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Seconde maman

 

                                       Seconde maman

Un adulte, ça ne se trompe jamais.

 

 

« Un adulte, ça ne se trompe jamais » m’a dit ma fille, hier. Lorsque j’ai essayé de lui faire comprendre qu’il pouvait arriver qu’un adulte, se trompe. Elle a eu l’assurance de l’innocente. Sa maitresse le leur avait dit à l’école. Ma fille appliquait à la vie ce que son enseignante leur avait peut-être (j’espère) affirmé à propos de certains Savoirs scolaires.

 

La certitude de ma fille m’a fait sourire. Mais elle a raison. C’est bien le problème. C’est les grandes vacances, ce 4 aout 2021. Des millions de personnes, pour leurs vacances, ont pris des destinations différentes. Assez peu admettront s’être trompées de destination. C’est pareil avec la raison. Nous prenons des destinations différentes. Lorsque nous sortons de certaines limites de la route ou de la raison, nous ne nous en apercevons pas tout de suite.

 

Sur le papier, administrativement, politiquement, militairement, selon les frontières et les régions, nous sommes une Nation. En pratique, cela peut être différent. Aussi y’a-t’il  y a des lois pour nous réunir ou nous forcer à nous réunir et pour nous donner des règles communes. Si nous nous en démarquons, il y a fuite, infraction, condamnation, répression ou débat.

 

Devant la pandémie du Covid – oui, je vais évidemment reparler d’elle – nous, les adultes, nous sommes tous au volant. Et, comme pour les départs en week-end ou pour les grandes vacances, nous ne prenons pas les mêmes destinations. De façon volontaire ou involontaire.

 

Mais un adulte, ça ne se trompe jamais.  

 

La vie et la mort face à certaines modélisations :

 

C’est pour cette raison qu’une fois notre décision prise, nous nous heurtons. Les pour et les anti-vaccins.

Pourtant, que l’on soit pour ou contre les vaccins contre le covid, la pandémie du Covid nous rappelle aussi que la vie et la mort échappent à certaines modélisations, statistiques et chiffres. Mais nous sommes nombreux à être très sûrs de nous concernant la conduite à avoir pour ou contre. Même si personne ne sait véritablement où nous en sommes sur la route de la pandémie. Ni où nous sommes exactement. Et à quel point nous nous situons sur la carte et la courbe de la durée de la pandémie.  

 

Le journal  » Le Monde » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Je ne conteste pas la réalité ou les chiffres de la pandémie du Covid. En France. Dans les régions d’outre-mer où un reconfinement a été décidé en Martinique, à la Réunion et sans doute bientôt en Guadeloupe. Je ne conteste pas non plus qu’il manque des lits en réanimation. Ainsi que du personnel soignant. Ni que la pénurie soignante se soit accentuée depuis la pandémie et qu’un certain nombre de soignants, épuisés par les conditions de travail déjà difficiles avant la pandémie, ait fait connaître leur intention de quitter l’hôpital.

 

Hier soir, j’ai été étonné de n’avoir rien de particulier à écrire. Peut-être parce-que j’avais écrit le principal de ce que je ressentais dans mon article Sérums de vérité . La veille. 

Mon ami Raguse m’a envoyé un sms ce matin. Il voulait savoir ce que j’avais décidé. Pour lui, comme pour ma compagne, à la fin de mon article Sérums de vérité, on ignore quelle va être ma décision. Ma compagne a parlé en quelque sorte de « suspense ». Pour moi, il n’y avait pas de suspense à la fin de Sérums de vérité.

 

Le journal  » Les Echos » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Suspense

 

 

Ce matin, j’ai appelé pour annuler le rendez-vous que j’avais pour ma première injection avec le vaccin Pfizer contre le Covid. La seconde était prévue pour le 24 ou le 25 aout.

J’ai choisi, pour l’instant, d’éviter de prendre un autre rendez-vous. Si je reprends rendez-vous, j’aimerais être davantage sûr de moi. Ce sera peut-être trop tard ou plus difficile d’obtenir un rendez-vous alors que j’avais assez facilement obtenu ce rendez-vous dans la salle des fêtes de ma ville.

 

Peut-être que je le regretterai.

 

 

Mais je ne pouvais pas, avec les doutes que j’ai dans la tête, concernant les effets indésirables que j’ai lus ou dont j’ai entendu parler concernant les vaccins actuels contre le Covid, accepter de recevoir ma première injection du vaccin Pfizer. Qui plus est, en présence de ma fille. Si j’avais été seul ce matin, peut-être que j’aurais raisonné autrement. Ce n’est pas sûr. Mais le fait d’envisager que ma fille puisse me voir me faire vacciner contre le Covid, alors que je suis en bonne santé, puis, si ça se passe mal, qu’elle fasse l’apprentissage par elle-même que la vaccination puisse être néfaste, a encore plus contribué à ce que je me retire, pour l’instant, de cette campagne de vaccination collective contre le Covid.

 

D’autres personnes ont fait ou auraient fait le contraire. Je le sais.

 

Le journal  » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

 

Expériences

 

Je sais aussi que je ne suis pas épidémiologiste. Que je ne dispose pas de chiffres ou de statistiques. Que ma façon de percevoir les événements qui entourent la pandémie du Covid sont empiriques. Même si j’essaie de trouver des informations à droite à gauche, autour de moi. En lisant des journaux, y compris satiriques qui se moquent des anti-vaccins. En lisant sur le net ou en regardant des vidéos aussi sur le net.

 

Au moment de prendre la décision, pour ou contre la vaccination, se croisent des croyances, des logiques. Et, parfois, l’expérience. L’expérience, ça peut être avoir un proche, une proche ou un moins proche qui a eu le Covid.

 

Je connais quelques personnes qui ont eu le Covid. Dont mon meilleur ami qui l’avait contracté plusieurs semaines après sa compagne. Il y a plusieurs mois. Ce 13 juillet, j’étais à l’enterrement du père de mon meilleur ami. Bientôt 90 ans. Pas à l’enterrement de mon meilleur ami.

 

Je ne fais pas exprès de mentionner cette date du 13 juillet, alors que la veille, le gouvernement avait décidé de rendre obligatoire pour les soignants la vaccination anti-Covid. Ces deux dates coïncident. Cette coïncidence fait aussi partie de mon expérience du Covid.

A l’enterrement du père de mon ami, pour la première fois, quelqu’un m’a demandé quel était mon groupe sanguin. Lorsque j’ai répondu que j’étais O positif, il m’a affirmé qu’être O positif protégeait contre le Covid. Cette croyance m’a étonné voire un peu fait sourire. Mais je sais qu’elle ferait enrager certains esprits « scientifiques » ou « cartésiens ».

 

Mon meilleur ami et sa compagne sont partis en vacances, il y a quelques jours. Ils allaient bien tous les deux. J’ai même senti mon meilleur ami apaisé après le décès et le départ de son père pour son enterrement en Algérie. Cela faisait deux ans que son père souffrait de la maladie d’Alzheimer. Deux ans que cela le minait. Lui et sa compagne ont à ce jour une réponse immunologique qui atteste du fait que leur organisme possède encore un nombre très élevé d’anticorps ou d’antigènes, au delà de la moyenne, du fait d’avoir contracté le Covid.

 

Le journal  » Le Monde » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Fort heureusement pour moi, ce 4 aout 2021, parmi mes proches et mon entourage direct, toutes celles et tous ceux que je connais qui ont attrapé le Covid l’année dernière ou cette année au printemps, vont bien ou mieux. Dans une tranche d’âge comprise entre 40-45 ans et 55-58 ans. Deux ont frôlé le cadavre. Un, en particulier, « ramassé par terre » (ses propres termes) par le Samu chez lui. J’ai appris à cette occasion qu’il souffrait d’une certaine insuffisance respiratoire au préalable. Moi, ce que j’avais remarqué chez ce collègue, plutôt « fort », c’était surtout son embonpoint et son âge proche de la retraite.

Pareil pour l’autre collègue à qui il avait fallu un peu plus de deux mois pour récupérer. Embonpoint certifié et âge proche de la retraite.  On peut sûrement parler pour eux deux de «  comorbidités ».

 

 Sur les deux, je peux attester que le second, au moins, plusieurs semaines avant d’attraper le Covid, avait un usage allégé du masque anti-Covid.

 

Lorsque je mentionne ça, je ne suis pas plus épidémiologiste qu’au début de cet article. Je livre une ou deux expériences. Quelques éléments que j’ai pu observer.

 

Mais il y a un autre phénomène que j’ai pu observer au début de ma carrière d’infirmier en psychiatrie. Un phénomène que j’ai appris à connaître. Ce n’est pas venu tout de suite. Je n’avais pas prévu, en choisissant d’aller travailler en psychiatrie alors que j’avais 24-25 ans, que je ferais ce genre de « découverte » parmi d’autres. Cette découverte, une fois de plus, n’a rien de scientifique. Je n’ai pas de stats, de chiffres, de logiciel de calcul qui permettront de modéliser, protocoliser ce que je vais raconter. Je vais essayer de parler du risque. Mais d’après ce que j’ai vécu à mon travail dans certaines situations en  psychiatrie. Je le répète : je ne suis pas épidémiologiste. Je n’ai aucune compétence pour expliquer ce qui se passe, d’un point de vue clinique, avec la pandémie. Il y a des personnes, des adultes, bien-sûr, qui, eux, savent. Et ne se trompent pas. Qu’ils soient scientifiques, politiques ou journalistes. Ou intellectuels. Ou des proches comme des moins proches.

 

Moi, je doute. Je sais que je peux me tromper. C’est pour cela, que, ce matin, j’ai opté pour reculer avant cette première injection de Pfizer. Alors qu’il y a quelques jours, lorsque j’avais pris rendez-vous, j’étais content d’avoir pu obtenir un rendez-vous aussi rapide. J’avais le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait. Le timing collait bien. J’allais pouvoir, mi-septembre, au moment où les sanctions décidées par le gouvernement, allaient se déclencher plus durement contre celles et ceux qui ne seront pas vaccinées, être tranquille. Etre débarrassé de certaines tribulations.

 

Le journal « Charlie Hebdo » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

Le Risque :

Si je commence à essayer de faire de l’humour en commençant par la phrase connue : « Dès que l’on vit, on risque de mourir », bien des personnes prendront très mal cet humour qu’elles estimeront malvenu vu le contexte de la pandémie. Mais je débute quand même cette partie par cette allusion parce-que je refuse encore de manquer d’un certain courage pour l’humour. Même si ce trait d’humour sera sûrement très mal toléré par quelques unes et quelques uns.

 

Mais ce que je veux dire, autre phrase très connue, c’est que «  le risque zéro n’existe pas ».

 

En psychiatrie et en pédopsychiatrie, régulièrement, constamment, nous rencontrons des patients qui ont un « risque suicidaire » ; un « risque de passage à l’acte » ; « un risque de fugue ». Bien-sûr, ce risque est moins, comment dire, sujet aux certitudes de certaines données scientifiques et épidémiologiques.

 

Pour le Covid, par exemple, on sait nous dire que tel variant a telle proportion de contagiosité. Ou que, actuellement, le vaccin Pfizer offrirait une protection de 39% face au variant Delta contre plus de 90% face au variant précédent du Coronavirus. Mais, aussi, qu’une personne vaccinée contre le Covid a moins de risques de se retrouver en réanimation ou de développer une forme grave du Covid. C’est chiffré. Modélisé. Je ne discute pas ces chiffres et ces statistiques contrairement à certaines personnes anti-Vaccin Pfizer, Moderna, et autres vaccins anti-Covid actuels. Je crois à ces chiffres. Même si je ne passe pas mon temps à les sniffer comme l’on pourrait sniffer des lignes de crack.

 

Je vais par contre m’attarder davantage sur ces phénomènes que tout le monde, ou à peu près, vit plus intensément depuis dix huit mois, avec cette pandémie du Covid :

 

La peur. L’anxiété.

 

Là, aussi, je ne suis pas sociologue, psychologue, chercheur au CNRS ou ailleurs sur ces sujets. Je n’ai pas de chiffres ou de statistiques, non plus. Mais mon métier, c’est de travailler en psychiatrie et en pédopsychiatrie directement avec des publics (adultes et mineurs) qui peuvent être imprévisibles ou très imprévisibles. Et, avec lesquels le « risque » est souvent présent. Risque de tentative de suicide. Risque de fugue. Risque de passage à l’acte auto-agressif et hétéro-agressif. Et, comme mes collègues, il est de ma responsabilité, évidemment, de prévenir ce risque. Comment fait-on ?

 

Avec des logiciels et des caméras ? En se menottant à eux vingt quatre heures sur vingt quatre ? En les endormant de telle manière qu’ils soient incapables de bouger le moindre petit doigt ? En les enfermant dans une prison comme celle du personnage Magnéto dans les X-Men ? En mettant un chien de surveillance devant la porte de leur chambre ?

 

Peut-être que certaines personnes vous répondront que c’est sûrement ça. Mais je ne fais pas partie de ces personnes et de ces professionnels.

 

Ce qui veut dire que, par rapport à ces risques, nous, professionnels, en psychiatrie, « évaluons ». Pour évaluer une situation, il y a deux ou trois instruments cliniques en plus du traitement chimique, il est vrai :

 

La relation avec le patient. Qui se veut, autant que possible, une relation de confiance.

 

L’observation. Ce que nous voyons du patient. Ce que nous comprenons de lui. Tant ce qu’il dit que son comportement et son attitude.

 

Et, troisième instrument qui n’a rien de scientifique, qui, comme la relation et une certaine observation ne peuvent pas se modéliser. Je parle bien-sûr de…l’intuition.

On va parler un peu plus de l’intuition.

 

 

L’intuition en « psychiatrie » :

« Je ne le sens pas. »

 

 

Le gros problème avec l’intuition, c’est évidemment, qu’elle ne repose sur rien d’autre que notre subjectivité. Or, question subjectivité, lorsqu’une situation nous stresse ou nous inquiète ou nous excite, on peut se faire des « films ». Imaginer des événements qui, en fait, ne se produisent pas ou ont peu de chances de se produire. Sauf que, nous, on peut-être très bien persuadé que cela va se produire.

 

Au début de ma carrière en psychiatrie, j’ai rencontré des collègues plus expérimentés que moi. Des collègues qui avaient donc, pour eux et elles, l’expérience de l’âge et du vécu en psychiatrie.

 

Je ne compte pas le nombre de fois où, depuis le début de ma carrière en psychiatrie mais, aussi, par la suite, dans ma propre vie, des gens sont persuadés qu’une catastrophe va arriver. Tous les signes sont présents pour eux. Ils n’attendent que la confirmation de leurs pronostics funestes.

 

Et, je ne compte plus le nombre de fois où, finalement, la catastrophe maintes fois attendue et annoncée ne se produit pas. Et, où, les personnes qui y ont cru n’émettent aucune autocritique. Et en font rien pour apprendre de cela. A chaque nouvelle situation plus ou moins anxiogène, rebelote. Les mêmes, le plus souvent, recommencent à avoir peur et à imaginer le pire. 

 

Aujourd’hui, je ne nie pas la gravité de la pandémie du Covid que peu de personnes, en France, a vu venir. Comme, depuis dix huit mois, je n’ai jamais nié la gravité de la pandémie du Covid. Par contre, je retrouve dans cette peur et cette anxiété massive à grande échelle dont le cercle se resserre de plus en plus autour de nous avec cette vaccination obligatoire et ce passe sanitaire, des points communs avec ces situations que j’ai pu vivre en psychiatrie et en pédopsychiatrie où il y a eu un risque « de ». Pourquoi ?

 

Là, aussi, à nouveau, l’expérience.

 

Il y a dix huit mois, nous allions mourir du Covid. Dans un simple coin de rue. C’était sûr. Aucune statistique n’est sortie dans ce sens. Mais c’est pire.

Le journal  » Charlie Hebdo » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

L’amnésie immédiate et collective qui permet à certaines et certains de recommencer à flipper aujourd’hui comme l’année dernière avec la pandémie du Covid se retrouve dans des proportions plus limitées dans ma psyché. Cela ne fait pas de moi une personne super-intelligente. J’ai une chance sur deux d’avoir fait une grosse connerie en refusant d’aller me faire faire cette injection de vaccin anti-Covid ce matin. Et, on sait assez quels sont les risques, réels cette fois, auxquels je m’expose, en plus des risques sanitaires, si, le 15 septembre, je ne suis toujours pas vacciné contre le Covid.

 

Des risques économiques. Des risques d’exclusion sociale. Des risques de séparations et de ruptures avec des proches et des moins proches.

 

Soit des risques dont je préfèrerais me passer.

 

Mais, malgré ces risques, je me rappelle encore que notre mort était annoncée l’année dernière. Et que j’ai fait partie de celles et ceux qui ont continué de se rendre à leur travail. Entre-autres, sans masque anti-Covid et sans vaccin, pendant plusieurs semaines. Et, dix huit mois plus tard, je suis encore vivant. Je pourrais presque déposer une réclamation pour « publicité mensongère ». Mais, là, je fais de l’humour plus ou moins noir. Là, où je fais moins d’humour, c’est que je n’ai pas du tout aimé me faire matraquer et miner mentalement avec des idées de mort permanentes, imminentes et péremptoires. Il fallait faire ceci. Il fallait faire cela. J’ai fait ceci. J’ai fait cela. Et, cela ne suffit pas. Il faut, aujourd’hui, que j’en fasse encore plus. Les deux injections. Le passe sanitaire. Jusqu’à quand ? Pour aller où ? Personne ne sait. Il faut le faire, c’est tout. Et, ferme ta gueule ! Si, comme moi,  l’on a des doutes sur les effets indésirables des vaccins anti-Covid, c’est bien cette impression que donne cette obligation vaccinale assortie de ces inconnues au sujet de ces vaccins. Une impression de :

 

« Il faut le faire, c’est tout. Et, ferme ta gueule ! ».

 

 

Et, aujourd’hui, depuis ce 12 juillet 2021, avec le variant Delta, cette vaccination devenue obligatoire pour les soignants et ce passe sanitaire, j’ai l’impression que l’on recommence à me servir à nouveau la même recette. Et que je devrais m’empresser de  sauter avec reconnaissance sur cette recette de la peur et de l’anxiété et me lécher les doigts avec.

 

 Phase de relativisation ou phase de déni ? :

 

Si, ce 4 aout 2021, je me suis finalement précipité pour m’éloigner de ma première injection de Pfizer, c’est peut-être parce-que, depuis l’année dernière, à tort ou à raison, j’ai appris à relativiser le danger de la pandémie du Covid. Au début de ma carrière d’infirmier en psychiatrie, plusieurs fois je me suis fait avoir par ces situations où nous étions plusieurs à envisager le pire. Et, où le pire ne se produisait pas, finalement. Je m’en voulais ensuite de m’être fait avoir par ces poussées- répétées- d’anxiété. J’ai appris à relativiser. Cela ne signifie pas du tout que je banalise les risques suicidaires ou autres. Mais qu’au lieu de me faire des films, je préfère observer. Surveiller. Ou me fier à mon intuition. Et vérifier, si j’en éprouve le besoin, quand ça me vient, afin de comparer les faits avec mon intuition et mes impressions. Puis, me rappeler du résultat. Cela a contribué à faire baisser mon « tonus » d’anxiété.

L’année dernière, nous devions mourir. Je ne suis pas mort. Nous sommes nombreux à être encore vivants. Et on dirait que c’est pire. Qu’il aurait presque mieux valu décéder l’année dernière afin d’évacuer définitivement cette anxiété et cette angoisse générale et collective qui nous circonscrivent.

 

Les personnes que je connais qui ont attrapé le Covid l’année dernière et cette année sont toujours vivantes. Et, elles vont plutôt bien. Elles n’étaient pas vaccinées contre le Covid. Par contre, concernant les effets indésirables des vaccins anti-Covid, j’entends parler de trucs bizarres pas très rassurants. Des vaccins qui, depuis ce 12 juillet, sont devenus obligatoires. Comme je fais maintenant partie des personnes qui résistent ou refusent cette vaccination obligatoire, l’autre levier ou l’autre recette est la culpabilisation.

 

 

Recette qui complète très bien la recette de la peur et de l’anxiété.

 

 

Le levier ou la recette de la culpabilisation :

 

Que ce soit en tant que personne ou en tant qu’infirmier, je n’ai aucun intérêt ni aucune envie de nuire à quiconque, patient ou autre. Et, je n’ai rien d’exceptionnel. 

 

Comme je n’ai aucune envie de voir les pro-vaccins comme mes ennemis. Même si je m’attends à ce que, dans un an, pour faire large, à la même date, la pandémie du Covid aura fait beaucoup de dégâts supplémentaires, et, surtout, bien plus visibles, d’un point de vue sociétal, économique ou au moins politique.

 

Mais, de plus en plus, dans un pays où les personnes vaccinées contre le Covid deviennent la majorité, et la nouvelle norme, être non-vacciné signifie s’exposer à s’entendre dire ce que ma seconde « maman » officieuse m’a dit ce matin. Alors que je l’appelais pour lui souhaiter son anniversaire.

Mes deux mamans et ma dualité :

Mes deux mamans, l’officielle et une « très officieuse », incarnent très bien ma dualité actuelle envers la vaccination contre le Covid.

 

La première, l’officielle, et mère de ma sœur et de mon frère, est retournée vivre en Guadeloupe il y a une vingtaine d’années avec mon père. Pendant plusieurs années, avant de prendre sa retraite, elle a été aide-soignante dans un service de réanimation. C’était une personne reconnue pour son professionnalisme et sa gentillesse.

Maman, il y a quelques mois, en mars ou avril, m’a demandé conseil en vue de se faire vacciner. A moi, le fils aîné devenu infirmier. Je n’y connaissais pas grand chose. Mon « domaine », c’est la psychiatrie et la pédopsychiatrie. En plus, après le matraquage médiatique très anxiogène  que nous avions tous subis dès mi-mars  2020, j’avais réussi à retirer mes pensées des crochets de l’anxiété et de l’angoisse avec toutes ces nouvelles relatives au Covid.

Partir passer quelques jours en Bretagne, chez ma seconde maman très officieuse (elle ne revendique pas ce titre) l’année dernière- en juillet 2020- avec ma compagne et notre fille m’avait aidé à décrocher de la mamelle opulente des mauvaises nouvelles dues au Covid.

 

Mes deux mamans ne se connaissent pas. Elles ne sont pas rencontrées et je crois aujourd’hui qu’elles ne se rencontreront jamais.

Lors de mon mariage en 2013, venue de Guadeloupe, ma mère avait été présente le mardi à la mairie en Seine et Marne. Puis, elle avait repris l’avion quelques jours avant que nous ne fêtions notre mariage ma compagne et moi, le samedi, dans la grande salle de fêtes de la commune, en Bretagne, où ma « seconde » maman, et plusieurs membres de sa famille avaient contribué au bon déroulement de l’organisation des festivités. La fête s’était passée près de chez elle.

 

Si ma mère est une femme dévouée, sportive, assez solitaire, plutôt timide, assez souvent indécise et introvertie, ma « seconde » maman est une femme très accueillante, qui aime recevoir et sait recevoir. C’est aussi une femme de tête et à poigne. Elle est directe et tranche. C’est moi, qui, dans cet article la nomme ma « seconde maman ». Parce-que je reprends les termes employés par ma compagne. Mais je ne l’appelle pas « maman ». Et, elle ne m’appelle pas « mon fils ». La relation filiale est implicite et, aussi, très très officieuse et fluctuante.

Ma « seconde maman » a été mon ancienne cadre infirmière dans le service de pédopsychiatrie où j’ai fait sa connaissance.  Deux ans avant qu’elle ne décide de partir à la retraite. Après son départ, nous avions été plusieurs soignants à être invités à venir passer un week-end chez elle dans sa maison, en Bretagne. Depuis, régulièrement à peu près chaque année, je suis revenu passer quelques jours chez elle et son mari en été.

Chaque année, avant la pandémie du Covid, elle partait en voyage à l’étranger avec son mari pendant plusieurs mois. Ma mère n’a jamais fait ça. Et, je n’imagine pas du tout mon père ouvert à ce genre d’aventure.

Sculpture par Jacquette Virginie.

 

 

La voix traditionnelle

 

 

Je ne connaissais rien aux vaccins anti-Covid lorsque ma mère m’avait sollicité en mars ou avril 2021 pour un conseil. J’écoutais parler des vaccins anti-Covid de très loin. Les gestes barrières, masque et lavage de mains, me convenaient très bien. Je coexistais ainsi avec la pandémie du coronavirus.

 

Si j’ai accepté assez facilement de tomber le masque ou de raccourcir les distances corporelles avec certaines personnes, lors de certaines circonstances ( enlacer quelqu’un,  faire la bise après avoir donné un cadeau, lors d’un barbecue…) cela a été en des proportions limitées. Si j’avais été un forcené de la prévention du « risque », j’aurais refusé. Lors de ces quelques occasions, après une assez rapide réflexion, j’ai souvent estimé que la vie sociale devait prendre le pas sur le risque. Rien de scientifique dans cette attitude. Sauf le fait que j’ai eu ce comportement en des proportions sûrement moindres que d’autres.

 

En me fiant aux expériences de personnes et de collègues autour de moi, j’avais  répondu à ma mère que j’avais entendu de bons échos  du vaccin Pfizer.

 

J’ai aussi eu des espoirs avant l’arrivée du vaccin Johnson & Johnson en avril ou Mai. Une ex-collègue infirmière, et amie, m’en avait dit du bien. Et puis,  lors de sa « diffusion », les échos concernant le Johnson & Johnson se sont rapidement ternis concernant certains de ses effets indésirables.

 

Je crois que les pro-vaccins ne mesurent pas les conséquences de ces revers dus aux effets indésirables de ces vaccins « attendus » et présentés comme salvateurs, puis, qui « déçoivent » et « inquiètent ». Alors que ces revers se rajoutent à d’autres revers, colères ou contrariétés, accumulés depuis le début de la pandémie en mars de l’année dernière.

 

De plus en plus, la facilité consiste à présenter les anti-vaccins comme des abrutis bornés et irresponsables. Alors que les raisons de leur défiance envers les vaccins sont sûrement un peu plus réfléchies qu’elles ne le semblent.

 

Pour revenir à ma mère : je croyais donc qu’elle s’était faite vacciner contre le Covid. Ainsi que mon père. Ma sœur et mon frère, ainsi que leur compagnon et leur compagne se sont faits vacciner.

 

 

J’ai appris il y a quelques jours, en lui parlant au téléphone, que, finalement, ni ma mère, ni mon père, ne se sont faits vacciner. Ils étaient partis pour le faire en se rendant à l’aéroport, en Guadeloupe. Peut-être l’aéroport Pole Caraïbes. Mais des manifestants anti-vaccins se trouvaient là. En écoutant leurs arguments, mon père a alors estimé que les vaccins actuellement proposés ne sont pas « encore au point » (traduit du Créole).  

 

Apprendre ça, d’elle, m’a fait un drôle d’effet. Un effet non-scientifique qui a eu, sur moi, une certaine influence. Influence non scientifique non plus.

Lors de ma dernière séance avec mon thérapeute – vacciné contre le Covid- j’avais fait la découverte, que, dans ma fratrie, j’étais finalement le plus « traditionnel ». Ce qui est assez courant lorsque l’on est l’aîné d’une famille.

 

Je sais que le dernier, mon petit frère, ainsi que sa compagne, se sont  faits vacciner contre le Covid afin de pouvoir se rendre en Guadeloupe dans quelques jours. J’aimerais bien me rendre en Guadeloupe par exemple l’année prochaine. Ainsi qu’à la Réunion. Donc, j’ai d’abord trouvé que c’était une bonne nouvelle qu’après cette vaccination, mon frère, sa compagne et leurs enfants, puissent se rendre en Guadeloupe. Cela fait quelques années que nous ne sommes pas allés voir nos parents en Guadeloupe. Pour moi, cela date de 2014 ou 2015. Mon blog n’existait pas, alors. Aujourd’hui, si je me réfère à certaines inquiétudes et certaines témoignages concernant les effets indésirables des vaccins anti-Covid, mon frère et sa compagne vont certes pouvoir sans doute se rendre en Guadeloupe (s’ils partent avant que la Guadeloupe ne soit reconfinée) mais leur espérance de vie pourrait être détruite.

Sculptures par Cécile Thonus.

 

 

Conflit de loyauté et roulette russe :

Ma mère, non vaccinée, a donc, d’une part deux de ses enfants vaccinés. Ma sœur et mon frère. Et, d’autre part, il lui reste un enfant, non vacciné. Moi. En termes de conflit de loyauté, moi, l’aîné, ou l’âne, j’ai touché le jackpot.

 

Côté pile, si ces vaccins anti-Covid sont finalement plus protecteurs que nocifs, d’ici deux à trois ans, cela se confirmera. Avec un peu de chance, si ma mère et mon père, non vaccinés, se maintiennent à distance du Covid, et que je réussis à faire pareil, nous devrions être tous à peu près contents d’ici deux à trois ans. Mais en deux à trois ans, il peut se passer beaucoup d’événements. Même en un an. Et, vu comme on nous parle de la très grande contagiosité du variant Delta, je m’attends un peu à attraper le Covid cette fois-ci.

 

Côté face, si ces vaccins anti-Covid se révèlent véritablement nocifs, moi, l’aîné, j’ai tout intérêt à assurer à ma mère qu’un de ses enfants, au moins, n’est pas tombé dans la marmite des effets indésirables gravissimes des vaccins anti-Covid.

 

Mais ma mère étant comme toutes les mères aimantes, après avoir discuté avec elle, il y a quelques jours du Covid, elle a conclu notre conversation par un :

 

« Fais attention à toi ».

 

Lorsque j’avais décidé de commencer à travailler en psychiatrie, au début, ma mère avait essayé à plusieurs reprises de m’en dissuader. Elle m’avait expliqué qu’elle craignait que je ne devienne « fou ». C’est une croyance très courante que celle de croire et de penser que travailler en psychiatrie rend fou. Alors que ce serait plutôt le contraire. Travailler en psychiatrie peut aider à pacifier nos angoisses et nos folies. A condition d’être mentalement et moralement armé et encadré pour cela. A condition, si nécessaire, d’accepter d’être aidé par d’autres, collègues, thérapeutes, patients, rencontres diverses.

 

Je n’avais eu aucune difficulté à me séparer des inquiétudes de ma mère. Me diriger vers cette spécialité était un choix réfléchi. J’aimais cette spécialité ainsi que les rencontres que j’y faisais. Je me sentais bien dans cet univers.

 

Or, aujourd’hui, me faire vacciner contre le Covid, avec Pfizer, Moderna, Astrazeneca, Johnson & Johnsonn’est pas mon choix réfléchi. Je n’aime pas ce « risque » que je crois entrevoir dans leurs effets secondaires ou indésirables. L’idée de me faire injecter ce risque ne me plait pas du tout. 

 

Bon anniversaire :

Pas plus que je n’ai fait exprès d’oublier qu’aujourd’hui, ma fille serait avec moi, je n’ai pas fait exprès non plus d’accepter le rendez-vous qui m’avait été fixé pour ma première injection de Pfizer ce 4 aout. Or, le 4 aout est la date anniversaire….de ma seconde maman, très  « officieuse ».

 

Qu’est-ce qui se fait le jour d’un anniversaire de quelqu’un auquel on tient ?

On lui envoie un message. Ou, on l’appelle.

 

Pour l’appeler, j’ai allumé mon téléphone portable. J’ai vu que j’avais reçu deux vidéos de ma mère. Dans l’une des vidéos, une femme, vraisemblablement médecin, et bonne pédagogue, expliquait devant une foule attentive, les graves risques sanitaires auxquels on s’exposait avec les vaccins anti-Covid actuels. Cette femme que je ne connais pas et que je voyais pour la première fois, mettait en garde contre les vaccins anti-Covid. Elle était persuasive. J’ai su ensuite que ma mère avait reçu cette vidéo par une cousine du côté de mon père.

 

Ce matin, donc, quelques minutes avant mon rendez-vous pour ma première injection de Pfizer, j’appelle ma « seconde » maman. Je tombe sur elle. Elle est plutôt contente de m’entendre. Je lui souhaite un bon anniversaire. Je lui réponds que nous sommes partis quelques jours à Amiens. Elle m’apprend : « J’ai de très bons souvenirs à Amiens ».

L’entente se poursuit. Et puis, comme avec une proche avec laquelle on se sent en confiance (soit le minimum envers une seconde maman, même officieuse) je lui parle sans détour du fait que, non, nous n’avons pas pu nous rendre aux hortillonnages. Car nous n’avions pas de passe sanitaire. Hortillonnages qui ont ensuite fermé quelques jours suite à un désaccord entre certains bateliers opposés au passe sanitaire et leur patron. Ma compagne m’a envoyé un extrait d’un article de journal à ce sujet.

 

Mais en parlant de notre non-vaccination à ma « seconde » maman très officieuse, sans même y penser, j’avais mis une pièce dans le Jukebox. Avec ma mère, le Jackpot du conflit de loyauté. Avec ma seconde maman, le Jukebox de :

 

« Mais tu vas te retrouver en réa ! ». « Tu as bien vu ce qui se passe en Guadeloupe ?! » (Le nombre de cas de Covid augmente comme à la Martinique et à la Réunion).

« Ne me dis pas que tu ne t’es pas fait vacciner ! ». «  Je suis très étonnée ! ».

 

Sculpture par Cécile Thonus.

 

Je me suis senti embarrassé. A la fois de me sentir en porte à faux. Mais, aussi, que cette conversation, notre premier désaccord majeur en plusieurs années, arrive le jour de son anniversaire. Vraiment, je n’ai pas vu venir cette situation.

 

Ma seconde maman « officieuse » m’a appris qu’ils étaient tous vaccinés de leur côté. Je la savais vaccinée contre le Covid. Mais je n’avais pas forcément beaucoup élargi le cercle des personnes vaccinées autour d’elle. Même si cela se tient mathématiquement. Si, aujourd’hui, de plus en plus de Français sont vaccinés et que l’on avoisine les 60 % de personnes vaccinées en France, il faut bien que de plus en plus de personnes que l’on connaît soient vaccinées.  Mais je vivais encore sur ma petite planète de non-vaccinés, et, ma seconde maman était en train de me rappeler que je vivais bien  – encore- sur la même planète que tous ces gens de plus en plus vaccinés.

 

Je sentais venir en elle la question du complotisme. Je crois même qu’elle me l’a demandé, directe comme elle est :

 

« Tu es complotiste ?! ».

 

 

Afin de me sauver autant que possible de la mélasse complotiste, Je me suis appliqué à être pédagogue :

 

«  Je ne crois pas que le développement des antennes de la 5G va nous téléguider ». J’ai dû être assez rapidement convaincant malgré tout en matière de complot car, ensuite, la conversation s’est faite sur des bases, je crois, plus rassurantes, pour elle comme pour moi.

 

Question travail, elle a convenu elle-même « qu’ils » ne pourraient pas me « licencier » au vu de la pénurie infirmière importante. J’ai ajouté que cette pénurie s’était accentuée depuis la pandémie du Covid. Je n’ai même pas pensé à rappeler qu’il y a quelques mois, encore,  dans certains services somatiques, des personnels soignants à peine remis du Covid, étaient poussés à revenir travailler tant il manquait de personnel dans certains services.

 

Dans ses propos, j’ai entendu le concentré de qui est opposé aux personnes contre le vaccin. La peur de la réa. Une peur que je ne connais pas, pour l’heure. Sans doute parce-que ma mère a travaillé en réanimation. Et que, si la réanimation est synonyme de mort, elle est aussi synonyme de sortie de coma et de retour à la vie. Je le sais par ma mère. Sans doute aussi un petit peu par les deux stages que j’avais effectués, adulte, dans le service de ma mère. Cela n’avait pas été mon choix.

 

J’ai aussi entendu la peur de la perte économique. Je me suis abstenu de dire que ma compagne avait fait ses estimations dans le cas où nous serions mis à pied de notre emploi. C’était un peu comme si j’avais déjà un peu dépassé cette peur de la perte économique et que je la redécouvrais au travers de ma seconde maman.

 

 

Une autre peur aurait pu être citée. Celle de l’exclusion sociale. Des connaissances et des proches. Elle arrivera sans aucun doute. Pas de qui je pense. Pas comme je le pense.

Devant la médiathèque de ma ville ce mercredi 4 aout 2021. Médiathèque où ma fille et moi avons nos habitudes.

 

Ma seconde maman a pris l’exemple de la vaccination contre l’Hépatite A (ou B) rendue obligatoire. Je n’ai pas discuté cette obligation. Elle m’a dit que la technique ARN actuelle était connue depuis dix années. Qu’elle aurait préféré bénéficier de cette nouvelle technique. Mais qu’elle avait eu le vaccin Astrazeneca.

 

Elle a été attentive lorsque je lui ai parlé de la mésaventure de certains soignants avec l’Astrazeneca. Mésaventure qui pouvait expliquer une partie de cette méfiance de certains soignants envers ces vaccins anti-Covid.

 

Je lui ai aussi dit que j’avais lu des témoignages sur les réseaux sociaux concernant les effets indésirables. Et, que l’on ne pouvait pas, d’un côté (ça vous rappelle quelque chose ? J’ai expliqué ça dans mon article Sérums de vérité) se réjouir que, durant le printemps arabe, les réseaux sociaux avaient pu nous faire parvenir des témoignages qui démentaient la version officielle. Et, là, à propos des effets indésirables des vaccins sur les réseaux sociaux, déclarer que tous ces témoignages étaient bidons. Des témoignages où une mère nous apprend que sa fille a commencé à avoir des règles peu après la vaccination contre le Covid. Ou une femme nous apprend qu’après s’être faite vacciner, ses seins ont commencé à produire du lait alors qu’elle n’est pas enceinte….

 

 

Bien-sûr, je ne connais pas ces personnes. Je ne sais pas jusqu’à quel point leur témoignage est fiable. Je n’ai pas de statistiques que je peux donner.

 

A ma seconde maman qui me disait que, pour chaque vaccination, il y avait un certain nombre de personnes qui connaissaient des effets secondaires,  j’ai répondu qu’il était vrai que je ne connaissais pas les chiffres ou les proportions de ces effets secondaires. Et que la particularité des réseaux sociaux fait peut-être que la façon dont les témoignages nous parviennent, quasiment en temps réel,  sans filtre, donnait peut-être l’impression qu’il y a plus d’effets secondaires avec ces vaccins comparativement avec les vaccins précédents contre diverses maladies. Alors qu’il y a peut-être pratiquement autant d’effets secondaires désagréables ou mortels, proportionnellement, avec ces vaccins anti-Covid qu’avec les autres vaccins classiques. 

 

J’ai senti dans le ton de ma seconde maman « officieuse » qu’elle était intriguée. J’étais, moi, plus embarrassé que content de mon effet. J’avais appelé pour lui souhaiter un bon anniversaire. Je lui trouvais aussi la voix plus rauque et plus essoufflée que d’habitude. La dernière fois, c’était déjà un peu ça. Même si elle avait toujours le même aplomb.

 

Ma fille était en train de jouer dans une autre pièce de l’appartement. Je ne pouvais pas rester longtemps et il y avait du monde chez elle. Dont son fils que je connais. Ainsi que sa belle fille, une des amies de celle-ci, la petite fille, que je ne connais pas.

 

J’ai fini par ajouter :

« Je suis désolé de te parler de ça le jour de ton anniversaire… ».

Elle :

« Oh, ne t’inquiète pas… ».

J’ai repris :

« Je te connais ! A un moment de la journée ou dès que tu auras pris un verre ou deux, tu vas commencer à en parler ! ».

Elle, avec un petit rire :

« C’est vrai…. ».

 

Alea Jacta Est. Pourquoi se cacher ?

 

Vie de couple :

Ce qui m’étonne parmi certains des proches ou des connaissances aujourd’hui pro-vaccins, c’est qu’un an plus tôt, se trouvaient parmi eux, celles et ceux, qui, contre les recommandations d’usage contre le Covid faisaient valser certains interdits. Se faire la bise alors qu’il était préconisé de ne pas le faire. Rencontrer plusieurs personnes chez soi ou se retrouver à plusieurs dans une même pièce sans masque. Ne pas tenir compte de certaines restrictions en terme de distance kilométrique.

Mais c’est comme si, grâce ou à cause du vaccin anti-covid qu’elles ont reçu,  certaines de ces connaissances et  de ces proches avaient déja oublié que l’année dernière, sans se fourrer pour autant la langue dans la bouche de l’autre en permanence, qu’en pleine pandémie du Covid, il avait été possible d’être en présence de temps à autre d’un peu de monde. 

 

Aujourd’hui, il semble de plus en plus, que la norme sociale devienne d’être entre vaccinés et entre non-vaccinés. Ou de juger l’autre à un moment donné.

 

Je ne me suis pas senti particulièrement jugé ce matin par ma seconde « maman ». Mais je me suis imaginé que je le serais par un de ses proches que je connais ou par quelqu’un d’autre qui considérera que je me suis égaré.

 

Un autre lieu d’égarement fréquent est le couple. Ma compagne a toujours été résolument contre les vaccins actuels contre le Covid. Elle considère que ce ne sont pas des vaccins. Ils n’en n’ont que l’appellation pour elle. Je peux concevoir qu’il doit être difficile, au sein d’un couple, d’avoir une attitude différente de l’autre vis-à-vis de la vaccination anti-Covid actuelle.

 

Même si je ne souscris pas à toutes ses explications comme à un certain nombre de ces raisonnements, j’ai fini par me rapprocher de certains de ses arguments contre les vaccins anti-Covid. Surtout à partir du 12 juillet 2021, lorsque le gouvernement a rendu cette vaccination obligatoire pour les soignants. Avant le 12 juillet, je constatais assez distraitement ses partis pris. Ainsi que le fait qu’elle regardait beaucoup de vidéos sur le sujet de la pandémie, des vaccins anti-Covid Je prenais quelques fois le temps de l’écouter et de l’interroger sans la juger sur le sujet. Je réfutais certains de ses arguments. Mais je ne cherchais pas à ce qu’elle ait absolument la même vision que moi  à propos des vaccins, du Covid. D’ailleurs, moins je parlais de ces sujets, mieux, je me portais. Mais le 12 juillet a « tout » changé pour moi. Ainsi que le 13 juillet peut-être, aussi, avec l’enterrement du père de mon meilleur ami.

 

Par ailleurs, et c’est le propre de bien des couples, je crois aussi au fait que ma compagne a l’aptitude d’observer ou de voir ce que je n’ai pas remarqué.

 

 

Dans le film Inception  de Christopher Nolan, j’avais raillé le comportement du personnage Dominic l’extracteur(L’acteur Léonardo Dicaprio), qui, si je me souviens bien, très en peine de faire le deuil de sa femme Mallorie  ( l’actrice Marion Cotillard) s’enfermait dans une certaine illusion. Une collègue et amie m’avait répondu à l’époque que vivre dans une illusion commune était courant au sein d’un couple.

 

Je n’exclue pas l’idée que, comme le personnage de Dominic, dans Inception, je sois en train de contribuer à l’établissement et au maintien  d’une illusion commune avec ma compagne ainsi qu’avec ma mère et, toute autre personne anti-vaccin. Mais, si illusion il y a, les faits, d’ici quelques semaines ou quelques mois, viendront apporter leur contradiction extérieure. Pour l’instant, j’ai trop de contradictions et de doutes en moi pour accepter la vaccination anti-Covid.

 

J’ai envisagé d’être, dans le couple, celui qui allait se faire vacciner contre le Covid. Afin d’équilibrer pour le quotidien. Pour nous rendre la vie plus simple lorsque les restrictions vont être appliquées contre celles et ceux qui ne sont pas vaccinés. J’estimais que, de nous deux, j’étais celui qui pouvait le plus faire ça. J’en ai parlé à ma compagne. Elle m’a répondu qu’elle ne voulait pas que je me « sacrifie ». Tout ce qu’elle voulait, c’était que je ne me fasse pas vacciner avec les vaccins actuels contre le Covid.

 

Etre père :

Etre père, dans un tel contexte, est délicat. Ce matin, j’ai eu un peu de mal à être bien disponible pour ma fille. Vu que la décision que j’avais prise de renoncer à cette première injection de Pfizer, même si je crois que c’était la seule que je pouvais prendre aujourd’hui, m’a occupé l’esprit.

 

Pour l’instant, comme c’est encore les grandes vacances, ma fille ne perçoit pas trop, je pense, toute cette empoigne autour du vaccin et du passe sanitaire entre les pro et les anti-vaccins. Et, je m’applique à ne pas aborder ce sujet devant elle. La seule remarque qui m’a échappé hier ou avant hier en lisant le journal devant elle a été concernant le fait qu’avec le départ des dernières troupes américaines en Afghanistan, les Talibans ont recommencé à reprendre possession du pays. Je me suis dit que, prochainement, ce retour des Talibans en Afghanistan allait nous ramener le terrorisme jihadiste  et ses attentats.

 

Dans le Charlie Hebdo de ce mercredi, journal très critique envers les anti-vaccins, le rédacteur en chef Riss, dans son éditorial, pointe «  Moi aussi, je commence à en avoir marre de la crise du Covid et des interminables débats sur les mesures barrières, les vaccins, les anti-vaccins et la peste bubonique » (….). Puis, il exprime sa crainte d’une proche guerre mondiale. Sujet plus préoccupant que la pandémie du Covid qui continue de beaucoup nous obséder.  

 

Ce matin, je suis allé acheter plusieurs journaux afin d’essayer de trouver en eux des réponses qui me manquent encore à propos de la vaccination anti-Covid. J’ai acheté Les Echos, Le Canard Enchainé, Le New York Times, Le Figaro, Le Monde et Charlie Hebdo, donc.

 

Le journal  » Le New York Times » de ce mercredi 4 aout 2021.

 

 

Les caricatures de Charlie Hebdo à propos des anti-vaccins peuvent me faire sourire. Mais elles ne me convainquent pas en faveur de la vaccination. A nouveau, il me manque les certitudes que les journalistes de Charlie Hebdo ont sur le sujet des vaccins actuels. Pareil pour Le Canard Enchaîné que je lis depuis plus d’une vingtaine d’années sans doute. Si je comprends son titre Violences et dérives lors des manifs anti-passe sanitaire(Combien d’antivax positifs au test anti-génie ?), lui, aussi, ne suffit pas à me rassurer à propos des vaccins actuels contre le Covid.

 

Je me dis même que Charlie Hebdo et Le Canard Enchaîné, comme d’autres journaux, d’autres opinions et d’autres sensibilités,  s’ils se sont trompés à propos de la fréquence des effets indésirables graves des vaccins contre le Covid, auront du mal à le reconnaître.

 

Qu’est-ce que je peux expliquer à ma fille à propos de ces pour et de ces contre vaccins anti-Covid ?

 

Qu’il y a, d’un côté les méchants pro-vaccins ? Et, de l’autre côté, les gentils anti-vaccins ?

 

Je ne raisonne pas de cette façon. Dernièrement, une de nos voisines, vaccinée, était d’accord pour accompagner notre fille à une exposition sur le Divas organisée par l’Institut du Monde Arabe, à Paris, et proposée par le conservatoire de notre ville. Finalement, elle a dû se désister pour des raisons familiales. Mais elle m’a dit avoir été touchée par la confiance qu’on lui accordait. Et, elle m’a invité à la solliciter, en cas de besoin, ultérieurement. Je crois qu’à côté des déboires à venir pour les anti-vaccins, qu’il y aura aussi des situations d’entraide comme avec notre voisine qui vont se répéter et se développer entre pro-vaccins et anti-vaccins au delà de ce qui peut se prévoir.

 

A ma fille, ce soir, avant qu’elle aille se coucher, j’ai dit :

« Je n’ai pas été très disponible aujourd’hui. J’espère pouvoir faire mieux demain ». Nous avions néanmoins passé du temps ensemble, étions sortis faire un tour dans le centre-ville. Elle avait fait un peu de vélo. Nous étions allés à la librairie et chez le marchand de primeurs, avions trouvé la médiathèque close. Ma fille a pris cela avec le sourire. Et m’a fait comprendre que pour me faire pardonner, que je me devais de l’emmener jusqu’à sa chambre en la portant sur mes épaules. J’ai facilement accepté cette pénitence.

 

Mais je savais m’être fait emporter par la rédaction de cet article. Hier, nous avions pu regarder entièrement le magnifique manga Les enfants de la mer, réalisé par Ayumu Watanabe . Aujourd’hui, nous n’avions même pas terminé de regarder le premier volet aussi drôle que martial de La Légende de Fong Sai-Yuk réalisé par Corey Yuen.   Le sujet de la vaccination est devenue une forme d’obsession comme je l’ai reconnu tout à l’heure en en discutant avec ma compagne.

 

Mais c’est maintenant qu’il faut écrire à ce sujet. Ma compagne m’a demandé :

« Pour qui ? ». Ou «  Pourquoi ? ».

C’est le genre de question à ne pas poser à un obsédé. Ou à un passionné.

 

La pandémie du Covid nous rappelle la nécessité de bien vivre ce que l’on peut bien vivre avec celles et ceux auxquels nous sommes attachés. Dans un an, le 4 aout 2022, certaines et certains d’entre eux, certaines et certains d’entre eux ne seront peut-être plus là. Moi, je serai peut-être en réa. Comme patient. Ou comme visiteur.

 

Franck Unimon, ce mercredi 4 aout 2021.  

 

 

 

 

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Jacob Desvarieux

Jacob Desvarieux, à la guitare, au centre. A gauche, à la basse, Georges Décimus. Fête de l’Humanité, 2019. Photo©️Franck.Unimon

                                  

                                                 Jacob Desvarieux

La fatigue attendra.

 

J’étais un « Moon France » adolescent occupé de Créole, lorsque j’ai entendu pour la première fois la voix de Jacob Desvarieux à la radio. Sa voix « blues et macho » comme en parlerait Jocelyne Béroard, des années plus tard.

 

Ce devait être à Morne Bourg, chez mes grands parents paternels. Ou à Carrère, chez ma grand-mère maternelle. A la campagne. Je dirais,  plutôt durant les congés bonifiés de 1983 en juillet et en août que durant ceux de 1980.

 

 

Pour le titre Oh, Madiana !

 

 

Il y avait aussi eu le titre Zombi. Aujourd’hui, c’est amusant de se dire que ce titre était sorti aux Antilles avant le Thriller de Michaël Jackson dont on nous parle «  en corps ».

 

Le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait plu. Desvarieux avait alors une bonne bedaine et portait souvent une salopette. C’était environ deux ou trois ans avant que le zouk de Kassav’ ne me cloue et ne me récupère dans une boite de nuit, au quartier de la Défense où, avec mon entraîneur d’athlétisme et des copains de notre club de Nanterre, nous venions de voir en concert le groupe Apartheid Not.

 

Les premières notes de guitare de Desvarieux sur le Zouk-La-Sé-Sel-Médikaman-Nou-Ni suivies de sa voix grave « An Nou Ay ! » avaient eu le temps de s’insérer dans ma tête alors que nous nous en allions.

 

De la musique antillaise, j’en entendais depuis mon enfance. En France et aux Antilles. Georges Plonquitte, Simon Jurad, les Aiglons, les Vikings, Ibo Simon, Perfecta, les « squales » de la musique haïtienne, tous les « Combo » : Bossa, Tabou, Sugar et tous les autres, haïtiens ou non. Plusieurs tubes de ces groupes font partie de mon histoire que j’en connaisse les titres ou non. Mes compatriotes ont souvent cru que, parce-que j’étais né en Métropole, que les ondes des musiques de « là-bas », du « pays », mais aussi qu’une certaine mémoire, coulaient dans l’océan bien avant d’arriver jusqu’à la Métropole ( la France) où grandissaient les Moon France comme moi.

 

En Guadeloupe, le Oh, Madiana ! de Desvarieux m’avait étonné. Peut-être pour son côté funky qui le différenciait d’une fréquente production antillaise. 

 

Quelques années plus tard, alors que nous étions en train de quitter cette boite de nuit de la Défense où nous venions d’écouter le groupe Apartheid Not, un garçon qui entrait dans la salle pour danser s’était alors étonné :

 

« Mais, vous partez ?! ». Un de ses amis l’avait alors entraîné en lui disant :

« Laisse-les, ils ne connaissent rien à la musique ! ».  Nous avions dû retenir notre ami Jérome qui, courroucé, que l’on porte atteinte à sa vie privée musicale, avait très mal pris ce jugement. Car, nous étions à cet âge où, comme la plupart des jeunes, nous étions d’éminents spécialistes et critiques musicaux. Des musiques et des découvertes, nous en faisions régulièrement en allant les chercher. Nous écoutions par exemple du jazz, du free-jazz. Miles Davis, pour nous, était aussi fréquentable ( ou allait le devenir) que Stevie Wonder, Black Uhuru, Sun Ra, Bob Marley, Aswad, Eddy Grant, Burning Spear, Steel Pulse, Stanley Clarke ou Georges Duke. En plus de The Jacksons, Marcus Miller, T-Connection, Prince, Rick James…

 

« Ils ne connaissent rien à la musique ! ».

Durant pratiquement l’intégralité du concert d’Apartheid Not, nous avions été étonnés par l’incorrection permanente des spectateurs. Un spectateur ( un homme noir) avait même lancé lors d’un solo du batteur plutôt réussi un « No Good ! » avec un accent francisé. Lui et d’autres spectateurs n’attendaient qu’une chose :

Que la musique de cette boite de nuit commence. Et, ça avait débuté par ce titre de Kassav’ chanté par Jacob Desvarieux.

 

An-Nou-Ay ! ( « On y va ! »/ On décolle ! » ).

 

La bonne musique de Desvarieux et de Kassav’, je l’ai retrouvée ensuite bien des fois. En Guadeloupe, lors d’autres séjours.

 

En concert. A Basse-Terre. Mais aussi en métropole, à Nanterre, à l’ancien parc de la mairie. A La Défense Arena ( en 2018 ?) puis à la fête de l’Humanité en 2019.

 

 

L’année dernière, lors du premier confinement dû à la pandémie du Covid, sur les réseaux sociaux, j’avais reçu l’annonce que Desvarieux était malade. L’information avait été rapidement démentie par Desvarieux ou un(e ) de ses proches.

 

Le fait que ce genre d’annonce erronée puisse circuler m’avait contrarié. Puis, je m’étais rappelé que la perte d’un membre pouvait faire mourir un groupe. Et qu’un groupe comme Kassav’,  lui, avait tenu 40 ans ! Ce qui est exceptionnel. Peu de grands groupes durent autant avec un public aussi nombreux à leurs concerts. Les Rolling Stones. Un petit peu, Led Zeppelin. Quels autres grands groupes ? AC/DC ? Des groupes de Rock, le plus souvent.  

Desvarieux, Marthély, derrière, Naimro. J’ai oublié le nom du saxophoniste. Fête de l’Huma, 2019. Photo©️Franck.Unimon

 

Mais, cette fois, Jacob Desvarieux est bien mort. Ma mère me l’a confirmé tout à l’heure au téléphone, depuis la Guadeloupe.

 

Lors du concert de Kassav’ à la Défense Arena- où nous étions cent mille spectateurs nous avait annoncé Desvarieux- celui-ci avait fait un petit peu d’humour quant au fait que Kassav’ ne pourrait peut-être pas fêter ses cinquante ans de carrière. Des photos géantes de Patrick St-Eloi avaient aussi été affichées durant le concert.

 

Le propos du zouk et du titre Zouk-La-Sé-Sèl-Médikaman-Nou-Ni, c’est de pouvoir continuer à danser, à vivre et à rêver malgré les diverses scories de la vie. Grâce à la musique. Grâce au Zouk, ce genre musical éperonné, étalonné, par quelques personnalités dont Desvarieux au sein du groupe Kassav’ et qui a modifié le courant musical des Antilles  En travaillant. En osant. En se perfectionnant. En se professionnalisant encore davantage. En se diversifiant. Tout en se remémorant.

 

Ce sera ça que je préfèrerai, d’abord, retenir de Jacob Desvarieux.

 

Fête de l’Huma, 2019. Au centre, Jacob Desvarieux. Photo©️Franck.Unimon

 

Photos, vidéos, article  par Franck Unimon, Moon France, ce samedi 31 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Me mesurer à ses cendres

 

Me mesurer à ses cendres

Aucun événement immédiat ou particulier porté à ma connaissance ne me permet de savoir la raison pour laquelle je pense à lui ce matin. Un dimanche.

 

Comme d’autres membres de ma famille, avant ma naissance, il était venu par avion pour le mariage de son petit frère. Le dernier. Un de mes oncles paternels. Une force de la nature, le plus grand parmi ses frères et ses sœurs, surnommé «  Le dindon ». Si mes souvenirs sont exacts. Car tout cela se passe en Créole et en métropole :

 

En France.

 

En France, on n’a pas de pétrole, mais on a une métropole. Du Créole. Et des people.

 

Il était petit. Peut-être l’un des plus petits parmi les frères de mon père, aussi présent.

 

Mais il avait une classe réglée comme une montre suisse. Une classe que je lui avais découverte ce jour-là. Plus que mon père qui s’y connaissait pourtant en « style ». Plus que mon oncle qui se mariait.

 

Dans son costume gris, il portait l’élégance et l’assurance. Il avait fumé une cigarette devant moi, mon père et cet oncle qui se mariait. Avec tout autant de présence. Dans ma famille, du côté de mes oncles et de mes tantes, paternels comme maternels, fumer est un acte suffisamment rare, étranger voire proscrit, pour marquer un esprit.  Au moins le mien.

 

La cigarette, c’est bien-sûr le fait du Blanc. Mais c’est aussi une aventure qui ne vaut pas, peut-être, celle de la fierté, de la réputation, de la force physique,  du sport, de la musique, de la voiture, de la voix ferme et haute, du geste, du rhum et  de la verge.

 

Lui, il avait fumé comme s’il s’agissait d’une formalité. Aucune remarque ne lui avait été faite alors que l’on peut être si à cheval concernant telle action qui signifie que l’on se prend pour un blanc. Et l’on reste, du moins suis-je souvent resté, proche de ce poste frontière. Presque l’ultime intime d’un certain sentiment de noyade. Tout près de cette  limite où s’observent- telles deux éternelles vierges maquerelles toujours en demande d’un godemiché- celle qui serait d’un côté l’identité blanche et, de l’autre, l’identité noire.

 

Moi, l’adolescent, les cheveux encore hauts à la Michaël Jackson d’avant le défrisage et la dépigmentation, emménagé dans des vêtements et des chaussures que ma mère sans doute avait choisi pour moi, et derrière mes lunettes du même acabit, j’étais bloqué face à ces trois hommes : cet oncle, celui qui se mariait, mon père.

 

Et je faisais peine à voir. Mes oncles et mon père me le faisaient bien savoir.

 

Reprenant un des arguments de mon père, cet oncle avait statué que « même un handicapé » faisait de son mieux. Alors que moi, j’étais gauche, contenu :

 

Plus dans le brouillard que débrouillard.

 

Les derniers souvenirs que j’ai de cet oncle avant ce mariage, c’étaient sa maison, en Guadeloupe à Petit-Bourg. Sa femme, souriante et affirmée, leurs trois enfants, deux cousines et un cousin, dont chaque prénom débute par la lettre U. Comme mon nom de famille. Je m’en aperçois seulement maintenant alors que je repense à cette balançoire faite d’un pneu, chez eux,  qui nous envoyait presque au dessus du vide.

 

Quelques années après ce mariage, j’ai entendu parler de son divorce. Par bribes.

 

Car je n’étais pas adulte.

 

J’ai appris qu’il jouait. De retour en Guadeloupe pendant les vacances, où notre père nous conduisait, nous passions devant son ancienne maison, sans doute habitée par son ex-femme et les enfants sans nous arrêter. Cette vie-là n’avait pas existé.

 

J’ai revu cet oncle plusieurs fois ensuite. Souvent chez mon grand-père. Pas si loin que ça de son ancienne maison. Il ne portait plus de costume. Il vivait dans une case en tôle, pas si loin que ça de son ancienne maison. Se déplaçait en mobylette. S’était fait des « amis » parmi des jeunes qui vivaient de peu.

 

Assez régulièrement, j’entendais ça et là des commentaires le concernant (mon père, mon grand-père) où l’on se désolait de son mode de vie. En métropole, à Paris, on aurait parlé de zonard plus ou moins SDF. Sauf qu’il avait son coin, ne mourait pas de faim et qu’il faisait toujours partie de la famille où il continuait d’avoir son mot à dire. Je ne crois pas qu’il exerçait un métier régulier et officiel. Et, je ne sais pas quel métier il exerçait dans son autre vie. Mais je le crois plutôt habile de ses mains. Comme bien des hommes de la famille de mon père et de mes ascendants du côté tant paternel comme maternel où le métier de maçon, voire charpentier, est une nomenclature.

 

Je n’ai jamais discuté avec lui de ce qui s’était passé dans sa vie. Je n’ai donc jamais pu écouter ce qu’il en disait. Mais j’ai cru trouver dans son attitude une forme d’acceptation du verdict qui l’avait touché : le divorce et sa suite.

 

C’est au décès de mon grand-père paternel que j’ai eu un contact téléphonique avec une de ses filles. Je ne l’avais pas vue depuis des années.

 

J’étais venu pour l’enterrement de mon grand-père paternel.  J’avais fait un discours- le seul discours dit à l’enterrement de mon grand-père par un membre de la famille ou un proche- dans l’église, remplie, de Petit-Bourg. Et, j’avais aussi filmé une partie de l’enterrement.

 

Cette cousine souhaitait que je lui envoie les images. Je les lui avais envoyées et j’avais appris qu’elle était devenue infirmière ou peut-être cadre-infirmière. J’avais senti en elle une certaine affection pour son père. Lequel, jusqu’à sa mort, est resté dans cet état de « vagabond » ou de semi-vagabond, se montrant souvent pieds nus, avec un short rapiécé, un chapeau et une chemise, et tutoyant le rhum en certaines occasions.

 

Je n’ai jamais parlé de lui avec mon père. Car je ne suis pas un homme.

Cet oncle est un fantôme de plus dans la famille. Peut-être qu’écrire, c’est aussi s’adresser à ses fantômes, retranscrire leurs réponses ou les souvenirs qu’ils nous laissent. Après, on en fait toute une histoire que d’autres écouteront, caresseront ou liront peut-être.

 

Parler de cendres, ce n’est d’abord pas très réjouissant. Mais, ce matin, je ne prends pas les cendres par le biais dépressif. Je pense aussi à cette cérémonie où l’on marche sur le feu. En Inde mais aussi dans les régions d’Outre-Mer. Aux Antilles comme à la Réunion.

 

Je me dis aussi que les cendres, cela peut aussi être les migrations de tous ces oiseaux qui parcourent des milliers de kilomètres, chaque saison. Mais aussi de ces créatures terrestres ou animales qui nous entourent et que l’on connaît beaucoup moins bien que ces autoroutes, ces trains ou ces bateaux qui nous permettent de partir en vacances. Car elles sont là, nos principales migrations. Dans nos congés et nos week-end.

 

A moins d’être de grands voyageurs. D’effectuer des déplacements pour notre travail. Ou de changer d’emploi, d’adresse ou de rôle régulièrement.

 

Ce matin, je me mesure aux cendres de mon oncle. Celles de sa vie, de sa contre-vie ou de cette cigarette fumée devant moi à ce mariage. Car, peut-être, bientôt, vivrais-je moi aussi une certaine migration.

 

Notre imagination est faite de toutes sortes de migrations. Ensuite, c’est nous qui décidons. De jeter les dés et de nous lancer derrière eux. Ou de les regarder.

 

Franck Unimon, ce dimanche 4 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

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Béatrice Dalle

 

Béatrice Dalle

 

(cet article est une variation de l’article Que Dalle un livre sur l’actrice et comédienne Béatrice Dalle).

 

 

 

Béatrice Dalle, aujourd’hui, fait moins parler qu’il y a « longtemps » : il y a dix ou vingt ans.

 

J’ai acheté ce livre parce que Béatrice Dalle me « parlait ». Comme un conflit pourrait parler à des vieux qui y avaient participé en tant que simple appelés ou appuis militaires. Ce qu’ils sont devenus ensuite, c’est un autre problème. Et, avant tout, et surtout, le leur. Ce que je raconte ensuite, ici, c’est peut-être aussi, avant tout, et surtout, mon problème.

 

Lorsque j’avais acheté ce livre consacré à Béatrice Dalle, je faisais déjà partie des vieux. Mais, bien entendu, je ne l’avais pas vu comme ça, ce jour-là. Aujourd’hui, je suis un peu plus réaliste :

 

Même si, en apparence, j’ai encore un look assez jeune, je vois bien que je fais partie des vieux. On peut être myope et visionnaire.

 

Ainsi, je vais spontanément vers des musiques – mais aussi vers des pratiques- qui montrent bien que je ne suis plus jeune. Récemment, lors d’une rencontre professionnelle, celle qui m’a reçu m’a dit :

 

« De toute façon, si vous m’envoyez un mail, je le recevrai sur mon portable ». Le fait que je sois autrement plus qualifié qu’elle pour le travail que j’effectuerai peut-être pour sa « boite »,  est ici accessoire. J’avais compris à cette simple phrase que j’étais vieux. Tant pour ces valeurs et ce mode de vie que cette « jeune » justifie et défend. Que pour cette façon d’offenser sans même s’en apercevoir.

 

J’ai regardé dans les yeux ma jeune interlocutrice. Ses beaux yeux bleus. Mais je n’étais pas amoureux. J’avais bien plus d’expérience qu’elle et voire qu’elle n’en n’aurait jamais pour ce travail pour lequel je la rencontrais. Pourtant, c’était elle qui dirigeait l’entretien.   Très certainement, m’a-t’elle trouvé l’abord froid et rigide de celui qui borde un monde qu’elle ne connaît pas. Elle ne sait pas qu’une grande partie de ma vie comme celle d’autres que je connais ou ai connus, se dévalue à mesure qu’elle devient un exemple à suivre. Et, j’en suis aussi en partie responsable :

J’ai refusé de devenir responsable de ce monde qu’elle défend.

 

Béatrice Dalle, dans l’ouvrage de Louvrier, est un moment comparée à Brigitte Bardot et à Marilyn Monroe. Régulièrement, se succèdent des personnalités et des idoles de toutes sortes qui en rappellent d’autres. Et si cela se perpétue, c’est parce-que cela rend plus polis certains de nos échecs. Que l’on soit jeunes ou vieux.

 

Mentionner Bardot, Monroe et Dalle, c’est additionner les sex-symbol. Un sex-symbol, c’est festif. Ça met en alerte. Ça donne envie de consommer. De se transformer en superlatif.

 

Mais c’est une histoire triste. Telle qu’elle m’a racontée. Celle d’une enfant d’une famille nombreuse sacrifiée parmi d’autres. Bonne élève d’une école dont elle a dû se retirer à l’école primaire. Afin de s’occuper de frères et de sœurs plus jeunes. Mais, aussi, pour faire la cuisine. Pourquoi elle plus qu’une autre ? Et, en quoi, cela aurait-il été plus juste qu’une autre soit choisie ?

 

 

Ma mère est une femme gentille. Comme aurait pu l’être le personnage joué par l’acteur Tim Robbins dans Mystic River réalisé par Clint Eastwood.

 

Ma mère est donc l’opposée d’une Béatrice Dalle. Si l’une et l’autre ont quitté leurs parents avant leur majorité, leur tempérament les sépare.  Béatrice Dalle a pu « se prendre la gueule » avec des femmes et des hommes, connus ou inconnus. Elle a aussi connu la rue. Eté punk. Elle peut baptiser des injures et professer des menaces qui ont valeur de futur. Ma mère n’a jamais prononcé le moindre gros mot devant moi. Elle a fait baptiser ses enfants.

 

Dans le livre qu’il a consacrée à Béatrice Dalle, le journaliste Pascal Louvrier relate que celle-ci a pu faire penser à une « panthère ». Ma mère n’a rien de la panthère. Mais j’aurais aimé qu’elle le soit. Qu’elle puisse l’être. Qu’elle sache l’être. Qu’elle puisse griffer. Elle ne le fera jamais. Au lieu de griffer, elle priera. Béatrice Dalle est croyante à sa façon, parle de Jésus-Christ mais elle et ma mère ne sont pas faites de la même ferveur religieuse. J’attends de voir Béatrice Dalle dans un film de Bruno Dumont.

 

Ma mère a été et est une très belle femme. C’est une femme capable. A son âge, beaucoup aimeraient avoir sa forme physique. Sa souplesse. Son endurance. Son dynamisme.

Mais elle est une de ces multiples femmes- déployées et employées- qui ont trop accepté un peu tout et n’importe quoi. Piégées sans doute par leur trop grande endurance, leur naïveté et leur indéfectible indulgence pour leurs peurs.

 

 

Certaines réussites sont là pour masquer certains échecs.  Normalement, ma mère a réussi. Son mariage. Ses enfants. Sa maison. Ses activités. Elle peut parler. Discrètement. Mais elle a plus subi de vérités qu’elle n’en n’a dit.

 

 

Béatrice Dalle, c’est le contraire.

 

 

Ça tombe très bien qu’aujourd’hui, on parle moins de Béatrice Dalle comme sex-symbol.

 

Parce-que toutes ces histoires de sexe, de drogue et de frasques (des histoires de jeunes)  m’empêchaient sans doute de comprendre qu’au cinéma, ou ailleurs, ce qui pouvait me déranger chez Béatrice Dalle mais aussi me donner envie d’aller la voir, c’était de pouvoir m’imaginer un peu ce que ma mère aurait pu être ou faire de différent.

 

Je vais peut-être au cinéma afin de pouvoir imaginer des différences. Et, pour moi, Béatrice Dalle permet ça.

Franck Unimon, Dimanche 4 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Erykah Badu

 

           Erykah Badu

 

 

Ses albums sont placés derrière les barreaux depuis plusieurs années maintenant. Parfois vingt.  Pourtant, ils continuent de nous libérer. Pourtant leurs canons ont fait et continuent de faire la jeunesse d’artistes que l’on écoute aujourd’hui.

 

Quand on est jeune.

 

Si le corps essuie et colmate avec des rythmes les gestes qui, dans la vie courante, nous manquent ainsi que les bruits que l’on cache et qui nous braquent, notre esprit, lui, détruit ou non, est la gomme qui efface les distances entre les œuvres et nous.

 

Plus jeune, j’avais entendu parler d’Erykah Badu. Je l’avais écoutée. Sûrement en regardant et en écoutant d’autres plus jeunes qui écoutaient les Fugees, Macy Gray, Kelis, Alicia Keys et sont probablement, aujourd’hui, passés à autre chose.

 

Autre chose.

 

Moi, le vieux, depuis peu, je réécoute ses albums. J’en ai emprunté à la médiathèque près de chez moi. J’en ai un acheté un, neuf, vendredi, à une femme d’une trentaine d’années, enceinte de plus de six mois, à Mairie de Montreuil, près d’un marchand de fleurs. Le lieu du rendez-vous avait été choisi par la vendeuse. Deux ou trois jours  plus tôt, j’avais commis un impair. Trop attaché à ce que j’écrivais, j’avais pris trop de retard. Mais, cette fois, j’avais plus d’une demi-heure d’avance. Je lui ai de nouveau présenté mes excuses. Je lui ai donné un peu plus que ce qui était prévu pour le disque. J’ignorais qu’elle était enceinte.

 

Aujourd’hui, j’entends autrement les titres d’Erykha Badu. Je croyais pourtant qu’avec les ans, on devenait sourd. Peut-être pas. Je repense à mon père, tiens. Le premier amateur de musique que j’ai connu. Pourquoi, vers ses quarante ans, a-t’il arrêté d’acheter des disques comme d’écouter de la musique à la maison ? Lui, qui était allé jusqu’à acheter des magazines de musique spécialisés tels Rock & Folk et Best. Des magazines dans lesquels des critiques, qui se dévouent à la musique, passent leur vie à en écouter, à aller à des concerts, à rencontrer des artistes. Puis, à en parler et à donner envie de les écouter et d’en discuter avec d’autres.

 

La musique, ça a à voir avec la vie mais aussi avec notre enfance et notre jeunesse. Alors, mon père a-t’il arrêté de vivre vers ses quarante ans comme beaucoup d’autres ? Ou a-t’il considéré que tout cela était anecdotique et coûtait trop d’argent pour si peu d’épanouissement ?

 

On arrête tous de faire quelque chose à un moment ou à un autre, de notre vie. Mentir. Vomir. Sucer son pouce. Faire du sport. Sortir. Rire de tout.

 

Certaines personnes nous expliqueront que cela correspondait à une étape de leur vie. Et que tout cela appartient désormais au passé. Mais est-on toujours obligé de le croire ?

 

A quarante ans, néanmoins, j’ai arrêté d’aller danser. De danser. Je me sens un peu fautif. Surtout envers ma fille. Enfant et ado, j’ai des souvenirs de soirées antillaises (mariages, baptêmes, communions) où beaucoup de gens dansaient, discutaient et mangeaient pendant des heures dans des grandes salles. Et, parfois, deux ou trois se bagarraient. Je me suis raconté des histoires, certains soirs, à regarder tout ce monde. Mais j’ignorais que ce que je voyais et entendais était exceptionnel. Ce que nous voyons et entendons peut être exceptionnel. C’est nous, qui l’oublions.

A ces soirées, je n’ai pas pris de notes. Je n’en prenais pas. Je n’ai rien filmé. Je n’avais pas de caméra. Je n’ai pas pris de photos. Et les quelques photos qui ont été prises l’ont été par d’autres regards et d’autres intentions. Mais j’ai appris à gesticuler. Ou à…danser.

 

 

J’ai été un peu triste, lorsqu’un jour,  un petit a demandé à sa mère si, à leur mariage, elle et son père, avaient dansé. Elle a répondu un peu gênée, intimidée par cette question posée en public, comme si le sujet était osé :

« Non, on n’a pas dansé ». Elle avait une trentaine d’années et était plutôt d’un abord avenant. C’était au conservatoire d’Argenteuil, au Val d’Argenteuil. J’avais emmené ma fille à son cours de danse. A son cours d’initiation à la danse et au chant. On emmène au conservatoire nos enfants pour qu’ils apprennent ce qui a pu et peut s’apprendre dans les soirées voire entre copains et copines. Ou chez la tante, le grand-père ou avec la cousine ou le cousin.

 

Je ne sais pas quoi penser de ma « défection » à propos de la danse. Si ce n’est que, certaines fois, je me dis que j’en ai assez de répéter les mêmes gestes. Pourtant, je n’aime pas penser que, pour moi, la danse, c’était l’armée. On danse aussi pour arrêter d’être des bêtes traquées.

 

J’ai peut-être eu moins besoin de m’échapper. Et, aussi, celles et ceux que je fréquente désormais sont plus installés dans leur vie et davantage portés sur la parole. Ou, souvent aussi, quand même, nous parlons des mêmes…. sujets.

 

J’imagine qu’Erykah Badu, même si son dernier album a quelques années, a continué de danser et de chanter. Si une Me’Shell Ndégeocello ou une Björk ont pu se mettre en danse sur scène, cela se passait autrement pour Miles Davis. Par contre, j’ai appris qu’Erykah Badu avait dirigé la réédition d’albums de Fela. Mon père avait un de ses albums à la maison. Mais il ne le mettait pas souvent. Et il n’achetait plus de disques lorsque Kassav’ a émergé. Et encore moins lorsque d’autres artistes de zouk sont ensuite arrivés tel Jean-Michel Rotin qui fait partie des anciens, maintenant.

 

Comme Erykah Badu.

 

Rimshot, en concert, a été le titre qui a reposé Erykah Badu sur mon atlas musical. Et, tout cela, suite à un stage d’apnée à Quiberon, en Bretagne, avec mon club le mois dernier. Parce-que j’ai fait des photos. Et qu’ensuite j’ai fait deux  diaporamas, un long et un court, et qu’à chaque fois cette chanson d’Erykah Badu a été celle que j’ai mise au premier plan.

 

De l’apnée en Bretagne, et, aussi, de la chasse sous-marine, à Erykah Badu. Nos directions et notre façon d’écouter la vie restent assez imprévisibles. Notre façon d’écouter, surtout. Car, souvent, le reste suit. A plus ou moins long terme.

 

Franck Unimon, ce dimanche 6 juin 2021.  

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Chemin de halage

Sur le chemin de halage entre Argenteuil et Epinay sur Seine. Vers Argenteuil et la A15, ce mercredi 7 avril 2021, un peu avant midi.

                                                      Chemin de halage

 

Je suis parti interroger mon corps. J’avais besoin d’informations. Il a bien voulu se laisser faire. Même si, au préalable, il m’a fallu tout un tas de préparatifs. C’en était ridicule. C’était beaucoup plus simple lorsque j’étais plus jeune.

Mais, là, avais-je les bonnes chaussures ? Mes chaussettes étaient-elles assez minces pour ne pas trop martyriser mes petits pieds ? Car les baskets, pendant le footing, avec le poids du corps et l’afflux du sang, ça comprime.

La veste. Avais-je la bonne veste ? Non, pas ce k-Way- là dans lequel j’allais suer tel un champignon rissolé mais plutôt celle en goretex. Si je l’avais achetée, c’était bien pour qu’elle me serve. Ah, oui, mes clés. Juste celles dont j’avais besoin. Je n’aime pas quand ça fait bling-bling quand je cours. Peut-être parce-que je crains que l’on confonde le bruit des clochettes avec celui du mouvement de recul de mes testicules.

Et, la petite compote, facile à avaler, ça peut servir en cas d’hypoglycémie. Avale-donc un peu d’eau avant de partir. Tu as la bouche sèche. Et un petit bout de chocolat, aussi, car la matinée est avancée. Tu as pris ton petit-déjeuner il y a plus de quatre heures. Et, on dirait que tu commences à avoir faim…

 

J’ai rajouté un masque anti-covid que j’ai mis dans une de mes poches. J’ai ouvert la porte de l’appartement et me suis engagé sur le palier….une pensée.

 

J’allais partir sans mes clés posées à l’entrée.

 

J’ai attrapé mes clés, un peu contrarié. Enfin, j’étais prêt. Un vrai marié. 

 

Dehors, la température extérieure était de 7 degrés. Mais, plus froid, ça n’aurait rien changé. Je reste étonné de voir que certaines personnes attendent qu’il fasse chaud pour sortir le vélo ou faire un peu de sport. « Viens, on va se mettre au sport, il fait beau, aujourd’hui ». Mais lorsque les températures augmentent, notre corps se déshydrate plus vite. C’est rapidement la transe ou le sauna. Il faut être entraîné, condamné ou se préparer à aller courir dans le désert pour sortir faire du sport en pleine chaleur. Ou, bien-sûr, ne rien changer à sa vie sportive habituelle lorsque l’on a en une. Cela est assez oublié, mais l’un des propos du sport est aussi de nous préparer à nous adapter à notre environnement immédiat (rivière, escalade, barrière de corail ou autre obstacle naturel ou mental se trouvant sur notre passage…). Cela dépasse le simple fait de perdre des calories et du gras afin d’être suffisamment « slim » pour la séance plage ou photo. La pratique sportive, seule, ne suffit pas à faire de nous des aventuriers ou des guerriers redoutables. Mais elle peut nous aider à nous élever au delà de certaines de nos faiblesses.

 

Ces faiblesses peuvent aussi bien être d’avoir le souffle court ou d’avoir le réflexe de facilement croire ou penser que tout ce qui vient de nous est forcément nul. Pratiquer régulièrement et à son rythme. En restant proche de la limite du plaisir. Cette règle est valable pour beaucoup de disciplines. 

 

A « l’ancienne » :

 

Je fais toujours mes footing à « l’ancienne » : comme je l’ai appris à l’adolescence.

Pas d’écouteurs dans les oreilles. Pas de podomètre. Pas de cardio fréquencemètres, de montre connectée. Je préfère. 

Si je laisse mon téléphone portable allumé, c’est davantage pour connaître la distance parcourue, peut-être en cas d’appel ou de message important. Ou pour faire des photos. Surtout, aujourd’hui. Il fait beau. Et, ce matin, vers 7h, j’ai repensé au viaduc où la jeune Alisha est morte le 8 mars dernier.

 

Si je ne disais que ça, je paraitrais être sous l’emprise d’un atavisme morbide.

 

Inconsolable

 

 

Lorsque ce matin, j’ai eu l’idée d’y retourner, j’ai d’abord pensé appeler cet article Inconsolable. Dans la musique que j’écoute désormais, Jimi Hendrix avait remplacé Agnès Obel depuis longtemps. Agnès Obel dont un critique avait écrit, il y a quelques années, qu’au début d’un de ses concerts, concert auquel il avait assisté, il avait d’abord eu l’impression qu’elle sortait d’un réfrigérateur. Tant sa musique était froide. Si j’avais aimé et envié cet humour, le critique avait néanmoins remarqué qu’à mesure de l’écoute, la musique d’Obel avait fini par l’atteindre.

 

En écoutant Jimi Hendrix, ce laveur de solo, ce technicien de toute notre surface cérébrale mais aussi crépusculaire, j’avais fini par comprendre la raison pour laquelle, même si j’ai dansé sur ses titres, j’ai toujours conservé une réserve envers Prince, ce génie musical. Je me rappelle d’un article où l’on parlait de la guitare de Prince, comme de son « arme de destruction massive ». Mettez vos oreilles au contact du coffret Songs for Groovy Children , lors des concerts donnés par Jimi Hendrix fin 1969, début 1970 et vous changerez d’avis. Prince devait avoir 12 ou 13 ans en 1969. Il a sûrement entendu parler de ce concert, et encore plus d’Hendrix.

Quand je pense qu’il a fallu payer « seulement » 6 dollars ( les dollars de l’époque) pour voir Hendrix en concert en 1969.

 

Un de mes collègues m’a dit récemment : « Lorsque des gens disent que Prince était un très grand guitariste, ils mentent. Même si c’était un génie ». On peut trouver ce jugement ingrat. A moins d’avoir écouté Hendrix et de se rappeler, à nouveau, qu’Eric « God » Clapton, lui-même, avait pris peur en découvrant Hendrix sur scène en Angleterre, dans son royaume uni. J’ai lu que Clapton peut raconter qu’il avait en quelque sorte trouvé son rythme de croisière avec son groupe (loin d’être des musiciens amateurs) et qu’il se croyait établi. Lorsque Hendrix, arrivant des Etats-Unis, a débarqué sur scène. Hendrix qui avait, à ses débuts, tourné un peu avec Ike Turner, avant que celui-ci, selon certains dires, en aurait eu assez. Car Hendrix prenait trop de solos. En écoutant le coffret de Songs For Groovy Children, la durée des titres ( plusieurs dépassent la dizaine de minutes) et la « longueur » des solos de Jimi Hendrix, on peut s’amuser à imaginer la tête d’Ike Turner s’il avait été sur scène dans ces moments-là. 

Hendrix n’était pas un artiste de foire. Et il était encore moins prêt à rester enfermé dans une cage tel un hamster auquel on viendrait parler de temps en temps. Sa musique, dans ce coffret, m’a tellement consolé qu’en l’écoutant, j’avais envie de pleurer. Le bibliothécaire à qui j’en ai parlé a paru surpris. Alors qu’il avait été le premier à avoir un air un peu navré, lorsqu’il y a quelques mois, je m’étais décidé à emprunter une anthologie de Johnny Halliday. Oui, Johnny Halliday. Dans un magazine de musique réputé, j’avais lu une bonne critique sur un de ses albums qui datait des années 60 ou 70. Je « savais » peut-être déja que Johnny avait sollicité Hendrix afin que celui-ci fasse sa première partie. Par contre, je savais beaucoup moins que Johnny et Jacques Brel étaient très proches. Dans la musique, comme en art et dans la vie d’une façon générale, les gens les plus ouverts et les plus rock’n’roll, peuvent ressembler assez  peu à celles et ceux à qui l’on s’attendait en prime abord. 

Bien que nos yeux soient souvent des guichets ouverts, nous regardons souvent celles et ceux qui nous entourent tels des aveugles…

 

Tout amateur de musique attend ces moments où l’artiste va lâcher un solo. Et où ce solo le saisira le plus longtemps possible. Dans le coffret Songs for Groovy Children, Hendrix en lâche, des solos. Ce faisant, il les tient en laisse bien au delà de la durée réglementaire. Et, sa voix ! Ce Blues. Solo/voix, solo/voix. Cela pourrait être deux personnes. C’en est une. Et, avec Hendrix, ses deux autres musiciens, basse, chant, batterie qui suivent et sont loin d’être des scissions secondaires.

 

 

Cependant, avant Jimi Hendrix, j’avais réécouté le Zouk de Jean-Michel Rotin. Un autre style. Un artiste plus « récent », encore vivant, que j’ai sans doute très mal présenté.

 

 

Depuis, Jimi a été remplacé ( le coffret Songs for Groovy Children, fastueux) par le concert d’Aretha Franklin Live at filmore West. J’ai emprunté ce cd, avec d’autres, avant que le nouveau confinement dû à la pandémie ne « close » à nouveau les médiathèques et autres lieux estimés « non essentiels ».

Non-essentiels :

 

 Les deux artistes, Jimi Hendrix et Aretha Franklin ont réalisé ces performances sur scène vraisemblablement dans le même festival, mais à un ou deux ans d’intervalle.

 

 

On imagine un certain nombre de duos entre deux artistes que l’on aime bien. Même si, souvent pour des histoires d’ego et de sous, la plupart de ces duos ou de ces collaborations, sont morts nés. Un artiste en plein épanouissement poursuit souvent une trajectoire vers ce qu’il pense être son chemin. Et, personne ne peut ou ne doit le faire en dévier, sauf s’il le décide. Aretha Franklin, par exemple, à ce que j’ai lu, toute croyante et fervente chanteuse de Gospel qu’elle était, n’aspirait à rien d’autre qu’être la meilleure et a considéré d’autres chanteuses comme ses rivales, forcément moins légitimes qu’elle (Natalie Cole, Diana Ross….)

 

 Ce matin, j’ai pensé à un duo Jimi Hendrix/ Aretha Franklin. Il n’y avait peut-être pas de rivalité entre les deux. Je ne sais pas s’ils se sont parlés ou rencontrés.

 

Après Aretha Franklin, j’ai écouté le dernier album d’Aya Nakamura. Aujourd’hui, Aya Nakamura est une vedette internationale. On a pu voir des images du footballeur brésilien, Neymar, superstar du Foot, et de l’équipe du PSG, danser sur son titre Djadja. Youtube n’existait pas à l’époque d’Aretha Franklin et de Jimi Hendrix.

 

 

 

J’aime la musique d’Aya Nakamura. Et ce n’est pas la première fois que je la cite. Mais en découvrant son album (acheté  hier à la Fnac St Lazare demeurée ouverte, en pleine pandémie du Covid, alors que la médiathèque de ma ville, pour les mêmes raisons, a été obligée de fermer son accès au public depuis samedi dernier), j’ai bien été obligé de constater que, comme me l’avait fait remarquer un des employés de la même Fnac il y a environ deux ans, les paroles des chansons d’Aya Nakamura sont loin d’être…. des.prophéties.  Les gros mots ne me dérangent pas. C’est surtout le projet des textes :

 

«  Je t’ai aimé. Tu m’as désiré. Tu m’as menti. Tu m’as trahi. Tu m’as pris pour une conne. Tu parles sur moi. Tiens, prends, ça dans ta figure. Et encore, ça. Je suis libre, j’ai de la fibre, je t’emmerde. Et je peux vivre sans toi. En plus, j’ai beaucoup de succès. Et, toi, tu n’as rien. Qui te connaît ?!  Tchip !».

 

ça fait trois albums que ça dure, et ça peut encore continuer comme ça longtemps puisque ses chansons ont du succès. Je ne discute pas les atouts de sa musique. En écoutant ses paroles, je comprends qu’une certaine jeunesse, en grande partie féminine dans un monde encore réglé par et pour les hommes, puisse s’identifier à ses émois ainsi qu’à ses « exploits » ( sexuels, affectifs, économiques ou autres).

Et puis, la musique d’Aya Nakamura donne particulièrement envie de danser, toutes générations confondues. Ce qui est important pour toute personne qui aime danser ou qui est plutôt à l’aise pour le faire. Ce que peut avoir beaucoup de mal à comprendre toutes celles et ceux, pour qui, le simple fait de taper nerveusement du pied suffit pour danser. Mais aussi celles et ceux qui voudraient décortiquer du Shakespeare ou, pourquoi pas, du Césaire, en toute circonstance.

La musique d’Aya Nakamura emballe tout le corps Ses titres, limités à 3 ou 4 minutes, semblent étudiés pour ça. Ses phrases sont très simples à retenir. Et, j’imagine très facilement un public conquis répéter ses paroles en choeur en plein concert avec une très grande spontanéité libératrice. Et, aussi, frondeuse. 

 

Je constate bien, depuis que j’ai commencé à écouter son album hier que deux ou trois titres me pendent à l’oreille, tels Doudou ou Mon chéri, au moins. Si bien que je dois faire un effort pour remettre l’album d’Aretha Franklin afin de bien choisir le titre que je compte vous présenter. Alors que, spontanément, j’ai surtout envie de remettre le Cd d’Aya Nakamura. Alors que je « sais » comme l’album live d’Aretha Franklin est plus que bon. Et qu’Aya Nakamura n’approchera sans doute jamais de sa voix les contrées et les inspirations qu’Aretha est allée chercher et a fait descendre sur terre pour qu’on puisse les entendre. Mais aussi, que même en matière de « vice »,  Soeur Aretha était encore bien plus indocile que petite soeur Aya. Amen.

 

Travailler, travailler, travailler :

 

Je ne doute pas non plus qu’Aya Nakamura soit une travailleuse dans sa veine artistique et musicale. Ainsi que celles et ceux qui l’entourent et la conseillent plutôt bien.

 

 

 

Dans le dernier numéro du magazine Self &Dragon, il est demandé au comédien Bruno Putzulu, un comédien dont j’aime beaucoup le travail et que j’avais aimé voir au cinéma dans le film L’Appât, film qui m’avait marqué à sa sortie au début des années 90, de feu Bertrand Tavernier- réalisateur décédé récemment – les conseils qu’il pourrait donner à quelqu’un voulant se lancer dans le métier de comédien.

 

 

Pour pouvoir espérer réussir dans le métier de comédien, Putzulu commence par répondre qu’il conseillerait à un (e) apprenti( e ) comédien (ne) de :

« Travailler, travailler, travailler ».

Putzulu connaît évidemment son sujet. Mais je vais pourtant le contredire. D’abord, en tant que comédien, même s’il vit de son métier, il fait partie de ces très bons comédiens, qui sont à mon avis sous-employés. Des comédiens auxquels on ne propose pas des « grands rôles » leur permettant d’étaler véritablement ce qu’ils savent faire. Parce-que l’on ne pense pas à eux. Parce-que l’on ne les choisit pas. Et, cela n’a rien à voir avec leur capacité de travail.

 

Et que l’on ne me parle pas de la « grâce ». Parce-que, personne ne trouve Samuel Jackson ou Joey Starr ou Jean-Pascal Zadi Tout simplement Noir), ni même Omar Sy Yao, Police-un film d’Anne Fontaine ) gracieux. Pourtant, personne, aujourd’hui, ne contestera leur « particularité », leur « originalité », leur « style », leur « personnalité » ou leur « talent ». Parce-que, entre leurs débuts, et maintenant, ils ont chacun, de différentes façons, rencontré le succès. Et se sont rendus « désirables ». 

 

Et, le succès, tout comme le désir, lorsque tu évolues dans un domaine artistique et public, ça se respecte voire ça se gère ou ça se craint. Car cela représente un jackpot économique potentiel si tu fais partie du « deal » ou de l’entourage immédiat du poulain ou de la pouliche qui est très en vue ou qui peut remporter d’autres grands prix. 

 

Que tu t’appelles Aya Nakamura, Aretha Franklin ou Jean-Pascal Zadi. Peu importe le message que tu passes ou que tu essaies de faire passer. Peu importe que, dans le cas d’une Aretha Franklin, Martin Luther King soit venu dormir chez ton père, lors de certains meeting, ou que tu aies fait des concerts, gratuitement, en soutien pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les années 60. Ou que, comme Aya Nakamura, tu parles de ruptures sentimentales, et de mecs qui n’assurent pas.

 

Le succès, ça se respecte, et, il n’y a pas de règle établie pour y parvenir. On peut se défoncer toute sa vie pour réussir. Y compris avec son derrière. Et échouer. C’est ça, le secret que tout le monde connaît. Et pour enterrer un peu plus l’idée selon laquelle, la grâce permettrait de différencier une personne qui en a d’une autre qui en serait dépourvue, on va se rappeler que, pour certaines et certains, la grâce est tout de même bien mise sur orbite, ou « aidée », par l’entourage stratégique que l’on connaît, et le moment, aussi, où l’on apparaît en public. Ensuite, c’est à nous de jouer. Soit on fait tout de travers. Soit on « fait le travail » pour lequel on a été préparé. 

 

Cependant, pour réussir, il faut bien, à un moment ou à un autre, rencontrer, décider ou dérider quelqu’un qui jettera sur notre trajet un peu de cette de poudre magique qui nous permettra de réussir. Et, réussir, qu’on le veuille ou non, cela signifiera toujours réussir économiquement. 

Ce que n’ont toujours pas compris quantités d’idéalistes et d’abrutis- dont je fais partie- qui se condamnent d’eux-mêmes. C’est parce-que je me suis condamné à faire partie des invisibles et des ratés du box-office économique que je fais partie des abrutis.  

 

 

Si des professions comme les professions soignantes sont maltraitées de manière répétée, c’est aussi, parce-que, à moins d’être une personnalité très médiatisée ( ça existe parmi quelques soignants généralement médecins ou psychologues), la majorité des soignants sont des anonymes, donc, éloignés du « succès » public mais, surtout, économique. Lorsque l’on contribue à sauver une vie, par exemple, cela ne fait pas des millions d’entrées au box-office. Cela ne fait pas vendre de la pub, du pop corn ou du coca-cola. Il n’existe pas de festival de Cannes du soin qui serait convoité et visité par des millions de spectateurs, avec limousine, grandes célébrités et retransmission médiatisée dans le monde entier de l’événement. Alors, au mieux, on « admire » les soignants ou on les applaudit. Et, tout ordinairement, on peut les négliger. On peut aussi les plaindre car cela ne coûte pas grand chose non plus. Pourtant, les soignants, comme bien d’autres gens, des artistes inconnus, ou d’autres personnes exerçant dans d’autres professions, sont des travailleurs. Mais pas de petite poudre magique pour eux afin d’améliorer leur statut ou leurs conditions de travail. Pour eux, et pour tant d’autres- les invisibles et les ratés du box-office de la réussite économique- la vie sera dure. Les conditions de travail. Le salaire. L’épargne ou la retraite. La santé. Tout sera susceptible d’être dur ou de le devenir pour eux, s’ils n’apprennent pas à encaisser et à esquiver.

A un moment donné, soit, on sait encaisser. Soit, on se fait lessiver. 

Enfin, si les polars connaissent autant de succès, c’est aussi parce qu’ils racontent souvent l’histoire de grâces et d’innocences qui ont été saccagées. Et nous connaissons, intimement, ce genre de vérités. Donc, travailler, travailler, travailler, ne suffit pas.

 

C’est étonnant comme le simple fait de reprendre les footing peut  vous dévergonder. J’étais plus éteint que ça en partant courir ce matin.

La « petite » Aya Nakamura, elle, avait compris tout ça bien plus tôt que moi, et sans avoir besoin de faire des footing. C’est pour ça qu’elle a réussi et, qu’aujourd’hui, elle peut nous faire danser.

 

 

 

La librairie Presse Papier :

Il y a quelques jours, un collègue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion à la mort d’Alisha ( Marche jusqu’au viaduc). Mais c’était pour lui un événement comme un autre. Il a vite occupé ses pensées à tenir sa tasse de café ou à d’autres sujets. ( Quelques jours plus tard, sans que cela ait évidemment de rapport avec le décès de la jeune Alisha,  j’apprenais que ce collègue avait attrapé le Covid)

Ce matin, en allant acheter le journal dans la librairie du centre-ville, j’ai pris le temps de discuter avec le gérant et un habitué. Les deux hommes se connaissent bien visiblement. Le premier habite Argenteuil depuis quarante ans. Le second, enseignant à la retraite, est né à Argenteuil. Militant, je l’ai déjà vu distribuer des tracts à la sortie de l’école. Il m’a appris ce matin être à l’origine de la création du salon du livre d’Argenteuil. Mais aussi de l’association Lire sous les couvertures.

 

Mais il m’a appris davantage : la voie expresse qui, aujourd’hui, coupe les Argenteuillais des berges de la Seine n’existait pas avant….1970. Grosso modo, lorsque Jimi Hendrix a fait son concert fin 1969 et début 1970 ( le concert d’Aretha Franklin date de 1971), il existait une promenade le long de la Seine. On organisait même des cross sur cette promenade qui aurait existé de 1820 à 1970.

 

Sur le chemin de halage, vers Argenteuil, ce mercredi 7 avril 2021. Sur la fin de mon footing, de retour d’Epinay Sur Seine. C’est sous ce viaduc que le 8 mars, Alisha….

 

 

Tout à son récit, D m’a parlé du chemin de halage du côté du viaduc. Marcheur, D s’est enthousiasmé pour le travail « extraordinaire » qui avait été réalisé sur ce chemin de halage pour le rendre agréable. Il m’a confirmé brièvement. Oui, c’était bien là, sous le viaduc qu’il y avait eu le fait divers….puis, il a poursuivi son argumentaire concernant la façon dont l’aménagement de la ville était mal géré. D m’a appris qu’il avait un blog, très bien fait, alimenté régulièrement, dans lequel il parlait d’Argenteuil. Il m’a invité à le lire. Je lui ai aussi parlé du mien mais cela n’a pas paru lui parler plus que ça. Je ne sais pas si D préfère écouter Aya Nakamura ou lire son blog. Je ne sais pas non plus si elle en a un. Par contre, en quittant la librairie, je savais que j’allais retourner au viaduc. J’ai un moment pensé à faire le parcours à vélo afin de bien profiter de la Seine sans trop me fatiguer. Puis, je me suis rapidement dit que ce serait une bonne occasion de reprendre le footing. Afin de voir où j’en étais.

 

Le chemin de halage :

Je m’étais mis en tête de courir trente minutes pour une reprise. Sans aucune idée du temps qu’il me faudrait pour arriver au viaduc.

 

Les dix premières minutes ont été un peu inconfortables. Car mon corps n’était plus habitué au footing. Mais, très vite, j’ai perçu que mon cœur, lui, était au rendez-vous. Peut-être les effets de mes trajets à vélo depuis bientôt deux mois depuis la gare St-Lazare pour aller à la travail. A chaque fois, à l’aller comme au retour, trente minutes de vélo.

 

 

Il m’a fallu douze minutes, à allure douce, pour arriver au viaduc. J’avais le soleil de face. J’ai continué sur le chemin de halage jusqu’à arriver à Epinay sur Seine, ville de tournage de cinéma. Mais ville, aussi, où se trouve une clinique psychiatrique où il a pu m’arriver de faire des vacations. Je pouvais alors m’y rendre en environ vingt minutes en voiture. Là, j’avais mis à peu près trente trois minutes en footing. A vélo, j’en aurais sûrement pour 20 minutes, peut-être quinze, par le chemin de halage. Le centre Aqua92 de Villeneuve-la-Garenne, où les trois fosses et le bassin de 2,20 de profondeur, permettent de pratiquer apnée et plongée n’était pas si loin que ça. Même s’il devait rester quinze à vingt minutes de footing pour y arriver.

 

Je me suis arrêté pour marcher. Prendre le temps de souffler. Quelques photos. Après dix minutes, je suis reparti en sens inverse. A l’aller comme au retour, les gens que j’ai croisés, promeneurs, coureurs, étaient enclins à dire bonjour. L’absorption des relations sociales par le confinement et la pandémie favorisaient peut-être ces échanges simples.

 

 

Je prenais des photos de ce « bateau-école » lorsque G…, me voyant faire, a ouvert la porte pour me renseigner. Elle m’a donné quelques explications, m’a remis une brochure avec les tarifs. Puis, je suis reparti.

 

Je commençais à en avoir plein les cuisses. L’acide lactique. Ça m’a étonné parce-que je ne courais pas particulièrement vite. Cela devait venir du manque d’entraînement, sans doute.

 

A l’approche du viaduc, j’ai ralenti. Encore quelques photos. J’étais près du mur des fleurs à la mémoire d’Alisha, lorsque la sirène du premier mercredi du mois a retenti. Je ne pouvais pas filmer meilleure minute de silence qu’avec cette sirène.

 

 

 

Devant tout ce bleu, tout ce soleil, je me suis dit que la mort d’Alisha, d’une certaine manière était un sacrifice. Et, qu’est-ce qu’un sacrifice, si ce n’est une mort- ou un soleil- qui permet à d’autres de vivre ou qui leur indique le chemin qu’ils doivent suivre pour continuer de vivre ?

 

Photo ce mercredi 7 avril 2021, depuis l’endroit où le 8 mars, Alisha a été poussée dans la Seine après avoir été tabassée.

 

 

Après la minute de silence, j’ai fait le tour du viaduc dans le sens inverse de la dernière fois sans m’attarder. En faisant ça instinctivement, j’ai eu la soudaine impression de défaire le cercle de la mort.

 

Même endroit que la photo précédente, ce mercredi 7 avril 2021. En regardant dans la direction d’Epinay-sur-Seine.

 

Evidemment, je n’irai pas expliquer ça aux parents d’Alisha, ni à ses proches ou à celles et ceux qui l’ont connue de près. Et, je ne crois pas que j’aimerais que quelqu’un vienne me tenir ce genre de propos si je perdais une personne chère.

 

Ce mercredi 7 avril 2021, en rentrant sur Argenteuil vers la fin de mon footing.

 

 

Pourtant, sans cette mort le 8 mars, je ne serais pas venu jusqu’à ce viaduc. Je n’aurais peut-être jamais pris ce chemin de halage alors que cela fait déjà 14 ans que je vis à Argenteuil.

Ce chemin de halage, je l’avais supposé depuis Epinay Sur Seine où je m’étais rendu en voiture ou à vélo. Mais sans savoir qu’il pouvait aller jusqu’à Argenteuil.

Et, j’avais déjà entendu un Argenteuillais, adepte du footing, en parler, il y a trois ou quatre années, mais cela était resté très abstrait pour moi. Je n’imaginais pas un tel chemin, aussi étendu, aussi large, aussi agréable. Et, à travers tout le bleu de ce mercredi 7 avril,  je comprends qu’Alisha, le 8 mars, ait pu très facilement accepter de suivre celle qui a servi d’appât, comme le titre du film de Bertrand Tavernier qui avait été inspiré d’un fait divers. 

Lorsque je suis venu ici pour la première fois ( Marche jusqu’au viaduc ),  il faisait plus sombre. Et je m’étais dit qu’Alisha avait vraiment dû se sentir en confiance pour venir dans un endroit pareil. Mais le 8 mars, il faisait peut-être beau.

 

Lorsque l’on compare les photos que j’ai faites de cet endroit la première fois que j’y suis venu, le 16 mars, avec celles de ce mercredi 7 avril, on remarque que la lumière et l’atmosphère sont très opposées. Ce mercredi 7 avril, la lumière est très belle. J’ai posté une des photos de ce jour, prise depuis le chemin de halage ( celle qui ouvre cet article) sur ma page Facebook, et elle a plu à plusieurs personnes. Elle me plait aussi. Tout ce bleu. Ce soleil. 

Comme ces photos prises deux jours différents, malgré tout le béton dont l’être humain s’entoure, notre nature se lézarde et mue. Ces mues ne sautent pas aux yeux à première vue. Elles sont d’abord invisibles, souterraines, imperceptibles, légitimes ou illégitimes. Mais elles surviendront, pour le pire ou le meilleur, si elles trouvent un moyen ou un chemin pour s’affirmer et s’affranchir de nos secrets.  De nos codes. De nos limites.

Ces mues, nos changements, de comportement, tenteront de s’adapter et de s’habituer au grand jour et au monde. Ils seront parfois aussi violents qu’éphémères. On peut d’abord penser à des crimes ou à des actes monstrueux. Mais on peut aussi penser à certaines carrières fulgurantes :

Jimi Hendrix est mort ultra-célèbre à 27 ans alors qu’il ne pratiquait la guitare que depuis une douzaine d’années…… on nous parle encore d’Amy Winehouse, de Janis Joplin, de tel acteur ou tel actrice « parti(e) trop vite… » . On peut aussi penser à des aventuriers de l’extrême morts trop jeunes tels que l’apnéiste Loïc Leferme . Ou même à l’apnéiste… Audrey Mestre.

 

En m’éloignant du viaduc, un homme noir d’une soixante d’années semblant venir de nulle part, partait comme moi. Il marchait et avait du mal à remonter la pente. Il avait baissé son masque anti-covid sûrement pour mieux reprendre son souffle. Je l’ai dépassé en reprenant mon trot. Ce faisant, je l’ai salué. Il m’a répondu, un peu étonné. Puis, je l’ai distancé. Je serai peut-être ce vieil homme, un jour.

 

Lorsque j’ai retrouvé la route d’Epinay, en allant vers Argenteuil, un bus 361 m’a dépassé. Puis, j’en ai un croisé un autre un peu plus loin. A l’aller, aussi, j’avais croisé un 361. Cet itinéraire est vraiment bien desservi par le bus.

 

En rentrant chez moi, je suis repassé devant le hammam. Il avait l’air ouvert. Je me suis dit que j’y retournerais. Et que cela me permettrait, aussi, de profiter de leur très bon thé à la menthe.

 

Franck Unimon, ce mercredi 7 avril 2021.( complété et finalisé ce mardi 13 avril 2021).

 

 

 

 

 

 

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Moon France Musique self-défense/ Arts Martiaux

Rété Simp

 

                                                                Rété Simp

Ce fut le titre que je n’ai pas cité le 16 mars. Lorsque j’ai marché jusqu’au viaduc où, ce 8 mars 2021, la jeune Alisha Khalid a été battue par deux de ses camarades puis « déchargée » dans la Seine. Où son affaiblissement – du à ses blessures-  ajouté à l’hypothermie, l’impuissance et le désespoir sans doute lui ont enlevé sa vie par noyade.

 

Rété Simp ( « Reste simple »/ « Reste modeste »/ « arrête de te la péter » en créole guadeloupéen mais aussi martiniquais) est un titre de zouk de l’artiste Jean-Michel Rotin qui date des années 90 ou peut-être du début des années 2000. Il faisait alors partie du groupe Energy. Il est le deuxième en partant de la gauche sur la photo. 

 

Je n’avais pas envie de zouker quand j’ai écritMarche jusqu’au viaduc . C’est sûrement pour cela que j’ai alors « oublié » de citer Rété Simp.

 

Pourtant, ce titre, je l’avais aussi « entendu » alors que je me rapprochais du viaduc sous la A 15. Mais d’autres émotions avaient enserré le dessus de mes pensées. Des émotions que plusieurs personnes – qui ont lu l’article- m’ont aussi exprimé que ce soit par un mot sur ma page Facebook, un « signe » ou un sms.

 

Avant hier, particulièrement, j’ai passé quelques moments difficiles émotionnellement à « repenser » de près ou de loin, au meurtre d’Alisha. Il arrive aussi que depuis le train que je prends pour aller au travail, j’aperçoive au loin, furtivement, le viaduc sous lequel cela s’est passé.

 

Au vu de ma sensibilité « augmentée », je me suis demandé si j’étais proche d’un « ressenti traumatique». Mais je crois être  « simplement » névrosé. Et touché par ce qui est arrivé.

 

Les images que « j’ai »

 

 

Moi, le cinéphile, je n’ai pas revu beaucoup de films depuis quelques mois. Mais cela a plus à voir avec le contexte Covid qui a remixé nos existences- et en partie nos consciences- depuis un an, maintenant.

 

Le « nouveau » reconfinement depuis un ou deux jours, à mon avis, m’affecte nettement moins que le tout premier de l’année dernière également au mois de mars. L’année dernière, à la même date, comme la plupart, je me faisais tabasser par l’atmosphère de fin du monde qui menaçait de m’encorner pratiquement à n’importe quel moment avec la puissance du phacochère. Une époque où les masques anti-Covid étaient une denrée rare ou vite épuisée. Et où on se rendait au travail en franchissant les « tranchées » de rues vides la gueule offerte faute de masques. Lesquels ont commencé par être parachutés par milliers dans les supermarchés à partir du début du mois de Mai. J’avais réalisé quelques diaporamas ( Panorama 18 mars-19 avril 2020 )de cette « période » alors étrange et hors norme, aujourd’hui, assez banalisée : aujourd’hui tout le monde a un masque anti-Covid sur lui voire plusieurs de rechange. Et ne pas en porter est un délit. Sauf si l’on fait son footing ou que l’on se déplace à vélo. Ou que l’on est seul en voiture. Ou en famille.

 

Paris, Place de la Concorde, en allant au travail, ce vendredi ou ce samedi matin.

 

 

Ce Mercredi, avant ce nouveau « reconfinement » déclaré,  je suis donc allé faire provision de nouveaux blu-ray dans un des magasins où je « m’alimente » près du centre Georges Pompidou. Ce ravitaillement n’a rien à voir avec le nouveau confinement alors encore hypothétique. J’étais alors dans le coin et cela faisait plusieurs mois que je n’étais pas allé dans ce magasin où l’on peut trouver des Blu-Ray et des dvds neufs en promotion.

 

Les images que j’ai, ces derniers jours, sont principalement faites de ces moments que je vis au quotidien avec mes proches ou d’autres, au travail ou ailleurs. Mais aussi de ces photos que je prends et dont j’ai commencé à parler dans la nouvelle rubrique Vélo Taffe Vélo Taffe : une histoire de goudron). C’est peut-être le monde tel que j’aspire encore à le voir.

 

Il y a peu de livres, aussi, qui m’apportent des images en ce moment. Ainsi, je n’ai pas réussi à terminer Verre cassé d’Alain Mabanckou, livre que j’avais pourtant commencé à lire il y a bientôt deux mois. Alors qu’il me reste seulement trente pages à lire et que je l’ai aimé par endroits. Mais je reste un assidu du Canard Enchaîné  et du Télérama que je parcours par « strates ». Et du journal gratuit quand je tombe dessus.

 

Plusieurs fois par semaine, aussi, depuis plusieurs semaines, j’écoute des podcasts. Pour cela, je peux remercier la technique de plus en plus performante en matière de stockage et de téléchargement de nos smartphones que nous payons si chers. Même si les conditions d’extractions des minerais nécessaires à la construction de nos « doudous-portables » en font aussi l’équivalent de doudous de sang. Surtout en en changeant au bout de quelques mois ou chaque année.  

 

Enfin, grâce à un podcast consacré au photographe «  de guerre » Patrick Chauvel -que je ne connaissais pas- je vais peut-être recommencer à lire. Car il a écrit :

 

Rapporteur de guerre, Sky et un autre livre que j’ai réussi à trouver d’occasion sur le net.

 

 

« Tu veux être bon,  va où est le carnage » :

 

Le Maitre d’Arts martiaux Kacem Zoughari a cité cette phrase – en Japonais- d’un de ses anciens Maitres japonais.

 

J’avais cité cette phrase lors de mon pot de départ pendant mon discours il y a un peu plus de deux mois maintenant dans mon précédent service :

 

«  Tu veux être bon, va où est le carnage ».

 

 

 Après l’article Marche jusqu’au viaduc, je peux maintenant m’apercevoir un peu plus à quel point j’étais raccord avec cette phrase. Et ce n’est peut-être que le début.

 

Je n’ai jamais aimé le mois de  Mars. Pourtant, le mois de Mars, si je réfléchis maintenant, c’est bien le mois ou le Dieu de la guerre.

 

Lorsque ce mois de mars a commencé cette année, je me suis dit qu’il allait passer vite compte-tenu de mes divers projets. Et c’est vrai. Même si je ne m’attendais pas à certains événements dans ma ville et dans ma vie comme la mort de la jeune Alisha que je ne connaissais pas.

 

 Aujourd’hui, nous sommes déja le premier jour du printemps, le 21 mars 2021.

 

Reste simple :

 

Jean-Michel Rotin, un temps surnommé «  le Michaël Jackson » du Zouk, est beaucoup moins connu que le groupe Kassav’ ou le « fameux »…..Francky Vincent. Mais il a apporté une nouveauté en mélangeant la « r’n’b » et le « Rap » avec le zouk dans les années 90. Kassav’ avait frappé plusieurs fois à coups de maillet à partir du milieu des années 80 sur la production musicale antillaise mais aussi mondiale. Scellant l’envolée du Zouk. En Afrique, en Amérique du sud et jusqu’au aux Etats-Unis où un Miles Davis, « un peu » condescendant, avait pu faire la « leçon » à un journaliste :

«  Cette musique, ça s’appelle le Zouk. Kassav’, vous connaissez ? ».

 

Dans les années 90, sans atteindre l’envergure internationale de Kassav’, Rotin était apparu avec son style qui le démarquait d’autres artistes de zouk qui rejouaient la « formule » Zouk sans trop de particularités.

 

Aujourd’hui, Jean-Michel Rotin fait partie des « vieux » artistes ( les années 90-2000, c’est « loin ») et je ne sais pas si on peut encore le trouver novateur. Mais, à une époque, certains artistes de zouk bonifiaient leur musique lorsque Rotin se retrouvait impliqué à  la partition ou dans la production.

 

Il y a quelques mois, j’ai trouvé une interview  de lui. Elle date de plusieurs années, avant la pandémie du Covid. Dans cette interview, il exprimait une certaine amertume envers l’industrie du disque. Il estimait s’être fait arnaquer au moins économiquement du fait de sa « naïveté » et de son « ignorance » lors de sa période fastueuse. Il faisait aussi part de cette période où sa principale activité, comme l’artiste Prince (qu’il cite) était de créer un titre par jour. Mais aussi qu’on lui aurait « dit » qu’il allait « trop loin » dans sa recherche musicale. Cela aurait eu pour effet de brider sa production musicale. D’autant qu’il avait pu lui être reproché d’avoir « dénaturé » le Zouk. Je suis sûr que d’autres personnes –artistes ou non- ailleurs dans le monde pourraient retrouver une partie de leur vie dans ce témoignage. L’artiste Cédric Myton de l’ancien groupe de Reggae Congo ne raconte pas autre chose que Jean-Michel Rotin dans le documentaire Inna De Yard : The Soul of Jamaica réalisé en 2018-2019 par Peter Webber

 

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, Rotin a son public. Et ce public comporte plusieurs générations.

 

Jean-Michel Rotin a d’autres titres bien plus connus que Rété Simp : Lé Ou Lov’ , par exemple, a été un de ses premiers gros tubes. Ou Adié An Nou.  Il y a pu aussi y avoir le titre Stop qui, dans sa version studio, m’avait moyennement plu, mais qui sur scène prenait toute sa force. Plus récemment, même si ça date de plusieurs années maintenant, sa reprise du titre Begui Begui Bang avait bien marché à ce que j’avais compris. Et il a fait d’autres tubes.

 

 

 

Un ou une compatriote « opiniâtro- Rotinophile » me reprochera sûrement d’avoir omis une quantité astronomique des tubes produits par Jean-Michel Rotin. Et me fera sûrement remarquer qu’une sérieuse formation de remise à niveau s’impose de manière urgente- et critique- pour moi.

 

Mais ma priorité, ici, est de parler de Jean-Michel Rotin et de contribuer, selon mes moyens, à le faire connaître un petit peu plus. Je rappelle qu’en France, comme d’autres artistes antillais, Rotin reste bien moins connu que Francky Vincent.

 

Francky Vincent a aussi œuvré pour la musique antillaise et est loin d’être le grand « niais » ou l’animateur « pour virées tropicales » façon Club Med qu’il a l’air d’être pour certains amies  et amis « métros ». Francky Vincent a aussi pu composer des titres engagés sur la société antillaise. Mais, même si je suis très loin d’être à jour, il  y a d’autres artistes qui « comptent » en dehors de Francky Vincent et de Kassav’ lorsque l’on parle de Zouk aux Antilles. Jeunes et moins jeunes. Comme le groupe Akiyo dont Kassav’ a utilisé un des titres pour l’ouverture de ses concerts il y a deux ou trois ans. A la fête de l’Humanité par exemple : 

Kassav’  et Quelques photos de la fête de l’Huma 2019 

 

Cependant, pour reparler de Jean-Michel Rotin, je trouve que le titre Mwen Ni To reste sous-estimé. Mais je n’étais pas « au pays » à sa sortie pour pouvoir être péremptoire.

 

Les clips des chanteurs et chanteuses de Zouk peuvent apparaître très kitsch, clichés ou ridicules. Plusieurs révolutions de la pellicule sont sans doute nécessaires.

 

Toutefois, il faut alors se rappeler que le but du Zouk n’est pas de rivaliser avec le cinéma d’un Wong-Kar-Wai ou d’un Lars Von Trier. Ni de se préparer à effectuer des études de philo ou de sociologie à la fac en réfléchissant à la pensée d’un Cioran ou d’un Durkheim. Mais d’abord de trouver et de donner de la force et du plaisir pour vivre et être ensemble malgré la dureté de la vie.  Et, cela part du corps et du bassin. Ce que le groupe Kassav’énonce dans son titre Zouk La Sé Sel Médikaman Nou Ni, un de ses nombreux tubes. Mais aussi au moins…. le réalisateur Quentin Dupieux alias Mr Oizo à travers Duke le flic ripoux- et mélomane- de son film Wrong Cops que l’on put d’abord voir dans une version court-métrage ( 2012-2013). Film dans lequel on peut voir le chanteur Marilyn Manson hilarant dans son rôle de David Dolores Frank.

 

Le titre Zouk La Sé Sel Médikaman Nou Ni est peut-être moins connu – pour certains « jeunes » et moins jeunes- que le Djadja d’Aya Nakamura. Mais c’est néanmoins un tube mondial. Et presque aussi intergénérationnel que le Sex Machine de James Brown lâché dans les oreilles….en 1966. Si je ne me trompe pas.  

https://youtu.be/1UzZUfFUnxY

 

Enfin, rappelons que Jocelyn Béroard, une des meneuses du groupe Kassav’, faisait partie des chœurs lors de l’enregistrement du titre Rété Simp de Jean-Michel Rotin.

Un Art suprême :

 

 

John Coltrane a composé entre autres le titre A Love Supreme.

 

 

Pour moi, la musique fait partie des Arts suprêmes. Avant et devant le cinéma. Si les images nous parlent, la musique, elle, est l’étincelle qui peut nous déclencher avec très peu. Qu’un titre ait deux jours, cinq mois ou cinquante ans, si le cuivre dont est fait son rythme, son horizon ou son poids, sont calibrés pour nous, ils peuvent nous suivre jusqu’à la mort. Ou semblent nous avoir toujours attendus.

 

Parfois, ce même titre parlera aussi à d’autres. Parfois, pas. Mais ça ne changera rien pour nous. Il fera toujours partie de notre appareil vestibulaire et de notre vestiaire. Il sera toujours à notre adresse.

 

Bien-sûr, tous les arts comptent. Mais un monde sans musiques….

 

La musique que l’on aime écouter brûle l’horreur. Elle nous aide à la soutenir, à la convertir et à la contourner. Bob Marley a pu chanter :

 

« Hit me with Music ! ». Il n’a pas chanté : « Frappez-moi avec des mathématiques ! ». Ou « Frappez-moi avec les concepts spécifiques à la Phénoménologie ! ». Même si ces disciplines ont bien-sûr leur rôle à jouer.

 

La musique peut nous aider à nous redresser. Elle nous entraîne afin de continuer- à vivre- même lorsque l’horreur et la tristesse nous passent et nous repassent dessus.

 

 

Pour moi, le rire est pareil. C’est aussi notre révolution : on ne passe pas notre temps qu’à subir et à se réduire. On réagit, aussi. On crée son Big Bang. On anticipe.

 

Cela ne fait pas de nous des Dieux, des super-héros ou des super puissances. Mais on existe. On apprend à supporter notre matière et les tourments qui peuvent aller avec.

 

Le rire et la musique nous donnent le droit d’exister. Ce droit n’est pas donné à tout le monde. Il y a des personnes qui en sont privées. Et d’autres qui s’en détournent.

 

Ce dimanche 21 mars 2021, je ne vais pas me priver.

 

Depuis quelques jours, je « découvre » Georges Brassens. Jusqu’à maintenant, je n’aimais ni sa voix ni son rythme. Mais, il y a quelques jours, par le titre Je me suis fait tout petit, je crois avoir trouvé une entrée, mon entrée, dans son œuvre. Là où des alpinistes vont trouver une-nouvelle- voie pour escalader une montagne.

 

 

 

Il faut quelques fois un titre pour trouver son propre passage vers un artiste. Comme il faut quelques fois son moment particulier pour trouver son passage vers quelqu’un ou vers une nouvelle discipline.

 

Ensuite, chef d’œuvre, raté, meurtre, ou massacre, le résultat dépend de la co-composition – ou co-création- des uns et des autres.

 

De ce que l’on est capable de détecter et de fabriquer. Des ressources que l’on peut –accepter- trouver chez d’autres. Ou leur apporter.

 

Après  Brassens, il y aura le titre Hear my Train A Comin’ de Jimi Hendrix car, pour moi, c’est l’un des meilleurs alliés du titre de John Lee Hooker Oh, Come back, Baby, Please Don’t Go… One More Time.

 

( il existe différentes versions souvent plus étendues du titre  » Hear My Train A Coming »).

 

 

 

Une autre fois, je parlerai peut-être de Dub,  de Maloya ou de Miles (Davis).

Paris, ce vendredi 19 mars ou samedi 20 mars 2021, le matin.

 

 

Franck Unimon, dimanche 21 mars 2021.

 

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Moon France Musique

Ann O’Aro

 

J’ai pris en photo la pochette de cet album il y a un an. Le 27 septembre 2018 exactement. J’ai beaucoup aimé cet album. Mais je n’avais pas osé en parler ou écrire à son sujet. J’avais commencé et puis je me suis arrêté.

 

Même aujourd’hui, en le faisant, je me demande avec une certaine inquiétude ce qui va m’arriver.

Peut-être parce-que Ann O’aro est une très belle femme et que sa voix est Le précipice qui me jette à la tête cette mauvaise conscience que je tète.

Peut-être que sa douleur me coupe et que, par une soudaine infusion, je bats ma coulpe.

 

Lorsque je l’écoute, je me tiens à distance. Sa voix authentifie certaines de mes peurs. Ainsi que l’innocence dont le poids me rappelle comme je suis léger devant le danger. Et qu’il me mange, moi, mes rêves, ma langue, mon squelette et tout ce qui va avec avant même que je puisse lancer un seul des gestes auxquels j’avais promis de plaire.

Le soupçon est l’hameçon que le danger me laisse pour tout horizon.

 

Il me semble que si l’on écoute Ann O’aro et que l’on est un garçon, si l’on est un enfant, on peut s’en sortir et savoir comment l’approcher avec suffisamment de douceur. Par contre, si l’on est un homme adulte et que l’on «sait », alors, on s’épuise, on se décourage puis l’on se repousse car on se sent l’auteur impuissant d’un carnage. Etre près d’elle est risqué :

Comment savoir ce que l’on est et ce que l’on fait véritablement alors que l’on marche, transformé, sur le feu et que le feu est la peau de quelqu’un d’autre ?

 

Lorsque j’écoute Ann O’aro, plus je trouve ça beau, plus je me sens mal à l’aise. Et cela arrive souvent. J’ai tellement de mal à retenir ne serait-ce que l’orthographe pourtant simple de son nom. Cela fait pourtant tellement de fois que j’ai lu  et relu son nom d’artiste. La bassesse et le mal qu’elle transforme en Haut, j’ai l’impression que c’est moi qui les ai faits.

Bien-sûr, c’est une illusion. C’est en tout cas ce que je crois. Elle et moi ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Pourtant, j’en ai l’impression, encerclé, ensorcelé, défié ?, par ce chant de paon qui me fait voir de toutes les couleurs et me prive de toute certitude.

 

Franck Unimon, jeudi 3 octobre 2019.

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Cinéma Moon France

Kassav’

 

 

Kassav’ un documentaire de Benjamin Marquet

En replay sur FR3 jusqu’au 29 juillet 2019.

 

« L’histoire de Kassav, c’est l’histoire du groupe français le plus connu au monde » commente le narrateur Thierry Desroses. Le documentaire a alors débuté depuis une minute et trois secondes. Il dure un peu moins d’une heure vingt pour décrire plus de quarante ans de musique et de conscience.

Car la musique de Kassav’, le Zouk, est une musique dansante et consciente. Moins frontale politiquement que le Reggae qui est au départ une musique militante ( comme rappelé dans le bon « documentaire » Inna de Yard de Peter Webber en salles depuis ce 10 juillet 2019) , le Zouk de Kassav’ comporte aussi des chroniques du quotidien des Antilles françaises. A l’opposé d’un groupe comme La Compagnie créole un tout petit peu critiqué dans le documentaire Kassav’ de Benjamin Marquet. L’artiste Francky Vincent aussi (très) connu en France pour ses chansons « légères » n’est pas mentionné dans le documentaire. Cependant, aux côtés de certains des titres « charnels » de Francky Vincent, je me souviens d’un de ses titres où il dénonçait le droit de cuissage au travail dans les années 80. Je ne me rappelle pas que La Compagnie Créole ait abordé ces thèmes dans ses tubes :

 

« Le droit de cuissage au travail, c’est bon, bon ! Bon, bon ! C’est bon, pour le moral ! ».

 

Je ne crois pas un instant que La Compagnie Créole ait interprété ce genre de chanson. Le documentaire de Benjamin Marquet, lui, rappelle, qu’au départ, le groupe Kassav’ vient de la volonté d’un homme, Pierre-Edouard Décimus…et des « Vikings ».

Pierre-Edouard Décimus, c’est le frère aîné de Georges Décimus. Georges Décimus, c’est le bassiste d’origine de Kassav’ qui s’est éclipsé pendant quelques années pour créer le groupe très populaire Volt-Face (aucun lien parental avec le film de John Woo ) puis qui est revenu à Kassav’. Avant Kassav’, Pierre-Edouard Décimus jouait dans le groupe Les Vikings. Le nom de ce groupe de musique antillaise peut faire sourire :

Les Vikings annoncent des grands blonds aux cheveux lunatiques ou la figure divine de Thor pour les adeptes des comics et des mythologies scandinaves. Ce nom de groupe de musique antillaise oblige à voir une certaine contradiction chez l’Antillais :

L’Antillais « susceptible » est ce personnage déplaisant qui, sans prévenir, entre Ti-Punch et accra, peut vous rappeler l’humiliation d’avoir été obligé d’apprendre l’Histoire « de nos ancêtres, les Gaulois » comme de subir couramment détournement ou délit de faciès et bavure policière. Ainsi, lors du documentaire, Elie Domota de l’UGTG, présenté comme « syndicaliste » (et non comme indépendantiste), se rappelle, enfant, avoir entendu quotidiennement la Marseillaise sur Radio Guadeloupe alors que son père allait partir au travail. Et, ce, dès quatre heures cinquante du matin. Tandis qu’en France, le chant de la Marseillaise s’était depuis longtemps éteint sur les ondes radiophoniques à la même époque nous apprend-il :

Elie Domota a pris soin de le vérifier plus tard auprès de ses camarades croisés lors de ses études dans l’Hexagone. En écoutant Elie Domota se remémorer cette expérience, on comprend que celle-ci, cumulée à d’autres pendant des années, a beaucoup contribué à (re)générer son instinct militant.

Mais le groupe Les Vikings, dont Pierre-Edouard Décimus est issu, et envers lequel il exprime toujours sa pleine reconnaissance dans ce documentaire, était un groupe musicalement novateur aux Antilles. Jacques-Marie Basses, compositeur, fait partie de la vingtaine d’intervenants de ce documentaire. Derrière lui, on peut voir une affiche montrant Miles Davis sur ses dernières années quand qu’il déclare :

« Les Vikings, ça n’avait déjà rien à voir avec ce qu’on pouvait appeler les orchestres de bal ».

 

Le groupe Les Vikings s’est reformé il y’ a un ou deux ans et j’ai lu de très bonnes critiques sur lui. J’en parlerai peut-être un peu plus dans un autre article. Le batteur Christian Pazé, aujourd’hui décédé, un ami rencontré dans sa boutique consacrée à la musique dans la commune de Ste-Rose, m’avait donné l’occasion de rencontrer au moins deux des musiciens du groupe Les Vikings :

Camille Sopran’n et Guy Jacquet.

C’était il y’a une bonne dizaine d’années lors d’un de mes séjours en Guadeloupe. Je me doute que pour eux, j’ai été une rencontre parallèle-et oubliée- parmi tant d’autres d’autant que je ne suis pas musicien. Mais pour les avoir approchés et avoir un peu discuté avec eux, je peux affirmer qu’ils avaient bien conscience de leur histoire comme de leurs origines.

Si la musique, c’est allier les morts et les vivants, parmi les morts se trouve Vélo – Marcel Lollia dit Vélo– Maître Ka. Un de mes cousins éloignés, décédé dans le district des années 80 ( le 5 juin 1984 à 52 ans), jamais rencontré, dont mon père m’avait un peu parlé, et dont l’influence sur Kassav’ est signalée dans le documentaire. Ce documentaire sur la carrière de Kassav’ est bien sûr le fait de personnes encore bien vivantes. A moins que ces personnes ne fassent partie de ces étoiles aujourd’hui disparues alors que leurs éclats et leurs décibels nous arrivent et nous sauvent. Parmi les témoins, vivants ou semblant l’être, de ce documentaire, donc, des musiciens reconnus et d’autres qui le sont moins :

Nile Rodgers est le premier témoin. Nile Rodgers, pour les plus jeunes, fera penser au groupe Daft Punk. Leur collaboration avait fait beaucoup parler il y’a deux ou trois ans. Mais Nile Rodgers, c’est d’abord le groupe Chic. Suivent Eric Virgal ( grand artiste antillais), Youssou N’Dour, Eduardo Paim, Wyclef Jean, Peter Gabriel, Rudy Benjamin, Manu Dibango, Pierre-Edouard Décimus, Philippe Conrath ( fondateur du festival Africolor mais aussi directeur du label Cobalt qui produit entre-autres les artistes de maloya Ann O’Aro et Danyel Waro), Danielle René Corail, Manu Katché, Michel Fayad ( conservateur du musée Martinique), Jacques-Marie Basses ( artiste), Marcus Miller, Miles Davis ( archives), Aldo Middleton ( Maitre Ka), Erick Cosaque ( Maitre Ka), Elie Domota ( « Syndicaliste » UGTG), Fanfan du groupe Tabou Combo, Alpha Blondy, Ophélia ( chanteuse de la Dominique et, entre-autres, du titre Aïe Dominique que j’ai pu écouter à la maison, à Nanterre, quand j’étais pré-adolescent), Bob Sinclar, Henri de Bodinat ( directeur de Sony France de 1985 à 1994), les Soroptimists d’Abidjan, Daniel Bamba Cheick ( Haut fonctionnaire ivoirien)….

Pour Miles Davis (décédé en 1991), le Zouk de Kassav’ :

«(….) ça sonne Afro-Cubain mais ils ( Kassav’) mettent de la Samba et de la Rumba ensemble et des Beat africains et du Rock contemporain. Ça sonne bien ». Et Miles de dire dans ces archives qu’il a parlé de leur musique à Marcus Miller (compositeur, entre-autres, de ses derniers albums) afin que celui-ci s’en inspire ( pour l’album Amandla, dernier album studio enregistré par Miles de son vivant en 1989 ).

Eric Cosaque, Maitre Ka, parle Créole lorsqu’il explique :

« La base de Kassav’, c’est le Gro-Ka et le gros Tambour qui était la musique du peuple. Il faut aussi reconnaître la modernité des instruments. Ça permet aussi de ne pas rester figés ».

Devant un tel intérêt manifesté envers la musique de Kassav’, on pourrait se dire que le succès de Kassav’ était évident dans les années 80. Pierre-Edouard Décimus rappelle tranquillement qu’avant le premier concert de Kassav’ au Zénith en 1985 :

« (….) Les professionnels du show business français ( comprendre : « Blancs ») nous disaient :

« Mais ça ne peut pas marcher….il n’y’a personne ( traduction : « Pas d’Antillais et pas de public- noir et autre- désireux de se rendre au premier concert de Kassav’ au Zénith à Paris) à Paris. Nous, on avait la conviction que le public de Kassav’ était à Paris ».

 

En 2019, trente quatre ans plus tard, il est bien-sûr très facile a posteriori de s’étonner de la cécité de certains des décideurs et professionnels culturels de 1985. Car quelques indices auraient pu ou auraient dû leur faire pressentir le succès possible d’un groupe comme Kassav’:

Si le film Black Mic-Mac de Thomas Gilou sortira un an plus tard ( en 1986) en 1983, soit deux ans plus tôt, Euzhan Palcy réalisait le film Rue Cases-Nègres d’après le roman de Joseph Zobel. Le film Rue Cases-Nègres, dont l’histoire débute dans les année 1930 ne parle pas de Zouk directement ou explicitement. Mais le film Rue Cases-Nègres aborde ouvertement devant la France nouvellement socialiste ( depuis 1981) du président François Mitterrand  les thèmes de l’esclavage, de l’identité antillaise et d’un fort désir d’ascension sociale et culturelle.

Auréolé du soutien de François Truffaut ( décédé en octobre 1984) et de l’obtention de divers prix (César en 1984 de la Meilleure première œuvre, Lion D’Argent pour la meilleure première œuvre à la 40 ème Mostra de Venise…), le film Rue Cases-Nègres connaît alors un succès critique ainsi qu’un certain succès public au moins auprès du public antillais. Et des décideurs et professionnels culturels un petit peu curieux de ce succès ou « avant-gardistes », auraient pu ou auraient dû prendre le temps de découvrir et de prendre le pouls de cette œuvre ainsi que de ce public et « voir » en un groupe comme Kassav’ un groupe prometteur ou digne d’intérêt. Car, finalement, Kassav’ s’est révélé être la jonction entre Rue Cases-Nègres, l’Histoire qui la précède (donc l’Histoire de l’Afrique et de l’esclavage) et le quotidien des Antillais et des Africains que ce soit au pays, exilés en métropole ou de par le monde.

Concernant l’histoire de Kassav’, malgré ces ratés de départ en termes de promotion, la consolation est double car elle impose à nouveau des faits vérifiés ailleurs :

1) Certains groupes, artistes ou œuvres, surgissent au moment adéquat lorsque la maturité de leur art concorde avec celle de leur époque et de leur public. La rencontre entre les différentes parties est alors aussi inéluctable qu’un coup de foudre entre différentes pièces du même puzzle.

2 ) Si l’on peut suspecter un mépris à caractère raciste de certains promoteurs à l’époque du premier Zénith de Kassav’, il est néanmoins beaucoup d’autres histoires de carrières d’artistes et d’entreprises bloquées, sous-estimées ou freinées du fait de l’incurie ou de mauvais choix de spécialistes désignés dans une industrie donnée. Une carrière artistique tient aussi à une certaine vision stratégique quant à ce qui est considéré comme pouvant tenir dans la durée ou susceptible d’être rentable économiquement y compris à court terme.

Personnellement, lorsque je repense à des artistes français comme Mylène Farmer ou Indochine apparus dans les années 80 avec leurs premiers tubes Maman a tort (1984) ou L’Aventurier (1982) -soit avant le premier Zénith de Kassav’ en 1985- je sais avoir été incapable en les écoutant alors de m’imaginer que ce seraient aujourd’hui des icones et qu’ils toucheraient plusieurs générations de spectateurs. Et je serais curieux de savoir combien de « spécialistes » de l’époque avaient réellement prévu une telle carrière pour Mylène Farmer ou le groupe Indochine. Je crois prendre peu de risques en affirmant que très peu de « spécialistes » de l’époque, parmi celles et ceux qui sont encore vivants, avaient envisagé qu’en 2019 l’artiste Mylène Farmer et le groupe Indochine pourraient remplir facilement des salles de concert telles que celles du Stade de France (qui n’existait pas à l’époque), AccorHotelsArena ou ex Paris-Bercy ( idem ) ou de la salle de Concert Paris La Défense-Arena encore plus récente que les deux précédentes.

Il en est de même de la carrière réussie d’un acteur ou, plus simplement, de la longévité d’un couple ou de celle, accomplie, d’une existence.

Dans les années 90, parmi les principaux noms du Rap en France des groupes et des artistes tels que IAM, MC Solaar et NTM se distinguaient. Aujourd’hui si on devait comparer l’engouement que suscite l’annonce d’un concert de NTM ou de MC Solaar, on s’apercevrait que l’ordre de préférence s’est nettement inversé par rapport à cette époque où MC Solaar était ce premier rappeur français (en 1993) interprétant un titre avec un Rappeur américain (Le Bien, le Mal avec Guru). Pourtant, dans les années 90, on avait l’impression que le Rap et la voix de Mc Solaar pouvaient tout transformer en or. Et c’était peut-être presque vrai.

Lorsque j’ai écouté et réécouté il y’a plusieurs semaines maintenant le second album (Souldier, sorti en 2018) de l’artiste Jain très cotée depuis son premier album, j’ai entendu dans sa musique des airs et des histoires de ruptures amoureuses entrainés en Anglais et cru comprendre que son sens du « visuel » et de la com’ font d’elle une artiste originale et qui marche très bien. Pourtant, même si plusieurs de ses titres me plaisent assez à l’écoute, je suis sceptique en apprenant qu’elle fait aujourd’hui partie des « poids lourds » de la musique. Il est néanmoins vrai que je ne l’ai pas encore vue sur scène qui est pour moi le sérum de vérité absolu de tout artiste. Et que personne ne peut décider ou prévoir avec certitude ce qui fait qu’un artiste plutôt qu’un autre va trouver son public. Et durer. le réalisateur Pascal Tessaud ( mon article https://balistiqueduquotidien.com/digressions-a-pa…e-pascal-tessaud/), dans sa très bonne série documentaire Paris 8- La Fac Hip-Hop ( en replay jusqu’au 7 avril 2022 sur Arte TV)  en donne un aperçu dans le portrait Le Prince du Rap qu’il fait du rappeur Mwidi au coude-à-coude dans les années 90 avec MC Solaar pour sortir un premier album.

 

Philippe Conrath dans le documentaire de Benjamin Marquet à propos du premier concert de Kassav’ au Zénith en 1985 :

« Jamais on n’aurait pu penser faire le Zénith. Et, il ( le groupe Kassav’) le remplit un peu tout seul d’une certaine façon. Y’a pas de promo, y’a rien et tout et comment il va y’avoir quatre mille personnes qui vont remplir le Zénith ? A l’époque, c’est une prise de risque. Il y’a que Kassav’ qui sait (….). A ce moment-là, si quelqu’un a la curiosité de venir, il voit un Zénith bondé et un groupe qui s’appelle Kassav’. Et tout le monde qui est en train de hurler et de danser ».

 

En découvrant ce documentaire, on prendra très peu de risque : On apprendra beaucoup sur Kassav’, premier groupe français à remplir le Stade de France en 2009 bien qu’étrangement classé dans la World Music après avoir été élu « meilleur groupe français » en 1989. Je me demande dans quelle catégorie les artistes Jain et Christine &The Queen sont-elles classées. Je n’ai pas vérifié. Et, je tiens à ajouter que, quelles que puissent être mes éventuelles réserves, je ressens pour ces deux artistes plutôt de la curiosité et de la sympathie.

Kassav’, c’est le groupe qui détient le record de représentations au Zénith de Paris (plus d’une soixantaine) et qui a un statut de Rock stars en Afrique. Dans ce documentaire, on apprendra sur les Antilles et sur la musique d’une façon générale. Marcus Miller explique par exemple que partir en tournée, cela signifie vivre 18 heures ensemble tous les jours et que Kassav’ le fait depuis quarante ans ! Au vu de cet énoncé, certaines personnes préfèreront peut-être regarder Fort Boyard ou une émission de téléréalité.

Vous avez jusqu’au 29 juillet pour regarder ça en replay sur FR3. Cet article complète mes deux articles précédents, Moon France ( Moon France) ainsi que Un Moon France en concert ( Un Moon France en Concert). Attention, mon article Moon France est très très long mais vous pourrez encore prendre le temps de le lire après le 29 juillet de cette année.

Franck Unimon, ce jeudi 11 juillet 2019.

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Un Moon France en Concert

 

 

                                                Un Moon France en concert

 

 

« Vous partez ?! » « Laisse-les, ils n’aiment pas la bonne musique…. ».

En 1984 ou 1985, au Phil One , à la Défense, nous venions d’assister au concert du groupe Apartheid Not. Le batteur, sur ses fûts électroniques, avait fait claquer des ricochets, diamants sonores, qui s’étaient incrustés dans notre ciboulot . Mais les spectateurs, en dépit de l’énergie du groupe, étaient restés impassibles. Presque boudeurs et impatients que la prestation se termine. Dans la salle, un spectateur avait même envoyé un décontracté    » No Good ! » soutenu par son accent frenchie. Enervé par l’attitude du public, un des musiciens ( peut-être celui qui était aux claviers )  avait un moment lâché quelques phrases calibrées en Anglais. Puis, en Français, il s’était adressé au public en mettant les formes.

Le concert était maintenant terminé. Nous allions sortir du Phil One pour poursuivre notre soirée quand nous avons croisé ces deux ou trois inconnus qui venaient d’arriver. A moins qu’ils ne soient sortis prendre l’air pendant le concert. Eux venaient pour danser au Phil One. A les entendre, nous n’aimions pas la bonne musique…

Lycéen, je devais être le seul mineur de notre groupe. Cette sortie nocturne était peut-être une de mes premières sorties nocturnes sans mes parents. « Notre » groupe, c’était Frédo, notre entraîneur de la section sprint du club d’athlétisme de Nanterre. Plus tard, il se marierait avec Danielle, ancienne sprinteuse d’origine martiniquaise dont il était persuadé qu’il aurait pu faire une « championne de France » si elle l’avait voulu. Danielle, athlète douée, avait pu se qualifier pour les championnats de France. Mais comme elle me l’expliqua un jour, le problème, c’était qu’elle n’aimait pas…l’athlétisme. Lors d’un de nos stages d’athlétisme, je me rappelle maintenant de Danielle nous proposant une chorégraphie, sa chorégraphie, sur le titre Flash-back du groupe Imagination. A force de réentendre ce titre- qui n’était pas mon préféré du groupe- lors de ses répétitions, j’avais fini par l’aimer.

Ce soir-là, il y’avait aussi Georges, mon aîné de deux ou trois ans et dont j’ai voulu, un temps, faire un de mes grands frères, moi qui n’en n’ai jamais eu. Georges, avant de donner la priorité à l’athlétisme et à ses études, avait été bassiste autodidacte dans un groupe de Reggae dont le meneur avait été Pascal, ancien basketteur de bon niveau, chanteur, musicien et compositeur, grand rasta « conscient » dont je croisais l’autorité plutôt intimidante au lycée Joliot-Curie. Ce qui était raccord avec Georges, dont la stature et l’attitude imposaient le respect à tout le monde dans le club d’athlétisme, entraîneurs inclus. Personne ne critiquait ou ne se moquait de Georges quels que puissent être ses résultats en compétition. Un jour, bien plus tard, on m’a raconté la blague suivante :

« Tu sais comment on appelle un Noir avec un fusil ? Monsieur ! ». J’aime beaucoup cette blague. Hé bien, disons que Georges et Pascal n’avaient pas besoin d’avoir un fusil pour qu’on les appelle « Monsieur ! ».

Georges reste à ce jour le seul Antillais que j’ai rencontré dont le nom de famille a une origine africaine évidente. Il est aujourd’hui surnommé « Big Georges » dans ce club de province où il est maintenant entraîneur depuis des années. A ce que j’ai pu lire sur le net, il avait un temps entraîné l’athlète Floria Gueï avant que celle-ci se fasse remarquer pour sa performance dorée lors du relais des championnats d’Europe d’athlétisme à Zurich en 2014.

Lors du même stage d’athlétisme où Danielle nous avait gratifié de sa prestation sur le titre Flash-back du groupe Imagination, Georges, lui, seul également, nous avait donné une danse fière et militante sur le titre Uncle George du groupe Steel Pulse en hommage à Georges Jackson, un des frères de Soledad, un temps amant d’Angela Davis et condamné à mort par la justice américaine.

Avec Georges et Frédo, avant cette soirée-là ou après elle, nous étions allés voir le groupe Touré Kunda en concert. Touré Kunda était alors un groupe qui comptait sur la scène publique.

 

En entendant que nous n’aimions pas la bonne musique, Jérome, vexé, avait voulu rattraper les deux ou trois gars : lui et moi étions dans cet âge où, à peine adultes, nous affirmions aussi nos certitudes et nos personnalités à travers nos expériences de la musique. Ni journalistes, ni musiciens et encore moins musicologues, nous étions des amateurs au sens où nous étions des explorateurs. Et non de celles et ceux qui se contentent de brouter ce que tout le monde écoute.

Jérome était un de mes meilleurs amis et aussi mon voisin du dessous de la tour 17 de la cité Fernand Léger à Nanterre. C’est dans sa chambre et grâce à sa chaîne hifi avec ses enceintes surélevées de façon étudiée que j’avais découvert pour la première fois certains artistes qui ne faisaient pas partie de mon entendement. Parmi ces artistes : Miles Davis avec l’album Star People (1983).

L’un d’entre nous avait retenu Jérome et nous étions définitivement partis. Driss était peut-être aussi avec nous ce soir-là.

Mais avant notre sortie, et alors que les musiciens avaient déja quitté la scène, dans un Phil One encore à peu près vide, j’avais entendu pour la première fois ces quelques accords de guitare semi-acoustique, cette voix éraillée (décrite plus tard par Jocelyne Béroard, je crois, comme « blues et macho ») et cette musique qui disaient :

« An Nou Ay ! ».

 

C’est sur le titre Zouk-la-Sé-Sel-Medikaman-Nou-Ni que nous avions quitté le Phil One. Et ce fut la seule fois où je connus le Phil One. J’appris beaucoup plus tard, après sa fermeture, que le Phil One, situé dans le centre commercial des Quatre Temps de la Défense, était alors une boite de nuit réputée.

Néanmoins, cette « première » expérience de  Kassav’  suffit à me remettre dans les starting-blocks de la musique antillaise. Car cette expérience musicale de Kassav’ allait connaître des suites pendant mes vacances en Guadeloupe.

J’avais déja entendu la voix de Jacob Desvarieux sur les titres Oh Madiana  et Zonbi  mais, ce soir-là au Phil One,  je n’avais pas fait le rapprochement.

Avant Kassav’, pour moi, la musique antillaise, c’était une musique dont la basse faisait boom-boom-, boom-boom-, boom-boom-, boom-boom, dans les enceintes avec la gravité d’un éléphant répétant les mêmes pas. Pendant des heures. Alors que je faisais banquette dans les multiples soirées antillaises où nous emmenaient nos parents, j’entendais cette basse qui revenait en étant toujours ou souvent la même. Et les gens dansaient, s’amusaient, rigolaient et quelques fois se disputaient et se battaient. Or, mon oreille, à la maison, s’était habituée de façon préférentielle au Reggae. Tandis que dehors, avec les copains, avec le Reggae, c’était plutôt le Funk, la Soul et le Jazz-Rock qui nous conditionnaient.

Plus que les titres Yélélé, Tim-Tim- Bwa Sek , Kavalié O Dam ou Gorée (que j’aime beaucoup) dont le but est de « rappeler » aux Moon France ( ou Moun Frans si on préfère) leur « Histoire » et leurs « racines », la façon dont Kassav’ a opéré la musique antillaise et l’a faite grandir en l’ouvrant m’a réconcilié avec la musique de « mon » pays. Même si j’ai bien-sûr aimé beaucoup de tubes antillais de l’époque d’avant Kassav’ et réécouterais avec plaisir un certain nombre d’entre eux. Que l’on parle du Kompa, genre musical dominateur aux Antilles avant l’éruption du zouk pour moi représentée par Kassav’, ou de toute autre forme d’expression musicale alors en lice en Guadeloupe.

 

Avec Miles Davis, Me’Shell Ndégéocello, Björk et Brain Damage, le groupe Kassav’ est le seul groupe ou artiste musical que je sois allé « voir » et écouter au moins trois fois en concert. A Basse Terre, en Guadeloupe. Au parc de l’ancienne mairie à Nanterre. A Argenteuil. Et, depuis ce 11 Mai 2019, à la salle de concert Arena à la Défense où je me rendais pour la première fois avec ma compagne.

On rappelle parfois que Kassav’ a fait un titre avec Stevie Wonder. Pour l’instant, lorsque je l’écoute, ce titre, hormis pour le caractère prestigieux de la collaboration qui a permis sa création, me touche peu : je considère que sur ce titre Stevie Wonder et/ou Kassav’ est ou sont peu inspiré(s).

Par contre, deux ans avant sa mort en 1991, Miles sortait l’album Amandla sur lequel se trouve le titre Catembé . En écoutant ce titre, il ne faut pas s’attendre à un morceau fait pour zouker en boite de nuit ou dans sa voiture. Mais comme Miles l’avait fait pour le titre Don’t Lose your mind sur son album Tutu ( en 1986) en s’inspirant ( Merci à Pascal de me l’avoir appris !) de la rythmique basse-batterie du tandem Robbie Shakeaspeare & Sly Dunbar, ultimatum Reggae et Dub, de diverses formations ( dont le groupe Black Uhuru un moment envisagé avant son implosion comme une des relèves possibles de Bob Marley ), je sais pour l’avoir lu que Miles s’était inspiré du zouk , et en particulier de celui promu par Kassav’, pour son titre Catembé. Je me rappelle d’une interview où Miles s’était plu à faire la leçon à un journaliste ( sans doute blanc ) en lui demandant s’il connaissait cette musique qui venait des Antilles : le Zouk.

 

 

Entre mon tout premier concert de Miles Davis où je m’étais rendu seul, en 1987 au Palais des Sports à la Porte de Versailles, et celui de Kassav’ il y’a quelques jours, trente deux ans sont passés. Kassav’ existe officiellement depuis quarante ans.

Quarante ans d’existence. Quarante mille spectateurs.

 

Au Stade de France en 2009, ils étaient 65 000. Mais j’ai entendu parler d’un concert en Côte-d’Ivoire où ils étaient 100 000 spectateurs. Je me rappelle que le Zouk répandu en Afrique par Kassav’ avait par exemple déteint sur les chansons d’une artiste comme Monique Séka, artiste ivoirienne décrite sur sa page wikipédia comme étant une  » chanteuse…Afro-zouk de la Côte d’Ivoire ». Béa, une de mes amies, vient de m’apprendre que Kassav’ s’est même produit en concert sur l’île de Gorée, au Sénégal. Des neveux de son mari étaient présents à ce concert mémorable. Et ils  » en parlent jusqu’à ce jour ». Cette même amie ajoute ( je la cite) :

 » J’étais à une communion africaine dimanche ( Sénégal/ Cap Vert). Ils ont mis 1h de Kassav’ en l’honneur du 40ème anniv. Le feu dans la salle ! ».

Kassav’ est aussi allé se faire connaître sur d’autres continents. Arrivés à un certain niveau, les artistes, musiciens ou autres, dépassent les frontières, vont à la rencontre des autres, s’écoutent et s’inspirent les uns des autres. Et le groupe Apartheid Not, aujourd’hui disparu et oublié depuis des années ou pas loin de l’être, et  cité en préambule de cet article, représentait indiscutablement -avec tant d’autres artistes –  cette ouverture d’esprit. On serait étonné d’apprendre ce que tel artiste reconnu et réputé dans tel genre de musique écoute par ailleurs comme style de musique. On serait aussi très étonné d’apprendre que tel artiste de telle « école » ou de tel  » courant » est très ami avec tel autre artiste a priori totalement étranger, voire opposé, à son univers et son langage. La complémentarité permet la créativité. Mais pour cela, il faut d’abord réussir à s’accorder.

 

D’ailleurs, au début, je m’étais fermé à l’idée d’aller à ce concert de Kassav’ ce samedi 11 Mai 2019. La salle était trop grande pour moi. Ouverte le 19 octobre 2017 avec un concert des Rolling Stones, la salle de concert Paris La Défense Arena était, à ce que j’avais entendu dire, plus grande que celle du Palais Omnisports de Bercy rebaptisée AccorHotels Arena ou Bercy Arena depuis 2015 après sa rénovation. Bercy Arena, pourvue de 20 300 places selon wikipédia, m’avait laissé un souvenir mitigé en tant que spectateur. Je préfère les salles intimistes de  la taille de la Cigale, L’Elysée Montmartre, le Bataclan ou plus petites. La salle du Zénith étant mon maximum pour une salle couverte et fermée. Alors qu’en extérieur, j’ai pu me rendre avec plaisir à un festival comme Rock en Seine.

Concernant ce concert du 11 Mai dernier,  j’ai aussi d’abord refusé d’aller voir Kassav’ car je les avais  » déjà vus en concert ». Et leurs dernières productions me happent moins « qu’avant ». Lorsque Kassav’, à l’époque où Patrick St Eloi, Georges Décimus et tous les autres étaient ensemble, était ce « cyclone » musical et que les autres artistes évitaient de sortir leur album en même temps que le « nouveau » Kassav’. Même si, par ailleurs, j’aime des titres assez récents tels que Tonbé Leta.

 

Et puis, j’ai appris que ce serait la dernière tournée de Kassav’. Même s’ils auraient déjà dit ça. Mais ils prenaient de l’âge quand même alors il fallait être réaliste. Et puis, la salle de concert  la Défense Arena, c’était aussi revenir à Nanterre, la ville de mes 17 premières années. Près du centre commercial les Quatre Temps dont l’ouverture en 1981 avait été un événement en même temps qu’un aimant pour mon adolescence et celle de bien d’autres jeunes de mon âge et des environs. Les Quatre Temps nous avaient aussi apporté les premiers Mc Do. Les premiers Quick. Restauration qu’aujourd’hui je fuis autant que possible. C’était avant la grande Arche. A l’époque du Rubik’s Cube.

Kassav’ en concert, pour leurs quarante ans, c’était donc voir notre vie défiler. Au milieu d’un public fidélisé, âgé d’une vingtaine d’années à plus de soixante ans, majoritairement noir, qui reprend en dansant les paroles de tubes dont la majorité datait des années 80 et 90.

A les voir, les « anciens », Jocelyne Béroard, Jean-Philippe Marthély, Jean-Claude Naimro, Jacob Desvarieux, Georges Décimus avec les nouveaux et plus ou moins nouveaux, en parfait accord avec le public, arrêter le temps, célébrer chaque instant, semblait plus que facile. Il n’y’avait qu’à se laisser aller. Pourtant, alors qu’on les distinguait sur les grands écrans de la taille de leur succès et qu’on les voyait prendre- et donner- tout ce plaisir en plein dans le mille, je me suis dit que, d’un point de vue personnel, ce groupe en avait connu des traversées pour arriver jusque là. Je « crois » que pour sa carrière, Jocelyne Béroard a renoncé à être mère et peut-être à une vie de couple. Desvarieux s’est séparé au moins d’une mère de ses enfants.

Et puis, économiquement et artistiquement, Kassav’ fait partie des rescapés. Plusieurs années auparavant, le producteur et chanteur Henri Debs avait expliqué qu’il connaissait deux sortes d’artistes : Les « ADC », artistes à durée courte et les autres, les « ADL », les artistes à durée longue. En écoutant Henri Debs, j’avais retenu qu’un ADL devait sa longévité à son travail et à ses dons. Pourtant, un artiste, même s’il est « bon » ou « très bon » peut avoir beaucoup de mal à « percer ». Tout artiste a besoin d’une certaine réussite économique pour continuer. Or, depuis les débuts de Kassav’ en tant que groupe en 1979, l’industrie du disque et de la musique a changé. Un prof de guitare basse et musicien professionnel, Grégory Martin, a expliqué ça quelques heures plus tôt à cette conférence où je me trouvais avant le concert.

Aujourd’hui, les maisons de disque pressent les artistes pour « produire » comme des poules pondeuses en batterie. Les artistes se doivent de sortir rapidement des tubes et si possible avec des machines qui remplacent les musiciens. Pas de temps ou très peu de temps est laissé aux artistes pour explorer et peaufiner un album. Et lorsqu’il s’agit de faire des concerts, on leur dit que moins ils sont, mieux c’est. Pour réduire les coûts. Il faut être rentable. Conclusion : si aujourd’hui un groupe comme Kassav’, avec autant de musiciens, démarrait sa carrière, il s’effondrerait probablement avant ses quarante ans de carrière.

A l’avenir, quel que soit le genre musical, nous rencontrerons de moins en moins d’artistes capables d’une telle longévité. Il peut y avoir si peu de différence entre celles et ceux qui se noient et les autres qui se déploient et, cela, quelle que soit l’étendue du génie, du talent, du « mérite », du travail et des sacrifices. Pour ces raisons, et d’autres que j’ignore, j’ai beaucoup aimé ce concert. Je n’ai regretté aucun des près de cent euros déboursés pour les deux places et le parking. Même si le réglage du son aurait pu être un peu plus soigneux. Mais il aurait pu être pire.

J’aurais aimé que Kassav’ nous fasse profiter des très bons musiciens qu’ils sont en allant plus souvent dans « l’instrumental » comme lorsque Jean-Claude Naimro s’est avancé avec son clavier portatif pour ce titre que je connais moins que les autres. Avec des titres plus récents tels que Tonbé Leta. Ou en reprenant par exemple un titre comme ZONGONN.

Lorsque j’avais écouté ZONGONN pour la première fois ( album de Jacob Desvarieux et Georges Décimus de 1986) je l’avais négligé au profit de titres comme GOREE, Ki NON A MANMANW, MWEN ENVI OU. C’est en l’écoutant en soirée antillaise et en voyant l’engouement qu’il provoquait que je m’étais aperçu de mon erreur « d’oreille ».

J’aurais aimé entendre SOUSKAY. Mais comme me l’a rappelé une collègue aussi présente au concert, le palmarès de Kassav’ est si conséquent qu’il leur était impossible de tout jouer. Les très bons artistes, celles et ceux auxquels on est très attaché et qui nous ont souvent habitué au meilleur, nous rendent parfois très exigeants. Voire trop.

L’Historique groupe Kassav’ nous a bien bordé samedi soir. Chacun portera dans sa mémoire plusieurs moments de ce concert. Pour moi, il y a eu la ligne de basse en introduction de Georges Décimus sur Sé PA DJEN DJEN. Une ligne de basse  qu’il a réintroduite en avant-scène près d’un Jean-Philippe Marthély soufflé à la fin de l’interprétation. Il y’a eu le « La Kour Trankil Mé La Kour Pa Dosil ! » de Jocelyne Béroard suivi d’un « Yékrik » d’alpiniste. Il y a eu le solo silex de Jacob Desvarieux sur Tim-Tim-Bwa-Sek. Il y a eu l’hommage à Patrick St Eloi avec des photos de celui-ci, seul ou avec Jean-Philippe Marthély, époque années 80-90. Il y ‘a eu le solo par le trio batterie et percussion. Et bien-sûr, le final avec Zouk La Sé Sel Medikaman Nou Ni. Pour moi, Zouk La Sé Sel Medikamen Nou Ni est l’équivalent d’un titre inusable comme le Sex Machine de James Brown. Même lorsque le sable nous recouvrira tous, nous qui étions à ce concert, il se trouvera encore des gens pour l’aimer et danser dessus. Et nous avec eux. Peut-être.

Franck Unimon, ce mercredi 15 Mai 2019.