Catégories
Corona Circus Musique self-défense/ Arts Martiaux

Say Hello, Wave Good Bye

 

 

 

Say hello, wave good bye

Cette chanson du groupe Soft Cell, sortie en 1981, m’a toujours beaucoup touchĂ©e. Bien qu’elle soit moins connue que son tube : Tainted Love.

 

 

A nouveau, je viens d’essayer de chanter sur Say Hello, Wave Goodbye en mĂȘme temps que son interprĂšte, Marc Almond. J’ai probablement chantĂ© faux.

Mais, cette fois, pour la premiĂšre fois, je suis restĂ© dans « ma Â» voix. Enfin, je crois m’ĂȘtre au mieux rapprochĂ© de ce qui est ma voix. Car, Ă  chaque fois, auparavant, je me faisais aspirer par celle de Marc Almond fuselĂ©e pour passer des graves aux aigus. Evidemment, je finissais, Ă  chaque fois, par «m’asphyxier Â» et racler mes limites vocales. Cela devait ĂȘtre plus que moche Ă  voir et Ă  Ă©couter. Fort heureusement, pour l’instant, je n’ai jamais cru en ma carriĂšre de vocaliste. MĂȘme si chanter m’attire depuis des annĂ©es. Au mĂȘme titre que faire de la musique.

 

Chanter, jouer de la musique, Ă©crire, ce sont des activitĂ©s d’abord humaines, qui, si elles ne permettent pas de devenir « riches Â» et « cĂ©lĂšbres Â» matĂ©riellement, autorisent Ă  ĂȘtre soi-mĂȘme. Seul ou avec d’autres. Et Ă  vivre, autrement, seul ou avec  d’autres, connus, ou inconnus, ce temps qui passe, qui nous occupe ou nous accule. Dans une certaine sincĂ©ritĂ©.

 

Il existe plein d’activitĂ©s humaines. Certaines plus nĂ©cessaires que d’autres. Certaines plus volontaires. Et, d’autres, plus interdites. Que ces activitĂ©s soient bĂ©nĂ©fiques ou nĂ©fastes, toutes ces activitĂ©s ont lieu. Nous les faisons. Nous y assistons. Nous en entendons parler. Puis, nous en parlons, en rĂȘvons, tentons de faire pareil. Ou, au contraire, nous nous taisons et nous Ă©loignons. Parfois pour des « bonnes Â» raisons. D’autres fois, non. Car quelle bonne raison pourrait-il y avoir, si l’on en a envie, de s’interdire de prendre le temps de chanter ou d’apprendre Ă  chanter ? A Ă©crire ? A jouer de la musique ? Si cela nous plait. Si cela nous ouvre Ă  nous-mĂȘmes mais aussi Ă  certaines Ă©motions.

 

Ce titre, Say Hello, Wave Good Bye raconte une histoire triste. La musique est fort peu dansante. PlutĂŽt nostalgique. J’avais 13 ans lorsqu’elle est sortie, en 1981. Il n’y a rien d’exceptionnel dans le fait de filer une certaine nostalgie lorsque l’on a 13 ans. Une peine d’amour ou d’amitiĂ©. Une mauvaise note. Une mauvaise nouvelle dans sa famille.

 

En 1981, pourtant, j’avais plus Ă©tĂ© touchĂ© par la mort de Bob Marley. Sa musique Ă©tait familiĂšre grĂące Ă  la platine disque de mon pĂšre depuis plusieurs annĂ©es. En 1981, j’avais sĂ»rement entendu Tainted Love Ă  la radio. Parmi les tubes. Mais pas Say hello, Wave Good Bye. Et, jamais, je n’aurais entendu ou n’ai entendu de groupes du genre de Soft Cell ou Depeche Mode qui se sont faits connaĂźtre Ă  peu prĂšs en mĂȘme temps, Ă  la maison.

Cette musique, ainsi que d’autres, Ă©taient ignorĂ©es Ă  la maison. Et dans nos rĂ©unions familiales. Je ne pourrais mĂȘme pas dire qu’elles Ă©taient interdites. MĂȘme si ça revenait au mĂȘme : elles auraient Ă©tĂ© ignorĂ©es, mĂ©prisĂ©es. Ou, auraient Ă©tĂ© perçues comme l’empire du mal. Je repense encore, par moments, Ă  ce jour, oĂč, dans un mariage ou une fĂȘte antillaise, j’avais remplacĂ©, pour quelques titres un de mes oncles maternels qui Ă©tait le  DJ de cette soirĂ©e.

 

 

AprĂšs plusieurs titres antillais, j’avais dĂ©cidĂ© placĂ© sur une des platines le titre World in My Eyes
de Depeche Mode. Jusque lĂ , tout s’était bien passĂ©.

 

 

Mais, Ă  peine avais-je posĂ© ce titre, que, c’était comme si j’avais balancĂ© du Round Up sur la piste. En moins d’une minute, tous les danseurs et danseuses avaient dĂ©guerpi ! Ce n’était pas uniquement une histoire de goĂ»t ou de rythme. Mais, aussi, une affaire de prestige et de honte. J’imagine que cela aurait Ă©tĂ© la honte pour elle si une seule personne avait osĂ© danser sur ce titre. Mizik A Blan ! De la musique de Blanc !

 

Il est un certain nombre d’activitĂ©s vis-Ă -vis desquelles nous avons le mĂȘme comportement : nous considĂ©rons que ce n’est pas pour nous ! MĂȘme si rien ne nous interdit de les pratiquer ou de nous en approcher. Si ce n’est notre sentiment d’appartenance Ă  un groupe. Et la conception, assez superficielle, en surface, que nous avons de ce que nous sommes. Je me rappelle encore de mon petit frĂšre, ado, qui Ă©coutait du Rap avec ses copains, et qui, secrĂštement, en cachette et en ma prĂ©sence, avec ma « complicitĂ© Â», Ă©coutait
.Björk.

 

 

Car j’écoutais et j’aimais cette artiste que j’ai d’ailleurs « vue Â» trois fois en concert. Presque autant de fois que j’ai vu Miles Davis, Me’Shell NĂ©dĂ©geocello, Kassav’ ou Alain Bashung en concert
..

 

https://youtu.be/sJ7M3ht9rYI

 

 

J’ai dĂ©couvert ou redĂ©couvert Say Hello, Wave Good Bye lors d’un sĂ©jour supposĂ© linguistique en Ecosse, Ă  Edimbourg, en 1990. Un sĂ©jour affectivement consĂ©quent pour moi.

 

Dans ce titre, je suis sensible Ă  la tristesse. A cette dĂ©sillusion amoureuse. Sans doute ou peut-ĂȘtre parce-que lors de ce sĂ©jour, j’avais vĂ©cu une double rencontre amoureuse. Avant mon dĂ©part pour l’Ecosse. Puis durant mon sĂ©jour. Deux histoires contraires dont le contenu Ă©motionnel et sentimental m’ont portĂ© pendant des annĂ©es. Une, plutĂŽt Ă  distance, avec une Marseillaise. Une autre, avec une Parisienne, dĂ©jĂ  en couple.

 

Peu importe que Say Hello, Wave Good Bye raconte une histoire d’amour entre un homme et une femme ou pour un autre homme. Car j’ai plus tard appris, si je ne me trompe, que Marc Almond est homo. Et, s’il ne l’est pas, je n’ai aucune difficultĂ© Ă  croire que ce titre puisse ĂȘtre un classique pour une certaine gĂ©nĂ©ration d’hommes voire de femmes homos. Comme je n’avais pas a priori compris, lors de sa sortie, que le tube d’Elton John, I’M still standing, puisse ĂȘtre si important pour les homos touchĂ©s, percutĂ©s et persĂ©cutĂ©s par le Sida.

 

 

Tout ce que j’avais entendu Ă  l’époque, dans les annĂ©es 80, c’était un titre plutĂŽt dansant, assez funky. Je n’écoutais pas les paroles. Je ne comprenais pas le contexte. Pourtant, j’avais aussi peur du Sida. Et l’épidĂ©mie du Sida me concernait beaucoup. En tant que jeune adulte avec une sexualitĂ©. Mais, aussi, en tant qu’infirmier rĂ©cemment diplĂŽmĂ©.

 

Avec la pandĂ©mie du Covid, c’est pareil. Rien ne nous empĂȘche de nous livrer Ă  certaines activitĂ©s dont nous avons envie et besoin. MĂȘme s’il faut savoir se protĂ©ger. Car, certaines fois, c’est peut-ĂȘtre, aussi, de certaines de nos apparences dont il vaut mieux savoir se protĂ©ger :

 

Il y a quelques jours, en revenant du travail, sur mon vĂ©lo  pliant, j’ai dĂ©couvert tous ces gens Ă  nouveau en terrasse. Il faisait beau. TrĂšs beau. Et, moi, mĂȘme si je savais que tout cela avait existĂ© auparavant. MĂȘme si je comprenais ce besoin de sortir Ă  nouveau.  MĂȘme si j’irai sĂ»rement, aussi, Ă  une de ces terrasses un jour ou l’autre, j’ai nĂ©anmoins eu l’impression d’assister Ă  une mise en scĂšne.

 

J’ai eu l’impression que beaucoup de ces gens que j’ai aperçus, et, parmi eux, sans aucun doute, des amis, des proches ou des collĂšgues, voulaient affirmer que, pour eux, vivre, c’était absolument ça ! Presque revendiquer le droit d’ĂȘtre en terrasse face Ă  face. De fumer. De cloper Ă  l’air libre. De consommer. De refaire les magasins.

 

Pourquoi je fais le moraliste ? Pourquoi cela m’a-t’il dĂ©rangĂ© Ă  ce point alors que je l’ai moi-mĂȘme fait et refait ? Et que je le referai ?! Moi, aussi, je me rendrai bientĂŽt sur une terrasse en plein Paris


 

Je fais le moraliste parce-que, subitement, ce jour-lĂ , et parce-que la pandĂ©mie a dĂ©ja durĂ© un certain temps, je me suis peut-ĂȘtre, et de maniĂšre assez provisoire sans doute, aperçu, que, pendant des annĂ©es, je m’étais accrochĂ© Ă  certaines activitĂ©s qui, finalement, Ă©taient peu nĂ©cessaires.

 

Etre en terrasse, oui, mais pour y vivre quoi et avec qui ?!  Juste pour s’y montrer ?!

 

On peut ĂȘtre en terrasse avec quelqu’un et ne rien vivre de particulier avec elle ou lui. Donc, pourquoi y rester ?! Pourquoi y revenir ?!  Pourquoi se l’imposer si ce n’est, principalement, pour ĂȘtre dans la norme ?!  Pour faire quelque chose. Pour ne se pas se confronter Ă  notre propre vide. A notre grande tristesse et Ă  notre grande solitude.

Pour ne pas devoir admettre que l’on passe une grande partie de son temps Ă  se vider de notre vitalitĂ© et de notre crĂ©ativitĂ© au lieu de lui donner les moyens de s’exprimer et de, vĂ©ritablement, nous libĂ©rer, nous aider.

 

Pour ne pas voir que l’on tourne rĂ©guliĂšrement en rond mais que, comme la majoritĂ© des personne que l’on voit et que l’on frĂ©quente agit de mĂȘme, hĂ© bien, cela nous rassure et nous encourage Ă  continuer de rester sur la mĂȘme piste de danse.

 

Il est plus facile et plus commode de faire la fĂȘte, d’ĂȘtre en terrasse en plein soleil avec d’autres que d’admettre que l’on est triste et dĂ©fait. Lorsque l’on est triste et dĂ©fait.

 

J’aime sans doute ce titre de Soft Cell (cellule douce) parce-qu’avec lui, comme avec d’autres, je m’autorise Ă  entendre et Ă  chanter ma tristesse et ma peine. Ce qu’il m’en reste. Ou ce que j’en ressens. Si la tristesse d’un Jacques Brel me fait dĂ©primer, celle de Say Hello, Wave Goodbye a plus tendance Ă  me donner un certain envol. Ensuite, si j’ai envie de bercer cette tristesse, de la distancer ou de la percer, j’écouterai du dub, du Reggae, du zouk, du Maloya, ou Miles Davis par exemple. 

https://youtu.be/ChZ1QU9pxZE

 

 

D’autres prĂ©fĂšreront Ă©couter du Rap, de la musique classique, du Rock, de la musique arabe, de la chanson française ou de la techno. La musique, cet ailleurs qui se joint Ă  nos coups de poings mais aussi Ă  nos soins intĂ©rieurs…

 

 

Mais quoiqu’il en soit, en terrasse ou non, nous vivrons les mĂȘmes Ă©motions (joie, espoir, tristesse, colĂšre, dĂ©sir ou dĂ©gout) Ă  un moment ou Ă  un autre. L’idĂ©al, ensuite, ce sera de pouvoir les vivre avec d’autres, ces Ă©motions. Que ce soit en terrasse. Ou ailleurs
.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 31 Mai 2021.

Catégories
Argenteuil Corona Circus Moon France Musique

Chemin de halage

Sur le chemin de halage entre Argenteuil et Epinay sur Seine. Vers Argenteuil et la A15, ce mercredi 7 avril 2021, un peu avant midi.

                                                      Chemin de halage

 

Je suis parti interroger mon corps. J’avais besoin d’informations. Il a bien voulu se laisser faire. MĂȘme si, au prĂ©alable, il m’a fallu tout un tas de prĂ©paratifs. C’en Ă©tait ridicule. C’était beaucoup plus simple lorsque j’étais plus jeune.

Mais, lĂ , avais-je les bonnes chaussures ? Mes chaussettes Ă©taient-elles assez minces pour ne pas trop martyriser mes petits pieds ? Car les baskets, pendant le footing, avec le poids du corps et l’afflux du sang, ça comprime.

La veste. Avais-je la bonne veste ? Non, pas ce k-Way- lĂ  dans lequel j’allais suer tel un champignon rissolĂ© mais plutĂŽt celle en goretex. Si je l’avais achetĂ©e, c’était bien pour qu’elle me serve. Ah, oui, mes clĂ©s. Juste celles dont j’avais besoin. Je n’aime pas quand ça fait bling-bling quand je cours. Peut-ĂȘtre parce-que je crains que l’on confonde le bruit des clochettes avec celui du mouvement de recul de mes testicules.

Et, la petite compote, facile Ă  avaler, ça peut servir en cas d’hypoglycĂ©mie. Avale-donc un peu d’eau avant de partir. Tu as la bouche sĂšche. Et un petit bout de chocolat, aussi, car la matinĂ©e est avancĂ©e. Tu as pris ton petit-dĂ©jeuner il y a plus de quatre heures. Et, on dirait que tu commences Ă  avoir faim


 

J’ai rajoutĂ© un masque anti-covid que j’ai mis dans une de mes poches. J’ai ouvert la porte de l’appartement et me suis engagĂ© sur le palier
.une pensĂ©e.

 

J’allais partir sans mes clĂ©s posĂ©es Ă  l’entrĂ©e.

 

J’ai attrapĂ© mes clĂ©s, un peu contrariĂ©. Enfin, j’étais prĂȘt. Un vrai mariĂ©. 

 

Dehors, la tempĂ©rature extĂ©rieure Ă©tait de 7 degrĂ©s. Mais, plus froid, ça n’aurait rien changĂ©. Je reste Ă©tonnĂ© de voir que certaines personnes attendent qu’il fasse chaud pour sortir le vĂ©lo ou faire un peu de sport. « Viens, on va se mettre au sport, il fait beau, aujourd’hui Â». Mais lorsque les tempĂ©ratures augmentent, notre corps se dĂ©shydrate plus vite. C’est rapidement la transe ou le sauna. Il faut ĂȘtre entraĂźnĂ©, condamnĂ© ou se prĂ©parer Ă  aller courir dans le dĂ©sert pour sortir faire du sport en pleine chaleur. Ou, bien-sĂ»r, ne rien changer Ă  sa vie sportive habituelle lorsque l’on a en une. Cela est assez oubliĂ©, mais l’un des propos du sport est aussi de nous prĂ©parer Ă  nous adapter Ă  notre environnement immĂ©diat (riviĂšre, escalade, barriĂšre de corail ou autre obstacle naturel ou mental se trouvant sur notre passage…). Cela dĂ©passe le simple fait de perdre des calories et du gras afin d’ĂȘtre suffisamment « slim » pour la sĂ©ance plage ou photo. La pratique sportive, seule, ne suffit pas Ă  faire de nous des aventuriers ou des guerriers redoutables. Mais elle peut nous aider Ă  nous Ă©lever au delĂ  de certaines de nos faiblesses.

 

Ces faiblesses peuvent aussi bien ĂȘtre d’avoir le souffle court ou d’avoir le rĂ©flexe de facilement croire ou penser que tout ce qui vient de nous est forcĂ©ment nul. Pratiquer rĂ©guliĂšrement et Ă  son rythme. En restant proche de la limite du plaisir. Cette rĂšgle est valable pour beaucoup de disciplines. 

 

A « l’ancienne Â» :

 

Je fais toujours mes footing Ă  « l’ancienne Â» : comme je l’ai appris Ă  l’adolescence.

Pas d’écouteurs dans les oreilles. Pas de podomĂštre. Pas de cardio frĂ©quencemĂštres, de montre connectĂ©e. Je prĂ©fĂšre. 

Si je laisse mon tĂ©lĂ©phone portable allumĂ©, c’est davantage pour connaĂźtre la distance parcourue, peut-ĂȘtre en cas d’appel ou de message important. Ou pour faire des photos. Surtout, aujourd’hui. Il fait beau. Et, ce matin, vers 7h, j’ai repensĂ© au viaduc oĂč la jeune Alisha est morte le 8 mars dernier.

 

Si je ne disais que ça, je paraitrais ĂȘtre sous l’emprise d’un atavisme morbide.

 

Inconsolable

 

 

Lorsque ce matin, j’ai eu l’idĂ©e d’y retourner, j’ai d’abord pensĂ© appeler cet article Inconsolable. Dans la musique que j’écoute dĂ©sormais, Jimi Hendrix avait remplacĂ© AgnĂšs Obel depuis longtemps. AgnĂšs Obel dont un critique avait Ă©crit, il y a quelques annĂ©es, qu’au dĂ©but d’un de ses concerts, concert auquel il avait assistĂ©, il avait d’abord eu l’impression qu’elle sortait d’un rĂ©frigĂ©rateur. Tant sa musique Ă©tait froide. Si j’avais aimĂ© et enviĂ© cet humour, le critique avait nĂ©anmoins remarquĂ© qu’à mesure de l’écoute, la musique d’Obel avait fini par l’atteindre.

 

En Ă©coutant Jimi Hendrix, ce laveur de solo, ce technicien de toute notre surface cĂ©rĂ©brale mais aussi crĂ©pusculaire, j’avais fini par comprendre la raison pour laquelle, mĂȘme si j’ai dansĂ© sur ses titres, j’ai toujours conservĂ© une rĂ©serve envers Prince, ce gĂ©nie musical. Je me rappelle d’un article oĂč l’on parlait de la guitare de Prince, comme de son « arme de destruction massive Â». Mettez vos oreilles au contact du coffret Songs for Groovy Children , lors des concerts donnĂ©s par Jimi Hendrix fin 1969, dĂ©but 1970 et vous changerez d’avis. Prince devait avoir 12 ou 13 ans en 1969. Il a sĂ»rement entendu parler de ce concert, et encore plus d’Hendrix.

Quand je pense qu’il a fallu payer « seulement Â» 6 dollars ( les dollars de l’époque) pour voir Hendrix en concert en 1969.

 

Un de mes collĂšgues m’a dit rĂ©cemment : « Lorsque des gens disent que Prince Ă©tait un trĂšs grand guitariste, ils mentent. MĂȘme si c’était un gĂ©nie Â». On peut trouver ce jugement ingrat. A moins d’avoir Ă©coutĂ© Hendrix et de se rappeler, Ă  nouveau, qu’Eric « God Â» Clapton, lui-mĂȘme, avait pris peur en dĂ©couvrant Hendrix sur scĂšne en Angleterre, dans son royaume uni. J’ai lu que Clapton peut raconter qu’il avait en quelque sorte trouvĂ© son rythme de croisiĂšre avec son groupe (loin d’ĂȘtre des musiciens amateurs) et qu’il se croyait Ă©tabli. Lorsque Hendrix, arrivant des Etats-Unis, a dĂ©barquĂ© sur scĂšne. Hendrix qui avait, Ă  ses dĂ©buts, tournĂ© un peu avec Ike Turner, avant que celui-ci, selon certains dires, en aurait eu assez. Car Hendrix prenait trop de solos. En Ă©coutant le coffret de Songs For Groovy Children, la durĂ©e des titres ( plusieurs dĂ©passent la dizaine de minutes) et la « longueur » des solos de Jimi Hendrix, on peut s’amuser Ă  imaginer la tĂȘte d’Ike Turner s’il avait Ă©tĂ© sur scĂšne dans ces moments-lĂ . 

Hendrix n’Ă©tait pas un artiste de foire. Et il Ă©tait encore moins prĂȘt Ă  rester enfermĂ© dans une cage tel un hamster auquel on viendrait parler de temps en temps. Sa musique, dans ce coffret, m’a tellement consolĂ© qu’en l’écoutant, j’avais envie de pleurer. Le bibliothĂ©caire Ă  qui j’en ai parlĂ© a paru surpris. Alors qu’il avait Ă©tĂ© le premier Ă  avoir un air un peu navrĂ©, lorsqu’il y a quelques mois, je m’Ă©tais dĂ©cidĂ© Ă  emprunter une anthologie de Johnny Halliday. Oui, Johnny Halliday. Dans un magazine de musique rĂ©putĂ©, j’avais lu une bonne critique sur un de ses albums qui datait des annĂ©es 60 ou 70. Je « savais » peut-ĂȘtre dĂ©ja que Johnny avait sollicitĂ© Hendrix afin que celui-ci fasse sa premiĂšre partie. Par contre, je savais beaucoup moins que Johnny et Jacques Brel Ă©taient trĂšs proches. Dans la musique, comme en art et dans la vie d’une façon gĂ©nĂ©rale, les gens les plus ouverts et les plus rock’n’roll, peuvent ressembler assez  peu Ă  celles et ceux Ă  qui l’on s’attendait en prime abord. 

Bien que nos yeux soient souvent des guichets ouverts, nous regardons souvent celles et ceux qui nous entourent tels des aveugles…

 

Tout amateur de musique attend ces moments oĂč l’artiste va lĂącher un solo. Et oĂč ce solo le saisira le plus longtemps possible. Dans le coffret Songs for Groovy Children, Hendrix en lĂąche, des solos. Ce faisant, il les tient en laisse bien au delĂ  de la durĂ©e rĂ©glementaire. Et, sa voix ! Ce Blues. Solo/voix, solo/voix. Cela pourrait ĂȘtre deux personnes. C’en est une. Et, avec Hendrix, ses deux autres musiciens, basse, chant, batterie qui suivent et sont loin d’ĂȘtre des scissions secondaires.

 

 

Cependant, avant Jimi Hendrix, j’avais rĂ©Ă©coutĂ© le Zouk de Jean-Michel Rotin. Un autre style. Un artiste plus « rĂ©cent », encore vivant, que j’ai sans doute trĂšs mal prĂ©sentĂ©.

 

 

Depuis, Jimi a Ă©tĂ© remplacĂ© ( le coffret Songs for Groovy Children, fastueux) par le concert d’Aretha Franklin Live at filmore West. J’ai empruntĂ© ce cd, avec d’autres, avant que le nouveau confinement dĂ» Ă  la pandĂ©mie ne « close Â» Ă  nouveau les mĂ©diathĂšques et autres lieux estimĂ©s « non essentiels Â».

Non-essentiels :

 

 Les deux artistes, Jimi Hendrix et Aretha Franklin ont rĂ©alisĂ© ces performances sur scĂšne vraisemblablement dans le mĂȘme festival, mais Ă  un ou deux ans d’intervalle.

 

 

On imagine un certain nombre de duos entre deux artistes que l’on aime bien. MĂȘme si, souvent pour des histoires d’ego et de sous, la plupart de ces duos ou de ces collaborations, sont morts nĂ©s. Un artiste en plein Ă©panouissement poursuit souvent une trajectoire vers ce qu’il pense ĂȘtre son chemin. Et, personne ne peut ou ne doit le faire en dĂ©vier, sauf s’il le dĂ©cide. Aretha Franklin, par exemple, Ă  ce que j’ai lu, toute croyante et fervente chanteuse de Gospel qu’elle Ă©tait, n’aspirait Ă  rien d’autre qu’ĂȘtre la meilleure et a considĂ©rĂ© d’autres chanteuses comme ses rivales, forcĂ©ment moins lĂ©gitimes qu’elle (Natalie Cole, Diana Ross
.)

 

 Ce matin, j’ai pensĂ© Ă  un duo Jimi Hendrix/ Aretha Franklin. Il n’y avait peut-ĂȘtre pas de rivalitĂ© entre les deux. Je ne sais pas s’ils se sont parlĂ©s ou rencontrĂ©s.

 

AprĂšs Aretha Franklin, j’ai Ă©coutĂ© le dernier album d’Aya Nakamura. Aujourd’hui, Aya Nakamura est une vedette internationale. On a pu voir des images du footballeur brĂ©silien, Neymar, superstar du Foot, et de l’équipe du PSG, danser sur son titre Djadja. Youtube n’existait pas Ă  l’époque d’Aretha Franklin et de Jimi Hendrix.

 

 

 

J’aime la musique d’Aya Nakamura. Et ce n’est pas la premiĂšre fois que je la cite. Mais en dĂ©couvrant son album (achetĂ©  hier Ă  la Fnac St Lazare demeurĂ©e ouverte, en pleine pandĂ©mie du Covid, alors que la mĂ©diathĂšque de ma ville, pour les mĂȘmes raisons, a Ă©tĂ© obligĂ©e de fermer son accĂšs au public depuis samedi dernier), j’ai bien Ă©tĂ© obligĂ© de constater que, comme me l’avait fait remarquer un des employĂ©s de la mĂȘme Fnac il y a environ deux ans, les paroles des chansons d’Aya Nakamura sont loin d’ĂȘtre
. des.prophĂ©ties.  Les gros mots ne me dĂ©rangent pas. C’est surtout le projet des textes :

 

«  Je t’ai aimĂ©. Tu m’as dĂ©sirĂ©. Tu m’as menti. Tu m’as trahi. Tu m’as pris pour une conne. Tu parles sur moi. Tiens, prends, ça dans ta figure. Et encore, ça. Je suis libre, j’ai de la fibre, je t’emmerde. Et je peux vivre sans toi. En plus, j’ai beaucoup de succĂšs. Et, toi, tu n’as rien. Qui te connaĂźt ?!  Tchip !».

 

ça fait trois albums que ça dure, et ça peut encore continuer comme ça longtemps puisque ses chansons ont du succĂšs. Je ne discute pas les atouts de sa musique. En Ă©coutant ses paroles, je comprends qu’une certaine jeunesse, en grande partie fĂ©minine dans un monde encore rĂ©glĂ© par et pour les hommes, puisse s’identifier Ă  ses Ă©mois ainsi qu’Ă  ses « exploits » ( sexuels, affectifs, Ă©conomiques ou autres).

Et puis, la musique d’Aya Nakamura donne particuliĂšrement envie de danser, toutes gĂ©nĂ©rations confondues. Ce qui est important pour toute personne qui aime danser ou qui est plutĂŽt Ă  l’aise pour le faire. Ce que peut avoir beaucoup de mal Ă  comprendre toutes celles et ceux, pour qui, le simple fait de taper nerveusement du pied suffit pour danser. Mais aussi celles et ceux qui voudraient dĂ©cortiquer du Shakespeare ou, pourquoi pas, du CĂ©saire, en toute circonstance.

La musique d’Aya Nakamura emballe tout le corps Ses titres, limitĂ©s Ă  3 ou 4 minutes, semblent Ă©tudiĂ©s pour ça. Ses phrases sont trĂšs simples Ă  retenir. Et, j’imagine trĂšs facilement un public conquis rĂ©pĂ©ter ses paroles en choeur en plein concert avec une trĂšs grande spontanĂ©itĂ© libĂ©ratrice. Et, aussi, frondeuse. 

 

Je constate bien, depuis que j’ai commencĂ© Ă  Ă©couter son album hier que deux ou trois titres me pendent Ă  l’oreille, tels Doudou ou Mon chĂ©ri, au moins. Si bien que je dois faire un effort pour remettre l’album d’Aretha Franklin afin de bien choisir le titre que je compte vous prĂ©senter. Alors que, spontanĂ©ment, j’ai surtout envie de remettre le Cd d’Aya Nakamura. Alors que je « sais Â» comme l’album live d’Aretha Franklin est plus que bon. Et qu’Aya Nakamura n’approchera sans doute jamais de sa voix les contrĂ©es et les inspirations qu’Aretha est allĂ©e chercher et a fait descendre sur terre pour qu’on puisse les entendre. Mais aussi, que mĂȘme en matiĂšre de « vice »,  Soeur Aretha Ă©tait encore bien plus indocile que petite soeur Aya. Amen.

 

Travailler, travailler, travailler :

 

Je ne doute pas non plus qu’Aya Nakamura soit une travailleuse dans sa veine artistique et musicale. Ainsi que celles et ceux qui l’entourent et la conseillent plutît bien.

 

 

 

Dans le dernier numĂ©ro du magazine Self &Dragon, il est demandĂ© au comĂ©dien Bruno Putzulu, un comĂ©dien dont j’aime beaucoup le travail et que j’avais aimĂ© voir au cinĂ©ma dans le film L’AppĂąt, film qui m’avait marquĂ© Ă  sa sortie au dĂ©but des annĂ©es 90, de feu Bertrand Tavernier- rĂ©alisateur dĂ©cĂ©dĂ© rĂ©cemment – les conseils qu’il pourrait donner Ă  quelqu’un voulant se lancer dans le mĂ©tier de comĂ©dien.

 

 

Pour pouvoir espĂ©rer rĂ©ussir dans le mĂ©tier de comĂ©dien, Putzulu commence par rĂ©pondre qu’il conseillerait Ă  un (e) apprenti( e ) comĂ©dien (ne) de :

« Travailler, travailler, travailler Â».

Putzulu connaĂźt Ă©videmment son sujet. Mais je vais pourtant le contredire. D’abord, en tant que comĂ©dien, mĂȘme s’il vit de son mĂ©tier, il fait partie de ces trĂšs bons comĂ©diens, qui sont Ă  mon avis sous-employĂ©s. Des comĂ©diens auxquels on ne propose pas des « grands rĂŽles Â» leur permettant d’étaler vĂ©ritablement ce qu’ils savent faire. Parce-que l’on ne pense pas Ă  eux. Parce-que l’on ne les choisit pas. Et, cela n’a rien Ă  voir avec leur capacitĂ© de travail.

 

Et que l’on ne me parle pas de la « grĂące Â». Parce-que, personne ne trouve Samuel Jackson ou Joey Starr ou Jean-Pascal Zadi Tout simplement Noir), ni mĂȘme Omar Sy Yao, Police-un film d’Anne Fontaine ) gracieux. Pourtant, personne, aujourd’hui, ne contestera leur « particularitĂ© Â», leur « originalitĂ© Â», leur « style Â», leur « personnalitĂ© Â» ou leur « talent Â». Parce-que, entre leurs dĂ©buts, et maintenant, ils ont chacun, de diffĂ©rentes façons, rencontrĂ© le succĂšs. Et se sont rendus « dĂ©sirables ». 

 

Et, le succĂšs, tout comme le dĂ©sir, lorsque tu Ă©volues dans un domaine artistique et public, ça se respecte voire ça se gĂšre ou ça se craint. Car cela reprĂ©sente un jackpot Ă©conomique potentiel si tu fais partie du « deal » ou de l’entourage immĂ©diat du poulain ou de la pouliche qui est trĂšs en vue ou qui peut remporter d’autres grands prix. 

 

Que tu t’appelles Aya Nakamura, Aretha Franklin ou Jean-Pascal Zadi. Peu importe le message que tu passes ou que tu essaies de faire passer. Peu importe que, dans le cas d’une Aretha Franklin, Martin Luther King soit venu dormir chez ton pĂšre, lors de certains meeting, ou que tu aies fait des concerts, gratuitement, en soutien pour le mouvement des droits civiques aux Etats-Unis dans les annĂ©es 60. Ou que, comme Aya Nakamura, tu parles de ruptures sentimentales, et de mecs qui n’assurent pas.

 

Le succĂšs, ça se respecte, et, il n’y a pas de rĂšgle Ă©tablie pour y parvenir. On peut se dĂ©foncer toute sa vie pour rĂ©ussir. Y compris avec son derriĂšre. Et Ă©chouer. C’est ça, le secret que tout le monde connaĂźt. Et pour enterrer un peu plus l’idĂ©e selon laquelle, la grĂące permettrait de diffĂ©rencier une personne qui en a d’une autre qui en serait dĂ©pourvue, on va se rappeler que, pour certaines et certains, la grĂące est tout de mĂȘme bien mise sur orbite, ou « aidĂ©e », par l’entourage stratĂ©gique que l’on connaĂźt, et le moment, aussi, oĂč l’on apparaĂźt en public. Ensuite, c’est Ă  nous de jouer. Soit on fait tout de travers. Soit on « fait le travail » pour lequel on a Ă©tĂ© prĂ©parĂ©. 

 

Cependant, pour rĂ©ussir, il faut bien, Ă  un moment ou Ă  un autre, rencontrer, dĂ©cider ou dĂ©rider quelqu’un qui jettera sur notre trajet un peu de cette de poudre magique qui nous permettra de rĂ©ussir. Et, rĂ©ussir, qu’on le veuille ou non, cela signifiera toujours rĂ©ussir Ă©conomiquement. 

Ce que n’ont toujours pas compris quantitĂ©s d’idĂ©alistes et d’abrutis- dont je fais partie- qui se condamnent d’eux-mĂȘmes. C’est parce-que je me suis condamnĂ© Ă  faire partie des invisibles et des ratĂ©s du box-office Ă©conomique que je fais partie des abrutis.  

 

 

Si des professions comme les professions soignantes sont maltraitĂ©es de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e, c’est aussi, parce-que, Ă  moins d’ĂȘtre une personnalitĂ© trĂšs mĂ©diatisĂ©e ( ça existe parmi quelques soignants gĂ©nĂ©ralement mĂ©decins ou psychologues), la majoritĂ© des soignants sont des anonymes, donc, Ă©loignĂ©s du « succĂšs » public mais, surtout, Ă©conomique. Lorsque l’on contribue Ă  sauver une vie, par exemple, cela ne fait pas des millions d’entrĂ©es au box-office. Cela ne fait pas vendre de la pub, du pop corn ou du coca-cola. Il n’existe pas de festival de Cannes du soin qui serait convoitĂ© et visitĂ© par des millions de spectateurs, avec limousine, grandes cĂ©lĂ©britĂ©s et retransmission mĂ©diatisĂ©e dans le monde entier de l’Ă©vĂ©nement. Alors, au mieux, on « admire » les soignants ou on les applaudit. Et, tout ordinairement, on peut les nĂ©gliger. On peut aussi les plaindre car cela ne coĂ»te pas grand chose non plus. Pourtant, les soignants, comme bien d’autres gens, des artistes inconnus, ou d’autres personnes exerçant dans d’autres professions, sont des travailleurs. Mais pas de petite poudre magique pour eux afin d’amĂ©liorer leur statut ou leurs conditions de travail. Pour eux, et pour tant d’autres- les invisibles et les ratĂ©s du box-office de la rĂ©ussite Ă©conomique- la vie sera dure. Les conditions de travail. Le salaire. L’Ă©pargne ou la retraite. La santĂ©. Tout sera susceptible d’ĂȘtre dur ou de le devenir pour eux, s’ils n’apprennent pas Ă  encaisser et Ă  esquiver.

A un moment donnĂ©, soit, on sait encaisser. Soit, on se fait lessiver. 

Enfin, si les polars connaissent autant de succĂšs, c’est aussi parce qu’ils racontent souvent l’histoire de grĂąces et d’innocences qui ont Ă©tĂ© saccagĂ©es. Et nous connaissons, intimement, ce genre de vĂ©ritĂ©s. Donc, travailler, travailler, travailler, ne suffit pas.

 

C’est Ă©tonnant comme le simple fait de reprendre les footing peut  vous dĂ©vergonder. J’étais plus Ă©teint que ça en partant courir ce matin.

La « petite » Aya Nakamura, elle, avait compris tout ça bien plus tĂŽt que moi, et sans avoir besoin de faire des footing. C’est pour ça qu’elle a rĂ©ussi et, qu’aujourd’hui, elle peut nous faire danser.

 

 

 

La librairie Presse Papier :

Il y a quelques jours, un collĂšgue habitant aussi dans ma ville, a un moment fait allusion Ă  la mort d’Alisha ( Marche jusqu’au viaduc). Mais c’était pour lui un Ă©vĂ©nement comme un autre. Il a vite occupĂ© ses pensĂ©es Ă  tenir sa tasse de cafĂ© ou Ă  d’autres sujets. ( Quelques jours plus tard, sans que cela ait Ă©videmment de rapport avec le dĂ©cĂšs de la jeune Alisha,  j’apprenais que ce collĂšgue avait attrapĂ© le Covid)

Ce matin, en allant acheter le journal dans la librairie du centre-ville, j’ai pris le temps de discuter avec le gĂ©rant et un habituĂ©. Les deux hommes se connaissent bien visiblement. Le premier habite Argenteuil depuis quarante ans. Le second, enseignant Ă  la retraite, est nĂ© Ă  Argenteuil. Militant, je l’ai dĂ©jĂ  vu distribuer des tracts Ă  la sortie de l’école. Il m’a appris ce matin ĂȘtre Ă  l’origine de la crĂ©ation du salon du livre d’Argenteuil. Mais aussi de l’association Lire sous les couvertures.

 

Mais il m’a appris davantage : la voie expresse qui, aujourd’hui, coupe les Argenteuillais des berges de la Seine n’existait pas avant
.1970. Grosso modo, lorsque Jimi Hendrix a fait son concert fin 1969 et dĂ©but 1970 ( le concert d’Aretha Franklin date de 1971), il existait une promenade le long de la Seine. On organisait mĂȘme des cross sur cette promenade qui aurait existĂ© de 1820 Ă  1970.

 

Sur le chemin de halage, vers Argenteuil, ce mercredi 7 avril 2021. Sur la fin de mon footing, de retour d’Epinay Sur Seine. C’est sous ce viaduc que le 8 mars, Alisha….

 

 

Tout Ă  son rĂ©cit, D m’a parlĂ© du chemin de halage du cĂŽtĂ© du viaduc. Marcheur, D s’est enthousiasmĂ© pour le travail « extraordinaire Â» qui avait Ă©tĂ© rĂ©alisĂ© sur ce chemin de halage pour le rendre agrĂ©able. Il m’a confirmĂ© briĂšvement. Oui, c’était bien lĂ , sous le viaduc qu’il y avait eu le fait divers
.puis, il a poursuivi son argumentaire concernant la façon dont l’amĂ©nagement de la ville Ă©tait mal gĂ©rĂ©. D m’a appris qu’il avait un blog, trĂšs bien fait, alimentĂ© rĂ©guliĂšrement, dans lequel il parlait d’Argenteuil. Il m’a invitĂ© Ă  le lire. Je lui ai aussi parlĂ© du mien mais cela n’a pas paru lui parler plus que ça. Je ne sais pas si D prĂ©fĂšre Ă©couter Aya Nakamura ou lire son blog. Je ne sais pas non plus si elle en a un. Par contre, en quittant la librairie, je savais que j’allais retourner au viaduc. J’ai un moment pensĂ© Ă  faire le parcours Ă  vĂ©lo afin de bien profiter de la Seine sans trop me fatiguer. Puis, je me suis rapidement dit que ce serait une bonne occasion de reprendre le footing. Afin de voir oĂč j’en Ă©tais.

 

Le chemin de halage :

Je m’étais mis en tĂȘte de courir trente minutes pour une reprise. Sans aucune idĂ©e du temps qu’il me faudrait pour arriver au viaduc.

 

Les dix premiĂšres minutes ont Ă©tĂ© un peu inconfortables. Car mon corps n’était plus habituĂ© au footing. Mais, trĂšs vite, j’ai perçu que mon cƓur, lui, Ă©tait au rendez-vous. Peut-ĂȘtre les effets de mes trajets Ă  vĂ©lo depuis bientĂŽt deux mois depuis la gare St-Lazare pour aller Ă  la travail. A chaque fois, Ă  l’aller comme au retour, trente minutes de vĂ©lo.

 

 

Il m’a fallu douze minutes, Ă  allure douce, pour arriver au viaduc. J’avais le soleil de face. J’ai continuĂ© sur le chemin de halage jusqu’à arriver Ă  Epinay sur Seine, ville de tournage de cinĂ©ma. Mais ville, aussi, oĂč se trouve une clinique psychiatrique oĂč il a pu m’arriver de faire des vacations. Je pouvais alors m’y rendre en environ vingt minutes en voiture. LĂ , j’avais mis Ă  peu prĂšs trente trois minutes en footing. A vĂ©lo, j’en aurais sĂ»rement pour 20 minutes, peut-ĂȘtre quinze, par le chemin de halage. Le centre Aqua92 de Villeneuve-la-Garenne, oĂč les trois fosses et le bassin de 2,20 de profondeur, permettent de pratiquer apnĂ©e et plongĂ©e n’était pas si loin que ça. MĂȘme s’il devait rester quinze Ă  vingt minutes de footing pour y arriver.

 

Je me suis arrĂȘtĂ© pour marcher. Prendre le temps de souffler. Quelques photos. AprĂšs dix minutes, je suis reparti en sens inverse. A l’aller comme au retour, les gens que j’ai croisĂ©s, promeneurs, coureurs, Ă©taient enclins Ă  dire bonjour. L’absorption des relations sociales par le confinement et la pandĂ©mie favorisaient peut-ĂȘtre ces Ă©changes simples.

 

 

Je prenais des photos de ce « bateau-Ă©cole » lorsque G…, me voyant faire, a ouvert la porte pour me renseigner. Elle m’a donnĂ© quelques explications, m’a remis une brochure avec les tarifs. Puis, je suis reparti.

 

Je commençais Ă  en avoir plein les cuisses. L’acide lactique. Ça m’a Ă©tonnĂ© parce-que je ne courais pas particuliĂšrement vite. Cela devait venir du manque d’entraĂźnement, sans doute.

 

A l’approche du viaduc, j’ai ralenti. Encore quelques photos. J’étais prĂšs du mur des fleurs Ă  la mĂ©moire d’Alisha, lorsque la sirĂšne du premier mercredi du mois a retenti. Je ne pouvais pas filmer meilleure minute de silence qu’avec cette sirĂšne.

 

 

 

Devant tout ce bleu, tout ce soleil, je me suis dit que la mort d’Alisha, d’une certaine maniĂšre Ă©tait un sacrifice. Et, qu’est-ce qu’un sacrifice, si ce n’est une mort- ou un soleil- qui permet Ă  d’autres de vivre ou qui leur indique le chemin qu’ils doivent suivre pour continuer de vivre ?

 

Photo ce mercredi 7 avril 2021, depuis l’endroit oĂč le 8 mars, Alisha a Ă©tĂ© poussĂ©e dans la Seine aprĂšs avoir Ă©tĂ© tabassĂ©e.

 

 

AprĂšs la minute de silence, j’ai fait le tour du viaduc dans le sens inverse de la derniĂšre fois sans m’attarder. En faisant ça instinctivement, j’ai eu la soudaine impression de dĂ©faire le cercle de la mort.

 

MĂȘme endroit que la photo prĂ©cĂ©dente, ce mercredi 7 avril 2021. En regardant dans la direction d’Epinay-sur-Seine.

 

Evidemment, je n’irai pas expliquer ça aux parents d’Alisha, ni à ses proches ou à celles et ceux qui l’ont connue de prùs. Et, je ne crois pas que j’aimerais que quelqu’un vienne me tenir ce genre de propos si je perdais une personne chùre.

 

Ce mercredi 7 avril 2021, en rentrant sur Argenteuil vers la fin de mon footing.

 

 

Pourtant, sans cette mort le 8 mars, je ne serais pas venu jusqu’à ce viaduc. Je n’aurais peut-ĂȘtre jamais pris ce chemin de halage alors que cela fait dĂ©jĂ  14 ans que je vis Ă  Argenteuil.

Ce chemin de halage, je l’avais supposĂ© depuis Epinay Sur Seine oĂč je m’étais rendu en voiture ou Ă  vĂ©lo. Mais sans savoir qu’il pouvait aller jusqu’à Argenteuil.

Et, j’avais dĂ©jĂ  entendu un Argenteuillais, adepte du footing, en parler, il y a trois ou quatre annĂ©es, mais cela Ă©tait restĂ© trĂšs abstrait pour moi. Je n’imaginais pas un tel chemin, aussi Ă©tendu, aussi large, aussi agrĂ©able. Et, Ă  travers tout le bleu de ce mercredi 7 avril,  je comprends qu’Alisha, le 8 mars, ait pu trĂšs facilement accepter de suivre celle qui a servi d’appĂąt, comme le titre du film de Bertrand Tavernier qui avait Ă©tĂ© inspirĂ© d’un fait divers. 

Lorsque je suis venu ici pour la premiĂšre fois ( Marche jusqu’au viaduc ),  il faisait plus sombre. Et je m’Ă©tais dit qu’Alisha avait vraiment dĂ» se sentir en confiance pour venir dans un endroit pareil. Mais le 8 mars, il faisait peut-ĂȘtre beau.

 

Lorsque l’on compare les photos que j’ai faites de cet endroit la premiĂšre fois que j’y suis venu, le 16 mars, avec celles de ce mercredi 7 avril, on remarque que la lumiĂšre et l’atmosphĂšre sont trĂšs opposĂ©es. Ce mercredi 7 avril, la lumiĂšre est trĂšs belle. J’ai postĂ© une des photos de ce jour, prise depuis le chemin de halage ( celle qui ouvre cet article) sur ma page Facebook, et elle a plu Ă  plusieurs personnes. Elle me plait aussi. Tout ce bleu. Ce soleil. 

Comme ces photos prises deux jours diffĂ©rents, malgrĂ© tout le bĂ©ton dont l’ĂȘtre humain s’entoure, notre nature se lĂ©zarde et mue. Ces mues ne sautent pas aux yeux Ă  premiĂšre vue. Elles sont d’abord invisibles, souterraines, imperceptibles, lĂ©gitimes ou illĂ©gitimes. Mais elles surviendront, pour le pire ou le meilleur, si elles trouvent un moyen ou un chemin pour s’affirmer et s’affranchir de nos secrets.  De nos codes. De nos limites.

Ces mues, nos changements, de comportement, tenteront de s’adapter et de s’habituer au grand jour et au monde. Ils seront parfois aussi violents qu’Ă©phĂ©mĂšres. On peut d’abord penser Ă  des crimes ou Ă  des actes monstrueux. Mais on peut aussi penser Ă  certaines carriĂšres fulgurantes :

Jimi Hendrix est mort ultra-cĂ©lĂšbre Ă  27 ans alors qu’il ne pratiquait la guitare que depuis une douzaine d’annĂ©es…… on nous parle encore d’Amy Winehouse, de Janis Joplin, de tel acteur ou tel actrice « parti(e) trop vite… » . On peut aussi penser Ă  des aventuriers de l’extrĂȘme morts trop jeunes tels que l’apnĂ©iste LoĂŻc Leferme . Ou mĂȘme Ă  l’apnĂ©iste… Audrey Mestre.

 

En m’éloignant du viaduc, un homme noir d’une soixante d’annĂ©es semblant venir de nulle part, partait comme moi. Il marchait et avait du mal Ă  remonter la pente. Il avait baissĂ© son masque anti-covid sĂ»rement pour mieux reprendre son souffle. Je l’ai dĂ©passĂ© en reprenant mon trot. Ce faisant, je l’ai saluĂ©. Il m’a rĂ©pondu, un peu Ă©tonnĂ©. Puis, je l’ai distancĂ©. Je serai peut-ĂȘtre ce vieil homme, un jour.

 

Lorsque j’ai retrouvĂ© la route d’Epinay, en allant vers Argenteuil, un bus 361 m’a dĂ©passĂ©. Puis, j’en ai un croisĂ© un autre un peu plus loin. A l’aller, aussi, j’avais croisĂ© un 361. Cet itinĂ©raire est vraiment bien desservi par le bus.

 

En rentrant chez moi, je suis repassĂ© devant le hammam. Il avait l’air ouvert. Je me suis dit que j’y retournerais. Et que cela me permettrait, aussi, de profiter de leur trĂšs bon thĂ© Ă  la menthe.

 

Franck Unimon, ce mercredi 7 avril 2021.( complété et finalisé ce mardi 13 avril 2021).

 

 

 

 

 

 

Catégories
Moon France Musique self-défense/ Arts Martiaux

Rété Simp

 

                                                                RĂ©tĂ© Simp

Ce fut le titre que je n’ai pas citĂ© le 16 mars. Lorsque j’ai marchĂ© jusqu’au viaduc oĂč, ce 8 mars 2021, la jeune Alisha Khalid a Ă©tĂ© battue par deux de ses camarades puis « dĂ©chargĂ©e Â» dans la Seine. OĂč son affaiblissement – du Ă  ses blessures-  ajoutĂ© Ă  l’hypothermie, l’impuissance et le dĂ©sespoir sans doute lui ont enlevĂ© sa vie par noyade.

 

RĂ©tĂ© Simp ( « Reste simple Â»/ « Reste modeste »/ « arrĂȘte de te la pĂ©ter » en crĂ©ole guadeloupĂ©en mais aussi martiniquais) est un titre de zouk de l’artiste Jean-Michel Rotin qui date des annĂ©es 90 ou peut-ĂȘtre du dĂ©but des annĂ©es 2000. Il faisait alors partie du groupe Energy. Il est le deuxiĂšme en partant de la gauche sur la photo. 

 

Je n’avais pas envie de zouker quand j’ai Ă©critMarche jusqu’au viaduc . C’est sĂ»rement pour cela que j’ai alors « oubliĂ© Â» de citer RĂ©tĂ© Simp.

 

Pourtant, ce titre, je l’avais aussi « entendu Â» alors que je me rapprochais du viaduc sous la A 15. Mais d’autres Ă©motions avaient enserrĂ© le dessus de mes pensĂ©es. Des Ă©motions que plusieurs personnes – qui ont lu l’article- m’ont aussi exprimĂ© que ce soit par un mot sur ma page Facebook, un « signe Â» ou un sms.

 

Avant hier, particuliĂšrement, j’ai passĂ© quelques moments difficiles Ă©motionnellement Ă  « repenser Â» de prĂšs ou de loin, au meurtre d’Alisha. Il arrive aussi que depuis le train que je prends pour aller au travail, j’aperçoive au loin, furtivement, le viaduc sous lequel cela s’est passĂ©.

 

Au vu de ma sensibilitĂ© « augmentĂ©e Â», je me suis demandĂ© si j’étais proche d’un « ressenti traumatique». Mais je crois ĂȘtre  Â« simplement Â» nĂ©vrosĂ©. Et touchĂ© par ce qui est arrivĂ©.

 

Les images que « j’ai Â»

 

 

Moi, le cinĂ©phile, je n’ai pas revu beaucoup de films depuis quelques mois. Mais cela a plus Ă  voir avec le contexte Covid qui a remixĂ© nos existences- et en partie nos consciences- depuis un an, maintenant.

 

Le « nouveau Â» reconfinement depuis un ou deux jours, Ă  mon avis, m’affecte nettement moins que le tout premier de l’annĂ©e derniĂšre Ă©galement au mois de mars. L’annĂ©e derniĂšre, Ă  la mĂȘme date, comme la plupart, je me faisais tabasser par l’atmosphĂšre de fin du monde qui menaçait de m’encorner pratiquement Ă  n’importe quel moment avec la puissance du phacochĂšre. Une Ă©poque oĂč les masques anti-Covid Ă©taient une denrĂ©e rare ou vite Ă©puisĂ©e. Et oĂč on se rendait au travail en franchissant les « tranchĂ©es Â» de rues vides la gueule offerte faute de masques. Lesquels ont commencĂ© par ĂȘtre parachutĂ©s par milliers dans les supermarchĂ©s Ă  partir du dĂ©but du mois de Mai. J’avais rĂ©alisĂ© quelques diaporamas ( Panorama 18 mars-19 avril 2020 )de cette « pĂ©riode Â» alors Ă©trange et hors norme, aujourd’hui, assez banalisĂ©e : aujourd’hui tout le monde a un masque anti-Covid sur lui voire plusieurs de rechange. Et ne pas en porter est un dĂ©lit. Sauf si l’on fait son footing ou que l’on se dĂ©place Ă  vĂ©lo. Ou que l’on est seul en voiture. Ou en famille.

 

Paris, Place de la Concorde, en allant au travail, ce vendredi ou ce samedi matin.

 

 

Ce Mercredi, avant ce nouveau « reconfinement Â» dĂ©clarĂ©,  je suis donc allĂ© faire provision de nouveaux blu-ray dans un des magasins oĂč je « m’alimente Â» prĂšs du centre Georges Pompidou. Ce ravitaillement n’a rien Ă  voir avec le nouveau confinement alors encore hypothĂ©tique. J’étais alors dans le coin et cela faisait plusieurs mois que je n’étais pas allĂ© dans ce magasin oĂč l’on peut trouver des Blu-Ray et des dvds neufs en promotion.

 

Les images que j’ai, ces derniers jours, sont principalement faites de ces moments que je vis au quotidien avec mes proches ou d’autres, au travail ou ailleurs. Mais aussi de ces photos que je prends et dont j’ai commencĂ© Ă  parler dans la nouvelle rubrique VĂ©lo Taffe VĂ©lo Taffe : une histoire de goudron). C’est peut-ĂȘtre le monde tel que j’aspire encore Ă  le voir.

 

Il y a peu de livres, aussi, qui m’apportent des images en ce moment. Ainsi, je n’ai pas rĂ©ussi Ă  terminer Verre cassĂ© d’Alain Mabanckou, livre que j’avais pourtant commencĂ© Ă  lire il y a bientĂŽt deux mois. Alors qu’il me reste seulement trente pages Ă  lire et que je l’ai aimĂ© par endroits. Mais je reste un assidu du Canard EnchaĂźnĂ©  et du TĂ©lĂ©rama que je parcours par « strates Â». Et du journal gratuit quand je tombe dessus.

 

Plusieurs fois par semaine, aussi, depuis plusieurs semaines, j’écoute des podcasts. Pour cela, je peux remercier la technique de plus en plus performante en matiĂšre de stockage et de tĂ©lĂ©chargement de nos smartphones que nous payons si chers. MĂȘme si les conditions d’extractions des minerais nĂ©cessaires Ă  la construction de nos « doudous-portables Â» en font aussi l’équivalent de doudous de sang. Surtout en en changeant au bout de quelques mois ou chaque annĂ©e.  

 

Enfin, grĂące Ă  un podcast consacrĂ© au photographe «  de guerre Â» Patrick Chauvel -que je ne connaissais pas- je vais peut-ĂȘtre recommencer Ă  lire. Car il a Ă©crit :

 

Rapporteur de guerre, Sky et un autre livre que j’ai rĂ©ussi Ă  trouver d’occasion sur le net.

 

 

« Tu veux ĂȘtre bon,  va oĂč est le carnage Â» :

 

Le Maitre d’Arts martiaux Kacem Zoughari a citĂ© cette phrase – en Japonais- d’un de ses anciens Maitres japonais.

 

J’avais citĂ© cette phrase lors de mon pot de dĂ©part pendant mon discours il y a un peu plus de deux mois maintenant dans mon prĂ©cĂ©dent service :

 

«  Tu veux ĂȘtre bon, va oĂč est le carnage Â».

 

 

 AprĂšs l’article Marche jusqu’au viaduc, je peux maintenant m’apercevoir un peu plus Ă  quel point j’étais raccord avec cette phrase. Et ce n’est peut-ĂȘtre que le dĂ©but.

 

Je n’ai jamais aimĂ© le mois de  Mars. Pourtant, le mois de Mars, si je rĂ©flĂ©chis maintenant, c’est bien le mois ou le Dieu de la guerre.

 

Lorsque ce mois de mars a commencĂ© cette annĂ©e, je me suis dit qu’il allait passer vite compte-tenu de mes divers projets. Et c’est vrai. MĂȘme si je ne m’attendais pas Ă  certains Ă©vĂ©nements dans ma ville et dans ma vie comme la mort de la jeune Alisha que je ne connaissais pas.

 

 Aujourd’hui, nous sommes dĂ©ja le premier jour du printemps, le 21 mars 2021.

 

Reste simple :

 

Jean-Michel Rotin, un temps surnommĂ© «  le MichaĂ«l Jackson Â» du Zouk, est beaucoup moins connu que le groupe Kassav’ ou le « fameux Â»â€Š..Francky Vincent. Mais il a apportĂ© une nouveautĂ© en mĂ©langeant la « r’n’b Â» et le « Rap Â» avec le zouk dans les annĂ©es 90. Kassav’ avait frappĂ© plusieurs fois Ă  coups de maillet Ă  partir du milieu des annĂ©es 80 sur la production musicale antillaise mais aussi mondiale. Scellant l’envolĂ©e du Zouk. En Afrique, en AmĂ©rique du sud et jusqu’au aux Etats-Unis oĂč un Miles Davis, « un peu Â» condescendant, avait pu faire la « leçon Â» Ă  un journaliste :

«  Cette musique, ça s’appelle le Zouk. Kassav’, vous connaissez ? Â».

 

Dans les annĂ©es 90, sans atteindre l’envergure internationale de Kassav’, Rotin Ă©tait apparu avec son style qui le dĂ©marquait d’autres artistes de zouk qui rejouaient la « formule Â» Zouk sans trop de particularitĂ©s.

 

Aujourd’hui, Jean-Michel Rotin fait partie des « vieux Â» artistes ( les annĂ©es 90-2000, c’est « loin Â») et je ne sais pas si on peut encore le trouver novateur. Mais, Ă  une Ă©poque, certains artistes de zouk bonifiaient leur musique lorsque Rotin se retrouvait impliquĂ© Ă   la partition ou dans la production.

 

Il y a quelques mois, j’ai trouvĂ© une interview  de lui. Elle date de plusieurs annĂ©es, avant la pandĂ©mie du Covid. Dans cette interview, il exprimait une certaine amertume envers l’industrie du disque. Il estimait s’ĂȘtre fait arnaquer au moins Ă©conomiquement du fait de sa « naĂŻvetĂ© Â» et de son « ignorance Â» lors de sa pĂ©riode fastueuse. Il faisait aussi part de cette pĂ©riode oĂč sa principale activitĂ©, comme l’artiste Prince (qu’il cite) Ă©tait de crĂ©er un titre par jour. Mais aussi qu’on lui aurait « dit Â» qu’il allait « trop loin Â» dans sa recherche musicale. Cela aurait eu pour effet de brider sa production musicale. D’autant qu’il avait pu lui ĂȘtre reprochĂ© d’avoir « dĂ©naturĂ© Â» le Zouk. Je suis sĂ»r que d’autres personnes –artistes ou non- ailleurs dans le monde pourraient retrouver une partie de leur vie dans ce tĂ©moignage. L’artiste CĂ©dric Myton de l’ancien groupe de Reggae Congo ne raconte pas autre chose que Jean-Michel Rotin dans le documentaire Inna De Yard : The Soul of Jamaica rĂ©alisĂ© en 2018-2019 par Peter Webber

 

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, Rotin a son public. Et ce public comporte plusieurs gĂ©nĂ©rations.

 

Jean-Michel Rotin a d’autres titres bien plus connus que RĂ©tĂ© Simp : LĂ© Ou Lov’ , par exemple, a Ă©tĂ© un de ses premiers gros tubes. Ou AdiĂ© An Nou.  Il y a pu aussi y avoir le titre Stop qui, dans sa version studio, m’avait moyennement plu, mais qui sur scĂšne prenait toute sa force. Plus rĂ©cemment, mĂȘme si ça date de plusieurs annĂ©es maintenant, sa reprise du titre Begui Begui Bang avait bien marchĂ© Ă  ce que j’avais compris. Et il a fait d’autres tubes.

 

 

 

Un ou une compatriote « opiniĂątro- Rotinophile Â» me reprochera sĂ»rement d’avoir omis une quantitĂ© astronomique des tubes produits par Jean-Michel Rotin. Et me fera sĂ»rement remarquer qu’une sĂ©rieuse formation de remise Ă  niveau s’impose de maniĂšre urgente- et critique- pour moi.

 

Mais ma prioritĂ©, ici, est de parler de Jean-Michel Rotin et de contribuer, selon mes moyens, Ă  le faire connaĂźtre un petit peu plus. Je rappelle qu’en France, comme d’autres artistes antillais, Rotin reste bien moins connu que Francky Vincent.

 

Francky Vincent a aussi ƓuvrĂ© pour la musique antillaise et est loin d’ĂȘtre le grand « niais Â» ou l’animateur « pour virĂ©es tropicales Â» façon Club Med qu’il a l’air d’ĂȘtre pour certains amies  et amis « mĂ©tros Â». Francky Vincent a aussi pu composer des titres engagĂ©s sur la sociĂ©tĂ© antillaise. Mais, mĂȘme si je suis trĂšs loin d’ĂȘtre Ă  jour, il  y a d’autres artistes qui « comptent Â» en dehors de Francky Vincent et de Kassav’ lorsque l’on parle de Zouk aux Antilles. Jeunes et moins jeunes. Comme le groupe Akiyo dont Kassav’ a utilisĂ© un des titres pour l’ouverture de ses concerts il y a deux ou trois ans. A la fĂȘte de l’HumanitĂ© par exemple : 

Kassav’  et Quelques photos de la fĂȘte de l’Huma 2019 

 

Cependant, pour reparler de Jean-Michel Rotin, je trouve que le titre Mwen Ni To reste sous-estimĂ©. Mais je n’étais pas « au pays Â» Ă  sa sortie pour pouvoir ĂȘtre pĂ©remptoire.

 

Les clips des chanteurs et chanteuses de Zouk peuvent apparaßtre trÚs kitsch, clichés ou ridicules. Plusieurs révolutions de la pellicule sont sans doute nécessaires.

 

Toutefois, il faut alors se rappeler que le but du Zouk n’est pas de rivaliser avec le cinĂ©ma d’un Wong-Kar-Wai ou d’un Lars Von Trier. Ni de se prĂ©parer Ă  effectuer des Ă©tudes de philo ou de sociologie Ă  la fac en rĂ©flĂ©chissant Ă  la pensĂ©e d’un Cioran ou d’un Durkheim. Mais d’abord de trouver et de donner de la force et du plaisir pour vivre et ĂȘtre ensemble malgrĂ© la duretĂ© de la vie.  Et, cela part du corps et du bassin. Ce que le groupe Kassav’énonce dans son titre Zouk La SĂ© Sel MĂ©dikaman Nou Ni, un de ses nombreux tubes. Mais aussi au moins
. le rĂ©alisateur Quentin Dupieux alias Mr Oizo Ă  travers Duke le flic ripoux- et mĂ©lomane- de son film Wrong Cops que l’on put d’abord voir dans une version court-mĂ©trage ( 2012-2013). Film dans lequel on peut voir le chanteur Marilyn Manson hilarant dans son rĂŽle de David Dolores Frank.

 

Le titre Zouk La SĂ© Sel MĂ©dikaman Nou Ni est peut-ĂȘtre moins connu – pour certains « jeunes Â» et moins jeunes- que le Djadja d’Aya Nakamura. Mais c’est nĂ©anmoins un tube mondial. Et presque aussi intergĂ©nĂ©rationnel que le Sex Machine de James Brown lĂąchĂ© dans les oreilles
.en 1966. Si je ne me trompe pas.  

https://youtu.be/1UzZUfFUnxY

 

Enfin, rappelons que Jocelyn BĂ©roard, une des meneuses du groupe Kassav’, faisait partie des chƓurs lors de l’enregistrement du titre RĂ©tĂ© Simp de Jean-Michel Rotin.

Un Art suprĂȘme :

 

 

John Coltrane a composĂ© entre autres le titre A Love Supreme.

 

 

Pour moi, la musique fait partie des Arts suprĂȘmes. Avant et devant le cinĂ©ma. Si les images nous parlent, la musique, elle, est l’étincelle qui peut nous dĂ©clencher avec trĂšs peu. Qu’un titre ait deux jours, cinq mois ou cinquante ans, si le cuivre dont est fait son rythme, son horizon ou son poids, sont calibrĂ©s pour nous, ils peuvent nous suivre jusqu’à la mort. Ou semblent nous avoir toujours attendus.

 

Parfois, ce mĂȘme titre parlera aussi Ă  d’autres. Parfois, pas. Mais ça ne changera rien pour nous. Il fera toujours partie de notre appareil vestibulaire et de notre vestiaire. Il sera toujours Ă  notre adresse.

 

Bien-sûr, tous les arts comptent. Mais un monde sans musiques
.

 

La musique que l’on aime Ă©couter brĂ»le l’horreur. Elle nous aide Ă  la soutenir, Ă  la convertir et Ă  la contourner. Bob Marley a pu chanter :

 

« Hit me with Music ! Â». Il n’a pas chantĂ© : « Frappez-moi avec des mathĂ©matiques ! Â». Ou « Frappez-moi avec les concepts spĂ©cifiques Ă  la PhĂ©nomĂ©nologie ! Â». MĂȘme si ces disciplines ont bien-sĂ»r leur rĂŽle Ă  jouer.

 

La musique peut nous aider Ă  nous redresser. Elle nous entraĂźne afin de continuer- Ă  vivre- mĂȘme lorsque l’horreur et la tristesse nous passent et nous repassent dessus.

 

 

Pour moi, le rire est pareil. C’est aussi notre rĂ©volution : on ne passe pas notre temps qu’à subir et Ă  se rĂ©duire. On rĂ©agit, aussi. On crĂ©e son Big Bang. On anticipe.

 

Cela ne fait pas de nous des Dieux, des super-héros ou des super puissances. Mais on existe. On apprend à supporter notre matiÚre et les tourments qui peuvent aller avec.

 

Le rire et la musique nous donnent le droit d’exister. Ce droit n’est pas donnĂ© Ă  tout le monde. Il y a des personnes qui en sont privĂ©es. Et d’autres qui s’en dĂ©tournent.

 

Ce dimanche 21 mars 2021, je ne vais pas me priver.

 

Depuis quelques jours, je « dĂ©couvre Â» Georges Brassens. Jusqu’à maintenant, je n’aimais ni sa voix ni son rythme. Mais, il y a quelques jours, par le titre Je me suis fait tout petit, je crois avoir trouvĂ© une entrĂ©e, mon entrĂ©e, dans son Ɠuvre. LĂ  oĂč des alpinistes vont trouver une-nouvelle- voie pour escalader une montagne.

 

 

 

Il faut quelques fois un titre pour trouver son propre passage vers un artiste. Comme il faut quelques fois son moment particulier pour trouver son passage vers quelqu’un ou vers une nouvelle discipline.

 

Ensuite, chef d’Ɠuvre, ratĂ©, meurtre, ou massacre, le rĂ©sultat dĂ©pend de la co-composition – ou co-crĂ©ation- des uns et des autres.

 

De ce que l’on est capable de dĂ©tecter et de fabriquer. Des ressources que l’on peut –accepter- trouver chez d’autres. Ou leur apporter.

 

AprĂšs  Brassens, il y aura le titre Hear my Train A Comin’ de Jimi Hendrix car, pour moi, c’est l’un des meilleurs alliĂ©s du titre de John Lee Hooker Oh, Come back, Baby, Please Don’t Go
 One More Time.

 

( il existe différentes versions souvent plus étendues du titre  » Hear My Train A Coming »).

 

 

 

Une autre fois, je parlerai peut-ĂȘtre de Dub,  de Maloya ou de Miles (Davis).

Paris, ce vendredi 19 mars ou samedi 20 mars 2021, le matin.

 

 

Franck Unimon, dimanche 21 mars 2021.

 

Catégories
Musique

Les gens ne se rendent pas compte

Photo prise en novembre 2020, Ă  la gare de Paris St Lazare.

 

                                            Les gens ne se rendent pas compte

«  Cela va provoquer une rĂ©volution des mƓurs ! Â» Il y a trente ans, j’étais demeurĂ© incrĂ©dule lorsqu’un enthousiaste avait parlĂ© d’internet. Ce fut notre seule rencontre. Peut-ĂȘtre avais-je trouvĂ© qu’il en faisait un petit peu trop avec son internet. C’était une connaissance d’une amie rencontrĂ©e lors d’un sĂ©jour en Ecosse. Amie, que je ne vois plus depuis longtemps.

Quant Ă  lui, je me rappelle Ă  peine du non-lieu- un salon auquel m’avait conviĂ© cette amie qui faisait des hautes Ă©tudes de commerce- oĂč nous nous Ă©tions croisĂ©s. J’ai oubliĂ© son nom et son visage. Je ne pourrais pas le reconnaĂźtre. Mais je me rappelle encore de sa formulation. 

 

 

Entre la station de métro et la statue du Lion, intuitivement, je me dirige vers cet homme. Nous ne nous sommes donnés aucun indice. Mais, aussitÎt, son grand sac à la main, il se dirige vers moi. Nous avons rendez-vous.

 

Sur un site internet de vente entre particuliers, celui-ci proposait un CD qui a attirĂ© mon attention. Cela faisait des mois que l’annonce Ă©tait en ligne. Depuis l’étĂ©. Machinalement, j’ai tapĂ© un nom sur ce site et son annonce est apparue.

Ce Cd existerait seulement en mille exemplaires. Et les deux artistes prĂ©sents sur l’album, bien-sĂ»r, ont eu une incidence sensible sur ma vie personnelle Ă  un moment ou  Ă  un autre. Sans doute que leur musique a filtrĂ© Ă  certaines pĂ©riodes de mon existence. Ces pĂ©riodes correspondent Ă   ma rĂ©volution des mƓurs. Et, je recherche Ă  nouveau la dynamique de ces cycles en venant acheter ce Cd. Ce sont pourtant des artistes- morts aujourd’hui- que j’écoute beaucoup moins qu’à une certaine Ă©poque. Mais on sait l’importance qu’il y a Ă  savoir retourner vers certaines de nos origines. Pour ensuite mieux repartir ou, tout simplement, pour mieux faire le tri.

 

Surtout, qu’entre-temps, je me suis diversifiĂ©.  Mon pĂšre a Ă©tĂ© un vĂ©ritable amateur de musique (ses anciens numĂ©ros de Best et de Rock & Folk en attestent). Ma mĂšre Ă©tait plutĂŽt une sentimentale avec ses albums de Dalida, Nana Mouskouri ou de Julio Iglesias. NĂ©anmoins, Ă  la maison, il existait un consensus parental implicite ainsi qu’une frontiĂšre tant culturelle que mentale.  Et cette frontiĂšre pouvait ĂȘtre une carapace ou un blockhaus Ă  mĂȘme de stopper toute organisation sonore suspecte ou non reconnue. La musique, c’était plutĂŽt fait pour danser. On n’y aurait pas entendu de la musique classique, et encore moins des artistes comme Depeche Mode, Björk, Christophe MaĂ©, Julien DorĂ©,  Slimane ou Kenji Girac.

 

 J’ai vu mes parents, et bien des membres de ma famille, danser dans des soirĂ©es ou dans des mariages sur des musiques noires. Des Antilles, d’AmĂ©rique latine et des Etats-Unis, bien-sĂ»r. Et, j’ai dansĂ© aussi. Confirmant sans y penser des rituels et des alliances que ma famille avait nouĂ© et respectĂ© envers  la vie et la mort.  Jamais sur du Jacques Brel, du Georges Brassens, du Alain Souchon, du Johnny Halliday , du Michel Polnareff ou du Christophe. Ni sur du Blues non plus, d’ailleurs.  MĂȘme si mon pĂšre possĂ©dait un album de John Lee Hooker. Chaque famille a ses rituels et ses alliances envers la vie et la mort. C’est comme ça depuis longtemps.

 

https://youtu.be/8Zwyhk5LqCc

 

Oui, parce-que je suis comme les vampires ou comme la femme rouge MĂ©lisandre de Game of Thrones, interprĂ©tĂ©e par l’actrice Carice Van Houten (on pourra la revoir plus jeune dans le trĂšs bon film Black Book de Paul Verhoeven) . Je parais plus jeune que mon Ăąge. A la fin de cet article, je m’Ă©vaporerai aussi. Plusieurs de mes « divinitĂ©s Â» musicales et scĂ©niques ont vĂ©cu Ă   une Ă©poque prĂ©historique. La plupart de celles et ceux qui font les tubes d’aujourd’hui en France et ailleurs les connaissent gĂ©nĂ©ralement. Car une trĂšs forte culture musicale- souvent Ă©clectique et Ă©tonnante- fĂ©dĂšre rĂ©guliĂšrement les artistes qui rĂ©ussissent (et mĂȘme ceux qui restent « inconnus Â»). Mais parmi les millions d’adorateurs du moment que compte la musique et le numĂ©rique, cette connaissance ou cette curiositĂ© historique est parfois absente ou dĂ©laissĂ©e.

 

 

Cela peut faire rire de lire ça – et c’est trĂšs drĂŽle- mais cela signifie, aussi, que lorsqu’ensuite, on fait des rencontres en dehors de chez soi, hors de son cercle, nos codes, notre identitĂ© et nos approches Ă©motionnelles et corporelles s’activeront et parleront bien des fois pour nous, sans mĂȘme que l’on s’en aperçoive. Et, peu importe que nos intentions soient sincĂšres et amicales. Il y aura des malentendus rĂ©ciproques, pour ne pas dire stĂ©rĂ©ophoniques. MĂȘme si nous avons des projets conjoints. Il s’agira d’apprendre Ă  s’Ă©couter et Ă  se coordonner comme pour tout projet que l’on rĂ©alise avec d’autres. 

 

Cependant, je reste Ă©tonnĂ© par cette facilitĂ© avec laquelle, dĂ©sormais, des inconnus peuvent se rencontrer aprĂšs s’ĂȘtre dĂ©couverts un intĂ©rĂȘt commun (une vente, un achat, un loisir, un dĂ©sir, un besoin, un service) sur
.internet.

 

« Les gens ne se rendent pas compte
 Â» m’avait  dit ce vendeur deux jours plus tĂŽt.

 

C’était au tĂ©lĂ©phone lors de notre premier contact direct. Il ne me parlait pas de Jul, Dinos, Damso, Soprano, Niska, Ninho, Aya Nakamura, Booba, Maes, Soolking, Lou and the Yakusa, Stromae, AngĂšle, Julien DorĂ©, Eddy de Pretto et de bien d’autres artistes en France qui sont aujourd’hui ou depuis des annĂ©es les « hĂ©ros Â» de millions d’auditeurs. Dont certains seront les rois ou les flĂ©aux musicaux de demain.

 

Lui, il me parlait de James Brown, Tina Turner, Charles Aznavour. Des artistes d’envergure comme on n’en verrait plus et qu’il avait vu de prĂšs en concert.  Il me parlait aussi de
Prince (qu’il avait vu trois fois en concert)  et de Miles Davis. Il allait me vendre le Cd sur lequel se trouve le seul concert enregistrĂ© oĂč ils ont jouĂ© tous les deux ensemble. C’était Ă  Paisley Park le 31 dĂ©cembre 1987.

 

 

Nous aurions pu nous rencontrer deux jours plus tĂŽt. Mais j’avais prĂ©fĂ©rĂ© reporter. Deux jours plus tĂŽt, je faisais mon dernier pot de dĂ©part dans mon service. Et, je voulais prendre le temps de bien le faire.

 

Alors qu’il me rĂ©pĂšte pratiquement mot pour mot, ce qu’il m’avait dit au tĂ©lĂ©phone, je m’avise qu’il a vĂ©cu bien des moments extraordinaires au bord de la scĂšne. Mais au bord, aussi, d’une certaine solitude. Sans doute suis-je aussi seul que lui et que je me rĂ©pĂšte comme lui. Raison pour laquelle je suis peut-ĂȘtre parti de mon service pour un autre. Et que je me retrouve ce soir devant lui, place Denfert-Rochereau.

 

Lorsque je me sĂ©parerai de lui, muni de son CD que je lui aurai achetĂ©, ce sera comme si, d’une certaine façon, j’aurais essayĂ© de me procurer un nouveau moyen, un nouveau gri-gri. Afin de retrouver ou de mieux  me rapprocher du meilleur de ce que je crois ĂȘtre mon passĂ©. Celui d’une certaine insouciance, du plaisir et de la crĂ©ativitĂ©. Pas un monde de couvre-feu et de pandĂ©mie oĂč l’on a principalement la peur comme pilule du lendemain. MĂȘme si, lorsque j’étais plus jeune, la peur pouvait dĂ©jĂ  ĂȘtre omniprĂ©sente et le sera encore demain. En 1987,  j’exerçais mon insouciance Ă  temps partiel. J’avais quittĂ© le lycĂ©e un an plus tĂŽt aprĂšs le Bac. J’avais peur de connaĂźtre la dĂ©chĂ©ance traumatisante du chĂŽmage. C’était en pleine Ă©pidĂ©mie du Sida (Prince en parle dans son titre-tube Sign’O Time : «  a big disease with a little name Â»). Je dĂ©couvrais le monde adulte et du travail Ă  l’hĂŽpital. Plusieurs fois, je m’étais demandĂ© ce que je faisais lĂ . PlutĂŽt que d’assister Ă  une rĂ©volution des mƓurs, j’avais l’impression d’évoluer dans un univers clos. Cet univers me tutoyait et m’intimait, par ses divers intervenants,  d’apprendre Ă  lui obĂ©ir. Le but ultime Ă©tant de lui ressembler. Lorsque j’effectuais mes stages de formation, bien des collĂšgues en poste, plus ĂągĂ©es que moi, me donnaient le sentiment de n’avoir « que Â» leurs enfants, leur mari ou leur travail Ă  vivre et Ă  raconter. Pour moi, l’idĂ©aliste, c’était dĂ©primant. AprĂšs l’obtention de mon diplĂŽme, j’ai Ă©tĂ© en colĂšre pendant trois ans envers ces Ă©tudes. Je suis nĂ©anmoins restĂ© raisonnable.

Mais peut-ĂȘtre Ă©tais-je trop vieux avant de devenir adulte. Et que je commençais dĂ©ja, sans mĂȘme m’en rendre compte, Ă  ĂȘtre Ă  court d’une certaine luciditĂ© en acceptant d’ĂȘtre raisonnable. Petit Ă  petit, l’idiot- comme le dĂ©ment- fait aussi son nid.

 

 

Tout le monde dormait chez moi quand j’ai commencĂ© Ă  Ă©couter le CD au casque. Si j’ai aimĂ© danser sur des tubes de Prince, si j’ai pu aimer voir et revoir la reprise de Beautiful Ones par Bilal en son hommage- Ă  la suite de la prestation d’Erykha Badu– je reste extĂ©rieur Ă  son Art supĂ©rieur. Je ne crois pas que cela ait quoique ce soit Ă  voir avec le fait que Prince ait « recyclĂ© Â» ses aĂźnĂ©s tels Jimi Hendrix ou ses contemporains. Bien des artistes le font. En moins bien mĂȘme s’ils sont plus artistes que prothĂ©sistes musicaux. Lenny Kravitz, par exemple.

 

Pour moi, les groupes Blur et Oasis dont on nous avait beaucoup parlĂ© dans les annĂ©es 90-2000 doivent beaucoup aux Beatles. Un groupe dont je subis quelques fois l’écoute ou l’éloge et que je continue de repousser hors de mon assiette musicale avec suspicion malgrĂ© ou Ă  cause de toute l’admiration qu’il gĂ©nĂšre. MĂȘme si je me souviens trĂšs bien du titre d’un 45 tours des Beatles dans la discothĂšque paternelle : Lady Madonna. A cĂŽtĂ© d’albums 33 tours de Bob Marley, Jimmy Cliff, Steel Pulse, James Brown, Les Aiglons, Black Uhuru, Simon Jurad, OphĂ©lia, Parliament, U-Roy, Stevie Wonder, Eddy Grant
. Ces disques de mon pĂšre, je les ai soit entendus Ă  la maison, soit je les ai mis ou remis un jour sur sa platine disque Ă  son insu lors de mon adolescence. J’ai fait pareil avec ses anciens numĂ©ros de L’Equipe Magazine ainsi qu’avec ses Play-Boy et ses Lui. MĂȘme « cachĂ©s Â» ou prĂ©tendument bien rangĂ©s au dessus d’étagĂšres.

 

Mais si Prince m’est tombĂ© dessus un jour par la voie de la radio, Miles, c’est l’artiste Ă©coutĂ© pour la premiĂšre fois dans la chambre d’un copain, sur sa chaine Technics, vers mes 17 ans. Pour aller chez ce copain, dans notre immeuble HLM, il me fallait descendre. Je le faisais en prenant les escaliers. La musique de Miles, elle, me faisait prendre l’ascenseur. MystĂ©rieusement, avec son dĂ©part pour son service militaire et l’entrĂ©e dans « l’ñge Â» adulte, les possibilitĂ©s de cette  amitiĂ© avec ce copain  se sont taries. Mais les virtualitĂ©s de la musique de Miles sont restĂ©es en ma possession Ă  moins que ce ne soit plutĂŽt elles qui se soient mises Ă  me possĂ©der de maniĂšre durable. La musique de Miles n’est pas la plus joyeuse qui soit. Il m’arrive donc d’ĂȘtre surpris par son aura auprĂšs de certains intellectuels. Comme si c’était la fĂȘte. Miles n’incite pas Ă  rouler des pelles Ă  sa voisine ou Ă  son voisin. On entre plus dans la tombe du dĂ©funt que l’on n’assiste Ă  l’avĂšnement du dauphin. Miles nous annonce superbement que notre vie commencera par la fin. Et c’est dĂ©finitif. Il ne peut en ĂȘtre autrement. Mais, bon, Lou Reed, Johnny Cash, David Bowie ou les Cure non plus n’étaient pas et ne sont pas des horizons trĂšs drĂŽles. Pas plus que d’autres artistes de Rap, de variĂ©tĂ©s ou de techno. Et, personne ne s’en plaint. C’est donc qu’il existe un besoin au moins cathartique de les Ă©couter et de s’en mettre plein les enceintes et les Ă©couteurs.

 

Entre le rĂ©chaud de Prince et l’échafaud de Miles, j’attendais que ce CD m’apporte la touche finale. Mais d’abord, rien. Peut-ĂȘtre que personne ne s’en Ă©tonnera vu ce que j’ai pu Ă©crire de ma relation avec Miles.

 

Le son Ă©tait effectivement passable. Les titres se bouclaient bien. Mais « rien Â». Ce « rien Â» provient sĂ»rement d’une faute de frappe :

Sur la couverture du CD, on peut  voir une photo de Miles ainsi que le titre Miles From The Park. Nous sommes en 1987 et je suis alors « en plein Â» dans Miles. Un an plus tĂŽt, il a sorti l’album Tutu. La premiĂšre fois que j’avais entendu ce titre ou Don’t Lose Your Mind par hasard sur FIP (une radio  trĂšs Ă©coutĂ©e par les vampires adolescents et adultes. Les animatrices y ont des voix de jeunes pousses fĂ©minines d’avant l’anesthĂ©sie gĂ©nĂ©rale), j’avais « reconnu Â» le son sans trop oser le croire. Il Ă©tait revenu avec un nouvel album !

 

Au tĂ©lĂ©phone, l’animatrice ou la standardiste m’avait confirmĂ© la nouvelle avec un son d’évidence. Mais il m’avait fallu quelques secondes pour bien intercepter sa rĂ©sonance.

 

Sauf que sur ce Cd vendu par un amateur de Prince, Miles joue Ă  peine. C’est un album de Prince. Pas de Miles. Alors, je me dis que la nostalgie m’a vraiment rendu ringard. Et, c’est trĂšs dur de devoir admettre que ma ringardise m’a administrĂ© un trajet de quarante cinq minutes et fait dĂ©penser vingt euros. Qu’est-ce que ce sera la prochaine fois ?!

Un album de Vanessa Paradis avec Aretha Franklin en couverture ?!

 

 

Je raisonne comme ça jusqu’au dernier soupir : le titre It’s going to be a beautiful night.  D’une durĂ©e de 33 minutes et 55 secondes contre un peu plus de 10 minutes sur l’album Sign’ O’ The Time. Mais c’est ici davantage un medley. AprĂšs l’avoir Ă©coutĂ© une premiĂšre fois, je n’hĂ©site pas. Je le remets une seconde fois. Puis, une troisiĂšme fois.

Sur mon ordinateur, le CD Rom a beau refuser de me livrer les images vidĂ©os de ce concert, je me dis que j’ai bien fait d’acheter ce CD. Je l’ai rĂ©Ă©coutĂ© depuis. Non, rien de rien, je ne regrette rien.

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 17 janvier 2021.

 

 

 

Catégories
Musique

Hate This Pain un titre de Tricky

 

                                         Hate This Pain un titre de Tricky

 

 

 

Certaines personnes diront mon cƓur. Mais ça ne serait pas plutĂŽt un train ou un ascenseur ?

Une voix, c’est du sable. Tout Ă  coup, il se met Ă  pleuvoir.  Et l’on est face Ă  soi. Et l’on tient Ă  tout ce que l’on voit mĂȘme si c’est un embrun.

 

Une Ăąme ne court pas les trains. Elle est faite avec le grain de milliards de souvenirs. Aucune vie ne peut tous les retenir. Le sable est partout. Physique du deuil, il est cette douleur et cette bouche que l’on touche. Que l’on Ă©coute.

 

Tricky a perdu sa fille. Il en parle dans son album Fall To Pieces. Quand je l’ai appris, je me suis dit que je ne voulais pas entendre ça. Que j’aurais l’impression d’ĂȘtre un voyeur.

Puis, je me suis fait offrir cet album pour mon anniversaire par une femme que je connais. Les titres sont assez courts.

L’album couvre 29 minutes. Tricky  y « chante Â» Ă  peine. Il laisse deux femmes chanter la plupart de ses textes :

Marta Zlakowska et Oh Land.

 

Tricky a toujours cette voix de celui qui tente de muer et de se dĂ©terrer son corps. Je l’ai aperçu une seule fois sur scĂšne. Au 104. J’avais Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir Ă  quel point  il cherchait Ă  passer incognito. Alors qu’il Ă©tait seul sur scĂšne. Et, nous, nous Ă©tions nombreux Ă  ĂȘtre venus pour lui.

 

La musique de son album Fall to Pieces est incroyablement douce. A la limite du supportable. Sans doute que la colĂšre ne lui sert plus Ă  rien. Alors, on crie pour lui.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 5 octobre 2020.

Catégories
Corona Circus Echos Statiques Musique

Manu Dibango

 

 

 

 

                                                      Manu Dibango

 

 

 

Hier matin, en sortant du travail, je suis retournĂ© devant le PanthĂ©on. Il faisait trois degrĂ©s. J’étais retournĂ© lĂ  car, aprĂšs l’avoir plusieurs fois Ă©voquĂ© dans des articles prĂ©cĂ©dents ( tel que Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020 par exemple),  je voulais, cette fois-ci, silencieusement interroger ce symbole :

 

« Aux Grands hommes, La Patrie Reconnaissante Â»

 

J’ai Ă  nouveau pris des photos. Puis, j’en ai profitĂ© pour aller voir du cĂŽtĂ© de Notre Dame pour laquelle des milliardaires ont Ă©tĂ© prĂȘts Ă  mettre la main Ă  la poche afin de la faire reconstruire. Alors que l’on entend moins parler de ces milliardaires et de bien des cĂ©lĂ©britĂ©s quand il s’agit de rĂ©parer les hĂŽpitaux publics.

 

 

J’avais prĂ©vu de me servir de ces photos pour illustrer un article qui devait s’appeler :

 

Le silence des organes.

 

J’ai pris des notes pour Ă©crire cet article. Je savais qu’il serait long. J’étais inspirĂ©.

Je pourrais encore l’écrire. Mais je me suis dit qu’il y avait d’autres prioritĂ©s. Que je m’étais dĂ©jĂ  suffisamment exprimĂ© sur l’épidĂ©mie que nous connaissons. Qu’il me fallait revenir Ă  d’autres sujets davantage pourvoyeurs de vie.

 

« Le silence des organes Â» est une expression que j’avais dĂ©couverte Ă  la fin des annĂ©es 80 Ă  l’hĂŽpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre. Laquelle Ă©tait, Ă  ce que m’en avait dit ma mĂšre, une ancienne prison pour femmes.

La Maison de Nanterre Ă©tait aussi le « havre Â» de certains SDF. J’ai connu cet hĂŽpital dĂšs mon enfance. Ma mĂšre y a Ă©tĂ© aide-soignante pendant des annĂ©es dans un service de rĂ©animation. Et deux de mes tantes y ont aussi travaillĂ©.  

 

Lors d’un de nos cours, pendant mes Ă©tudes d’infirmier, nous avions rĂ©flĂ©chi Ă  la dĂ©finition que nous pourrions donner au fait d’ĂȘtre en bonne santĂ©. La personne qui animait le cours, ce jour-lĂ , nous avait sorti cette expression de ses recherches. Je me rappelle de mon amie BĂ©a, mon aĂźnĂ©e de plusieurs annĂ©es, une pointure en tant qu’infirmiĂšre, qui s’était exclamĂ©e :

« C’est fort ! Â».

Le silence des organes n’a donc a priori rien Ă  voir avec la mort. MĂȘme si on y pense trĂšs fort en ce moment et que le musicien Manu Dibango est mort aujourd’hui ou hier.  Du Coronavirus Covid-19. J’ai appris son dĂ©cĂšs tout Ă  l’heure par hasard, sur le groupe What’s App de ma famille.

 

Il est nĂ©anmoins quelque chose de trompeur dans cette expression, «  silence des organes Â», pour parler du fait que l’on est en bonne santĂ©. Car  chaque organe a son bruit spĂ©cifique lorsqu’il va bien. Par contre, son bruit se dĂ©range lorsqu’il va mal. Rappelez-vous lorsqu’un mĂ©decin vous dit de tousser, ou de dire « 33 Â», vous ausculte, alors que vous le consultez parce-que vous ne vous sentez pas bien. Entendre, Ă©couter les mouvements internes d’un corps, c’est aussi ce qui permet de savoir s’il est en « paix Â».

Il en est de mĂȘme lorsque l’on Ă©coute la voix d’un proche ou d’une proche. Il nous est souvent possible de dĂ©celer si elle ou s’il est dans son assiette si l’on connaĂźt cette personne vĂ©ritablement. 

Si l’on est un peu attentif, on peut assez bien percevoir si son attitude et son regard concordent avec ses propos pour peu que cette personne soit « vraie Â» devant nous. Pour peu qu’elle ne porte pas un masque et ne soit pas experte dans cette grande comĂ©die sociale qui consiste Ă  dire que tout va bien quand ça va mal mais aussi Ă  dire que ça va trĂšs mal alors que cela ne va pas si mal que ça.

 

Mais des organes vĂ©ritablement et dĂ©finitivement silencieux, Ă  moins d’ĂȘtre dans un Ă©tat de lĂ©thargie particuliĂšrement complexe et indĂ©tectable, et encore !, signifient quand mĂȘme notre arrĂȘt de vie dĂ©finitif. Tout au moins sous notre forme humaine habituelle. Ensuite, on peut Ă  peu prĂšs tout concevoir. Et, c’est ainsi que je me raccroche Ă  nouveau Ă  Manu Dibango, dĂ©cĂ©dĂ© Ă  86 ans.

 

Je ne pensais pas Ă  Manu Dibango lorsque dans un de mes rĂ©cents articles, j’écrivais qu’il y avait sĂ»rement des personnes que je « connaissais Â» qui allaient mourir dans l’épidĂ©mie. Pourtant, je pensais Ă  lui depuis quelques jours.

 

Il se trouve qu’il y a bientĂŽt deux semaines, ou un peu moins, je m’étais rendu dans un magasin afin d’aller acheter le dernier album de l’artiste de Maloya, DanyĂšl Waro.

 

DanyĂšl Waro fait actuellement partie des artistes auxquels je suis particuliĂšrement attachĂ©. Avec une Ann  O’Aro par exemple. Le Maloya est pour moi tellement proche du Gro-Ka, du LĂ©woz et du Bel-Air des Antilles qu’il a fini par me rattraper avec les annĂ©es. La boite de nuit parisienne,  Le Manapany, est sans doute l’endroit oĂč j’avais entendu du Maloya pour la premiĂšre fois dans les annĂ©es 90. Pourtant, j’ai oubliĂ© oĂč elle se trouve.

 

Et, il y a quelques jours, c’est en allant acheter le dernier album de DanyĂšl Waro, que j’ai fini par fureter dans les rayons de disques comme lors de mon adolescence. Peut-ĂȘtre le jour oĂč j’étais allĂ© voir l’exposition de la derniĂšre tournĂ©e de NTM – en accĂšs libre-  sous la canopĂ©e aux Halles encore pour un jour. Exposition (du 20 fĂ©vrier au 10 mars 2020)  dont j’avais appris l’existence par hasard ainsi que la fin le lendemain en me rendant au cinĂ©ma. En allant voir, je crois, le film L’appel de la ForĂȘt. J’avais prĂ©vu d’écrire sur cette exposition comme sur ce film mais je ne l’ai pas encore fait.

Cette photo fait partie de celles prises par le photographe Gianni Giardinelli lors de la derniÚre tournée du groupe NTM. Les photos ont été exposées sous la canopée des Halles du 20 février au 10 mars 2020.

 

Dans le magasin de disques, ce jour-lĂ , je me suis rapidement retrouvĂ© avec plusieurs disques. Un classique. C’est pareil dans un magasin de dvds et de blu-rays. Et c’est aussi comme ça dans la librairie et la mĂ©diathĂšque de ma ville en temps usuel.

 

AprĂšs plusieurs hĂ©sitations et quelques Ă©coutes, et en comparant aussi le rapport qualitĂ©/prix, j’étais reparti avec l’album de DanyĂšl Waro
.et cette compilation de Manu Dibango.

 

Autant l’album de DanyĂšl Waro ne m’a pas, pour l’instant, entraĂźnĂ©, autant la compilation de Manu Dibango m’a rapidement plu.

 

 

 

J’avais dĂ©jĂ  Ă©coutĂ© du Manu Dibango, il y a plusieurs annĂ©es. Je l’avais aussi vu en concert Ă  Cergy St-Christophe, sur l’esplanade de Paris, il y a environ vingt ans, lors d’un concert gratuit. J’ai le souvenir d’un trĂšs bon concert. Un trĂšs bon bassiste figurait parmi ses musiciens.

 

Manu Dibango, DanyĂšl Waro, Arno et d’autres font partie de ces artistes qui sont lĂ  pour la vie. Au delĂ  de soixante ans, on les voit sur scĂšne avec une envie et une Ă©nergie que beaucoup ont dĂ©ja perdu lorsqu’ils ont Ă  peine passĂ© les limites de l’adolescence. Je m’inquiĂšte par moments de ce qu’il me reste de ce passĂ©. 

 

Un article signĂ© Youness Bousenna dans le TĂ©lĂ©rama de cette semaine parle du documentaire La DisgrĂące  rĂ©alisĂ© par Didier Cros. Ce documentaire passe ce soir sur France 2 Ă  23h40. La DisgrĂące est fait du tĂ©moignage de cinq personnes dont le visage dĂ©figurĂ© occasionne une grande souffrance personnelle. Souffrance due Ă  la dĂ©formation de leur visage mais aussi Ă  la violence du regard des autres.

 

Dans cet article, Youness Bousenna Ă©crit entre-autres :

 

«  (
.) Sans commentaire, le film les laisse raconter leur souffrance initiale et la violence que le regard des autres y ajoute, la tentative d’apprivoiser son visage en mĂȘme temps que la solitude que celui-ci leur inflige Â».

 

J’ai beaucoup aimĂ© que Youness Bousenna me fasse entrevoir que chaque visage, dĂ©formĂ© ou non, est une solitude.  En marge de l’article, j’ai Ă©crit de la main gauche :

 

«  De cette solitude, certains visages Ă©mergent plus que d’autres Â».

 

 

Cet article m’a rappelĂ© le dĂ©but du livre de Nina Bouraoui, Tous les hommes dĂ©sirent naturellement savoir. Je savais oĂč je l’avais rangĂ© alors je l’ai rapidement retrouvĂ©. C’est un livre paru en 2018 et que j’ai sĂ»rement achetĂ© dĂšs sa sortie. Un de plus, parmi tous ceux que j’ai achetĂ©s, que je n’ai pas encore lus, et dont le dĂ©but est :

 

«  Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, malheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la Seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant ils sont mes miroirs. Nous formons un seul cƓur, une seule cellule. Nous sommes vivants Â».

 

Manu Dibango Ă©tait un homme joyeux. En tout cas sur scĂšne Ă  ce que j’ai vu. Son rire grave est aussi cĂ©lĂšbre que sa musique. Figure de Bokassa ou de CoupĂ©-ClouĂ© (les Antillais de plus de 50 ans sauront de qui je parle), Manu Dibango avait une stature et une autoritĂ© plus frĂ©quentables que celle de bien des dictateurs. Je me rappelle comment il avait expliquĂ© en rigolant que MichaĂ«l Jackson avait « oubliĂ© Â» de lui payer des royalties lorsqu’il avait utilisĂ© un de ses airs de musique pour composer un de ses titres.

Je me rappelle que lors d’un festival de Jazz retransmis Ă  la tĂ©lĂ©, Claude Nougaro s’était inclinĂ© devant Miles Davis, mon musicien prĂ©fĂ©rĂ©, alors que Manu Dibango existait de par sa seule prĂ©sence. Si la musique est aussi solitude, la sienne avait Ă©mergĂ© sans difficultĂ© cette soirĂ©e-lĂ  comme tant d’autres fois.

 

En prenant le temps de lire la prĂ©sentation de la compilation par Iain Scott, j’avais appris qu’avant d’ĂȘtre connu, Manu Dibango avait entre-autres jouĂ©, en France, avec Nino Ferrer mais aussi Dick Rivers et Johnny Halliday. Je suis souvent Ă©tonnĂ© par les alliances de certains artistes, que celles-ci soient musicales ou simplement amicales (telle l’amitiĂ© d’un Jacques Brel avec Johnny Halliday) comme par leur ouverture Ă  d’autres genres musicaux. Et, question ouverture, on peut dire qu’en Ă©coutant cette compilation de Manu Dibango, on entend aussi bien du Jazz, de l’Afro Beat, du Reggae, de la musique africaine. Et l’on comprend que le chanteur et bassiste Richard Bona (Ă©galement d’origine camerounaise) lui « doit Â» sans doute quelque chose.

 

Concernant la version Reggae de son Soul Makossa avec le duo Robbie Shakespeare et Sly Dunbar, en l’écoutant, on pense immĂ©diatement Ă  Serge Gainsbourg qui avait Ă©galement jouĂ© avec eux ainsi qu’avec les I-Threes « de Â» Bob Marley. Peu importe de savoir lequel avait eu l’idĂ©e le premier, Manu Dibango Ă©tait sans frontiĂšres question crĂ©ation musicale. Et le Rap ne lui a pas fait peur.

 

En Ă©coutant sa compilation, j’avais aussi beaucoup aimĂ© sa version de A La Claire Fontaine que j’avais postĂ©e sur ma page Facebook un ou deux jours avant d’apprendre sa mort. 

J’avais aussi eu envie de savoir quand il repasserait en concert. J’avais regardĂ©: un concert Ă©tait prĂ©vu en Martinique dans quelques mois. Ça faisait dĂ©ja un peu loin. 

 

Le rire de Manu Dibango est désormais entouré de silence. Mais sa musique continue de nous dire que nous sommes vivants. Et, ça, ça fait aussi beaucoup de bien à nos organes.

 

Franck Unimon, ce mardi 24 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

Catégories
Moon France Musique

Ann O’Aro

 

J’ai pris en photo la pochette de cet album il y a un an. Le 27 septembre 2018 exactement. J’ai beaucoup aimĂ© cet album. Mais je n’avais pas osĂ© en parler ou Ă©crire Ă  son sujet. J’avais commencĂ© et puis je me suis arrĂȘtĂ©.

 

MĂȘme aujourd’hui, en le faisant, je me demande avec une certaine inquiĂ©tude ce qui va m’arriver.

Peut-ĂȘtre parce-que Ann O’aro est une trĂšs belle femme et que sa voix est Le prĂ©cipice qui me jette Ă  la tĂȘte cette mauvaise conscience que je tĂšte.

Peut-ĂȘtre que sa douleur me coupe et que, par une soudaine infusion, je bats ma coulpe.

 

Lorsque je l’écoute, je me tiens Ă  distance. Sa voix authentifie certaines de mes peurs. Ainsi que l’innocence dont le poids me rappelle comme je suis lĂ©ger devant le danger. Et qu’il me mange, moi, mes rĂȘves, ma langue, mon squelette et tout ce qui va avec avant mĂȘme que je puisse lancer un seul des gestes auxquels j’avais promis de plaire.

Le soupçon est l’hameçon que le danger me laisse pour tout horizon.

 

Il me semble que si l’on Ă©coute Ann O’aro et que l’on est un garçon, si l’on est un enfant, on peut s’en sortir et savoir comment l’approcher avec suffisamment de douceur. Par contre, si l’on est un homme adulte et que l’on «sait », alors, on s’épuise, on se dĂ©courage puis l’on se repousse car on se sent l’auteur impuissant d’un carnage. Etre prĂšs d’elle est risquĂ© :

Comment savoir ce que l’on est et ce que l’on fait vĂ©ritablement alors que l’on marche, transformĂ©, sur le feu et que le feu est la peau de quelqu’un d’autre ?

 

Lorsque j’écoute Ann O’aro, plus je trouve ça beau, plus je me sens mal Ă  l’aise. Et cela arrive souvent. J’ai tellement de mal Ă  retenir ne serait-ce que l’orthographe pourtant simple de son nom. Cela fait pourtant tellement de fois que j’ai lu  et relu son nom d’artiste. La bassesse et le mal qu’elle transforme en Haut, j’ai l’impression que c’est moi qui les ai faits.

Bien-sĂ»r, c’est une illusion. C’est en tout cas ce que je crois. Elle et moi ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrĂ©s. Pourtant, j’en ai l’impression, encerclĂ©, ensorcelĂ©, dĂ©fiĂ© ?, par ce chant de paon qui me fait voir de toutes les couleurs et me prive de toute certitude.

 

Franck Unimon, jeudi 3 octobre 2019.

Catégories
Echos Statiques Musique

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

 » Danser, c’est prendre subitement en dĂ©goĂ»t tout ce qui empĂȘche de danser »

 » J’aimerais que l’une de mes chansons revienne, dans quelques annĂ©es, de l’oubli ou des malentendus (…) Faire danser les gens, longtemps aprĂšs ma mort. La vanitĂ© des vanitĂ©s. Comme ce serait consolant ».

 » Je n’allais pas bien. J’avais quarante et un ans et m’enlisais. Certes, je travaillais dans la plus grosse boite d’Europe, au Cap’tain, en Belgique. Mais ma musique pĂąlissait, elle devenait minimale, sans Ăąme, la mĂ©lodie n’existait plus. Que n’aurais-je donnĂ© pour renouer avec des Ă©motions simples ! Je rĂȘvais de compositions, de mes propres chansons, mais tout m’en empĂȘchait. Me manquaient le courage, l’argent, la chance. Je vivais seul, dans une maison qu’un Ă©crivain de jadis  eut appelĂ© masure (….) j’Ă©tais un mec Ă  la jeunesse enfuie (…..) sans aucune confiance en lui, odieusement, furieusement, maladivement mĂ©lancolique ».

C’est ce qu’a pu Ă©crire Fred Rister dans son livre Faire Danser les gens que j’avais lu cet Ă©tĂ©. En juillet, je crois. Je m’Ă©tais dit que j’en parlerais ainsi que d’autres de mes lectures. Et puis, je suis parti « ailleurs ».

Je ne connaissais pas Fred Rister avant de tomber sur ce livre Ă  la mĂ©diathĂšque. Je « connaissais »  de nom David Guetta avec lequel il a composĂ© plusieurs tubes ces dix ou quinze derniĂšres annĂ©es.

L’ancien prĂ©sident de la RĂ©publique Jacques Chirac est mort hier ou avant hier et l’on va beaucoup nous en parler et nous en reparler. Et nous expliquer comme il Ă©tait attachant et comment, avec sa mort, nous avons tous beaucoup perdu en mĂȘme temps qu’un ĂȘtre exceptionnel.

Bien des hommages Ă  certains dĂ©funts « cĂ©lĂšbres » me donnent l’impression d’ĂȘtre principalement destinĂ©s Ă  nous convaincre comme, nous, les ordinaires, nous avons des vies de merde comparĂ©es Ă  tous ces  » Monsieur » et toutes ces « Dame » qui partent. Car c’est bien connu :  » Seuls les meilleurs s’en vont ».

Alors, ce matin, plutĂŽt que de pleurer sur la mort de Jacques Chirac ou d’une autre personnalitĂ©- qui aura souvent principalement Ă©tĂ© obsĂ©dĂ©e par sa rĂ©ussite personnelle- que l’on nous sortira bientĂŽt de son dernier souffle,  je choisis de faire un hommage tardif Ă  Fred Rister, dĂ©cĂ©dĂ© dans la cinquantaine, le 20 aout dernier, d’un cancer vraisemblablement. Je n’ai pas vĂ©rifiĂ©. Mais en lisant son livre, j’avais appris qu’il avait commencĂ© Ă  se battre contre le cancer alors qu’il avait une vingtaine d’annĂ©es.

AprĂšs avoir lu son livre cet Ă©tĂ©, et donc vraisemblablement quelques semaines avant sa mort, j’avais eu envie de le contacter. De l’interviewer. C’Ă©tait Ă©videmment dĂ©ja trop tard et dĂ©placĂ©. Mais certains Ă©crits m’ont dĂ©ja donnĂ© cette envie.

Je n’aime pas particuliĂšrement ce que j’ai pu entendre, pour l’instant, de la musique de David Guetta. Mais j’avais Ă©tĂ© trĂšs touchĂ© par le livre simple et sincĂšre de Fred Rister. Bien qu’il laissera sĂ»rement moins de souvenirs que le livre sur la techno Ă©crit par Laurent Garnier, autre DJ français Ă  la renommĂ©e internationale.

C’est en rĂ©Ă©coutant bien fort un Cd du groupe Tabou Combo que je mets ce matin la derniĂšre touche Ă  cet article. La musique de Tabou Combo, le Kompa, n’a au dĂ©part rien Ă  voir a priori avec l’univers musical de Fred Rister, David Guetta, Laurent Garnier et de leurs inspirateurs, contemporains et successeurs.

 

En ce moment, j’écoute beaucoup le quadruple album du groupe Tabou Combo (Gold) empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque. C’est une façon pour moi de retrouver des titres que j’ai pu entendre enfant dans les soirĂ©es antillaises (baptĂȘmes, mariages, repas familiaux
) oĂč mon pĂšre nous emmenait et dont j’ignorais les titres. Et de les rĂ©Ă©couter avec mes oreilles d’adulte d’aujourd’hui et amateur de musiques. Depuis hier au moins, je reste « bloqué » sur les titres Allo et Banboch Paramount.

DĂšs le premier titre du premier Cd ( Tu as volĂ© ) de cet album, j’ai Ă©tĂ© Ă©patĂ© par le haut niveau musical de Tabou Combo. Comme on dit : « ça joue ! ».

J’ai aussitĂŽt compris pourquoi ce groupe de musique, ainsi que d’autres formations haĂŻtiennes, dominait le champ musical aux Antilles françaises dans les annĂ©es70 et 80 jusqu’à ce qu’arrive le Zouk et des groupes comme Kassav’ au milieu des annĂ©es 80 Kassav’ .

 

Mais l’autre point qui me marque en Ă©coutant cet album de Tabou Combo est d’ordre sociologique, culturel, identitaire et sans doute religieux.

La musique de Tabou Combo s’inspire au moins des formations Jazz, Funk, rap, ou latines.  J’ai appris cette semaine que Tabou Combo a par exemple Ă©tĂ© trĂšs populaire voire l’est encore
.au Panama !

La musique de Tabou Combo est donc plutĂŽt cosmopolite et mĂ©tissĂ©e.  C’est pourtant une musique noire, voire sauvage et Ă©bouriffĂ©e, au sens oĂč c’est le corps qui est mis Ă  l’honneur avec la danse, le rythme et la durĂ©e des morceaux. Et que l’on s’y exprime principalement en CrĂ©ole. Soit le contraire de la plus grande partie des tubes de variĂ©tĂ© française des annĂ©es 70 et 80 qui Ă©taient moins faits pour danser et pour entrer en transe. Imaginez-vous en train de danser sur des titres de Sheila, Ringo, Julien Clerc, Charles Aznavour, Mireille Matthieu, Demi Roussos, Alain Souchon, Johnny halliday, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Daniel Balavoine…

Que la transe soit nĂ©anmoins possible avec ces artistes pour leurs fervents amateurs, je peux le concevoir. Je prĂ©cise en outre que j’aime un certain nombre de titres de ces artistes. Mais danser sur leur musique….

 

Alors que les groupes comme Tabou Combo composent des titres pour faire danser les gens tout au long de la nuit et de la vie. Et, ça, c’est plus antillais et noir, africain, noir amĂ©ricain ou latin
qu’europĂ©en, cartĂ©sien, « Macronien » ou « Hollandais » et blanc.

Du moins, ça l’Ă©tait particuliĂšrement dans les annĂ©es 70 et 80.

 

En France, si je dois penser Ă  des artistes qui faisaient danser les gens dans les annĂ©es 70 et 80, je trouve qui ? Claude François. C’est peut-ĂȘtre pour cette raison ( et cette explication parviendra peut-ĂȘtre enfin Ă  me dĂ©barrasser d’une de mes hontes enfantines dĂ©finitives ) que Claude François, Ă  sa mort Ă  la fin des annĂ©es 70, Ă©tait mon chanteur « prĂ©fĂ©ré ».

 

Aujourd’hui, et cela s’est Ă  nouveau vĂ©rifiĂ© Ă  Ă  la fĂȘte de l’Huma il y a quelques jours, il suffit de mettre le titre Alexandrie, Alexandra de Claude François pour que des gens se mettent aussitĂŽt Ă  danser. Maintenant qu’il est mort, peut-ĂȘtre Fred Rister connaĂźtra-t’il aussi l’honneur d’avoir des vivants qui dansent sur sa musique et qui continueront de le faire.

 

 

On rĂ©pĂšte souvent que les Noirs ont « la musique dans le sang » ou « dans la peau ». Et des Noirs le pensent eux-mĂȘmes. C’est tellement valorisant. Je pense pourtant que c’est faux. La musique est surtout un fait culturel qui se transmet de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration.  Autrement, comme l’aurait dit Desproges, il suffirait que chaque fois qu’un Noir passe Ă  cĂŽtĂ© d’un DjembĂ©, fut-il en vitrine, il se mette Ă  jouer du Tam-Tam ou de la guitare basse comme Mozart a composĂ© de la musique. Je peux en tĂ©moigner :

J’ai essayĂ© de prendre des cours de guitare basse il y a plusieurs annĂ©es. MalgrĂ© le trĂšs bon professeur que j’avais et toute la musique Ă©coulĂ©e dans mon corps dĂšs mon enfance, je n’ai jamais rĂ©ussi Ă  ĂȘtre le musicien extraordinaire que je rĂȘvais d’ĂȘtre et ne le serai jamais. Je le regrette encore amĂšrement. Quant Ă  la danse, on me prĂȘte peut-ĂȘtre certaines aptitudes mais je sais, pour ma part, que le langage de ma danse est limitĂ© et stĂ©rĂ©otypĂ©.  D’ailleurs, pour tout cela, j’en profite pour vous prĂ©senter Ă  vous ainsi qu’à l’HumanitĂ© toute entiĂšre, mes plus humbles excuses car j’ai failli.

 

Je pourrais ĂȘtre trĂšs raciste et de mauvaise foi et dire que tout est Ă©videmment de la faute de mon professeur (blanc) de guitare basse, cet « incapable »  dont la pĂ©dagogie Ă©tait incompatible avec mon « gĂ©nie » musical nĂšgre. Mais mĂȘme si l’on est douĂ© pour elle, la musique nĂ©cessite travail et rĂ©gularitĂ©. Et j’avais manquĂ© au moins de travail et de rĂ©gularitĂ© dans ma tentative d’apprentissage pratique de la guitare basse dĂ©butĂ©e tardivement Ă  l’ñge adulte.

 

Je crois au fait que la musique, dans certaines cultures et certains milieux sociaux, est une fĂȘte et une promotion du corps en mĂȘme temps qu’un Ă©vĂ©nement social alors que dans d’autres cultures et dans certains milieux sociaux, il est honteux de « bouger », de transpirer, de crier ou de faire «bouger » son corps et ses attributs sexuels en public mĂȘme s’ils sont recouverts de vĂȘtements. C’est Ă©videmment une façon diffĂ©rente de vivre avec son corps et sa sexualitĂ©. LĂ  oĂč certains dogmes sociaux et culturels dĂ©cident d’interdire et de limiter le dĂ©placement et les Ă©lans des corps, derniĂšres marches avant l’orgasme, la transe, la « rĂ©vĂ©lation » ou la rĂ©volution, d’autres dogmes, lors de certains rituels sociaux, leur commandent de dĂ©montrer et d’exhiber leur endurance, leur harmonie, leur puissance et leur sensualitĂ©. Car il s’agit sĂ»rement de montrer comme on est un bon parti pour une nuit ou pour la vie.

 

Il y a bientĂŽt deux ans maintenant, au conservatoire d’Argenteuil oĂč j’accompagnais ma fille Ă  son cours d’initiation Ă  la danse, au chant et Ă  la musique, j’avais entendu un petit de l’Ăąge de ma fille demander Ă  voix haute Ă  sa mĂšre s’ils avaient dansĂ© son pĂšre et elle Ă  leur mariage. La maman, souriant d’ĂȘtre interpellĂ©e publiquement de cette façon par son fils, lui avait rĂ©pondu, comme une Ă©vidence, que, non, ils n’avaient pas dansĂ© lors de leur mariage. Je suis persuadĂ© que l’on peut faire et vivre un trĂšs beau mariage sans danser. Mais je suis aussi tout autant persuadĂ© qu’il est inconcevable pour un Antillais que la musique et la danse soient absentes de son mariage ou de tout Ă©vĂ©nement particulier de sa vie. J’ai encore un peu honte vingt ans plus tard d’avoir trĂšs mal choisi le DJ qui avait animĂ© la soirĂ©e d’un de mes pots de dĂ©part. Je suis sĂ»rement le seul Ă  me rappeler de cette erreur de casting.

Et il y avait bien-sĂ»r de la musique et de l’espace pour danser Ă  mon mariage. Au prĂ©alable, j’avais pris soin de constituer moi-mĂȘme la liste des titres et de la transmettre au DJ afin qu’il la passe.

Et, si j’avais pu financiĂšrement, j’aurais fait venir un groupe de Gro-Ka. En Bretagne.

 

Et je garde encore un souvenir trĂšs mitigĂ© de cette connaissance alors en couple avec un Antillais. Cette femme m’avait appris ne pas aimer la musique antillaise. Ce qui Ă©tait son droit. En revanche, sa remarque suivante m’avait froissĂ© alors qu’elle constatait, avec un certain dĂ©dain victorieux :

« Maintenant, il a compris : il écoute au casque ! ».

 

Je crois qu’Ă  partir des annĂ©es 80 et 90, sans doute avec l’apport des musiques « noires », en particulier de la Techno et de la house de Detroit et de Chicago, mais aussi de la musique africaine et du Zouk, le rapport Ă  la musique et Ă  la danse s’est transformĂ© et un peu plus « ouvert » en France  :

Bien avant cela, il y avait Ă©videmment dĂ©ja des Blancs qui dansaient et aimaient danser ou en avaient besoin. On sait nous citer et nous remĂ©morer par exemple les Fred Astaire et les Gene Kelly et d’autres artistes tels Ninjinsky et tous leurs prĂ©dĂ©cesseurs en Europe.

DĂ©sormais, des musiques comme la Salsa, le Zouk, le Kompa, le Hip-Hop, le Ragga, la Rumba congolaise, le M’balax, le RaĂŻ, le Maloya et bien d’autres « autrefois » plus considĂ©rĂ©es comme des genres « ethniques » rĂ©servĂ©s aux non-blancs sont plus dansĂ©es- et Ă©coutĂ©es- par les Blancs. Et dans une interview, l’un des membres du groupe Justice peut dire de façon dĂ©contractĂ©e que le Rap fait partie des musiques qu’il Ă©coute. Il y a quarante ans, il n’Ă©tait peut-ĂȘtre pas nĂ© ou seulement depuis peu, le mĂȘme n’aurait pas pu dire ça : en France,  Le Rap Ă©tait plutĂŽt la musique Ă©coutĂ©e par  des jeunes en colĂšre qui avaient du mal Ă  se faire accepter de la sociĂ©tĂ© française et des Ă©lites installĂ©es ( comme Jacques Chirac et d’autres) et refusaient de se laisser dominer par elles.

 

A la fĂȘte de l’Huma il y’a bientĂŽt dix jours, avant sa venue sur scĂšne, le groupe Kassav’ comme le 11 Mai dernier Ă  la DĂ©fense ( Un Moon France en Concert) , a « mis » un titre du groupe Akiyo, un groupe de « tambours » de rĂ©fĂ©rence en Guadeloupe et que je n’ai jamais « vu » en public.

A la fĂȘte de l’Huma( Quelques photos de la fĂȘte de l’Huma 2019) ,  SonjĂ© (rappelle-toi/ N’oublie pas) le premier titre de Kassav’ interprĂ©tĂ© sur scĂšne rappelait cette Ă©poque (sans doute en Afrique, donc, avant l’esclavage mais aussi lors de l’esclavage aux Antilles ) oĂč la communautĂ©, toutes gĂ©nĂ©rations confondues, dansait et vivait autour du Tambour dans une certaine unitĂ©.

Je ne crois pas l’avoir entendu mentionnĂ© dans leur chanson mais lors d’un enterrement, aux Antilles, la musique est prĂ©sente. Et des anecdotes sur la dĂ©funte ou le dĂ©funt peuvent aussi ĂȘtre racontĂ©es.

 

J’aime Ă©crire et dire que mon pĂšre m’a racontĂ© qu’un de mes cousins Ă©loignĂ©s du cĂŽtĂ© maternel, Marcel Lollia dit VĂ©lo, Ă©tait allĂ© jouer Ă  l’enterrement d’un de ses amis mĂȘme si, au dĂ©part, les personnes endeuillĂ©es voyaient cela d’un mauvais Ɠil. SĂ»rement parce-que ça faisait « mauvais genre », qu’il prĂ©sentait mal (VĂ©lo est mort pauvre, alcoolique et quasi SDF alors qu’il avait une cinquantaine d’annĂ©es) et aussi parce qu’il Ă©tait venu avec son tambour plutĂŽt qu’avec une tenue vestimentaire protocolaire.

 

Egalement en Guadeloupe, Ă  la mort de ma grand-mĂšre maternelle, j’avais appris qu’un de mes cousins avait jouĂ© du Ka.

 

Pour extraordinaires qu’elles soient, ces deux histoires me semblent complĂštement normales. Pourtant, si je reviens un peu Ă  moi et que je prends quelques secondes pour les regarder depuis une perspective de citadin «parisien » rationnel et lambda, ce que je suis aussi, je m’aperçois qu’elles auraient de quoi apparaĂźtre encore « exotiques » ou «bizarres » pour certains esprits pourvus d’une autre logique et d’autres « principes » face Ă  la vie et Ă   la mort. MĂȘme si depuis les annĂ©es 90 Ă  peu prĂšs, le rapport Ă  la danse et Ă  la musique a changĂ© en France, cela est vrai pour une certaine partie de la population française :

 

Les Ă©vĂ©nements festifs cet Ă©tĂ© Ă  Nantes qui se sont mal terminĂ©s ( avec un affrontement avec les forces de l’ordre et plusieurs noyĂ©s dont un, Steve,  dans des circonstances trĂšs douteuses) indiquent quand mĂȘme que la musique et la fĂȘte peinent aussi difficilement Ă  coexister avec les AutoritĂ©s de notre pays et certaines et certains en province mais aussi Ă  Paris.

 

 

Il demeure nĂ©anmoins : depuis longtemps, pour moi, lors d’un enterrement, l’absence de musique et de rires est pire que la mort elle-mĂȘme.

 

En Ă©coutant cet album de Tabou Combo depuis quelques jours, groupe que j’ai entendu depuis mon enfance en France et en Guadeloupe, je comprends donc mieux (lĂ  oĂč je le subissais principalement jusqu’alors) ce dĂ©calage culturel Ă©vident qui existait et subsiste encore entre moi, ce monde dont je viens, et certains de mes amis, amies, copains, copines et collĂšgues blancs et français jusqu’au bout du corps, des oreilles et des ongles de façon assez « traditionnelle » ou « conventionnelle ». Surtout s’ils restaient et restent cantonnĂ©s Ă  leurs repĂšres culturels et musicaux souvent faits de musique anglo-saxonne ou de titres exclusivement français, musiques et titres, qu’un mĂ©tis culturel comme moi (mais aussi bon nombre de mes compatriotes aux Antilles) ingĂ©raient trĂšs tĂŽt et continuent d’ingĂ©rer par ailleurs en parallĂšle.

 

 

A parler musique, j’ai une anecdote pour illustrer Ă  la fois ce dĂ©calage et cette fermeture d’esprit d’ordre culturel de certains de nos amies et amis français et blancs  » traditionnels » ou « conventionnels » en dĂ©pit de leur sincĂšre  amitiĂ© pour nous, les Noirs, les autres, les diffĂ©rents ou les fous de France :

 

L’annĂ©e derniĂšre ou cette annĂ©e, un de mes amis m’a proposĂ© d’aller avec lui Ă  un concert de musique. La place de concert Ă©tait trĂšs chĂšre. Et c’est sans doute ce qui m’a d’emblĂ©e fait reculer mĂȘme si j’aime beaucoup cet ami et aurais Ă©tĂ© volontaire pour aller Ă©couter en concert cet artiste dont j’aime plusieurs titres :

La place de concert Ă©tait en moyenne Ă  70 euros.

 

Cet ami avait dĂ©jĂ  achetĂ© sa place. Et, il s’y rendait avec au moins une autre personne qui avait dĂ©jĂ  Ă©galement sa place de concert. Alors que j’écris cet article, j’oublie le nom de cet artiste qui a fait partie des Pink Floyd. Cet «oubli» vient sans doute du fait que cette anecdote m’a finalement permis de me rendre compte , l’annĂ©e de mes 50 ans, que j’avais rĂ©guliĂšrement vĂ©cu ce genre de situation en France :

OĂč, moi, le Français noir, le Français d’origine antillaise, le NĂ©gropolitain, le Moon France (Moon France ), le Bounty, Le NĂšgre volant non identifiĂ© ( selon certaines dĂ©finitions « affectueuses » de mes compatriotes pour les Antillais  nĂ©s comme moi en France) je peux me faire Ă  la musique et Ă  une langue d’ailleurs ( distincte de celle de mes ancĂȘtres et de mes origines) et la faire mienne tout en gardant celle que m’ont donnĂ©e mes parents tandis que mes amis « blancs », eux, s’abstiennent de faire la mĂȘme dĂ©marche vers mon univers musical. Et culturel.

 

Et, Ă  propos de cet ami, je m’étais avisĂ© que si je pouvais, moi, me rendre au concert qu’il me proposait et y prendre plaisir, lui, ne viendrait jamais avec moi Ă  un concert de Kassav’ ou de Zouk. La diffĂ©rence, pour moi, ne provient pas seulement du fait que certaines personnes vont avant tout Ă  un concert de musique pour la « cĂ©rĂ©braliser » lĂ  ou d’autres y vont avant tout ou principalement pour danser et chanter. Je suis moi-mĂȘme trĂšs cĂ©rĂ©bral.

 

La diffĂ©rence provient selon moi aussi du fait que certaines personnes, noires ou blanches, sont plus ouvertes que d’autres tout simplement. Pour certaines personnes, aller vers un certain inconnu, musical ou autre, revient trĂšs vite Ă  aller se risquer dans un coupe-gorge en dents de scie ou Ă  aller Ă  la rencontre de fous dangereux en libertĂ© dans un asile psychiatrique. Car, Ă©videmment, si l’on peut aimer se rendre Ă  un concert pour danser et chanter, on peut tout aussi bien ĂȘtre aussi celle ou celui qui sera content(e ) d’aller Ă©couter, assis, de la musique classique ou une musique qui ne « se danse pas » et ne se chante pas. Un peu plus haut dans cet article, je brocarde un peu certains artistes français majeurs. Mais si j’avais pu me rendre, j’aurais aimĂ© me rendre Ă  un concert de Johnny Halliday. Je me suis abstenu de le faire sur la fin de sa carriĂšre car j’ai refusĂ© de me rendre Ă  un de ses concerts pour le voir en minuscule sur grand Ă©cran parmi une foule plus que nombreuse. Et, si j’avais la disponibilitĂ© pour cela, j’aurais la curiositĂ© d’aller voir la plupart des autres artistes ( pour celles et ceux qui sont encore vivants) que j’ai citĂ©s avec lui.

 

Je fais partie de ces personnes qui peuvent se rendre Ă  un concert pour dĂ©couvrir une artiste ou un artiste que je ne connaĂźs pas ou que je  n’ai jamais entendu. Au mĂȘme titre qu’en allant voir un film, je veux en savoir le moins possible sur l’histoire.

 

Je ne connaissais pas Brigitte Fontaine avant d’ĂȘtre emmenĂ© par une amie Ă  un de ses concerts au Bataclan il y a une quinzaine d’annĂ©es. D’autres personnes auraient eu la mĂȘme curiositĂ© et la mĂȘme disponibilitĂ© que moi, blanches ou noires. Alors que d’autres s’y seraient catĂ©goriquement opposĂ©es. Il aurait presque fallu leur proposer une prĂ©pa concert avec une cellule de dĂ©briefing Ă  la sortie. Et c’était plusieurs annĂ©es avant le trĂšs douloureux attentat « du » Bataclan.

 

Dans la mĂȘme idĂ©e, je n’avais jamais Ă©coutĂ© le moindre titre de Joe Bonamassa lorsque Christophe Goffette, mon ancien rĂ©dacteur en chef de Brazil et Ă©galement rĂ©dacteur en chef, alors, du magazine musical XCrossroads m’avait permis de me rendre Ă  un de ses concerts Ă  Paris. J’avais dĂ©couvert l’artiste sur scĂšne, donc dans les meilleures conditions, en me rendant seul Ă  son concert. Au trĂšs grand plaisir de cette dĂ©couverte (je me rĂ©pĂšte) musicale avait rĂ©pondu l’attitude Ă©tonnante d’un des spectateurs assis juste Ă  cĂŽtĂ© de moi.

Alors que j’avais voulu converser civilement avec lui, celui-ci, dĂšs l’extinction des lumiĂšres dans la salle, au dĂ©but du concert, avait rabattu avec autoritĂ© sur son visage une paire de lunettes noires. Et, il avait arborĂ© l’air sĂ©rieux et butĂ© de celui qui n’était pas lĂ  pour rigoler ou discuter. Cette attitude Ă©trange, mettre des lunettes noires dans une salle dĂ©jĂ  noire, et plutĂŽt hautaine de façon dĂ©placĂ©e (Ps : la musique de Joe Bonamassa et sa façon de chanter doivent beaucoup au Blues)  m’avait informĂ© que cet homme qui se tenait prĂšs de moi Ă©tait plutĂŽt du genre (trĂšs) fermĂ© sur lui-mĂȘme. Ce qui ne m’avait pas empĂȘchĂ© d’aimer le trĂšs bon concert de Joe Bonamassa. MĂȘme si, ensuite, ses albums que j’ai Ă©coutĂ©s m’ont fait moins d’effet.

 

Aujourd’hui, en France, les AngĂšle, Aya Nakamura, Soprano et autres artistes peuvent ĂȘtre Ă©coutĂ©s par un public variĂ©, adulte comme enfant.  Notre fille nous a surpris rĂ©cemment Ă  chantonner Balance ton quoi d’AngĂšle Ă  la maison. Depuis, j’ai fait une rĂ©servation sur cet album pour l’emprunter prochainement Ă  la mĂ©diathĂšque. Et, rĂ©cemment, j’ai Ă©tonnĂ© une « jeune » de vingt ans en lui apprenant que j’avais achetĂ© le dernier Cd d’Aya Nakamura et que je regrettais de l’avoir ratĂ©e Ă  la fĂȘte de l’Huma.

Moi, le quinquagĂ©naire, je continue de prendre le temps- et le plaisir- de dĂ©couvrir et d’écouter de nouveaux artistes « connus » ou « populaires », en France ou ailleurs, au mĂȘme titre qu’un morceau de musique classique, de musique perse, de Zouk ou d’autres genres musicaux. La pile de Cds que je continue d’emprunter rĂ©guliĂšrement Ă  la mĂ©diathĂšque en atteste. Ainsi que les films que je vais voir pour reparler (un peu) cinĂ©ma.

 

MĂȘme si j’ai Ă©videmment, aussi, mes standards, la musique est ce qui me permet de rester jeune.

 

Je me rappelle de cette rencontre que deux amis (JĂ©rome et Driss) et moi avions faites, avant nos vingt ans, Ă  la radio FIP oĂč nous nous Ă©tions prĂ©sentĂ©s comme ça, un jour.

 

L’animateur radio qui avait eu la gentillesse de nous recevoir quelques minutes dans leur local de vinyles (des Ă©tagĂšres pleines de vinyles) avait dit Ă  un de ses collĂšgues qui allait partir en voyage :

 

« N’oublie pas la musique ! ».

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 septembre 2019.

Catégories
Croisements/ Interviews Musique

Quelques photos de la fĂȘte de l’Huma 2019

Catégories
Moon France Musique

Un Moon France en Concert

 

 

                                                Un Moon France en concert

 

 

« Vous partez ?! » « Laisse-les, ils n’aiment pas la bonne musique
. ».

En 1984 ou 1985, au Phil One , Ă  la DĂ©fense, nous venions d’assister au concert du groupe Apartheid Not. Le batteur, sur ses fĂ»ts Ă©lectroniques, avait fait claquer des ricochets, diamants sonores, qui s’Ă©taient incrustĂ©s dans notre ciboulot . Mais les spectateurs, en dĂ©pit de l’Ă©nergie du groupe, Ă©taient restĂ©s impassibles. Presque boudeurs et impatients que la prestation se termine. Dans la salle, un spectateur avait mĂȘme envoyĂ© un dĂ©contractĂ©    » No Good ! » soutenu par son accent frenchie. EnervĂ© par l’attitude du public, un des musiciens ( peut-ĂȘtre celui qui Ă©tait aux claviers )  avait un moment lĂąchĂ© quelques phrases calibrĂ©es en Anglais. Puis, en Français, il s’Ă©tait adressĂ© au public en mettant les formes.

Le concert Ă©tait maintenant terminĂ©. Nous allions sortir du Phil One pour poursuivre notre soirĂ©e quand nous avons croisĂ© ces deux ou trois inconnus qui venaient d’arriver. A moins qu’ils ne soient sortis prendre l’air pendant le concert. Eux venaient pour danser au Phil One. A les entendre, nous n’aimions pas la bonne musique…

LycĂ©en, je devais ĂȘtre le seul mineur de notre groupe. Cette sortie nocturne Ă©tait peut-ĂȘtre une de mes premiĂšres sorties nocturnes sans mes parents. « Notre » groupe, c’était FrĂ©do, notre entraĂźneur de la section sprint du club d’athlĂ©tisme de Nanterre. Plus tard, il se marierait avec Danielle, ancienne sprinteuse d’origine martiniquaise dont il Ă©tait persuadĂ© qu’il aurait pu faire une « championne de France » si elle l’avait voulu. Danielle, athlĂšte douĂ©e, avait pu se qualifier pour les championnats de France. Mais comme elle me l’expliqua un jour, le problĂšme, c’était qu’elle n’aimait pas
l’athlĂ©tisme. Lors d’un de nos stages d’athlĂ©tisme, je me rappelle maintenant de Danielle nous proposant une chorĂ©graphie, sa chorĂ©graphie, sur le titre Flash-back du groupe Imagination. A force de rĂ©entendre ce titre- qui n’Ă©tait pas mon prĂ©fĂ©rĂ© du groupe- lors de ses rĂ©pĂ©titions, j’avais fini par l’aimer.

Ce soir-lĂ , il y’avait aussi Georges, mon aĂźnĂ© de deux ou trois ans et dont j’ai voulu, un temps, faire un de mes grands frĂšres, moi qui n’en n’ai jamais eu. Georges, avant de donner la prioritĂ© Ă  l’athlĂ©tisme et Ă  ses Ă©tudes, avait Ă©tĂ© bassiste autodidacte dans un groupe de Reggae dont le meneur avait Ă©tĂ© Pascal, ancien basketteur de bon niveau, chanteur, musicien et compositeur, grand rasta « conscient » dont je croisais l’autoritĂ© plutĂŽt intimidante au lycĂ©e Joliot-Curie. Ce qui Ă©tait raccord avec Georges, dont la stature et l’attitude imposaient le respect Ă  tout le monde dans le club d’athlĂ©tisme, entraĂźneurs inclus. Personne ne critiquait ou ne se moquait de Georges quels que puissent ĂȘtre ses rĂ©sultats en compĂ©tition. Un jour, bien plus tard, on m’a racontĂ© la blague suivante :

« Tu sais comment on appelle un Noir avec un fusil ? Monsieur ! ». J’aime beaucoup cette blague. HĂ© bien, disons que Georges et Pascal n’avaient pas besoin d’avoir un fusil pour qu’on les appelle « Monsieur ! ».

Georges reste Ă  ce jour le seul Antillais que j’ai rencontrĂ© dont le nom de famille a une origine africaine Ă©vidente. Il est aujourd’hui surnommĂ© « Big Georges » dans ce club de province oĂč il est maintenant entraĂźneur depuis des annĂ©es. A ce que j’ai pu lire sur le net, il avait un temps entraĂźnĂ© l’athlĂšte Floria GueĂŻ avant que celle-ci se fasse remarquer pour sa performance dorĂ©e lors du relais des championnats d’Europe d’athlĂ©tisme Ă  Zurich en 2014.

Lors du mĂȘme stage d’athlĂ©tisme oĂč Danielle nous avait gratifiĂ© de sa prestation sur le titre Flash-back du groupe Imagination, Georges, lui, seul Ă©galement, nous avait donnĂ© une danse fiĂšre et militante sur le titre Uncle George du groupe Steel Pulse en hommage Ă  Georges Jackson, un des frĂšres de Soledad, un temps amant d’Angela Davis et condamnĂ© Ă  mort par la justice amĂ©ricaine.

Avec Georges et Frédo, avant cette soirée-là ou aprÚs elle, nous étions allés voir le groupe Touré Kunda en concert. Touré Kunda était alors un groupe qui comptait sur la scÚne publique.

 

En entendant que nous n’aimions pas la bonne musique, JĂ©rome, vexĂ©, avait voulu rattraper les deux ou trois gars : lui et moi Ă©tions dans cet Ăąge oĂč, Ă  peine adultes, nous affirmions aussi nos certitudes et nos personnalitĂ©s Ă  travers nos expĂ©riences de la musique. Ni journalistes, ni musiciens et encore moins musicologues, nous Ă©tions des amateurs au sens oĂč nous Ă©tions des explorateurs. Et non de celles et ceux qui se contentent de brouter ce que tout le monde Ă©coute.

JĂ©rome Ă©tait un de mes meilleurs amis et aussi mon voisin du dessous de la tour 17 de la citĂ© Fernand LĂ©ger Ă  Nanterre. C’est dans sa chambre et grĂące Ă  sa chaĂźne hifi avec ses enceintes surĂ©levĂ©es de façon Ă©tudiĂ©e que j’avais dĂ©couvert pour la premiĂšre fois certains artistes qui ne faisaient pas partie de mon entendement. Parmi ces artistes : Miles Davis avec l’album Star People (1983).

L’un d’entre nous avait retenu JĂ©rome et nous Ă©tions dĂ©finitivement partis. Driss Ă©tait peut-ĂȘtre aussi avec nous ce soir-lĂ .

Mais avant notre sortie, et alors que les musiciens avaient dĂ©ja quittĂ© la scĂšne, dans un Phil One encore Ă  peu prĂšs vide, j’avais entendu pour la premiĂšre fois ces quelques accords de guitare semi-acoustique, cette voix Ă©raillĂ©e (dĂ©crite plus tard par Jocelyne BĂ©roard, je crois, comme « blues et macho ») et cette musique qui disaient :

« An Nou Ay ! ».

 

C’est sur le titre Zouk-la-SĂ©-Sel-Medikaman-Nou-Ni que nous avions quittĂ© le Phil One. Et ce fut la seule fois oĂč je connus le Phil One. J’appris beaucoup plus tard, aprĂšs sa fermeture, que le Phil One, situĂ© dans le centre commercial des Quatre Temps de la DĂ©fense, Ă©tait alors une boite de nuit rĂ©putĂ©e.

NĂ©anmoins, cette « premiĂšre » expĂ©rience de  Kassav’  suffit Ă  me remettre dans les starting-blocks de la musique antillaise. Car cette expĂ©rience musicale de Kassav’ allait connaĂźtre des suites pendant mes vacances en Guadeloupe.

J’avais dĂ©ja entendu la voix de Jacob Desvarieux sur les titres Oh Madiana  et Zonbi  mais, ce soir-lĂ  au Phil One,  je n’avais pas fait le rapprochement.

Avant Kassav’, pour moi, la musique antillaise, c’était une musique dont la basse faisait boom-boom-, boom-boom-, boom-boom-, boom-boom, dans les enceintes avec la gravitĂ© d’un Ă©lĂ©phant rĂ©pĂ©tant les mĂȘmes pas. Pendant des heures. Alors que je faisais banquette dans les multiples soirĂ©es antillaises oĂč nous emmenaient nos parents, j’entendais cette basse qui revenait en Ă©tant toujours ou souvent la mĂȘme. Et les gens dansaient, s’amusaient, rigolaient et quelques fois se disputaient et se battaient. Or, mon oreille, Ă  la maison, s’était habituĂ©e de façon prĂ©fĂ©rentielle au Reggae. Tandis que dehors, avec les copains, avec le Reggae, c’était plutĂŽt le Funk, la Soul et le Jazz-Rock qui nous conditionnaient.

Plus que les titres YĂ©lĂ©lĂ©, Tim-Tim- Bwa Sek , KavaliĂ© O Dam ou GorĂ©e (que j’aime beaucoup) dont le but est de « rappeler » aux Moon France ( ou Moun Frans si on prĂ©fĂšre) leur « Histoire » et leurs « racines », la façon dont Kassav’ a opĂ©rĂ© la musique antillaise et l’a faite grandir en l’ouvrant m’a rĂ©conciliĂ© avec la musique de « mon » pays. MĂȘme si j’ai bien-sĂ»r aimĂ© beaucoup de tubes antillais de l’époque d’avant Kassav’ et rĂ©Ă©couterais avec plaisir un certain nombre d’entre eux. Que l’on parle du Kompa, genre musical dominateur aux Antilles avant l’éruption du zouk pour moi reprĂ©sentĂ©e par Kassav’, ou de toute autre forme d’expression musicale alors en lice en Guadeloupe.

 

Avec Miles Davis, Me’Shell NdĂ©gĂ©ocello, Björk et Brain Damage, le groupe Kassav’ est le seul groupe ou artiste musical que je sois allĂ© « voir » et Ă©couter au moins trois fois en concert. A Basse Terre, en Guadeloupe. Au parc de l’ancienne mairie Ă  Nanterre. A Argenteuil. Et, depuis ce 11 Mai 2019, Ă  la salle de concert Arena Ă  la DĂ©fense oĂč je me rendais pour la premiĂšre fois avec ma compagne.

On rappelle parfois que Kassav’ a fait un titre avec Stevie Wonder. Pour l’instant, lorsque je l’Ă©coute, ce titre, hormis pour le caractĂšre prestigieux de la collaboration qui a permis sa crĂ©ation, me touche peu : je considĂšre que sur ce titre Stevie Wonder et/ou Kassav’ est ou sont peu inspirĂ©(s).

Par contre, deux ans avant sa mort en 1991, Miles sortait l’album Amandla sur lequel se trouve le titre CatembĂ© . En Ă©coutant ce titre, il ne faut pas s’attendre Ă  un morceau fait pour zouker en boite de nuit ou dans sa voiture. Mais comme Miles l’avait fait pour le titre Don’t Lose your mind sur son album Tutu ( en 1986) en s’inspirant ( Merci Ă  Pascal de me l’avoir appris !) de la rythmique basse-batterie du tandem Robbie Shakeaspeare & Sly Dunbar, ultimatum Reggae et Dub, de diverses formations ( dont le groupe Black Uhuru un moment envisagĂ© avant son implosion comme une des relĂšves possibles de Bob Marley ), je sais pour l’avoir lu que Miles s’Ă©tait inspirĂ© du zouk , et en particulier de celui promu par Kassav’, pour son titre CatembĂ©. Je me rappelle d’une interview oĂč Miles s’Ă©tait plu Ă  faire la leçon Ă  un journaliste ( sans doute blanc ) en lui demandant s’il connaissait cette musique qui venait des Antilles : le Zouk.

 

 

Entre mon tout premier concert de Miles Davis oĂč je m’Ă©tais rendu seul, en 1987 au Palais des Sports Ă  la Porte de Versailles, et celui de Kassav’ il y’a quelques jours, trente deux ans sont passĂ©s. Kassav’ existe officiellement depuis quarante ans.

Quarante ans d’existence. Quarante mille spectateurs.

 

Au Stade de France en 2009, ils Ă©taient 65 000. Mais j’ai entendu parler d’un concert en CĂŽte-d’Ivoire oĂč ils Ă©taient 100 000 spectateurs. Je me rappelle que le Zouk rĂ©pandu en Afrique par Kassav’ avait par exemple dĂ©teint sur les chansons d’une artiste comme Monique SĂ©ka, artiste ivoirienne dĂ©crite sur sa page wikipĂ©dia comme Ă©tant une  » chanteuse…Afro-zouk de la CĂŽte d’Ivoire ». BĂ©a, une de mes amies, vient de m’apprendre que Kassav’ s’est mĂȘme produit en concert sur l’Ăźle de GorĂ©e, au SĂ©nĂ©gal. Des neveux de son mari Ă©taient prĂ©sents Ă  ce concert mĂ©morable. Et ils  » en parlent jusqu’Ă  ce jour ». Cette mĂȘme amie ajoute ( je la cite) :

 » J’Ă©tais Ă  une communion africaine dimanche ( SĂ©nĂ©gal/ Cap Vert). Ils ont mis 1h de Kassav’ en l’honneur du 40Ăšme anniv. Le feu dans la salle ! ».

Kassav’ est aussi allĂ© se faire connaĂźtre sur d’autres continents. ArrivĂ©s Ă  un certain niveau, les artistes, musiciens ou autres, dĂ©passent les frontiĂšres, vont Ă  la rencontre des autres, s’Ă©coutent et s’inspirent les uns des autres. Et le groupe Apartheid Not, aujourd’hui disparu et oubliĂ© depuis des annĂ©es ou pas loin de l’ĂȘtre, et  citĂ© en prĂ©ambule de cet article, reprĂ©sentait indiscutablement -avec tant d’autres artistes –  cette ouverture d’esprit. On serait Ă©tonnĂ© d’apprendre ce que tel artiste reconnu et rĂ©putĂ© dans tel genre de musique Ă©coute par ailleurs comme style de musique. On serait aussi trĂšs Ă©tonnĂ© d’apprendre que tel artiste de telle « école » ou de tel  » courant » est trĂšs ami avec tel autre artiste a priori totalement Ă©tranger, voire opposĂ©, Ă  son univers et son langage. La complĂ©mentaritĂ© permet la crĂ©ativitĂ©. Mais pour cela, il faut d’abord rĂ©ussir Ă  s’accorder.

 

D’ailleurs, au dĂ©but, je m’Ă©tais fermĂ© Ă  l’idĂ©e d’aller Ă  ce concert de Kassav’ ce samedi 11 Mai 2019. La salle Ă©tait trop grande pour moi. Ouverte le 19 octobre 2017 avec un concert des Rolling Stones, la salle de concert Paris La DĂ©fense Arena Ă©tait, Ă  ce que j’avais entendu dire, plus grande que celle du Palais Omnisports de Bercy rebaptisĂ©e AccorHotels Arena ou Bercy Arena depuis 2015 aprĂšs sa rĂ©novation. Bercy Arena, pourvue de 20 300 places selon wikipĂ©dia, m’avait laissĂ© un souvenir mitigĂ© en tant que spectateur. Je prĂ©fĂšre les salles intimistes de  la taille de la Cigale, L’ElysĂ©e Montmartre, le Bataclan ou plus petites. La salle du ZĂ©nith Ă©tant mon maximum pour une salle couverte et fermĂ©e. Alors qu’en extĂ©rieur, j’ai pu me rendre avec plaisir Ă  un festival comme Rock en Seine.

Concernant ce concert du 11 Mai dernier,  j’ai aussi d’abord refusĂ© d’aller voir Kassav’ car je les avais  » dĂ©jĂ  vus en concert ». Et leurs derniĂšres productions me happent moins « qu’avant ». Lorsque Kassav’, Ă  l’Ă©poque oĂč Patrick St Eloi, Georges DĂ©cimus et tous les autres Ă©taient ensemble, Ă©tait ce « cyclone » musical et que les autres artistes Ă©vitaient de sortir leur album en mĂȘme temps que le « nouveau » Kassav’. MĂȘme si, par ailleurs, j’aime des titres assez rĂ©cents tels que TonbĂ© Leta.

 

Et puis, j’ai appris que ce serait la derniĂšre tournĂ©e de Kassav’. MĂȘme s’ils auraient dĂ©jĂ  dit ça. Mais ils prenaient de l’ñge quand mĂȘme alors il fallait ĂȘtre rĂ©aliste. Et puis, la salle de concert  la DĂ©fense Arena, c’était aussi revenir Ă  Nanterre, la ville de mes 17 premiĂšres annĂ©es. PrĂšs du centre commercial les Quatre Temps dont l’ouverture en 1981 avait Ă©tĂ© un Ă©vĂ©nement en mĂȘme temps qu’un aimant pour mon adolescence et celle de bien d’autres jeunes de mon Ăąge et des environs. Les Quatre Temps nous avaient aussi apportĂ© les premiers Mc Do. Les premiers Quick. Restauration qu’aujourd’hui je fuis autant que possible. C’était avant la grande Arche. A l’époque du Rubik’s Cube.

Kassav’ en concert, pour leurs quarante ans, c’était donc voir notre vie dĂ©filer. Au milieu d’un public fidĂ©lisĂ©, ĂągĂ© d’une vingtaine d’annĂ©es Ă  plus de soixante ans, majoritairement noir, qui reprend en dansant les paroles de tubes dont la majoritĂ© datait des annĂ©es 80 et 90.

A les voir, les « anciens », Jocelyne BĂ©roard, Jean-Philippe MarthĂ©ly, Jean-Claude Naimro, Jacob Desvarieux, Georges DĂ©cimus avec les nouveaux et plus ou moins nouveaux, en parfait accord avec le public, arrĂȘter le temps, cĂ©lĂ©brer chaque instant, semblait plus que facile. Il n’y’avait qu’à se laisser aller. Pourtant, alors qu’on les distinguait sur les grands Ă©crans de la taille de leur succĂšs et qu’on les voyait prendre- et donner- tout ce plaisir en plein dans le mille, je me suis dit que, d’un point de vue personnel, ce groupe en avait connu des traversĂ©es pour arriver jusque lĂ . Je « crois » que pour sa carriĂšre, Jocelyne BĂ©roard a renoncĂ© Ă  ĂȘtre mĂšre et peut-ĂȘtre Ă  une vie de couple. Desvarieux s’est sĂ©parĂ© au moins d’une mĂšre de ses enfants.

Et puis, Ă©conomiquement et artistiquement, Kassav’ fait partie des rescapĂ©s. Plusieurs annĂ©es auparavant, le producteur et chanteur Henri Debs avait expliquĂ© qu’il connaissait deux sortes d’artistes : Les « ADC », artistes Ă  durĂ©e courte et les autres, les « ADL », les artistes Ă  durĂ©e longue. En Ă©coutant Henri Debs, j’avais retenu qu’un ADL devait sa longĂ©vitĂ© Ă  son travail et Ă  ses dons. Pourtant, un artiste, mĂȘme s’il est « bon » ou « trĂšs bon » peut avoir beaucoup de mal Ă  « percer ». Tout artiste a besoin d’une certaine rĂ©ussite Ă©conomique pour continuer. Or, depuis les dĂ©buts de Kassav’ en tant que groupe en 1979, l’industrie du disque et de la musique a changĂ©. Un prof de guitare basse et musicien professionnel, GrĂ©gory Martin, a expliquĂ© ça quelques heures plus tĂŽt Ă  cette confĂ©rence oĂč je me trouvais avant le concert.

Aujourd’hui, les maisons de disque pressent les artistes pour « produire » comme des poules pondeuses en batterie. Les artistes se doivent de sortir rapidement des tubes et si possible avec des machines qui remplacent les musiciens. Pas de temps ou trĂšs peu de temps est laissĂ© aux artistes pour explorer et peaufiner un album. Et lorsqu’il s’agit de faire des concerts, on leur dit que moins ils sont, mieux c’est. Pour rĂ©duire les coĂ»ts. Il faut ĂȘtre rentable. Conclusion : si aujourd’hui un groupe comme Kassav’, avec autant de musiciens, dĂ©marrait sa carriĂšre, il s’effondrerait probablement avant ses quarante ans de carriĂšre.

A l’avenir, quel que soit le genre musical, nous rencontrerons de moins en moins d’artistes capables d’une telle longĂ©vitĂ©. Il peut y avoir si peu de diffĂ©rence entre celles et ceux qui se noient et les autres qui se dĂ©ploient et, cela, quelle que soit l’étendue du gĂ©nie, du talent, du « mĂ©rite », du travail et des sacrifices. Pour ces raisons, et d’autres que j’ignore, j’ai beaucoup aimĂ© ce concert. Je n’ai regrettĂ© aucun des prĂšs de cent euros dĂ©boursĂ©s pour les deux places et le parking. MĂȘme si le rĂ©glage du son aurait pu ĂȘtre un peu plus soigneux. Mais il aurait pu ĂȘtre pire.

J’aurais aimĂ© que Kassav’ nous fasse profiter des trĂšs bons musiciens qu’ils sont en allant plus souvent dans « l’instrumental » comme lorsque Jean-Claude Naimro s’est avancĂ© avec son clavier portatif pour ce titre que je connais moins que les autres. Avec des titres plus rĂ©cents tels que TonbĂ© Leta. Ou en reprenant par exemple un titre comme ZONGONN.

Lorsque j’avais Ă©coutĂ© ZONGONN pour la premiĂšre fois ( album de Jacob Desvarieux et Georges DĂ©cimus de 1986) je l’avais nĂ©gligĂ© au profit de titres comme GOREE, Ki NON A MANMANW, MWEN ENVI OU. C’est en l’écoutant en soirĂ©e antillaise et en voyant l’engouement qu’il provoquait que je m’étais aperçu de mon erreur « d’oreille ».

J’aurais aimĂ© entendre SOUSKAY. Mais comme me l’a rappelĂ© une collĂšgue aussi prĂ©sente au concert, le palmarĂšs de Kassav’ est si consĂ©quent qu’il leur Ă©tait impossible de tout jouer. Les trĂšs bons artistes, celles et ceux auxquels on est trĂšs attachĂ© et qui nous ont souvent habituĂ© au meilleur, nous rendent parfois trĂšs exigeants. Voire trop.

L’Historique groupe Kassav’ nous a bien bordĂ© samedi soir. Chacun portera dans sa mĂ©moire plusieurs moments de ce concert. Pour moi, il y a eu la ligne de basse en introduction de Georges DĂ©cimus sur SĂ© PA DJEN DJEN. Une ligne de basse  qu’il a rĂ©introduite en avant-scĂšne prĂšs d’un Jean-Philippe MarthĂ©ly soufflĂ© Ă  la fin de l’interprĂ©tation. Il y’a eu le « La Kour Trankil MĂ© La Kour Pa Dosil ! » de Jocelyne BĂ©roard suivi d’un « YĂ©krik » d’alpiniste. Il y a eu le solo silex de Jacob Desvarieux sur Tim-Tim-Bwa-Sek. Il y a eu l’hommage Ă  Patrick St Eloi avec des photos de celui-ci, seul ou avec Jean-Philippe MarthĂ©ly, Ă©poque annĂ©es 80-90. Il y ‘a eu le solo par le trio batterie et percussion. Et bien-sĂ»r, le final avec Zouk La SĂ© Sel Medikaman Nou Ni. Pour moi, Zouk La SĂ© Sel Medikamen Nou Ni est l’équivalent d’un titre inusable comme le Sex Machine de James Brown. MĂȘme lorsque le sable nous recouvrira tous, nous qui Ă©tions Ă  ce concert, il se trouvera encore des gens pour l’aimer et danser dessus. Et nous avec eux. Peut-ĂȘtre.

Franck Unimon, ce mercredi 15 Mai 2019.