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Premières impressions lilloises

 

 

 

 

 

          Premières impressions lilloises

 

 

Hier en début d’après-midi, nous venions de descendre du TGV à la gare de Lille-Europe lorsque nous sommes passés à côté d’une file de gens. Ils attendaient pour partir à Londres. La proximité de Lille avec Londres a aussitôt été très concrète. Un employé de la gare, un noir en tenue de vigile portant chasuble orange, s’assurait que tout le monde était bien dans la file. L’ambiance était détendue. Ces personnes dans la file d’attente, cela aurait pu être nous souhaitant effectuer un séjour à Londres.

 

Quelques mètres plus loin, ce sont deux hommes de ménage « barbus » qui nous ont confirmé la sortie à prendre pour nous rendre dans le centre-ville. L’un des deux, monté sur son véhicule de nettoyage, nous a obligeamment renseigné.

 

Après avoir déjeuné au restaurant Les 3 Brigands de Napoli, nous avons marché jusqu’au logement que nous avons loué pour ces quelques jours à Lille. Le téléphone de ma compagne indiquait :

« Trente et une minutes de marche ». Aller dans le centre-ville nous avait éloigné.

« A dix minutes de la gare Lille-Europe » affirmait sur le site la première annonce de notre « logeur ». Mais je suis tombé sur une autre annonce nous informant que nous étions à « Quinze minutes de la gare Lille-Europe ». Sourire complice de ma compagne en l’apprenant :

Il est plus attractif de présenter son appartement à dix minutes.

En revenant sur nos pas, nous sommes passés par la rue Pierre Mauroy. Particularité lilloise. Découvrir ce nom de rue m’a rappelé les premières années euphoriques du gouvernement socialiste entre 1981 et 1983. Pierre Mauroy, alors Premier Ministre de François Mitterand, était également maire de Lille ( il l’a été de 1973 à 2001).

Le TGV est « arrivé » à Lille en 1993. Néanmoins, pendant des années, cette ville a été uniquement un nom pour moi. Une ville connue pour sa Grande Braderie que je ne connais pas. En 1993, j’étais sans doute encore trop séduit par le sud de la France comme, plus jeune, on peut également être fasciné par New-York et les Etats-Unis au détriment du reste du monde. J’étais aussi davantage attiré par un pays comme l’Ecosse où j’avais effectué un premier séjour en 1990.

Martine Aubry, l’ancienne Ministre, m’évoquait aussi Lille. Mais si Pierre Mauroy m’avait d’abord inspiré une certaine sympathie puis l’image d’un homme politique dépassé, Martine Aubry, elle, bien qu’étant la Ministre des « 35 heures » me laissait l’impression d’une politicienne autoritaire, de plus en plus isolée, et aigrie. Bien-sûr, je crois qu’il est assez rare que la personnalité d’une figure politique d’un pays ou d’une région incite à venir y faire du tourisme.

Lille est néanmoins devenue une personne fréquentable il y’a bientôt une vingtaine d’années : Une collègue-amie venait de cette ville et, tous les week-end, pratiquement, celle-ci retournait dans son bercail lillois. Les Champs Elysées et Lille semblaient alors être les principales attaches de sa vie. Les Champs Elysées/ Lille, Lille/ Les Champs Elysées. Aujourd’hui, et depuis des années, je crois qu’elle s’est un peu guérie de cette folie.

On comprend un peu mieux une personne en voyant où elle habite.

Je n’ai pas vu grand chose de Lille. Mais c’est ce que je me suis dit hier en marchant dans certaines rues de Lille à notre arrivée. Ces maisons de ville et ces petits bâtiments que nous avons aperçus m’ont rappelé ce passé « ouvrier » de Lille. Même si cette architecture peut déjà faire penser à certains quartiers anglais où peut subsister, aussi, un certain passé ouvrier. Non loin de là où nous sommes logés se trouve la rue de la Briqueterie. Ce monde fait de briques évoque celui de l’ouvrier.

Je m’étais déja fait cette même remarque la veille, ce dimanche 14 juillet, en plein Paris :

 

On comprend un peu mieux une personne en voyant où elle habite.

 

 

 

Le métro nous met à cinq minutes du centre-ville de Lille.

 

 

 

Ce dimanche 14 juillet, à Paris, pour le travail, j’étais parti faire quelques courses. Un peu de nourriture pour « améliorer l’ordinaire », des cigarettes ainsi que le journal Les échos pour un patient-client. Il faisait beau lorsque j’étais sorti du service où j’effectuais un remplacement. En passant, j’ai regardé certaines de ces personnes attablées, avenue des Ternes, avenue de la Grande Armée, près du Palais des Congrès et de la Porte Maillot. Résident de Nanterre durant mes dix sept premières années, j’ai toujours vécu en banlieue parisienne. J’ai eu peur de m’installer à Paris lorsque cela aurait été- plus facilement- dans mes moyens financiers vingt ans plus tôt. A cette époque, pour un primo-accédant à la propriété en région parisienne, la norme était d’obtenir un crédit immobilier intégral ( sans apport) de 15 à 20 ans. Et on était ( très) content lorsque l’on obtenait un prêt immobilier à un taux fixe de 3,5% ou 4% hors assurance.  Mais j’ai été trop timoré. J’ai peut-être manqué de perspectives. J’ai aussi cru que j’allais me noyer au milieu de trop de perspectives. J’étais sûrement trop prisonnier du ballet de certaines idées et de certaines craintes comme de celui de certains devoirs aussi. Je suis resté dans cet environnement que je connaissais depuis mon enfance : la banlieue parisienne. Il y’avait et il y’a – aussi- heureusement, des bons côtés dans ce lieu de résidence. Mais disons que vivre en banlieue parisienne, selon l’endroit où l’on habite, c’est un peu plus prendre le risque d’être défavorisé pour accéder aux soins, à de bonnes études ou à de bons moyens de transport : pendant une vingtaine d’années, j’ai été tributaire de la ligne A du RER pour me déplacer de Cergy-Pontoise à Paris. Plusieurs fois, j’ai été étonné de voir passer devant moi plus de RER à destination de la ville de St-Germain en Laye, une ville pourtant plus proche et sans doute moins peuplée que les villes de Cergy-Préfecture, Cergy-St-Christophe ou Cergy-Le-Haut qui me concernaient.

 

 

Le 17ème arrondissement de Paris est un lieu géographique assez proche d’Argenteuil, la ville de banlieue- considérée comme « populaire » voire assez « pauvre »- où j’habite désormais. Mais ce 14 juillet, en regardant un certain nombre de ces personnes croisées dans le 17ème arrondissement, en terrasse au restaurant , au café, ou devant ces immeubles de « prestige », dans un certain cadre de vie plutôt privilégié, je me suis dit qu’il leur était sûrement impossible et impensable d’imaginer ce que peut être la vie vue de certains endroits de banlieue pourtant proches. Je me suis aussi dit que pour certaines de ces personnes, la vie en banlieue est un lieu de perdition sociale et morale. Et, pourquoi pas, mentale !

Gilets jaunes et gilets noirs étaient peut-être pour quelques uns assez semblables à des aborigènes d’Australie ou à des Indiens d’Amérique consignés dans des réserves éloignées pour raisons sanitaires à des milliers de kilomètres de là. Bien-sûr, mon avis, ici, est lapidaire et manque de nuance : on peut être riche, privilégié ou sembler l’être, être au courant des mouvements sociaux de son quartier, sa région ou de son pays et se sentir parfaitement impuissant devant eux comme devant leurs causes.

On peut aussi être riche, privilégié ou sembler l’être et militer activement – bien plus activement que moi- pour que le monde change et évolue.

On peut aussi être riche, privilégié ou sembler l’être, et tout autant souffrir intérieurement de sévères déboires personnels ou familiaux . Le Dr Tempura nous l’avait dit il y’a plusieurs années. Et cela est avéré.

Parmi ces personnes attablées tranquillement ce 14 juillet, deux ou trois hommes portaient une kippa. Je me suis demandé la raison pour laquelle ils la portaient dans un espace public : Auparavant, lorsque certaines tensions communautaires étaient « moins » vives, avant le 11 septembre 2001, avant les attentats de l’Hyper Cacher et « de » Charlie Hebdo, avant les meurtres de M.M… , avant le Gang des barbares et la mort d’Ilan Halimi, je ne me serais pas posé cette question. Mais, là, ce 14 juillet 2019, je me suis demandé si ces hommes portaient leur kippa car quelqu’un de leur famille avait servi la France durant la Guerre. Ou si c’était pour honorer l’Histoire de leur famille d’une manière générale depuis les premiers pogroms dont des juifs avaient pu être victimes en passant – comme s’il était possible de passer dessus- par la shoah jusqu’à la création de l’Etat d’Israël. Je me suis demandé, si, pour ces hommes, porter la kippa ouvertement, revenait au même que, pour des Noirs, lever le poing serré, recouvert d’un gant noir, du « Black Power ». Sauf que nous étions dans le 17 ème arrondissement, quartier de Paris- et de France- plutôt privilégié, détendu et agréable, et très différent d’autres quartiers de Paris et d’ailleurs où désert et misère s’associent et se meurtrissent.

 

On peut s’en dire des choses, hein, en effectuant un petit séjour touristique comme moi à Lille. Je vais me reprendre. Il est 9h10 ce matin. Notre résidence est calme. Même si, tout à l’heure, ma compagne m’a demandé :

« Tu n’as pas entendu le bruit, cette nuit ? Quatre Boum-Boum. Comme si quelqu’un avait tiré avec un fusil ? ». Non, je n’ai rien entendu cette nuit. Notre « résidence » est calme.

 

A part, quelques fois, des personnes qui passent dans le couloir devant l’appartement, nous avons entendu notre première voiture ce matin vers 8 heures. Chez nous, à Argenteuil, lors de la victoire de l’Algérie à la Coupe d’Afrique de Football, quelques jours plus tôt, nous avions eu droit à des cris d’allégresse et des coups de klaxon en pleine nuit en bas de chez nous. Et même sans match de Foot, nous avons assez régulièrement l’honneur de profiter des goûts musicaux d’un automobiliste arrêté au feu rouge. Ou de la joie de futurs mariés et de leurs invités également véhiculés. Il est néanmoins bien des endroits calmes à Argenteuil.

Non, cette nuit, je n’ai rien entendu.

Par contre, ce matin, j’ai bien entendu ma fille me reprocher à nouveau d’être devant mon ordinateur et de ne pas pouvoir venir s’asseoir sur mes genoux. Et pourquoi j’écris ?!

Je l’ai aidée à s’asseoir sur mes genoux et je lui ai expliqué :

« Parce qu’au fur et à mesure de notre voyage, nous allons oublier des choses. C’est vrai que tu me vois souvent en train d’écrire avec mon ordinateur. Mais ça ne m’empêchera pas d’être avec toi et avec maman ». Je me suis alors tourné vers ma compagne qui m’a demandé  :

« Pourquoi tu me regardes ? ». Je me suis à nouveau adressé à notre fille :

« Et toi, qu’est-ce que tu as remarqué depuis que nous sommes arrivés à Lille hier ? Qu’est-ce qui t’a plu ? ». Ma fille a réfléchi. Elle se souvient d’avoir vu des statues

 

( je le lui ai soufflé), un petit chien qui aboyait ( je n’ai pas pris de photo du petit chien) . Et, elle trouve que les maisons sont jolies.

Je me fais assez peu d’illusions : ma fille va sûrement se souvenir que lors de notre séjour à Lille, je passais –tout- mon temps à écrire sur mon ordinateur. Peu importent ces moments que je passerai avec elle et sa mère loin de mon ordinateur et de mes photos et de mes mots. C’est comme ça que ça marche : entre nous et nos enfants. Entre nous et nos parents. Et entre nos enfants et nous.

 

Même s’il est sûrement moins fréquenté- et un peu plus étroit- que le métro parisien, nous avons pris le métro lillois à une heure creuse.

 

 

 

« La Voix du Nord ». Cette « phrase » m’intriguait. Je pressentais qu’elle avait une importance particulière mais je ne trouvais pas. Ma compagne a eu la bonne intuition : La voix du Nord, c’était sans doute celle Charles De Gaulle pendant la Seconde Guerre Mondiale. Nous sommes sur la place Général De Gaulle.

 

Un copain de mon club d’apnée m’avait parlé de cette enseigne pour ses gaufres. L’enseigne Méert qui est un des incontournables à Lille. C’est ce qu’il m’a dit il y’a environ deux semaines. J’avais oublié le nom de cette enseigne et puis nous sommes passés devant. A la bonne heure. Pas de queue. Rien qu’à la façon d’y entrer, on comprend que l’on est dans un lieu « sélect » et quelque peu feutré. Bon, ils ne prennent pas les chèques vacances ( j’ai eu besoin de demander) mais ils acceptent les tickets restaurant. J’ai préféré m’acheter une brioche. Mais le bout de gaufre que m’a tendu par ma compagne était bon.

 

 

 

 

 

 

Hier en arrivant à Lille, nous avons opté pour la simplicité en allant acheter du pain à la boulangerie la plus proche de notre « logement ». En apercevant les baguettes de pain, j’ai dû me rendre à l’évidence : dès le lendemain, nous achèterions du pain ailleurs. « Ailleurs », c’était aujourd’hui et c’est dans la boulangerie d’Alex Croquet pas très loin de l’enseigne Méert. Il y’a d’autres bonnes boulangeries mais c’est la première sur laquelle nous sommes tombés ce matin en arrivant dans le centre-ville.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A Lille, je m’attendais à uniquement du béton. Et nous arrivons là à environ dix-quinze minutes à pied du centre-ville.

 

 

Je me sens obligé de rappeler que nous sommes venus là un jour de semaine à une heure où la majorité des gens est encore au travail. Même si nous avons croisé quelques coureuses et coureurs ainsi que quelques promeneurs.

 

 

 

 

 

De retour dans le centre-ville, notre déjeuner fut moins vertueux que sur cette photo.

 

 

 

 

 

Une installation faite de « soleils » se tient à la vieille bourse de Lille.

 

 

Un endroit agréable et étonnant où tous les jours, de 13h à 19h, sauf les lundis, se tiennent des puces ( affiches de films, dvds, livres, bandes dessinées, magazines, vinyles…).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon, ce mardi 16 juillet 2019.

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Voyage

Lille-Jour 1

Lille-Jour 1

 

« Vous avez Google Maps sur votre téléphone ? ».

 

J’aimerais un jour retourner au Japon. Un collègue m’a ramené ce thé vert du Japon récemment.

 

Nous sommes arrivés à Lille depuis une quinzaine de minutes et près de l’Opéra de Lille, je viens d’accoster deux jeunes en pleine croissance. C’est tout un état d’esprit que d’aborder quelqu’un dans la rue afin de lui demander un renseignement. Je le fais encore souvent. Peu importe « l’aide » que nous apportent les nouvelles technologies. Si en voiture, je me laisser volontiers téléguider par une boite vocale, piéton, je recommence à m’adresser aux inconnus que je croise. C’est peut-être une maladie qui sera un jour diagnostiquée. Car, bien-sûr, à chaque fois, au préalable, je m’improvise directeur de casting et effectue une « sélection » avant d’entrer en contact avec l’atmosphère de l’autre : Car Il s’agit d’essayer de deviner à la fois celle ou celui, ou ceux, qui seront susceptibles de se rendre disponibles. Et « compétents ».

 

Evidemment, en pratique, le taux de réussite du premier coup varie beaucoup. Car on « trouve » de tout. Celle ou celui qui n’est pas du coin. Celle ou celui qui est malvoyant et sourd. Celle ou celui qui vous ignore. Celle ou celui qui est du coin mais qui ne connaît pas la rue ou le lieu que vous recherchez. Ce qui est, je crois, de plus en plus fréquent à mesure que l’on se fie aux nouvelles technologies et sans doute au fait, aussi, que l’on s’enferme vite dans les mêmes itinéraires. Nos déplacements sont aussi nos tours d’ivoire. Et, peu à peu, nous regardons peu ou de moins en moins ce qui nous entoure. Finalement. Ne serait-ce que dans un magasin et dans bon nombre d’autres espaces que nous empruntons (les gares par exemple) où notre regard est souvent horizontal et paramétré par notre but à atteindre et notre obsession de « l’efficacité ». Tels des joueurs de foot ou de tennis obnubilés par le camp adverse et le fait de trouver les moyens les plus habiles pour y accéder.

 

Avant de m’adresser à ces deux jeunes, j’ai déjà questionné une personne et un couple. Le couple m’a répondu ne pas être de la région. Une jeune femme au profil d’étudiante portant des lunettes et un sac de soldes a fait de son mieux pour me répondre. Son manque d’assurance m’a étonné. M’indiquant un point géographique au loin, elle m’a dit que j’aurais peut-être plus de chance en allant par là. C’est en allant « par là », à une centaine de mètres, suivi de ma compagne et de notre fille, que nous sommes arrivés sur la Grande Place dont, pour l’heure, je n’ai pas encore pris le temps de retenir le nom( la place De-Gaulle). Mais je me souviens de « la Voix du Nord ». Du restaurant Alcide, je crois. De noms de magasins désormais répandus partout. Et de quelques terrasses où des personnes déjeunaient. Et d’autres commerces plus loin.

Déjà, je crois, j’ai été étonné de voir aussi facilement des agences de la Banque Postale. Mais ce n’est pas de ça dont j’ai conversé avec les deux jeunes.

 

Les deux jeunes devaient avoir dans la quinzaine et me dépassaient de deux bonnes têtes. Longilignes, bien éduqués, ils ont eu l’air de se demander ce qui leur arrivait lorsque je les ai sollicités. Il doit être rare qu’un adulte leur demande ce genre d’information. Ils semblaient à la fois un peu pressés mais aussi désireux de rendre service tout en étant désarmés. J’ai rajouté un peu de pression en précisant : « Surtout pas un Mac Donald ! ». Devant la tête un peu surprise d’un des deux jeunes, j’ai alors ajouté : « Vous voyez, les clichés… ».

Non, non, m’ont-ils assuré, ils n’étaient pas si pressés que ça. Et puis, un des deux a pensé à ce restaurant-pizzeria :

Les 3 Brigands di Napoli. Mais comment me dire où ça se trouvait ? Cela semblait assez loin. A une bonne dizaine de minutes. L’autre jeune m’a demandé :

« Vous n’avez pas Google Maps sur votre téléphone ? ». J’ai répondu : « Si, mais mon téléphone est éteint ». Puis, celui qui avait suggéré l’idée a localisé le restaurant sur son téléphone portable. Le restaurant se trouvait….à une minute. Mais il ne pouvait pas bien le situer. A part le fait qu’il fallait tourner à droite sur la place et qu’il se trouvait dans une « petite rue ».

 

J’ai ensuite demandé à deux ou trois personnes où se trouvait le restaurant Les 3 Brigands di Napoli. Une dame d’une soixantaine d’années s’est mise à rire lorsqu’elle a entendu le nom du restaurant. Comme si c’était une blague et aussi parce qu’il n’y’avait aucune chance pour qu’elle connaisse ce genre d’endroit. Un jeune couple était volontaire pour me répondre. Mais il s’est très vite découragé. Alors, j’ai continué à marcher dans la direction supposée. J’étais à la fois concerné par ma compagne et ma fille qui suivaient quelques mètres derrière moi car il était un peu plus de 13h30 et nous avions encore nos bagages. Nous marchions depuis près d’une vingtaine de minutes. D’un autre côté, et mon meilleur ami Driss pourrait en témoigner en souvenir de notre séjour en Yougoslavie en 1989, je puis par moments marcher sans que le temps pénètre mes pensées. Comme un fou.

Mais j’ai trouvé la petite rue assez vite. En moins de cinq minutes. J’ai aperçu l’enseigne dans la rue St-Etienne, je crois. L’endroit nous a tout de suite convenus.

 

 

C’était très bien car  je voulais éviter la nasse à touristes ainsi que le réservoir de Junk food.

Par ailleurs, nous sommes arrivés à la bonne heure car j’ai peu de mal à croire que Les 3 Brigands di Napoli marche bien question affluence.

 

 

 

Nous avons été très bien reçus dans un restaurant calme comportant quelques clients. Un musicien ( peut-être un saxophoniste) est venu déjeuner à côté de nous quelques plus tard. Il a déposé l’étui rigide de son instrument près de lui et a souri en voyant notre fille s’amuser sous la table à la fin du repas.

 

Merci à ces deux jeunes de nous avoir conseillé cet endroit. Et merci à ma compagne et à ma fille de m’avoir suivi.

 

Franck Unimon, ce lundi 15 juillet 2019

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Cinéma Moon France

Kassav’

 

 

Kassav’ un documentaire de Benjamin Marquet

En replay sur FR3 jusqu’au 29 juillet 2019.

 

« L’histoire de Kassav, c’est l’histoire du groupe français le plus connu au monde » commente le narrateur Thierry Desroses. Le documentaire a alors débuté depuis une minute et trois secondes. Il dure un peu moins d’une heure vingt pour décrire plus de quarante ans de musique et de conscience.

Car la musique de Kassav’, le Zouk, est une musique dansante et consciente. Moins frontale politiquement que le Reggae qui est au départ une musique militante ( comme rappelé dans le bon « documentaire » Inna de Yard de Peter Webber en salles depuis ce 10 juillet 2019) , le Zouk de Kassav’ comporte aussi des chroniques du quotidien des Antilles françaises. A l’opposé d’un groupe comme La Compagnie créole un tout petit peu critiqué dans le documentaire Kassav’ de Benjamin Marquet. L’artiste Francky Vincent aussi (très) connu en France pour ses chansons « légères » n’est pas mentionné dans le documentaire. Cependant, aux côtés de certains des titres « charnels » de Francky Vincent, je me souviens d’un de ses titres où il dénonçait le droit de cuissage au travail dans les années 80. Je ne me rappelle pas que La Compagnie Créole ait abordé ces thèmes dans ses tubes :

 

« Le droit de cuissage au travail, c’est bon, bon ! Bon, bon ! C’est bon, pour le moral ! ».

 

Je ne crois pas un instant que La Compagnie Créole ait interprété ce genre de chanson. Le documentaire de Benjamin Marquet, lui, rappelle, qu’au départ, le groupe Kassav’ vient de la volonté d’un homme, Pierre-Edouard Décimus…et des « Vikings ».

Pierre-Edouard Décimus, c’est le frère aîné de Georges Décimus. Georges Décimus, c’est le bassiste d’origine de Kassav’ qui s’est éclipsé pendant quelques années pour créer le groupe très populaire Volt-Face (aucun lien parental avec le film de John Woo ) puis qui est revenu à Kassav’. Avant Kassav’, Pierre-Edouard Décimus jouait dans le groupe Les Vikings. Le nom de ce groupe de musique antillaise peut faire sourire :

Les Vikings annoncent des grands blonds aux cheveux lunatiques ou la figure divine de Thor pour les adeptes des comics et des mythologies scandinaves. Ce nom de groupe de musique antillaise oblige à voir une certaine contradiction chez l’Antillais :

L’Antillais « susceptible » est ce personnage déplaisant qui, sans prévenir, entre Ti-Punch et accra, peut vous rappeler l’humiliation d’avoir été obligé d’apprendre l’Histoire « de nos ancêtres, les Gaulois » comme de subir couramment détournement ou délit de faciès et bavure policière. Ainsi, lors du documentaire, Elie Domota de l’UGTG, présenté comme « syndicaliste » (et non comme indépendantiste), se rappelle, enfant, avoir entendu quotidiennement la Marseillaise sur Radio Guadeloupe alors que son père allait partir au travail. Et, ce, dès quatre heures cinquante du matin. Tandis qu’en France, le chant de la Marseillaise s’était depuis longtemps éteint sur les ondes radiophoniques à la même époque nous apprend-il :

Elie Domota a pris soin de le vérifier plus tard auprès de ses camarades croisés lors de ses études dans l’Hexagone. En écoutant Elie Domota se remémorer cette expérience, on comprend que celle-ci, cumulée à d’autres pendant des années, a beaucoup contribué à (re)générer son instinct militant.

Mais le groupe Les Vikings, dont Pierre-Edouard Décimus est issu, et envers lequel il exprime toujours sa pleine reconnaissance dans ce documentaire, était un groupe musicalement novateur aux Antilles. Jacques-Marie Basses, compositeur, fait partie de la vingtaine d’intervenants de ce documentaire. Derrière lui, on peut voir une affiche montrant Miles Davis sur ses dernières années quand qu’il déclare :

« Les Vikings, ça n’avait déjà rien à voir avec ce qu’on pouvait appeler les orchestres de bal ».

 

Le groupe Les Vikings s’est reformé il y’ a un ou deux ans et j’ai lu de très bonnes critiques sur lui. J’en parlerai peut-être un peu plus dans un autre article. Le batteur Christian Pazé, aujourd’hui décédé, un ami rencontré dans sa boutique consacrée à la musique dans la commune de Ste-Rose, m’avait donné l’occasion de rencontrer au moins deux des musiciens du groupe Les Vikings :

Camille Sopran’n et Guy Jacquet.

C’était il y’a une bonne dizaine d’années lors d’un de mes séjours en Guadeloupe. Je me doute que pour eux, j’ai été une rencontre parallèle-et oubliée- parmi tant d’autres d’autant que je ne suis pas musicien. Mais pour les avoir approchés et avoir un peu discuté avec eux, je peux affirmer qu’ils avaient bien conscience de leur histoire comme de leurs origines.

Si la musique, c’est allier les morts et les vivants, parmi les morts se trouve Vélo – Marcel Lollia dit Vélo– Maître Ka. Un de mes cousins éloignés, décédé dans le district des années 80 ( le 5 juin 1984 à 52 ans), jamais rencontré, dont mon père m’avait un peu parlé, et dont l’influence sur Kassav’ est signalée dans le documentaire. Ce documentaire sur la carrière de Kassav’ est bien sûr le fait de personnes encore bien vivantes. A moins que ces personnes ne fassent partie de ces étoiles aujourd’hui disparues alors que leurs éclats et leurs décibels nous arrivent et nous sauvent. Parmi les témoins, vivants ou semblant l’être, de ce documentaire, donc, des musiciens reconnus et d’autres qui le sont moins :

Nile Rodgers est le premier témoin. Nile Rodgers, pour les plus jeunes, fera penser au groupe Daft Punk. Leur collaboration avait fait beaucoup parler il y’a deux ou trois ans. Mais Nile Rodgers, c’est d’abord le groupe Chic. Suivent Eric Virgal ( grand artiste antillais), Youssou N’Dour, Eduardo Paim, Wyclef Jean, Peter Gabriel, Rudy Benjamin, Manu Dibango, Pierre-Edouard Décimus, Philippe Conrath ( fondateur du festival Africolor mais aussi directeur du label Cobalt qui produit entre-autres les artistes de maloya Ann O’Aro et Danyel Waro), Danielle René Corail, Manu Katché, Michel Fayad ( conservateur du musée Martinique), Jacques-Marie Basses ( artiste), Marcus Miller, Miles Davis ( archives), Aldo Middleton ( Maitre Ka), Erick Cosaque ( Maitre Ka), Elie Domota ( « Syndicaliste » UGTG), Fanfan du groupe Tabou Combo, Alpha Blondy, Ophélia ( chanteuse de la Dominique et, entre-autres, du titre Aïe Dominique que j’ai pu écouter à la maison, à Nanterre, quand j’étais pré-adolescent), Bob Sinclar, Henri de Bodinat ( directeur de Sony France de 1985 à 1994), les Soroptimists d’Abidjan, Daniel Bamba Cheick ( Haut fonctionnaire ivoirien)….

Pour Miles Davis (décédé en 1991), le Zouk de Kassav’ :

«(….) ça sonne Afro-Cubain mais ils ( Kassav’) mettent de la Samba et de la Rumba ensemble et des Beat africains et du Rock contemporain. Ça sonne bien ». Et Miles de dire dans ces archives qu’il a parlé de leur musique à Marcus Miller (compositeur, entre-autres, de ses derniers albums) afin que celui-ci s’en inspire ( pour l’album Amandla, dernier album studio enregistré par Miles de son vivant en 1989 ).

Eric Cosaque, Maitre Ka, parle Créole lorsqu’il explique :

« La base de Kassav’, c’est le Gro-Ka et le gros Tambour qui était la musique du peuple. Il faut aussi reconnaître la modernité des instruments. Ça permet aussi de ne pas rester figés ».

Devant un tel intérêt manifesté envers la musique de Kassav’, on pourrait se dire que le succès de Kassav’ était évident dans les années 80. Pierre-Edouard Décimus rappelle tranquillement qu’avant le premier concert de Kassav’ au Zénith en 1985 :

« (….) Les professionnels du show business français ( comprendre : « Blancs ») nous disaient :

« Mais ça ne peut pas marcher….il n’y’a personne ( traduction : « Pas d’Antillais et pas de public- noir et autre- désireux de se rendre au premier concert de Kassav’ au Zénith à Paris) à Paris. Nous, on avait la conviction que le public de Kassav’ était à Paris ».

 

En 2019, trente quatre ans plus tard, il est bien-sûr très facile a posteriori de s’étonner de la cécité de certains des décideurs et professionnels culturels de 1985. Car quelques indices auraient pu ou auraient dû leur faire pressentir le succès possible d’un groupe comme Kassav’:

Si le film Black Mic-Mac de Thomas Gilou sortira un an plus tard ( en 1986) en 1983, soit deux ans plus tôt, Euzhan Palcy réalisait le film Rue Cases-Nègres d’après le roman de Joseph Zobel. Le film Rue Cases-Nègres, dont l’histoire débute dans les année 1930 ne parle pas de Zouk directement ou explicitement. Mais le film Rue Cases-Nègres aborde ouvertement devant la France nouvellement socialiste ( depuis 1981) du président François Mitterrand  les thèmes de l’esclavage, de l’identité antillaise et d’un fort désir d’ascension sociale et culturelle.

Auréolé du soutien de François Truffaut ( décédé en octobre 1984) et de l’obtention de divers prix (César en 1984 de la Meilleure première œuvre, Lion D’Argent pour la meilleure première œuvre à la 40 ème Mostra de Venise…), le film Rue Cases-Nègres connaît alors un succès critique ainsi qu’un certain succès public au moins auprès du public antillais. Et des décideurs et professionnels culturels un petit peu curieux de ce succès ou « avant-gardistes », auraient pu ou auraient dû prendre le temps de découvrir et de prendre le pouls de cette œuvre ainsi que de ce public et « voir » en un groupe comme Kassav’ un groupe prometteur ou digne d’intérêt. Car, finalement, Kassav’ s’est révélé être la jonction entre Rue Cases-Nègres, l’Histoire qui la précède (donc l’Histoire de l’Afrique et de l’esclavage) et le quotidien des Antillais et des Africains que ce soit au pays, exilés en métropole ou de par le monde.

Concernant l’histoire de Kassav’, malgré ces ratés de départ en termes de promotion, la consolation est double car elle impose à nouveau des faits vérifiés ailleurs :

1) Certains groupes, artistes ou œuvres, surgissent au moment adéquat lorsque la maturité de leur art concorde avec celle de leur époque et de leur public. La rencontre entre les différentes parties est alors aussi inéluctable qu’un coup de foudre entre différentes pièces du même puzzle.

2 ) Si l’on peut suspecter un mépris à caractère raciste de certains promoteurs à l’époque du premier Zénith de Kassav’, il est néanmoins beaucoup d’autres histoires de carrières d’artistes et d’entreprises bloquées, sous-estimées ou freinées du fait de l’incurie ou de mauvais choix de spécialistes désignés dans une industrie donnée. Une carrière artistique tient aussi à une certaine vision stratégique quant à ce qui est considéré comme pouvant tenir dans la durée ou susceptible d’être rentable économiquement y compris à court terme.

Personnellement, lorsque je repense à des artistes français comme Mylène Farmer ou Indochine apparus dans les années 80 avec leurs premiers tubes Maman a tort (1984) ou L’Aventurier (1982) -soit avant le premier Zénith de Kassav’ en 1985- je sais avoir été incapable en les écoutant alors de m’imaginer que ce seraient aujourd’hui des icones et qu’ils toucheraient plusieurs générations de spectateurs. Et je serais curieux de savoir combien de « spécialistes » de l’époque avaient réellement prévu une telle carrière pour Mylène Farmer ou le groupe Indochine. Je crois prendre peu de risques en affirmant que très peu de « spécialistes » de l’époque, parmi celles et ceux qui sont encore vivants, avaient envisagé qu’en 2019 l’artiste Mylène Farmer et le groupe Indochine pourraient remplir facilement des salles de concert telles que celles du Stade de France (qui n’existait pas à l’époque), AccorHotelsArena ou ex Paris-Bercy ( idem ) ou de la salle de Concert Paris La Défense-Arena encore plus récente que les deux précédentes.

Il en est de même de la carrière réussie d’un acteur ou, plus simplement, de la longévité d’un couple ou de celle, accomplie, d’une existence.

Dans les années 90, parmi les principaux noms du Rap en France des groupes et des artistes tels que IAM, MC Solaar et NTM se distinguaient. Aujourd’hui si on devait comparer l’engouement que suscite l’annonce d’un concert de NTM ou de MC Solaar, on s’apercevrait que l’ordre de préférence s’est nettement inversé par rapport à cette époque où MC Solaar était ce premier rappeur français (en 1993) interprétant un titre avec un Rappeur américain (Le Bien, le Mal avec Guru). Pourtant, dans les années 90, on avait l’impression que le Rap et la voix de Mc Solaar pouvaient tout transformer en or. Et c’était peut-être presque vrai.

Lorsque j’ai écouté et réécouté il y’a plusieurs semaines maintenant le second album (Souldier, sorti en 2018) de l’artiste Jain très cotée depuis son premier album, j’ai entendu dans sa musique des airs et des histoires de ruptures amoureuses entrainés en Anglais et cru comprendre que son sens du « visuel » et de la com’ font d’elle une artiste originale et qui marche très bien. Pourtant, même si plusieurs de ses titres me plaisent assez à l’écoute, je suis sceptique en apprenant qu’elle fait aujourd’hui partie des « poids lourds » de la musique. Il est néanmoins vrai que je ne l’ai pas encore vue sur scène qui est pour moi le sérum de vérité absolu de tout artiste. Et que personne ne peut décider ou prévoir avec certitude ce qui fait qu’un artiste plutôt qu’un autre va trouver son public. Et durer. le réalisateur Pascal Tessaud ( mon article https://balistiqueduquotidien.com/digressions-a-pa…e-pascal-tessaud/), dans sa très bonne série documentaire Paris 8- La Fac Hip-Hop ( en replay jusqu’au 7 avril 2022 sur Arte TV)  en donne un aperçu dans le portrait Le Prince du Rap qu’il fait du rappeur Mwidi au coude-à-coude dans les années 90 avec MC Solaar pour sortir un premier album.

 

Philippe Conrath dans le documentaire de Benjamin Marquet à propos du premier concert de Kassav’ au Zénith en 1985 :

« Jamais on n’aurait pu penser faire le Zénith. Et, il ( le groupe Kassav’) le remplit un peu tout seul d’une certaine façon. Y’a pas de promo, y’a rien et tout et comment il va y’avoir quatre mille personnes qui vont remplir le Zénith ? A l’époque, c’est une prise de risque. Il y’a que Kassav’ qui sait (….). A ce moment-là, si quelqu’un a la curiosité de venir, il voit un Zénith bondé et un groupe qui s’appelle Kassav’. Et tout le monde qui est en train de hurler et de danser ».

 

En découvrant ce documentaire, on prendra très peu de risque : On apprendra beaucoup sur Kassav’, premier groupe français à remplir le Stade de France en 2009 bien qu’étrangement classé dans la World Music après avoir été élu « meilleur groupe français » en 1989. Je me demande dans quelle catégorie les artistes Jain et Christine &The Queen sont-elles classées. Je n’ai pas vérifié. Et, je tiens à ajouter que, quelles que puissent être mes éventuelles réserves, je ressens pour ces deux artistes plutôt de la curiosité et de la sympathie.

Kassav’, c’est le groupe qui détient le record de représentations au Zénith de Paris (plus d’une soixantaine) et qui a un statut de Rock stars en Afrique. Dans ce documentaire, on apprendra sur les Antilles et sur la musique d’une façon générale. Marcus Miller explique par exemple que partir en tournée, cela signifie vivre 18 heures ensemble tous les jours et que Kassav’ le fait depuis quarante ans ! Au vu de cet énoncé, certaines personnes préfèreront peut-être regarder Fort Boyard ou une émission de téléréalité.

Vous avez jusqu’au 29 juillet pour regarder ça en replay sur FR3. Cet article complète mes deux articles précédents, Moon France ( Moon France) ainsi que Un Moon France en concert ( Un Moon France en Concert). Attention, mon article Moon France est très très long mais vous pourrez encore prendre le temps de le lire après le 29 juillet de cette année.

Franck Unimon, ce jeudi 11 juillet 2019.

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Echos Statiques

Cette Histoire

 

 

 

                                                           Cette Histoire

 

Cette histoire, nous la connaissons : il faut parfois un acte héroïque ou dégoûtant pour créer l’étincelle à même de nous faire pousser dans le regard admiratif ou horrifié des autres. Auparavant, nous existions peut-être à l’état de bulle plate ou de banale silhouette. Parce qu’à peine la rupture des premiers attraits et de la découverte est-elle prononcée que l’habitude scélérate s’installe. Et il faut faire certains efforts pour rester attentif aux autres comme pour maintenir en eux un certain « intérêt ». Nous avons tellement à faire. La vie est si courte. Et nous n’avons pas de temps à perdre.

Pire que l’exposition au temps qui passe, le risque d’être exposé trop longtemps à un sentiment de solitude et d’échec nous incite à nous démettre de celles et ceux qui nous semblent peu… pour nous en délivrer.

Cet homme-là, je l’ai longtemps délaissé. Je le voyais à peine. Pour mieux dire les choses : j’ai oublié comment je le voyais lorsque je le croisais. C’était une silhouette d’homme de ménage employé par une société dont je connais à peine le nom. Je le savais présent sur le plateau de tournage de mon travail, certains matins. Dès 6 heures. Je faisais sûrement attention à son travail :

Autant que possible, j’évitais de marcher là où il venait de passer le balai ou la serpillère. Même s’il est très courant que celles et ceux qui font le ménage vous disent généralement avec politesse et gentillesse : « Si ! Si ! Vous passez passer ! ». Alors que vous, vous savez qu’en passant, vous allez saloper la surface qu’ils viennent de laver. Et qu’à leur place, vous prendriez très mal que quelqu’un salisse le résultat tout frais de votre oeuvre de ménage.

Au cinéma, une fois, on m’avait proposé un rôle de silhouette d’homme de ménage. J’avais refusé. Et ma prof de théâtre au conservatoire, en colère, avait approuvé mon choix de refuser ce « rôle » en me confirmant mes impressions :

« On te propose ça parce-que tu es Noir ! Tu refuses ! ». Au cinéma, on s’exclue du regard et de la carrière d’acteur en acceptant de « jouer » la silhouette. Et encore plus en y faisant l’homme de ménage qui efface en lui-même les traces de sa propre présence à mesure des scènes. Etre payé, modestement, pour effacer soi-même ses propres traces jusqu’à la disparition complète, c’est tout un concept. Mais certainement pas un plan de carrière à conseiller à celle ou celui qui veut réussir en tant qu’acteur.

Aussi étonnante que cette proposition soudaine de m’engager en tant que silhouette d’homme de ménage avait été la croyance de certaines personnes de mon entourage :

Quand je les avais interrogées, certaines d’entre elles, pragmatiques, avaient estimé que c’était toujours bon à prendre, une place de silhouette d’homme de ménage au cinéma. Tant que c’était payé.

 

Dans la vie, et gratuitement, j’avais déja croisé cet homme de ménage un certain nombre de fois lorsqu’un matin, une de nos collègues a été suivie par un violeur. Les cris de notre collègue ont alerté notre « silhouette » d’homme de ménage. Celui-ci a accouru et s’est interposé. Seul lui, « l’homme de ménage », en raison de sa présence à cette heure, pouvait à ce moment-là entendre, voir et intervenir. Le violeur a très vite pris la fuite.

Cette tentative de viol a été un choc. Pour cette collègue. Pour nous.

Notre collègue s’en est apparemment remise : je ne suis pas assez proche pour aborder ce sujet avec elle et j’ai préféré éviter toute question déplacée ou qui aurait pu passer pour telle. A la place, il a pu m’arriver, comme d’autres collègues, de veiller un peu plus sur elle comme cette fois où venant au travail, elle nous avait appelé pour nous informer…qu’elle avait l’impression d’être suivie par un mec bizarre. J’étais prêt à partir la rejoindre. Finalement, elle s’était refugiée dans un café quelques minutes puis était arrivée.

 

Je me demande combien de personnes parmi toutes celles et ceux, qui, quotidiennement, se font faire et servir un café et marchent en toute décontraction dans le travail des autres auraient été capables d’agir comme cet homme de ménage. Depuis quelques mois maintenant, une de mes collègues, réincarnation d’un chien St-Bernard, en cela qu’elle est particulièrement attentive aux autres, lui apporte un café les matins. Ce matin, ma collègue m’a à nouveau dit que cela lui avait pris du temps pour « apprivoiser » cet homme.

Depuis cette tentative de viol, je perçois cet homme de ménage comme un héros et un modèle. Je le salue autant que possible. Je me suis obligé à apprendre et à retenir son prénom. Quelques fois, je prends le temps de discuter avec lui. Je n’ai jamais osé lui parler de ce qui était arrivé. C’est un héros méconnu et je crois que cela lui convient très bien :

La majorité des héros sont des gens méconnus et oubliés. Seule une minorité de héros, je crois, « bénéficie » d’une histoire officielle et d’une certaine publicité qui peut d’ailleurs être une malédiction.

Quelques fois, je repense avec un peu d’inquiétude à ce « Jeune Malien sans papiers » :

Mamadou Gassama.

Le 27 Mai 2018, à Paris, Mamadou Gassama était devenu « un héros » en sauvant un enfant accroché à un balcon, les pieds suspendus dans le vide. Mamadou Gassama, dont j’avais déjà oublié le prénom et le nom avant d’écrire cet article, a reçu la nationalité française et été embauché en tant que pompier suite à son acte héroïque. C’est ce que j’ai cru comprendre. Ce dénouement ressemble à un happy end commun à certains romans et certains films. Tout va bien et tout se termine pour le mieux. Mais :

Entre l’exigence de devoir toujours, désormais, être un héros (donc un être parfait) et le fait, quand même, de susciter certaines jalousies, je me dis que la vie de Mamadou Gassama doit être loin d’être simple. Je me dis que pour lui le plus simple a peut-être été, finalement, de risquer sa vie pour cet enfant. Ensuite, soit pour lui soit pour son entourage, je doute que la vie se soit simplifiée. Trop de célébrité tue l’héroïsme, la tranquillité et la simplicité. Bien des héros et des super-héros ont bien raison de porter un masque assurant leur anonymat dans la vie de tous les jours. Qu’un masque cache leur visage ou que ce masque soit un rôle ou une attitude qu’ils (se) jouent tous les jours et par lesquels ils se font passer pour plus idiots, plus vulnérables et plus lâches qu’ils ne le sont réellement.

Dusko Popov, qui a inspiré à Ian Fleming un certain personnage célèbre, l’a dit :

« Dans la vraie vie, James Bond ne tiendrait pas six mois ».

Je « soupçonne » Dusko Popov d’avoir été indulgent en parlant de « six mois » car en lisant sa très bonne biographie Tricycle qu’il a écrite lui-même, on comprend que son intelligence et son art de la dissimulation lui ont permis de jouer les agents double voire triple et de bien tenir sa couverture durant la Seconde Guerre Mondiale face aux nazis qu’il fréquentait.

On m’objectera qu’il en est de même, malheureusement, pour de grands criminels et de grands meurtriers qui savent passer inaperçus en tout normalité et même en toute légalité jusqu’à ce moment où ils entrent en scène. C’est vrai. Mais je préfère penser ce matin à cette histoire où parmi toutes ces femmes et ces hommes de ménage, parmi toutes ces silhouettes confondues dont la présence est souvent floue, se cachent des héroïnes et des héros que nous croisons ou que nous sommes tous les jours.

Franck Unimon, ce jeudi 4 juillet 2019.

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Cinéma

Coming Out

                                                        Coming Out

 

 

Coming Out : « Ce n’est pas un choix ».

 

Je viens de parler du film Le Daim de Quentin Dupieux sorti ce 19 juin 2019 au cinéma. En faisant ça, j’ai respecté l’ordre chronologique dans lequel j’ai d’abord vu Le Daim puis Coming Out cette semaine. Mais j’aurais peut-être dû commencer par Coming Out. Malgré le bien que je pense de Le Daim de Quentin Dupieux (voir mon article ) Coming Out est une œuvre prioritaire. Cet article est donc, aussi, un article de rattrapage.

Avant d’aller voir Coming Out de Denis Parrot, sorti en salles le 1er Mai 2019, j’avais hésité avec d’autres réalisations telles que Dirty God de Sacha Polak ou Permaculture, la voie de l’autonomie de Carinne Coisman et Julien Lenoir. J’ai pour l’instant raté les séances de Un Havre de paix de Yona Rozenkier et de Le Chant de la Forêt de Joao Salaviza et Renée Nader Messora. J’avais pour moi d’avoir parlé récemment du film Conséquences de Darko Stante dans un de mes articles.

Conséquences est sorti ce mercredi 26 juin ( avant hier) et, à ce que je lis « par dessus l’épaule » ( sur sa page Facebook) d’une des attachées de presse que je connais, Jamila Ouzahir, le film bénéficie de bonnes critiques dans les média à droite à gauche. Si l’homosexualité est abordée dans Conséquences, l’inspiration masochiste du héros, Andrej, m’a dérangé. Et, je vois celui qu’il « aime », Zeljko, plus comme un jeune homme qui prend son plaisir de manière opportuniste par toutes ses pores, sexualités, drogues et actes de violences confondus que comme un homo. Si la personnalité d’Andrej en tant qu’homo se définit à mesure du film, Zeljko, pour moi, est sans limites : S’il s’avérait que devenir prêtre, proxénète, croque-mort, combattant MMA ou sniper pouvait lui permettre de prendre son pied, je pense qu’il se dirigerait vers une de ces voies-là ou vers plusieurs d’entre-elles en même temps.

On peut évidemment m’opposer un avis différent. Et je m’abstiendrai de toute façon de m’affirmer en spécialiste du sujet de l’homosexualité devant nos voisins, collègues, copains, amis homme-eau, lesbiennes, transgenres, sociologues, psychologues et autres.

Par contre, à parler d’homosexualité et de transgenre, je préfère nettement Coming Out qui est fait de vidéos postées sur le net entre 2012 et 2018 par des personnes qui ont fait leur coming out.

Denis Parrot, le réalisateur le souligne au début : à son époque, internet n’existait pas.

 

Il y’a trente ou quarante ans, internet comme nous le connaissons aujourd’hui, n’existait pas non plus. Et cela avait pu faire rire de voir les humoristes Coluche et Thierry Le Luron se marier. Cela avait pu déranger aussi. Mais ceci pour dire que les homos pouvaient être « tolérés » dans la mesure où ils faisaient marrer. C’est ce qui peut expliquer-peut-être- le succès du premier volet de La Cage aux folles réalisé en 1978 par Edouard Molinaro avec Ugo Tognazzi et Michel Serrault d’après la pièce de théâtre au titre éponyme. J’ai néanmoins rencontré au moins un homo qui voit dans ce film des clichés et un mépris affiché envers les homosexuels. J’imagine que d’autres homos pensent comme lui.

En découvrant La Cage aux folles– il y’a moins de dix ans- il m’a pourtant semblé que le pire personnage était celui qui jouait le fils, hétéro. La représentation de l’homo a un peu changé dans le cinéma. Dans un des derniers James Bond, Skyfall, je crois (réalisé en 2012), alors qu’il est torturé, « James » suggère d’un air entendu et détendu avoir déjà couché avec un homme.

Aujourd’hui, très superficiellement sans doute, et malgré une réelle volonté de sincérité et d’ouverture, j’ai l’impression que « ça fait bien » lorsque l’on est hétéro, de dire que l’on « a des amis homos » ou que l’on fraie dans les milieux gay et lesbiens. Et transgenres. Nous sommes à une époque où les gens sont tellement « ouverts », « cool » et « tolérants ». Et on peut remplacer le mot « homo » par le mot « Arabe », « Noir », « Blanc », « Asiatique », « Musulman », « Juif », « Femme », « Homme », « Riche », « Pauvre », « Manuel », « Intellectuel », « Sportif », pour s’apercevoir que selon les environnements, les interlocuteurs et les échéances, on se retrouvera tour à tour devant la porte d’un club privé dont l’accès nous sera refusé ou, au contraire, accordé.

Nous sommes dans un monde de cases et de castes.

On peut toujours regarder les autres cultures et les autres pays et se « moquer » de leur côté arriéré ou supposé comme tel. Même en France, et au XXIème siècle, on peut être particulièrement arriéré.

Je peux être particulièrement arriéré. D’ailleurs, Coming Out nous en apprend davantage au travers de ses divers témoignages qui, pour la plupart, se font face caméra, sur les formes principales de l’intolérance.

L’intolérance, selon Coming out, est bien un plat fait de certains mélanges. On y trouve côte à côte de l’ignorance, du déni, de la psychorigidité, du conditionnement, de l’aliénation, de la peur (du Freak, de l’Alien, du violeur), de la complaisance, de l’absence de conscience partielle ou totale de soi et des autres.

Dans l’intolérance, on trouve aussi cette conviction quasi délirante voire paranoïaque que la Norme de pensée à laquelle on adhère ou qui nous tient en laisse ou en haleine nous assurera la vie éternelle. Le bonheur éternel. Le pardon perpétuel. Et, cela, quelles que soient les erreurs et les horreurs que l’on peut commettre, seul ou avec le concours d’autres personnes, en tuant ou en blessant d’autres personnes désarmées, pacifiques et en situation d’infériorité.

Dans Coming Out, fait d’une bonne dizaine de témoignages, on assiste à quelques réactions des proches : Du déni au rejet en passant par l’acceptation ou l’encouragement. Certaines de ses personnes ont la chance d’avoir des proches qui comprennent ou, mieux, qui le « savaient déjà » et acceptent.

D’autres n’ont pas cette chance.

La phrase maladroite de quelques parents qui croient bien faire et qui revient plusieurs fois est : « C’est ton choix…. ». Ce à quoi, plusieurs de ces jeunes qui font leur coming out répondent aussitôt : « Ce n’est pas un choix ! ».

Si, pour certains, la découverte de leur homosexualité a été plus ou moins évidente assez tôt, pour d’autres, il a fallu certaines circonstances : une attirance amoureuse, plusieurs tentatives de suicides et plusieurs dépressions.

En regardant Coming Out, on s’aperçoit bien que ces personnes qui portent sur elles (ce en quoi elles sont, finalement, si on gratte bien, davantage les enfants de Dieu que ces « tenants » d’une certaine vérité religieuse ) tout le poids de la désapprobation morale de la communauté majoritaire aimeraient tellement être dans la « Norme » et acceptés du plus grand nombre.

On s’aperçoit aussi qu’elles se préoccupent plus du bien-être être de leurs parents que du leur. Une des jeunes femmes dit ainsi à sa mère au téléphone :

« J’essayais de vous rendre heureux ».

Une autre, devenue garçon, demande en quelque sorte à sa mère de le rebaptiser en lui donnant un autre prénom.

Certains passages pourraient être drôles si l’on excluait la souffrance dont ils sont remplis :

« Je suis censée m’intéresser à des garçons…. ».

Si la plupart des témoignages se font face caméra ou en présence des parents, il est aussi un photomontage particulièrement réussi ou une jeune fille, de 12 ans, fait des commentaires en voix off.

A nouveau, à voir ces personnes en pleine « mutation », il est détonant de voir comme les films de super-héros manquent généralement de réalisme en nous montrant des modèles exclusivement étalonnés sur les normes sexuelles, sociales et amoureuses hétéros. Il est vrai que les films de super-héros, pour des raisons économiques, se doivent d’être grand public et donc montrer le moins de scènes « osées » ou choquantes possible. Mais voir les mêmes histoires « d’amour » dans les films de super-héros revient à raconter aux enfants, aux ados et aux adultes que les bébés sont apportés au travers de la couche d’ozone par des cigognes ou transportés via Amazon Prime dans des éprouvettes par le Père Noël.

Coming Out révèle ou rappelle que derrière certains signes d’ouverture, mal être et solitude complètent encore la vie de beaucoup d’homos, de lesbiennes et de transgenres et que, comme le dit très bien un des jeunes hommes qui témoigne :

« Nous crions pour que les personnes comme nous sachent qu’elles ne sont pas seules : nous sommes des êtres humains ».

Franck Unimon, ce vendredi 28 juin 2019.

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Cinéma

Le Daim

Le Daim

 

 

Extension du domaine de la chute ou voyage « pataud », Le Daim, le dernier film de Quentin Dupieux , sorti ce 19 juin 2019, est tout en aimants presque chromés d’anachronismes.

Dans Le Daim, Quentin Dupieux poursuit sa route, sa trève, son rêve américain parallèle dont il continue d’équiper la bande son : C’est étonnant comme ses films emploient la route ou ce qui s’en rapproche mais aussi comme les situations du Daim – comme sans doute de ses autres films- se raccordent bien aux bretelles sonores de quelques titres de son premier album Analog Worms Attack ( livré en 1999, l’année du film Matrix) comme de son premier tube : Flat Beat.

Ecoutez des titres comme Bad Start, No Day Massacre, Last Night A DJ Killed My Dog, trois des titres de son premier album Analog Worms Attack. D’abord, vous constaterez peut-être qu’aujourd’hui où des artistes comme Jain et Aya Nakamura tapent le son, ces trois titres de Quentin Dupieux/ Mr Oizo sont loin d’en être les seconds. Mais aussi qu’ils collent à la peau de Georges tel du plomb dans le fond de la gorge.

Qui est Georges ? Georges est un emballage ou un homme dans la quarantaine, emporté par l’acteur Jean Dujardin sur une autoroute à péage dans une vieille Audi sans électronique. Cette voiture Audi est immatriculée dans le 92. Donc en région parisienne dans le département considéré comme  » le plus riche de France ». La voiture Audi et l’appartenance au département 92 sont à première vue des symboles de réussite économique.

La voiture de Georges date peut-être aussi de l’année 92 ou de la fin des années 90. Si l’on tient compte du modèle automobile mais aussi du tableau de bord.

Georges a des goûts musicaux très sûrs : Dans sa voiture passe « Et si tu n’existais pas », interprétée par Joe Dassin, un chanteur « franco-américain » très années 70-80 (décédé en 1980 d’un « malaise cardiaque » à 41 ans) également très connu pour son titre L’été Indien. Quentin Dupieux laisse filtrer suffisamment de « bizarreries » dans ses films pour que ceux-ci en deviennent multipistes. Les traces qu’on y trouve peuvent donc être les « tracks » de nos sillons personnels. Cela convient à certains spectateurs et à certaines humeurs plutôt qu’à d’autres.

 

« Je promets de ne plus porter de blouson de toute ma vie » semble être le nouvel ordre que Georges veut imposer à celles et ceux qu’il rencontre après qu’il ait passé le péage et changé en quelque sorte de route, de dépression… et de dimension. On peut évidemment jouer sur les mots et voir la « paix-âge » dans le péage. Georges est à ce moment de sa vie où il aspire à trouver un second souffle et à faire….le ménage. Cela commence par cette veste de cadre qu’il porte au début du film et qu’il va remplacer par cette veste en daim achetée au prix fort à un vendeur ( l’acteur Albert Delpy ) facétieux ou tout autant enluminé que lui. En voyant l’acteur Albert Delpy, on se dit que ce personnage du vendeur aurait aussi pu être joué par l’acteur Philippe Nahon ou par l’acteur Jean-François Stévenin. André Dujardin/ Georges, quant à lui, ressemble alors au José Garcia du Extension du domaine de la lutte (1999) adapté par Philippe Harel d’après le livre de Michel Houellebecq. Rôle qui avait permis de découvrir l’aptitude dramatique de José Garcia avant son rôle dans Le Couperet (2005) de Costa-Gavras. Mais c’est un Georges également proche de L’Homme à tête de Chou de Gainsbourg pour la transformation psychique que va connaître son personnage.

Au fait ! Le Daim, ici, c’est peut-être l’équivalent masculin du mot « Dinde ». Georges est un banni du génie. Et il est au ban du monde. On s’abstiendra de voir en lui un sujet d’admiration. Et, c’est pourtant la seule petite lueur qui lui reste : celle de ce petit voyant rouge qui s’allume lorsqu’il met en marche sa caméra numérique et qu’il se voit réalisateur « dans le vrai cinéma ! ». D’autant que « Le numérique, c’est ce qui se fait de mieux ! ».

Si nous voyons en Georges un raté qui se trouve pour monastère un hôtel à la Barton Fink ( des frères Coen) perdu près des montagnes, lui se voit en Cow-Boy conquérant. A travers lui et son personnage en perte de repères qui rappelle aussi le personnage de Vincent Lindon dans La Moustache (2005), Dupieux filme aussi notre impossibilité d’inventer notre vie au jour le jour. Car nos vies sont de plus en plus quadrillées. Par l’urbanisation. Par les technologies modernes et numériques qui sont évacuées, désactivées ( la carte bancaire) ou finissent à la poubelle dans Le Daim :

La scène du téléphone portable rappelle en effet celle du Nokia dans Matrix, à l’époque où Nokia (entreprise finlandaise) était le numéro 1 mondial (« Jusqu’en 2011 ») en téléphonie mobile. Alors qu’aujourd’hui, les marques Samsung (Corée du sud), Apple (Américaine) et Huawei (Chinoise) semblent constituer le trio de tête dans ce domaine. Et l’on peut voir dans Le Daim différents marqueurs d’un monde enrubanné de cellophane dans les années 70-80 :

des Baskets Nike typées années 80, une télévision portative en noir et blanc…

Attirer le regard, exister, s’ancrer, semble de plus en plus difficile dans notre monde de voyeurs et de reflets à couper au montage où beaucoup peut être refait.

Au passage, Dupieux nous parle de la précarité avec le personnage d’Adèle Haenel, monteuse précaire et résignée qui se révèlera être une Rosetta (1999) des Frères Dardenne ou une Christine Blanc du film Elle est des nôtres (2002) de Siegrid Alnoy.

L’actrice Adèle Haenel, en barmaid et dans son rôle, fait de plus en plus penser à l’actrice Mathilde Seigner à force de se rassembler dans cet air renfrogné qui nous l’a présentée et avec lequel elle nous prend en étau. Mais quand elle sourit, elle ressemble à elle-même et c’est très beau. Dupieux nous donne aussi quelques trucs sur le cinéma en nous parlant de l’importance du montage à travers l’exemple du film Pulp Fiction (1994) de Tarantino ( Prénom : Quentin). Il se fait alors- brièvement- l’égal d’un mécano qui éduquerait les futurs acquéreurs et consommateurs de ces moteurs particuliers que sont les images.

Il peut dérouter qu’un artiste comme Dupieux qui maitrise, célèbre les technologies « nouvelles » et assure sa vie économique et personnelle grâce à elles, tienne un tel discours. Mais, au fond, dans les années 90 à l’époque de la « French Touch », en tant que musicien techno, et avant de devenir cinéaste, il exprimait déjà des idées allant dans le sens contraire. Et, à l’écouter, sa techno « sale » au sens noble contrastait par exemple avec la musique « sublimée », proprette et nacrée d’un groupe comme Air et, avec celle, plus tard, d’un groupe comme Daft Punk, dont on ne sait plus aujourd’hui si leur musique nous touche parce qu’elle nous rappelle ce qu’elle a été. Parce qu’elle est devenue une institution et une norme et que tout le monde (beaucoup de monde) la connaît, l’écoute et danse dessus. Ou parce qu’elle nous libère véritablement. En écoutant l’album Homework (1997) des Daft Punk,  je ne me posais pas ce genre de questions.

A la fin de Le Daim, Georges « l’albinos » (voir le film Noi Albinoi réalisé par Dagur Kari en 2002), ressemble à l’acteur Edouard Baer. Puis, un petit peu, à l’acteur Marcelo Mastroianni, capable de jouer « les mecs banals » selon Fellini, je crois.

Peut-être que pour l’acteur André Dujardin, le film Le Daim permettra d’exister davantage, et, mieux, au cinéma.

 

Franck Unimon, ce vendredi 28 juin 2019.

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Cinéma

Sibyl

 

Sibyl un film de Justine Triet

 

Sibyl : « On ne construit que sur la merde ».

 

Sibyl a un métier réfléchi. Psychologue libérale depuis plusieurs années, elle est une professionnelle et une femme autonome et accomplie. Mari parfait jusqu’à l’effacement. Enfants plus que parfaits. Entourage aimant. Pas de problèmes d’argent en vue. Assez soudainement, elle veut quitter tout ça et se remettre à écrire. Peut-être parce-que sa vie fléchée l’ennuie. Peut-être parce-que que sa tête reste le passage obligé d’une routine. Et que cette routine la reconduit vers sa mère, ses 3 grammes d’alcool dans le sang, et la sortie de route qui l’ont fait disparaître et rendue muette à jamais.

Dans son cabinet, comme dans la vie, Sibyl sait écouter les autres et leur parler. Lorsqu’on la regarde vivre extraite de son justaucorps social, Sibyl est un de ces sushis qui défile sur tapis roulant au début du film tandis qu’un de ses amis éditeur lui parle à lui donner le tournis.

 

Film étrange que ce Sibyl de Justine Triet, où l’on s’éponge entre mensonges, fantasmes, perversion, exhibitionnisme et voyeurisme, mélanges prompts à vous égarer. Encore plus peut-être si juste auparavant, à la séance précédente, vous étiez en compagnie de John Wick Parabellum et ses scènes de combat où vous compreniez chaque réplique et chaque mimique. Avec Sibyl, on pourrait se dire que nous sommes en face du énième film français de bobo névrosé pour intellectuels bobos :

Ce film doit être vu avec son microscope, mieux, avec son scanner cérébral portatif en bon état de marche.

 

Regardons de plus près quelques protagonistes principaux : Virginie Efira/ Sibyl est la première raison pour laquelle je suis allé voir ce film. Cela fait plusieurs années que cette actrice nous a fait comprendre que nous avons tout à gagner à nous la fader sur grand écran, elle et son visage de blonde assez fade. Il est assez pratique d’employer des formules toutes faites à propos de certaines actrices et acteurs telles que :

« C’est le comédien le plus doué de sa génération ». Ou « Il peut tout jouer ! ». Hé bien, en voyant le film Sibyl – qui n’est pas un film d’épouvante- on peut se dire que Virginie Efira, également douée pour la comédie, pourrait jouer dans des films d’épouvante ou d’horreur. De cette épouvante bien sous tous rapports et à cheval entre la normalité et la folie. Son jeu dans Sibyl est très propre. Ma scène préférée est sans doute celle de « la pomme d’Amour et du Barbapapa ». Mais j’ai aussi beaucoup aimé une autre scène qui fait penser à une scène de licenciement.

Adèle Exarchopoulos/ Margot Vasilis. La Vie d’Adèle de Kechiche avait été un film presque fait sur mesure pour elle. Elle a tourné dans d’autres films depuis. Dans Sibyl, elle me convainc moyennement dans certaines scènes. Lorsqu’elle pleure par exemple. Pour la première fois, dans son rôle de Margot Vasilis, elle m’a fait penser à l’actrice Ludivine Sagnier plus jeune. Mais en un peu plus « perverse ». Pour le rôle. Dans Sibyl, Margot/ Adèle est selon moi meilleure comédienne lorsqu’elle balade Sibyl que sur le tournage du film réalisé par Mika/ l’actrice Sandra Hüller et où elle est une jeune comédienne qui joue son avenir professionnel.

Gaspar Ulliel/ Igor a gardé un peu de sa « balafre » hannibalienne dans son rôle et ça colle bien. En en montrant moins que Margot Vasilis, son personnage dégage plus d’épaisseur.

Niels Schneider/ Gabriel (comme l’ange Gabriel ?) me plait davantage dans la dernière partie du film : dans la première partie, on le voit jouer ce par quoi il s’est fait connaître en particulier dans le cinéma de Xavier Dolan (l’ambiguïté, la sexualité).

Laure Calamy/la sœur de Sibyl, Paul Hamy/ le mari de Sibyl, Arthur Harari/ Dr Katz, Sandra Hüller/ Mika, la réalisatrice, complètent la liste des rôles principaux. J’aime beaucoup le jeu de l’actrice Laure Calamy en général. Si j’aime la revoir ici, j’aimerais bien qu’elle sorte – un peu- de sa « panoplie » de femme névrosée.

Lors de la séance de John Wick Parabellum, j’avais arrêté de compter à partir de la 8ème scène de combat. En découvrant Sibyl, j’ai assez vite renoncé à savoir ce qui faisait partie des mensonges ou des fantasmes de Sibyl. Le film peut faire penser à l’univers de Catherine Breillat comme à celui d’Atom Egoyan pour cette relation fusionnelle et passionnelle entre les protagonistes. Pour cette façon de nous manipuler en nous laissant croire que nous captons tout alors que nous captons hak ! (rien, le néant ). Ce film est peut-être un regard critique sur le milieu du cinéma et du spectacle au sens large. Je n’ai peut-être pas suffisamment compris ce film pour en parler correctement. Mais j’ai compris que Sibyl est fatiguée de se mentir à elle-même et qu’elle répète souvent aux autres « Tu n’es pas seule » alors qu’elle est elle-même un comptoir de solitude. Cela me rappelle cette chanson de Björk : Army of Me. Il m’avait fallu plusieurs écoutes fois avant de finir par comprendre que Björk s’adressait sûrement à elle-même. Que ce soit lors de ce tournage où Sibyl se rend malgré l’interdit (ou le tabou) déontologique rappelé par le Dr Katz ( tous ses garde-fous sont des hommes dans le film ) :

« Ton rôle à toi, c’est de rester du côté du fantasme ».

Que ce soit lors de ses ébats supposés ou réels avec Gabriel, Sibyl lève une armée contre elle-même. Peut-être qu’il lui faut ça pour enfoncer la forteresse qu’elle a érigée entre sa vie et ce qu’elle est véritablement. Finalement, elle a peut-être plus de points communs qu’il n’y paraît avec John Wick. Sibyl sera peut-être dans le 4ème volet de John Wick. Virginie Efira en est capable.

 

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 31 Mai 2019.

 

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Echos Statiques

Paranoïa Sociale

 

 

Paranoïa sociale 

 

 

Hier, en allant à la médiathèque rendre des prêts en retard (une de mes routines), je me suis imaginé que, dans la vie sociale, j’étais et suis une personne plus sincère, plus honnête et plus franche que la « normale ».

J’ignore encore ce qui m’a pris. Mais, je me suis avisé qu’il fallait, dans les faits, assez peu se dévoiler ou, tout au moins, modérément donner de sa gentillesse et de sa disponibilité et prendre le temps, en restant poli, d’observer. Et d’évaluer si ces personnes dont nous faisons la rencontre, que nous trouvons en prime abord si « cool », si « sympas »  et si « mignonnes »,  valent ou valaient la peine qu’on leur donne davantage de soi :

De notre gentillesse, de notre spontanéité, de notre sincérité, de notre intérêt, de notre altérité etc….

La « norme » sociale, au premier abord, est assez souvent de s’accoster les uns, les autres, avec de grands sourires et propos ouverts et accueillants. Mais derrière la forme, le plus souvent, celles et ceux que nous rencontrons se font une idée de nous, vraie ou fausse. Nous faisons tous ça : nous projetons sur l’autre quelque chose. De bien ou de mal. Puis, au travers de certaines situations ( la façon de tenir un verre, cette façon particulière que l’autre a de se déplacer pour se rendre aux toilettes ou de regarder, subitement, son portable)  nos impressions se trouvent confirmées ou contredites.

Cela va très vite.

Après le temps des sourires et de l’accueil, le temps du jugement social- et de la guillotine- arrive très vite. Plus vite qu’on ne le pense. Plus vite, en tout cas, que, moi, je le pense. J’ai oublié d’écrire que je m’imagine, aussi, en matière de relations sociales, être une personne naïve ou très naïve. Ou, en tout cas,  je m’imagine que je peux l’être.

Parce-que, foncièrement, celles et ceux que nous rencontrons pour les premières fois, lorsqu’ils viennent vers nous avec sourires et « bonnes » intentions affichées ( pour celles et ceux qui viennent à nous car d’autres, pour des raisons assez mystérieuses, restent à l’écart et très discrets) sont souvent en pleine prospection afin d’essayer d’obtenir de nous un éventuel bénéfice, intérêt, y compris commun. Je le fais aussi mais, j’ai l’impression, que plus que d’autres, bien plus que d’autres, je vais vers les autres avec une plus sincère sympathie là ou d’autres sont, finalement, et foncièrement, avant tout intéressés. Un peu comme si dès le début d’une rencontre, on se mettait à avoir rapidement des relations sexuelles avec une personne parce-que l’on se sent bien avec elle et qu’on la trouve sympathique. Alors que cette personne, elle, a uniquement vu en nous un « bon » coup ou un coup à tirer. Ou attendait simplement de nous qu’on lui offre un café, une cigarette. Ou une vingtaine de centimes.

 

Avec certains parents rencontrés à l’école où ma fille est scolarisée, j’ai un peu l’impression de m’être fait un peu « tirer » socialement. Et puis, une fois le temps de « l’inspection » sociale terminé, j’ai été évalué comme bon à jeter, bon à écarter, bon à négliger. Avec les formes bien-sûr. Car, lorsque l’on me croise, c’est sourire et bonjour.

Officiellement : il n’y’a pas de conflit ou de désaccord. C’est la norme sociale. Et je me la prends – à nouveau- en pleine figure au travers de ces quelques relations avec quelques parents que je croise depuis que ma fille est à l’école maternelle.  Peu m’importe que mes relations soient cordiales avec la majorité des parents que je salue. Je m’attarde ici sur deux ou trois parents vis-à-vis desquels j’ai maintenant quelques réserves.

Mais ces attitudes se retrouvent partout.

Hier, je me suis avisé qu’il fallait en fait, savoir laisser les autres projeter sur nous. Et moins se dévoiler : pourquoi se montrer tel qu’en soi-même, si, en face certaines personnes avancent masquées ou se voilent la face sur elles-mêmes. Chez les parents d’une ancienne copine d’école de ma fille, nous avons été invités une fois. Il y’a bientôt deux ans maintenant. Et, je me rappelle que chez eux figurait – et figure toujours sans doute- une sorte d’inscription ou de maxime, accrochée sur le mur où était prônée la tolérance et des valeurs proches. J’imagine bien que ces parents – comme la plupart d’entre nous- sont sincèrement convaincus des bienfaits de ces valeurs. Tout en les appliquant à leur sauce comme on peut interpréter à sa sauce une religion, un film, une vérité, une chanson, un regard, tout en refusant que l’autre nous apporte la contradiction, sa contradiction.

Je suis donc, je crois, socialement, une personne souvent trop naïve, honnête, sincère et trop franche. Il est déjà arrivé, lors de mes discussions avec ma compagne, que celle-ci me le fasse comprendre en quelque sorte et me donne des cours de réalisme. Lorsque je lui parlais par exemple de mes désillusions sociales et relationnelles dans le milieu du cinéma en tant que journaliste ou comédien, où j’ai, à ce jour, dans le meilleur des cas, rencontré bien plus d’experts et d’expertes en séduction sociale que d’amis véritables.

Lorsque j’écris qu’il faut laisser les autres « projeter » sur soi, c’est évidemment en faisant en sorte que ce qu’ils projettent soit à notre avantage. Si pour les besoins d’un film, un réalisateur veut voir en moi un boucher et que, pour cela, il est prêt à me payer 1500 euros par jour, ça me va. Par contre, si pour jouer la doublure d’un homme grenouille, je dois entrer dans une eau glacée et y rester pendant des heures pour le plaisir de participer au travail de fin d’études d’un étudiant en cinéma, je crois plus sensé de refuser cette proposition.

Il convient donc de faire attention à son image.

Il est vrai que, dans ce domaine, je suis et reste plutôt « nature » là où bien d’autres (femmes comme hommes) sont des experts en maquillage et en enrobage social. Et, la vie quotidienne nous apprend que souvent voire assez souvent, celles et ceux qui savent se montrer à leur avantage à coups de maquillage et de matraquage social, ou de sourires adressés au bon endroit, vers les regards porteurs d’avenir,  réussissent souvent mieux, et plus vite, que celles et ceux, qui, comme moi, se montrent plus « fous » et moins regardants sur l’enrobage et la présentation. Le feu de la folie dévore le décor et le protocole social. Lorsque l’on est  » fou », en cas de « réussite », on devient un modèle ou une crainte. Dans une situation intermédiaire, on inspire scepticisme, suspicion ou rejet quelles que soient nos réelles qualifications et intentions.

Dit autrement : les parents de cette ancienne copine d’école de ma fille- et d’autres- peuvent bien m’évaluer à mon désavantage autant qu’ils le veulent ou s’estiment autorisés à le faire. Je sais, Moi, que j’ai autant de valeur humaine qu’eux. Et, je crois, aussi, que contrairement à eux et d’autres, je suis plus respectueux des autres : Je me sens plus l’égal de celles et ceux que je croise que leur supérieur. Mais la vie sociale est ainsi faite qu’à moins d’une catastrophe ou d’un événement exceptionnel où l’on se retrouve obligé de faire « corps » et alliance avec des personnes que l’on désapprouve ou déprécie, généralement, chacun peut rester confortablement domicilié dans ses préjugés sur une personne ou un groupe de personnes.

Mais savoir ce que je sais de moi, ce que je vaux, et sur moi, si je suis le seul à le savoir, est insuffisant pour réussir sa vie sociale.

Savoir que nous avons invité la mère de cette ancienne copine d’école de ma fille il y’a quelques mois, et que cela s’était pourtant- apparemment- bien passé avec elle et les autres parents présents, est insuffisant pour comprendre ce qui fait que, prochainement, nous ne serons pas invités, contrairement aux  parents de la très bonne copine de ma fille, chez cette dame. Je n’ai pas l’intention de séquestrer cette maman et son mari ni de les interroger comme peut l’être le personnage de Malotru dans Le Bureau des Légendes alors que lors d’un des premiers épisodes de la série, il passe au détecteur de mensonges. Si je m’étends autant sur le sujet, c’est parce qu’en repensant à ma fille avant hier dans l’aire de jeux où elle a joué plus d’une heure avec une de ses copines, j’ai revu ce que je vois assez souvent lorsqu’elle joue avec des autres enfants :

C’est elle qui est demandeuse. C’est assez souvent, elle dans la rue, qui reconnaît d’autres enfants et les appelle. Hier soir, à la maison, j’ai entendu notre fille expliquer à ma compagne, sa mère, son problème avec sa très bonne copine :

Sa très bonne copine commande le déroulement de leurs jeux. Et notre fille essaie de s’y opposer.

Mais, à entendre notre fille, sa très bonne copine a le leadership et, s’opposer à elle, c’est prendre le risque d’être isolée du groupe. Hier soir, je me suis contenté d’écouter car j’étais alors dans une autre pièce, sans doute en train de faire mes étirements avant de partir au travail.

J’ai écouté ma compagne conseiller à notre fille de dire à sa copine que c’était à chacune son tour de décider. J’ai écouté ma compagne dire à notre fille que si sa copine persistait à vouloir diriger (ce que notre fille a expliqué à sa maman/ ma compagne), hé bien, que dans ce cas, il suffisait en quelque sorte de ne plus jouer avec elle ! Et ma compagne d’assurer à notre fille que sa copine et le reste du groupe viendraient sûrement la chercher pour jouer avec eux. Il m’a semblé, aux réactions de notre fille, qu’elle était assez peu persuadée par les conseils de sa maman. En tout cas, c’est peut-être moi qui projette finalement. Car, moi, j’étais peu convaincu par les conseils de ma compagne même si je me suis abstenu d’intervenir.

Je souhaite évidemment à notre fille d’apprendre à éviter ces écueils sociaux et affectifs :

Que ce soit une certaine dépendance sociale et affective aux autres. Ainsi que ces « Je ne sais pas » quant aux raisons qui font qu’une relation avec un proche, une proche, ou une connaissance, se distend. Comme nous, ou comme moi ( car je crois que le problème doit provenir de moi) avec les parents de cette ancienne copine d’école de notre fille.

Je souhaite résolument à notre fille de savoir voir comme, dans la vie sociale, celles et ceux qui nous font les plus beaux et les plus rapides sourires- sans que ce soit forcément de l’hypocrisie ou le repaire d’une perversion comme d’une mauvaise intention- doivent être décodés. Se doivent d’être décodés. Car celles et ceux qui font les plus beaux et les plus rapides sourires feront rarement l’effort de se décoder d’eux-mêmes :

Premièrement parce qu’ils n’ont aucun intérêt à se dévoiler comme à dévoiler leurs réelles intentions. Tout être a ses défauts et sa perception propre.  Et peut percevoir – à tort ou à raison- comme un handicap le fait de se montrer tel qu’il est véritablement.

Deuxièmement, parce-que celles et ceux que nous rencontrons ont une connaissance et une perception d’eux-mêmes, comme du retentissement de leurs actions sur les autres, assez limités :

Des personnes peuvent nous faire plus ou moins de mal sans, toujours, le prévoir, le souhaiter ou s’en apercevoir.

Et, bien-sûr, il faut aussi apprendre à se préserver de celles et ceux qui nous font du mal ou peuvent chercher à nous nuire délibérément.

Je souhaite à notre fille d’apprendre à se connaître, comme à connaître les autres suffisamment, ainsi que le monde bien-sûr, pour s’épargner le plus de déboires possibles sociaux et affectifs, en priorité, dans sa vie. Et, bien-sûrj’espère que sa mère et moi ainsi que d’autres personnes de confiance, adultes ou non, sauront l’aider à faire ce genre d’apprentissage.

Sinon, « autre » sujet, je continue d’avoir beaucoup de plaisir à lire le livre Inside Apple d’Adam Lashinsky . Un livre sur lequel je suis tombé par hasard à la médiathèque près de chez nous.

Le numérique, l’informatique, internet sont de plus en plus un justaucorps, voire une seconde peau, pour de plus en plus de gens. Moi, je fais partie d’une époque préhistorique. D’une époque où tout cet attirail numérique, ainsi que cette économie, cette toxicomanie et cette méthode « d’achievement » ou de réussite social(e) était embryonnaire, inexistante ou réservée à quelques uns qui passaient peut-être pour déments, déviants…ou visionnaires.

Lire ce livre, qui plus est au travers de l’entreprise Apple qui est un des symboles de cette réussite économique, technologique et culturelle, me permet de mieux comprendre ce « nouveau » monde qui s’est érigé et qui s’est implanté dans nos vies et les a transformées ces vingt à trente dernières années et qui va continuer de les transformer pour le pire et le meilleur.

Ma fille, et d’autres plus âgés, sont nés avec ce monde. Dans ce monde. Aussi, pour eux, ce monde est une norme. Aussi normal que reprendre son souffle après avoir expiré. Aussi normal que prendre une douche après avoir transpiré. Aussi normal que de s’habiller avant de sortir pour un rendez-vous. Moi, je suis entre deux. J’ai déjà pu dire que j’étais « un analphabète informatique ». Mais j’ai des capacités- une « marge de progression » comme on dit- pour me faire à ce monde numérique. Et tenir ce blog, indirectement, m’y aide et m’y contraint. Ne serait-ce que pour réussir à faire de ce blog, balistiqueduquotidien.com, une entreprise « successful » ou suffisamment gratifiante en nombre de lecteurs, voire, pour peut-être envisager une certaine reconversion, partielle ou totale. Ce qui pourrait être judicieux étant donné que l’âge du départ à la retraite ressemble de plus en plus à une fiction de film d’épouvante.

Mais aussi parce-que l’on nous injecte de plus en plus l’injonction selon laquelle, nous nous devons d’être mobiles, « proactifs », et d’avoir plusieurs vies professionnelles, voire émotionnelles, dans notre monde actuel et à venir. L ‘exigence de devoir se conformer de plus en plus à ce « parfait » modèle de vie se fait et se fera sûrement aussi grâce au soutien galopant de produits dopants anciens, actuels, d’autres pas encore inventés ni brevetés, que des industries sauront commercialiser et rentabiliser pour le bien-être financier de quelques actionnaires et investisseurs. Et ces actionnaires et investisseurs pourront tout aussi bien être des pères ou des mères ayant les mêmes préoccupations que moi pour ma fille ou des artistes dont j’aime ou écoute les œuvres musicales, littéraires ou cinématographiques.

 

D’un autre côté, sûrement parce-que je suis vieux jeu, chronique, dépassé, psychorigide, ma mémoire du monde ancien, mon attachement à lui comme à certaines de ses valeurs, et mes réserves vis-à-vis de certaines évolutions actuelles et futures du monde de notre quotidien, me commandent d’éviter de m’y plonger totalement :

 

Un monde où notre téléphone portable est activé et ouvert en permanence, nous plongeant dans une apnée profonde nous captivant 24 heures sur 24. Ce n’est plus le monde du silence. Mais le monde des écrans, des casques et des oreillettes. Un monde où un écran, une console de jeux, des spots publicitaires constitueraient le plus gros de ces moments que nous vivons. Et où l’on s’adresserait aux autres avec des slogans publicitaires ou avec des phrases toutes faites et autres éléments de langage que l’on recevrait, après s’être abonné, chez soi dans notre boite à lettres – pour les plus archaïques ou les férus du vintage- par mail ou par sms transgénique.

Il y’a deux nuits, alors que j’étais en pleine paranoïa sans doute,  je me suis mis à surfer sur internet pendant plus de deux heures. Si bien que lorsque j’ai rejoint ma compagne dans notre chambre, un peu avant minuit, elle s’était endormie. Du moins, est-ce ce qu’elle s’est employée à me laisser croire, allongée dans l’obscurité de notre lit. Ce qui fait qu’à son retour du travail vers 21h, j’avais peu discuté avec elle comme elle me l’a fait remarquer avec diplomatie le lendemain matin. Alors qu’elle m’avait « attendu » jusqu’à 22h. Comme excuse, je ne peux même pas écrire que je matais des photos érotiques sur le net ou que je draguais sur un site de rencontres :

Je regardais avec attention- plus qu’avec déférence- des biographies d’actrices, d’acteurs, de joueuses et de joueurs de tennis. Plus de deux heures durant, dans mon fors intérieur ferroviaire comme sur la terre battue de mes pensées, des soupçons  en suspension me crachaient à la tête des évidences : Ces « Personnalités » étaient peut-être entrées en possession de vies qui, à l’origine, auraient dû m’appartenir. Et j’essayais sans doute de savoir à quel moment, profitant de ma coupable inattention comme de ma pitoyable passivité, elles s’en étaient emparées. Désormais, il était trop tard pour les rattraper. Ces créatures débordaient de vie par elles-mêmes. Prenons Jeff Nichols, davantage réalisateur que joueur de tennis, et son film Take Shelter, inspiré de ses inquiétudes pour son enfant, ou un de ses autres films, Mud. Les héros masculins de ces deux films, tour à tour l’acteur Michael Shannon et l’acteur Matthew McConaughey, au départ mal perçus par la communauté, et isolés dans un monde rural ou sur une île, finissaient par s’en tenir à cette consigne de Miles Don’t Lose your Mind alors qu’ils exécutaient cette sentence :

 » Si l’on attend toujours, de façon obéissante et caressante, d’obtenir une permission pour partir faire son solo, son numéro, seuls les désastres viendront à notre secours ».

A la fin de ces plus de deux heures d’errance, j’avais fini par m’extraire de l’écran, double et créance de nos vies. C’est ce monde-là, fait de la suprématie des écrans ajoutée à une certaine fausseté- ancienne et relative- des relations sociales qui se développe. Ou un simple clic et quelques liens suffisent pour avoir un avis tranché sur un sujet et ses hématies.  Soit un monde propice à la croissance des extrémismes  : affectifs, religieux, politiques, militaires, sectaires, écologiques, économiques, artistiques, culturels. Un monde où il reste possible et où il restera possible d’avoir de « véritables » relations humaines et une vie qui en vaut la peine. On peut très bien être calé en informatique et dans toutes ces nouvelles technologies- et autres applications- qui se démultiplient vers l’infini et être dans la « vraie vie ».  Mais encore faudra-t’il- encore- savoir à quoi cela ressemble d’avoir une « vraie vie », et de « véritables relations » sincères, spontanées, franches, honnêtes, naïves.

Encore faudra-il être qualifié et suffisamment compétent( e) afin d’être à même de connaître comme de « juger » de leur importance et de leur- vitale- nécessité. C’est un peu ce que ma paranoïa me racontait alors que je suis parti pour la médiathèque. Le reste de ce qu’elle m’a dit et apporté, je vais bien sûr le garder pour moi. Car on ne sait jamais. Celles et ceux qui auront lu cet article pourraient avoir très peur de moi. Finalement.

Franck Unimon, ce jeudi 20 juin 2019.

 

Ps : Non, je ne suis pas déprimé. Sourire.

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Cinéma

Conséquences

Andrej ( l’acteur Matej Zemljic) au centre, allongé sur son lit.

 

 

 

                                         Conséquences un film de Darko Stante

 

 

Andrej (l’acteur Matej Zemljic) grand et beau jeune homme est fait d’une coque gangsta. Adepte des codes du Rap américain, même si l’histoire se passe en Slovénie , il a la côte auprès des très belles filles qu’il parvient à serrer dans ces soirées pour gosses de riches où il parvient à s’insérer. Sauf que ça dérape. Et l’on retrouve Andrej au tribunal pour mineurs où il a été convoqué avec ses parents.

Au tribunal et devant le regard et l’écran social, l’enveloppe du bel Andrej est ouverte et son identité judiciaire est déballée devant nous. Sa mère raconte qu’Andrej se montre assidu à des soirées en compagnie de jeunes dont il n’a pas les moyens : Andrej priserait une vie de champagne alors qu’il a à peine les moyens de s’offrir une limonade.

A côté de la mère, drone parental le plus fort, le père d’Andrej est un homme déprimé, courbé, qui a depuis longtemps perdu ses derniers combats. Et qui cherchera quelques fois la semonce d’un second souffle en essayant de faire acte de diplomatie entre Andrej et sa mère plutôt que de se confronter à l’un ou à l’autre.

Au tribunal, Andrej « rigole ». Pour lui, tous ses problèmes viennent de sa mère. Nous ne saurons rien du passé d’Andrej et de ses parents. Si le premier long-métrage de Darko Stante nous parle des conséquences de leurs actes, et, en tout premier lieu, de ceux d’Andrej qui se dresse en tant qu’adulte lors de ce film, il éclipse malheureusement comme dans beaucoup d’autres projets cinématographiques, ce qui précède le quotidien de tous ces « héros » que l’on regarde défiler sur nos écrans comme devant nos vies. Dans un film plutôt extrême tel que We Need to Talk about Kevin réalisé par Lynne Ramsay en 2011, on peut ainsi se rappeler cette scène où, déboutée par les pleurs insistants du petit Kévin encore bébé, la mère vient se planter avec celui-ci près d’un chantier où des marteaux-piqueurs en activité viennent la « délivrer » des cris. Cette scène, parmi d’autres, permettra ensuite à la réalisatrice d’expliquer voire de justifier l’évolution de Kévin. Dans Conséquences, où le personnage d’Andrej est bien plus sympathique que le personnage de Kévin, nous sommes privés de cette « trace » historique. Ce qui signifie peut-être pour le réalisateur, que, quelles que soient nos origines familiales et affectives, à l’âge adulte, nous nous devons de faire face à ce que nous sommes et nous accepter comme nous sommes.

Parmi les spectatrices et les spectateurs que nous sommes, il s’en trouvera certainement plusieurs pour lesquels (femmes et hommes) les causes des dérives d’Andrej sont rapidement évidentes. Pourtant, Andrej ressemble à beaucoup d’autres jeunes. Dans un film tel que les X-Men dont la dernière saga (Dark Phoenix ) est actuellement en salles, un professeur Xavier déboulerait pour venir accoster le jeune Andrej pour peu que celui-ci ait des pouvoirs de mutant. Une psychologue comme Sibyl (l’actrice Virginie Efira dans le dernier film de Justine Triet) l’emmènerait peut-être en voyage sur un lieu de tournage ou le suivrait tel un Basquiat dans ses virées nocturnes.

Mais Andrej n’a pas de pouvoir particulier y compris dans le domaine artistique. Tout au plus a-t’il un beau physique qui pourrait peut-être lui permettre de développer une carrière dans le cinéma ou dans le mannequinat. Et cela est visiblement éloigné de son idéal. Sibyl, elle, est trop occupée à essayer de sortir de la boite de son alcoolisme comme à recoudre son couple et sa famille pour s’occuper d’Andrej. Même si les priorités de celui-ci, se faire accepter par celles et ceux qu’il se choisit comme modèles, se faire aimer, leur sont communes. Surtout, que, comme Sibyl, Andrej ne recule devant-presque- rien pour se faire accepter et aimer.

 

Andrej, entre son père et sa mère, à son arrivée au centre de "détention".
Andrej, entre son père et sa mère, à son arrivée au centre de « détention » pour mineurs.

 

 

Le « centre de détention » pour mineurs où Andrej atterrit (faute d’avoir pu obtenir une place dans l’école privée et très sélect pour mutants du professeur Charles Xavier ou un rendez-vous en consultation avec Sibyl) peut avoir des ambitions que l’on peut juger au choix ridicules ( pauvres éducateurs constamment ridiculisés dans le film !) ou hypocrites. Mais au moins ce centre de détention, qui est aussi un lieu d’accueil et de tentative d’apprentissage et d’éducation sociale, existe-t’il. Ce qui reste un peu mieux que d’être accueilli par la rue, la prostitution, la mafia, un combo terroriste ou sectaire. Même s’il est vrai que ce centre « de détention » est peu glamour dans ce qu’il propose : au champagne, alcools, stupéfiants, bonne musique et bonne ambiance succède ici une manufacture miniature assez paumée où le projet principal consiste plutôt à essayer de transformer les jeunes qui y passent en OS sous-qualifiés pour l’usine bien plus qu’en de brillants ingénieurs qui pourront ensuite aspirer être embauchés chez Apple afin de contribuer à faire évoluer ses systèmes d’exploitation et ses divers produits.

 

Andrej, au centre, Zeljko à gauche.

 

Pourquoi ai-je autant de mal à parler de la préférence sexuelle d’Andrej qui semble être le rouage principal de ses problèmes dans ce film ? Je crois que c’est parce-que l’Amour, selon Andrej, c’est se choisir un être ou un implant auquel se soumettre et pour lequel on est prêt à passer à tabac des innocents et des plus faibles qui ont pour principal « défaut » d’être les victimes choisies par l’être « vénéré ». L’être « vénéré » par Andrej dans Conséquences, c’est Zeljko (l’acteur Timon Sturbej). Un jeune homme particulièrement « vénère ». Zeljko, sorte de dandy-maquereau d’origine sociale et culturelle modeste, où pieuvre passée Maitre es- perversion, jouit à la fois par toutes ses pores de la souffrance qu’il peut – faire- infliger à son entourage comme de toutes les opportunités qui passent à sa portée. On peut vraiment dire de Zeljko qu’il n’a pas de limites ou qu’il les repousse comme il respire.

 

Le « hautement » sympathique Zeljko ( l’acteur Timon Sturbej)

 

 

 

A les regarder, Andrej et ses nouveaux « copains » sont des bébés obsédés par la recherche de l’intensité du présent. Mais ce sont des grands bébés (psychopathes) d’autant plus intimidants qu’ils sont terrifiés par le monde et le futur. Ils restent donc entre eux. Leurs « fêtes » ressemblent à des grossières décalcomanies de ce qu’ils considèrent être une belle vie : elles nécessitent souvent des victimes sacrifiées qu’ils ont agressées et pigeonnées. Soit un certain aperçu négatif de ce qui se pratique légalement et couramment- socialement et économiquement- à un plus haut niveau et à une plus grande échelle dans nos pays démocratiques, modernes et civilisés où l’enrichissement, le confort et les privilèges d’une certaine élite politique, industrielle, financière, économique, culturelle, militaire et autre se perpétuent et s’accentuent aussi au détriment de bien d’autres personnes plus ou moins consentantes. Plus ou moins pigeonnées. Plus ou moins agressées, plus ou moins informées, plus ou moins concernées. Et plus ou moins sacrifiées.

 

Une Sibyl sobre et en forme expliquerait peut-être qu’Andrej frappe d’autres personnes comme il frappe à des portes dans l’espoir que quelqu’un l’accepte et le fasse entrer dans une demeure familiale et chaleureuse. A la maison, qu’il fuit d’abord pour des soirées dans d’autres maisons, dominé par sa mère qui domine et éjecte/exècre son père en tant que puissance virile, Andrej supprime son impulsivité qui le pousserait à frapper sa mère. Car il la tuerait sans aucun doute : celle-ci, physiquement, ne ferait pas le poids. Mais, à la maison, c’est elle qui fait et détient la loi. Affronter son père est impossible car celui-ci est déja rompu : un affrontement est possible avec un adversaire de connivence ou de taille à répondre à la violence qu’on lui envoie. Le centre de « détention » où Andrej est envoyé est un peu une « consécration » et une déresponsibilisation pour sa mère. Elle s’y montre d’autant plus à son avantage, plutôt respectable et souriante. Le père, lui, continue de porter son visage et son alliance d’homme raté et humilié. De par ses frasques, Andrej est pointé du doigt. Mais c’est à l’intérieur de la famille qu’il faudrait se rendre afin de faire sortir les transes du mal-être d’Andrej dont l’homosexualité est une explication parmi d’autres. Le personnage de Zeljko, de par sa force masculine dominante, semble peut-être reconstituer l’image fracassée et dévalorisée du père d’Andrej. Or, bien des Amours semblent les meilleurs sommets à même de pouvoir compenser certaines de nos pertes.

 

 

C’est au moins pour cela que, même si les éducateurs- et la juge- dans le film sont déployés à leur désavantage, Conséquences est une œuvre réaliste. L’expérience personnelle et professionnelle du réalisateur en tant qu’éducateur ( Darko Stante est « actuellement tuteur dans un centre de réhabilitation de jeunes en difficulté » ) se retrouve ainsi dans son film dont on aimerait connaître la suite.

Selon notre optimisme ou notre pessimisme, on peut imaginer cette suite en repensant à quelques films déjà réalisés que l’on évoque des personnages qui font ensuite carrière dans certains groupes néonazis ( tels Un Français de Diastème) terroristes ( La Désintégration de Philippe Faucon) sectaires ( The Master de Paul Thomas Anderson). Des films où le trouble identitaire – et la difficulté où l’impossibilité à « se réussir » en tant que personne- conduisent les « héros » à aboutir à la consommation de stupéfiants, au meurtre, aux excès de violence, à la délinquance ou à la manipulation (Le Talentueux Mr Ripley d’Anthony Minghella).

Conséquences est annoncé en salles tantôt le 19 juin 2019 tantôt le 26 juin 2019. C’est-à-dire : bientôt.

Franck Unimon, ce mardi 18 juin 2019.

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Cinéma

Dark Phoenix

 

 

Dark Phoenix, le « dernier » X-Men à ce jour a été réalisé par Simon Kinberg. Sorti en salles la semaine dernière, Dark Phoenix bénéficie d’une bonne critique dans le Télérama numéro 3621 du 8 au 14 juin 2019. C’est dire ! Quelle surprise !

Abonné à Télérama depuis des années, je puis témoigner que cet hebdomadaire aime peu ce genre de grosse production qui est un peu l’équivalent de la pâtée pour chiens pour tout média qui se veut respectueux du 7ème art et éduqué à le goûter comme à le prononcer. Mais il faut rappeler, aussi, que Télérama avait beaucoup aimé le Valerian réalisé par Luc Besson. Lequel Valerian m’avait beaucoup fait penser – aussi- à une campagne de « name dropping » en matière de célébrités invitées, cachetées et plus ou moins cachées. Peut-être par amitié ainsi que pour répondre à cette nécessité de placement de produits plus ou moins consentis car réaliser un film peut coûter très cher. Economiquement et personnellement. Comme pour un mariage, lorsque l’on réalise un film, il faut savoir qui inviter et qui l’on peut se permettre de négliger, pour la suite de sa carrière professionnelle et personnelle. Les femmes et les hommes politiques officiels et officieux savent très bien faire ça qu’ils évoluent à l’échelon international, municipal ou libidinal : c’est dans les couloirs et dans ces zones où s’évaporent les regards et les consciences que l’on dévore le mieux sa proie. Après ça, on a tout le temps de se refaire une beauté et de prendre un certain public pour un champ de pommes grâce à une superbe com’.

« Come » qui, en Anglais, signifie aussi « jouir ». « Come again ! » disent parfois certains chanteurs à leurs choristes ou à leurs musiciens. Et, je vais continuer de dégainer.

On peut aimer le cinéma d’auteur et aimer les films de super-héros. On peut aimer lire Télérama et des journaux à première vue moins prestigieux. On peut aussi également aimer certaines séries telles que Game of Thrones dont la dernière saison s’est terminée il y’a quelques semaines. Et, cela, quels que soient les défauts ajoutés des uns et des autres. Quand il y’en a bien-sûr. On peut aimer le cinéma d’Alejandro Gonzalez Innaritu qui a présidé le dernier festival de Cannes, l’avoir interviewé il y’a plusieurs années pour son film Biutiful, connaître son point de vue- et l’approuver- sur tous ces films de super héros qu’il a aussi critiqué dans son très bon – et oscarisé- Birdman . Et le « trahir ».  En se rendant en salle avec plaisir afin d’aller voir le « dernier » X-Men.

Dans Dark Phoenix, le personnage de Phénix/ Jean Grey est joué par l’actrice Sophie Turner. Jouera-t’elle un jour dans un des films d’Innaritu ?

L’actrice Sophie Turner a été « révélée » par la série Game of Thrones. Game of Thrones est cette super série qui a obtenu un certain nombre de prix et qui a sans doute battu un record historique pour sa capacité à assurer une seconde vie à la carrière de plusieurs de ses actrices et acteurs. Game of Thrones est cette série dont l’issue a tellement déçu un certain nombre de ses fans qu’il circulerait sur le net  la pétition de plus d’un million d’entre eux exigeant une autre fin. Cela pour dire à quel point cette série a touché la vie de beaucoup de personnes dans le monde. Et aussi comme le fait d’en avoir fait partie en tant qu’actrice et acteur est un « plus ».

Rappelons que la très bonne carrière d’une actrice et d’un acteur peut varier du simple au double selon les bons projets auxquels elle/il aura eu la possibilité de participer. Si la qualité de jeu et le travail entrent en compte, le facteur chance, son environnement relationnel et la médiatisation d’une actrice et d’un acteur, sa « rentabilité » ou son côte « bankable » voire sa réputation, comptent tout autant voire davantage : « C’est qui cette actrice ? Je connais pas…. » est beaucoup moins vendeur que : « Ah, oui, c’est celle qui joue dans Game of Thrones… ». Aujourd’hui, en 2019, il faudrait être un professionnel du cinéma mutant ou mourant pour ignorer le nom de la série Game of Thrones.

L’attrait des films de « mutant » et de super-héros, repose beaucoup sur la quête identitaire. Qui suis-je ? A quoi suis-je destiné ? De quoi suis-je véritablement capable ? Comment être aimé et reconnu ? Des préoccupations qui nous concernent tous et qui creusent beaucoup, jusqu’à la souffrance, bien des adolescents et préadolescents. Mais aussi des adultes. D’où le succès de ces films comme de ces autres films qui abordent les mêmes thèmes. Sans doute apprendrons-nous un jour que certains jeunes jihadistes avant de « s’engager » avaient aussi beaucoup prisé des films, sagas et des séries tels que les X-Men, Harry Potter, Matrix , Le Seigneur des Anneaux , Divergente, Hunger Games, Game of Thrones…. Sauf que, eux, aucun professeur Xavier ne les a détectés ou n’a tenté de les sauver.

Pourquoi ?

On sait la raison pour laquelle , pour incarner Jean Grey/ Phénix, l’actrice Sophie Turner a été choisie : Pour effectuer une réplique de son rôle dans Game of Thrones . Mais avec plus de pouvoirs ou de puissance de feu. Quelle imagination !

La puissance de « Sansa Stark »( au fait,  » Stark », en Anglais, c’est proche du mot « Star »,  « étoile »)  dans Dark Phoenix et sa façon d’en digérer la greffe fait d’elle l’égale ou la supérieure d’un Hulk. Mais je parle ici du Hulk réalisé par Ang Lee ( 2003), selon moi plus conforme à « l’âme » du Comics pour sa ruisselante puissance plutôt qu’aux derniers Hulk pourtant drôlement bien troussés par Mark Ruffalo.

Dans le Hulk d’Ang Lee, je repense maintenant à cette scène où David Banner se trouve devant une porte. Derrière cette porte ou ce placard (vu qu’Ang Lee peut être vu comme un réalisateur du « coming out » depuis au moins son film Garçon d’Honneur réalisé en 1993 soit 12 ans avant son Le Secret de Brokeback Mountain ) se trouve la frayeur Hulk.

La mouvance féministe de Dark Phoenix a peut-être plu à Télérama. Et on pourrait sûrement dire que les tergiversations du personnage de Jean Grey/ Phénix sont une des facettes d’une (jeune) femme qui tente de s’émanciper (de la même façon que Sansa Stark dans dans Game of Thrones !) dans un monde de mâles post-Weinstein et contemporain de l’esprit Balance ton porc/ Me Too.

Mais, en matière de féminisme, on remerciera davantage- pour les subtilités de jeu- les rôles tenus par Jennifer Lawrence, qui, une fois de plus, en Raven/ Mystique bonifie ce qu’on lui donne et, encore plus peut-être, Jessica Chastain dans le rôle de Vuk :

Même moyennant un abonnement de cent mille ans à Télérama, je m’abstiendrais de partir en voyage de noces avec le personnage de Vuk proposé par Jessica Chastain. Et il n’y’a rien de sexiste dans le fait de préférer les prestations de Jessica Chastain et de Jennifer Lawrence à celle de Sophie Turner en ce sens qu’il semble très difficile de faire plus chaste et plus puritain que dans Dark Phoenix et les autres X-Men. Les principaux moments proches de la jouissance sont la propriété de Vuk ( Jessica Chastain, rousse dans le civil, couleur de cheveux plutôt mal perçue selon certaines croyances et époques), la force néfaste, ou « double » du lac des cygnes.

Du côté des « bons » et des gentils, c’est ceinture de chasteté et autres expédients. Pour cela, j’invite les spectateurs ou futurs spectateurs à se remémorer l’histoire d’amour de Raven/ Mystique avec Le Fauve. Ainsi que ce conformisme imperturbable- et déroutant pour une œuvre supposée tolérante et futuriste- dès que l’on parle des identités de genre et des préférences sexuelles. Il existe là un vide sémantique constant de film en film. Et ce vide reflète aussi l’impossibilité au moins pour les sagas X-Men à nous montrer ce qui pourrait exister au delà de certaines frontières, en particulier raciales et culturelles, en dépit des bonnes intentions affichées. Soit une saga rétrograde –  nombriliste et très pro-américaine- alors qu’elle se veut visionnaire.

Après m’être ainsi acharné sur l’actrice Sophie Turner et cet article de Télérama, passons à quelques autres singularités de Dark Phoenix qui marche très bien en salles depuis sa sortie en France et qui devance le film Parasite (Palme d’or à Cannes cette année) de Bong Joon-Ho, pour la première place en nombre d’entrées.

Dans Dark Phoenix, le père de Jean Grey/ Phénix en prend pour son prépuce de bout en bout. Lorsque notre vie a mal débuté, il faut bien- aussi- pouvoir s’en prendre à quelqu’un d’autre à un moment donné. Le père de Jean Grey/ Phénix « gagne » le jackpot. Il a tout contre lui, cet homme. On peut même se demander comment il fait pour éviter l’alcoolisme et le suicide. Va-t’il seulement sur Facebook ? Connait-il Game of Thrones ? Cet homme-là a vraiment tout raté. Pendant ce temps-là, le professeur Xavier, notre druide télépathe, continue de jouer les bons samaritains. C’est quelqu’un de bien, le professeur Xavier ! Même si son égo va quand même tâter du désert plutôt que du bourre-sein dans Dark Phoenix, il va s’en remettre. Le père de Jean Grey, lui, va en baver. Tout est fait pour. Quel suspense ! Quel scénario ! Il a perdu sa femme, mère de leur fille ? Oui, c’est très dur. Mais quand même, de là à… Il faut qu’il paie, hein ! Quelle enflure ! Quel lâche ! Ah, ces hommes, tous les mêmes ! Par contre, le professeur Xavier, lui, il est parfait. Indemne du drame vécu par le père et par Jean Grey, il débarque avec son fauteuil roulant, façon chasseur de têtes ou recruteur de talents qui vient faire ses courses et il sauve la mise au père et à Jean (prononcer : « Djin » comme l’esprit voire le saint esprit ou « Jean » comme le titre « Billie Jean » qui va dans les aigus).

Parce que Jean a des pouvoirs particuliers. Et pas uniquement capillaires. Sans ses pouvoirs, Jean Grey finirait sûrement dans un orphelinat ou dans une maison d’accueil mais, ça, c’est chercher la super nova dans le yaourt. Parce-que tout le monde sait que tout le monde a des super pouvoirs et que les super pouvoirs des X-Men sont bien-sûr une métaphore de nos propres pouvoirs que nous méconnaissons.

Et puis, il va absolument falloir faire quelque chose pour tous ces mutants aux super pouvoirs dont l’intelligence stratégique en plein combat est privée de l’ADSL. Il faut tout leur dire ! Quelle faible capacité d’analyse. Tornade, autre figure féministe affichée, je me demande comment, en maitrisant à ce point les éléments, elle peut continuer de se faire bousculer par des vilains de division d’honneur.  ça « sent » la femme battue.

Ce serait peut-être aussi bien d’apprendre à nos « Maitres » du monde américains, que la France, en 2019, c’est un (petit) peu plus que des DS, des Deux Chevaux et la Tour Eiffel. Et que si au monopoly, la Rue de la paix fait partie des rues les plus chères à acheter, dans la vraie vie, ce sont aussi des gens plutôt aisés et privilégiés qui y habitent.

Franck Unimon, ce vendredi 14 juin 2019.