Catégories
Corona Circus Moon France

Seconde maman

 

                                       Seconde maman

Un adulte, ça ne se trompe jamais.

 

 

« Un adulte, ça ne se trompe jamais Â» m’a dit ma fille, hier. Lorsque j’ai essayĂ© de lui faire comprendre qu’il pouvait arriver qu’un adulte, se trompe. Elle a eu l’assurance de l’innocente. Sa maitresse le leur avait dit Ă  l’école. Ma fille appliquait Ă  la vie ce que son enseignante leur avait peut-ĂȘtre (j’espĂšre) affirmĂ© Ă  propos de certains Savoirs scolaires.

 

La certitude de ma fille m’a fait sourire. Mais elle a raison. C’est bien le problĂšme. C’est les grandes vacances, ce 4 aout 2021. Des millions de personnes, pour leurs vacances, ont pris des destinations diffĂ©rentes. Assez peu admettront s’ĂȘtre trompĂ©es de destination. C’est pareil avec la raison. Nous prenons des destinations diffĂ©rentes. Lorsque nous sortons de certaines limites de la route ou de la raison, nous ne nous en apercevons pas tout de suite.

 

Sur le papier, administrativement, politiquement, militairement, selon les frontiĂšres et les rĂ©gions, nous sommes une Nation. En pratique, cela peut ĂȘtre diffĂ©rent. Aussi y’a-t’il  y a des lois pour nous rĂ©unir ou nous forcer Ă  nous rĂ©unir et pour nous donner des rĂšgles communes. Si nous nous en dĂ©marquons, il y a fuite, infraction, condamnation, rĂ©pression ou dĂ©bat.

 

Devant la pandĂ©mie du Covid – oui, je vais Ă©videmment reparler d’elle – nous, les adultes, nous sommes tous au volant. Et, comme pour les dĂ©parts en week-end ou pour les grandes vacances, nous ne prenons pas les mĂȘmes destinations. De façon volontaire ou involontaire.

 

Mais un adulte, ça ne se trompe jamais.  

 

La vie et la mort face Ă  certaines modĂ©lisations :

 

C’est pour cette raison qu’une fois notre dĂ©cision prise, nous nous heurtons. Les pour et les anti-vaccins.

Pourtant, que l’on soit pour ou contre les vaccins contre le covid, la pandĂ©mie du Covid nous rappelle aussi que la vie et la mort Ă©chappent Ă  certaines modĂ©lisations, statistiques et chiffres. Mais nous sommes nombreux Ă  ĂȘtre trĂšs sĂ»rs de nous concernant la conduite Ă  avoir pour ou contre. MĂȘme si personne ne sait vĂ©ritablement oĂč nous en sommes sur la route de la pandĂ©mie. Ni oĂč nous sommes exactement. Et Ă  quel point nous nous situons sur la carte et la courbe de la durĂ©e de la pandĂ©mie.  

 

Le journal  » Le Monde » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Je ne conteste pas la rĂ©alitĂ© ou les chiffres de la pandĂ©mie du Covid. En France. Dans les rĂ©gions d’outre-mer oĂč un reconfinement a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© en Martinique, Ă  la RĂ©union et sans doute bientĂŽt en Guadeloupe. Je ne conteste pas non plus qu’il manque des lits en rĂ©animation. Ainsi que du personnel soignant. Ni que la pĂ©nurie soignante se soit accentuĂ©e depuis la pandĂ©mie et qu’un certain nombre de soignants, Ă©puisĂ©s par les conditions de travail dĂ©jĂ  difficiles avant la pandĂ©mie, ait fait connaĂźtre leur intention de quitter l’hĂŽpital.

 

Hier soir, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de n’avoir rien de particulier Ă  Ă©crire. Peut-ĂȘtre parce-que j’avais Ă©crit le principal de ce que je ressentais dans mon article SĂ©rums de vĂ©ritĂ© . La veille. 

Mon ami Raguse m’a envoyĂ© un sms ce matin. Il voulait savoir ce que j’avais dĂ©cidĂ©. Pour lui, comme pour ma compagne, Ă  la fin de mon article SĂ©rums de vĂ©ritĂ©, on ignore quelle va ĂȘtre ma dĂ©cision. Ma compagne a parlĂ© en quelque sorte de « suspense Â». Pour moi, il n’y avait pas de suspense Ă  la fin de SĂ©rums de vĂ©ritĂ©.

 

Le journal  » Les Echos » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Suspense

 

 

Ce matin, j’ai appelĂ© pour annuler le rendez-vous que j’avais pour ma premiĂšre injection avec le vaccin Pfizer contre le Covid. La seconde Ă©tait prĂ©vue pour le 24 ou le 25 aout.

J’ai choisi, pour l’instant, d’éviter de prendre un autre rendez-vous. Si je reprends rendez-vous, j’aimerais ĂȘtre davantage sĂ»r de moi. Ce sera peut-ĂȘtre trop tard ou plus difficile d’obtenir un rendez-vous alors que j’avais assez facilement obtenu ce rendez-vous dans la salle des fĂȘtes de ma ville.

 

Peut-ĂȘtre que je le regretterai.

 

 

Mais je ne pouvais pas, avec les doutes que j’ai dans la tĂȘte, concernant les effets indĂ©sirables que j’ai lus ou dont j’ai entendu parler concernant les vaccins actuels contre le Covid, accepter de recevoir ma premiĂšre injection du vaccin Pfizer. Qui plus est, en prĂ©sence de ma fille. Si j’avais Ă©tĂ© seul ce matin, peut-ĂȘtre que j’aurais raisonnĂ© autrement. Ce n’est pas sĂ»r. Mais le fait d’envisager que ma fille puisse me voir me faire vacciner contre le Covid, alors que je suis en bonne santĂ©, puis, si ça se passe mal, qu’elle fasse l’apprentissage par elle-mĂȘme que la vaccination puisse ĂȘtre nĂ©faste, a encore plus contribuĂ© Ă  ce que je me retire, pour l’instant, de cette campagne de vaccination collective contre le Covid.

 

D’autres personnes ont fait ou auraient fait le contraire. Je le sais.

 

Le journal  » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

 

Expériences

 

Je sais aussi que je ne suis pas Ă©pidĂ©miologiste. Que je ne dispose pas de chiffres ou de statistiques. Que ma façon de percevoir les Ă©vĂ©nements qui entourent la pandĂ©mie du Covid sont empiriques. MĂȘme si j’essaie de trouver des informations Ă  droite Ă  gauche, autour de moi. En lisant des journaux, y compris satiriques qui se moquent des anti-vaccins. En lisant sur le net ou en regardant des vidĂ©os aussi sur le net.

 

Au moment de prendre la dĂ©cision, pour ou contre la vaccination, se croisent des croyances, des logiques. Et, parfois, l’expĂ©rience. L’expĂ©rience, ça peut ĂȘtre avoir un proche, une proche ou un moins proche qui a eu le Covid.

 

Je connais quelques personnes qui ont eu le Covid. Dont mon meilleur ami qui l’avait contractĂ© plusieurs semaines aprĂšs sa compagne. Il y a plusieurs mois. Ce 13 juillet, j’étais Ă  l’enterrement du pĂšre de mon meilleur ami. BientĂŽt 90 ans. Pas Ă  l’enterrement de mon meilleur ami.

 

Je ne fais pas exprÚs de mentionner cette date du 13 juillet, alors que la veille, le gouvernement avait décidé de rendre obligatoire pour les soignants la vaccination anti-Covid. Ces deux dates coïncident. Cette coïncidence fait aussi partie de mon expérience du Covid.

A l’enterrement du pĂšre de mon ami, pour la premiĂšre fois, quelqu’un m’a demandĂ© quel Ă©tait mon groupe sanguin. Lorsque j’ai rĂ©pondu que j’étais O positif, il m’a affirmĂ© qu’ĂȘtre O positif protĂ©geait contre le Covid. Cette croyance m’a Ă©tonnĂ© voire un peu fait sourire. Mais je sais qu’elle ferait enrager certains esprits « scientifiques Â» ou « cartĂ©siens Â».

 

Mon meilleur ami et sa compagne sont partis en vacances, il y a quelques jours. Ils allaient bien tous les deux. J’ai mĂȘme senti mon meilleur ami apaisĂ© aprĂšs le dĂ©cĂšs et le dĂ©part de son pĂšre pour son enterrement en AlgĂ©rie. Cela faisait deux ans que son pĂšre souffrait de la maladie d’Alzheimer. Deux ans que cela le minait. Lui et sa compagne ont Ă  ce jour une rĂ©ponse immunologique qui atteste du fait que leur organisme possĂšde encore un nombre trĂšs Ă©levĂ© d’anticorps ou d’antigĂšnes, au delĂ  de la moyenne, du fait d’avoir contractĂ© le Covid.

 

Le journal  » Le Monde » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Fort heureusement pour moi, ce 4 aout 2021, parmi mes proches et mon entourage direct, toutes celles et tous ceux que je connais qui ont attrapĂ© le Covid l’annĂ©e derniĂšre ou cette annĂ©e au printemps, vont bien ou mieux. Dans une tranche d’ñge comprise entre 40-45 ans et 55-58 ans. Deux ont frĂŽlĂ© le cadavre. Un, en particulier, « ramassĂ© par terre Â» (ses propres termes) par le Samu chez lui. J’ai appris Ă  cette occasion qu’il souffrait d’une certaine insuffisance respiratoire au prĂ©alable. Moi, ce que j’avais remarquĂ© chez ce collĂšgue, plutĂŽt « fort Â», c’était surtout son embonpoint et son Ăąge proche de la retraite.

Pareil pour l’autre collĂšgue Ă  qui il avait fallu un peu plus de deux mois pour rĂ©cupĂ©rer. Embonpoint certifiĂ© et Ăąge proche de la retraite.  On peut sĂ»rement parler pour eux deux de «  comorbiditĂ©s Â».

 

 Sur les deux, je peux attester que le second, au moins, plusieurs semaines avant d’attraper le Covid, avait un usage allĂ©gĂ© du masque anti-Covid.

 

Lorsque je mentionne ça, je ne suis pas plus Ă©pidĂ©miologiste qu’au dĂ©but de cet article. Je livre une ou deux expĂ©riences. Quelques Ă©lĂ©ments que j’ai pu observer.

 

Mais il y a un autre phĂ©nomĂšne que j’ai pu observer au dĂ©but de ma carriĂšre d’infirmier en psychiatrie. Un phĂ©nomĂšne que j’ai appris Ă  connaĂźtre. Ce n’est pas venu tout de suite. Je n’avais pas prĂ©vu, en choisissant d’aller travailler en psychiatrie alors que j’avais 24-25 ans, que je ferais ce genre de « dĂ©couverte Â» parmi d’autres. Cette dĂ©couverte, une fois de plus, n’a rien de scientifique. Je n’ai pas de stats, de chiffres, de logiciel de calcul qui permettront de modĂ©liser, protocoliser ce que je vais raconter. Je vais essayer de parler du risque. Mais d’aprĂšs ce que j’ai vĂ©cu Ă  mon travail dans certaines situations en  psychiatrie. Je le rĂ©pĂšte : je ne suis pas Ă©pidĂ©miologiste. Je n’ai aucune compĂ©tence pour expliquer ce qui se passe, d’un point de vue clinique, avec la pandĂ©mie. Il y a des personnes, des adultes, bien-sĂ»r, qui, eux, savent. Et ne se trompent pas. Qu’ils soient scientifiques, politiques ou journalistes. Ou intellectuels. Ou des proches comme des moins proches.

 

Moi, je doute. Je sais que je peux me tromper. C’est pour cela, que, ce matin, j’ai optĂ© pour reculer avant cette premiĂšre injection de Pfizer. Alors qu’il y a quelques jours, lorsque j’avais pris rendez-vous, j’étais content d’avoir pu obtenir un rendez-vous aussi rapide. J’avais le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait. Le timing collait bien. J’allais pouvoir, mi-septembre, au moment oĂč les sanctions dĂ©cidĂ©es par le gouvernement, allaient se dĂ©clencher plus durement contre celles et ceux qui ne seront pas vaccinĂ©es, ĂȘtre tranquille. Etre dĂ©barrassĂ© de certaines tribulations.

 

Le journal « Charlie Hebdo » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Le Risque :

Si je commence Ă  essayer de faire de l’humour en commençant par la phrase connue : « DĂšs que l’on vit, on risque de mourir Â», bien des personnes prendront trĂšs mal cet humour qu’elles estimeront malvenu vu le contexte de la pandĂ©mie. Mais je dĂ©bute quand mĂȘme cette partie par cette allusion parce-que je refuse encore de manquer d’un certain courage pour l’humour. MĂȘme si ce trait d’humour sera sĂ»rement trĂšs mal tolĂ©rĂ© par quelques unes et quelques uns.

 

Mais ce que je veux dire, autre phrase trĂšs connue, c’est que «  le risque zĂ©ro n’existe pas Â».

 

En psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, rĂ©guliĂšrement, constamment, nous rencontrons des patients qui ont un « risque suicidaire Â» ; un « risque de passage Ă  l’acte Â» ; « un risque de fugue Â». Bien-sĂ»r, ce risque est moins, comment dire, sujet aux certitudes de certaines donnĂ©es scientifiques et Ă©pidĂ©miologiques.

 

Pour le Covid, par exemple, on sait nous dire que tel variant a telle proportion de contagiositĂ©. Ou que, actuellement, le vaccin Pfizer offrirait une protection de 39% face au variant Delta contre plus de 90% face au variant prĂ©cĂ©dent du Coronavirus. Mais, aussi, qu’une personne vaccinĂ©e contre le Covid a moins de risques de se retrouver en rĂ©animation ou de dĂ©velopper une forme grave du Covid. C’est chiffrĂ©. ModĂ©lisĂ©. Je ne discute pas ces chiffres et ces statistiques contrairement Ă  certaines personnes anti-Vaccin Pfizer, Moderna, et autres vaccins anti-Covid actuels. Je crois Ă  ces chiffres. MĂȘme si je ne passe pas mon temps Ă  les sniffer comme l’on pourrait sniffer des lignes de crack.

 

Je vais par contre m’attarder davantage sur ces phĂ©nomĂšnes que tout le monde, ou Ă  peu prĂšs, vit plus intensĂ©ment depuis dix huit mois, avec cette pandĂ©mie du Covid :

 

La peur. L’anxiĂ©tĂ©.

 

LĂ , aussi, je ne suis pas sociologue, psychologue, chercheur au CNRS ou ailleurs sur ces sujets. Je n’ai pas de chiffres ou de statistiques, non plus. Mais mon mĂ©tier, c’est de travailler en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie directement avec des publics (adultes et mineurs) qui peuvent ĂȘtre imprĂ©visibles ou trĂšs imprĂ©visibles. Et, avec lesquels le « risque Â» est souvent prĂ©sent. Risque de tentative de suicide. Risque de fugue. Risque de passage Ă  l’acte auto-agressif et hĂ©tĂ©ro-agressif. Et, comme mes collĂšgues, il est de ma responsabilitĂ©, Ă©videmment, de prĂ©venir ce risque. Comment fait-on ?

 

Avec des logiciels et des camĂ©ras ? En se menottant Ă  eux vingt quatre heures sur vingt quatre ? En les endormant de telle maniĂšre qu’ils soient incapables de bouger le moindre petit doigt ? En les enfermant dans une prison comme celle du personnage MagnĂ©to dans les X-Men ? En mettant un chien de surveillance devant la porte de leur chambre ?

 

Peut-ĂȘtre que certaines personnes vous rĂ©pondront que c’est sĂ»rement ça. Mais je ne fais pas partie de ces personnes et de ces professionnels.

 

Ce qui veut dire que, par rapport Ă  ces risques, nous, professionnels, en psychiatrie, « Ă©valuons Â». Pour Ă©valuer une situation, il y a deux ou trois instruments cliniques en plus du traitement chimique, il est vrai :

 

La relation avec le patient. Qui se veut, autant que possible, une relation de confiance.

 

L’observation. Ce que nous voyons du patient. Ce que nous comprenons de lui. Tant ce qu’il dit que son comportement et son attitude.

 

Et, troisiĂšme instrument qui n’a rien de scientifique, qui, comme la relation et une certaine observation ne peuvent pas se modĂ©liser. Je parle bien-sĂ»r de
l’intuition.

On va parler un peu plus de l’intuition.

 

 

L’intuition en « psychiatrie Â» :

« Je ne le sens pas. Â»

 

 

Le gros problĂšme avec l’intuition, c’est Ă©videmment, qu’elle ne repose sur rien d’autre que notre subjectivitĂ©. Or, question subjectivitĂ©, lorsqu’une situation nous stresse ou nous inquiĂšte ou nous excite, on peut se faire des « films Â». Imaginer des Ă©vĂ©nements qui, en fait, ne se produisent pas ou ont peu de chances de se produire. Sauf que, nous, on peut-ĂȘtre trĂšs bien persuadĂ© que cela va se produire.

 

Au dĂ©but de ma carriĂšre en psychiatrie, j’ai rencontrĂ© des collĂšgues plus expĂ©rimentĂ©s que moi. Des collĂšgues qui avaient donc, pour eux et elles, l’expĂ©rience de l’ñge et du vĂ©cu en psychiatrie.

 

Je ne compte pas le nombre de fois oĂč, depuis le dĂ©but de ma carriĂšre en psychiatrie mais, aussi, par la suite, dans ma propre vie, des gens sont persuadĂ©s qu’une catastrophe va arriver. Tous les signes sont prĂ©sents pour eux. Ils n’attendent que la confirmation de leurs pronostics funestes.

 

Et, je ne compte plus le nombre de fois oĂč, finalement, la catastrophe maintes fois attendue et annoncĂ©e ne se produit pas. Et, oĂč, les personnes qui y ont cru n’émettent aucune autocritique. Et en font rien pour apprendre de cela. A chaque nouvelle situation plus ou moins anxiogĂšne, rebelote. Les mĂȘmes, le plus souvent, recommencent Ă  avoir peur et Ă  imaginer le pire. 

 

Aujourd’hui, je ne nie pas la gravitĂ© de la pandĂ©mie du Covid que peu de personnes, en France, a vu venir. Comme, depuis dix huit mois, je n’ai jamais niĂ© la gravitĂ© de la pandĂ©mie du Covid. Par contre, je retrouve dans cette peur et cette anxiĂ©tĂ© massive Ă  grande Ă©chelle dont le cercle se resserre de plus en plus autour de nous avec cette vaccination obligatoire et ce passe sanitaire, des points communs avec ces situations que j’ai pu vivre en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie oĂč il y a eu un risque « de Â». Pourquoi ?

 

LĂ , aussi, Ă  nouveau, l’expĂ©rience.

 

Il y a dix huit mois, nous allions mourir du Covid. Dans un simple coin de rue. C’était sĂ»r. Aucune statistique n’est sortie dans ce sens. Mais c’est pire.

Le journal  » Charlie Hebdo » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

L’amnĂ©sie immĂ©diate et collective qui permet Ă  certaines et certains de recommencer Ă  flipper aujourd’hui comme l’annĂ©e derniĂšre avec la pandĂ©mie du Covid se retrouve dans des proportions plus limitĂ©es dans ma psychĂ©. Cela ne fait pas de moi une personne super-intelligente. J’ai une chance sur deux d’avoir fait une grosse connerie en refusant d’aller me faire faire cette injection de vaccin anti-Covid ce matin. Et, on sait assez quels sont les risques, rĂ©els cette fois, auxquels je m’expose, en plus des risques sanitaires, si, le 15 septembre, je ne suis toujours pas vaccinĂ© contre le Covid.

 

Des risques Ă©conomiques. Des risques d’exclusion sociale. Des risques de sĂ©parations et de ruptures avec des proches et des moins proches.

 

Soit des risques dont je préfÚrerais me passer.

 

Mais, malgrĂ© ces risques, je me rappelle encore que notre mort Ă©tait annoncĂ©e l’annĂ©e derniĂšre. Et que j’ai fait partie de celles et ceux qui ont continuĂ© de se rendre Ă  leur travail. Entre-autres, sans masque anti-Covid et sans vaccin, pendant plusieurs semaines. Et, dix huit mois plus tard, je suis encore vivant. Je pourrais presque dĂ©poser une rĂ©clamation pour « publicitĂ© mensongĂšre Â». Mais, lĂ , je fais de l’humour plus ou moins noir. LĂ , oĂč je fais moins d’humour, c’est que je n’ai pas du tout aimĂ© me faire matraquer et miner mentalement avec des idĂ©es de mort permanentes, imminentes et pĂ©remptoires. Il fallait faire ceci. Il fallait faire cela. J’ai fait ceci. J’ai fait cela. Et, cela ne suffit pas. Il faut, aujourd’hui, que j’en fasse encore plus. Les deux injections. Le passe sanitaire. Jusqu’à quand ? Pour aller oĂč ? Personne ne sait. Il faut le faire, c’est tout. Et, ferme ta gueule ! Si, comme moi,  l’on a des doutes sur les effets indĂ©sirables des vaccins anti-Covid, c’est bien cette impression que donne cette obligation vaccinale assortie de ces inconnues au sujet de ces vaccins. Une impression de :

 

« Il faut le faire, c’est tout. Et, ferme ta gueule ! Â».

 

 

Et, aujourd’hui, depuis ce 12 juillet 2021, avec le variant Delta, cette vaccination devenue obligatoire pour les soignants et ce passe sanitaire, j’ai l’impression que l’on recommence Ă  me servir Ă  nouveau la mĂȘme recette. Et que je devrais m’empresser de  sauter avec reconnaissance sur cette recette de la peur et de l’anxiĂ©tĂ© et me lĂ©cher les doigts avec.

 

 Phase de relativisation ou phase de dĂ©ni ? :

 

Si, ce 4 aout 2021, je me suis finalement prĂ©cipitĂ© pour m’éloigner de ma premiĂšre injection de Pfizer, c’est peut-ĂȘtre parce-que, depuis l’annĂ©e derniĂšre, Ă  tort ou Ă  raison, j’ai appris Ă  relativiser le danger de la pandĂ©mie du Covid. Au dĂ©but de ma carriĂšre d’infirmier en psychiatrie, plusieurs fois je me suis fait avoir par ces situations oĂč nous Ă©tions plusieurs Ă  envisager le pire. Et, oĂč le pire ne se produisait pas, finalement. Je m’en voulais ensuite de m’ĂȘtre fait avoir par ces poussĂ©es- rĂ©pĂ©tĂ©es- d’anxiĂ©tĂ©. J’ai appris Ă  relativiser. Cela ne signifie pas du tout que je banalise les risques suicidaires ou autres. Mais qu’au lieu de me faire des films, je prĂ©fĂšre observer. Surveiller. Ou me fier Ă  mon intuition. Et vĂ©rifier, si j’en Ă©prouve le besoin, quand ça me vient, afin de comparer les faits avec mon intuition et mes impressions. Puis, me rappeler du rĂ©sultat. Cela a contribuĂ© Ă  faire baisser mon « tonus Â» d’anxiĂ©tĂ©.

L’annĂ©e derniĂšre, nous devions mourir. Je ne suis pas mort. Nous sommes nombreux Ă  ĂȘtre encore vivants. Et on dirait que c’est pire. Qu’il aurait presque mieux valu dĂ©cĂ©der l’annĂ©e derniĂšre afin d’évacuer dĂ©finitivement cette anxiĂ©tĂ© et cette angoisse gĂ©nĂ©rale et collective qui nous circonscrivent.

 

Les personnes que je connais qui ont attrapĂ© le Covid l’annĂ©e derniĂšre et cette annĂ©e sont toujours vivantes. Et, elles vont plutĂŽt bien. Elles n’étaient pas vaccinĂ©es contre le Covid. Par contre, concernant les effets indĂ©sirables des vaccins anti-Covid, j’entends parler de trucs bizarres pas trĂšs rassurants. Des vaccins qui, depuis ce 12 juillet, sont devenus obligatoires. Comme je fais maintenant partie des personnes qui rĂ©sistent ou refusent cette vaccination obligatoire, l’autre levier ou l’autre recette est la culpabilisation.

 

 

Recette qui complĂšte trĂšs bien la recette de la peur et de l’anxiĂ©tĂ©.

 

 

Le levier ou la recette de la culpabilisation :

 

Que ce soit en tant que personne ou en tant qu’infirmier, je n’ai aucun intĂ©rĂȘt ni aucune envie de nuire Ă  quiconque, patient ou autre. Et, je n’ai rien d’exceptionnel. 

 

Comme je n’ai aucune envie de voir les pro-vaccins comme mes ennemis. MĂȘme si je m’attends Ă  ce que, dans un an, pour faire large, Ă  la mĂȘme date, la pandĂ©mie du Covid aura fait beaucoup de dĂ©gĂąts supplĂ©mentaires, et, surtout, bien plus visibles, d’un point de vue sociĂ©tal, Ă©conomique ou au moins politique.

 

Mais, de plus en plus, dans un pays oĂč les personnes vaccinĂ©es contre le Covid deviennent la majoritĂ©, et la nouvelle norme, ĂȘtre non-vaccinĂ© signifie s’exposer Ă  s’entendre dire ce que ma seconde « maman Â» officieuse m’a dit ce matin. Alors que je l’appelais pour lui souhaiter son anniversaire.

Mes deux mamans et ma dualitĂ© :

Mes deux mamans, l’officielle et une « trĂšs officieuse Â», incarnent trĂšs bien ma dualitĂ© actuelle envers la vaccination contre le Covid.

 

La premiĂšre, l’officielle, et mĂšre de ma sƓur et de mon frĂšre, est retournĂ©e vivre en Guadeloupe il y a une vingtaine d’annĂ©es avec mon pĂšre. Pendant plusieurs annĂ©es, avant de prendre sa retraite, elle a Ă©tĂ© aide-soignante dans un service de rĂ©animation. C’était une personne reconnue pour son professionnalisme et sa gentillesse.

Maman, il y a quelques mois, en mars ou avril, m’a demandĂ© conseil en vue de se faire vacciner. A moi, le fils aĂźnĂ© devenu infirmier. Je n’y connaissais pas grand chose. Mon « domaine Â», c’est la psychiatrie et la pĂ©dopsychiatrie. En plus, aprĂšs le matraquage mĂ©diatique trĂšs anxiogĂšne  que nous avions tous subis dĂšs mi-mars  2020, j’avais rĂ©ussi Ă  retirer mes pensĂ©es des crochets de l’anxiĂ©tĂ© et de l’angoisse avec toutes ces nouvelles relatives au Covid.

Partir passer quelques jours en Bretagne, chez ma seconde maman trĂšs officieuse (elle ne revendique pas ce titre) l’annĂ©e derniĂšre- en juillet 2020- avec ma compagne et notre fille m’avait aidĂ© Ă  dĂ©crocher de la mamelle opulente des mauvaises nouvelles dues au Covid.

 

Mes deux mamans ne se connaissent pas. Elles ne sont pas rencontrĂ©es et je crois aujourd’hui qu’elles ne se rencontreront jamais.

Lors de mon mariage en 2013, venue de Guadeloupe, ma mĂšre avait Ă©tĂ© prĂ©sente le mardi Ă  la mairie en Seine et Marne. Puis, elle avait repris l’avion quelques jours avant que nous ne fĂȘtions notre mariage ma compagne et moi, le samedi, dans la grande salle de fĂȘtes de la commune, en Bretagne, oĂč ma « seconde Â» maman, et plusieurs membres de sa famille avaient contribuĂ© au bon dĂ©roulement de l’organisation des festivitĂ©s. La fĂȘte s’était passĂ©e prĂšs de chez elle.

 

Si ma mĂšre est une femme dĂ©vouĂ©e, sportive, assez solitaire, plutĂŽt timide, assez souvent indĂ©cise et introvertie, ma « seconde Â» maman est une femme trĂšs accueillante, qui aime recevoir et sait recevoir. C’est aussi une femme de tĂȘte et Ă  poigne. Elle est directe et tranche. C’est moi, qui, dans cet article la nomme ma « seconde maman Â». Parce-que je reprends les termes employĂ©s par ma compagne. Mais je ne l’appelle pas « maman Â». Et, elle ne m’appelle pas « mon fils Â». La relation filiale est implicite et, aussi, trĂšs trĂšs officieuse et fluctuante.

Ma « seconde maman Â» a Ă©tĂ© mon ancienne cadre infirmiĂšre dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč j’ai fait sa connaissance.  Deux ans avant qu’elle ne dĂ©cide de partir Ă  la retraite. AprĂšs son dĂ©part, nous avions Ă©tĂ© plusieurs soignants Ă  ĂȘtre invitĂ©s Ă  venir passer un week-end chez elle dans sa maison, en Bretagne. Depuis, rĂ©guliĂšrement Ă  peu prĂšs chaque annĂ©e, je suis revenu passer quelques jours chez elle et son mari en Ă©tĂ©.

Chaque annĂ©e, avant la pandĂ©mie du Covid, elle partait en voyage Ă  l’étranger avec son mari pendant plusieurs mois. Ma mĂšre n’a jamais fait ça. Et, je n’imagine pas du tout mon pĂšre ouvert Ă  ce genre d’aventure.

Sculpture par Jacquette Virginie.

 

 

La voix traditionnelle

 

 

Je ne connaissais rien aux vaccins anti-Covid lorsque ma mĂšre m’avait sollicitĂ© en mars ou avril 2021 pour un conseil. J’écoutais parler des vaccins anti-Covid de trĂšs loin. Les gestes barriĂšres, masque et lavage de mains, me convenaient trĂšs bien. Je coexistais ainsi avec la pandĂ©mie du coronavirus.

 

Si j’ai acceptĂ© assez facilement de tomber le masque ou de raccourcir les distances corporelles avec certaines personnes, lors de certaines circonstances ( enlacer quelqu’un,  faire la bise aprĂšs avoir donnĂ© un cadeau, lors d’un barbecue
) cela a Ă©tĂ© en des proportions limitĂ©es. Si j’avais Ă©tĂ© un forcenĂ© de la prĂ©vention du « risque Â», j’aurais refusĂ©. Lors de ces quelques occasions, aprĂšs une assez rapide rĂ©flexion, j’ai souvent estimĂ© que la vie sociale devait prendre le pas sur le risque. Rien de scientifique dans cette attitude. Sauf le fait que j’ai eu ce comportement en des proportions sĂ»rement moindres que d’autres.

 

En me fiant aux expĂ©riences de personnes et de collĂšgues autour de moi, j’avais  rĂ©pondu Ă  ma mĂšre que j’avais entendu de bons Ă©chos  du vaccin Pfizer.

 

J’ai aussi eu des espoirs avant l’arrivĂ©e du vaccin Johnson & Johnson en avril ou Mai. Une ex-collĂšgue infirmiĂšre, et amie, m’en avait dit du bien. Et puis,  lors de sa « diffusion Â», les Ă©chos concernant le Johnson & Johnson se sont rapidement ternis concernant certains de ses effets indĂ©sirables.

 

Je crois que les pro-vaccins ne mesurent pas les consĂ©quences de ces revers dus aux effets indĂ©sirables de ces vaccins « attendus Â» et prĂ©sentĂ©s comme salvateurs, puis, qui « déçoivent Â» et « inquiĂštent Â». Alors que ces revers se rajoutent Ă  d’autres revers, colĂšres ou contrariĂ©tĂ©s, accumulĂ©s depuis le dĂ©but de la pandĂ©mie en mars de l’annĂ©e derniĂšre.

 

De plus en plus, la facilitĂ© consiste Ă  prĂ©senter les anti-vaccins comme des abrutis bornĂ©s et irresponsables. Alors que les raisons de leur dĂ©fiance envers les vaccins sont sĂ»rement un peu plus rĂ©flĂ©chies qu’elles ne le semblent.

 

Pour revenir Ă  ma mĂšre : je croyais donc qu’elle s’était faite vacciner contre le Covid. Ainsi que mon pĂšre. Ma sƓur et mon frĂšre, ainsi que leur compagnon et leur compagne se sont faits vacciner.

 

 

J’ai appris il y a quelques jours, en lui parlant au tĂ©lĂ©phone, que, finalement, ni ma mĂšre, ni mon pĂšre, ne se sont faits vacciner. Ils Ă©taient partis pour le faire en se rendant Ă  l’aĂ©roport, en Guadeloupe. Peut-ĂȘtre l’aĂ©roport Pole CaraĂŻbes. Mais des manifestants anti-vaccins se trouvaient lĂ . En Ă©coutant leurs arguments, mon pĂšre a alors estimĂ© que les vaccins actuellement proposĂ©s ne sont pas « encore au point Â» (traduit du CrĂ©ole).  

 

Apprendre ça, d’elle, m’a fait un drîle d’effet. Un effet non-scientifique qui a eu, sur moi, une certaine influence. Influence non scientifique non plus.

Lors de ma derniĂšre sĂ©ance avec mon thĂ©rapeute – vaccinĂ© contre le Covid- j’avais fait la dĂ©couverte, que, dans ma fratrie, j’étais finalement le plus « traditionnel Â». Ce qui est assez courant lorsque l’on est l’aĂźnĂ© d’une famille.

 

Je sais que le dernier, mon petit frĂšre, ainsi que sa compagne, se sont  faits vacciner contre le Covid afin de pouvoir se rendre en Guadeloupe dans quelques jours. J’aimerais bien me rendre en Guadeloupe par exemple l’annĂ©e prochaine. Ainsi qu’à la RĂ©union. Donc, j’ai d’abord trouvĂ© que c’était une bonne nouvelle qu’aprĂšs cette vaccination, mon frĂšre, sa compagne et leurs enfants, puissent se rendre en Guadeloupe. Cela fait quelques annĂ©es que nous ne sommes pas allĂ©s voir nos parents en Guadeloupe. Pour moi, cela date de 2014 ou 2015. Mon blog n’existait pas, alors. Aujourd’hui, si je me rĂ©fĂšre Ă  certaines inquiĂ©tudes et certaines tĂ©moignages concernant les effets indĂ©sirables des vaccins anti-Covid, mon frĂšre et sa compagne vont certes pouvoir sans doute se rendre en Guadeloupe (s’ils partent avant que la Guadeloupe ne soit reconfinĂ©e) mais leur espĂ©rance de vie pourrait ĂȘtre dĂ©truite.

Sculptures par CĂ©cile Thonus.

 

 

Conflit de loyautĂ© et roulette russe :

Ma mĂšre, non vaccinĂ©e, a donc, d’une part deux de ses enfants vaccinĂ©s. Ma sƓur et mon frĂšre. Et, d’autre part, il lui reste un enfant, non vaccinĂ©. Moi. En termes de conflit de loyautĂ©, moi, l’aĂźnĂ©, ou l’ñne, j’ai touchĂ© le jackpot.

 

CĂŽtĂ© pile, si ces vaccins anti-Covid sont finalement plus protecteurs que nocifs, d’ici deux Ă  trois ans, cela se confirmera. Avec un peu de chance, si ma mĂšre et mon pĂšre, non vaccinĂ©s, se maintiennent Ă  distance du Covid, et que je rĂ©ussis Ă  faire pareil, nous devrions ĂȘtre tous Ă  peu prĂšs contents d’ici deux Ă  trois ans. Mais en deux Ă  trois ans, il peut se passer beaucoup d’évĂ©nements. MĂȘme en un an. Et, vu comme on nous parle de la trĂšs grande contagiositĂ© du variant Delta, je m’attends un peu Ă  attraper le Covid cette fois-ci.

 

CĂŽtĂ© face, si ces vaccins anti-Covid se rĂ©vĂšlent vĂ©ritablement nocifs, moi, l’aĂźnĂ©, j’ai tout intĂ©rĂȘt Ă  assurer Ă  ma mĂšre qu’un de ses enfants, au moins, n’est pas tombĂ© dans la marmite des effets indĂ©sirables gravissimes des vaccins anti-Covid.

 

Mais ma mĂšre Ă©tant comme toutes les mĂšres aimantes, aprĂšs avoir discutĂ© avec elle, il y a quelques jours du Covid, elle a conclu notre conversation par un :

 

« Fais attention Ă  toi Â».

 

Lorsque j’avais dĂ©cidĂ© de commencer Ă  travailler en psychiatrie, au dĂ©but, ma mĂšre avait essayĂ© Ă  plusieurs reprises de m’en dissuader. Elle m’avait expliquĂ© qu’elle craignait que je ne devienne « fou Â». C’est une croyance trĂšs courante que celle de croire et de penser que travailler en psychiatrie rend fou. Alors que ce serait plutĂŽt le contraire. Travailler en psychiatrie peut aider Ă  pacifier nos angoisses et nos folies. A condition d’ĂȘtre mentalement et moralement armĂ© et encadrĂ© pour cela. A condition, si nĂ©cessaire, d’accepter d’ĂȘtre aidĂ© par d’autres, collĂšgues, thĂ©rapeutes, patients, rencontres diverses.

 

Je n’avais eu aucune difficultĂ© Ă  me sĂ©parer des inquiĂ©tudes de ma mĂšre. Me diriger vers cette spĂ©cialitĂ© Ă©tait un choix rĂ©flĂ©chi. J’aimais cette spĂ©cialitĂ© ainsi que les rencontres que j’y faisais. Je me sentais bien dans cet univers.

 

Or, aujourd’hui, me faire vacciner contre le Covid, avec Pfizer, Moderna, Astrazeneca, Johnson & Johnsonn’est pas mon choix rĂ©flĂ©chi. Je n’aime pas ce « risque Â» que je crois entrevoir dans leurs effets secondaires ou indĂ©sirables. L’idĂ©e de me faire injecter ce risque ne me plait pas du tout. 

 

Bon anniversaire :

Pas plus que je n’ai fait exprĂšs d’oublier qu’aujourd’hui, ma fille serait avec moi, je n’ai pas fait exprĂšs non plus d’accepter le rendez-vous qui m’avait Ă©tĂ© fixĂ© pour ma premiĂšre injection de Pfizer ce 4 aout. Or, le 4 aout est la date anniversaire
.de ma seconde maman, trĂšs  Â« officieuse Â».

 

Qu’est-ce qui se fait le jour d’un anniversaire de quelqu’un auquel on tient ?

On lui envoie un message. Ou, on l’appelle.

 

Pour l’appeler, j’ai allumĂ© mon tĂ©lĂ©phone portable. J’ai vu que j’avais reçu deux vidĂ©os de ma mĂšre. Dans l’une des vidĂ©os, une femme, vraisemblablement mĂ©decin, et bonne pĂ©dagogue, expliquait devant une foule attentive, les graves risques sanitaires auxquels on s’exposait avec les vaccins anti-Covid actuels. Cette femme que je ne connais pas et que je voyais pour la premiĂšre fois, mettait en garde contre les vaccins anti-Covid. Elle Ă©tait persuasive. J’ai su ensuite que ma mĂšre avait reçu cette vidĂ©o par une cousine du cĂŽtĂ© de mon pĂšre.

 

Ce matin, donc, quelques minutes avant mon rendez-vous pour ma premiĂšre injection de Pfizer, j’appelle ma « seconde Â» maman. Je tombe sur elle. Elle est plutĂŽt contente de m’entendre. Je lui souhaite un bon anniversaire. Je lui rĂ©ponds que nous sommes partis quelques jours Ă  Amiens. Elle m’apprend : « J’ai de trĂšs bons souvenirs Ă  Amiens Â».

L’entente se poursuit. Et puis, comme avec une proche avec laquelle on se sent en confiance (soit le minimum envers une seconde maman, mĂȘme officieuse) je lui parle sans dĂ©tour du fait que, non, nous n’avons pas pu nous rendre aux hortillonnages. Car nous n’avions pas de passe sanitaire. Hortillonnages qui ont ensuite fermĂ© quelques jours suite Ă  un dĂ©saccord entre certains bateliers opposĂ©s au passe sanitaire et leur patron. Ma compagne m’a envoyĂ© un extrait d’un article de journal Ă  ce sujet.

 

Mais en parlant de notre non-vaccination Ă  ma « seconde Â» maman trĂšs officieuse, sans mĂȘme y penser, j’avais mis une piĂšce dans le Jukebox. Avec ma mĂšre, le Jackpot du conflit de loyautĂ©. Avec ma seconde maman, le Jukebox de :

 

« Mais tu vas te retrouver en rĂ©a ! Â». « Tu as bien vu ce qui se passe en Guadeloupe ?! Â» (Le nombre de cas de Covid augmente comme Ă  la Martinique et Ă  la RĂ©union).

« Ne me dis pas que tu ne t’es pas fait vacciner ! Â». «  Je suis trĂšs Ă©tonnĂ©e ! Â».

 

Sculpture par CĂ©cile Thonus.

 

Je me suis senti embarrassĂ©. A la fois de me sentir en porte Ă  faux. Mais, aussi, que cette conversation, notre premier dĂ©saccord majeur en plusieurs annĂ©es, arrive le jour de son anniversaire. Vraiment, je n’ai pas vu venir cette situation.

 

Ma seconde maman « officieuse Â» m’a appris qu’ils Ă©taient tous vaccinĂ©s de leur cĂŽtĂ©. Je la savais vaccinĂ©e contre le Covid. Mais je n’avais pas forcĂ©ment beaucoup Ă©largi le cercle des personnes vaccinĂ©es autour d’elle. MĂȘme si cela se tient mathĂ©matiquement. Si, aujourd’hui, de plus en plus de Français sont vaccinĂ©s et que l’on avoisine les 60 % de personnes vaccinĂ©es en France, il faut bien que de plus en plus de personnes que l’on connaĂźt soient vaccinĂ©es.  Mais je vivais encore sur ma petite planĂšte de non-vaccinĂ©s, et, ma seconde maman Ă©tait en train de me rappeler que je vivais bien  – encore- sur la mĂȘme planĂšte que tous ces gens de plus en plus vaccinĂ©s.

 

Je sentais venir en elle la question du complotisme. Je crois mĂȘme qu’elle me l’a demandĂ©, directe comme elle est :

 

« Tu es complotiste ?! Â».

 

 

Afin de me sauver autant que possible de la mĂ©lasse complotiste, Je me suis appliquĂ© Ă  ĂȘtre pĂ©dagogue :

 

«  Je ne crois pas que le dĂ©veloppement des antennes de la 5G va nous tĂ©lĂ©guider Â». J’ai dĂ» ĂȘtre assez rapidement convaincant malgrĂ© tout en matiĂšre de complot car, ensuite, la conversation s’est faite sur des bases, je crois, plus rassurantes, pour elle comme pour moi.

 

Question travail, elle a convenu elle-mĂȘme « qu’ils Â» ne pourraient pas me « licencier Â» au vu de la pĂ©nurie infirmiĂšre importante. J’ai ajoutĂ© que cette pĂ©nurie s’était accentuĂ©e depuis la pandĂ©mie du Covid. Je n’ai mĂȘme pas pensĂ© Ă  rappeler qu’il y a quelques mois, encore,  dans certains services somatiques, des personnels soignants Ă  peine remis du Covid, Ă©taient poussĂ©s Ă  revenir travailler tant il manquait de personnel dans certains services.

 

Dans ses propos, j’ai entendu le concentrĂ© de qui est opposĂ© aux personnes contre le vaccin. La peur de la rĂ©a. Une peur que je ne connais pas, pour l’heure. Sans doute parce-que ma mĂšre a travaillĂ© en rĂ©animation. Et que, si la rĂ©animation est synonyme de mort, elle est aussi synonyme de sortie de coma et de retour Ă  la vie. Je le sais par ma mĂšre. Sans doute aussi un petit peu par les deux stages que j’avais effectuĂ©s, adulte, dans le service de ma mĂšre. Cela n’avait pas Ă©tĂ© mon choix.

 

J’ai aussi entendu la peur de la perte Ă©conomique. Je me suis abstenu de dire que ma compagne avait fait ses estimations dans le cas oĂč nous serions mis Ă  pied de notre emploi. C’était un peu comme si j’avais dĂ©jĂ  un peu dĂ©passĂ© cette peur de la perte Ă©conomique et que je la redĂ©couvrais au travers de ma seconde maman.

 

 

Une autre peur aurait pu ĂȘtre citĂ©e. Celle de l’exclusion sociale. Des connaissances et des proches. Elle arrivera sans aucun doute. Pas de qui je pense. Pas comme je le pense.

Devant la mĂ©diathĂšque de ma ville ce mercredi 4 aout 2021. MĂ©diathĂšque oĂč ma fille et moi avons nos habitudes.

 

Ma seconde maman a pris l’exemple de la vaccination contre l’HĂ©patite A (ou B) rendue obligatoire. Je n’ai pas discutĂ© cette obligation. Elle m’a dit que la technique ARN actuelle Ă©tait connue depuis dix annĂ©es. Qu’elle aurait prĂ©fĂ©rĂ© bĂ©nĂ©ficier de cette nouvelle technique. Mais qu’elle avait eu le vaccin Astrazeneca.

 

Elle a Ă©tĂ© attentive lorsque je lui ai parlĂ© de la mĂ©saventure de certains soignants avec l’Astrazeneca. MĂ©saventure qui pouvait expliquer une partie de cette mĂ©fiance de certains soignants envers ces vaccins anti-Covid.

 

Je lui ai aussi dit que j’avais lu des tĂ©moignages sur les rĂ©seaux sociaux concernant les effets indĂ©sirables. Et, que l’on ne pouvait pas, d’un cĂŽtĂ© (ça vous rappelle quelque chose ? J’ai expliquĂ© ça dans mon article SĂ©rums de vĂ©ritĂ©) se rĂ©jouir que, durant le printemps arabe, les rĂ©seaux sociaux avaient pu nous faire parvenir des tĂ©moignages qui dĂ©mentaient la version officielle. Et, lĂ , Ă  propos des effets indĂ©sirables des vaccins sur les rĂ©seaux sociaux, dĂ©clarer que tous ces tĂ©moignages Ă©taient bidons. Des tĂ©moignages oĂč une mĂšre nous apprend que sa fille a commencĂ© Ă  avoir des rĂšgles peu aprĂšs la vaccination contre le Covid. Ou une femme nous apprend qu’aprĂšs s’ĂȘtre faite vacciner, ses seins ont commencĂ© Ă  produire du lait alors qu’elle n’est pas enceinte
.

 

 

Bien-sĂ»r, je ne connais pas ces personnes. Je ne sais pas jusqu’à quel point leur tĂ©moignage est fiable. Je n’ai pas de statistiques que je peux donner.

 

A ma seconde maman qui me disait que, pour chaque vaccination, il y avait un certain nombre de personnes qui connaissaient des effets secondaires,  j’ai rĂ©pondu qu’il Ă©tait vrai que je ne connaissais pas les chiffres ou les proportions de ces effets secondaires. Et que la particularitĂ© des rĂ©seaux sociaux fait peut-ĂȘtre que la façon dont les tĂ©moignages nous parviennent, quasiment en temps rĂ©el,  sans filtre, donnait peut-ĂȘtre l’impression qu’il y a plus d’effets secondaires avec ces vaccins comparativement avec les vaccins prĂ©cĂ©dents contre diverses maladies. Alors qu’il y a peut-ĂȘtre pratiquement autant d’effets secondaires dĂ©sagrĂ©ables ou mortels, proportionnellement, avec ces vaccins anti-Covid qu’avec les autres vaccins classiques. 

 

J’ai senti dans le ton de ma seconde maman « officieuse Â» qu’elle Ă©tait intriguĂ©e. J’étais, moi, plus embarrassĂ© que content de mon effet. J’avais appelĂ© pour lui souhaiter un bon anniversaire. Je lui trouvais aussi la voix plus rauque et plus essoufflĂ©e que d’habitude. La derniĂšre fois, c’était dĂ©jĂ  un peu ça. MĂȘme si elle avait toujours le mĂȘme aplomb.

 

Ma fille Ă©tait en train de jouer dans une autre piĂšce de l’appartement. Je ne pouvais pas rester longtemps et il y avait du monde chez elle. Dont son fils que je connais. Ainsi que sa belle fille, une des amies de celle-ci, la petite fille, que je ne connais pas.

 

J’ai fini par ajouter :

« Je suis dĂ©solĂ© de te parler de ça le jour de ton anniversaire
 Â».

Elle :

« Oh, ne t’inquiĂšte pas
 Â».

J’ai repris :

« Je te connais ! A un moment de la journĂ©e ou dĂšs que tu auras pris un verre ou deux, tu vas commencer Ă  en parler ! Â».

Elle, avec un petit rire :

« C’est vrai
. Â».

 

Alea Jacta Est. Pourquoi se cacher ?

 

Vie de couple :

Ce qui m’étonne parmi certains des proches ou des connaissances aujourd’hui pro-vaccins, c’est qu’un an plus tĂŽt, se trouvaient parmi eux, celles et ceux, qui, contre les recommandations d’usage contre le Covid faisaient valser certains interdits. Se faire la bise alors qu’il Ă©tait prĂ©conisĂ© de ne pas le faire. Rencontrer plusieurs personnes chez soi ou se retrouver Ă  plusieurs dans une mĂȘme piĂšce sans masque. Ne pas tenir compte de certaines restrictions en terme de distance kilomĂ©trique.

Mais c’est comme si, grĂące ou Ă  cause du vaccin anti-covid qu’elles ont reçu,  certaines de ces connaissances et  de ces proches avaient dĂ©ja oubliĂ© que l’annĂ©e derniĂšre, sans se fourrer pour autant la langue dans la bouche de l’autre en permanence, qu’en pleine pandĂ©mie du Covid, il avait Ă©tĂ© possible d’ĂȘtre en prĂ©sence de temps Ă  autre d’un peu de monde. 

 

Aujourd’hui, il semble de plus en plus, que la norme sociale devienne d’ĂȘtre entre vaccinĂ©s et entre non-vaccinĂ©s. Ou de juger l’autre Ă  un moment donnĂ©.

 

Je ne me suis pas senti particuliĂšrement jugĂ© ce matin par ma seconde « maman Â». Mais je me suis imaginĂ© que je le serais par un de ses proches que je connais ou par quelqu’un d’autre qui considĂ©rera que je me suis Ă©garĂ©.

 

Un autre lieu d’égarement frĂ©quent est le couple. Ma compagne a toujours Ă©tĂ© rĂ©solument contre les vaccins actuels contre le Covid. Elle considĂšre que ce ne sont pas des vaccins. Ils n’en n’ont que l’appellation pour elle. Je peux concevoir qu’il doit ĂȘtre difficile, au sein d’un couple, d’avoir une attitude diffĂ©rente de l’autre vis-Ă -vis de la vaccination anti-Covid actuelle.

 

MĂȘme si je ne souscris pas Ă  toutes ses explications comme Ă  un certain nombre de ces raisonnements, j’ai fini par me rapprocher de certains de ses arguments contre les vaccins anti-Covid. Surtout Ă  partir du 12 juillet 2021, lorsque le gouvernement a rendu cette vaccination obligatoire pour les soignants. Avant le 12 juillet, je constatais assez distraitement ses partis pris. Ainsi que le fait qu’elle regardait beaucoup de vidĂ©os sur le sujet de la pandĂ©mie, des vaccins anti-Covid Je prenais quelques fois le temps de l’écouter et de l’interroger sans la juger sur le sujet. Je rĂ©futais certains de ses arguments. Mais je ne cherchais pas Ă  ce qu’elle ait absolument la mĂȘme vision que moi  Ă  propos des vaccins, du Covid. D’ailleurs, moins je parlais de ces sujets, mieux, je me portais. Mais le 12 juillet a « tout Â» changĂ© pour moi. Ainsi que le 13 juillet peut-ĂȘtre, aussi, avec l’enterrement du pĂšre de mon meilleur ami.

 

Par ailleurs, et c’est le propre de bien des couples, je crois aussi au fait que ma compagne a l’aptitude d’observer ou de voir ce que je n’ai pas remarquĂ©.

 

 

Dans le film Inception  de Christopher Nolan, j’avais raillĂ© le comportement du personnage Dominic l’extracteur(L’acteur LĂ©onardo Dicaprio), qui, si je me souviens bien, trĂšs en peine de faire le deuil de sa femme Mallorie  ( l’actrice Marion Cotillard) s’enfermait dans une certaine illusion. Une collĂšgue et amie m’avait rĂ©pondu Ă  l’époque que vivre dans une illusion commune Ă©tait courant au sein d’un couple.

 

Je n’exclue pas l’idĂ©e que, comme le personnage de Dominic, dans Inception, je sois en train de contribuer Ă  l’établissement et au maintien  d’une illusion commune avec ma compagne ainsi qu’avec ma mĂšre et, toute autre personne anti-vaccin. Mais, si illusion il y a, les faits, d’ici quelques semaines ou quelques mois, viendront apporter leur contradiction extĂ©rieure. Pour l’instant, j’ai trop de contradictions et de doutes en moi pour accepter la vaccination anti-Covid.

 

J’ai envisagĂ© d’ĂȘtre, dans le couple, celui qui allait se faire vacciner contre le Covid. Afin d’équilibrer pour le quotidien. Pour nous rendre la vie plus simple lorsque les restrictions vont ĂȘtre appliquĂ©es contre celles et ceux qui ne sont pas vaccinĂ©s. J’estimais que, de nous deux, j’étais celui qui pouvait le plus faire ça. J’en ai parlĂ© Ă  ma compagne. Elle m’a rĂ©pondu qu’elle ne voulait pas que je me « sacrifie Â». Tout ce qu’elle voulait, c’était que je ne me fasse pas vacciner avec les vaccins actuels contre le Covid.

 

Etre pĂšre :

Etre pĂšre, dans un tel contexte, est dĂ©licat. Ce matin, j’ai eu un peu de mal Ă  ĂȘtre bien disponible pour ma fille. Vu que la dĂ©cision que j’avais prise de renoncer Ă  cette premiĂšre injection de Pfizer, mĂȘme si je crois que c’était la seule que je pouvais prendre aujourd’hui, m’a occupĂ© l’esprit.

 

Pour l’instant, comme c’est encore les grandes vacances, ma fille ne perçoit pas trop, je pense, toute cette empoigne autour du vaccin et du passe sanitaire entre les pro et les anti-vaccins. Et, je m’applique Ă  ne pas aborder ce sujet devant elle. La seule remarque qui m’a Ă©chappĂ© hier ou avant hier en lisant le journal devant elle a Ă©tĂ© concernant le fait qu’avec le dĂ©part des derniĂšres troupes amĂ©ricaines en Afghanistan, les Talibans ont recommencĂ© Ă  reprendre possession du pays. Je me suis dit que, prochainement, ce retour des Talibans en Afghanistan allait nous ramener le terrorisme jihadiste  et ses attentats.

 

Dans le Charlie Hebdo de ce mercredi, journal trĂšs critique envers les anti-vaccins, le rĂ©dacteur en chef Riss, dans son Ă©ditorial, pointe «  Moi aussi, je commence Ă  en avoir marre de la crise du Covid et des interminables dĂ©bats sur les mesures barriĂšres, les vaccins, les anti-vaccins et la peste bubonique Â» (
.). Puis, il exprime sa crainte d’une proche guerre mondiale. Sujet plus prĂ©occupant que la pandĂ©mie du Covid qui continue de beaucoup nous obsĂ©der.  

 

Ce matin, je suis allĂ© acheter plusieurs journaux afin d’essayer de trouver en eux des rĂ©ponses qui me manquent encore Ă  propos de la vaccination anti-Covid. J’ai achetĂ© Les Echos, Le Canard EnchainĂ©, Le New York Times, Le Figaro, Le Monde et Charlie Hebdo, donc.

 

Le journal  » Le New York Times » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

 

Les caricatures de Charlie Hebdo Ă  propos des anti-vaccins peuvent me faire sourire. Mais elles ne me convainquent pas en faveur de la vaccination. A nouveau, il me manque les certitudes que les journalistes de Charlie Hebdo ont sur le sujet des vaccins actuels. Pareil pour Le Canard EnchaĂźnĂ© que je lis depuis plus d’une vingtaine d’annĂ©es sans doute. Si je comprends son titre Violences et dĂ©rives lors des manifs anti-passe sanitaire(Combien d’antivax positifs au test anti-gĂ©nie ?), lui, aussi, ne suffit pas Ă  me rassurer Ă  propos des vaccins actuels contre le Covid.

 

Je me dis mĂȘme que Charlie Hebdo et Le Canard EnchaĂźnĂ©, comme d’autres journaux, d’autres opinions et d’autres sensibilitĂ©s,  s’ils se sont trompĂ©s Ă  propos de la frĂ©quence des effets indĂ©sirables graves des vaccins contre le Covid, auront du mal Ă  le reconnaĂźtre.

 

Qu’est-ce que je peux expliquer Ă  ma fille Ă  propos de ces pour et de ces contre vaccins anti-Covid ?

 

Qu’il y a, d’un cĂŽtĂ© les mĂ©chants pro-vaccins ? Et, de l’autre cĂŽtĂ©, les gentils anti-vaccins ?

 

Je ne raisonne pas de cette façon. DerniĂšrement, une de nos voisines, vaccinĂ©e, Ă©tait d’accord pour accompagner notre fille Ă  une exposition sur le Divas organisĂ©e par l’Institut du Monde Arabe, Ă  Paris, et proposĂ©e par le conservatoire de notre ville. Finalement, elle a dĂ» se dĂ©sister pour des raisons familiales. Mais elle m’a dit avoir Ă©tĂ© touchĂ©e par la confiance qu’on lui accordait. Et, elle m’a invitĂ© Ă  la solliciter, en cas de besoin, ultĂ©rieurement. Je crois qu’à cĂŽtĂ© des dĂ©boires Ă  venir pour les anti-vaccins, qu’il y aura aussi des situations d’entraide comme avec notre voisine qui vont se rĂ©pĂ©ter et se dĂ©velopper entre pro-vaccins et anti-vaccins au delĂ  de ce qui peut se prĂ©voir.

 

A ma fille, ce soir, avant qu’elle aille se coucher, j’ai dit :

« Je n’ai pas Ă©tĂ© trĂšs disponible aujourd’hui. J’espĂšre pouvoir faire mieux demain Â». Nous avions nĂ©anmoins passĂ© du temps ensemble, Ă©tions sortis faire un tour dans le centre-ville. Elle avait fait un peu de vĂ©lo. Nous Ă©tions allĂ©s Ă  la librairie et chez le marchand de primeurs, avions trouvĂ© la mĂ©diathĂšque close. Ma fille a pris cela avec le sourire. Et m’a fait comprendre que pour me faire pardonner, que je me devais de l’emmener jusqu’à sa chambre en la portant sur mes Ă©paules. J’ai facilement acceptĂ© cette pĂ©nitence.

 

Mais je savais m’ĂȘtre fait emporter par la rĂ©daction de cet article. Hier, nous avions pu regarder entiĂšrement le magnifique manga Les enfants de la mer, rĂ©alisĂ© par Ayumu Watanabe . Aujourd’hui, nous n’avions mĂȘme pas terminĂ© de regarder le premier volet aussi drĂŽle que martial de La LĂ©gende de Fong Sai-Yuk rĂ©alisĂ© par Corey Yuen.   Le sujet de la vaccination est devenue une forme d’obsession comme je l’ai reconnu tout Ă  l’heure en en discutant avec ma compagne.

 

Mais c’est maintenant qu’il faut Ă©crire Ă  ce sujet. Ma compagne m’a demandĂ© :

« Pour qui ? Â». Ou «  Pourquoi ? Â».

C’est le genre de question Ă  ne pas poser Ă  un obsĂ©dĂ©. Ou Ă  un passionnĂ©.

 

La pandĂ©mie du Covid nous rappelle la nĂ©cessitĂ© de bien vivre ce que l’on peut bien vivre avec celles et ceux auxquels nous sommes attachĂ©s. Dans un an, le 4 aout 2022, certaines et certains d’entre eux, certaines et certains d’entre eux ne seront peut-ĂȘtre plus lĂ . Moi, je serai peut-ĂȘtre en rĂ©a. Comme patient. Ou comme visiteur.

 

Franck Unimon, ce mercredi 4 aout 2021.  

 

 

 

 

Catégories
Moon France Musique

Jacob Desvarieux

Jacob Desvarieux, Ă  la guitare, au centre. A gauche, Ă  la basse, Georges DĂ©cimus. FĂȘte de l’HumanitĂ©, 2019. Photo©Franck.Unimon

                                  

                                                 Jacob Desvarieux

La fatigue attendra.

 

J’étais un « Moon France » adolescent occupĂ© de CrĂ©ole, lorsque j’ai entendu pour la premiĂšre fois la voix de Jacob Desvarieux Ă  la radio. Sa voix « blues et macho Â» comme en parlerait Jocelyne BĂ©roard, des annĂ©es plus tard.

 

Ce devait ĂȘtre Ă  Morne Bourg, chez mes grands parents paternels. Ou Ă  CarrĂšre, chez ma grand-mĂšre maternelle. A la campagne. Je dirais,  plutĂŽt durant les congĂ©s bonifiĂ©s de 1983 en juillet et en aoĂ»t que durant ceux de 1980.

 

 

Pour le titre Oh, Madiana !

 

 

Il y avait aussi eu le titre Zombi. Aujourd’hui, c’est amusant de se dire que ce titre Ă©tait sorti aux Antilles avant le Thriller de MichaĂ«l Jackson dont on nous parle «  en corps Â».

 

Le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait plu. Desvarieux avait alors une bonne bedaine et portait souvent une salopette. C’était environ deux ou trois ans avant que le zouk de Kassav’ ne me cloue et ne me rĂ©cupĂšre dans une boite de nuit, au quartier de la DĂ©fense oĂč, avec mon entraĂźneur d’athlĂ©tisme et des copains de notre club de Nanterre, nous venions de voir en concert le groupe Apartheid Not.

 

Les premiĂšres notes de guitare de Desvarieux sur le Zouk-La-SĂ©-Sel-MĂ©dikaman-Nou-Ni suivies de sa voix grave « An Nou Ay ! Â» avaient eu le temps de s’insĂ©rer dans ma tĂȘte alors que nous nous en allions.

 

De la musique antillaise, j’en entendais depuis mon enfance. En France et aux Antilles. Georges Plonquitte, Simon Jurad, les Aiglons, les Vikings, Ibo Simon, Perfecta, les « squales Â» de la musique haĂŻtienne, tous les « Combo Â» : Bossa, Tabou, Sugar et tous les autres, haĂŻtiens ou non. Plusieurs tubes de ces groupes font partie de mon histoire que j’en connaisse les titres ou non. Mes compatriotes ont souvent cru que, parce-que j’étais nĂ© en MĂ©tropole, que les ondes des musiques de « lĂ -bas Â», du « pays Â», mais aussi qu’une certaine mĂ©moire, coulaient dans l’ocĂ©an bien avant d’arriver jusqu’Ă  la MĂ©tropole ( la France) oĂč grandissaient les Moon France comme moi.

 

En Guadeloupe, le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait Ă©tonnĂ©. Peut-ĂȘtre pour son cĂŽtĂ© funky qui le diffĂ©renciait d’une frĂ©quente production antillaise. 

 

Quelques annĂ©es plus tard, alors que nous Ă©tions en train de quitter cette boite de nuit de la DĂ©fense oĂč nous venions d’écouter le groupe Apartheid Not, un garçon qui entrait dans la salle pour danser s’était alors Ă©tonnĂ© :

 

« Mais, vous partez ?! Â». Un de ses amis l’avait alors entraĂźnĂ© en lui disant :

« Laisse-les, ils ne connaissent rien Ă  la musique ! Â».  Nous avions dĂ» retenir notre ami JĂ©rome qui, courroucĂ©, que l’on porte atteinte Ă  sa vie privĂ©e musicale, avait trĂšs mal pris ce jugement. Car, nous Ă©tions Ă  cet Ăąge oĂč, comme la plupart des jeunes, nous Ă©tions d’éminents spĂ©cialistes et critiques musicaux. Des musiques et des dĂ©couvertes, nous en faisions rĂ©guliĂšrement en allant les chercher. Nous Ă©coutions par exemple du jazz, du free-jazz. Miles Davis, pour nous, Ă©tait aussi frĂ©quentable ( ou allait le devenir) que Stevie Wonder, Black Uhuru, Sun Ra, Bob Marley, Aswad, Eddy Grant, Burning Spear, Steel Pulse, Stanley Clarke ou Georges Duke. En plus de The Jacksons, Marcus Miller, T-Connection, Prince, Rick James


 

« Ils ne connaissent rien Ă  la musique ! Â».

Durant pratiquement l’intĂ©gralitĂ© du concert d’Apartheid Not, nous avions Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©s par l’incorrection permanente des spectateurs. Un spectateur ( un homme noir) avait mĂȘme lancĂ© lors d’un solo du batteur plutĂŽt rĂ©ussi un « No Good ! Â» avec un accent francisĂ©. Lui et d’autres spectateurs n’attendaient qu’une chose :

Que la musique de cette boite de nuit commence. Et, ça avait dĂ©butĂ© par ce titre de Kassav’ chantĂ© par Jacob Desvarieux.

 

An-Nou-Ay ! ( « On y va ! Â»/ On dĂ©colle ! Â» ).

 

La bonne musique de Desvarieux et de Kassav’, je l’ai retrouvĂ©e ensuite bien des fois. En Guadeloupe, lors d’autres sĂ©jours.

 

En concert. A Basse-Terre. Mais aussi en mĂ©tropole, Ă  Nanterre, Ă  l’ancien parc de la mairie. A La DĂ©fense Arena ( en 2018 ?) puis Ă  la fĂȘte de l’HumanitĂ© en 2019.

 

 

L’annĂ©e derniĂšre, lors du premier confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie du Covid, sur les rĂ©seaux sociaux, j’avais reçu l’annonce que Desvarieux Ă©tait malade. L’information avait Ă©tĂ© rapidement dĂ©mentie par Desvarieux ou un(e ) de ses proches.

 

Le fait que ce genre d’annonce erronĂ©e puisse circuler m’avait contrariĂ©. Puis, je m’étais rappelĂ© que la perte d’un membre pouvait faire mourir un groupe. Et qu’un groupe comme Kassav’,  lui, avait tenu 40 ans ! Ce qui est exceptionnel. Peu de grands groupes durent autant avec un public aussi nombreux Ă  leurs concerts. Les Rolling Stones. Un petit peu, Led Zeppelin. Quels autres grands groupes ? AC/DC ? Des groupes de Rock, le plus souvent.  

Desvarieux, MarthĂ©ly, derriĂšre, Naimro. J’ai oubliĂ© le nom du saxophoniste. FĂȘte de l’Huma, 2019. Photo©Franck.Unimon

 

Mais, cette fois, Jacob Desvarieux est bien mort. Ma mĂšre me l’a confirmĂ© tout Ă  l’heure au tĂ©lĂ©phone, depuis la Guadeloupe.

 

Lors du concert de Kassav’ Ă  la DĂ©fense Arena- oĂč nous Ă©tions cent mille spectateurs nous avait annoncĂ© Desvarieux- celui-ci avait fait un petit peu d’humour quant au fait que Kassav’ ne pourrait peut-ĂȘtre pas fĂȘter ses cinquante ans de carriĂšre. Des photos gĂ©antes de Patrick St-Eloi avaient aussi Ă©tĂ© affichĂ©es durant le concert.

 

Le propos du zouk et du titre Zouk-La-SĂ©-SĂšl-MĂ©dikaman-Nou-Ni, c’est de pouvoir continuer Ă  danser, Ă  vivre et Ă  rĂȘver malgrĂ© les diverses scories de la vie. GrĂące Ă  la musique. GrĂące au Zouk, ce genre musical Ă©peronnĂ©, Ă©talonnĂ©, par quelques personnalitĂ©s dont Desvarieux au sein du groupe Kassav’ et qui a modifiĂ© le courant musical des Antilles  En travaillant. En osant. En se perfectionnant. En se professionnalisant encore davantage. En se diversifiant. Tout en se remĂ©morant.

 

Ce sera ça que je prĂ©fĂšrerai, d’abord, retenir de Jacob Desvarieux.

 

FĂȘte de l’Huma, 2019. Au centre, Jacob Desvarieux. Photo©Franck.Unimon

 

Photos, vidĂ©os, article  par Franck Unimon, Moon France, ce samedi 31 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
Moon France

Me mesurer Ă  ses cendres

 

Me mesurer Ă  ses cendres

Aucun événement immédiat ou particulier porté à ma connaissance ne me permet de savoir la raison pour laquelle je pense à lui ce matin. Un dimanche.

 

Comme d’autres membres de ma famille, avant ma naissance, il Ă©tait venu par avion pour le mariage de son petit frĂšre. Le dernier. Un de mes oncles paternels. Une force de la nature, le plus grand parmi ses frĂšres et ses sƓurs, surnommĂ© «  Le dindon Â». Si mes souvenirs sont exacts. Car tout cela se passe en CrĂ©ole et en mĂ©tropole :

 

En France.

 

En France, on n’a pas de pĂ©trole, mais on a une mĂ©tropole. Du CrĂ©ole. Et des people.

 

Il Ă©tait petit. Peut-ĂȘtre l’un des plus petits parmi les frĂšres de mon pĂšre, aussi prĂ©sent.

 

Mais il avait une classe rĂ©glĂ©e comme une montre suisse. Une classe que je lui avais dĂ©couverte ce jour-lĂ . Plus que mon pĂšre qui s’y connaissait pourtant en « style Â». Plus que mon oncle qui se mariait.

 

Dans son costume gris, il portait l’élĂ©gance et l’assurance. Il avait fumĂ© une cigarette devant moi, mon pĂšre et cet oncle qui se mariait. Avec tout autant de prĂ©sence. Dans ma famille, du cĂŽtĂ© de mes oncles et de mes tantes, paternels comme maternels, fumer est un acte suffisamment rare, Ă©tranger voire proscrit, pour marquer un esprit.  Au moins le mien.

 

La cigarette, c’est bien-sĂ»r le fait du Blanc. Mais c’est aussi une aventure qui ne vaut pas, peut-ĂȘtre, celle de la fiertĂ©, de la rĂ©putation, de la force physique,  du sport, de la musique, de la voiture, de la voix ferme et haute, du geste, du rhum et  de la verge.

 

Lui, il avait fumĂ© comme s’il s’agissait d’une formalitĂ©. Aucune remarque ne lui avait Ă©tĂ© faite alors que l’on peut ĂȘtre si Ă  cheval concernant telle action qui signifie que l’on se prend pour un blanc. Et l’on reste, du moins suis-je souvent restĂ©, proche de ce poste frontiĂšre. Presque l’ultime intime d’un certain sentiment de noyade. Tout prĂšs de cette  limite oĂč s’observent- telles deux Ă©ternelles vierges maquerelles toujours en demande d’un godemichĂ©- celle qui serait d’un cĂŽtĂ© l’identitĂ© blanche et, de l’autre, l’identitĂ© noire.

 

Moi, l’adolescent, les cheveux encore hauts Ă  la MichaĂ«l Jackson d’avant le dĂ©frisage et la dĂ©pigmentation, emmĂ©nagĂ© dans des vĂȘtements et des chaussures que ma mĂšre sans doute avait choisi pour moi, et derriĂšre mes lunettes du mĂȘme acabit, j’étais bloquĂ© face Ă  ces trois hommes : cet oncle, celui qui se mariait, mon pĂšre.

 

Et je faisais peine Ă  voir. Mes oncles et mon pĂšre me le faisaient bien savoir.

 

Reprenant un des arguments de mon pĂšre, cet oncle avait statuĂ© que « mĂȘme un handicapĂ© Â» faisait de son mieux. Alors que moi, j’étais gauche, contenu :

 

Plus dans le brouillard que débrouillard.

 

Les derniers souvenirs que j’ai de cet oncle avant ce mariage, c’étaient sa maison, en Guadeloupe Ă  Petit-Bourg. Sa femme, souriante et affirmĂ©e, leurs trois enfants, deux cousines et un cousin, dont chaque prĂ©nom dĂ©bute par la lettre U. Comme mon nom de famille. Je m’en aperçois seulement maintenant alors que je repense Ă  cette balançoire faite d’un pneu, chez eux,  qui nous envoyait presque au dessus du vide.

 

Quelques annĂ©es aprĂšs ce mariage, j’ai entendu parler de son divorce. Par bribes.

 

Car je n’étais pas adulte.

 

J’ai appris qu’il jouait. De retour en Guadeloupe pendant les vacances, oĂč notre pĂšre nous conduisait, nous passions devant son ancienne maison, sans doute habitĂ©e par son ex-femme et les enfants sans nous arrĂȘter. Cette vie-lĂ  n’avait pas existĂ©.

 

J’ai revu cet oncle plusieurs fois ensuite. Souvent chez mon grand-pĂšre. Pas si loin que ça de son ancienne maison. Il ne portait plus de costume. Il vivait dans une case en tĂŽle, pas si loin que ça de son ancienne maison. Se dĂ©plaçait en mobylette. S’était fait des « amis Â» parmi des jeunes qui vivaient de peu.

 

Assez rĂ©guliĂšrement, j’entendais ça et lĂ  des commentaires le concernant (mon pĂšre, mon grand-pĂšre) oĂč l’on se dĂ©solait de son mode de vie. En mĂ©tropole, Ă  Paris, on aurait parlĂ© de zonard plus ou moins SDF. Sauf qu’il avait son coin, ne mourait pas de faim et qu’il faisait toujours partie de la famille oĂč il continuait d’avoir son mot Ă  dire. Je ne crois pas qu’il exerçait un mĂ©tier rĂ©gulier et officiel. Et, je ne sais pas quel mĂ©tier il exerçait dans son autre vie. Mais je le crois plutĂŽt habile de ses mains. Comme bien des hommes de la famille de mon pĂšre et de mes ascendants du cĂŽtĂ© tant paternel comme maternel oĂč le mĂ©tier de maçon, voire charpentier, est une nomenclature.

 

Je n’ai jamais discutĂ© avec lui de ce qui s’était passĂ© dans sa vie. Je n’ai donc jamais pu Ă©couter ce qu’il en disait. Mais j’ai cru trouver dans son attitude une forme d’acceptation du verdict qui l’avait touchĂ© : le divorce et sa suite.

 

C’est au dĂ©cĂšs de mon grand-pĂšre paternel que j’ai eu un contact tĂ©lĂ©phonique avec une de ses filles. Je ne l’avais pas vue depuis des annĂ©es.

 

J’étais venu pour l’enterrement de mon grand-pĂšre paternel.  J’avais fait un discours- le seul discours dit Ă  l’enterrement de mon grand-pĂšre par un membre de la famille ou un proche- dans l’église, remplie, de Petit-Bourg. Et, j’avais aussi filmĂ© une partie de l’enterrement.

 

Cette cousine souhaitait que je lui envoie les images. Je les lui avais envoyĂ©es et j’avais appris qu’elle Ă©tait devenue infirmiĂšre ou peut-ĂȘtre cadre-infirmiĂšre. J’avais senti en elle une certaine affection pour son pĂšre. Lequel, jusqu’à sa mort, est restĂ© dans cet Ă©tat de « vagabond Â» ou de semi-vagabond, se montrant souvent pieds nus, avec un short rapiĂ©cĂ©, un chapeau et une chemise, et tutoyant le rhum en certaines occasions.

 

Je n’ai jamais parlĂ© de lui avec mon pĂšre. Car je ne suis pas un homme.

Cet oncle est un fantĂŽme de plus dans la famille. Peut-ĂȘtre qu’écrire, c’est aussi s’adresser Ă  ses fantĂŽmes, retranscrire leurs rĂ©ponses ou les souvenirs qu’ils nous laissent. AprĂšs, on en fait toute une histoire que d’autres Ă©couteront, caresseront ou liront peut-ĂȘtre.

 

Parler de cendres, ce n’est d’abord pas trĂšs rĂ©jouissant. Mais, ce matin, je ne prends pas les cendres par le biais dĂ©pressif. Je pense aussi Ă  cette cĂ©rĂ©monie oĂč l’on marche sur le feu. En Inde mais aussi dans les rĂ©gions d’Outre-Mer. Aux Antilles comme Ă  la RĂ©union.

 

Je me dis aussi que les cendres, cela peut aussi ĂȘtre les migrations de tous ces oiseaux qui parcourent des milliers de kilomĂštres, chaque saison. Mais aussi de ces crĂ©atures terrestres ou animales qui nous entourent et que l’on connaĂźt beaucoup moins bien que ces autoroutes, ces trains ou ces bateaux qui nous permettent de partir en vacances. Car elles sont lĂ , nos principales migrations. Dans nos congĂ©s et nos week-end.

 

A moins d’ĂȘtre de grands voyageurs. D’effectuer des dĂ©placements pour notre travail. Ou de changer d’emploi, d’adresse ou de rĂŽle rĂ©guliĂšrement.

 

Ce matin, je me mesure aux cendres de mon oncle. Celles de sa vie, de sa contre-vie ou de cette cigarette fumĂ©e devant moi Ă  ce mariage. Car, peut-ĂȘtre, bientĂŽt, vivrais-je moi aussi une certaine migration.

 

Notre imagination est faite de toutes sortes de migrations. Ensuite, c’est nous qui dĂ©cidons. De jeter les dĂ©s et de nous lancer derriĂšre eux. Ou de les regarder.

 

Franck Unimon, ce dimanche 4 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
Béatrice Dalle Cinéma Moon France Puissants Fonds/ Livres

BĂ©atrice Dalle

 

BĂ©atrice Dalle

 

(cet article est une variation de l’article Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle).

 

 

 

BĂ©atrice Dalle, aujourd’hui, fait moins parler qu’il y a « longtemps Â» : il y a dix ou vingt ans.

 

J’ai achetĂ© ce livre parce que BĂ©atrice Dalle me « parlait Â». Comme un conflit pourrait parler Ă  des vieux qui y avaient participĂ© en tant que simple appelĂ©s ou appuis militaires. Ce qu’ils sont devenus ensuite, c’est un autre problĂšme. Et, avant tout, et surtout, le leur. Ce que je raconte ensuite, ici, c’est peut-ĂȘtre aussi, avant tout, et surtout, mon problĂšme.

 

Lorsque j’avais achetĂ© ce livre consacrĂ© Ă  BĂ©atrice Dalle, je faisais dĂ©jĂ  partie des vieux. Mais, bien entendu, je ne l’avais pas vu comme ça, ce jour-lĂ . Aujourd’hui, je suis un peu plus rĂ©aliste :

 

MĂȘme si, en apparence, j’ai encore un look assez jeune, je vois bien que je fais partie des vieux. On peut ĂȘtre myope et visionnaire.

 

Ainsi, je vais spontanĂ©ment vers des musiques – mais aussi vers des pratiques- qui montrent bien que je ne suis plus jeune. RĂ©cemment, lors d’une rencontre professionnelle, celle qui m’a reçu m’a dit :

 

« De toute façon, si vous m’envoyez un mail, je le recevrai sur mon portable Â». Le fait que je sois autrement plus qualifiĂ© qu’elle pour le travail que j’effectuerai peut-ĂȘtre pour sa « boite Â»,  est ici accessoire. J’avais compris Ă  cette simple phrase que j’étais vieux. Tant pour ces valeurs et ce mode de vie que cette « jeune Â» justifie et dĂ©fend. Que pour cette façon d’offenser sans mĂȘme s’en apercevoir.

 

J’ai regardĂ© dans les yeux ma jeune interlocutrice. Ses beaux yeux bleus. Mais je n’étais pas amoureux. J’avais bien plus d’expĂ©rience qu’elle et voire qu’elle n’en n’aurait jamais pour ce travail pour lequel je la rencontrais. Pourtant, c’était elle qui dirigeait l’entretien.   TrĂšs certainement, m’a-t’elle trouvĂ© l’abord froid et rigide de celui qui borde un monde qu’elle ne connaĂźt pas. Elle ne sait pas qu’une grande partie de ma vie comme celle d’autres que je connais ou ai connus, se dĂ©value Ă  mesure qu’elle devient un exemple Ă  suivre. Et, j’en suis aussi en partie responsable :

J’ai refusĂ© de devenir responsable de ce monde qu’elle dĂ©fend.

 

BĂ©atrice Dalle, dans l’ouvrage de Louvrier, est un moment comparĂ©e Ă  Brigitte Bardot et Ă  Marilyn Monroe. RĂ©guliĂšrement, se succĂšdent des personnalitĂ©s et des idoles de toutes sortes qui en rappellent d’autres. Et si cela se perpĂ©tue, c’est parce-que cela rend plus polis certains de nos Ă©checs. Que l’on soit jeunes ou vieux.

 

Mentionner Bardot, Monroe et Dalle, c’est additionner les sex-symbol. Un sex-symbol, c’est festif. Ça met en alerte. Ça donne envie de consommer. De se transformer en superlatif.

 

Mais c’est une histoire triste. Telle qu’elle m’a racontĂ©e. Celle d’une enfant d’une famille nombreuse sacrifiĂ©e parmi d’autres. Bonne Ă©lĂšve d’une Ă©cole dont elle a dĂ» se retirer Ă  l’école primaire. Afin de s’occuper de frĂšres et de sƓurs plus jeunes. Mais, aussi, pour faire la cuisine. Pourquoi elle plus qu’une autre ? Et, en quoi, cela aurait-il Ă©tĂ© plus juste qu’une autre soit choisie ?

 

 

Ma mĂšre est une femme gentille. Comme aurait pu l’ĂȘtre le personnage jouĂ© par l’acteur Tim Robbins dans Mystic River rĂ©alisĂ© par Clint Eastwood.

 

Ma mĂšre est donc l’opposĂ©e d’une BĂ©atrice Dalle. Si l’une et l’autre ont quittĂ© leurs parents avant leur majoritĂ©, leur tempĂ©rament les sĂ©pare.  BĂ©atrice Dalle a pu « se prendre la gueule Â» avec des femmes et des hommes, connus ou inconnus. Elle a aussi connu la rue. EtĂ© punk. Elle peut baptiser des injures et professer des menaces qui ont valeur de futur. Ma mĂšre n’a jamais prononcĂ© le moindre gros mot devant moi. Elle a fait baptiser ses enfants.

 

Dans le livre qu’il a consacrĂ©e Ă  BĂ©atrice Dalle, le journaliste Pascal Louvrier relate que celle-ci a pu faire penser Ă  une « panthĂšre Â». Ma mĂšre n’a rien de la panthĂšre. Mais j’aurais aimĂ© qu’elle le soit. Qu’elle puisse l’ĂȘtre. Qu’elle sache l’ĂȘtre. Qu’elle puisse griffer. Elle ne le fera jamais. Au lieu de griffer, elle priera. BĂ©atrice Dalle est croyante Ă  sa façon, parle de JĂ©sus-Christ mais elle et ma mĂšre ne sont pas faites de la mĂȘme ferveur religieuse. J’attends de voir BĂ©atrice Dalle dans un film de Bruno Dumont.

 

Ma mĂšre a Ă©tĂ© et est une trĂšs belle femme. C’est une femme capable. A son Ăąge, beaucoup aimeraient avoir sa forme physique. Sa souplesse. Son endurance. Son dynamisme.

Mais elle est une de ces multiples femmes- dĂ©ployĂ©es et employĂ©es- qui ont trop acceptĂ© un peu tout et n’importe quoi. PiĂ©gĂ©es sans doute par leur trop grande endurance, leur naĂŻvetĂ© et leur indĂ©fectible indulgence pour leurs peurs.

 

 

Certaines rĂ©ussites sont lĂ  pour masquer certains Ă©checs.  Normalement, ma mĂšre a rĂ©ussi. Son mariage. Ses enfants. Sa maison. Ses activitĂ©s. Elle peut parler. DiscrĂštement. Mais elle a plus subi de vĂ©ritĂ©s qu’elle n’en n’a dit.

 

 

BĂ©atrice Dalle, c’est le contraire.

 

 

Ça tombe trĂšs bien qu’aujourd’hui, on parle moins de BĂ©atrice Dalle comme sex-symbol.

 

Parce-que toutes ces histoires de sexe, de drogue et de frasques (des histoires de jeunes)  m’empĂȘchaient sans doute de comprendre qu’au cinĂ©ma, ou ailleurs, ce qui pouvait me dĂ©ranger chez BĂ©atrice Dalle mais aussi me donner envie d’aller la voir, c’était de pouvoir m’imaginer un peu ce que ma mĂšre aurait pu ĂȘtre ou faire de diffĂ©rent.

 

Je vais peut-ĂȘtre au cinĂ©ma afin de pouvoir imaginer des diffĂ©rences. Et, pour moi, BĂ©atrice Dalle permet ça.

Franck Unimon, Dimanche 4 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
Moon France Musique

Erykah Badu

 

           Erykah Badu

 

 

Ses albums sont placĂ©s derriĂšre les barreaux depuis plusieurs annĂ©es maintenant. Parfois vingt.  Pourtant, ils continuent de nous libĂ©rer. Pourtant leurs canons ont fait et continuent de faire la jeunesse d’artistes que l’on Ă©coute aujourd’hui.

 

Quand on est jeune.

 

Si le corps essuie et colmate avec des rythmes les gestes qui, dans la vie courante, nous manquent ainsi que les bruits que l’on cache et qui nous braquent, notre esprit, lui, dĂ©truit ou non, est la gomme qui efface les distances entre les Ɠuvres et nous.

 

Plus jeune, j’avais entendu parler d’Erykah Badu. Je l’avais Ă©coutĂ©e. SĂ»rement en regardant et en Ă©coutant d’autres plus jeunes qui Ă©coutaient les Fugees, Macy Gray, Kelis, Alicia Keys et sont probablement, aujourd’hui, passĂ©s Ă  autre chose.

 

Autre chose.

 

Moi, le vieux, depuis peu, je rĂ©Ă©coute ses albums. J’en ai empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque prĂšs de chez moi. J’en ai un achetĂ© un, neuf, vendredi, Ă  une femme d’une trentaine d’annĂ©es, enceinte de plus de six mois, Ă  Mairie de Montreuil, prĂšs d’un marchand de fleurs. Le lieu du rendez-vous avait Ă©tĂ© choisi par la vendeuse. Deux ou trois jours  plus tĂŽt, j’avais commis un impair. Trop attachĂ© Ă  ce que j’écrivais, j’avais pris trop de retard. Mais, cette fois, j’avais plus d’une demi-heure d’avance. Je lui ai de nouveau prĂ©sentĂ© mes excuses. Je lui ai donnĂ© un peu plus que ce qui Ă©tait prĂ©vu pour le disque. J’ignorais qu’elle Ă©tait enceinte.

 

Aujourd’hui, j’entends autrement les titres d’Erykha Badu. Je croyais pourtant qu’avec les ans, on devenait sourd. Peut-ĂȘtre pas. Je repense Ă  mon pĂšre, tiens. Le premier amateur de musique que j’ai connu. Pourquoi, vers ses quarante ans, a-t’il arrĂȘtĂ© d’acheter des disques comme d’écouter de la musique Ă  la maison ? Lui, qui Ă©tait allĂ© jusqu’à acheter des magazines de musique spĂ©cialisĂ©s tels Rock & Folk et Best. Des magazines dans lesquels des critiques, qui se dĂ©vouent Ă  la musique, passent leur vie Ă  en Ă©couter, Ă  aller Ă  des concerts, Ă  rencontrer des artistes. Puis, Ă  en parler et Ă  donner envie de les Ă©couter et d’en discuter avec d’autres.

 

La musique, ça a Ă  voir avec la vie mais aussi avec notre enfance et notre jeunesse. Alors, mon pĂšre a-t’il arrĂȘtĂ© de vivre vers ses quarante ans comme beaucoup d’autres ? Ou a-t’il considĂ©rĂ© que tout cela Ă©tait anecdotique et coĂ»tait trop d’argent pour si peu d’épanouissement ?

 

On arrĂȘte tous de faire quelque chose Ă  un moment ou Ă  un autre, de notre vie. Mentir. Vomir. Sucer son pouce. Faire du sport. Sortir. Rire de tout.

 

Certaines personnes nous expliqueront que cela correspondait Ă  une Ă©tape de leur vie. Et que tout cela appartient dĂ©sormais au passĂ©. Mais est-on toujours obligĂ© de le croire ?

 

A quarante ans, nĂ©anmoins, j’ai arrĂȘtĂ© d’aller danser. De danser. Je me sens un peu fautif. Surtout envers ma fille. Enfant et ado, j’ai des souvenirs de soirĂ©es antillaises (mariages, baptĂȘmes, communions) oĂč beaucoup de gens dansaient, discutaient et mangeaient pendant des heures dans des grandes salles. Et, parfois, deux ou trois se bagarraient. Je me suis racontĂ© des histoires, certains soirs, Ă  regarder tout ce monde. Mais j’ignorais que ce que je voyais et entendais Ă©tait exceptionnel. Ce que nous voyons et entendons peut ĂȘtre exceptionnel. C’est nous, qui l’oublions.

A ces soirĂ©es, je n’ai pas pris de notes. Je n’en prenais pas. Je n’ai rien filmĂ©. Je n’avais pas de camĂ©ra. Je n’ai pas pris de photos. Et les quelques photos qui ont Ă©tĂ© prises l’ont Ă©tĂ© par d’autres regards et d’autres intentions. Mais j’ai appris Ă  gesticuler. Ou à
danser.

 

 

J’ai Ă©tĂ© un peu triste, lorsqu’un jour,  un petit a demandĂ© Ă  sa mĂšre si, Ă  leur mariage, elle et son pĂšre, avaient dansĂ©. Elle a rĂ©pondu un peu gĂȘnĂ©e, intimidĂ©e par cette question posĂ©e en public, comme si le sujet Ă©tait osĂ© :

« Non, on n’a pas dansĂ© Â». Elle avait une trentaine d’annĂ©es et Ă©tait plutĂŽt d’un abord avenant. C’était au conservatoire d’Argenteuil, au Val d’Argenteuil. J’avais emmenĂ© ma fille Ă  son cours de danse. A son cours d’initiation Ă  la danse et au chant. On emmĂšne au conservatoire nos enfants pour qu’ils apprennent ce qui a pu et peut s’apprendre dans les soirĂ©es voire entre copains et copines. Ou chez la tante, le grand-pĂšre ou avec la cousine ou le cousin.

 

Je ne sais pas quoi penser de ma « dĂ©fection Â» Ă  propos de la danse. Si ce n’est que, certaines fois, je me dis que j’en ai assez de rĂ©pĂ©ter les mĂȘmes gestes. Pourtant, je n’aime pas penser que, pour moi, la danse, c’était l’armĂ©e. On danse aussi pour arrĂȘter d’ĂȘtre des bĂȘtes traquĂ©es.

 

J’ai peut-ĂȘtre eu moins besoin de m’échapper. Et, aussi, celles et ceux que je frĂ©quente dĂ©sormais sont plus installĂ©s dans leur vie et davantage portĂ©s sur la parole. Ou, souvent aussi, quand mĂȘme, nous parlons des mĂȘmes
. sujets.

 

J’imagine qu’Erykah Badu, mĂȘme si son dernier album a quelques annĂ©es, a continuĂ© de danser et de chanter. Si une Me’Shell NdĂ©geocello ou une Björk ont pu se mettre en danse sur scĂšne, cela se passait autrement pour Miles Davis. Par contre, j’ai appris qu’Erykah Badu avait dirigĂ© la rĂ©Ă©dition d’albums de Fela. Mon pĂšre avait un de ses albums Ă  la maison. Mais il ne le mettait pas souvent. Et il n’achetait plus de disques lorsque Kassav’ a Ă©mergĂ©. Et encore moins lorsque d’autres artistes de zouk sont ensuite arrivĂ©s tel Jean-Michel Rotin qui fait partie des anciens, maintenant.

 

Comme Erykah Badu.

 

Rimshot, en concert, a Ă©tĂ© le titre qui a reposĂ© Erykah Badu sur mon atlas musical. Et, tout cela, suite Ă  un stage d’apnĂ©e Ă  Quiberon, en Bretagne, avec mon club le mois dernier. Parce-que j’ai fait des photos. Et qu’ensuite j’ai fait deux  diaporamas, un long et un court, et qu’à chaque fois cette chanson d’Erykah Badu a Ă©tĂ© celle que j’ai mise au premier plan.

 

De l’apnĂ©e en Bretagne, et, aussi, de la chasse sous-marine, Ă  Erykah Badu. Nos directions et notre façon d’écouter la vie restent assez imprĂ©visibles. Notre façon d’écouter, surtout. Car, souvent, le reste suit. A plus ou moins long terme.

 

Franck Unimon, ce dimanche 6 juin 2021.  

Catégories
Argenteuil Corona Circus Moon France Musique

Chemin de halage

Sur le chemin de halage entre Argenteuil et Epinay sur Seine. Vers Argenteuil et la A15, ce mercredi 7 avril 2021, un peu avant midi.

                                                      Chemin de halage

 

Je suis parti interroger mon corps. J’avais besoin d’informations. Il a bien voulu se laisser faire. MĂȘme si, au prĂ©alable, il m’a fallu tout un tas de prĂ©paratifs. C’en Ă©tait ridicule. C’était beaucoup plus simple lorsque j’étais plus jeune.

Mais, lĂ , avais-je les bonnes chaussures ? Mes chaussettes Ă©taient-elles assez minces pour ne pas trop martyriser mes petits pieds ? Car les baskets, pendant le footing, avec le poids du corps et l’afflux du sang, ça comprime.

La veste. Avais-je la bonne veste ? Non, pas ce k-Way- lĂ  dans lequel j’allais suer tel un champignon rissolĂ© mais plutĂŽt celle en goretex. Si je l’avais achetĂ©e, c’était bien pour qu’elle me serve. Ah, oui, mes clĂ©s. Juste celles dont j’avais besoin. Je n’aime pas quand ça fait bling-bling quand je cours. Peut-ĂȘtre parce-que je crains que l’on confonde le bruit des clochettes avec celui du mouvement de recul de mes testicules.

Et, la petite compote, facile Ă  avaler, ça peut servir en cas d’hypoglycĂ©mie. Avale-donc un peu d’eau avant de partir. Tu as la bouche sĂšche. Et un petit bout de chocolat, aussi, car la matinĂ©e est avancĂ©e. Tu as pris ton petit-dĂ©jeuner il y a plus de quatre heures. Et, on dirait que tu commences Ă  avoir faim


 

J’ai rajoutĂ© un masque anti-covid que j’ai mis dans une de mes poches. J’ai ouvert la porte de l’appartement et me suis engagĂ© sur le palier
.une pensĂ©e.

 

J’allais partir sans mes clĂ©s posĂ©es Ă  l’entrĂ©e.

 

J’ai attrapĂ© mes clĂ©s, un peu contrariĂ©. Enfin, j’étais prĂȘt. Un vrai mariĂ©. 

 

Dehors, la tempĂ©rature extĂ©rieure Ă©tait de 7 degrĂ©s. Mais, plus froid, ça n’aurait rien changĂ©. Je reste Ă©tonnĂ© de voir que certaines personnes attendent qu’il fasse chaud pour sortir le vĂ©lo ou faire un peu de sport. « Viens, on va se mettre au sport, il fait beau, aujourd’hui Â». Mais lorsque les tempĂ©ratures augmentent, notre corps se dĂ©shydrate plus vite. C’est rapidement la transe ou le sauna. Il faut ĂȘtre entraĂźnĂ©, condamnĂ© ou se prĂ©parer Ă  aller courir dans le dĂ©sert pour sortir faire du sport en pleine chaleur. Ou, bien-sĂ»r, ne rien changer Ă  sa vie sportive habituelle lorsque l’on a en une. Cela est assez oubliĂ©, mais l’un des propos du sport est aussi de nous prĂ©parer Ă  nous adapter Ă  notre environnement immĂ©diat (riviĂšre, escalade, barriĂšre de corail ou autre obstacle naturel ou mental se trouvant sur notre passage…). Cela dĂ©passe le simple fait de perdre des calories et du gras afin d’ĂȘtre suffisamment « slim » pour la sĂ©ance plage ou photo. La pratique sportive, seule, ne suffit pas Ă  faire de nous des aventuriers ou des guerriers redoutables. Mais elle peut nous aider Ă  nous Ă©lever au delĂ  de certaines de nos faiblesses.

 

Ces faiblesses peuvent aussi bien ĂȘtre d’avoir le souffle court ou d’avoir le rĂ©flexe de facilement croire ou penser que tout ce qui vient de nous est forcĂ©ment nul. Pratiquer rĂ©guliĂšrement et Ă  son rythme. En restant proche de la limite du plaisir. Cette rĂšgle est valable pour beaucoup de disciplines. 

 

A « l’ancienne Â» :

 

Je fais toujours mes footing Ă  « l’ancienne Â» : comme je l’ai appris Ă  l’adolescence.

Pas d’écouteurs dans les oreilles. Pas de podomĂštre. Pas de cardio frĂ©quencemĂštres, de montre connectĂ©e. Je prĂ©fĂšre. 

Si je laisse mon tĂ©lĂ©phone portable allumĂ©, c’est davantage pour connaĂźtre la distance parcourue, peut-ĂȘtre en cas d’appel ou de message important. Ou pour faire des photos. Surtout, aujourd’hui. Il fait beau. Et, ce matin, vers 7h, j’ai repensĂ© au viaduc oĂč la jeune Alisha est morte le 8 mars dernier.

 

Si je ne disais que ça, je paraitrais ĂȘtre sous l’emprise d’un atavisme morbide.

 

Inconsolable

 

 

Lorsque ce matin, j’ai eu l’idĂ©e d’y retourner, j’ai d’abord pensĂ© appeler cet article Inconsolable. Dans la musique que j’écoute dĂ©sormais, Jimi Hendrix avait remplacĂ© AgnĂšs Obel depuis longtemps. AgnĂšs Obel dont un critique avait Ă©crit, il y a quelques annĂ©es, qu’au dĂ©but d’un de ses concerts, concert auquel il avait assistĂ©, il avait d’abord eu l’impression qu’elle sortait d’un rĂ©frigĂ©rateur. Tant sa musique Ă©tait froide. Si j’avais aimĂ© et enviĂ© cet humour, le critique avait nĂ©anmoins remarquĂ© qu’à mesure de l’écoute, la musique d’Obel avait fini par l’atteindre.

 

En Ă©coutant Jimi Hendrix, ce laveur de solo, ce technicien de toute notre surface cĂ©rĂ©brale mais aussi crĂ©pusculaire, j’avais fini par comprendre la raison pour laquelle, mĂȘme si j’ai dansĂ© sur ses titres, j’ai toujours conservĂ© une rĂ©serve envers Prince, ce gĂ©nie musical. Je me rappelle d’un article oĂč l’on parlait de la guitare de Prince, comme de son « arme de destruction massive Â». Mettez vos oreilles au contact du coffret Songs for Groovy Children , lors des concerts donnĂ©s par Jimi Hendrix fin 1969, dĂ©but 1970 et vous changerez d’avis. Prince devait avoir 12 ou 13 ans en 1969. Il a sĂ»rement entendu parler de ce concert, et encore plus d’Hendrix.

Quand je pense qu’il a fallu payer « seulement Â» 6 dollars ( les dollars de l’époque) pour voir Hendrix en concert en 1969.

 

Un de mes collĂšgues m’a dit rĂ©cemment : « Lorsque des gens disent que Prince Ă©tait un trĂšs grand guitariste, ils mentent. MĂȘme si c’était un gĂ©nie Â». On peut trouver ce jugement ingrat. A moins d’avoir Ă©coutĂ© Hendrix et de se rappeler, Ă  nouveau, qu’Eric « God Â» Clapton, lui-mĂȘme, avait pris peur en dĂ©couvrant Hendrix sur scĂšne en Angleterre, dans son royaume uni. J’ai lu que Clapton peut raconter qu’il avait en quelque sorte trouvĂ© son rythme de croisiĂšre avec son groupe (loin d’ĂȘtre des musiciens amateurs) et qu’il se croyait Ă©tabli. Lorsque Hendrix, arrivant des Etats-Unis, a dĂ©barquĂ© sur scĂšne. Hendrix qui avait, Ă  ses dĂ©buts, tournĂ© un peu avec Ike Turner, avant que celui-ci, selon certains dires, en aurait eu assez. Car Hendrix prenait trop de solos. En Ă©coutant le coffret de Songs For Groovy Children, la durĂ©e des titres ( plusieurs dĂ©passent la dizaine de minutes) et la « longueur » des solos de Jimi Hendrix, on peut s’amuser Ă  imaginer la tĂȘte d’Ike Turner s’il avait Ă©tĂ© sur scĂšne dans ces moments-lĂ . 

Hendrix n’Ă©tait pas un artiste de foire. Et il Ă©tait encore moins prĂȘt Ă  rester enfermĂ© dans une cage tel un hamster auquel on viendrait parler de temps en temps. Sa musique, dans ce coffret, m’a tellement consolĂ© qu’en l’écoutant, j’avais envie de pleurer. Le bibliothĂ©caire Ă  qui j’en ai parlĂ© a paru surpris. Alors qu’il avait Ă©tĂ© le premier Ă  avoir un air un peu navrĂ©, lorsqu’il y a quelques mois, je m’Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă  emprunter une anthologie de Johnny Halliday. Oui, Johnny Halliday. Dans un magazine de musique rĂ©putĂ©, j’avais lu une bonne critique sur un de ses albums qui datait des annĂ©es 60 ou 70. Je « savais » peut-ĂȘtre dĂ©ja que Johnny avait sollicitĂ© Hendrix afin que celui-ci fasse sa premiĂšre partie. Par contre, je savais beaucoup moins que Johnny et Jacques Brel Ă©taient trĂšs proches. Dans la musique, comme en art et dans la vie d’une façon gĂ©nĂ©rale, les gens les plus ouverts et les plus rock’n’roll, peuvent ressembler assez  peu Ă  celles et ceux Ă  qui l’on s’attendait en prime abord. 

Bien que nos yeux soient souvent des guichets ouverts, nous regardons souvent celles et ceux qui nous entourent tels des aveugles…

 

Tout amateur de musique attend ces moments oĂč l’artiste va lĂącher un solo. Et oĂč ce solo le saisira le plus longtemps possible. Dans le coffret Songs for Groovy Children, Hendrix en lĂąche, des solos. Ce faisant, il les tient en laisse bien au delĂ  de la durĂ©e rĂ©glementaire. Et, sa voix ! Ce Blues. Solo/voix, solo/voix. Cela pourrait ĂȘtre deux personnes. C’en est une. Et, avec Hendrix, ses deux autres musiciens, basse, chant, batterie qui suivent et sont loin d’ĂȘtre des scissions secondaires.

 

 

Cependant, avant Jimi Hendrix, j’avais rĂ©Ă©coutĂ© le Zouk de Jean-Michel Rotin. Un autre style. Un artiste plus « rĂ©cent », encore vivant, que j’ai sans doute trĂšs mal prĂ©sentĂ©.

 

 

Depuis, Jimi a Ă©tĂ© remplacĂ© ( le coffret Songs for Groovy Children, fastueux) par le concert d’Aretha Franklin Live at filmore West. J’ai empruntĂ© ce cd, avec d’autres, avant que le nouveau confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie ne « close Â» Ă  nouveau les mĂ©diathĂšques et autres lieux estimĂ©s « non essentiels Â».

Non-essentiels :

 

 Les deux artistes, Jimi Hendrix et Aretha Franklin ont rĂ©alisĂ© ces performances sur scĂšne vraisemblablement dans le mĂȘme festival, mais Ă  un ou deux ans d’intervalle.

 

 

On imagine un certain nombre de duos entre deux artistes que l’on aime bien. MĂȘme si, souvent pour des histoires d’ego et de sous, la plupart de ces duos ou de ces collaborations, sont morts nĂ©s. Un artiste en plein Ă©panouissement poursuit souvent une trajectoire vers ce qu’il pense ĂȘtre son chemin. Et, personne ne peut ou ne doit le faire en dĂ©vier, sauf s’il le dĂ©cide. Aretha Franklin, par exemple, Ă  ce que j’ai lu, toute croyante et fervente chanteuse de Gospel qu’elle Ă©tait, n’aspirait Ă  rien d’autre qu’ĂȘtre la meilleure et a considĂ©rĂ© d’autres chanteuses comme ses rivales, forcĂ©ment moins lĂ©gitimes qu’elle (Natalie Cole, Diana Ross
.)

 

 Ce matin, j’ai pensĂ© Ă  un duo Jimi Hendrix/ Aretha Franklin. Il n’y avait peut-ĂȘtre pas de rivalitĂ© entre les deux. Je ne sais pas s’ils se sont parlĂ©s ou rencontrĂ©s.

 

AprĂšs Aretha Franklin, j’ai Ă©coutĂ© le dernier album d’Aya Nakamura. Aujourd’hui, Aya Nakamura est une vedette internationale. On a pu voir des images du footballeur brĂ©silien, Neymar, superstar du Foot, et de l’équipe du PSG, danser sur son titre Djadja. Youtube n’existait pas Ă  l’époque d’Aretha Franklin et de Jimi Hendrix.

 

 

 

J’aime la musique d’Aya Nakamura. Et ce n’est pas la premiĂšre fois que je la cite. Mais en dĂ©couvrant son album (achetĂ©  hier Ă  la Fnac St Lazare demeurĂ©e ouverte, en pleine pandĂ©mie du Covid, alors que la mĂ©diathĂšque de ma ville, pour les mĂȘmes raisons, a Ă©tĂ© obligĂ©e de fermer son accĂšs au public depuis samedi dernier), j’ai bien Ă©tĂ© obligĂ© de constater que, comme me l’avait fait remarquer un des employĂ©s de la mĂȘme Fnac il y a environ deux ans, les paroles des chansons d’Aya Nakamura sont loin d’ĂȘtre
. des.prophĂ©ties.  Les gros mots ne me dĂ©rangent pas. C’est surtout le projet des textes :

 

«  Je t’ai aimĂ©. Tu m’as dĂ©sirĂ©. Tu m’as menti. Tu m’as trahi. Tu m’as pris pour une conne. Tu parles sur moi. Tiens, prends, ça dans ta figure. Et encore, ça. Je suis libre, j’ai de la fibre, je t’emmerde. Et je peux vivre sans toi. En plus, j’ai beaucoup de succĂšs. Et, toi, tu n’as rien. Qui te connaĂźt ?!  Tchip !».

 

ça fait trois albums que ça dure, et ça peut encore continuer comme ça longtemps puisque ses chansons ont du succĂšs. Je ne discute pas les atouts de sa musique. En Ă©coutant ses paroles, je comprends qu’une certaine jeunesse, en grande partie fĂ©minine dans un monde encore rĂ©glĂ© par et pour les hommes, puisse s’identifier Ă  ses Ă©mois ainsi qu’Ă  ses « exploits » ( sexuels, affectifs, Ă©conomiques ou autres).

Et puis, la musique d’Aya Nakamura donne particuliĂšrement envie de danser, toutes gĂ©nĂ©rations confondues. Ce qui est important pour toute personne qui aime danser ou qui est plutĂŽt Ă  l’aise pour le faire. Ce que peut avoir beaucoup de mal Ă  comprendre toutes celles et ceux, pour qui, le simple fait de taper nerveusement du pied suffit pour danser. Mais aussi celles et ceux qui voudraient dĂ©cortiquer du Shakespeare ou, pourquoi pas, du CĂ©saire, en toute circonstance.

La musique d’Aya Nakamura emballe tout le corps Ses titres, limitĂ©s Ă  3 ou 4 minutes, semblent Ă©tudiĂ©s pour ça. Ses phrases sont trĂšs simples Ă  retenir. Et, j’imagine trĂšs facilement un public conquis rĂ©pĂ©ter ses paroles en choeur en plein concert avec une trĂšs grande spontanĂ©itĂ© libĂ©ratrice. Et, aussi, frondeuse. 

 

Je constate bien, depuis que j’ai commencĂ© Ă  Ă©couter son album hier que deux ou trois titres me pendent Ă  l’oreille, tels Doudou ou Mon chĂ©ri, au moins. Si bien que je dois faire un effort pour remettre l’album d’Aretha Franklin afin de bien choisir le titre que je compte vous prĂ©senter. Alors que, spontanĂ©ment, j’ai surtout envie de remettre le Cd d’Aya Nakamura. Alors que je « sais Â» comme l’album live d’Aretha Franklin est plus que bon. Et qu’Aya Nakamura n’approchera sans doute jamais de sa voix les contrĂ©es et les inspirations qu’Aretha est allĂ©e chercher et a fait descendre sur terre pour qu’on puisse les entendre. Mais aussi, que mĂȘme en matiĂšre de « vice »,  Soeur Aretha Ă©tait encore bien plus indocile que petite soeur Aya. Amen.

 

Travailler, travailler, travailler :

 

Je ne doute pas non plus qu’Aya Nakamura soit une travailleuse dans sa veine artistique et musicale. Ainsi que celles et ceux qui l’entourent et la conseillent plutît bien.

 

 

 

Dans le dernier numĂ©ro du magazine Self &Dragon, il est demandĂ© au comĂ©dien Bruno Putzulu, un comĂ©dien dont j’aime beaucoup le travail et que j’avais aimĂ© voir au cinĂ©ma dans le film L’AppĂąt, film qui m’avait marquĂ© Ă  sa sortie au dĂ©but des annĂ©es 90, de feu Bertrand Tavernier- rĂ©alisateur dĂ©cĂ©dĂ© rĂ©cemment – les conseils qu’il pourrait donner Ă  quelqu’un voulant se lancer dans le mĂ©tier de comĂ©dien.

 

 

Pour pouvoir espĂ©rer rĂ©ussir dans le mĂ©tier de comĂ©dien, Putzulu commence par rĂ©pondre qu’il conseillerait Ă  un (e) apprenti( e ) comĂ©dien (ne) de :

« Travailler, travailler, travailler Â».

Putzulu connaĂźt Ă©videmment son sujet. Mais je vais pourtant le contredire. D’abord, en tant que comĂ©dien, mĂȘme s’il vit de son mĂ©tier, il fait partie de ces trĂšs bons comĂ©diens, qui sont Ă  mon avis sous-employĂ©s. Des comĂ©diens auxquels on ne propose pas des « grands rĂŽles Â» leur permettant d’étaler vĂ©ritablement ce qu’ils savent faire. Parce-que l’on ne pense pas Ă  eux. Parce-que l’on ne les choisit pas. Et, cela n’a rien Ă  voir avec leur capacitĂ© de travail.

 

Et que l’on ne me parle pas de la « grĂące Â». Parce-que, personne ne trouve Samuel Jackson ou Joey Starr ou Jean-Pascal Zadi Tout simplement Noir), ni mĂȘme Omar Sy Yao, Police-un film d’Anne Fontaine ) gracieux. Pourtant, personne, aujourd’hui, ne contestera leur « particularitĂ© Â», leur « originalitĂ© Â», leur « style Â», leur « personnalitĂ© Â» ou leur « talent Â». Parce-que, entre leurs dĂ©buts, et maintenant, ils ont chacun, de diffĂ©rentes façons, rencontrĂ© le succĂšs. Et se sont rendus « dĂ©sirables ». 

 

Et, le succĂšs, tout comme le dĂ©sir, lorsque tu Ă©volues dans un domaine artistique et public, ça se respecte voire ça se gĂšre ou ça se craint. Car cela reprĂ©sente un jackpot Ă©conomique potentiel si tu fais partie du « deal » ou de l’entourage immĂ©diat du poulain ou de la pouliche qui est trĂšs en vue ou qui peut remporter d’autres grands prix. 

 

Que tu t’appelles Aya Nakamura, Aretha Franklin ou Jean-Pascal Zadi. Peu importe le message que tu passes ou que tu essaies de faire passer. Peu importe que, dans le cas d’une Aretha Franklin, Martin Luther King soit venu dormir chez ton pĂšre, lors de certains meeting, ou que tu aies fait des concerts, gratuitement, en soutien pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les annĂ©es 60. Ou que, comme Aya Nakamura, tu parles de ruptures sentimentales, et de mecs qui n’assurent pas.

 

Le succĂšs, ça se respecte, et, il n’y a pas de rĂšgle Ă©tablie pour y parvenir. On peut se dĂ©foncer toute sa vie pour rĂ©ussir. Y compris avec son derriĂšre. Et Ă©chouer. C’est ça, le secret que tout le monde connaĂźt. Et pour enterrer un peu plus l’idĂ©e selon laquelle, la grĂące permettrait de diffĂ©rencier une personne qui en a d’une autre qui en serait dĂ©pourvue, on va se rappeler que, pour certaines et certains, la grĂące est tout de mĂȘme bien mise sur orbite, ou « aidĂ©e », par l’entourage stratĂ©gique que l’on connaĂźt, et le moment, aussi, oĂč l’on apparaĂźt en public. Ensuite, c’est Ă  nous de jouer. Soit on fait tout de travers. Soit on « fait le travail » pour lequel on a Ă©tĂ© prĂ©parĂ©. 

 

Cependant, pour rĂ©ussir, il faut bien, Ă  un moment ou Ă  un autre, rencontrer, dĂ©cider ou dĂ©rider quelqu’un qui jettera sur notre trajet un peu de cette de poudre magique qui nous permettra de rĂ©ussir. Et, rĂ©ussir, qu’on le veuille ou non, cela signifiera toujours rĂ©ussir Ă©conomiquement. 

Ce que n’ont toujours pas compris quantitĂ©s d’idĂ©alistes et d’abrutis- dont je fais partie- qui se condamnent d’eux-mĂȘmes. C’est parce-que je me suis condamnĂ© Ă  faire partie des invisibles et des ratĂ©s du box-office Ă©conomique que je fais partie des abrutis.  

 

 

Si des professions comme les professions soignantes sont maltraitĂ©es de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e, c’est aussi, parce-que, Ă  moins d’ĂȘtre une personnalitĂ© trĂšs mĂ©diatisĂ©e ( ça existe parmi quelques soignants gĂ©nĂ©ralement mĂ©decins ou psychologues), la majoritĂ© des soignants sont des anonymes, donc, Ă©loignĂ©s du « succĂšs » public mais, surtout, Ă©conomique. Lorsque l’on contribue Ă  sauver une vie, par exemple, cela ne fait pas des millions d’entrĂ©es au box-office. Cela ne fait pas vendre de la pub, du pop corn ou du coca-cola. Il n’existe pas de festival de Cannes du soin qui serait convoitĂ© et visitĂ© par des millions de spectateurs, avec limousine, grandes cĂ©lĂ©britĂ©s et retransmission mĂ©diatisĂ©e dans le monde entier de l’Ă©vĂ©nement. Alors, au mieux, on « admire » les soignants ou on les applaudit. Et, tout ordinairement, on peut les nĂ©gliger. On peut aussi les plaindre car cela ne coĂ»te pas grand chose non plus. Pourtant, les soignants, comme bien d’autres gens, des artistes inconnus, ou d’autres personnes exerçant dans d’autres professions, sont des travailleurs. Mais pas de petite poudre magique pour eux afin d’amĂ©liorer leur statut ou leurs conditions de travail. Pour eux, et pour tant d’autres- les invisibles et les ratĂ©s du box-office de la rĂ©ussite Ă©conomique- la vie sera dure. Les conditions de travail. Le salaire. L’Ă©pargne ou la retraite. La santĂ©. Tout sera susceptible d’ĂȘtre dur ou de le devenir pour eux, s’ils n’apprennent pas Ă  encaisser et Ă  esquiver.

A un moment donnĂ©, soit, on sait encaisser. Soit, on se fait lessiver. 

Enfin, si les polars connaissent autant de succĂšs, c’est aussi parce qu’ils racontent souvent l’histoire de grĂąces et d’innocences qui ont Ă©tĂ© saccagĂ©es. Et nous connaissons, intimement, ce genre de vĂ©ritĂ©s. Donc, travailler, travailler, travailler, ne suffit pas.

 

C’est Ă©tonnant comme le simple fait de reprendre les footing peut  vous dĂ©vergonder. J’étais plus Ă©teint que ça en partant courir ce matin.

La « petite » Aya Nakamura, elle, avait compris tout ça bien plus tĂŽt que moi, et sans avoir besoin de faire des footing. C’est pour ça qu’elle a rĂ©ussi et, qu’aujourd’hui, elle peut nous faire danser.

 

 

 

La librairie Presse Papier :

Il y a quelques jours, un collĂšgue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion Ă  la mort d’Alisha ( Marche jusqu’au viaduc). Mais c’était pour lui un Ă©vĂ©nement comme un autre. Il a vite occupĂ© ses pensĂ©es Ă  tenir sa tasse de cafĂ© ou Ă  d’autres sujets. ( Quelques jours plus tard, sans que cela ait Ă©videmment de rapport avec le dĂ©cĂšs de la jeune Alisha,  j’apprenais que ce collĂšgue avait attrapĂ© le Covid)

Ce matin, en allant acheter le journal dans la librairie du centre-ville, j’ai pris le temps de discuter avec le gĂ©rant et un habituĂ©. Les deux hommes se connaissent bien visiblement. Le premier habite Argenteuil depuis quarante ans. Le second, enseignant Ă  la retraite, est nĂ© Ă  Argenteuil. Militant, je l’ai dĂ©jĂ  vu distribuer des tracts Ă  la sortie de l’école. Il m’a appris ce matin ĂȘtre Ă  l’origine de la crĂ©ation du salon du livre d’Argenteuil. Mais aussi de l’association Lire sous les couvertures.

 

Mais il m’a appris davantage : la voie expresse qui, aujourd’hui, coupe les Argenteuillais des berges de la Seine n’existait pas avant
.1970. Grosso modo, lorsque Jimi Hendrix a fait son concert fin 1969 et dĂ©but 1970 ( le concert d’Aretha Franklin date de 1971), il existait une promenade le long de la Seine. On organisait mĂȘme des cross sur cette promenade qui aurait existĂ© de 1820 Ă  1970.

 

Sur le chemin de halage, vers Argenteuil, ce mercredi 7 avril 2021. Sur la fin de mon footing, de retour d’Epinay Sur Seine. C’est sous ce viaduc que le 8 mars, Alisha….

 

 

Tout Ă  son rĂ©cit, D m’a parlĂ© du chemin de halage du cĂŽtĂ© du viaduc. Marcheur, D s’est enthousiasmĂ© pour le travail « extraordinaire Â» qui avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© sur ce chemin de halage pour le rendre agrĂ©able. Il m’a confirmĂ© briĂšvement. Oui, c’était bien lĂ , sous le viaduc qu’il y avait eu le fait divers
.puis, il a poursuivi son argumentaire concernant la façon dont l’amĂ©nagement de la ville Ă©tait mal gĂ©rĂ©. D m’a appris qu’il avait un blog, trĂšs bien fait, alimentĂ© rĂ©guliĂšrement, dans lequel il parlait d’Argenteuil. Il m’a invitĂ© Ă  le lire. Je lui ai aussi parlĂ© du mien mais cela n’a pas paru lui parler plus que ça. Je ne sais pas si D prĂ©fĂšre Ă©couter Aya Nakamura ou lire son blog. Je ne sais pas non plus si elle en a un. Par contre, en quittant la librairie, je savais que j’allais retourner au viaduc. J’ai un moment pensĂ© Ă  faire le parcours Ă  vĂ©lo afin de bien profiter de la Seine sans trop me fatiguer. Puis, je me suis rapidement dit que ce serait une bonne occasion de reprendre le footing. Afin de voir oĂč j’en Ă©tais.

 

Le chemin de halage :

Je m’étais mis en tĂȘte de courir trente minutes pour une reprise. Sans aucune idĂ©e du temps qu’il me faudrait pour arriver au viaduc.

 

Les dix premiĂšres minutes ont Ă©tĂ© un peu inconfortables. Car mon corps n’était plus habituĂ© au footing. Mais, trĂšs vite, j’ai perçu que mon cƓur, lui, Ă©tait au rendez-vous. Peut-ĂȘtre les effets de mes trajets Ă  vĂ©lo depuis bientĂŽt deux mois depuis la gare St-Lazare pour aller Ă  la travail. A chaque fois, Ă  l’aller comme au retour, trente minutes de vĂ©lo.

 

 

Il m’a fallu douze minutes, Ă  allure douce, pour arriver au viaduc. J’avais le soleil de face. J’ai continuĂ© sur le chemin de halage jusqu’à arriver Ă  Epinay sur Seine, ville de tournage de cinĂ©ma. Mais ville, aussi, oĂč se trouve une clinique psychiatrique oĂč il a pu m’arriver de faire des vacations. Je pouvais alors m’y rendre en environ vingt minutes en voiture. LĂ , j’avais mis Ă  peu prĂšs trente trois minutes en footing. A vĂ©lo, j’en aurais sĂ»rement pour 20 minutes, peut-ĂȘtre quinze, par le chemin de halage. Le centre Aqua92 de Villeneuve-la-Garenne, oĂč les trois fosses et le bassin de 2,20 de profondeur, permettent de pratiquer apnĂ©e et plongĂ©e n’était pas si loin que ça. MĂȘme s’il devait rester quinze Ă  vingt minutes de footing pour y arriver.

 

Je me suis arrĂȘtĂ© pour marcher. Prendre le temps de souffler. Quelques photos. AprĂšs dix minutes, je suis reparti en sens inverse. A l’aller comme au retour, les gens que j’ai croisĂ©s, promeneurs, coureurs, Ă©taient enclins Ă  dire bonjour. L’absorption des relations sociales par le confinement et la pandĂ©mie favorisaient peut-ĂȘtre ces Ă©changes simples.

 

 

Je prenais des photos de ce « bateau-Ă©cole » lorsque G…, me voyant faire, a ouvert la porte pour me renseigner. Elle m’a donnĂ© quelques explications, m’a remis une brochure avec les tarifs. Puis, je suis reparti.

 

Je commençais Ă  en avoir plein les cuisses. L’acide lactique. Ça m’a Ă©tonnĂ© parce-que je ne courais pas particuliĂšrement vite. Cela devait venir du manque d’entraĂźnement, sans doute.

 

A l’approche du viaduc, j’ai ralenti. Encore quelques photos. J’étais prĂšs du mur des fleurs Ă  la mĂ©moire d’Alisha, lorsque la sirĂšne du premier mercredi du mois a retenti. Je ne pouvais pas filmer meilleure minute de silence qu’avec cette sirĂšne.

 

 

 

Devant tout ce bleu, tout ce soleil, je me suis dit que la mort d’Alisha, d’une certaine maniĂšre Ă©tait un sacrifice. Et, qu’est-ce qu’un sacrifice, si ce n’est une mort- ou un soleil- qui permet Ă  d’autres de vivre ou qui leur indique le chemin qu’ils doivent suivre pour continuer de vivre ?

 

Photo ce mercredi 7 avril 2021, depuis l’endroit oĂč le 8 mars, Alisha a Ă©tĂ© poussĂ©e dans la Seine aprĂšs avoir Ă©tĂ© tabassĂ©e.

 

 

AprĂšs la minute de silence, j’ai fait le tour du viaduc dans le sens inverse de la derniĂšre fois sans m’attarder. En faisant ça instinctivement, j’ai eu la soudaine impression de dĂ©faire le cercle de la mort.

 

MĂȘme endroit que la photo prĂ©cĂ©dente, ce mercredi 7 avril 2021. En regardant dans la direction d’Epinay-sur-Seine.

 

Evidemment, je n’irai pas expliquer ça aux parents d’Alisha, ni à ses proches ou à celles et ceux qui l’ont connue de prùs. Et, je ne crois pas que j’aimerais que quelqu’un vienne me tenir ce genre de propos si je perdais une personne chùre.

 

Ce mercredi 7 avril 2021, en rentrant sur Argenteuil vers la fin de mon footing.

 

 

Pourtant, sans cette mort le 8 mars, je ne serais pas venu jusqu’à ce viaduc. Je n’aurais peut-ĂȘtre jamais pris ce chemin de halage alors que cela fait dĂ©jĂ  14 ans que je vis Ă  Argenteuil.

Ce chemin de halage, je l’avais supposĂ© depuis Epinay Sur Seine oĂč je m’étais rendu en voiture ou Ă  vĂ©lo. Mais sans savoir qu’il pouvait aller jusqu’à Argenteuil.

Et, j’avais dĂ©jĂ  entendu un Argenteuillais, adepte du footing, en parler, il y a trois ou quatre annĂ©es, mais cela Ă©tait restĂ© trĂšs abstrait pour moi. Je n’imaginais pas un tel chemin, aussi Ă©tendu, aussi large, aussi agrĂ©able. Et, Ă  travers tout le bleu de ce mercredi 7 avril,  je comprends qu’Alisha, le 8 mars, ait pu trĂšs facilement accepter de suivre celle qui a servi d’appĂąt, comme le titre du film de Bertrand Tavernier qui avait Ă©tĂ© inspirĂ© d’un fait divers. 

Lorsque je suis venu ici pour la premiĂšre fois ( Marche jusqu’au viaduc ),  il faisait plus sombre. Et je m’Ă©tais dit qu’Alisha avait vraiment dĂ» se sentir en confiance pour venir dans un endroit pareil. Mais le 8 mars, il faisait peut-ĂȘtre beau.

 

Lorsque l’on compare les photos que j’ai faites de cet endroit la premiĂšre fois que j’y suis venu, le 16 mars, avec celles de ce mercredi 7 avril, on remarque que la lumiĂšre et l’atmosphĂšre sont trĂšs opposĂ©es. Ce mercredi 7 avril, la lumiĂšre est trĂšs belle. J’ai postĂ© une des photos de ce jour, prise depuis le chemin de halage ( celle qui ouvre cet article) sur ma page Facebook, et elle a plu Ă  plusieurs personnes. Elle me plait aussi. Tout ce bleu. Ce soleil. 

Comme ces photos prises deux jours diffĂ©rents, malgrĂ© tout le bĂ©ton dont l’ĂȘtre humain s’entoure, notre nature se lĂ©zarde et mue. Ces mues ne sautent pas aux yeux Ă  premiĂšre vue. Elles sont d’abord invisibles, souterraines, imperceptibles, lĂ©gitimes ou illĂ©gitimes. Mais elles surviendront, pour le pire ou le meilleur, si elles trouvent un moyen ou un chemin pour s’affirmer et s’affranchir de nos secrets.  De nos codes. De nos limites.

Ces mues, nos changements, de comportement, tenteront de s’adapter et de s’habituer au grand jour et au monde. Ils seront parfois aussi violents qu’Ă©phĂ©mĂšres. On peut d’abord penser Ă  des crimes ou Ă  des actes monstrueux. Mais on peut aussi penser Ă  certaines carriĂšres fulgurantes :

Jimi Hendrix est mort ultra-cĂ©lĂšbre Ă  27 ans alors qu’il ne pratiquait la guitare que depuis une douzaine d’annĂ©es…… on nous parle encore d’Amy Winehouse, de Janis Joplin, de tel acteur ou tel actrice « parti(e) trop vite… » . On peut aussi penser Ă  des aventuriers de l’extrĂȘme morts trop jeunes tels que l’apnĂ©iste LoĂŻc Leferme . Ou mĂȘme Ă  l’apnĂ©iste… Audrey Mestre.

 

En m’éloignant du viaduc, un homme noir d’une soixante d’annĂ©es semblant venir de nulle part, partait comme moi. Il marchait et avait du mal Ă  remonter la pente. Il avait baissĂ© son masque anti-covid sĂ»rement pour mieux reprendre son souffle. Je l’ai dĂ©passĂ© en reprenant mon trot. Ce faisant, je l’ai saluĂ©. Il m’a rĂ©pondu, un peu Ă©tonnĂ©. Puis, je l’ai distancĂ©. Je serai peut-ĂȘtre ce vieil homme, un jour.

 

Lorsque j’ai retrouvĂ© la route d’Epinay, en allant vers Argenteuil, un bus 361 m’a dĂ©passĂ©. Puis, j’en ai un croisĂ© un autre un peu plus loin. A l’aller, aussi, j’avais croisĂ© un 361. Cet itinĂ©raire est vraiment bien desservi par le bus.

 

En rentrant chez moi, je suis repassĂ© devant le hammam. Il avait l’air ouvert. Je me suis dit que j’y retournerais. Et que cela me permettrait, aussi, de profiter de leur trĂšs bon thĂ© Ă  la menthe.

 

Franck Unimon, ce mercredi 7 avril 2021.( complété et finalisé ce mardi 13 avril 2021).

 

 

 

 

 

 

Catégories
Moon France Musique self-défense/ Arts Martiaux

Rété Simp

 

                                                                RĂ©tĂ© Simp

Ce fut le titre que je n’ai pas citĂ© le 16 mars. Lorsque j’ai marchĂ© jusqu’au viaduc oĂč, ce 8 mars 2021, la jeune Alisha Khalid a Ă©tĂ© battue par deux de ses camarades puis « dĂ©chargĂ©e Â» dans la Seine. OĂč son affaiblissement – du Ă  ses blessures-  ajoutĂ© Ă  l’hypothermie, l’impuissance et le dĂ©sespoir sans doute lui ont enlevĂ© sa vie par noyade.

 

RĂ©tĂ© Simp ( « Reste simple Â»/ « Reste modeste »/ « arrĂȘte de te la pĂ©ter » en crĂ©ole guadeloupĂ©en mais aussi martiniquais) est un titre de zouk de l’artiste Jean-Michel Rotin qui date des annĂ©es 90 ou peut-ĂȘtre du dĂ©but des annĂ©es 2000. Il faisait alors partie du groupe Energy. Il est le deuxiĂšme en partant de la gauche sur la photo. 

 

Je n’avais pas envie de zouker quand j’ai Ă©critMarche jusqu’au viaduc . C’est sĂ»rement pour cela que j’ai alors « oubliĂ© Â» de citer RĂ©tĂ© Simp.

 

Pourtant, ce titre, je l’avais aussi « entendu Â» alors que je me rapprochais du viaduc sous la A 15. Mais d’autres Ă©motions avaient enserrĂ© le dessus de mes pensĂ©es. Des Ă©motions que plusieurs personnes – qui ont lu l’article- m’ont aussi exprimĂ© que ce soit par un mot sur ma page Facebook, un « signe Â» ou un sms.

 

Avant hier, particuliĂšrement, j’ai passĂ© quelques moments difficiles Ă©motionnellement Ă  « repenser Â» de prĂšs ou de loin, au meurtre d’Alisha. Il arrive aussi que depuis le train que je prends pour aller au travail, j’aperçoive au loin, furtivement, le viaduc sous lequel cela s’est passĂ©.

 

Au vu de ma sensibilitĂ© « augmentĂ©e Â», je me suis demandĂ© si j’étais proche d’un « ressenti traumatique». Mais je crois ĂȘtre  Â« simplement Â» nĂ©vrosĂ©. Et touchĂ© par ce qui est arrivĂ©.

 

Les images que « j’ai Â»

 

 

Moi, le cinĂ©phile, je n’ai pas revu beaucoup de films depuis quelques mois. Mais cela a plus Ă  voir avec le contexte Covid qui a remixĂ© nos existences- et en partie nos consciences- depuis un an, maintenant.

 

Le « nouveau Â» reconfinement depuis un ou deux jours, Ă  mon avis, m’affecte nettement moins que le tout premier de l’annĂ©e derniĂšre Ă©galement au mois de mars. L’annĂ©e derniĂšre, Ă  la mĂȘme date, comme la plupart, je me faisais tabasser par l’atmosphĂšre de fin du monde qui menaçait de m’encorner pratiquement Ă  n’importe quel moment avec la puissance du phacochĂšre. Une Ă©poque oĂč les masques anti-Covid Ă©taient une denrĂ©e rare ou vite Ă©puisĂ©e. Et oĂč on se rendait au travail en franchissant les « tranchĂ©es Â» de rues vides la gueule offerte faute de masques. Lesquels ont commencĂ© par ĂȘtre parachutĂ©s par milliers dans les supermarchĂ©s Ă  partir du dĂ©but du mois de Mai. J’avais rĂ©alisĂ© quelques diaporamas ( Panorama 18 mars-19 avril 2020 )de cette « pĂ©riode Â» alors Ă©trange et hors norme, aujourd’hui, assez banalisĂ©e : aujourd’hui tout le monde a un masque anti-Covid sur lui voire plusieurs de rechange. Et ne pas en porter est un dĂ©lit. Sauf si l’on fait son footing ou que l’on se dĂ©place Ă  vĂ©lo. Ou que l’on est seul en voiture. Ou en famille.

 

Paris, Place de la Concorde, en allant au travail, ce vendredi ou ce samedi matin.

 

 

Ce Mercredi, avant ce nouveau « reconfinement Â» dĂ©clarĂ©,  je suis donc allĂ© faire provision de nouveaux blu-ray dans un des magasins oĂč je « m’alimente Â» prĂšs du centre Georges Pompidou. Ce ravitaillement n’a rien Ă  voir avec le nouveau confinement alors encore hypothĂ©tique. J’étais alors dans le coin et cela faisait plusieurs mois que je n’étais pas allĂ© dans ce magasin oĂč l’on peut trouver des Blu-Ray et des dvds neufs en promotion.

 

Les images que j’ai, ces derniers jours, sont principalement faites de ces moments que je vis au quotidien avec mes proches ou d’autres, au travail ou ailleurs. Mais aussi de ces photos que je prends et dont j’ai commencĂ© Ă  parler dans la nouvelle rubrique VĂ©lo Taffe VĂ©lo Taffe : une histoire de goudron). C’est peut-ĂȘtre le monde tel que j’aspire encore Ă  le voir.

 

Il y a peu de livres, aussi, qui m’apportent des images en ce moment. Ainsi, je n’ai pas rĂ©ussi Ă  terminer Verre cassĂ© d’Alain Mabanckou, livre que j’avais pourtant commencĂ© Ă  lire il y a bientĂŽt deux mois. Alors qu’il me reste seulement trente pages Ă  lire et que je l’ai aimĂ© par endroits. Mais je reste un assidu du Canard EnchaĂźnĂ©  et du TĂ©lĂ©rama que je parcours par « strates Â». Et du journal gratuit quand je tombe dessus.

 

Plusieurs fois par semaine, aussi, depuis plusieurs semaines, j’écoute des podcasts. Pour cela, je peux remercier la technique de plus en plus performante en matiĂšre de stockage et de tĂ©lĂ©chargement de nos smartphones que nous payons si chers. MĂȘme si les conditions d’extractions des minerais nĂ©cessaires Ă  la construction de nos « doudous-portables Â» en font aussi l’équivalent de doudous de sang. Surtout en en changeant au bout de quelques mois ou chaque annĂ©e.  

 

Enfin, grĂące Ă  un podcast consacrĂ© au photographe «  de guerre Â» Patrick Chauvel -que je ne connaissais pas- je vais peut-ĂȘtre recommencer Ă  lire. Car il a Ă©crit :

 

Rapporteur de guerre, Sky et un autre livre que j’ai rĂ©ussi Ă  trouver d’occasion sur le net.

 

 

« Tu veux ĂȘtre bon,  va oĂč est le carnage Â» :

 

Le Maitre d’Arts martiaux Kacem Zoughari a citĂ© cette phrase – en Japonais- d’un de ses anciens Maitres japonais.

 

J’avais citĂ© cette phrase lors de mon pot de dĂ©part pendant mon discours il y a un peu plus de deux mois maintenant dans mon prĂ©cĂ©dent service :

 

«  Tu veux ĂȘtre bon, va oĂč est le carnage Â».

 

 

 AprĂšs l’article Marche jusqu’au viaduc, je peux maintenant m’apercevoir un peu plus Ă  quel point j’étais raccord avec cette phrase. Et ce n’est peut-ĂȘtre que le dĂ©but.

 

Je n’ai jamais aimĂ© le mois de  Mars. Pourtant, le mois de Mars, si je rĂ©flĂ©chis maintenant, c’est bien le mois ou le Dieu de la guerre.

 

Lorsque ce mois de mars a commencĂ© cette annĂ©e, je me suis dit qu’il allait passer vite compte-tenu de mes divers projets. Et c’est vrai. MĂȘme si je ne m’attendais pas Ă  certains Ă©vĂ©nements dans ma ville et dans ma vie comme la mort de la jeune Alisha que je ne connaissais pas.

 

 Aujourd’hui, nous sommes dĂ©ja le premier jour du printemps, le 21 mars 2021.

 

Reste simple :

 

Jean-Michel Rotin, un temps surnommĂ© «  le MichaĂ«l Jackson Â» du Zouk, est beaucoup moins connu que le groupe Kassav’ ou le « fameux Â»â€Š..Francky Vincent. Mais il a apportĂ© une nouveautĂ© en mĂ©langeant la « r’n’b Â» et le « Rap Â» avec le zouk dans les annĂ©es 90. Kassav’ avait frappĂ© plusieurs fois Ă  coups de maillet Ă  partir du milieu des annĂ©es 80 sur la production musicale antillaise mais aussi mondiale. Scellant l’envolĂ©e du Zouk. En Afrique, en AmĂ©rique du sud et jusqu’au aux Etats-Unis oĂč un Miles Davis, « un peu Â» condescendant, avait pu faire la « leçon Â» Ă  un journaliste :

«  Cette musique, ça s’appelle le Zouk. Kassav’, vous connaissez ? Â».

 

Dans les annĂ©es 90, sans atteindre l’envergure internationale de Kassav’, Rotin Ă©tait apparu avec son style qui le dĂ©marquait d’autres artistes de zouk qui rejouaient la « formule Â» Zouk sans trop de particularitĂ©s.

 

Aujourd’hui, Jean-Michel Rotin fait partie des « vieux Â» artistes ( les annĂ©es 90-2000, c’est « loin Â») et je ne sais pas si on peut encore le trouver novateur. Mais, Ă  une Ă©poque, certains artistes de zouk bonifiaient leur musique lorsque Rotin se retrouvait impliquĂ© Ă   la partition ou dans la production.

 

Il y a quelques mois, j’ai trouvĂ© une interview  de lui. Elle date de plusieurs annĂ©es, avant la pandĂ©mie du Covid. Dans cette interview, il exprimait une certaine amertume envers l’industrie du disque. Il estimait s’ĂȘtre fait arnaquer au moins Ă©conomiquement du fait de sa « naĂŻvetĂ© Â» et de son « ignorance Â» lors de sa pĂ©riode fastueuse. Il faisait aussi part de cette pĂ©riode oĂč sa principale activitĂ©, comme l’artiste Prince (qu’il cite) Ă©tait de crĂ©er un titre par jour. Mais aussi qu’on lui aurait « dit Â» qu’il allait « trop loin Â» dans sa recherche musicale. Cela aurait eu pour effet de brider sa production musicale. D’autant qu’il avait pu lui ĂȘtre reprochĂ© d’avoir « dĂ©naturĂ© Â» le Zouk. Je suis sĂ»r que d’autres personnes –artistes ou non- ailleurs dans le monde pourraient retrouver une partie de leur vie dans ce tĂ©moignage. L’artiste CĂ©dric Myton de l’ancien groupe de Reggae Congo ne raconte pas autre chose que Jean-Michel Rotin dans le documentaire Inna De Yard : The Soul of Jamaica rĂ©alisĂ© en 2018-2019 par Peter Webber

 

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, Rotin a son public. Et ce public comporte plusieurs gĂ©nĂ©rations.

 

Jean-Michel Rotin a d’autres titres bien plus connus que RĂ©tĂ© Simp : LĂ© Ou Lov’ , par exemple, a Ă©tĂ© un de ses premiers gros tubes. Ou AdiĂ© An Nou.  Il y a pu aussi y avoir le titre Stop qui, dans sa version studio, m’avait moyennement plu, mais qui sur scĂšne prenait toute sa force. Plus rĂ©cemment, mĂȘme si ça date de plusieurs annĂ©es maintenant, sa reprise du titre Begui Begui Bang avait bien marchĂ© Ă  ce que j’avais compris. Et il a fait d’autres tubes.

 

 

 

Un ou une compatriote « opiniĂątro- Rotinophile Â» me reprochera sĂ»rement d’avoir omis une quantitĂ© astronomique des tubes produits par Jean-Michel Rotin. Et me fera sĂ»rement remarquer qu’une sĂ©rieuse formation de remise Ă  niveau s’impose de maniĂšre urgente- et critique- pour moi.

 

Mais ma prioritĂ©, ici, est de parler de Jean-Michel Rotin et de contribuer, selon mes moyens, Ă  le faire connaĂźtre un petit peu plus. Je rappelle qu’en France, comme d’autres artistes antillais, Rotin reste bien moins connu que Francky Vincent.

 

Francky Vincent a aussi ƓuvrĂ© pour la musique antillaise et est loin d’ĂȘtre le grand « niais Â» ou l’animateur « pour virĂ©es tropicales Â» façon Club Med qu’il a l’air d’ĂȘtre pour certains amies  et amis « mĂ©tros Â». Francky Vincent a aussi pu composer des titres engagĂ©s sur la sociĂ©tĂ© antillaise. Mais, mĂȘme si je suis trĂšs loin d’ĂȘtre Ă  jour, il  y a d’autres artistes qui « comptent Â» en dehors de Francky Vincent et de Kassav’ lorsque l’on parle de Zouk aux Antilles. Jeunes et moins jeunes. Comme le groupe Akiyo dont Kassav’ a utilisĂ© un des titres pour l’ouverture de ses concerts il y a deux ou trois ans. A la fĂȘte de l’HumanitĂ© par exemple : 

Kassav’  et Quelques photos de la fĂȘte de l’Huma 2019 

 

Cependant, pour reparler de Jean-Michel Rotin, je trouve que le titre Mwen Ni To reste sous-estimĂ©. Mais je n’étais pas « au pays Â» Ă  sa sortie pour pouvoir ĂȘtre pĂ©remptoire.

 

Les clips des chanteurs et chanteuses de Zouk peuvent apparaßtre trÚs kitsch, clichés ou ridicules. Plusieurs révolutions de la pellicule sont sans doute nécessaires.

 

Toutefois, il faut alors se rappeler que le but du Zouk n’est pas de rivaliser avec le cinĂ©ma d’un Wong-Kar-Wai ou d’un Lars Von Trier. Ni de se prĂ©parer Ă  effectuer des Ă©tudes de philo ou de sociologie Ă  la fac en rĂ©flĂ©chissant Ă  la pensĂ©e d’un Cioran ou d’un Durkheim. Mais d’abord de trouver et de donner de la force et du plaisir pour vivre et ĂȘtre ensemble malgrĂ© la duretĂ© de la vie.  Et, cela part du corps et du bassin. Ce que le groupe Kassav’énonce dans son titre Zouk La SĂ© Sel MĂ©dikaman Nou Ni, un de ses nombreux tubes. Mais aussi au moins
. le rĂ©alisateur Quentin Dupieux alias Mr Oizo Ă  travers Duke le flic ripoux- et mĂ©lomane- de son film Wrong Cops que l’on put d’abord voir dans une version court-mĂ©trage ( 2012-2013). Film dans lequel on peut voir le chanteur Marilyn Manson hilarant dans son rĂŽle de David Dolores Frank.

 

Le titre Zouk La SĂ© Sel MĂ©dikaman Nou Ni est peut-ĂȘtre moins connu – pour certains « jeunes Â» et moins jeunes- que le Djadja d’Aya Nakamura. Mais c’est nĂ©anmoins un tube mondial. Et presque aussi intergĂ©nĂ©rationnel que le Sex Machine de James Brown lĂąchĂ© dans les oreilles
.en 1966. Si je ne me trompe pas.  

https://youtu.be/1UzZUfFUnxY

 

Enfin, rappelons que Jocelyn BĂ©roard, une des meneuses du groupe Kassav’, faisait partie des chƓurs lors de l’enregistrement du titre RĂ©tĂ© Simp de Jean-Michel Rotin.

Un Art suprĂȘme :

 

 

John Coltrane a composĂ© entre autres le titre A Love Supreme.

 

 

Pour moi, la musique fait partie des Arts suprĂȘmes. Avant et devant le cinĂ©ma. Si les images nous parlent, la musique, elle, est l’étincelle qui peut nous dĂ©clencher avec trĂšs peu. Qu’un titre ait deux jours, cinq mois ou cinquante ans, si le cuivre dont est fait son rythme, son horizon ou son poids, sont calibrĂ©s pour nous, ils peuvent nous suivre jusqu’à la mort. Ou semblent nous avoir toujours attendus.

 

Parfois, ce mĂȘme titre parlera aussi Ă  d’autres. Parfois, pas. Mais ça ne changera rien pour nous. Il fera toujours partie de notre appareil vestibulaire et de notre vestiaire. Il sera toujours Ă  notre adresse.

 

Bien-sûr, tous les arts comptent. Mais un monde sans musiques
.

 

La musique que l’on aime Ă©couter brĂ»le l’horreur. Elle nous aide Ă  la soutenir, Ă  la convertir et Ă  la contourner. Bob Marley a pu chanter :

 

« Hit me with Music ! Â». Il n’a pas chantĂ© : « Frappez-moi avec des mathĂ©matiques ! Â». Ou « Frappez-moi avec les concepts spĂ©cifiques Ă  la PhĂ©nomĂ©nologie ! Â». MĂȘme si ces disciplines ont bien-sĂ»r leur rĂŽle Ă  jouer.

 

La musique peut nous aider Ă  nous redresser. Elle nous entraĂźne afin de continuer- Ă  vivre- mĂȘme lorsque l’horreur et la tristesse nous passent et nous repassent dessus.

 

 

Pour moi, le rire est pareil. C’est aussi notre rĂ©volution : on ne passe pas notre temps qu’à subir et Ă  se rĂ©duire. On rĂ©agit, aussi. On crĂ©e son Big Bang. On anticipe.

 

Cela ne fait pas de nous des Dieux, des super-héros ou des super puissances. Mais on existe. On apprend à supporter notre matiÚre et les tourments qui peuvent aller avec.

 

Le rire et la musique nous donnent le droit d’exister. Ce droit n’est pas donnĂ© Ă  tout le monde. Il y a des personnes qui en sont privĂ©es. Et d’autres qui s’en dĂ©tournent.

 

Ce dimanche 21 mars 2021, je ne vais pas me priver.

 

Depuis quelques jours, je « dĂ©couvre Â» Georges Brassens. Jusqu’à maintenant, je n’aimais ni sa voix ni son rythme. Mais, il y a quelques jours, par le titre Je me suis fait tout petit, je crois avoir trouvĂ© une entrĂ©e, mon entrĂ©e, dans son Ɠuvre. LĂ  oĂč des alpinistes vont trouver une-nouvelle- voie pour escalader une montagne.

 

 

 

Il faut quelques fois un titre pour trouver son propre passage vers un artiste. Comme il faut quelques fois son moment particulier pour trouver son passage vers quelqu’un ou vers une nouvelle discipline.

 

Ensuite, chef d’Ɠuvre, ratĂ©, meurtre, ou massacre, le rĂ©sultat dĂ©pend de la co-composition – ou co-crĂ©ation- des uns et des autres.

 

De ce que l’on est capable de dĂ©tecter et de fabriquer. Des ressources que l’on peut –accepter- trouver chez d’autres. Ou leur apporter.

 

AprĂšs  Brassens, il y aura le titre Hear my Train A Comin’ de Jimi Hendrix car, pour moi, c’est l’un des meilleurs alliĂ©s du titre de John Lee Hooker Oh, Come back, Baby, Please Don’t Go
 One More Time.

 

( il existe différentes versions souvent plus étendues du titre  » Hear My Train A Coming »).

 

 

 

Une autre fois, je parlerai peut-ĂȘtre de Dub,  de Maloya ou de Miles (Davis).

Paris, ce vendredi 19 mars ou samedi 20 mars 2021, le matin.

 

 

Franck Unimon, dimanche 21 mars 2021.

 

Catégories
Moon France Musique

Ann O’Aro

 

J’ai pris en photo la pochette de cet album il y a un an. Le 27 septembre 2018 exactement. J’ai beaucoup aimĂ© cet album. Mais je n’avais pas osĂ© en parler ou Ă©crire Ă  son sujet. J’avais commencĂ© et puis je me suis arrĂȘtĂ©.

 

MĂȘme aujourd’hui, en le faisant, je me demande avec une certaine inquiĂ©tude ce qui va m’arriver.

Peut-ĂȘtre parce-que Ann O’aro est une trĂšs belle femme et que sa voix est Le prĂ©cipice qui me jette Ă  la tĂȘte cette mauvaise conscience que je tĂšte.

Peut-ĂȘtre que sa douleur me coupe et que, par une soudaine infusion, je bats ma coulpe.

 

Lorsque je l’écoute, je me tiens Ă  distance. Sa voix authentifie certaines de mes peurs. Ainsi que l’innocence dont le poids me rappelle comme je suis lĂ©ger devant le danger. Et qu’il me mange, moi, mes rĂȘves, ma langue, mon squelette et tout ce qui va avec avant mĂȘme que je puisse lancer un seul des gestes auxquels j’avais promis de plaire.

Le soupçon est l’hameçon que le danger me laisse pour tout horizon.

 

Il me semble que si l’on Ă©coute Ann O’aro et que l’on est un garçon, si l’on est un enfant, on peut s’en sortir et savoir comment l’approcher avec suffisamment de douceur. Par contre, si l’on est un homme adulte et que l’on «sait », alors, on s’épuise, on se dĂ©courage puis l’on se repousse car on se sent l’auteur impuissant d’un carnage. Etre prĂšs d’elle est risquĂ© :

Comment savoir ce que l’on est et ce que l’on fait vĂ©ritablement alors que l’on marche, transformĂ©, sur le feu et que le feu est la peau de quelqu’un d’autre ?

 

Lorsque j’écoute Ann O’aro, plus je trouve ça beau, plus je me sens mal Ă  l’aise. Et cela arrive souvent. J’ai tellement de mal Ă  retenir ne serait-ce que l’orthographe pourtant simple de son nom. Cela fait pourtant tellement de fois que j’ai lu  et relu son nom d’artiste. La bassesse et le mal qu’elle transforme en Haut, j’ai l’impression que c’est moi qui les ai faits.

Bien-sĂ»r, c’est une illusion. C’est en tout cas ce que je crois. Elle et moi ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrĂ©s. Pourtant, j’en ai l’impression, encerclĂ©, ensorcelĂ©, dĂ©fiĂ© ?, par ce chant de paon qui me fait voir de toutes les couleurs et me prive de toute certitude.

 

Franck Unimon, jeudi 3 octobre 2019.

Catégories
Cinéma Moon France

Kassav’

 

 

Kassav’ un documentaire de Benjamin Marquet

En replay sur FR3 jusqu’au 29 juillet 2019.

 

« L’histoire de Kassav’, c’est l’histoire du groupe français le plus connu au monde » commente le narrateur Thierry Desroses. Le documentaire a alors dĂ©butĂ© depuis une minute et trois secondes. Il dure un peu moins d’une heure vingt pour dĂ©crire plus de quarante ans de musique et de conscience.

Car la musique de Kassav’, le Zouk, est une musique dansante et consciente. Moins frontale politiquement que le Reggae qui est au dĂ©part une musique militante ( comme rappelĂ© dans le bon « documentaire » Inna de Yard de Peter Webber en salles depuis ce 10 juillet 2019) , le Zouk de Kassav’ comporte aussi des chroniques du quotidien des Antilles françaises. A l’opposĂ© d’un groupe comme La Compagnie crĂ©ole un tout petit peu critiquĂ© dans le documentaire Kassav’ de Benjamin Marquet. L’artiste Francky Vincent aussi (trĂšs) connu en France pour ses chansons « lĂ©gĂšres » n’est pas mentionnĂ© dans le documentaire. Cependant, aux cĂŽtĂ©s de certains des titres « charnels » de Francky Vincent, je me souviens d’un de ses titres oĂč il dĂ©nonçait le droit de cuissage au travail dans les annĂ©es 80. Je ne me rappelle pas que La Compagnie CrĂ©ole ait abordĂ© ces thĂšmes dans ses tubes :

 

« Le droit de cuissage au travail, c’est bon, bon ! Bon, bon ! C’est bon, pour le moral ! ».

 

Je ne crois pas un instant que La Compagnie CrĂ©ole ait interprĂ©tĂ© ce genre de chanson. Le documentaire de Benjamin Marquet, lui, rappelle, qu’au dĂ©part, le groupe Kassav’ vient de la volontĂ© d’un homme, Pierre-Edouard DĂ©cimus
et des « Vikings ».

Pierre-Edouard DĂ©cimus, c’est le frĂšre aĂźnĂ© de Georges DĂ©cimus. Georges DĂ©cimus, c’est le bassiste d’origine de Kassav’ qui s’est Ă©clipsĂ© pendant quelques annĂ©es pour crĂ©er le groupe trĂšs populaire Volt-Face (aucun lien parental avec le film de John Woo ) puis qui est revenu Ă  Kassav’. Avant Kassav’, Pierre-Edouard DĂ©cimus jouait dans le groupe Les Vikings. Le nom de ce groupe de musique antillaise peut faire sourire :

Les Vikings annoncent des grands blonds aux cheveux lunatiques ou la figure divine de Thor pour les adeptes des comics et des mythologies scandinaves. Ce nom de groupe de musique antillaise oblige Ă  voir une certaine contradiction chez l’Antillais :

L’Antillais « susceptible » est ce personnage dĂ©plaisant qui, sans prĂ©venir, entre Ti-Punch et accra, peut vous rappeler l’humiliation d’avoir Ă©tĂ© obligĂ© d’apprendre l’Histoire « de nos ancĂȘtres, les Gaulois » comme de subir couramment dĂ©tournement ou dĂ©lit de faciĂšs et bavure policiĂšre. Ainsi, lors du documentaire, Elie Domota de l’UGTG, prĂ©sentĂ© comme « syndicaliste » (et non comme indĂ©pendantiste), se rappelle, enfant, avoir entendu quotidiennement la Marseillaise sur Radio Guadeloupe alors que son pĂšre allait partir au travail. Et, ce, dĂšs quatre heures cinquante du matin. Tandis qu’en France, le chant de la Marseillaise s’était depuis longtemps Ă©teint sur les ondes radiophoniques Ă  la mĂȘme Ă©poque nous apprend-il :

Elie Domota a pris soin de le vĂ©rifier plus tard auprĂšs de ses camarades croisĂ©s lors de ses Ă©tudes dans l’Hexagone. En Ă©coutant Elie Domota se remĂ©morer cette expĂ©rience, on comprend que celle-ci, cumulĂ©e Ă  d’autres pendant des annĂ©es, a beaucoup contribuĂ© Ă  (re)gĂ©nĂ©rer son instinct militant.

Mais le groupe Les Vikings, dont Pierre-Edouard DĂ©cimus est issu, et envers lequel il exprime toujours sa pleine reconnaissance dans ce documentaire, Ă©tait un groupe musicalement novateur aux Antilles. Jacques-Marie Basses, compositeur, fait partie de la vingtaine d’intervenants de ce documentaire. DerriĂšre lui, on peut voir une affiche montrant Miles Davis sur ses derniĂšres annĂ©es quand qu’il dĂ©clare :

« Les Vikings, ça n’avait dĂ©jĂ  rien Ă  voir avec ce qu’on pouvait appeler les orchestres de bal ».

 

Le groupe Les Vikings s’est reformĂ© il y’ a un ou deux ans et j’ai lu de trĂšs bonnes critiques sur lui. J’en parlerai peut-ĂȘtre un peu plus dans un autre article. Le batteur Christian PazĂ©, aujourd’hui dĂ©cĂ©dĂ©, un ami rencontrĂ© dans sa boutique consacrĂ©e Ă  la musique dans la commune de Ste-Rose, m’avait donnĂ© l’occasion de rencontrer au moins deux des musiciens du groupe Les Vikings :

Camille Sopran’n et Guy Jacquet.

C’était il y’a une bonne dizaine d’annĂ©es lors d’un de mes sĂ©jours en Guadeloupe. Je me doute que pour eux, j’ai Ă©tĂ© une rencontre parallĂšle-et oubliĂ©e- parmi tant d’autres d’autant que je ne suis pas musicien. Mais pour les avoir approchĂ©s et avoir un peu discutĂ© avec eux, je peux affirmer qu’ils avaient bien conscience de leur histoire comme de leurs origines.

Si la musique, c’est allier les morts et les vivants, parmi les morts se trouve VĂ©lo – Marcel Lollia dit VĂ©lo– MaĂźtre Ka. Un de mes cousins Ă©loignĂ©s, dĂ©cĂ©dĂ© dans le district des annĂ©es 80 ( le 5 juin 1984 Ă  52 ans), jamais rencontrĂ©, dont mon pĂšre m’avait un peu parlĂ©, et dont l’influence sur Kassav’ est signalĂ©e dans le documentaire. Ce documentaire sur la carriĂšre de Kassav’ est bien sĂ»r le fait de personnes encore bien vivantes. A moins que ces personnes ne fassent partie de ces Ă©toiles aujourd’hui disparues alors que leurs Ă©clats et leurs dĂ©cibels nous arrivent et nous sauvent. Parmi les tĂ©moins, vivants ou semblant l’ĂȘtre, de ce documentaire, donc, des musiciens reconnus et d’autres qui le sont moins :

Nile Rodgers est le premier tĂ©moin. Nile Rodgers, pour les plus jeunes, fera penser au groupe Daft Punk. Leur collaboration avait fait beaucoup parler il y’a deux ou trois ans. Mais Nile Rodgers, c’est d’abord le groupe Chic. Suivent Eric Virgal ( grand artiste antillais), Youssou N’Dour, Eduardo Paim, Wyclef Jean, Peter Gabriel, Rudy Benjamin, Manu Dibango, Pierre-Edouard DĂ©cimus, Philippe Conrath ( fondateur du festival Africolor mais aussi directeur du label Cobalt qui produit entre-autres les artistes de maloya Ann O’Aro et Danyel Waro), Danielle RenĂ© Corail, Manu KatchĂ©, Michel Fayad ( conservateur du musĂ©e Martinique), Jacques-Marie Basses ( artiste), Marcus Miller, Miles Davis ( archives), Aldo Middleton ( Maitre Ka), Erick Cosaque ( Maitre Ka), Elie Domota ( « Syndicaliste » UGTG), Fanfan du groupe Tabou Combo, Alpha Blondy, OphĂ©lia ( chanteuse de la Dominique et, entre-autres, du titre AĂŻe Dominique que j’ai pu Ă©couter Ă  la maison, Ă  Nanterre, quand j’étais prĂ©-adolescent), Bob Sinclar, Henri de Bodinat ( directeur de Sony France de 1985 Ă  1994), les Soroptimists d’Abidjan, Daniel Bamba Cheick ( Haut fonctionnaire ivoirien)
.

Pour Miles Davis (dĂ©cĂ©dĂ© en 1991), le Zouk de Kassav’ :

«(….) ça sonne Afro-Cubain mais ils ( Kassav’) mettent de la Samba et de la Rumba ensemble et des Beat africains et du Rock contemporain. Ça sonne bien ». Et Miles de dire dans ces archives qu’il a parlĂ© de leur musique Ă  Marcus Miller (compositeur, entre-autres, de ses derniers albums) afin que celui-ci s’en inspire ( pour l’album Amandla, dernier album studio enregistrĂ© par Miles de son vivant en 1989 ).

Eric Cosaque, Maitre Ka, parle CrĂ©ole lorsqu’il explique :

« La base de Kassav’, c’est le Gro-Ka et le gros Tambour qui Ă©tait la musique du peuple. Il faut aussi reconnaĂźtre la modernitĂ© des instruments. Ça permet aussi de ne pas rester figĂ©s ».

Devant un tel intĂ©rĂȘt manifestĂ© envers la musique de Kassav’, on pourrait se dire que le succĂšs de Kassav’ Ă©tait Ă©vident dans les annĂ©es 80. Pierre-Edouard DĂ©cimus rappelle tranquillement qu’avant le premier concert de Kassav’ au ZĂ©nith en 1985 :

« (
.) Les professionnels du show business français ( comprendre : « Blancs ») nous disaient :

« Mais ça ne peut pas marcher
.il n’y’a personne ( traduction : « Pas d’Antillais et pas de public- noir et autre- dĂ©sireux de se rendre au premier concert de Kassav’ au ZĂ©nith Ă  Paris) Ă  Paris. Nous, on avait la conviction que le public de Kassav’ Ă©tait Ă  Paris ».

 

En 2019, trente quatre ans plus tard, il est bien-sĂ»r trĂšs facile a posteriori de s’étonner de la cĂ©citĂ© de certains des dĂ©cideurs et professionnels culturels de 1985. Car quelques indices auraient pu ou auraient dĂ» leur faire pressentir le succĂšs possible d’un groupe comme Kassav’:

Si le film Black Mic-Mac de Thomas Gilou sortira un an plus tard ( en 1986) en 1983, soit deux ans plus tĂŽt, Euzhan Palcy rĂ©alisait le film Rue Cases-NĂšgres d’aprĂšs le roman de Joseph Zobel. Le film Rue Cases-NĂšgres, dont l’histoire dĂ©bute dans les annĂ©e 1930 ne parle pas de Zouk directement ou explicitement. Mais le film Rue Cases-NĂšgres aborde ouvertement devant la France nouvellement socialiste ( depuis 1981) du prĂ©sident François Mitterrand  les thĂšmes de l’esclavage, de l’identitĂ© antillaise et d’un fort dĂ©sir d’ascension sociale et culturelle.

AurĂ©olĂ© du soutien de François Truffaut ( dĂ©cĂ©dĂ© en octobre 1984) et de l’obtention de divers prix (CĂ©sar en 1984 de la Meilleure premiĂšre Ɠuvre, Lion D’Argent pour la meilleure premiĂšre Ɠuvre Ă  la 40 Ăšme Mostra de Venise
), le film Rue Cases-NĂšgres connaĂźt alors un succĂšs critique ainsi qu’un certain succĂšs public au moins auprĂšs du public antillais. Et des dĂ©cideurs et professionnels culturels un petit peu curieux de ce succĂšs ou « avant-gardistes », auraient pu ou auraient dĂ» prendre le temps de dĂ©couvrir et de prendre le pouls de cette Ɠuvre ainsi que de ce public et « voir » en un groupe comme Kassav’ un groupe prometteur ou digne d’intĂ©rĂȘt. Car, finalement, Kassav’ s’est rĂ©vĂ©lĂ© ĂȘtre la jonction entre Rue Cases-NĂšgres, l’Histoire qui la prĂ©cĂšde (donc l’Histoire de l’Afrique et de l’esclavage) et le quotidien des Antillais et des Africains que ce soit au pays, exilĂ©s en mĂ©tropole ou de par le monde.

Concernant l’histoire de Kassav’, malgrĂ© ces ratĂ©s de dĂ©part en termes de promotion, la consolation est double car elle impose Ă  nouveau des faits vĂ©rifiĂ©s ailleurs :

1) Certains groupes, artistes ou Ɠuvres, surgissent au moment adĂ©quat lorsque la maturitĂ© de leur art concorde avec celle de leur Ă©poque et de leur public. La rencontre entre les diffĂ©rentes parties est alors aussi inĂ©luctable qu’un coup de foudre entre diffĂ©rentes piĂšces du mĂȘme puzzle.

2 ) Si l’on peut suspecter un mĂ©pris Ă  caractĂšre raciste de certains promoteurs Ă  l’époque du premier ZĂ©nith de Kassav’, il est nĂ©anmoins beaucoup d’autres histoires de carriĂšres d’artistes et d’entreprises bloquĂ©es, sous-estimĂ©es ou freinĂ©es du fait de l’incurie ou de mauvais choix de spĂ©cialistes dĂ©signĂ©s dans une industrie donnĂ©e. Une carriĂšre artistique tient aussi Ă  une certaine vision stratĂ©gique quant Ă  ce qui est considĂ©rĂ© comme pouvant tenir dans la durĂ©e ou susceptible d’ĂȘtre rentable Ă©conomiquement y compris Ă  court terme.

Personnellement, lorsque je repense Ă  des artistes français comme MylĂšne Farmer ou Indochine apparus dans les annĂ©es 80 avec leurs premiers tubes Maman a tort (1984) ou L’Aventurier (1982) -soit avant le premier ZĂ©nith de Kassav’ en 1985- je sais avoir Ă©tĂ© incapable en les Ă©coutant alors de m’imaginer que ce seraient aujourd’hui des icones et qu’ils toucheraient plusieurs gĂ©nĂ©rations de spectateurs. Et je serais curieux de savoir combien de « spĂ©cialistes » de l’époque avaient rĂ©ellement prĂ©vu une telle carriĂšre pour MylĂšne Farmer ou le groupe Indochine. Je crois prendre peu de risques en affirmant que trĂšs peu de « spĂ©cialistes » de l’époque, parmi celles et ceux qui sont encore vivants, avaient envisagĂ© qu’en 2019 l’artiste MylĂšne Farmer et le groupe Indochine pourraient remplir facilement des salles de concert telles que celles du Stade de France (qui n’existait pas Ă  l’époque), AccorHotelsArena ou ex Paris-Bercy ( idem ) ou de la salle de Concert Paris La DĂ©fense-Arena encore plus rĂ©cente que les deux prĂ©cĂ©dentes.

Il en est de mĂȘme de la carriĂšre rĂ©ussie d’un acteur ou, plus simplement, de la longĂ©vitĂ© d’un couple ou de celle, accomplie, d’une existence.

Dans les annĂ©es 90, parmi les principaux noms du Rap en France des groupes et des artistes tels que IAM, MC Solaar et NTM se distinguaient. Aujourd’hui si on devait comparer l’engouement que suscite l’annonce d’un concert de NTM ou de MC Solaar, on s’apercevrait que l’ordre de prĂ©fĂ©rence s’est nettement inversĂ© par rapport Ă  cette Ă©poque oĂč MC Solaar Ă©tait ce premier rappeur français (en 1993) interprĂ©tant un titre avec un Rappeur amĂ©ricain (Le Bien, le Mal avec Guru). Pourtant, dans les annĂ©es 90, on avait l’impression que le Rap et la voix de Mc Solaar pouvaient tout transformer en or. Et c’était peut-ĂȘtre presque vrai.

Lorsque j’ai Ă©coutĂ© et rĂ©Ă©coutĂ© il y’a plusieurs semaines maintenant le second album (Souldier, sorti en 2018) de l’artiste Jain trĂšs cotĂ©e depuis son premier album, j’ai entendu dans sa musique des airs et des histoires de ruptures amoureuses entrainĂ©s en Anglais et cru comprendre que son sens du « visuel » et de la com’ font d’elle une artiste originale et qui marche trĂšs bien. Pourtant, mĂȘme si plusieurs de ses titres me plaisent assez Ă  l’écoute, je suis sceptique en apprenant qu’elle fait aujourd’hui partie des « poids lourds » de la musique. Il est nĂ©anmoins vrai que je ne l’ai pas encore vue sur scĂšne qui est pour moi le sĂ©rum de vĂ©ritĂ© absolu de tout artiste. Et que personne ne peut dĂ©cider ou prĂ©voir avec certitude ce qui fait qu’un artiste plutĂŽt qu’un autre va trouver son public. Et durer. le rĂ©alisateur Pascal Tessaud ( mon article https://balistiqueduquotidien.com/digressions-a-pa
e-pascal-tessaud/), dans sa trĂšs bonne sĂ©rie documentaire Paris 8- La Fac Hip-Hop ( en replay jusqu’au 7 avril 2022 sur Arte TV)  en donne un aperçu dans le portrait Le Prince du Rap qu’il fait du rappeur Mwidi au coude-Ă -coude dans les annĂ©es 90 avec MC Solaar pour sortir un premier album.

 

Philippe Conrath dans le documentaire de Benjamin Marquet Ă  propos du premier concert de Kassav’ au ZĂ©nith en 1985 :

« Jamais on n’aurait pu penser faire le ZĂ©nith. Et, il ( le groupe Kassav’) le remplit un peu tout seul d’une certaine façon. Y’a pas de promo, y’a rien et tout et comment il va y’avoir quatre mille personnes qui vont remplir le ZĂ©nith ? A l’époque, c’est une prise de risque. Il y’a que Kassav’ qui sait (
.). A ce moment-lĂ , si quelqu’un a la curiositĂ© de venir, il voit un ZĂ©nith bondĂ© et un groupe qui s’appelle Kassav’. Et tout le monde qui est en train de hurler et de danser ».

 

En dĂ©couvrant ce documentaire, on prendra trĂšs peu de risque : On apprendra beaucoup sur Kassav’, premier groupe français Ă  remplir le Stade de France en 2009 bien qu’étrangement classĂ© dans la World Music aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă©lu « meilleur groupe français » en 1989. Je me demande dans quelle catĂ©gorie les artistes Jain et Christine &The Queen sont-elles classĂ©es. Je n’ai pas vĂ©rifiĂ©. Et, je tiens Ă  ajouter que, quelles que puissent ĂȘtre mes Ă©ventuelles rĂ©serves, je ressens pour ces deux artistes plutĂŽt de la curiositĂ© et de la sympathie.

Kassav’, c’est le groupe qui dĂ©tient le record de reprĂ©sentations au ZĂ©nith de Paris (plus d’une soixantaine) et qui a un statut de Rock stars en Afrique. Dans ce documentaire, on apprendra sur les Antilles et sur la musique d’une façon gĂ©nĂ©rale. Marcus Miller explique par exemple que partir en tournĂ©e, cela signifie vivre 18 heures ensemble tous les jours et que Kassav’ le fait depuis quarante ans ! Au vu de cet Ă©noncĂ©, certaines personnes prĂ©fĂšreront peut-ĂȘtre regarder Fort Boyard ou une Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©.

Vous avez jusqu’au 29 juillet pour regarder ça en replay sur FR3. Cet article complĂšte mes deux articles prĂ©cĂ©dents, Moon France ( Moon France) ainsi que Un Moon France en concert ( Un Moon France en Concert). Attention, mon article Moon France est trĂšs trĂšs long mais vous pourrez encore prendre le temps de le lire aprĂšs le 29 juillet de cette annĂ©e.

Franck Unimon, ce jeudi 11 juillet 2019.

Catégories
Moon France Musique

Un Moon France en Concert

 

 

                                                Un Moon France en concert

 

 

« Vous partez ?! » « Laisse-les, ils n’aiment pas la bonne musique
. ».

En 1984 ou 1985, au Phil One , Ă  la DĂ©fense, nous venions d’assister au concert du groupe Apartheid Not. Le batteur, sur ses fĂ»ts Ă©lectroniques, avait fait claquer des ricochets, diamants sonores, qui s’Ă©taient incrustĂ©s dans notre ciboulot . Mais les spectateurs, en dĂ©pit de l’Ă©nergie du groupe, Ă©taient restĂ©s impassibles. Presque boudeurs et impatients que la prestation se termine. Dans la salle, un spectateur avait mĂȘme envoyĂ© un dĂ©contractĂ©    » No Good ! » soutenu par son accent frenchie. EnervĂ© par l’attitude du public, un des musiciens ( peut-ĂȘtre celui qui Ă©tait aux claviers )  avait un moment lĂąchĂ© quelques phrases calibrĂ©es en Anglais. Puis, en Français, il s’Ă©tait adressĂ© au public en mettant les formes.

Le concert Ă©tait maintenant terminĂ©. Nous allions sortir du Phil One pour poursuivre notre soirĂ©e quand nous avons croisĂ© ces deux ou trois inconnus qui venaient d’arriver. A moins qu’ils ne soient sortis prendre l’air pendant le concert. Eux venaient pour danser au Phil One. A les entendre, nous n’aimions pas la bonne musique…

LycĂ©en, je devais ĂȘtre le seul mineur de notre groupe. Cette sortie nocturne Ă©tait peut-ĂȘtre une de mes premiĂšres sorties nocturnes sans mes parents. « Notre » groupe, c’était FrĂ©do, notre entraĂźneur de la section sprint du club d’athlĂ©tisme de Nanterre. Plus tard, il se marierait avec Danielle, ancienne sprinteuse d’origine martiniquaise dont il Ă©tait persuadĂ© qu’il aurait pu faire une « championne de France » si elle l’avait voulu. Danielle, athlĂšte douĂ©e, avait pu se qualifier pour les championnats de France. Mais comme elle me l’expliqua un jour, le problĂšme, c’était qu’elle n’aimait pas
l’athlĂ©tisme. Lors d’un de nos stages d’athlĂ©tisme, je me rappelle maintenant de Danielle nous proposant une chorĂ©graphie, sa chorĂ©graphie, sur le titre Flash-back du groupe Imagination. A force de rĂ©entendre ce titre- qui n’Ă©tait pas mon prĂ©fĂ©rĂ© du groupe- lors de ses rĂ©pĂ©titions, j’avais fini par l’aimer.

Ce soir-lĂ , il y’avait aussi Georges, mon aĂźnĂ© de deux ou trois ans et dont j’ai voulu, un temps, faire un de mes grands frĂšres, moi qui n’en n’ai jamais eu. Georges, avant de donner la prioritĂ© Ă  l’athlĂ©tisme et Ă  ses Ă©tudes, avait Ă©tĂ© bassiste autodidacte dans un groupe de Reggae dont le meneur avait Ă©tĂ© Pascal, ancien basketteur de bon niveau, chanteur, musicien et compositeur, grand rasta « conscient » dont je croisais l’autoritĂ© plutĂŽt intimidante au lycĂ©e Joliot-Curie. Ce qui Ă©tait raccord avec Georges, dont la stature et l’attitude imposaient le respect Ă  tout le monde dans le club d’athlĂ©tisme, entraĂźneurs inclus. Personne ne critiquait ou ne se moquait de Georges quels que puissent ĂȘtre ses rĂ©sultats en compĂ©tition. Un jour, bien plus tard, on m’a racontĂ© la blague suivante :

« Tu sais comment on appelle un Noir avec un fusil ? Monsieur ! ». J’aime beaucoup cette blague. HĂ© bien, disons que Georges et Pascal n’avaient pas besoin d’avoir un fusil pour qu’on les appelle « Monsieur ! ».

Georges reste Ă  ce jour le seul Antillais que j’ai rencontrĂ© dont le nom de famille a une origine africaine Ă©vidente. Il est aujourd’hui surnommĂ© « Big Georges » dans ce club de province oĂč il est maintenant entraĂźneur depuis des annĂ©es. A ce que j’ai pu lire sur le net, il avait un temps entraĂźnĂ© l’athlĂšte Floria GueĂŻ avant que celle-ci se fasse remarquer pour sa performance dorĂ©e lors du relais des championnats d’Europe d’athlĂ©tisme Ă  Zurich en 2014.

Lors du mĂȘme stage d’athlĂ©tisme oĂč Danielle nous avait gratifiĂ© de sa prestation sur le titre Flash-back du groupe Imagination, Georges, lui, seul Ă©galement, nous avait donnĂ© une danse fiĂšre et militante sur le titre Uncle George du groupe Steel Pulse en hommage Ă  Georges Jackson, un des frĂšres de Soledad, un temps amant d’Angela Davis et condamnĂ© Ă  mort par la justice amĂ©ricaine.

Avec Georges et Frédo, avant cette soirée-là ou aprÚs elle, nous étions allés voir le groupe Touré Kunda en concert. Touré Kunda était alors un groupe qui comptait sur la scÚne publique.

 

En entendant que nous n’aimions pas la bonne musique, JĂ©rome, vexĂ©, avait voulu rattraper les deux ou trois gars : lui et moi Ă©tions dans cet Ăąge oĂč, Ă  peine adultes, nous affirmions aussi nos certitudes et nos personnalitĂ©s Ă  travers nos expĂ©riences de la musique. Ni journalistes, ni musiciens et encore moins musicologues, nous Ă©tions des amateurs au sens oĂč nous Ă©tions des explorateurs. Et non de celles et ceux qui se contentent de brouter ce que tout le monde Ă©coute.

JĂ©rome Ă©tait un de mes meilleurs amis et aussi mon voisin du dessous de la tour 17 de la citĂ© Fernand LĂ©ger Ă  Nanterre. C’est dans sa chambre et grĂące Ă  sa chaĂźne hifi avec ses enceintes surĂ©levĂ©es de façon Ă©tudiĂ©e que j’avais dĂ©couvert pour la premiĂšre fois certains artistes qui ne faisaient pas partie de mon entendement. Parmi ces artistes : Miles Davis avec l’album Star People (1983).

L’un d’entre nous avait retenu JĂ©rome et nous Ă©tions dĂ©finitivement partis. Driss Ă©tait peut-ĂȘtre aussi avec nous ce soir-lĂ .

Mais avant notre sortie, et alors que les musiciens avaient dĂ©ja quittĂ© la scĂšne, dans un Phil One encore Ă  peu prĂšs vide, j’avais entendu pour la premiĂšre fois ces quelques accords de guitare semi-acoustique, cette voix Ă©raillĂ©e (dĂ©crite plus tard par Jocelyne BĂ©roard, je crois, comme « blues et macho ») et cette musique qui disaient :

« An Nou Ay ! ».

 

C’est sur le titre Zouk-la-SĂ©-Sel-Medikaman-Nou-Ni que nous avions quittĂ© le Phil One. Et ce fut la seule fois oĂč je connus le Phil One. J’appris beaucoup plus tard, aprĂšs sa fermeture, que le Phil One, situĂ© dans le centre commercial des Quatre Temps de la DĂ©fense, Ă©tait alors une boite de nuit rĂ©putĂ©e.

NĂ©anmoins, cette « premiĂšre » expĂ©rience de  Kassav’  suffit Ă  me remettre dans les starting-blocks de la musique antillaise. Car cette expĂ©rience musicale de Kassav’ allait connaĂźtre des suites pendant mes vacances en Guadeloupe.

J’avais dĂ©ja entendu la voix de Jacob Desvarieux sur les titres Oh Madiana  et Zonbi  mais, ce soir-lĂ  au Phil One,  je n’avais pas fait le rapprochement.

Avant Kassav’, pour moi, la musique antillaise, c’était une musique dont la basse faisait boom-boom-, boom-boom-, boom-boom-, boom-boom, dans les enceintes avec la gravitĂ© d’un Ă©lĂ©phant rĂ©pĂ©tant les mĂȘmes pas. Pendant des heures. Alors que je faisais banquette dans les multiples soirĂ©es antillaises oĂč nous emmenaient nos parents, j’entendais cette basse qui revenait en Ă©tant toujours ou souvent la mĂȘme. Et les gens dansaient, s’amusaient, rigolaient et quelques fois se disputaient et se battaient. Or, mon oreille, Ă  la maison, s’était habituĂ©e de façon prĂ©fĂ©rentielle au Reggae. Tandis que dehors, avec les copains, avec le Reggae, c’était plutĂŽt le Funk, la Soul et le Jazz-Rock qui nous conditionnaient.

Plus que les titres YĂ©lĂ©lĂ©, Tim-Tim- Bwa Sek , KavaliĂ© O Dam ou GorĂ©e (que j’aime beaucoup) dont le but est de « rappeler » aux Moon France ( ou Moun Frans si on prĂ©fĂšre) leur « Histoire » et leurs « racines », la façon dont Kassav’ a opĂ©rĂ© la musique antillaise et l’a faite grandir en l’ouvrant m’a rĂ©conciliĂ© avec la musique de « mon » pays. MĂȘme si j’ai bien-sĂ»r aimĂ© beaucoup de tubes antillais de l’époque d’avant Kassav’ et rĂ©Ă©couterais avec plaisir un certain nombre d’entre eux. Que l’on parle du Kompa, genre musical dominateur aux Antilles avant l’éruption du zouk pour moi reprĂ©sentĂ©e par Kassav’, ou de toute autre forme d’expression musicale alors en lice en Guadeloupe.

 

Avec Miles Davis, Me’Shell NdĂ©gĂ©ocello, Björk et Brain Damage, le groupe Kassav’ est le seul groupe ou artiste musical que je sois allĂ© « voir » et Ă©couter au moins trois fois en concert. A Basse Terre, en Guadeloupe. Au parc de l’ancienne mairie Ă  Nanterre. A Argenteuil. Et, depuis ce 11 Mai 2019, Ă  la salle de concert Arena Ă  la DĂ©fense oĂč je me rendais pour la premiĂšre fois avec ma compagne.

On rappelle parfois que Kassav’ a fait un titre avec Stevie Wonder. Pour l’instant, lorsque je l’Ă©coute, ce titre, hormis pour le caractĂšre prestigieux de la collaboration qui a permis sa crĂ©ation, me touche peu : je considĂšre que sur ce titre Stevie Wonder et/ou Kassav’ est ou sont peu inspirĂ©(s).

Par contre, deux ans avant sa mort en 1991, Miles sortait l’album Amandla sur lequel se trouve le titre CatembĂ© . En Ă©coutant ce titre, il ne faut pas s’attendre Ă  un morceau fait pour zouker en boite de nuit ou dans sa voiture. Mais comme Miles l’avait fait pour le titre Don’t Lose your mind sur son album Tutu ( en 1986) en s’inspirant ( Merci Ă  Pascal de me l’avoir appris !) de la rythmique basse-batterie du tandem Robbie Shakeaspeare & Sly Dunbar, ultimatum Reggae et Dub, de diverses formations ( dont le groupe Black Uhuru un moment envisagĂ© avant son implosion comme une des relĂšves possibles de Bob Marley ), je sais pour l’avoir lu que Miles s’Ă©tait inspirĂ© du zouk , et en particulier de celui promu par Kassav’, pour son titre CatembĂ©. Je me rappelle d’une interview oĂč Miles s’Ă©tait plu Ă  faire la leçon Ă  un journaliste ( sans doute blanc ) en lui demandant s’il connaissait cette musique qui venait des Antilles : le Zouk.

 

 

Entre mon tout premier concert de Miles Davis oĂč je m’Ă©tais rendu seul, en 1987 au Palais des Sports Ă  la Porte de Versailles, et celui de Kassav’ il y’a quelques jours, trente deux ans sont passĂ©s. Kassav’ existe officiellement depuis quarante ans.

Quarante ans d’existence. Quarante mille spectateurs.

 

Au Stade de France en 2009, ils Ă©taient 65 000. Mais j’ai entendu parler d’un concert en CĂŽte-d’Ivoire oĂč ils Ă©taient 100 000 spectateurs. Je me rappelle que le Zouk rĂ©pandu en Afrique par Kassav’ avait par exemple dĂ©teint sur les chansons d’une artiste comme Monique SĂ©ka, artiste ivoirienne dĂ©crite sur sa page wikipĂ©dia comme Ă©tant une  » chanteuse…Afro-zouk de la CĂŽte d’Ivoire ». BĂ©a, une de mes amies, vient de m’apprendre que Kassav’ s’est mĂȘme produit en concert sur l’Ăźle de GorĂ©e, au SĂ©nĂ©gal. Des neveux de son mari Ă©taient prĂ©sents Ă  ce concert mĂ©morable. Et ils  » en parlent jusqu’Ă  ce jour ». Cette mĂȘme amie ajoute ( je la cite) :

 » J’Ă©tais Ă  une communion africaine dimanche ( SĂ©nĂ©gal/ Cap Vert). Ils ont mis 1h de Kassav’ en l’honneur du 40Ăšme anniv. Le feu dans la salle ! ».

Kassav’ est aussi allĂ© se faire connaĂźtre sur d’autres continents. ArrivĂ©s Ă  un certain niveau, les artistes, musiciens ou autres, dĂ©passent les frontiĂšres, vont Ă  la rencontre des autres, s’Ă©coutent et s’inspirent les uns des autres. Et le groupe Apartheid Not, aujourd’hui disparu et oubliĂ© depuis des annĂ©es ou pas loin de l’ĂȘtre, et  citĂ© en prĂ©ambule de cet article, reprĂ©sentait indiscutablement -avec tant d’autres artistes –  cette ouverture d’esprit. On serait Ă©tonnĂ© d’apprendre ce que tel artiste reconnu et rĂ©putĂ© dans tel genre de musique Ă©coute par ailleurs comme style de musique. On serait aussi trĂšs Ă©tonnĂ© d’apprendre que tel artiste de telle « école » ou de tel  » courant » est trĂšs ami avec tel autre artiste a priori totalement Ă©tranger, voire opposĂ©, Ă  son univers et son langage. La complĂ©mentaritĂ© permet la crĂ©ativitĂ©. Mais pour cela, il faut d’abord rĂ©ussir Ă  s’accorder.

 

D’ailleurs, au dĂ©but, je m’Ă©tais fermĂ© Ă  l’idĂ©e d’aller Ă  ce concert de Kassav’ ce samedi 11 Mai 2019. La salle Ă©tait trop grande pour moi. Ouverte le 19 octobre 2017 avec un concert des Rolling Stones, la salle de concert Paris La DĂ©fense Arena Ă©tait, Ă  ce que j’avais entendu dire, plus grande que celle du Palais Omnisports de Bercy rebaptisĂ©e AccorHotels Arena ou Bercy Arena depuis 2015 aprĂšs sa rĂ©novation. Bercy Arena, pourvue de 20 300 places selon wikipĂ©dia, m’avait laissĂ© un souvenir mitigĂ© en tant que spectateur. Je prĂ©fĂšre les salles intimistes de  la taille de la Cigale, L’ElysĂ©e Montmartre, le Bataclan ou plus petites. La salle du ZĂ©nith Ă©tant mon maximum pour une salle couverte et fermĂ©e. Alors qu’en extĂ©rieur, j’ai pu me rendre avec plaisir Ă  un festival comme Rock en Seine.

Concernant ce concert du 11 Mai dernier,  j’ai aussi d’abord refusĂ© d’aller voir Kassav’ car je les avais  » dĂ©jĂ  vus en concert ». Et leurs derniĂšres productions me happent moins « qu’avant ». Lorsque Kassav’, Ă  l’Ă©poque oĂč Patrick St Eloi, Georges DĂ©cimus et tous les autres Ă©taient ensemble, Ă©tait ce « cyclone » musical et que les autres artistes Ă©vitaient de sortir leur album en mĂȘme temps que le « nouveau » Kassav’. MĂȘme si, par ailleurs, j’aime des titres assez rĂ©cents tels que TonbĂ© Leta.

 

Et puis, j’ai appris que ce serait la derniĂšre tournĂ©e de Kassav’. MĂȘme s’ils auraient dĂ©jĂ  dit ça. Mais ils prenaient de l’ñge quand mĂȘme alors il fallait ĂȘtre rĂ©aliste. Et puis, la salle de concert  la DĂ©fense Arena, c’était aussi revenir Ă  Nanterre, la ville de mes 17 premiĂšres annĂ©es. PrĂšs du centre commercial les Quatre Temps dont l’ouverture en 1981 avait Ă©tĂ© un Ă©vĂ©nement en mĂȘme temps qu’un aimant pour mon adolescence et celle de bien d’autres jeunes de mon Ăąge et des environs. Les Quatre Temps nous avaient aussi apportĂ© les premiers Mc Do. Les premiers Quick. Restauration qu’aujourd’hui je fuis autant que possible. C’était avant la grande Arche. A l’époque du Rubik’s Cube.

Kassav’ en concert, pour leurs quarante ans, c’était donc voir notre vie dĂ©filer. Au milieu d’un public fidĂ©lisĂ©, ĂągĂ© d’une vingtaine d’annĂ©es Ă  plus de soixante ans, majoritairement noir, qui reprend en dansant les paroles de tubes dont la majoritĂ© datait des annĂ©es 80 et 90.

A les voir, les « anciens », Jocelyne BĂ©roard, Jean-Philippe MarthĂ©ly, Jean-Claude Naimro, Jacob Desvarieux, Georges DĂ©cimus avec les nouveaux et plus ou moins nouveaux, en parfait accord avec le public, arrĂȘter le temps, cĂ©lĂ©brer chaque instant, semblait plus que facile. Il n’y’avait qu’à se laisser aller. Pourtant, alors qu’on les distinguait sur les grands Ă©crans de la taille de leur succĂšs et qu’on les voyait prendre- et donner- tout ce plaisir en plein dans le mille, je me suis dit que, d’un point de vue personnel, ce groupe en avait connu des traversĂ©es pour arriver jusque lĂ . Je « crois » que pour sa carriĂšre, Jocelyne BĂ©roard a renoncĂ© Ă  ĂȘtre mĂšre et peut-ĂȘtre Ă  une vie de couple. Desvarieux s’est sĂ©parĂ© au moins d’une mĂšre de ses enfants.

Et puis, Ă©conomiquement et artistiquement, Kassav’ fait partie des rescapĂ©s. Plusieurs annĂ©es auparavant, le producteur et chanteur Henri Debs avait expliquĂ© qu’il connaissait deux sortes d’artistes : Les « ADC », artistes Ă  durĂ©e courte et les autres, les « ADL », les artistes Ă  durĂ©e longue. En Ă©coutant Henri Debs, j’avais retenu qu’un ADL devait sa longĂ©vitĂ© Ă  son travail et Ă  ses dons. Pourtant, un artiste, mĂȘme s’il est « bon » ou « trĂšs bon » peut avoir beaucoup de mal Ă  « percer ». Tout artiste a besoin d’une certaine rĂ©ussite Ă©conomique pour continuer. Or, depuis les dĂ©buts de Kassav’ en tant que groupe en 1979, l’industrie du disque et de la musique a changĂ©. Un prof de guitare basse et musicien professionnel, GrĂ©gory Martin, a expliquĂ© ça quelques heures plus tĂŽt Ă  cette confĂ©rence oĂč je me trouvais avant le concert.

Aujourd’hui, les maisons de disque pressent les artistes pour « produire » comme des poules pondeuses en batterie. Les artistes se doivent de sortir rapidement des tubes et si possible avec des machines qui remplacent les musiciens. Pas de temps ou trĂšs peu de temps est laissĂ© aux artistes pour explorer et peaufiner un album. Et lorsqu’il s’agit de faire des concerts, on leur dit que moins ils sont, mieux c’est. Pour rĂ©duire les coĂ»ts. Il faut ĂȘtre rentable. Conclusion : si aujourd’hui un groupe comme Kassav’, avec autant de musiciens, dĂ©marrait sa carriĂšre, il s’effondrerait probablement avant ses quarante ans de carriĂšre.

A l’avenir, quel que soit le genre musical, nous rencontrerons de moins en moins d’artistes capables d’une telle longĂ©vitĂ©. Il peut y avoir si peu de diffĂ©rence entre celles et ceux qui se noient et les autres qui se dĂ©ploient et, cela, quelle que soit l’étendue du gĂ©nie, du talent, du « mĂ©rite », du travail et des sacrifices. Pour ces raisons, et d’autres que j’ignore, j’ai beaucoup aimĂ© ce concert. Je n’ai regrettĂ© aucun des prĂšs de cent euros dĂ©boursĂ©s pour les deux places et le parking. MĂȘme si le rĂ©glage du son aurait pu ĂȘtre un peu plus soigneux. Mais il aurait pu ĂȘtre pire.

J’aurais aimĂ© que Kassav’ nous fasse profiter des trĂšs bons musiciens qu’ils sont en allant plus souvent dans « l’instrumental » comme lorsque Jean-Claude Naimro s’est avancĂ© avec son clavier portatif pour ce titre que je connais moins que les autres. Avec des titres plus rĂ©cents tels que TonbĂ© Leta. Ou en reprenant par exemple un titre comme ZONGONN.

Lorsque j’avais Ă©coutĂ© ZONGONN pour la premiĂšre fois ( album de Jacob Desvarieux et Georges DĂ©cimus de 1986) je l’avais nĂ©gligĂ© au profit de titres comme GOREE, Ki NON A MANMANW, MWEN ENVI OU. C’est en l’écoutant en soirĂ©e antillaise et en voyant l’engouement qu’il provoquait que je m’étais aperçu de mon erreur « d’oreille ».

J’aurais aimĂ© entendre SOUSKAY. Mais comme me l’a rappelĂ© une collĂšgue aussi prĂ©sente au concert, le palmarĂšs de Kassav’ est si consĂ©quent qu’il leur Ă©tait impossible de tout jouer. Les trĂšs bons artistes, celles et ceux auxquels on est trĂšs attachĂ© et qui nous ont souvent habituĂ© au meilleur, nous rendent parfois trĂšs exigeants. Voire trop.

L’Historique groupe Kassav’ nous a bien bordĂ© samedi soir. Chacun portera dans sa mĂ©moire plusieurs moments de ce concert. Pour moi, il y a eu la ligne de basse en introduction de Georges DĂ©cimus sur SĂ© PA DJEN DJEN. Une ligne de basse  qu’il a rĂ©introduite en avant-scĂšne prĂšs d’un Jean-Philippe MarthĂ©ly soufflĂ© Ă  la fin de l’interprĂ©tation. Il y’a eu le « La Kour Trankil MĂ© La Kour Pa Dosil ! » de Jocelyne BĂ©roard suivi d’un « YĂ©krik » d’alpiniste. Il y a eu le solo silex de Jacob Desvarieux sur Tim-Tim-Bwa-Sek. Il y a eu l’hommage Ă  Patrick St Eloi avec des photos de celui-ci, seul ou avec Jean-Philippe MarthĂ©ly, Ă©poque annĂ©es 80-90. Il y ‘a eu le solo par le trio batterie et percussion. Et bien-sĂ»r, le final avec Zouk La SĂ© Sel Medikaman Nou Ni. Pour moi, Zouk La SĂ© Sel Medikamen Nou Ni est l’équivalent d’un titre inusable comme le Sex Machine de James Brown. MĂȘme lorsque le sable nous recouvrira tous, nous qui Ă©tions Ă  ce concert, il se trouvera encore des gens pour l’aimer et danser dessus. Et nous avec eux. Peut-ĂȘtre.

Franck Unimon, ce mercredi 15 Mai 2019.