂŽt compris pourquoi ce groupe de musique, ainsi que d’autres formations haĂŻtiennes, dominait le champ musical aux Antilles françaises dans les annĂ©es70 et 80 jusqu’à ce qu’arrive le Zouk et des groupes comme Kassav’ au milieu des annĂ©es 80 Kassav’ .

 

Mais l’autre point qui me marque en Ă©coutant cet album de Tabou Combo est d’ordre sociologique, culturel, identitaire et sans doute religieux.

La musique de Tabou Combo s’inspire au moins des formations Jazz, Funk, rap, ou latines.  J’ai appris cette semaine que Tabou Combo a par exemple Ă©tĂ© trĂšs populaire voire l’est encore
.au Panama !

La musique de Tabou Combo est donc plutĂŽt cosmopolite et mĂ©tissĂ©e.  C’est pourtant une musique noire, voire sauvage et Ă©bouriffĂ©e, au sens oĂč c’est le corps qui est mis Ă  l’honneur avec la danse, le rythme et la durĂ©e des morceaux. Et que l’on s’y exprime principalement en CrĂ©ole. Soit le contraire de la plus grande partie des tubes de variĂ©tĂ© française des annĂ©es 70 et 80 qui Ă©taient moins faits pour danser et pour entrer en transe. Imaginez-vous en train de danser sur des titres de Sheila, Ringo, Julien Clerc, Charles Aznavour, Mireille Matthieu, Demi Roussos, Alain Souchon, Johnny halliday, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Daniel Balavoine…

Que la transe soit nĂ©anmoins possible avec ces artistes pour leurs fervents amateurs, je peux le concevoir. Je prĂ©cise en outre que j’aime un certain nombre de titres de ces artistes. Mais danser sur leur musique….

 

Alors que les groupes comme Tabou Combo composent des titres pour faire danser les gens tout au long de la nuit et de la vie. Et, ça, c’est plus antillais et noir, africain, noir amĂ©ricain ou latin
qu’europĂ©en, cartĂ©sien, « Macronien » ou « Hollandais » et blanc.

Du moins, ça l’Ă©tait particuliĂšrement dans les annĂ©es 70 et 80.

 

En France, si je dois penser Ă  des artistes qui faisaient danser les gens dans les annĂ©es 70 et 80, je trouve qui ? Claude François. C’est peut-ĂȘtre pour cette raison ( et cette explication parviendra peut-ĂȘtre enfin Ă  me dĂ©barrasser d’une de mes hontes enfantines dĂ©finitives ) que Claude François, Ă  sa mort Ă  la fin des annĂ©es 70, Ă©tait mon chanteur « prĂ©fĂ©ré ».

 

Aujourd’hui, et cela s’est Ă  nouveau vĂ©rifiĂ© Ă  Ă  la fĂȘte de l’Huma il y a quelques jours, il suffit de mettre le titre Alexandrie, Alexandra de Claude François pour que des gens se mettent aussitĂŽt Ă  danser. Maintenant qu’il est mort, peut-ĂȘtre Fred Rister connaĂźtra-t’il aussi l’honneur d’avoir des vivants qui dansent sur sa musique et qui continueront de le faire.

 

 

On rĂ©pĂšte souvent que les Noirs ont « la musique dans le sang » ou « dans la peau ». Et des Noirs le pensent eux-mĂȘmes. C’est tellement valorisant. Je pense pourtant que c’est faux. La musique est surtout un fait culturel qui se transmet de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration.  Autrement, comme l’aurait dit Desproges, il suffirait que chaque fois qu’un Noir passe Ă  cĂŽtĂ© d’un DjembĂ©, fut-il en vitrine, il se mette Ă  jouer du Tam-Tam ou de la guitare basse comme Mozart a composĂ© de la musique. Je peux en tĂ©moigner :

J’ai essayĂ© de prendre des cours de guitare basse il y a plusieurs annĂ©es. MalgrĂ© le trĂšs bon professeur que j’avais et toute la musique Ă©coulĂ©e dans mon corps dĂšs mon enfance, je n’ai jamais rĂ©ussi Ă  ĂȘtre le musicien extraordinaire que je rĂȘvais d’ĂȘtre et ne le serai jamais. Je le regrette encore amĂšrement. Quant Ă  la danse, on me prĂȘte peut-ĂȘtre certaines aptitudes mais je sais, pour ma part, que le langage de ma danse est limitĂ© et stĂ©rĂ©otypĂ©.  D’ailleurs, pour tout cela, j’en profite pour vous prĂ©senter Ă  vous ainsi qu’à l’HumanitĂ© toute entiĂšre, mes plus humbles excuses car j’ai failli.

 

Je pourrais ĂȘtre trĂšs raciste et de mauvaise foi et dire que tout est Ă©videmment de la faute de mon professeur (blanc) de guitare basse, cet « incapable »  dont la pĂ©dagogie Ă©tait incompatible avec mon « gĂ©nie » musical nĂšgre. Mais mĂȘme si l’on est douĂ© pour elle, la musique nĂ©cessite travail et rĂ©gularitĂ©. Et j’avais manquĂ© au moins de travail et de rĂ©gularitĂ© dans ma tentative d’apprentissage pratique de la guitare basse dĂ©butĂ©e tardivement Ă  l’ñge adulte.

 

Je crois au fait que la musique, dans certaines cultures et certains milieux sociaux, est une fĂȘte et une promotion du corps en mĂȘme temps qu’un Ă©vĂ©nement social alors que dans d’autres cultures et dans certains milieux sociaux, il est honteux de « bouger », de transpirer, de crier ou de faire «bouger » son corps et ses attributs sexuels en public mĂȘme s’ils sont recouverts de vĂȘtements. C’est Ă©videmment une façon diffĂ©rente de vivre avec son corps et sa sexualitĂ©. LĂ  oĂč certains dogmes sociaux et culturels dĂ©cident d’interdire et de limiter le dĂ©placement et les Ă©lans des corps, derniĂšres marches avant l’orgasme, la transe, la « rĂ©vĂ©lation » ou la rĂ©volution, d’autres dogmes, lors de certains rituels sociaux, leur commandent de dĂ©montrer et d’exhiber leur endurance, leur harmonie, leur puissance et leur sensualitĂ©. Car il s’agit sĂ»rement de montrer comme on est un bon parti pour une nuit ou pour la vie.

 

Il y a bientĂŽt deux ans maintenant, au conservatoire d’Argenteuil oĂč j’accompagnais ma fille Ă  son cours d’initiation Ă  la danse, au chant et Ă  la musique, j’avais entendu un petit de l’Ăąge de ma fille demander Ă  voix haute Ă  sa mĂšre s’ils avaient dansĂ© son pĂšre et elle Ă  leur mariage. La maman, souriant d’ĂȘtre interpellĂ©e publiquement de cette façon par son fils, lui avait rĂ©pondu, comme une Ă©vidence, que, non, ils n’avaient pas dansĂ© lors de leur mariage. Je suis persuadĂ© que l’on peut faire et vivre un trĂšs beau mariage sans danser. Mais je suis aussi tout autant persuadĂ© qu’il est inconcevable pour un Antillais que la musique et la danse soient absentes de son mariage ou de tout Ă©vĂ©nement particulier de sa vie. J’ai encore un peu honte vingt ans plus tard d’avoir trĂšs mal choisi le DJ qui avait animĂ© la soirĂ©e d’un de mes pots de dĂ©part. Je suis sĂ»rement le seul Ă  me rappeler de cette erreur de casting.

Et il y avait bien-sĂ»r de la musique et de l’espace pour danser Ă  mon mariage. Au prĂ©alable, j’avais pris soin de constituer moi-mĂȘme la liste des titres et de la transmettre au DJ afin qu’il la passe.

Et, si j’avais pu financiĂšrement, j’aurais fait venir un groupe de Gro-Ka. En Bretagne.

 

Et je garde encore un souvenir trĂšs mitigĂ© de cette connaissance alors en couple avec un Antillais. Cette femme m’avait appris ne pas aimer la musique antillaise. Ce qui Ă©tait son droit. En revanche, sa remarque suivante m’avait froissĂ© alors qu’elle constatait, avec un certain dĂ©dain victorieux :

« Maintenant, il a compris : il écoute au casque ! ».

 

Je crois qu’Ă  partir des annĂ©es 80 et 90, sans doute avec l’apport des musiques « noires », en particulier de la Techno et de la house de Detroit et de Chicago, mais aussi de la musique africaine et du Zouk, le rapport Ă  la musique et Ă  la danse s’est transformĂ© et un peu plus « ouvert » en France  :

Bien avant cela, il y avait Ă©videmment dĂ©ja des Blancs qui dansaient et aimaient danser ou en avaient besoin. On sait nous citer et nous remĂ©morer par exemple les Fred Astaire et les Gene Kelly et d’autres artistes tels Ninjinsky et tous leurs prĂ©dĂ©cesseurs en Europe.

DĂ©sormais, des musiques comme la Salsa, le Zouk, le Kompa, le Hip-Hop, le Ragga, la Rumba congolaise, le M’balax, le RaĂŻ, le Maloya et bien d’autres « autrefois » plus considĂ©rĂ©es comme des genres « ethniques » rĂ©servĂ©s aux non-blancs sont plus dansĂ©es- et Ă©coutĂ©es- par les Blancs. Et dans une interview, l’un des membres du groupe Justice peut dire de façon dĂ©contractĂ©e que le Rap fait partie des musiques qu’il Ă©coute. Il y a quarante ans, il n’Ă©tait peut-ĂȘtre pas nĂ© ou seulement depuis peu, le mĂȘme n’aurait pas pu dire ça : en France,  Le Rap Ă©tait plutĂŽt la musique Ă©coutĂ©e par  des jeunes en colĂšre qui avaient du mal Ă  se faire accepter de la sociĂ©tĂ© française et des Ă©lites installĂ©es ( comme Jacques Chirac et d’autres) et refusaient de se laisser dominer par elles.

 

A la fĂȘte de l’Huma il y’a bientĂŽt dix jours, avant sa venue sur scĂšne, le groupe Kassav’ comme le 11 Mai dernier Ă  la DĂ©fense ( Un Moon France en Concert) , a « mis » un titre du groupe Akiyo, un groupe de « tambours » de rĂ©fĂ©rence en Guadeloupe et que je n’ai jamais « vu » en public.

A la fĂȘte de l’Huma( Quelques photos de la fĂȘte de l’Huma 2019) ,  SonjĂ© (rappelle-toi/ N’oublie pas) le premier titre de Kassav’ interprĂ©tĂ© sur scĂšne rappelait cette Ă©poque (sans doute en Afrique, donc, avant l’esclavage mais aussi lors de l’esclavage aux Antilles ) oĂč la communautĂ©, toutes gĂ©nĂ©rations confondues, dansait et vivait autour du Tambour dans une certaine unitĂ©.

Je ne crois pas l’avoir entendu mentionnĂ© dans leur chanson mais lors d’un enterrement, aux Antilles, la musique est prĂ©sente. Et des anecdotes sur la dĂ©funte ou le dĂ©funt peuvent aussi ĂȘtre racontĂ©es.

 

J’aime Ă©crire et dire que mon pĂšre m’a racontĂ© qu’un de mes cousins Ă©loignĂ©s du cĂŽtĂ© maternel, Marcel Lollia dit VĂ©lo, Ă©tait allĂ© jouer Ă  l’enterrement d’un de ses amis mĂȘme si, au dĂ©part, les personnes endeuillĂ©es voyaient cela d’un mauvais Ɠil. SĂ»rement parce-que ça faisait « mauvais genre », qu’il prĂ©sentait mal (VĂ©lo est mort pauvre, alcoolique et quasi SDF alors qu’il avait une cinquantaine d’annĂ©es) et aussi parce qu’il Ă©tait venu avec son tambour plutĂŽt qu’avec une tenue vestimentaire protocolaire.

 

Egalement en Guadeloupe, Ă  la mort de ma grand-mĂšre maternelle, j’avais appris qu’un de mes cousins avait jouĂ© du Ka.

 

Pour extraordinaires qu’elles soient, ces deux histoires me semblent complĂštement normales. Pourtant, si je reviens un peu Ă  moi et que je prends quelques secondes pour les regarder depuis une perspective de citadin «parisien » rationnel et lambda, ce que je suis aussi, je m’aperçois qu’elles auraient de quoi apparaĂźtre encore « exotiques » ou «bizarres » pour certains esprits pourvus d’une autre logique et d’autres « principes » face Ă  la vie et Ă   la mort. MĂȘme si depuis les annĂ©es 90 Ă  peu prĂšs, le rapport Ă  la danse et Ă  la musique a changĂ© en France, cela est vrai pour une certaine partie de la population française :

 

Les Ă©vĂ©nements festifs cet Ă©tĂ© Ă  Nantes qui se sont mal terminĂ©s ( avec un affrontement avec les forces de l’ordre et plusieurs noyĂ©s dont un, Steve,  dans des circonstances trĂšs douteuses) indiquent quand mĂȘme que la musique et la fĂȘte peinent aussi difficilement Ă  coexister avec les AutoritĂ©s de notre pays et certaines et certains en province mais aussi Ă  Paris.

 

 

Il demeure nĂ©anmoins : depuis longtemps, pour moi, lors d’un enterrement, l’absence de musique et de rires est pire que la mort elle-mĂȘme.

 

En Ă©coutant cet album de Tabou Combo depuis quelques jours, groupe que j’ai entendu depuis mon enfance en France et en Guadeloupe, je comprends donc mieux (lĂ  oĂč je le subissais principalement jusqu’alors) ce dĂ©calage culturel Ă©vident qui existait et subsiste encore entre moi, ce monde dont je viens, et certains de mes amis, amies, copains, copines et collĂšgues blancs et français jusqu’au bout du corps, des oreilles et des ongles de façon assez « traditionnelle » ou « conventionnelle ». Surtout s’ils restaient et restent cantonnĂ©s Ă  leurs repĂšres culturels et musicaux souvent faits de musique anglo-saxonne ou de titres exclusivement français, musiques et titres, qu’un mĂ©tis culturel comme moi (mais aussi bon nombre de mes compatriotes aux Antilles) ingĂ©raient trĂšs tĂŽt et continuent d’ingĂ©rer par ailleurs en parallĂšle.

 

 

A parler musique, j’ai une anecdote pour illustrer Ă  la fois ce dĂ©calage et cette fermeture d’esprit d’ordre culturel de certains de nos amies et amis français et blancs  » traditionnels » ou « conventionnels » en dĂ©pit de leur sincĂšre  amitiĂ© pour nous, les Noirs, les autres, les diffĂ©rents ou les fous de France :

 

L’annĂ©e derniĂšre ou cette annĂ©e, un de mes amis m’a proposĂ© d’aller avec lui Ă  un concert de musique. La place de concert Ă©tait trĂšs chĂšre. Et c’est sans doute ce qui m’a d’emblĂ©e fait reculer mĂȘme si j’aime beaucoup cet ami et aurais Ă©tĂ© volontaire pour aller Ă©couter en concert cet artiste dont j’aime plusieurs titres :

La place de concert était en moyenne à 70 euros.

 

Cet ami avait dĂ©jĂ  achetĂ© sa place. Et, il s’y rendait avec au moins une autre personne qui avait dĂ©jĂ  Ă©galement sa place de concert. Alors que j’écris cet article, j’oublie le nom de cet artiste qui a fait partie des Pink Floyd. Cet «oubli» vient sans doute du fait que cette anecdote m’a finalement permis de me rendre compte , l’annĂ©e de mes 50 ans, que j’avais rĂ©guliĂšrement vĂ©cu ce genre de situation en France :

OĂč, moi, le Français noir, le Français d’origine antillaise, le NĂ©gropolitain, le Moon France (Moon France ), le Bounty, Le NĂšgre volant non identifiĂ© ( selon certaines dĂ©finitions « affectueuses » de mes compatriotes pour les Antillais  nĂ©s comme moi en France) je peux me faire Ă  la musique et Ă  une langue d’ailleurs ( distincte de celle de mes ancĂȘtres et de mes origines) et la faire mienne tout en gardant celle que m’ont donnĂ©e mes parents tandis que mes amis « blancs », eux, s’abstiennent de faire la mĂȘme dĂ©marche vers mon univers musical. Et culturel.

 

Et, Ă  propos de cet ami, je m’étais avisĂ© que si je pouvais, moi, me rendre au concert qu’il me proposait et y prendre plaisir, lui, ne viendrait jamais avec moi Ă  un concert de Kassav’ ou de Zouk. La diffĂ©rence, pour moi, ne provient pas seulement du fait que certaines personnes vont avant tout Ă  un concert de musique pour la « cĂ©rĂ©braliser » lĂ  ou d’autres y vont avant tout ou principalement pour danser et chanter. Je suis moi-mĂȘme trĂšs cĂ©rĂ©bral.

 

La diffĂ©rence provient selon moi aussi du fait que certaines personnes, noires ou blanches, sont plus ouvertes que d’autres tout simplement. Pour certaines personnes, aller vers un certain inconnu, musical ou autre, revient trĂšs vite Ă  aller se risquer dans un coupe-gorge en dents de scie ou Ă  aller Ă  la rencontre de fous dangereux en libertĂ© dans un asile psychiatrique. Car, Ă©videmment, si l’on peut aimer se rendre Ă  un concert pour danser et chanter, on peut tout aussi bien ĂȘtre aussi celle ou celui qui sera content(e ) d’aller Ă©couter, assis, de la musique classique ou une musique qui ne « se danse pas » et ne se chante pas. Un peu plus haut dans cet article, je brocarde un peu certains artistes français majeurs. Mais si j’avais pu me rendre, j’aurais aimĂ© me rendre Ă  un concert de Johnny Halliday. Je me suis abstenu de le faire sur la fin de sa carriĂšre car j’ai refusĂ© de me rendre Ă  un de ses concerts pour le voir en minuscule sur grand Ă©cran parmi une foule plus que nombreuse. Et, si j’avais la disponibilitĂ© pour cela, j’aurais la curiositĂ© d’aller voir la plupart des autres artistes ( pour celles et ceux qui sont encore vivants) que j’ai citĂ©s avec lui.

 

Je fais partie de ces personnes qui peuvent se rendre Ă  un concert pour dĂ©couvrir une artiste ou un artiste que je ne connaĂźs pas ou que je  n’ai jamais entendu. Au mĂȘme titre qu’en allant voir un film, je veux en savoir le moins possible sur l’histoire.

 

Je ne connaissais pas Brigitte Fontaine avant d’ĂȘtre emmenĂ© par une amie Ă  un de ses concerts au Bataclan il y a une quinzaine d’annĂ©es. D’autres personnes auraient eu la mĂȘme curiositĂ© et la mĂȘme disponibilitĂ© que moi, blanches ou noires. Alors que d’autres s’y seraient catĂ©goriquement opposĂ©es. Il aurait presque fallu leur proposer une prĂ©pa concert avec une cellule de dĂ©briefing Ă  la sortie. Et c’était plusieurs annĂ©es avant le trĂšs douloureux attentat « du » Bataclan.

 

Dans la mĂȘme idĂ©e, je n’avais jamais Ă©coutĂ© le moindre titre de Joe Bonamassa lorsque Christophe Goffette, mon ancien rĂ©dacteur en chef de Brazil et Ă©galement rĂ©dacteur en chef, alors, du magazine musical XCrossroads m’avait permis de me rendre Ă  un de ses concerts Ă  Paris. J’avais dĂ©couvert l’artiste sur scĂšne, donc dans les meilleures conditions, en me rendant seul Ă  son concert. Au trĂšs grand plaisir de cette dĂ©couverte (je me rĂ©pĂšte) musicale avait rĂ©pondu l’attitude Ă©tonnante d’un des spectateurs assis juste Ă  cĂŽtĂ© de moi.

Alors que j’avais voulu converser civilement avec lui, celui-ci, dĂšs l’extinction des lumiĂšres dans la salle, au dĂ©but du concert, avait rabattu avec autoritĂ© sur son visage une paire de lunettes noires. Et, il avait arborĂ© l’air sĂ©rieux et butĂ© de celui qui n’était pas lĂ  pour rigoler ou discuter. Cette attitude Ă©trange, mettre des lunettes noires dans une salle dĂ©jĂ  noire, et plutĂŽt hautaine de façon dĂ©placĂ©e (Ps : la musique de Joe Bonamassa et sa façon de chanter doivent beaucoup au Blues)  m’avait informĂ© que cet homme qui se tenait prĂšs de moi Ă©tait plutĂŽt du genre (trĂšs) fermĂ© sur lui-mĂȘme. Ce qui ne m’avait pas empĂȘchĂ© d’aimer le trĂšs bon concert de Joe Bonamassa. MĂȘme si, ensuite, ses albums que j’ai Ă©coutĂ©s m’ont fait moins d’effet.

 

Aujourd’hui, en France, les AngĂšle, Aya Nakamura, Soprano et autres artistes peuvent ĂȘtre Ă©coutĂ©s par un public variĂ©, adulte comme enfant.  Notre fille nous a surpris rĂ©cemment Ă  chantonner Balance ton quoi d’AngĂšle Ă  la maison. Depuis, j’ai fait une rĂ©servation sur cet album pour l’emprunter prochainement Ă  la mĂ©diathĂšque. Et, rĂ©cemment, j’ai Ă©tonnĂ© une « jeune » de vingt ans en lui apprenant que j’avais achetĂ© le dernier Cd d’Aya Nakamura et que je regrettais de l’avoir ratĂ©e Ă  la fĂȘte de l’Huma.

Moi, le quinquagĂ©naire, je continue de prendre le temps- et le plaisir- de dĂ©couvrir et d’écouter de nouveaux artistes « connus » ou « populaires », en France ou ailleurs, au mĂȘme titre qu’un morceau de musique classique, de musique perse, de Zouk ou d’autres genres musicaux. La pile de Cds que je continue d’emprunter rĂ©guliĂšrement Ă  la mĂ©diathĂšque en atteste. Ainsi que les films que je vais voir pour reparler (un peu) cinĂ©ma.

 

MĂȘme si j’ai Ă©videmment, aussi, mes standards, la musique est ce qui me permet de rester jeune.

 

Je me rappelle de cette rencontre que deux amis (JĂ©rome et Driss) et moi avions faites, avant nos vingt ans, Ă  la radio FIP oĂč nous nous Ă©tions prĂ©sentĂ©s comme ça, un jour.

 

L’animateur radio qui avait eu la gentillesse de nous recevoir quelques minutes dans leur local de vinyles (des Ă©tagĂšres pleines de vinyles) avait dit Ă  un de ses collĂšgues qui allait partir en voyage :

 

« N’oublie pas la musique ! ».

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 septembre 2019.

Catégories
Echos Statiques

BDA

 

Pour la deuxiĂšme foi(s) de ma vie, je suis allĂ© Ă  la fĂȘte de l’Huma cette annĂ©e. J’ai pour l’instant renoncĂ© Ă  regarder tous ces grands concerts qui s’y sont dĂ©roulĂ©s dans le passĂ©. Et que j’ai ratĂ©.

 

C’est une forme de dĂ©ni. 

 

Pendant des annĂ©es, pour moi, la fĂȘte de l’Huma, c’Ă©tait peu pratique de s’y rendre. Dans une contrĂ©e un peu trop Ă©loignĂ©e de la banlieue que je connaissais. Ma ville de banlieue d’alors, Cergy-Pontoise, se trouve plus au nord et Ă  l’ouest. La Courneuve, c’Ă©tait un peu plus bas, Ă  l’Est et, en transports en commun, ces deux points cardinaux s’opposaient plus qu’ils se rejoignaient.

Lors de mon existence de Cergyssois, je ne me souviens de personne en particulier, parmi mes amis proches ou collĂšgues,  qui m’ait proposĂ© d’aller Ă  la fĂȘte de l’Huma. Il est bien-sĂ»r nĂ©cessaire de savoir faire montre d’initiative personnelle. Autrement, il est tant d’opportunitĂ©s que l’on rate « faute » de vouloir faire certaines expĂ©riences et d’ĂȘtre Ă  dĂ©couvert Ă  la seule condition d’ĂȘtre entourĂ© ou escortĂ©  par celles et ceux que l’on connaĂźt ou que l’on croit connaĂźtre.

Mais j’ai aussi des limites. Et la fĂȘte de l’Huma, pour moi, pendant des annĂ©es, cela se trouvait plus loin que mes limites. C’Ă©tait une curiositĂ©. Je savais qu’elle existait et ça me suffisait.

 

 

En pratique, aujourd’hui, depuis Argenteuil, il m’est plus facile d’ aller Ă  la fĂȘte de l’Huma en transports en commun.  Je prends  le bus 361, puis Ă  la gare d’Epinay sur Seine, je prends le tramway numĂ©ro 11. AprĂšs l’arrĂȘt Dugny-La Courneuve qui arrive assez vite, dix bonnes minutes de marche suffisent pour ĂȘtre Ă  la fĂȘte de l’Huma. Et tout ça sans ĂȘtre obligĂ© de repiquer par Paris en transports en commun pour descendre Ă  l’arrĂȘt Le Bourget avec la ligne B du RER.

Mais si je l’avais vĂ©ritablement voulu, j’aurais Ă©videmment pu me rendre Ă  la fĂȘte de l’Huma il  y a dix ou vingt ans.

 

En 2014, c’est depuis la ligne 7 du mĂ©tro que j’avais marchĂ© pour la premiĂšre fois jusqu’Ă  la fĂȘte de l’Huma. Lorsque l’on aime marcher et que l’on va Ă  un festival de musique pour un groupe de musique que l’on tient particuliĂšrement Ă  voir et Ă  Ă©couter pour la premiĂšre fois sur scĂšne, trente minutes de marche sont facilement supportables. Surtout si l’on refuse de dĂ©pendre d’un bus ou d’une navette qu’il faut attendre pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e en raison d’une trĂšs forte affluence.

 

Massive Attack Ă©tait le groupe que je tenais Ă  voir en 2014. Massive Attack. 2014. C’Ă©tait il y a cinq ans.

 

Cinq ans.

 

Je n’avais pas prĂ©vu que lorsque je me mettrais Ă  Ă©crire cet article sur « ma » fĂȘte de l’Huma de cette annĂ©e 2019, que ces simples mots  » Massive Attack » et l’annĂ©e  » 2014″ me feraient dĂ©vier vers une certaine peine dans le contexte de notre annĂ©e 2019 qui va se terminer d’ici un trimestre.

Je m’attendais plutĂŽt Ă  Ă©crire un article principalement joyeux – j’en suis capable- assorti de photos de concerts et peut-ĂȘtre de courts extraits vidĂ©os de concerts dont je suis trĂšs content et qui, je l’espĂšre, vous feront aussi plaisir. Car c’est pour se faire plaisir que l’on se rend gĂ©nĂ©ralement Ă  un festival de musique. Ce festival de musique fut-il engagĂ© et orientĂ©  politiquement de maniĂšre explicite comme l’est celui de la fĂȘte de l’Huma.

On va rarement Ă  un festival de musique pour avoir envie de se suicider ou pour dĂ©primer parce-que l’on se sent dĂ©cidĂ©ment trop joyeux et trop lĂ©ger et qu’il est temps que ça cesse, un peu ! C’est donc content que je suis retournĂ© Ă  la fĂȘte de l’Huma cette annĂ©e. D’abord avec femme et enfant. Puis, seul le lendemain pour Youssou N’Dour et Kassav’.

 

Je me culpabilisais un petit peu d’ĂȘtre venu Ă  la fĂȘte de l’Huma uniquement pour la musique, la fĂȘte et la bonne nourriture. Je suis maintenant « rassuré » :

Repenser Ă  l’annĂ©e 2014 et au nom du groupe Massive Attack m’a rĂ©trospectivement rapportĂ© une certaine conscience dont je croyais m’ĂȘtre sĂ©parĂ© le temps du festival.

 

En 2014, je crois me rappeler que le journal Charlie Hebdo tenait un stand Ă  la fĂȘte de l’Huma comme chaque annĂ©e depuis un moment. Cette prĂ©sence de Charlie Hebdo m’avait intriguĂ©. Je n’avais pas creusĂ© davantage. C’Ă©tait une information comme une autre.

 

2014, c’Ă©tait Ă©videmment avant l’annĂ©e 2015 et avant la « massive attaque » des attentats de Charlie Hebdo; de l’assassinat de la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe qui pensait intervenir sur un simple accident de circulation; les attentats de l’hyper-casher de Vincennes; du Stade de France;  du Bataclan; de Nice…. je ne vais pas vous faire un dessin mais j’ai appris depuis peu qu’il y’aurait 15 000 kalashnikovs en « liberté » dans cette France parallĂšle et invisible faite de trafics. Et que le bilan  du Bataclan est le rĂ©sultat de trois kalashnikovs face Ă  un public enfermĂ©, surpris, paniquĂ© et dĂ©sarmĂ©.

 

Un de mes anciens amis et collĂšgue, Scapin- dĂ©cĂ©dĂ© entre 2014 et 2016-  d’un cancer quelques annĂ©es avant de prendre sa retraite,  et dont la date anniversaire, de son vivant, Ă©tait le 6 septembre, m’avait appris que la bouffĂ©e dĂ©lirante aigĂŒe ou BDA  était :

 

« Un coup de tonnerre dans un ciel serein« .

 

Hier soir, une de mes collĂšgues Ă©galement infirmiĂšre diplĂŽmĂ©e en soins psychiatrique a subitement fait rĂ©fĂ©rence Ă  cette phrase qu’elle connaissait aussi de ses Ă©tudes. Elle s’est un peu trompĂ©e. Elle a d’abord parlĂ©  » d’un Ă©clair dans un ciel serein ». La phrase de mon ami m’est aussitĂŽt revenue. AprĂšs l’avoir prĂ©cisĂ©e Ă  cette collĂšgue qui se rapproche de la retraite, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de me sentir aussi touchĂ© et triste Ă  rĂ©entendre cette phrase. Par elle, c’Ă©tait rĂ©entendre mon ami dans la nuit. Revenir en arriĂšre.

 

En 2014, annĂ©e de ma « premiĂšre » fĂȘte de l’Huma, j’ai l’impression que l’on portait un peu moins d’attention au rĂ©chauffement climatique de la planĂšte et Ă  l’Effondrement. On ne parlait Ă©videmment pas du tout de Donald Trump Ă  la prĂ©sidence des Etats-Unis. De Jair Bolsonaro Ă  prĂ©sidence du BrĂ©sil. D’Emmanuel Macron, prĂ©sident de la France.

On ne parlait pas non plus des gilets jaunes dont c’Ă©tait hier le 45Ăšme samedi de manifestation et de protestation d’affilĂ©e. Ou du Brexit.

 

 

Dimanche dernier, sur la grande scĂšne de la fĂȘte de l’Huma, Dilma Roussel est venue tenir un discours en Français. Patrick le Hyaric, le directeur actuel du journal l’HumanitĂ©, en grande difficultĂ© financiĂšre, se tenait prĂšs d’elle. Il n’Ă©tait plus le Patrick Hyaric que j’avais aperçu fin aout en allant acheter mes bons de soutien Ă  la fĂȘte de l’Huma( lire La fĂȘte de l’Huma). Ce jour-lĂ , il Ă©tait quelque peu isolĂ© prĂšs de la Fontaine des innocents malgrĂ© la prĂ©sence d’une trentaine de personnes. Un animateur ou un candidat vedette de l’Ă©mission Danse avec les stars ou de The Voice Kid aurait aisĂ©ment attirĂ© l’attention d’une foule plus consĂ©quente.

Mais dimanche dernier, Ă  la fĂȘte de l’Huma, plusieurs milliers de personnes qui attendaient le concert de Kassav’ ont Ă©coutĂ© Dilma Roussel tenir un discours anti-Bolsonaro et pro-Lula.

AprĂšs elle, Priscilla, une des « meneuses » du mouvement des gilets jaunes est venue s’exprimer. Je ne la connaissais pas. Elle a rappelĂ© le nombre de personnes qui ont perdu un oeil du fait de l’usage du LBD par les forces de l’ordre lors des manifestations des gilets jaunes. Ainsi que le nombre de blessĂ©s autres. Elle a aussi Ă©voquĂ©- et dĂ©menti- le fait que le mouvement des gilets jaunes ait Ă©tĂ© qualifiĂ© « d’homophobe » et de « raciste » afin d’ĂȘtre discrĂ©ditĂ© par le gouvernement Macron.

 

 

Bien-sĂ»r, les interventions de Dilma Roussel et de Priscilla avaient des allures de grossiĂšre propagande communiste datant d’avant la chute du mur de Berlin devant des milliers de festivaliers ultra-connectĂ©s.

Mais ce qui Ă©chappe Ă  la propagande, c’est le fait que, dĂ©sormais, en France quatre journaux traditionnels ( au format papier) se soustraient encore Ă  la mainmise de groupes industriels et financiers :

L’HumanitĂ©, en grande difficultĂ© financiĂšre.

Charlie Hebdo , renflouĂ© Ă©conomiquement pour l’instant « grĂące » Ă  l’attentat et au sacrifice de plusieurs de ses membres en janvier 2015.

La Croix

Le Canard EnchaĂźné qui fournissait encore cette information dans son numĂ©ro de ce mercredi 18 septembre 2019 en page 3 dans l’article Milliardaires et mĂ©diavores signĂ© O.B.-K.

Le Canard EnchaĂźné de cette semaine nous apprend aussi que Matthieu Pigasse, copropriĂ©taire du journal Le Monde et dĂ©sormais propriĂ©taire du festival Rock en Seine qui se dĂ©roule Ă  St-Cloud fin aout, essaie de revendre ses parts restantes Ă  l’industriel milliardaire tchĂšque Kretinsky. ( article de Christophe Nobili Ces patrons qui rĂȘvent d’un « Monde » du silence  également en page 3).

 

Ce qui Ă©chappe aussi Ă  la propagande, je crois, c’est cette impression qu’en cinq ans, nous avons perdu un peu plus d’insouciance. Surtout si l’on regarde d’un peu plus prĂšs la destruction continue de plusieurs des services publics ( Ă©coles, hĂŽpitaux, transports, police- celle qui secourt-…).

 

Pourtant, il a fait ( trop) beau pendant cette Ă©dition de la fĂȘte de l’Huma. Un homme du service d’ordre du festival nous arrosait d’eau pour nous rafraichir en plein soleil alors que Priscilla, une des meneuses du mouvement des gilets jaunes, nous parlait depuis la grande scĂšne. Si bien que je n’ai pas pu la filmer ou la prendre en photo de face.

La mĂȘme collĂšgue qui m’avait rappelĂ© cette phrase apprise par mon ancien ami sur la bouffĂ©e dĂ©lirante aigĂŒe m’a appris que, pendant longtemps, aller Ă  la fĂȘte de l’Huma signifiait devoir patauger dans la boue en raison des pluies de la fin de l’Ă©tĂ©.

 

 

A la fĂȘte de l’Huma oĂč circulait aussi apparemment la  » drogue du viol » selon les propos d’une des animatrices de la scĂšne Zebrock invitant Ă  la prudence, j’ai ressenti l’envie d’une vie meilleure. C’Ă©tait peut-ĂȘtre une rustine passagĂšre. Sorti de ce cadre, chacune et chacun retournant trĂšs vite Ă  ses automatismes et ses obĂ©issances routiniĂšres.

Dans le tramway du retour, deux jeunes d’une vingtaine d’annĂ©es ont commencĂ© Ă  chanter L’internationale  d’abord à voix basse comme s’ils avaient un peu honte de leur coming out idĂ©ologique puis, pour finir,  à tue-tĂȘte en sortant sur le quai avant la fermeture des portes. Cela m’a semblĂ© plus théùtral qu’autre chose. Mais une passagĂšre Ă©tait d’un avis contraire. Elle aussi, m’a-t’elle rĂ©pondu, il pouvait lui arriver de chanter aussi fort sous la douche. J’ai optĂ© pour la croire sur parole et j’ai prĂ©fĂ©rĂ© me taire.

 

En face de moi, une femme d’une soixantaine d’annĂ©es, plutĂŽt belle, un caddie de courses Ă  cĂŽtĂ© d’elle ( mais que pouvait-elle bien y transporter pour refuser ensuite que je l’aide Ă  le porter dans les escaliers au terminus ?) a entamĂ© une discussion avec la passagĂšre Ă  ses cĂŽtĂ©s et moi. Elle nous a appris ĂȘtre allĂ©e un peu par hasard Ă  la fĂȘte de l’Huma pour la premiĂšre fois en 1991. Pour aller voir Johnny. Elle avait entendu dire que le concert Ă©tait gratuit. Une fois sur place, elle avait acceptĂ© de payer et ne l’avait pas regrettĂ©. Depuis, elle revenait chaque annĂ©e. Cette fidĂ©litĂ© -qui peut ĂȘtre gĂ©nĂ©rationnelle- Ă  la fĂȘte de l’Huma me semble ĂȘtre une de ses spĂ©cificitĂ©s. J’aurais pu ou dĂ» parler un peu plus de ses  stands oĂč se dĂ©roulent un certain nombre de confĂ©rences ainsi que des concerts de divers horizons. De ses multiples coins restauration appĂ©tissants Ă  un tarif assez compĂ©titif mĂȘme si j’ai Ă©tĂ© surpris de voir que l’on pouvait y manger un plat…de langoustes Ă  35 euros. Et qu’en dĂ©pit du propos Ă©cologique officiel, les gobelets en plastique jetable restaient la norme.

 

Enfin, j’aurais aussi pu dĂ©tailler l’anecdote qui m’a d’abord fait croire qu’il Ă©tait possible de payer Ă  l’intĂ©rieur de la fĂȘte de l’Huma avec sa carte bancaire ou avec des chĂšques vacances. Cette « nĂ©gligence » m’a contraint Ă  sortir de la fĂȘte de l’Huma pour aller au distributeur de billets le plus proche, Ă  une vingtaine de minutes Ă  pied. LĂ ,  j’ai ensuite dĂ» faire la queue autant de temps avant de pouvoir retirer quelques espĂšces. A la fĂȘte de l’Huma, on paie principalement avec des chĂšques et des espĂšces.

 

Si, contrairement Ă  2014, j’ai encore aujourd’hui mon bracelet jaune de festivalier de la fĂȘte de l’Huma 2019 et que je dors, me douche, travaille et vais Ă  la piscine avec, c’est sans doute que je reste attachĂ© Ă  cette utopie qu’est notre humanitĂ©. Fut-elle amoindrie par certains tonnerres dans un ciel serein ou touchĂ©e par cette pluie qui coche certaines de nos journĂ©es telle celle de ce dimanche, semblable en cela Ă  celui de certaines Ă©ditions passĂ©es de la fĂȘte de l’Huma que je ne connaitrai pas.

Afin de prĂ©server le plaisir- que j’espĂšre partagĂ©- des photos que j’ai prises de la fĂȘte de l’Huma, je prĂ©fĂšre les insĂ©rer dans un prochain article qui leur sera pleinement consacrĂ©.

Franck Unimon, ce dimanche 22 septembre 2019.

 

 

 

 

 

Catégories
Argenteuil Echos Statiques

A l’Ă©cole de ma fille

 

A l’Ă©cole de ma fille

 

 

A l’Ă©cole de ma fille, il y a eu cette rĂ©union tout Ă  l’heure. La premiĂšre de l’annĂ©e, deux semaines aprĂšs la rentrĂ©e Ă  l’Ă©cole primaire. Nous Ă©tions environ une centaine de parents. Un papa pour quinze mamans en moyenne. L’Ă©quipe enseignante Ă©tait exclusivement fĂ©minine.

 

Je continue de m’Ă©tonner devant cette importante « migration » des enfants entre la petite section de maternelle et la fin de l’Ă©cole maternelle :

Un bon nombre des enfants qui Ă©tait dans la classe maternelle de ma fille a disparu de cette Ă©cole publique. Un certain nombre est parvenu Ă  se faire « recruter » par l’Ă©cole privĂ©e du coin placĂ©e Ă  dix minutes Ă  pied de lĂ . D’autres enfants sont partis continuer leur scolaritĂ© ailleurs, dans le public ou dans une autre ville de banlieue ou de province. La meilleure copine de ma fille est par exemple partie cet Ă©tĂ© pour Nantes avec ses parents.

 

Au Cp, ma fille est dans une classe de 27 enfants. Ils Ă©taient 29 Ă  son entrĂ©e en petite section de maternelle. En maternelle cette annĂ©e, une classe supplĂ©mentaire a Ă©tĂ© crééé in extremis et Ă  l’Ă©cole primaire la fermeture d’une classe a finalement pu ĂȘtre Ă©vitĂ©e.

 

InvitĂ©e en cela par la directrice de l’Ă©cole, une enseignante a pris la parole devant nous. Elle Ă©tait Ă  l’aise pour s’exprimer en public, se mettant devant l’assemblĂ©e, assise, de ses autres collĂšgues enseignantes, directrice incluse, pour parler devant nous. En quelques minutes, elle nous a expliquĂ© que la « spĂ©cificité » de cette Ă©cole, c’Ă©tait sa classe Ă  destination des enfants non-francophones. En maternelle, dĂšs la petite section,  j’avais dĂ©ja remarquĂ© un petit, sans doute ukrainien, qui ne parlait pas Français Ă  son entrĂ©e en maternelle. Je me rappelle de la directrice de l’Ă©cole maternelle d’alors ( nous en sommes Ă  la quatriĂšme nouvelle directrice pour cette mĂȘme Ă©cole maternelle) disant Ă  la mĂšre de cet enfant :

« Ce n’est pas un problĂšme. On lui apprendra Ă  parler le Français ».

L’annĂ©e derniĂšre, ce garçon Ă©tait dans la classe de ma fille. Il nous Ă©tait arrivĂ© de retour de l’Ă©cole de faire un peu de chemin avec lui et sa mĂšre. Je la croisais assez souvent et nous nous saluions.  Cette annĂ©e, je ne vois plus ce petit.

 

Devant nous, l’enseignante a expliquĂ© que cela Ă©tait « une grande richesse » que d’avoir des enfants qui ne parlaient pas Français. Pour les autres enfants.

En accord avec elle, des parents de ces enfants non-francophones Ă©taient venus Ă  l’Ă©cole, donnant par exemple un cours de cuisine Ă  la classe en Arabe. Ou s’exprimant en Moldave ou en Ukrainien. En outre, cela valorisait l’enfant qui voyait sa mĂšre ou son pĂšre « faire classe » Ă  l’Ă©cole.

 

Une mĂšre, peut-ĂȘtre originaire du Pakistan ou du Bangladesh, a ensuite demandĂ© comment on pouvait prendre rendez-vous avec le mĂ©decin scolaire. Elle a parlĂ© d’un enfant souffrant d’autisme et de la charge que cela pouvait reprĂ©senter pour la maitresse. La directrice a expliquĂ© qu’il y’avait une obligation lĂ©gale de recevoir tout enfant Ă  l’Ă©cole quel que soit son handicap. Et qu’il convenait de faire une demande Ă  la MDPH, souvent traduite par  » la maison du handicap »,  afin d’obtenir une AVS ( aide Ă  la vie scolaire).

 

La directrice de l’Ă©cole a prĂ©sentĂ© l’Ă©quipe pĂ©dagogique. Une des enseignantes nous a expliquĂ© que des enseignants assuraient l’Ă©tude et Ă©taient donc en mesure d’aider les enfants Ă  faire leurs devoirs.

 

La directrice de l’Ă©cole nous a informĂ© qu’il n’y avait plus de secrĂ©taire. Et qu’elle-mĂȘme fait classe les jeudis et vendredis. De ce fait, il est plus difficile d’ouvrir la porte aux retardataires. Il convient de prĂ©venir les maitresses au prĂ©alable lorsqu’un enfant se rend ou revient d’une consultation chez l’orthophoniste et de faire en sorte, autant que possible, que celui-ci parte Ă  sa consultation ou en revienne plutĂŽt lors de la rĂ©crĂ©ation. Elle a rappelĂ© les heures d’ouverture et de fermeture de l’Ă©cole. 8h30/11h30. 13h30/16h30. (Pas d’Ă©cole les mercredis et les samedis du moins au Cp )

 

La directrice a poursuivi en disant que laisser un message tĂ©lĂ©phonique en cas de problĂšme, c’est « bien » mais qu’il vaut mieux, aussi, laisser un mot dans le cahier prĂ©vu Ă  cet effet et que chaque enfant a Ă  sa disposition.

Elle a continuĂ© en informant que si un enfant a une maladie contagieuse, qu’il faut Ă©viter de l’emmener Ă  l’Ă©cole.

La directrice a aussi expliquĂ© comment voter lors des Ă©lections des parents d’Ă©lĂšves : il faut voter pour une liste et non pour une personne. Si l’on vote pour une seule personne, le vote est annulĂ©.

 

Une mĂšre qui fait partie de l’association des parents d’Ă©lĂšves a prĂ©sentĂ© un peu la FCPE. Elle a enjoint les parents prĂ©sents Ă  venir Ă  la prochaine rĂ©union prĂ©vue la semaine suivante ainsi qu’aux prochaines rĂ©unions. Elle a insistĂ© quant au fait que l’on pouvait venir quand on voulait et quand on le pouvait.

 

Ces diverses interventions se sont faites dans un contexte posĂ©. Les mots employĂ©s Ă©taient plutĂŽt simples et pĂ©dagogiques. Le dĂ©bit utilisĂ©, plutĂŽt tranquille. Mais je suis assez Ă  l’aise avec la langue française qui est ma premiĂšre langue. Et la situation ( ĂȘtre dans une rĂ©union parmi plein de gens que l’on ne connait pas alors que l’on sait que cet endroit peut ĂȘtre dĂ©terminant pour l’avenir de son enfant et aussi pour soi)  ne m’a pas stressĂ©. Je me suis nĂ©anmoins un peu demandĂ© si des efforts particuliers de comprĂ©hension avaient pu ĂȘtre nĂ©cessaires pour certains des parents prĂ©sents.

 

Ensuite, nous sommes sortis. Dans la cour de l’Ă©cole, chaque parent a rejoint la maitresse de son enfant. Et, c’est avec la maitresse que nous nous sommes retrouvĂ©s dans la classe de nos enfants, assis Ă  leur place. Certains parents Ă©taient avec leur enfant. D’autres, non.

 

La maitresse de notre fille a expliquĂ© comment ça se passait en classe. Elle  a expliquĂ© le programme de l’annĂ©e. Elle s’est montrĂ©e simple et disponible. Un petit garçon de sa classe, prĂ©sent avec son papa, intervenait rĂ©guliĂšrement pour poser une question ou faire une remarque.

La maitresse nous a demandé si nous avions des questions. Il y en a eu quelques unes. Puis, la maitresse a tenu à aborder certains sujets :

Eviter autant que possible les Ă©crans pour les enfants. Pas plus de vingt minutes par jour deux ou trois fois par semaine. Que ce soit Ă©cran de tĂ©lĂ©phone portable, Ă©cran d’ordinateur, console de jeux, tĂ©lĂ©vision. Elle a Ă©voquĂ© des Ă©tudes qui rĂ©vĂ©laient que la trop grande frĂ©quentation des Ă©crans empĂȘchait les enfants d’apprendre Ă  se concentrer mais aussi Ă  accepter la frustration. Elle nous a invitĂ© Ă , plutĂŽt, proposer Ă  nos enfants de s’amuser avec leurs jouets, de prĂ©parer avec nous des repas, ce qui leur permettrait d’apprendre beaucoup. J’ai suggĂ©rĂ© le dessin. Elle a acquiescĂ©. Elle a aussi dit que l’on pouvait laisser les enfants « s’ennuyer ». Il n’y a pas eu de protestation de la part des parents prĂ©sents.

 

Donner Ă  manger aux enfants avant qu’ils viennent Ă  l’Ă©cole. Autrement, en classe, « ils dorment… » a-t’elle expliquĂ©. Et pour les enfants qui disent qu’ils n’ont pas faim, voir ce qu’ils aiment manger. Et pas des bonbons.

 

Signer le cahier de devoirs mais pas uniquement le signer. S’assurer que les devoirs ont bien Ă©tĂ© faits. Faire faire les devoirs  » sans conflit ». Pas plus de vingt minutes en semaine. Voire trente minutes pendant le week-end.

 

Rappeler aux enfants d’aller faire pipi au moment de la rĂ©crĂ©ation ou avant d’aller Ă  l’Ă©cole. Un certain nombre d’enfants manifeste son envie de pipi pendant la classe. Or, les toilettes sont loin et elle ne peut pas laisser un enfant se rendre seul dans les toilettes. Alors, quand cela est indispensable, elle demande Ă  un autre enfant de l’accompagner, souvent un CE1 pour un enfant de sa classe de CP. Et lorsqu’il y a des accidents, elle a des vĂȘtements de rechange qu’elle nous demande de bien vouloir laver et de lui restituer ensuite.

 

Les enfants doivent plutĂŽt ĂȘtre couchĂ©s Ă  21h au plus tard car ils sont  » en pleine croissance ». Maintenant, si l’on rentre tard du travail, on fait comme on peut.

 

Ces quelques rĂšgles de vie nous Ă©taient familiĂšres. Mais j’ai vu dans la nĂ©cessitĂ© de leur rappel le fait que ces rĂšgles Ă©taient encore Ă©trangĂšres Ă  un certain nombre de parents de cette Ă©cole, de cette ville oĂč nous habitons, et sans aucun doute dans d’autres endroits en France. Certainement que lorsque l’on vit par exemple dans le monde de P’TiT Quinquin ( voir l’article sur la sĂ©rie de Bruno Dumont P’TiT Quinquin et Coincoin et les Z’inhumains ) dans celui dĂ©peint par Romain Gavras dans son film Le Monde est Ă  toi ou dans celui dĂ©crit par Oxmo Puccino dans son titre Peu de Gens Le Savent que ce genre de rĂšgles peut ressembler Ă  de la masturbation intellectuelle, Ă  une peine de prison ou Ă  de la mĂ©taphysique.

 

La maitresse a insistĂ© quant au fait qu’elle avait besoin des parents pour que les enfants rĂ©ussissent bien Ă  l’Ă©cole. Aucun parent prĂ©sent ne l’a contredite.

Elle nous a dit qu’elle serait toujours disponible pour nous recevoir en cas de besoin. Qu’il fallait seulement la prĂ©venir.

Elle a aussi prĂ©cisĂ© qu’en cas de mĂ©contentement Ă  son Ă©gard, qu’il valait mieux venir en discuter avec elle plutĂŽt que de garder ça pour soi. Avec un grand sourire, elle nous a dit :

« Je peux encaisser ». Le pÚre du petit garçon qui intervenait souvent a alors dit:

« C’est bien, ça, de pouvoir encaisser « .

 

Ce soir, j’ai dĂ©cidĂ© d’Ă©crire cet article en prioritĂ©. A l’origine,  j’avais plutĂŽt prĂ©vu d’Ă©crire sur le film De sable et de feu rĂ©alisĂ© par Souheil Ben Barka qui sortira ce 18 septembre 2019 ainsi que sur le film Une fille facile rĂ©alisĂ© par Rebecca Zlotowski ( en salles depuis ce 28 aout 2019).

 

Car j’ai tenu, de nouveau, Ă  saluer le travail de toutes ces enseignantes et enseignants de l’Ă©cole publique impliquĂ©s Ă  l’image de la maitresse de l’Ă©cole de ma fille cette annĂ©e ainsi que les annĂ©es prĂ©cĂ©dentes et futures. 

 

L’Ă©cole publique va mal. Au mĂȘme titre que l’hĂŽpital public. Et la police. Cela fera grimacer certaines et certains de voir associer l’Ă©cole publique, l’hĂŽpital public et la police. Car s’il est des institutions que l’on veut souvent remercier – mĂȘme s’il est aussi des expĂ©riences trĂšs contrariantes Ă  l’Ă©cole et Ă  l’hĂŽpital- il est aussi des institutions que l’on veut ou que l’on a besoin de dĂ©tester. Ce soir, si je rajoute le mot « police » Ă  cet article, c’est sans aucun doute parce-que j’ai lu le livre de FrĂ©dĂ©ric Ploquin La Peur a changĂ© de camp 2Ăšme partie . Lequel livre m’a aidĂ© Ă  mieux comprendre, malgrĂ© certains travers de la police, comment une Ă©cole, un hĂŽpital et une police qui vont et font « mal » dĂ©coulent d’une sociĂ©tĂ© qui va mal ou qui a fait et qui fait des mauvais choix politiques, sociologiques, Ă©conomiques et donc, Ă©cologiques.

 

Tout Ă  l’heure, j’ai Ă©tĂ© Ă  nouveau marquĂ© par cet enthousiasme des enseignantes rencontrĂ©es malgrĂ© les conditions de travail et les difficultĂ©s diverses qu’elles peuvent vivre. La maitresse de notre fille est restĂ©e avec nous jusqu’Ă  dix neuf heures vingt voire dix neuf heures trente. AprĂšs la rĂ©union qui avait dĂ©butĂ© vers dix huit heures, elle Ă©tait encore disponible dans la cour de l’Ă©cole pour rĂ©pondre aux parents qui la sollicitaient. Ses autres collĂšgues Ă©taient sans doute encore prĂ©sentes dans l’Ă©cole. Et ce sont , elles aussi, des femmes et des mĂšres qui ont une vie personnelle et qui, comme la plupart d’entre nous, les vendredis soirs et d’autres soirs de la semaine, aspirent aussi Ă  quitter leur travail. Pourtant, ce soir encore, j’ai trouvĂ© chez la maitresse de ma fille, cette attitude assez frĂ©quente de la professionnelle qui vous donne beaucoup et qui, nĂ©anmoins, donne l’impression de douter d’en avoir suffisamment fait et donnĂ© comme d’avoir Ă©tĂ© suffisamment claire avec vous lorsque vous l’avez interrogĂ©e. Et, pendant ce temps-lĂ , dans la vie courante ou dans certaines administrations des personnes habilitĂ©es en principe Ă  vous recevoir et Ă  vous renseigner vont vous envoyer chier ou vous baragouiner des rĂ©ponses sans queue ni tĂȘte sans dĂ©codeur !

 

J’ai aussi Ă©tĂ© marquĂ© par ce dĂ©calage qui semble permanent, entre, d’un cĂŽtĂ© ces parents jamais contents et jamais satisfaits de l’Ă©cole, et, de l’autre cĂŽtĂ©, ces enseignants pourtant dĂ©vouĂ©s qui font de leur mieux. Le pire Ă©tant qu’il n’y a pas de morale Ă  cela :

On peut ĂȘtre un parent conciliant et pĂątir de l’incomprĂ©hension du corps enseignant. Comme on peut ĂȘtre un parent chiant et obtenir une certaine considĂ©ration de ce mĂȘme corps enseignant que l’on sera prĂȘt Ă  critiquer et Ă  dĂ©voyer Ă  la moindre contrariĂ©tĂ©.

 

Franck Unimon

 

 

 

 

 

Catégories
Echos Statiques

La fĂȘte de l’Huma

 

                                             La FĂȘte de l’Huma

 

 

 

« La FĂȘte de l’Huma Â». Festival de musique aussi connu pour sa proximitĂ© avec le Parti communiste français que pour ses tĂȘtes d’affiche et le prix de son billet d’entrĂ©e dĂ©fiant, en rĂ©gion parisienne, Ă  peu prĂšs toute concurrence. A titre de comparaison, la derniĂšre Ă©dition 2019 ( 23, 24 et 25 aout) du festival Rock En Seine au parc de St Cloud, dans les Hauts de Seine, l’un des plus gros festivals Rock de France,  mettait son pass un jour Ă  49 euros l’entrĂ©e- tarif rĂ©duit– ( le plein tarif Ă©tant Ă  69 euros). Pour pouvoir bĂ©nĂ©ficier de ce tarif rĂ©duit, il fallait avoir moins de 18 ans; avoir moins de 25 ans Ă  condition de rĂ©sider dans la ville de St Cloud; ou ĂȘtre demandeur d’emploi, ĂȘtre allocataire du RSA ou avoir un statut d’handicapĂ©.

Le pass trois jours de Rock en seine plein tarif coĂ»tait cette annĂ©e la gentille somme de 159 euros. Il est bien-sĂ»r un certain nombre de festivaliers qui ont moins de 25 ans. Mais il est aussi trĂšs courant qu’un certain nombre de festivaliers soit plus ĂągĂ© et habitent hors de St Cloud se retrouvant ainsi d’office Ă©ligibles au plein tarif pratiquĂ© par Rock en Seine. 

 

De son cĂŽtĂ©, la fĂȘte de l’Huma, elle, propose uniquement un pass trois jours plein tarif  pour un « petit » peu moins cher qu’Ă  Rock en Seine :

40 ou 45 euros.

 

Cette annĂ©e, au festival Rock en Seine, je serais bien allĂ© voir The Cure et Jorja Smith. A Rock en Seine, j’ai dĂ©jĂ  « vu Â» Björk, le dernier concert des Rita Mitsouko, Emilie Simon, The Jesus and the Mary Chain. C’était en 2007.

Cette annĂ©e, j’ai refusĂ© d’aller Ă  Rock en Seine. J’ai l’impression que le prix- dĂ©jĂ  assez Ă©levĂ©- des pass de Rock en Seine a beaucoup augmentĂ© depuis la crĂ©ation du festival en 2003. Cela a peut-ĂȘtre un rapport avec le nom du nouveau propriĂ©taire du festival :

 

« Par Les Echos

Publié le 30/03/17 à 09h39

Banquier passionnĂ© de rock, Matthieu Pigasse s’offre le festival parisien Rock en Seine. Ce rachat, via son holding personnel LNEI (Les nouvelles Ă©ditions indĂ©pendantes), vient renforcer les investissements culturels de ce boulimique de production indĂ©pendante, qui dĂ©tient depuis 2009 plusieurs mĂ©dias (Radio Nova, Les Inrocks…). Le patron de la banque Lazard en France est aussi copropriĂ©taire du Monde depuis 2010, avec le patron de Free, Xavier Niel, et le mĂ©cĂšne Pierre BergĂ©. Il vient d’ailleurs de racheter avec le mĂȘme Xavier Niel le groupe de tĂ©lĂ© AB Â».

 

 

Il serait trĂšs surprenant d’apprendre que Matthieu Pigasse, « banquier passionnĂ© de rock Â», rachĂšte la fĂȘte de l’Huma. Mais je m’avance peut-ĂȘtre un peu trop dans un monde oĂč l’on tient absolument Ă  nous faire rentrer dans la tĂȘte  que tout s’achĂšte.

 

J’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apprendre que la premiĂšre Ă©dition de la fĂȘte de l’Huma date de 1930. C’était dans la ville de Bezons, pas trĂšs loin d’Argenteuil.(Par la bouche )

Je suis allĂ© Ă  la fĂȘte de l’Huma, au parc Georges Valbon Ă  la Courneuve en Seine St Denis, pour la premiĂšre fois, en 2014. Pour Massive Attack. Au passage, j’avais revu Alpha Blondy en concert avec plaisir. Qu’est-ce que j’ai ratĂ© comme grands concerts auparavant Ă  la fĂȘte de l’Huma ! Il vaut mieux que je m’abstienne de regarder.

 

 

Cette annĂ©e, Kassav’( Un Moon France en Concert  mais aussi Kassav’) m’a donnĂ© envie de retourner pour la seconde fois Ă  la fĂȘte de l’Huma, les 13, 14 et 15 septembre. Kassav’ et Aya Nakamura, Youssou Ndour, Miossec.

Je n’ai jamais vu Aya Nakamura en concert mais j’aime plusieurs titres de son dernier album. Et j’avais beaucoup aimĂ© et Ă©tĂ© trĂšs Ă©tonnĂ© par l’énergie d’un concert de Miossec vu Ă  la salle des fĂȘtes de Taverny il y’a plus de quinze ans. Je suis aussi curieux de voir Soprano, Les NĂ©gresses vertes, Paul Kalkbrenner.

J’espĂšre que sur scĂšne, Youssou Ndour a bien vieilli car il est pour moi une institution. Pour moi, Youssou Ndour, c’est un artiste de scĂšne et l’ambassadeur du Mbalax bien plus que de « son Â» tube Seven seconds avec Neneh Cherry -qui m’avait ennuyĂ©- ou de sa reprise des titres de Bob Marley que j’avais trouvĂ©es ratĂ©es en studio.  Pour l’instant, en studio, je lui prĂ©fĂšre ce que l’artiste Tiken Jah Fakoly a fait des titres de Bob Marley.

 

Je suis rĂ©servĂ© envers Eddy de Pretto Ă©galement prĂ©sent Ă  la fĂȘte de l’Huma. Il a une grosse cote en ce moment et tant mieux pour lui. Mais, pour l’instant, je demande Ă  voir.

 

Le parti communiste français- et le journal l’HumanitĂ© qui le soutient- ressemble au choix Ă  un parti politique pathĂ©tique qui essaie de rĂ©sister alors qu’il continue de s’effriter ou Ă  un parti nostalgique de certaines dictatures bolchĂ©viques et staliniennes. Et, son ascendant indirect, Poutine, est trĂšs loin de s’évertuer Ă  nous sĂ©duire.

 

 

 

En me rendant Ă  cette derniĂšre vente de soutien avant la fĂȘte de l’Huma de cette annĂ©e, j’ai nĂ©anmoins Ă©tĂ© touchĂ© par ces militants prĂ©sents. A peine une centaine. Patrick le Hyaric, l’homme au micro, je prĂ©sume, faisait pourtant le mĂȘme effet qu’un animateur de supermarchĂ©. Une absence fatale de charisme rĂ©compensĂ©e par l’indiffĂ©rence exemplaire des passants dans cet endroit de Paris, aux Halles, pourtant plus que central et frĂ©quentĂ©.

 

 

Patrick le Hyaric, en dĂ©pit des sujets sensĂ©s qu’il abordait, que j’ai Ă  peine Ă©coutĂ©s, symbolisait cet isolement qui nous berce dĂ©sormais et dont profitent banquiers, entrepreneurs et hommes politiques dont la principale ambition est de continuer de se « goinfrer Â» tandis que nos vies et notre planĂšte se vident et que nous devenons de plus en plus sourds et intolĂ©rants Ă  la raison.

En venant, j’ignorais que le simple fait d’aller acheter Ă  prix rĂ©duit mes billets pour la fĂȘte de l’Huma  (28 euros la place contre 40 ou 45 euros sur place lors de la fĂȘte de l’Huma) Ă  cette manifestation de soutien pourrait me donner envie de tomber communiste.

 

 

L’homme qui m’a vendu les bons de soutien- qui deviendront billets nominatifs- m’a dit ĂȘtre sourd. Il avait une bonne soixantaine d’annĂ©es. Mais il m’a Ă©coutĂ©- et compris- bien mieux que bon nombre d’entendants.

 

 

Les militants prĂ©sents Ă©taient plus de sa gĂ©nĂ©ration que de la mienne mĂȘme s’il s’est trouvĂ© quelques personnes prĂ©sentes qui ont fait un peu baisser la moyenne d’ñge.

 

 

 

 

« Mon Â» vendeur m’a expliquĂ© avec pĂ©dagogie comment m’y prendre pour rĂ©cupĂ©rer mes billets d’entrĂ©e aprĂšs ĂȘtre allĂ© sur internet. J’ai trouvĂ© le service aprĂšs vente du journal l’HumanitĂ© trĂšs bon. Lui, allait rester lĂ  jusqu’à 19h30 (c’était bientĂŽt l’heure). Mais  les « copains Â» allaient peut-ĂȘtre rester encore. J’ai Ă  peine pu concevoir les combats et les voyages connus par ces visages militants. Mais il devait y en avoir des centaines et ce, depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations :

Je « sais Â» que des militants du parti communiste se rendant Ă  la fĂȘte de l’Huma en famille avec leurs enfants en bas Ăąge. Et qu’ils assistent ou participent aux nombreux dĂ©bats qui ont lieu lors du festival.

Dans le prospectus distribué lors de cette vente de soutien, on peut lire par exemple :

 

 » La fĂȘte de l’HumanitĂ© s’est construite autour du partage, des idĂ©es et des rencontres offrant chaque annĂ©e dĂ©bats et Ă©changes autour des problĂ©matiques d’aujourd’hui et de demain.

Dans un monde oĂč l’individualisme domine, la FĂȘte s’engage Ă  remettre l’Humain au centre des prĂ©occupations : solidaritĂ©, justice, progrĂšs social…Des gilets jaunes aux hĂŽpitaux français au bord du burn-out, en passant par les zones d’ombres entourant la morte de Steve, autant de sujets d’actualitĂ© venant nourrir les multiples discussions ayant lieu aux quatre coins de la FĂȘte.

Dans le monde aussi, les choses ne tournent pas rond. D’un BrĂ©sil gouvernĂ© par un leader d’extrĂȘme droite, au formidable soulĂšvement populaire algĂ©rien, sans oublier les milliers de personnes s’Ă©chouant encore aux portes de l’Europe…

L’urgence de se rĂ©unir est d’autant plus forte que certains sujets impliquent un changement immĂ©diat des mentalitĂ©s. Alors, agissons !

L’environnement et le climat seront au coeur de cette 84Ăšme Ă©dition avec l’organisation, le vendredi 13 septembre, d’une grande marche pour le climat, initiĂ©e et poursuivie toute cette annĂ©e par les mouvements lycĂ©ens. Il n’est plus possible de rester seul chez soi. Faites bouger les choses, venez Ă  la FĂȘte de l’HumanitĂ© ! »

 

 

Plus que de la dĂ©solation et de la solitude, j’ai senti chez ces personnes prĂ©sentes hier- pour celles et ceux qui sont du parti communiste-une loyautĂ© que l’on pourra juger aveugle et idiote compte tenu de la place et de la rĂ©ussite du parti communiste dans les sondages comme dans la sociĂ©tĂ© française et politique rĂ©cente mais que j’ai trouvĂ©e honorable. Et plus rassurante que toutes ces mauvaises nouvelles et toutes ces dĂ©faites en France et ailleurs qui sont devenues la norme.

 

En m’éloignant, je me suis dit qu’à la place de Patrick le Hyaric, il y’a dix ou quinze ans, un Emmanuel Macron, actuellement prĂ©sident de la rĂ©publique française, aurait pu tout aussi bien parler dans le mĂȘme micro devant des passants tout autant indiffĂ©rents.

Cela arrivera peut-ĂȘtre un jour. Lorsque le pouvoir de l’argent et des armes aura Ă©tĂ© dĂ©sactivĂ© et Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© irresponsable. Et que pour vibrer et se sentir vivant, il suffira par exemple de se rendre Ă  un festival de musique ou d’y participer en tant qu’artiste ou organisateur.

 

Franck Unimon, ce vendredi 30 aout 2019.

 

 

 

 

 

 

Catégories
Echos Statiques

Cette Histoire

 

 

 

                                                           Cette Histoire

 

Cette histoire, nous la connaissons : il faut parfois un acte hĂ©roĂŻque ou dĂ©goĂ»tant pour crĂ©er l’étincelle Ă  mĂȘme de nous faire pousser dans le regard admiratif ou horrifiĂ© des autres. Auparavant, nous existions peut-ĂȘtre Ă  l’état de bulle plate ou de banale silhouette. Parce qu’à peine la rupture des premiers attraits et de la dĂ©couverte est-elle prononcĂ©e que l’habitude scĂ©lĂ©rate s’installe. Et il faut faire certains efforts pour rester attentif aux autres comme pour maintenir en eux un certain « intĂ©rĂȘt ». Nous avons tellement Ă  faire. La vie est si courte. Et nous n’avons pas de temps Ă  perdre.

Pire que l’exposition au temps qui passe, le risque d’ĂȘtre exposĂ© trop longtemps Ă  un sentiment de solitude et d’échec nous incite Ă  nous dĂ©mettre de celles et ceux qui nous semblent peu
 pour nous en dĂ©livrer.

Cet homme-lĂ , je l’ai longtemps dĂ©laissĂ©. Je le voyais Ă  peine. Pour mieux dire les choses : j’ai oubliĂ© comment je le voyais lorsque je le croisais. C’était une silhouette d’homme de mĂ©nage employĂ© par une sociĂ©tĂ© dont je connais Ă  peine le nom. Je le savais prĂ©sent sur le plateau de tournage de mon travail, certains matins. DĂšs 6 heures. Je faisais sĂ»rement attention Ă  son travail :

Autant que possible, j’évitais de marcher lĂ  oĂč il venait de passer le balai ou la serpillĂšre. MĂȘme s’il est trĂšs courant que celles et ceux qui font le mĂ©nage vous disent gĂ©nĂ©ralement avec politesse et gentillesse : « Si ! Si ! Vous passez passer ! ». Alors que vous, vous savez qu’en passant, vous allez saloper la surface qu’ils viennent de laver. Et qu’à leur place, vous prendriez trĂšs mal que quelqu’un salisse le rĂ©sultat tout frais de votre oeuvre de mĂ©nage.

Au cinĂ©ma, une fois, on m’avait proposĂ© un rĂŽle de silhouette d’homme de mĂ©nage. J’avais refusĂ©. Et ma prof de théùtre au conservatoire, en colĂšre, avait approuvĂ© mon choix de refuser ce « rĂŽle » en me confirmant mes impressions :

« On te propose ça parce-que tu es Noir ! Tu refuses ! ». Au cinĂ©ma, on s’exclue du regard et de la carriĂšre d’acteur en acceptant de « jouer » la silhouette. Et encore plus en y faisant l’homme de mĂ©nage qui efface en lui-mĂȘme les traces de sa propre prĂ©sence Ă  mesure des scĂšnes. Etre payĂ©, modestement, pour effacer soi-mĂȘme ses propres traces jusqu’à la disparition complĂšte, c’est tout un concept. Mais certainement pas un plan de carriĂšre Ă  conseiller Ă  celle ou celui qui veut rĂ©ussir en tant qu’acteur.

Aussi Ă©tonnante que cette proposition soudaine de m’engager en tant que silhouette d’homme de mĂ©nage avait Ă©tĂ© la croyance de certaines personnes de mon entourage :

Quand je les avais interrogĂ©es, certaines d’entre elles, pragmatiques, avaient estimĂ© que c’était toujours bon Ă  prendre, une place de silhouette d’homme de mĂ©nage au cinĂ©ma. Tant que c’était payĂ©.

 

Dans la vie, et gratuitement, j’avais dĂ©ja croisĂ© cet homme de mĂ©nage un certain nombre de fois lorsqu’un matin, une de nos collĂšgues a Ă©tĂ© suivie par un violeur. Les cris de notre collĂšgue ont alertĂ© notre « silhouette » d’homme de mĂ©nage. Celui-ci a accouru et s’est interposĂ©. Seul lui, « l’homme de mĂ©nage », en raison de sa prĂ©sence Ă  cette heure, pouvait Ă  ce moment-lĂ  entendre, voir et intervenir. Le violeur a trĂšs vite pris la fuite.

Cette tentative de viol a été un choc. Pour cette collÚgue. Pour nous.

Notre collĂšgue s’en est apparemment remise : je ne suis pas assez proche pour aborder ce sujet avec elle et j’ai prĂ©fĂ©rĂ© Ă©viter toute question dĂ©placĂ©e ou qui aurait pu passer pour telle. A la place, il a pu m’arriver, comme d’autres collĂšgues, de veiller un peu plus sur elle comme cette fois oĂč venant au travail, elle nous avait appelĂ© pour nous informer
qu’elle avait l’impression d’ĂȘtre suivie par un mec bizarre. J’étais prĂȘt Ă  partir la rejoindre. Finalement, elle s’était refugiĂ©e dans un cafĂ© quelques minutes puis Ă©tait arrivĂ©e.

 

Je me demande combien de personnes parmi toutes celles et ceux, qui, quotidiennement, se font faire et servir un cafĂ© et marchent en toute dĂ©contraction dans le travail des autres auraient Ă©tĂ© capables d’agir comme cet homme de mĂ©nage. Depuis quelques mois maintenant, une de mes collĂšgues, rĂ©incarnation d’un chien St-Bernard, en cela qu’elle est particuliĂšrement attentive aux autres, lui apporte un cafĂ© les matins. Ce matin, ma collĂšgue m’a Ă  nouveau dit que cela lui avait pris du temps pour « apprivoiser » cet homme.

Depuis cette tentative de viol, je perçois cet homme de mĂ©nage comme un hĂ©ros et un modĂšle. Je le salue autant que possible. Je me suis obligĂ© Ă  apprendre et Ă  retenir son prĂ©nom. Quelques fois, je prends le temps de discuter avec lui. Je n’ai jamais osĂ© lui parler de ce qui Ă©tait arrivĂ©. C’est un hĂ©ros mĂ©connu et je crois que cela lui convient trĂšs bien :

La majoritĂ© des hĂ©ros sont des gens mĂ©connus et oubliĂ©s. Seule une minoritĂ© de hĂ©ros, je crois, « bĂ©nĂ©ficie » d’une histoire officielle et d’une certaine publicitĂ© qui peut d’ailleurs ĂȘtre une malĂ©diction.

Quelques fois, je repense avec un peu d’inquiĂ©tude Ă  ce « Jeune Malien sans papiers » :

Mamadou Gassama.

Le 27 Mai 2018, Ă  Paris, Mamadou Gassama Ă©tait devenu « un hĂ©ros » en sauvant un enfant accrochĂ© Ă  un balcon, les pieds suspendus dans le vide. Mamadou Gassama, dont j’avais dĂ©jĂ  oubliĂ© le prĂ©nom et le nom avant d’écrire cet article, a reçu la nationalitĂ© française et Ă©tĂ© embauchĂ© en tant que pompier suite Ă  son acte hĂ©roĂŻque. C’est ce que j’ai cru comprendre. Ce dĂ©nouement ressemble Ă  un happy end commun Ă  certains romans et certains films. Tout va bien et tout se termine pour le mieux. Mais :

Entre l’exigence de devoir toujours, dĂ©sormais, ĂȘtre un hĂ©ros (donc un ĂȘtre parfait) et le fait, quand mĂȘme, de susciter certaines jalousies, je me dis que la vie de Mamadou Gassama doit ĂȘtre loin d’ĂȘtre simple. Je me dis que pour lui le plus simple a peut-ĂȘtre Ă©tĂ©, finalement, de risquer sa vie pour cet enfant. Ensuite, soit pour lui soit pour son entourage, je doute que la vie se soit simplifiĂ©e. Trop de cĂ©lĂ©britĂ© tue l’hĂ©roĂŻsme, la tranquillitĂ© et la simplicitĂ©. Bien des hĂ©ros et des super-hĂ©ros ont bien raison de porter un masque assurant leur anonymat dans la vie de tous les jours. Qu’un masque cache leur visage ou que ce masque soit un rĂŽle ou une attitude qu’ils (se) jouent tous les jours et par lesquels ils se font passer pour plus idiots, plus vulnĂ©rables et plus lĂąches qu’ils ne le sont rĂ©ellement.

Dusko Popov, qui a inspirĂ© Ă  Ian Fleming un certain personnage cĂ©lĂšbre, l’a dit :

« Dans la vraie vie, James Bond ne tiendrait pas six mois ».

Je « soupçonne » Dusko Popov d’avoir Ă©tĂ© indulgent en parlant de « six mois » car en lisant sa trĂšs bonne biographie Tricycle qu’il a Ă©crite lui-mĂȘme, on comprend que son intelligence et son art de la dissimulation lui ont permis de jouer les agents double voire triple et de bien tenir sa couverture durant la Seconde Guerre Mondiale face aux nazis qu’il frĂ©quentait.

On m’objectera qu’il en est de mĂȘme, malheureusement, pour de grands criminels et de grands meurtriers qui savent passer inaperçus en tout normalitĂ© et mĂȘme en toute lĂ©galitĂ© jusqu’à ce moment oĂč ils entrent en scĂšne. C’est vrai. Mais je prĂ©fĂšre penser ce matin Ă  cette histoire oĂč parmi toutes ces femmes et ces hommes de mĂ©nage, parmi toutes ces silhouettes confondues dont la prĂ©sence est souvent floue, se cachent des hĂ©roĂŻnes et des hĂ©ros que nous croisons ou que nous sommes tous les jours.

Franck Unimon, ce jeudi 4 juillet 2019.