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Au Palais de Justice

Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats de la Défense

Photo prise le lundi 8 novembre 2021, au Palais de justice de la Cité. Paris. C’est dans une autre salle que s’est déroulée l’audience à laquelle je fais référence.

Extorsion en bande organisée : Des hommes dans un garage et les avocats la Défense

( On peut lire avant cet article Extorsion : Trouver la salle d’audience )

Une dette à payer

 

 

Ce lundi matin, l’audience a déjà commencé. Six accusés sont présents. Trois sont dans le box. Derrière eux, autant de gendarmes. Devant eux, la ligne des avocats de la défense. Cinq ou six avocats de la défense sont assis à une table. Deux ou trois ordinateurs portables sont en marche devant eux. A côté de chaque avocat, sa pile de dossiers et de documents. Trois femmes. Autant d’hommes ou presque. Devant les avocats de la défense : trois autres accusés assis de profil, les uns derrière les autres. Ces prévenus ont entre 30 et 40 ans de moyenne d’âge. Le plaignant est également dans cette moyenne d’âge.

 

On le regarde et l’entend – le plaignant- en hauteur sur deux écrans. Celui-ci est assis devant une table. A ses côtés, son avocat en robe noire.

 

Le plaignant répond aux questions du juge. Et raconte. Un jour, des hommes sont venus dans le garage auto qu’il dirige alors. Ils lui ont appris qu’il devait 87 500 euros à une de ses connaissances, K ( la lettre du prénom a été changée pour des raisons d’anonymat).

 

L’un des avocats de la défense intervient et évoque un vice de procédure : il fait remarquer que le plaignant semble lire des notes sur la feuille posée devant lui ! Le plaignant dément. Son avocat prend la feuille et vient la rapprocher de la caméra. A part la date du jour, il n’ y a rien d’écrit sur la feuille. Le juge fait savoir que rien n’interdit au plaignant d’avoir des notes.

 

A la suite de ce « racket », le plaignant est amené à se rendre dans diverses villes de la région parisienne ( où le plaignant réside) à la demande de ceux qui le pressent de payer. Celui-ci explique qu’il a aussi dû effectuer des réparations à « l’œil ».

 

La première visite de ses agresseurs remonterait à décembre 20…. Le juge parle de « l’épisode relativement violent où vous êtes frappé ». Le plaignant acquiesce. Après avoir donné une certaine somme d’argent, il s’est mis d’accord avec ceux qui lui forcent la main de rembourser 5000 euros par mois. « Des ponctions ». Ainsi que pour accepter de faire des réparations gratuites pour eux, leurs amis. Il raconte qu’il a aussi été sollicité pour ouvrir une ligne de crédit. Afin que ceux qui le molestaient puissent avoir accès à ses fournisseurs gratuitement et, ce, aux frais de son garage.

 

Le plaignant raconte qu’il est allé chercher ses économies en espèces chez ses parents pour un montant de 9000 euros. Qu’il a obtenu qu’un de ses amis lui prête 3000 euros alors que celui-ci avait besoin de cette somme pour partir à l’étranger. Des collègues ont pu lui prêter 35 000 euros. Et il a réussi par ailleurs à récupérer 20 000 euros.

Il lui a été dit «  Si on vient, c’est pour K…. ». Le juge constate :

 

« Vous avez lâché K très tard. Avec beaucoup de difficultés… ».

Porter plainte

 

Le juge : « On s’interroge tous. Pourquoi vous avez attendu pour déposer plainte ? »

Le plaignant : « J’ai tenu jusqu’au moins de juin. Ça a sûrement été une grosse erreur ».

 

« Comment expliquez-vous que cette menace ne se soit jamais matérialisée ? ».

Nous apprenons que le plaignant est surnommé Madoff. Celui-ci raconte avoir été obligé de se rendre dans un bar à chicha. D’avoir reçu un coup de tuyau à Chicha derrière la tête. De s’être fait frapper par plusieurs personnes. De s’être retrouvé au sol, replié en boule. «  Ne serre pas la main à ce fils de pute, il n’y a pas d’argent ! ». Un homme l’a sommé de trouver une solution dans les dix minutes, autrement, une pince à chicha dans la main :

 

« Je te crève les yeux avec ! ».

 

Le plaignant raconte que lorsque l’un de ses agresseurs l’appelait chez ses parents, il était obligé de répondre dès la première sonnerie. «  Comment va ton père ? ». Ensuite, son interlocuteur lui demandait de l’argent. «  J’comprends pas » commente le plaignant.

Il y a eu un incendie dans son garage. Il aurait été suspecté. Il répond :

« Suspect ? Non. Je suis témoin assisté ». Le plaignant explique qu’il y a eu un non-lieu. Un appel. « Je suis toujours témoin assisté ».

 

« Comment ces individus ont pu vous convaincre de les payer ? ».

 

« C’est pas des enfants de chœur. Ça se voit directement. N’importe qui aurait réagi comme moi ».

 

« Est-ce que vous avez vu un psychiatre ensuite ? ».

 

Oui, il a vu une psychologue.

 

L’Avocat général

L’avocat général prend la parole :

 

« D’abord, je voudrais dire que je vous trouve plutôt courageux. Je le dis comme je le pense. Vous avez maintenu ce que vous avez dit. C’est important pour moi ».

 

L’avocat général précise que lorsque l’on entend parler de la première fois où ces hommes sont venus dans son garage, que l’on a l’impression que cela a duré peu de temps :

 

« Est-ce que vous pouvez nous dire combien de temps ça a duré ? ».

 

« ça a duré longtemps. Deux à trois heures ». Le plaignant dit que le bornage des téléphones permet de le savoir.

 

L’avocat général : « Qu’est-ce qui se passe pendant ces deux heures trente de temps ? ».

 

Le plaignant : « Déjà, on voit sa vie défiler. Après, j’ai appelé tout mon répertoire pour ramasser de l’argent…ça prend du temps. Il fallait que je laisse le haut parleur quand j’appelais….des gens que je n’avais pas eus au téléphone depuis un p’tit moment. Donc, il fallait d’abord prendre des nouvelles…. ».

 

L’avocat général : « Comment on arrive à se souvenir ? Qu’est-ce qui est marquant ? Est-ce que vous pouvez le dire à la cour d’assises ? ».

 

Le plaignant : «  Monsieur, tout est marquant. Pendant six mois, c’est un calvaire. C’est un traumatisme. Plus j’en reparle et plus il y a des choses qui reviennent ».

 

L’avocat général : « Ma question est un peu provocatrice. Quel serait votre intérêt d’avoir inventé tous ces détails ? De donner de tels détails ? Sauf si vous avez une déficience ou une maladie nosographiquement répertoriée par la psychiatrie ».

 

Le plaignant : «  Oui, je suis encore traumatisé. Sinon, je serais avec vous en salle. J’ai même peur de sortir. J’ai peur d’être suivi. Je suis redevenu salarié. Je veux plus les voir. Même voir leur visage, j’ai pas envie. Ils m’ont bousillé ma vie. Je veux être tranquille ».

 

Un des jurés (vraisemblablement) se lève et l’interroge.

 

Le plaignant : « Je n’ai pas fait Sciences Po mais on voit que c’est des professionnels. Ce n’est pas leur premier coup (….).

 

L’avocat général ? : « Je suis désolé, j’ai fait Sciences Po…mais j’ai eu du mal à calculer le préjudice…. ». « S’il n’y a pas de dettes, pourquoi ils viennent vers vous ? Vous avez expliqué qu’ils étaient bien renseignés sur vous. En juin 20… ( six mois après le début des faits), vous avez déposé plainte. Comment se fait-il qu’ils arrivent avec cette somme de 87 500 euros ? ».

 

Le plaignant : « Mr B…savait même que le garage n’était pas encore à mon nom. Donc, ce sont des gens très professionnels. Très bien renseignés ».

 

Du flouze et des flous

 

S’ensuivent des interrogations sur l’identité de Mr K qui se serait plaint que le plaignant ait une dette envers lui. Ce que le plaignant dément. Selon lui, il aurait remboursé Mr K de la somme qu’il lui devait (20 000 euros). Et il ne voit pas la raison pour laquelle Mr K serait mêlé à cette histoire. Le plaignant affirme aussi ne pas connaître le nom et l’identité de ce Mr K qu’il a pourtant rencontré à plusieurs reprises. Le plaignant peut dire de Mr K, qu’il l’a toujours vu « sale ». Pour le présenter comme quelqu’un de très travailleur.

 

L’avocat général prend la parole pour affirmer :

« S’il y a quelqu’un qui doit donner l’identité de Mr K, c’est les accusés et pas vous ! ».

 

Le plaignant souligne qu’il y avait un litige entre les deux recouvreurs de dettes qui faisaient pression sur lui. Comme s’il y avait une compétition entre eux. A qui obtiendrait le premier les remboursements qu’ils lui réclamaient. « Ils parlaient de dossiers ». Le plaignant en déduit que ces deux hommes exerçaient du racket sur d’autres personnes.

 

Mes impressions :

Je suis en totale empathie avec le plaignant. Je suis aussi agréablement surpris : pour une fois que le procureur est sympa. Je n’ai pas aimé l’intervention de l’avocat de la défense au début avec cette histoire de feuilles et de notes. J’ai vu ça comme une tentative de déstabilisation du plaignant.

 

Mais je retrouve déja ce fossé entre, d’une part, les principaux acteurs de la cour qui s’expriment bien, qui ont fait de hautes études et qui appartiennent à une classe sociale élevée. Et le plaignant qui, malgré ses efforts et son entreprise ( il a l’air d’être bon en mécanique) est un homme d’un milieu social « limité ».

 

C’est ensuite au tour des avocats de la défense.

Les avocats de la Défense

Après quelques regards et quelques échanges, les avocats de la défense se décident rapidement entre eux afin de savoir lequel d’entre eux va prendre la parole le premier.

C’est finalement un avocat aux cheveux noirs gominés, qui porte des lunettes, d’une quarantaine d’années qui, pour commencer, s’adresse au plaignant, en s’avançant jusqu’à l’un des micros.

 

Le premier avocat de la défense récapitule :

 

« Le 1er décembre 20…, une incursion a lieu dans votre garage. Des gens vous disent qu’ils sont bien renseignés sur vous. Que vous disent-ils exactement ? ».

 

Le plaignant :

 

« Ils me disent que mon frère va ouvrir un restaurant à A…ce que j’ignorais. Ils connaissent l’adresse de mes parents. Ils savent aussi que je suis propriétaire ( à l’étranger) ».

 

L’avocat de la défense :

 

« C’est quoi, aujourd’hui, les raisons de vos craintes ? Il y a 15 gendarmes ! ».

 

Le plaignant : « Ce sont des gens très professionnels. J’ai dû changer d’adresse ».

 

L’avocat de la défense :

« Depuis votre plainte, il n’y a jamais eu de problèmes ? ».

Le plaignant : «  Non ».

 

L’avocat de la Défense : « C’est finalement vous qui pensez….c’est votre ressenti ».

 

Mes impressions

Avec ses cheveux gominés, et sa façon de gommer les aspects de la violence de la situation, je vois cet avocat de la défense comme un roublard. En le voyant ensuite assis devant moi, son bras passé autour du cou de la femme à qui il parlera dans l’oreille avec aisance, il me fera d’autant plus l’effet de celui qui parade. Plus tard, lors de la suspension de séance, en quittant la salle, il m’adressera en passant un sourire que je prendrai davantage comme une attache de séduction que pour un réel geste de bienveillance et de sympathie.

 

La seconde avocate de la défense :

La cinquantaine, les cheveux quelque peu ébouriffés, elle se lève et s’approche du micro. Après le « Bonjour Monsieur » d’usage comme son confrère précédent, elle commence.

 

« Vous nous avez dit que vous êtes un honnête travailleur….depuis 2013, pouvez-vous nous dire votre CV ? »

«  A combien estimez-vous votre revenu déclaré en 2016 ? ».

« Est-ce que vous avez un joli véhicule ? Une belle montre ? ».

 

Le plaignant répond que sur les réseaux sociaux, il a pu se montrer en photo près de sa belle voiture.

 

L’avocate de la défense pointe que sa société n’était pas à son nom. « C’est un ami » explique le plaignant.

 

L’avocate de la défense demande s’il a un compte bancaire. Oui.

« Ce n’est pas ce que vous avez déclaré, mais ce n’est pas grave ». Le plaignant conteste. Pendant trois à quatre bonnes minutes, l’avocate de la défense cherche dans son dossier la déclaration à laquelle elle fait référence. Puis, elle annonce la cote du document à la cour.

 

« Le diable se cache dans les détails » poursuit l’avocate de la défense. Celle-ci dit devant la cour que cet ami dont le nom se retrouve sur sa société «  est connu pour avoir renversé une personne âgée ».

 

« Pour quelqu’un qui menait grande vie, vous n’aviez pas de compte bancaire. Donc, vous aviez menti au juge d’instruction » avance l’avocate de la défense.

 

Le plaignant répond avoir acheté une Bentley 32 800 euros. Mais elle était «  en très mauvais état ». Il ajoute : « Je suis toujours en procédure ». Le véhicule , qui a été revendu, a été immobilisé.

 

Le policier qui était son conseil, Mr M, « a été condamné » informe l’avocate de la défense. Celle-ci continue. D’après ses recherches, il est décrit comme

« Un très mauvais gestionnaire » ; «  Un puits sans fond » ; « avec une montre de merde ». Elle demande au plaignant :

 

« Comment vous vous définiriez ? ».

 

Le plaignant : « Comme un très bon gestionnaire ».

L’avocate de la défense : « Ce n’est pas ce qui ressort de votre dossier, je vous le dis ! ». «  Vous ne le savez peut-être pas ! ».

 

L’avocate de la défense : « Ces gens s’en prennent rarement à des personnes qui n’ont pas d’argent. En général, ils s’en prennent à des patrons de boites de nuit. Alors que vous, vous n’avez rien ! ».

 

Le plaignant : «  Vous avez l’air très bien renseignée, peu importe ».

 

Mes impressions :

Je suis partagé. Avec son style ébouriffé et apparemment bordélique, cette avocate de la défense a d’abord l’air à côté de ses pensées. Alors qu’elle s’entortille autour de son dossier tel du lierre, se resserre, puis  se montre particulièrement opiniâtre. D’un côté, son style « fripé » un peu à la Columbo  me plait. D’un autre côté, comme je suis encore en empathie avec le plaignant, je vois dans son attitude un certain manque de respect mais aussi beaucoup d’agressivité déplacée envers celui que je continue de voir comme innocent. Et plus à protéger qu’à attaquer.

 

C’est ensuite au tour d’un troisième avocat de la défense.

 

Le troisième avocat de la défense :

Cheveux très courts. Il a à peine la quarantaine mais, néanmoins, un aplomb certain.

 

A nouveau, cela commence par un bonjour d’usage poli puis :

 

«  J’ai peu de questions. Avant, je faisais un peu de Droit des affaires….ces 20 000 euros ( que le plaignant affirme avoir rendu devant témoins à Mr K), vous les avez déclarés au fisc ? ».

 

Le plaignant reconnaît que non.

L’avocat de la Défense : « A partir de 750 euros, vous êtes obligé de les déclarer ».

Le plaignant :

«  Je ne savais pas ».

 

L’avocat de la Défense : « Pourquoi vous ne les avez pas empruntés à la banque ? ».

Le plaignant explique qu’il avait dépassé les 33% de son taux d’endettement en créant et en ouvrant son garage.

L’avocat de la défense :

« Celui qui prétend qu’il a payé doit prouver qu’il a payé. Il y a un écrit ? On trouve des formulaires sur internet. C’est très bien fait sur google. Vous savez ce que c’est, une facture ? ».

 

Le plaignant répond et affirme avoir remboursé sa dette.

 

L’avocat de la défense : « Non. Ce n’est pas vrai. On n’a pas lu le même dossier ». « Tout va bien depuis que tout le monde est en prison ? ». « Je n’ai pas envie de vous embêter avec ça….(….) vous sortez un peu dans Paris ? (….) vous longez les murs….(….) Si je vous donne le Libertalia, vous connaissez ? ».

 

Le plaignant connaît cet endroit. Il y est déjà allé. L’avocat de la défense lui demande quand il y est allé pour la dernière fois. Le plaignant peine à se souvenir. 3 ans ? 5 ans ?

 

L’avocat de la Défense annonce qu’il a une preuve attestant qu’il s’y est rendu….

 

Le juge intervient alors à l’encontre de l’avocat de la défense :

 

« Vous n’êtes pas aux Etats-Unis ! Si vous abordez le sujet, vous devez verser la pièce au dossier ! C’est tout à fait déloyal ! »

 

 

Mes impressions :

Je suis heurté par le manque d’empathie de l’avocat de la défense pour le plaignant. Tout est bon pour le bousculer. Y compris le fait de faire passer le plaignant pour un abruti.

 

4ème avocate de la Defense, 2ème conseil d’un des accusés :

 

Si mes souvenirs sont bons, il s’agit d’une jeune femme, d’à peine trente ans, dont l’allure, dans la vie réelle, la ferait passer pour une personne douce faisant partie des espèces que l’on aurait plutôt envie de protéger ou d’escorter.

 

Après un bonjour poli d’usage, elle prévient :

Elle est en total désaccord avec ses déclarations…. » comme vous allez très vite  vous en rendre compte « .

« Vous avez une propension à aller au commissariat… ». (….) « Dommage que vous ne l’ayez pas dit au juge d’instruction » (….) « Est-ce que c’est normal, pour une victime traumatisée, d’être entendue 11 fois par la SDPJ  ( Sous-direction de la Police Judiciaire )? ».

Le plaignant : «  Je n’en sais rien ».

L’avocate de la défense : «  Alors, je vais vous l’apprendre, Monsieur…. ».

 

L’avocate s’appuie un moment sur le bornage de la téléphonie mobile pour affirmer que, contrairement à ses dires, un des accusés était absent lors d’une des transactions de racket.

 

Le juge intervient de nouveau :

« Non, Maitre ! Vous ne pouvez pas dire ça ! La téléphonie n’est pas une preuve incontestable de l’absence de quelqu’un ».

L’avocate de la Défense reprend :

« C’est assez impressionnant, le nombre de vos versions, Monsieur. Mais vous allez nous l’expliquer ». (….) « Vous venez vous adapter, si vous me le permettez, aux questions que l’on vous posait…moi, je ne comprends plus…. » (….) « Il n’y a pas de bonne réponse,monsieur ! ». (….)

Mes impressions :

Cette impression que les avocats de la défense, par tous les moyens qu’a leur inspiration, tentent d’imposer au plaignant la reconstitution du puzzle qu’ils se sont faites mais, aussi, qui les arrange. Je prise peu, cette mauvaise foi et aussi ces coups de griffe qu’ils adressent  au passage, l’air de rien, au plaignant, et qui imposent un certain mépris à celui ou celle qui n’est pas de leur « race ». Leur « race » étant leur bord et celles et ceux qui défendent. On peut bien-sûr voir leurs remarques et leurs astuces comme une mise en scène. Mais ce n’est pas eux qui jouent leur vie ou leur moral ou leur réputation. J’ai l’impression qu’ils disposent d’un certain droit de tuer peut-être aussi meurtrier ou plus meurtrier que celles et ceux qui commettent des meurtres de chair et de sang. Sauf que leur droit de tuer est récompensé et salué par la société.

Je n’aime pas non plus le fait qu’ils jouent sur le temps et l’usure dont ils semblent disposer à leur gré pour faire plier ou supplicier celle ou celui qu’ils ciblent. Plusieurs fois, un avocat ou une avocate de la défense a lancé «  j’ai encore une avant dernière question. Non, finalement, trois… ». Il y a une sorte de sadisme de leur part, je trouve, dans leur façon d’interroger. Une certaine manière de séquestrer psychologiquement celle ou celui qu’ils confrontent en vue de le posséder. On dit que le but d’un jugement est de se rapprocher de la vérité. Mais je me demande si tout cela est un prétexte. L’autre but est peut-être aussi de tenter de disposer de la destinée d’autrui et de la faire se déplacer  vers un trajet autre que celui de sa propre volonté.

 

L’avocate-lierre ( pour la défense) aux cheveux ébouriffés reprend la main :

 

« J’ai cru ne pas comprendre….vous m’avez dit quoi ? pour votre activité plus ou moins occulte…. ».

 

Le juge intervient de nouveau :

« Vous avez mal entendu, Maitre ».

L’avocate-lierre (pour la défense) :

« Je ne peux pas prendre de notes quand je suis à la barre, Monsieur le Président ».

 

La cinquième avocate de la Défense :

 

C’est une femme brune d’une trentaine d’années, plutôt ronde. Jusque là, elle s’est peu fait remarquer. Elle doit à peine mesurer 1m65. Spontanément, si je l’avais croisée dehors, je lui trouverais une certaine douceur. Peut-être le cliché dû aux rondeurs. Car de tous, ce sera celle qui cognera, le plus fort et le plus longtemps, le plaignant dans les angles.

 

Elle commence par un « Bonjour » comme d’habitude. Puis :

 

« Est-ce que vous suivez l’actualité ? ». L’avocate de la Défense enchaîne ensuite sur un article récent du journal Le Parisien sur le logiciel Orion que la gendarmerie envisage d’utiliser pour détecter les mensonges en recoupant les propos employés dans les déclarations.

«  Si on avait passé vos auditions au logiciel Orion, on ne s’en sortirait pas ». (…..) . Avec un grand sourire, l’avocate parle de «  suivre le menteur jusqu’à sa porte ».

« Comment vous expliquez la somme de 87 500 euros ? ».

Le plaignant : «  Je vais répondre pour la troisième fois ».

L’avocate de la Défense : « Même une quatrième fois, s’il le faut ! ». (….) « C’est quand vous avez été acculé que vous avez daigné… » ( ….) « Vous avez répondu plus ou moins jusque là…. » (….) « Comme vous dites, tout et son contraire, on ne sait plus ! ». (….) «  Je sais, vous avez chaud ! ».

 

Le plaignant : «  Je n’ai pas du tout chaud, Madame. Vous me donnez chaud ! ».

Grand sourire- presque sympathique- de l’avocate de la Défense :

« Je vous ai un petit peu bousculé » ( ….) « On a prouvé que vous avez menti…. » (…) « Je suis désolée » (…..) « Chaque fois que l’on vous demande de prouver quelque chose, il n’y a pas de traces… » (….) « Je ne suis pas dans votre vie ! ».

 

Il est expliqué (par le plaignant ?) qu’il avait eu le projet de vendre un véhicule 83 000 euros. Ce véhicule a été réquisitionné par le policier qui aurait été en cheville avec les personnes qui l’ont racketté.

 

Agacé d’être «  un petit peu bousculé », le plaignant lâche à l’avocate de la Défense :

« Lisez le Parisien, vous avez raison, Madame ! ».

 

L’avocate de la Défense :

« J’ai une question sur X…vous dites quoi sur X ? Il a quoi à faire dans notre affaire ?! » (….) « ça s’apparente à des menaces. Vous faites la différence entre violences et menaces ? ». (….) « Je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intéresse ! » (…..) « Vous êtes quelqu’un d’intelligent, c’est pas possible de me dire ça ! »

 

Lorsque cette avocate de la Défense a débuté, il était 12h55. Son intervention devait être assez courte. D’autant que le plaignant avait répondu au juge qu’il devrait partir à 13h. Etant donné qu’on lui avait dit de prendre «  sa demi-journée ». Il travaille à 14h et, pour être l’heure, il lui fallait impérativement partir à  13h. Or, il est 13h30 lorsque cette confrontation se termine. A plusieurs reprises, cerné, dépité, débouté, le plaignant a soit tardé à répondre, soit lâché : «  Si vous le dites ! ». Un moment, se tournant vers son avocat, il a voulu refuser de répondre tant il se sentait agressé par l’avocate de la Défense. Son avocat l’a alors enjoint à répondre. Le plaignant s’est alors plié à l’exercice devant une avocate de la Défense le pressant crescendo. «  C’est trop facile de ne pas répondre ! ».

 

Plus tôt, concernant les coups ( avant ceux « portés » par l’avocate de la Défense) que le plaignant dit avoir reçus dans le bar à chicha, l’ami chez qui il s’est refugié quelques jours ensuite en Belgique a affirmé aux enquêteurs ne pas avoir remarqué de traces de coups sur lui. Le plaignant maintient sa version. Les coups ont été portés sur son thorax (« Je ne me déshabille pas devant mon ami ») et derrière la tête. Ce qui, selon lui, ne se voit pas forcément. Et, il n’est pas allé voir un médecin car, autrement, avec le certificat médical, il serait parti « porter plainte ». « Bonne réponse » avait alors dit l’avocate de la Défense. Mais cela, c’était dans les débuts de leur « échange ». A la fin de celui-ci, le plaignant  finit par lâcher :

«  Hé bien, le jour où vous aurez vécu ce que j’ai vécu, vous comprendrez…. ».

 

Mes impressions :

 

Encore une fois, l’agressivité frontale et les insinuations- en termes de jugement mais aussi de domination- de l’avocate de la Défense m’ont dérangé. Cependant, dans les propos, cette avocate de la Défense, peut-être plus que les autres, fait corps à corps avec le plaignant. Des expressions comme  « Je ne suis pas dans votre vie ! » ou «  je veux juste comprendre votre psychologie, c’est ça qui m’intéresse ! » laissent penser que nous sommes plus dans une relation intime et passionnelle que dans une salle d’audience. Une relation intimepassionnelle et publique qu’elle impose au plaignant et qui ne peut que, en tant qu’homme hétérosexuel et marié,  l’embarrasser et lui faire perdre une partie de ses moyens comme de ses défenses. Par moments, que ce soit avec cette avocate de la Défense et/ou une autre, je perçois dans certains propos des allusions à la supposée impuissance virile du plaignant. Ce n’est jamais dit comme tel. Mais glissé dans les expressions par petites touches. Et on appuie.

 

La démonstration de cette avocate de la défense, à la suite des interventions des autres avocats de la défense, est si imposante qu’elle me marque plus que les éventuels mensonges du plaignant. A ce stade-là, je ne me dis pas encore que le plaignant a tout faux. Je remarque surtout la prestation de cette avocate de la Défense. Et, même si j’ai du mal avec toute cette agressivité et ces insinuations qu’elle déverse après ses consoeurs et confrères  je me dis qu’en cas de nécessité, j’aimerais bien avoir cette personne comme avocate. Mais surtout pas comme compagne : Maitre Keren Saffar.

Quant à L’avocat de la Défense aux cheveux gominés, il s’agit de Maitre Raphaël Chiche.

 

 

Il est donc 13h30. Le plaignant aurait dû partir à 13h pour arriver à l’heure à son travail où il est désormais salarié. Et, c’est là que s’avance un dernier avocat de la Défense. Il s’était déjà un petit peu exprimé. Cet avocat de la Défense a une bonne cinquantaine d’années. Il a l’aura-et le verbe élégant- de l’avocat qui étincelle. Ses phrases sont des mouchoirs à la ponctuation fine et délicate repassée de près. Mais  elles s’emparent de tout ce qu’elles approchent. Le plaignant proteste. Il est déjà en retard pour son travail. Il est aussi trop tard pour échapper à l’avocat de la Défense qui, dans la facilité et le sourire, l’entourloupe et lui fait comprendre qu’il va rester pour répondre à quelques questions. Il en a juste « pour cinq minutes » assure-t’il.

Les « cinq minutes » du Sixième avocat de la Défense :

 

Je croyais avoir bien entendu son nom lorsqu’il l’a prononcé. J’avais entendu Maitre Viguier. Mais je n’en suis pas sûr. Celui-ci commence par :

 

« Que faisait votre femme  dans le garage ? » (….) « Avez-vous fait des photos ? » (…) « J’ai une dernière question ou peut-être une avant dernière ? ».

 

Soulagé par le « tact » de cet avocat de la Défense, le plaignant dit «  à vous, je vais vous répondre ».

Le plaignant répond que sa femme s’occupait de la gestion (ou de le comptabilité) du garage.

L’avocat de la Défense qualifie les réponses ou les affirmations du plaignant comme étant «  les plus alourdissantes en termes de coloration ». L’avocat de la Défense ajoute :

 

« Je ne suis pas d’emblée convaincu par ce que vous venez de dire ». Rappelant au plaignant que son courage avait été salué par l’avocat général, l’avocat de la Défense conclut :

« Moi, j’ai surtout l’impression que vous n’avez peur de rien ».

 

Mes impressions :

L’avocate précédente de la défense a opéré un très beau travail au corps du plaignant. Pour la première fois, celui-ci a eu du mal à répondre comme il le faisait jusqu’alors en étant concentré, sûr de lui , et fournissant force détails. Il ne reste plus beaucoup de temps avant que celui-ci s’en aille. D’autant qu’il a répondu qu’il n’avait pas de disponibilité dans l’immédiat pour être à nouveau interrogé. Donc, autant s’engouffrer pendant qu’il reste quelques minutes, dans le travail de brèche réalisé dans la défense du plaignant.

 

 

Ensuite, c’est au tour de l’avocat qui avait fait « un peu de Droit des affaires » de reprendre la parole. Celui qui s’est cru aux Etats-Unis d’après la remarque du juge.

 

Le plaignant proteste à nouveau. Il est alors plus de 13h30. Il devait partir à 13h.

 

L’avocat de la Défense qui avait fait « un peu de Droit des affaires » justifie le fait de retenir et de retarder encore un peu plus le plaignant par un « Il me reste 30 secondes sur les 5 minutes » dit avec un discret sourire.

Cet avocat de la Défense reste sur son parcours au Libertalia. ( Un lieu dont je n’avais jamais entendu parler. Je m’attendais à un endroit quelconque ou plutôt à éviter. Mais en regardant sur le net, j’ai vu que c’était plutôt assez select). Il poursuit :

« Mr Z (un des accusés)…a été physionomiste au Libertalia. Il vous a laissé entrer gratuitement. Vous avez pu échanger tranquillement. Vous avez été filmé. Vous avez un beau verre à la main ».

Le plaignant ne semble pas plus dérangé que cela par cette « révélation » lorsqu’il prend congé et quitte l’écran.

Ensuite, cet avocat de la Défense s’adresse à la greffière. Le juge intervient :

« Faisons les choses simplement. Pourquoi vous vous adressez à ma greffière ? Passez par moi ».

 

L’avocat de la Défense s’exécute. Puis, le juge traduit à la greffière la demande de l’avocat de la Défense de joindre au dossier telle preuve relative à la vidéo montrant le plaignant devant le Libertalia.

 

Le plaignant s’en va à 13h35.

 

Le juge répond à l’avocate de la Défense-Lierre  aux cheveux ébouriffés et qui semble à côté de ses pensées:

« Non ! Ce n’est pas possible d’avoir une suspension d’audience par correction pour le témoin qui attend »

 

L’entrée du témoin :

Mr V a été associé du plaignant. Le plaignant a plusieurs fois cité cet homme comme étant présent lorsqu’il a remboursé Mr K.  Mais aussi comme pouvant témoigner de certains faits de violence qui se sont déroulés dans son garage (celui que dirigeait alors le plaignant).

 

Il est pratiquement 13h45 lorsque le témoin, Mr V, entre dans la salle d’audience.

 

Il est demandé au témoin de décliner/confirmer son identité. Ce qu’il fait. Le juge s’adresse à lui :

« Cela fait deux heures et demie que vous attendez. Vous est-il possible d’attendre encore un petit peu avant de témoigner ? ». Le témoin répond que c’est possible. Le juge le remercie et prononce une suspension de séance de dix minutes. Le témoin retourne dans la pièce où il attendait.

 

Mes impressions :

Coupable ou innocent, je me dis que passer dans le tamis des questions et des remarques des avocats de la Défense, du procureur, des juges, et, avant eux, des officiers de police ou de nos propres avocats est une épreuve éreintante qui peut détruire. J’ai bien-sûr au moins pensé aux victimes des attentats du 13 novembre 2015 dont le procès a débuté début septembre jusqu’en avril ou mai 2022. Je comprends que certaines des victimes de ces attentats du 13 novembre 2015 aient préféré éviter de venir témoigner au tribunal. Dans mon prochain article, qui sera plus court, je parlerai du témoignage de Mr V après la reprise de l’audience.

 

Franck Unimon, ce vendredi 12 novembre 2021.

 

 

 

 

 

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Au Palais de Justice

Extorsion : Trouver la salle d’audience

Paris, au Palais de Justice de l’île de la Cité, ce lundi 8 novembre 2021. Prêter Serment.

 Extorsion : Trouver la salle d’audience

( cet article suit l’article Au Palais de Justice).

Ce lundi 8 novembre 2021, il n y a pas de barrières pour bloquer la route qui mène au Palais de justice de l’île de la Cité. Je suis étonné. Je me demande s’il y a des jugements. Alors que je viens pour assister au procès des attentats du 13 novembre 2015.

 

Dans la cour, un jeune gendarme m’indique aimablement où aller pour me rendre au procès.

 

On s’y perd un peu dans le Palais de justice. Il n’y a pas beaucoup de monde. Peut-être parce-que les audiences ont déjà commencé.

 

Dans les toilettes, je croise un jeune homme noir, élégant dans son costume bleu ou violet, qui me dit bonjour. Je me dis qu’il est nouveau dans le milieu. A la sortie, il ne peut pas m’indiquer où aller. Puis, j’aperçois le panneau qui indique le procès des attentats du 13 novembre 2015.

 

Je monte des marches. Prends un escalier vers la salle Victor Hugo. Je tombe sur deux gendarmes qui renseignent.  A travers la vitre d’une porte, j’aperçois des gens de la Cour, debout en train de parler.

L’un des deux gendarmes m’apprend que ce n’est pas ici. Il m’explique comment m’y rendre.

Il me répond que ce procès, tout près d’eux, est « complet ». Impossible d’y entrer. Je demande quand même de quel procès il s’agit :

Celui du meurtre de Mireille Knoll.

C’est à l’ « accueil directionnel » où se trouvent deux hommes, que j’apprends vraiment, qu’aujourd’hui, le procès des attentats du 13 novembre 2015 n’a pas lieu. Sous le regard d’apprenti d’un jeune d’une vingtaine d’années, c’est le plus ancien, la cinquantaine, qui me répond et m’explique ça.  Il me dit que « demain » (ce mardi 9 novembre), mercredi et vendredi, le procès des attentats du 13 novembre 2015 aura lieu. Puis que la semaine prochaine, si j’ai bien retenu, le procès aura lieu du mardi, je crois, jusqu’au vendredi. Mais que je ne pourrai pas entrer dans la salle. Ce que je savais déjà. Je lui demande :

« Y’a t’il quand même un procès où je peux aller ? ». Il me répond « oui, oui » et m’indique où aller derrière moi dans la salle Georges quelque chose dont j’ai du mal à comprendre le nom. Mais j’ai bon espoir de trouver. Car j’ignore alors comme le Palais est grand.

Non loin de là, je vois un attroupement de personnes joyeuses. On applaudit. On sort son téléphone portable pour prendre des photos. Quelques oiseaux blancs filent sous le plafond. Depuis que je suis entré, je ne sais pas ce que j’ai le droit de photographier. Là, je me sens autorisé à le faire alors que je me rapproche de cette foule qui acclame celles et ceux qui viennent de prêter serment.

Lundi 8 novembre 2021, Paris, au Palais de la Justice de l’île de la Cité. Prêter Serment.

 

Prêter serment :

 

Prêter serment est un très grand engagement. Je suis surpris du décalage entre cette joyeuse humeur et la lourde tâche du travail futur de ces personnes qui sortent de la salle avec leur robe noire, le sourire aux lèvres.

 

Puis, je reprends mon chemin. Un long couloir. Un sol clair. Immaculé. Je ne crois pas faire affront en prenant quelques photos.

Paris, Palais de la Justice de l’île de la Cité, lundi 8 novembre 2021.

 

 

 

Je ne brise aucune instruction, aucun secret. Je ne prends en photo aucune personne reconnaissable ou a priori recherchée. Le fait d’avancer dans des longs couloirs plutôt vides me donne l’impression de me faufiler. Ces grands espaces, cette hauteur sous plafond, le lustre et l’Histoire de l’endroit imposent le respect.

Paris, Palais de la Justice de l’île de la Cité, Lundi 8 novembre 2021.

 

 

Je tombe sur un homme égaré. Comme moi. Il vient à ma rencontre et me sollicite afin que je le guide. Sa convocation à la main, il ne sait où aller. Il me montre le plan qu’on lui a remis à l’entrée et me dit «  On est là ». Mais je ne sais pas lire les plans. J’ai du mal avec l’espace reproduit sur des plans. Un employé passe. Je le questionne. Il réfléchit. La salle d’audience où je veux aller ne lui dit rien. L’endroit où doit se rendre cet homme, à peine plus. Pourquoi, comment ? Nous descendons de larges escaliers près de nous. En bas de ces escaliers, en passant devant des toilettes, nous trouvons son lieu d’audience. Mais il ne sait pas ce qu’il doit faire. Il ne sait pas où est son avocat. J’ouvre la porte. Une femme d’autorité m’intime aussitôt de la refermer :

 

« On viendra vous chercher ! ».

 

Sur la porte, parmi d’autres, j’ai lu le mot Mineurs et aussi Affaires sociales. Mais mon « homme » n’a pas une tête de mineur. Celui-ci m’apprend avoir rendez-vous à 10h. Il est 9h45. Je lui dis :

 

« ça va ! Vous êtes même en avance ». Il ne sourit pas. Ne semble pas plus rassuré que cela. Il me remercie néanmoins. Avant de le quitter, je lui souhaite bonne chance et lui demande de quel pays vient-il : Le Mali.

 

 

Peu après, je trouve la salle d’audience que je cherche : La salle d’audience Georges Vedel. Je ne sais pas ce qu’a fait cet homme. Je ne crois avoir jamais entendu parler de lui. Un gendarme sort. Je lui demande si je peux assister à l’audience. Bien-sûr ! Lui et son collègue, la vingtaine prolongée, m’accueillent avec décontraction et sympathie. Ils me demandent de vider mes poches de tout objet métallique type clé etc…avant de passer au détecteur. Puis, je récupère mes affaires une fois passées aux rayons X.

On m’informe que je n’aurai pas le droit de filmer ou de prendre des photos dans la salle.

 

Avant d’entrer, je demande de quoi parle le procès en question, dans cette cour d’assises.

Une histoire d’extorsion m’apprend-t’on. Pour 87 500 euros. Les gendarmes m’informent que je peux sortir de la salle d’audience quand je le souhaite.

 

Lorsque j’entre, un gendarme me montre l’endroit où m’asseoir : sur les bancs, en bois, de gauche. Les bancs de droite sont réservés à des témoins ou à des proches si j’ai bien compris. Devant moi, sur le côté, une jeune femme tape sur son ordinateur portable. Elle semble retranscrire ce qu’elle observe. Ce qu’elle entend.

 

Je vois trois prévenus derrière un box. Derrière eux, deux ou trois gendarmes. Deux ou trois autres gendarmes sont dans la salle et se déplacent. Je verrai les gendarmes dans le box permuter avec d’autres gendarmes venus les relayer. Plus tard, derrière le juge, je verrai deux portes s’entrouvrir et deux ou trois autres gendarmes entrer. En moyenne, ces gendarmes ont la trentaine, des physiques de sportifs, et sont habillés et parés pour l’action. Rien à voir avec le gendarme de St Tropez avec Louis de Funès ou Benoit Poelvoorde qui pourrait se promener en bermuda, marcel, jambes maigres, ventre à raclettes et claquettes.

 

Pourquoi des gendarmes assurent-ils la sécurité dans un palais de Justice ? Parce-que, m’a depuis appris un collègue, les gendarmes sont formés au maintien de l’ordre. Ils sont les équivalents des CRS voire sont des CRS. Le policier ou le gardien de la paix n’est pas formé au maintien de l’ordre comme ils le sont. Le maintien de l’ordre ne se résume pas à sortir son arme et à tirer. C’est aussi appliquer des stratégies de retrait, de désencerclement ou d’encerclement.

 

Cependant, à la cour d’assises, l’atmosphère est plutôt sereine. Sereine et concentrée. Les avocats de la Défense, cinq ou six ou plus (dont trois ou quatre femmes), sont assis derrière leur table sur laquelle, pour certains, se trouve un ordinateur portable en étant de marche. A côté, un dossier constitué d’une pile de documents.

 

Sur un écran, je vois et entends le plaignant qui répond aux questions du juge. Le plaignant est assis devant une table. A ses côtés, en robe noire, son avocat ou l’un de ses avocats. Un stylo ou un crayon ainsi qu’une feuille sont devant le plaignant.

Un autre écran est situé face à la défense. L’image est nette. Le son est bon. 

Dans la rangée où je suis assis, dans le public, nous sommes alors à peine cinq personnes. Dans la rangée de bancs de droite, pareil.

 

Je comprendrai plus tard que les trois hommes assis l’un derrière l’autre de profil devant les avocats de la Défense, face à la cour, font aussi partie des accusés. Derrière la cour, manifestement, répartis sur la largeur de la cour, les jurés. A droite de la cour, l’avocat général. Et une autre personne dont je ne connais pas la fonction.

 

Il est alors à peu près dix heures du matin. Je pense alors rester jusqu’à 13h. Jusqu’au moment de la pause déjeuner. Je sortirai finalement de là à 14h30 à peu près.

Paris, au Palais de Justice de la Cité, Lundi 8 Novembre 2021.

 

(à suivre)

 

Franck Unimon, ce mardi 9 novembre 2021.

 

 

 

 

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Au Palais de Justice

Au Palais de Justice

Paris, ce lundi 8 novembre 2021, vers 10h.

                                              Au palais de Justice

 

Mardi 9 novembre 2021, 7h15

Cette nouvelle catégorie de mon blog balistiqueduquotidien est particulière. Je viens de me lever pour l’écrire. Ce n’est pas tôt. Je peux me lever encore bien plus tôt ou me coucher bien plus tard dans la nuit pour écrire. Lorsque c’est comme ça, l’action de boire et de manger attend ou attendra.

 

Enfant, naïvement, j’ai voulu être avocat. J’avais moins de dix ans. Je me rappelle avoir défendu la « cause » de quelqu’un. J’étais tellement touché par l’injustice à laquelle j’assistais que je m’étais mis à pleurer.

 

 Ma plaidoirie n’avait pas été prise en compte. Le copain ou le camarade que j’avais essayé de sauver avait été condamné. Cependant, il avait eu la vie sauve.

 

Enfant, j’ai voulu faire plusieurs métiers. Policier, pompier et footballeur le plus souvent et, une fois, avocat.

 

Une seule fois, chez des amis de mes parents, je me souviens avoir ouvert une sorte de guide de droit qui se trouvait là. Je m’ennuyais sans doute parmi ces adultes et j’aimais lire. Je suis tombé sur un article qui concernait le droit familial. Et, vu que je me rappelais avoir porté le nom de jeune fille de ma mère jusqu’à mes six ans, j’avais appris que mes parents avaient ensuite dû aller faire une déclaration devant le juge afin de pouvoir m’attribuer le nom de mon père. J’avais alors interrogé mes parents chez ces amis. Je me souviens de ma mère qui avait alors confirmé que, oui, c’était vrai.

 

Enfant, on sait se satisfaire de réponses et d’actions simples pour des sujets complexes. Dès l’instant où l’on se sent aimé- et en confiance- par celles et ceux qui nous entourent et nous répondent. Plus tard, cela peut devenir plus difficile à faire. Soit nous devenons plus critiques et plus exigeants. Soit, aussi, celles et ceux qui nous ont entouré et aimé plus jeunes disparaissent. Et celles et ceux qui les remplacent ou que nous choisissons ensuite, à nos yeux, ne font pas l’affaire. Ou, sans  celles et ceux qui nous élevés ou que nous avons connus plus jeunes, près de nous, nous avons du mal à nous tenir « droits ». D’autres fois, aussi, nos modèles de départ, nos parents, notre famille mais aussi notre entourage, bien qu’aimants et disponibles, nous ont donné des exemples de vie qui, au regard de certaines lois, ne sont pas durables.

 

Première expérience d’audience dans un tribunal

 

J’étais soit au collège ou au lycée la première fois qu’avec un de nos professeurs, avec ma classe, à Nanterre, nous sommes allés au tribunal. Dans ce très haut bâtiment de la Préfecture de Nanterre. Un bâtiment très familier situé à une vingtaine de minutes à pied à peu près de là où nous habitions, alors. Au delà du grand parc de Nanterre qu’ado, j’ai beaucoup plus connu pour mes séances d’entraînement d’athlétisme que pour aller m’y promener. J’étais déjà, aussi, passé quantité de fois devant ce bâtiment de la préfecture dans le bus 304 pour aller aux Pâquerettes chez une de mes tantes maternelles. Où j’aimais aller jouer avec un de mes cousins.

Mais j’avais aussi pris le 304 bien des fois pour aller rejoindre ma mère qui travaillait alors à l’hôpital de Nanterre, pas très loin des Pâquerettes, des Glycines, des Canibouts… il était fréquent de voir des SDF ( on disait « clochards ») alcoolisés et allongés en face de l’hôpital. 

L’hôpital de Nanterre ou hôpital Max Fourastier, aujourd’hui, s’appelait La Maison de Nanterre et dépendait alors de la Préfecture de Paris. C’était plusieurs années avant la construction de la Maison d’arrêt de Nanterre.

 

Ce  jour où nous étions au tribunal avec ma classe, je me souviens du jugement d’un grand adulte. Il avait une vingtaine d’années. Il était jugé pour récidive. A nouveau, il avait exhibé ses parties intimes devant une petite fille. Il triturait nerveusement quelque chose qu’il avait dans ses mains. Il était terrorisé. A l’entendre, on comprenait que cet homme, adulte pourtant, avait un retard mental. Il parlait comme un petit garçon. Sauf qu’il avait un corps, la tête et la force d’un homme. Si j’avais croisé cet homme dans la rue, moi, qui, comme beaucoup de garçons, a été éduqué dans l’admiration de la grandeur et de la force physique, j’aurais été intimidé en cas de conflit. Alors, qu’aurait pu faire une petite fille si cet homme avait entrepris de la saisir et de lui faire connaître pire ? Cette question, je ne me l’étais pas posé ce jour-là. Je l’ajoute aujourd’hui.

 

L’homme avait été sermonné comme un enfant. La Loi lui avait parlé. Et, il avait dû être condamné à du sursis. A cette époque, les bracelets électroniques n’existaient pas. Je ne crois pas que l’on ait parlé de suivi psychologique pour lui et cela n’aurait d’ailleurs servi à rien.

 

Après le jugement, nous avions débattu avec notre professeur. C’était peut-être en troisième, au collège public Evariste Galois. Avec notre prof principale, notre prof de Français, Mme Epstein, qui nous avait emmené voir E.T au cinéma à la Défense. Ainsi qu’une pièce de théâtre au Théâtre des Amandiers : Combat de Nègres et de chiens par Bernard Marie Koltès

 

Cela collerait bien avec la personnalité de Mme Epstein de nous avoir fait vivre cette expérience. Elle, qui nous avait proposé, un jour, de faire venir le Dr Francis Curtet, spécialiste des addictions.

 

 Mais je ne suis pas sûr que ce soit elle qui nous ait emmené au tribunal assister à une audience. A ma première audience. Car je ne me souviens pas du visage de celle ou celui qui nous y avait accompagné.

 

Seconde expérience d’audience dans un Tribunal

 

J’ai connu ma seconde audience dans le public au Palais de Justice de l’île de la Cité. Près de St Michel, à Paris. J’avais vingt ans de plus. En grandissant, j’avais ensuite voulu devenir champion du monde d’athlétisme en sprint, kinésithérapeute dans le sport, journaliste, écrivain, poète, acteur. J’étais devenu infirmier diplômé d’Etat.

 

A la Fac de Nanterre, où j’avais passé trois ans après mon diplôme d’infirmier – ce qui avait étonné quelques unes de mes camarades puisque j’avais déjà un diplôme et un travail !- j’avais très bien identifié le bâtiment où se tenaient les cours de Droit. Je n’y suis jamais entré. Pour moi, les cours de Droit, cela rimait avec les partis politiques de droite et d’extrême droite. Mais aussi avec des personnes issues de classes sociales bien plus favorisées que la mienne. Sans oublier toutes ces plâtrées de lois et de textes aux tournures de phrases alambiquées qu’il fallait s’enfoncer dans la tête et ingurgiter.

Et, à aucun moment, il ne m’était apparu que pendant mes trois années d’études d’infirmier, j’avais aussi dû m’enfoncer «  dans la tête et ingurgiter » des « plâtrées » de connaissances. Car, ces « connaissances » infirmières acquises avaient pour moi un effet et un pouvoir concret immédiat afin de me permettre rapidement d’avoir un travail et de gagner ma vie. Alors que l’issue concrète d’études de Droit m’apparaissait sûrement à la fois trop étrangère, trop floue et trop lointaine. Soit l’opposition classique et magistrale entre ce qui pousse certaines et certains à « choisir » – et aussi à s’y tenir- des études courtes plutôt que des études longues.

 

Sans surprise, aujourd’hui, je ne pouvais pas me satisfaire de mes études d’infirmier en soins généraux. Après quelques années de diplôme, après le DEUG d’Anglais, après le service militaire, après avoir commencé à passer un brevet d’Etat d’éducateur sportif, j’avais d’abord choisi d’aller travailler en psychiatrie générale avec un public adulte à Pontoise.

 

Lors de cette seconde audience dans un tribunal, j’étais infirmier dans un nouveau service, en pédopsychiatrie, à Montesson. La pédopsychiatrie était une spécialité que je découvrais dans ce service depuis un ou deux ans lorsqu’un de nos collègues avait été très content de nous proposer de venir voir son grand frère plaider au tribunal, à Paris.

 

Son grand frère, né à Nanterre comme ce collègue et moi, avait réussi. Il était maintenant un avocat reconnu et pas n’importe où.

 

Ce grand frère avocat nous avait accueilli avec amabilité. Nous étions plusieurs soignants du service à être présents. Il nous avait même payé le repas dans le self ou le restaurant du tribunal.

 

J’ai oublié le motif du jugement. Je me rappelle d’une femme procureur, noire, plus caricature de procureur, et assez brouillonne. Et de l’éloquence du grand frère de ce collègue commençant par raconter, comment, plus jeune, il passait du temps à assister aux audiences au tribunal de Nanterre… jusqu’à ce que son père finisse par venir le chercher.

 

Avant de plaider, le grand frère de ce collègue nous avait dit que la procureur avait tellement mal travaillé qu’elle lui avait « ouvert des boulevards ». En effet, lorsqu’il avait commencé à plaider, par contraste, sa démonstration avait été magistrale. Sauf qu’il avait fini par être un peu trop long à mon sens.

 

J’avais été néanmoins content de cette nouvelle expérience. Et j’avais bien vu, aussi, la grande fierté de ce collègue d’être le petit frère de cet homme qui avait réussi. Je m’étais aussi dit que je retournerais dans un tribunal pour assister à des audiences.

 

En Guadeloupe, sans doute après cet épisode, une fois, en passant devant un tribunal, alors que nous y étions en vacances mon jeune frère et moi, j’avais un moment envisagé d’y entrer. Après avoir aperçu un magistrat ou un avocat dans sa parure sur les marches blanches. Mais mon frère m’avait fait comprendre comme il trouvait mon idée, une fois de plus, incongrue. Je n’avais pas insisté et avais continué de conduire vers notre destination, peut-être vers Basse-Terre.

 

Les Attentats du 13 novembre 2015

 

Hier, c’est le procès des attentats du 13 novembre 2015 qui m’a ramené dans un tribunal. Une volonté que j’ai eue assez vite lorsque j’ai su que ce procès allait commencer…le 8 septembre 2021. Jusqu’à fin Mai 2022.

 

 Cependant, auparavant, je m’étais rendu à une des audiences du procès ( Du 2 septembre au 10 novembre 2020) des attentats « de » Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher de Vincennes. Dans le nouveau Tribunal de Paris, situé à la Porte de Clichy, ce « plus grand centre judiciaire d’Europe » ouvert en 2018.

 

J’avais pris des notes lorsque j’étais allé à cette audience du procès des attentats « de » Charlie Hebdo, de Montrouge et de l’hypercacher. J’avais commencé à écrire un article. Puis, j’ai laissé s’endormir cette volonté. Peut-être que le sujet était-il trop conséquent pour moi. Que j’avais trop traîné pour venir assister à ce procès. Et/ou que je me suis dit, en lisant les comptes rendus de Charlie Hebdo de ce procès, que je n’apporterais rien de différent ou de plus.

 

Néanmoins, le fait d’aller dans un tribunal m’avait à nouveau « plu ». Tant pour le déroulement de l’audience que, d’abord, pour tout le décorum et les protocoles d’accès au tribunal. Les personnes lambda comme moi se rappellent de l’existence des tribunaux et des procès lorsqu’il y a des « affaires » marquées médiatiquement. Ou lorsqu’elles doivent venir s’y justifier, ce qui est plutôt exceptionnel pour la majorité des personnes lambda. Autrement, nous passons à côté de ce qui se déroule quotidiennement dans des tribunaux qui sont des mondes à la fois clos (on n’y entre pas comme dans un commerce qui nous accueille presque à cartes de crédit et à caddies ouverts) mais pourtant suffisamment accessibles pour celle ou celui qui souhaite prendre le temps de venir les découvrir. Comme de s’y rendre régulièrement. Afin d’assister à des audiences. Ou d’y circuler là où c’est autorisé.

 

 

Une institution publique prestigieuse

Un tribunal, pour moi, c’est en principe une institution publique prestigieuse. Que ce soit par les murs ou par les personnes qui y exercent de hautes fonctions (magistrats, procureurs, avocats….). Pourtant, cette institution publique prestigieuse, comme d’autres institutions publiques prestigieuses, est souvent méconnue de la majorité des gens lambda comme moi. Même si « nul n’est censé ignorer la Loi ».

 

 Combien de fois suis-je passé devant un tribunal ou une autre institution publique prestigieuse  (l’assemblée nationale ou une Grande Bibliothèque) sans même envisager, de temps en temps, d’y entrer afin d’apprendre ?

 

Je ne compte plus.

 

Nous vivons dans un monde et dans une société inégalitaire. Mais lorsque nous pouvons bénéficier de certains apprentissages et vivre certaines expériences qui sont à notre portée, nous préférons rester dans ce que nous connaissons et savons faire. Par confort, conformisme, et sûrement, aussi, pour rester avec les autres. Les autres que nous choisissons ou que nous avons choisi.

 

Hier, je suis allé assister à une audience parce-que j’ai accepté d’ y aller seul. Une fois de plus. Certaines décisions, bonnes ou mauvaises, se prennent et se vivent seul. Avant de pouvoir retourner ensuite, si c’est possible, avec les autres. Celles et ceux que l’on a choisi, qui nous ont accepté ou qui semblent le faire.

 

 

Aujourd’hui, je n’écrirai pas plus car ce serait un article trop long. Mais je crois que c’était important de préparer cette nouvelle rubrique ou catégorie de mon blog par ce préambule. Même si, ensuite, si cette rubrique ou cette catégorie dure, celles et ceux qui la découvriront en cours de route ignoreront tout de ce préambule.

Paris, ce lundi 8 novembre 2021, vers 15h, après être sorti du Palais de justice.

Franck Unimon, ce mardi 9 novembre 2021. 9h45

 

 

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Argenteuil Théâtre

Garde à vue à Argenteuil

Argenteuil, dimanche 7 novembre 2021.

Garde à Vue à Argenteuil

 

 Une garde à vue dans un temple protestant. Cela s’est passé hier après-midi, dimanche, à Argenteuil.

Et, j’ai été consentant.

 

Le dimanche après-midi a longtemps pu être un enfermement chez soi. Mais on peut être enfermé de tellement de façons différentes. On sort à peine d’une cellule ou d’un ennui que l’on entre dans un autre ou dans une autre.

Argenteuil, dimanche 7 novembre 2021.

 

Hier après-midi, je suis allé voir l’adaptation théâtrale du film Garde à vue de Claude Miller. Parce-que je connais Daniel Muret, qui s’est occupé de la mise en scène, ainsi qu’Evelyne Fort. Ils représentent tous deux la compagnie Willy Danse Théâtre, à Argenteuil.  

 

J’avais fait leur connaissance après mon arrivée à Argenteuil, à la médiathèque, il y a plus de dix ans. Daniel y animait un atelier d’écriture auquel j’avais participé. Et Evelyne faisait partie des participants.

 

Il y a presque deux mois, j’avais croisé Daniel par hasard dans Argenteuil. Daniel est Argenteuillais depuis sans doute un demi siècle ou davantage. A Argenteuil, il y a encore des personnes qui y vivent depuis plusieurs générations.

Le jour de notre rencontre, Daniel m’avait dit qu’il en avait « assez » de toujours voir adapté des classiques et des auteurs déjà reconnus. Son propos m’avait plu.

 

Je n’ai pas- encore- vu le film de Claude Miller avec Michel Serrault. Si je « connais » bien sûr l’acteur Michel Serrault, je suis un peu jeune pour avoir vu ce film lorsqu’il était sorti au cinéma en 1981. Et, c’est seulement en écrivant cet article que je découvre que Lino Ventura (dont j’aime modérément le jeu mais que je sais considéré comme un grand acteur à la « Française » presqu’équivalent à un Jean Gabin que je préfèrerais) et Romy Schneider (une actrice, pour moi, au delà de beaucoup d’autres, un peu à l’image d’un Patrick Dewaere) figurent aussi dans le film de Miller. Et, je crois que c’était mieux pour moi, hier, de ne pas avoir vu le film au préalable.

 

Hier après-midi, je suis allé voir cette adaptation théâtrale sans comparaison en tête. Mais aussi pour rompre un peu avec cette coutume selon laquelle la culture se trouve principalement à Paris. Mais aussi parce-que j’en avais assez de cette ville.

 

Par moments, j’en ai assez d’Argenteuil, cette ville paradoxale, bétonnée, dont sont parties plusieurs personnes que j’y avais rencontrées. Ou que j’aimais bien.  Une ville très étendue, « La troisième du Val d’Oise », faite d’une multitude de quartiers.

 

Argenteuil, pour moi, est une ville de deuils. C’est aussi une ville qui vit sans qu’on la regarde mais à laquelle beaucoup sont attachés. Au point que, parfois, je me demande, à voir leur enthousiasme, ce qu’ils lui trouvent.

Pourtant, cette ville, je la défends aussi tandis que d’autres lui décernent tous les torts et tous les travers. La saleté, les incivilités, la délinquance, les impôts locaux élevés, les écoles publiques dont le niveau a chuté à partir du collège.

Au travail, j’ai pour habitude de dire que, pour moi, les gens sont plus importants que les murs ou le décor. Mais il y a des limites. Et, à Argenteuil, par moments, je me demande où est la différence entre les limbes et les limites. Et, tout ça, à quelques kilomètres de Paris, la « ville lumière ».

 

Argenteuil serait donc révoquée. Argenteuil compterait donc parmi les villes qui donnent difficilement le change. Et, je me suis rappelé qu’une partenaire de théâtre au conservatoire- d’Argenteuil- m’avait appris qu’un acteur ( «  qui peut tout jouer ») s’était abstenu de dire lors d’une de ses tournées qu’il jouerait aussi à Argenteuil. C’était peut-être un oubli après tout. Pourquoi toujours imputer aux gens des mauvaises intentions de vote ? C’est bien un truc de perdant, ça, penser que si on nous oublie, c’est parce-que l’on nous snobe.

 

A Argenteuil, j’ai vu passer sur scène Kassav’, Kéry James, Arno, Marc Ribot, Magma, Danyel Waro, Denis Lavant, Disiz La Peste et j’en aurais vu et entendu bien d’autres si je m’étais rendu disponible. Alors, je pouvais me rendre disponible pour la pièce Garde à vue.

A Argenteuil, Au théâtre de l’Abri, ce dimanche 7 novembre 2021.

Hier après-midi, le public m’a semblé principalement familial et amical. Et pourquoi pas ?

 

Argenteuil, au théâtre de l’Abri, dimanche 7 novembre 2021.

 

Si, quelques fois, la langue d’un ou deux comédiens a fourché, pendant plus d’une heure, j’ai oublié où j’étais. Les « gens », encore. Les gens sur scène mais aussi les décors avaient fait le nécessaire. Ils m’ont fait entrer dans une parenthèse qui s’est déroulée à l’époque où Valéry Giscard D’Estaing était Président de la République et encore vivant. Et  François Mitterrand et Jacques Chirac – qui allaient être les Présidents suivants- aussi. Dans une ville de province qui aurait pu être un des quartiers de la ville d’Argenteuil où à peu près tout le monde se connaît. Sauf que la mer aurait remplacé la Seine, et que le phare aurait pris la place de la salle des fêtes Jean Vilar, de la Cave Dimière ou du centre culturel le Figuier Blanc.

 

A l’époque où Valéry Giscard d’Estaing était Président de la République (on voit sa photo de Président sur scène) Argenteuil était ouvertement, encore, une ville communiste. Mais dans Garde à vue, on comprend que l’on est dans une ville de droite :

Un notaire, sujet de la grande bourgeoisie, est le suspect numéro un dans le meurtre de deux jeunes filles qui ont aussi été violées. Et deux policiers s’acharnent à le voir coupable. Il est en fait plus suspect d’être riche que meurtrier et, jamais, sans doute, ces deux policiers n’ont eu la possibilité d’approcher aussi longtemps et d’aussi près un homme riche. Alors, ils comptent bien en profiter. Quitte à le dépecer s’il le faut. D’autant que celui-ci a des secrets et des mensonges, comme tout un chacun, ce qui décuple la détermination des deux représentants de police qui ne supportent pas ce riche qui leur résiste.

A Argenteuil, au Théâtre de l’Abri, ce dimanche 7 novembre 2021.

 

Les comédiens m’ont plu. Je me suis aussi un peu demandé ce que j’aurais donné dans l’un des rôles. J’ai particulièrement aimé ces sous-entendus dans les propos. Mais aussi l’entrée de la femme (jouée par Marie Grandin) du suspect, grande bourgeoise d’entre tous mais aussi grande jalouse, jusqu’à la pathologie. Garde à vue, pour moi, est autant une œuvre sur une certaine haine sociale que sur l’inadaptation conjugale et relationnelle. Dans un cas comme dans l’autre, les êtres ne peuvent pas s’ajuster ou s’insérer puisque des illusions leur servent de repères et de refuges.

Argenteuil, au théâtre de l’Abri, ce dimanche 7 novembre 2021. A droite, Daniel Muret.

 

Franck Unimon, lundi 8 novembre 2021.

 

 

 

 

 

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Corona Circus Pour les Poissons Rouges

Une semaine qui commence bien

Gare d’Argenteuil, ce lundi 8 novembre 2021 au matin.

 

Une semaine qui commence bien

 

On l’oublie mais….il se passe toujours quelque chose. Je ne devais pas être dans ce train, ce matin. Cela s’est décidé tôt. Avant d’emmener la petite à l’école. Les vacances de la Toussaint étaient terminées.

 

Hier après-midi, j’étais allé voir l’adaptation au théâtre par Daniel Muret du film Garde à vue de Claude Miller. J’en reparlerai. Cette adaptation m’a peut-être influencé.

 

Même si j’avais déjà la volonté d’aller là où je suis allé bien avant ça.

 

Alors que je m’approchais de la gare d’Argenteuil, ce matin, le train omnibus arrivait. Je l’ai pris. Pour aller à Paris, au procès des attentats du 13 novembre 2015.

 

J’allais écouter un podcast sur mon téléphone portable puis je me suis dit :

 

«  Non. Je vais prendre le temps de regarder les gens ».

 

Une gare plus loin, je l’ai vu arriver sans masque. Mais ça ne m’a pas marqué. Il avait un grand sourire. D’origine asiatique. La trentaine ou la quarantaine. Une doudoune jaune. Propre sur lui.

 

Le train est reparti. Il a commencé :

 

« Excusez-moi de vous solliciter (ou de vous déranger….) ».

 

Il a commencé comme un mendiant mais a bifurqué sur :

 

« Depuis deux ans, au moins (…..) Macron, quel bouffon ! (….) Respirez librement. Enlevez vos masques, vos muselières (….) ».

 

Il a expliqué qu’il s’adressait aux gens qui avaient éteint leur télé et « allumé » leur cerveau. Il a parlé de la peur qui permettait de nous faire accepter n’importe quoi.

 

« ça se met en place, gentiment… ». En face de moi, la femme assise près de la fenêtre, dans le sens de la marche, a levé les yeux au ciel lorsqu’elle entendu ça. Comme si elle se sentait mal.

 

Il a poursuivi :

 

« Il y a deux ans, si on nous avait dit : Pour aller au restaurant, il vous faut décliner votre identité, vous auriez dit : « Quoi ?! On est dans quel pays ?! En Corée du Nord ?! En Chine ?! ».

 

Pour conclure, il a dit :

 

« Je vais passer parmi vous pour recueillir vos sourires et vos encouragements… ».

Il est parti dans le sens opposé. Ce qui fait que je ne l’ai plus revu. La femme assise en face de moi s’est levée, puis, elle est partie aussi. Ils étaient peut-être amants. Il aura tout fait pour la faire revenir et ça aura marché.

 

Ils étaient à peine partis tous les deux que des contrôleurs sont arrivés. Je ne sais toujours pas quoi penser de cette coïncidence. Près de notre rangée, un contrôleur d’une quarantaine d’années, les cheveux courts, a fait claquer son brassard fluo de contrôleur autour de son biceps…comme un flic. Cela fait maintenant un ou deux ans que les contrôleurs ont ce genre de brassard. On sent bien que ce brassard a fait monter chez certains leur niveau de virilité mais aussi un certain sentiment d’invulnérabilité. Et c’est pareil chez les femmes contrôleuses.

 

Je n’ai rien contre les flics.

 

Très vite, deux des collègues du contrôleur lui ont fait signe, devant. Lui et peut-être un ou deux autres de ses collègues sont alors partis en renfort. J’ai cru à du répit. Mais après avoir réglé leur affaire, ils sont revenus cinq minutes plus tard :

« Contrôle de vos titres de transport, s’il vous plait ». Un de ses collègues plus jeunes a présenté sa machine afin que nous lui soumettions notre pass navigo. Il a dit bonjour à chacun d’entre nous. J’ai été le dernier à sortir mon pass navigo, déjà lassé par ce début de journée.

Gare de Paris St-Lazare, lundi 8 novembre 2021, au matin.

 

Sur le quai de la gare St Lazare, j’ai aperçu plusieurs contrôleurs qui entouraient un homme. Puis, alors que je suivais le flot des voyageurs, j’ai vu arriver, à contre-courant, plusieurs membres de la police ferroviaire dans leur tenue bleue. Ils longeaient le train.

Il était bientôt neuf heures du matin. Le trajet avait été plus long que d’habitude. Cela m’avait retardé.

 

Je ne vois pas encore très bien quel rapport ces différents événements pouvaient-ils avoir entre eux.

 

Franck Unimon, lundi 8 novembre 2021.

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Argenteuil Vélo Taffe

Vélo Taffe Samedi 30 octobre 2021 : Paris/ Argenteuil

Paris, samedi 30 octobre 2021, Saint-Michel, Notre Dame.

                    Vélo Taffe Samedi 30 octobre 2021 : Paris / Argenteuil

A vélo, depuis le 14ème arrondissement de Paris, Argenteuil n’est pas si loin. Même après une nuit de travail. 

Habituellement, je couple l’usage du train avec celui de mon vélo pour me rendre à mon travail et pour rentrer chez moi. Depuis chez moi, à vélo, le 14ème arrondissement n’est pas si loin… mais cela me demanderait plus que les 35-40 minutes que je prenais pour me rendre directement  dans le 18ème arrondissement du côté de la Porte de Clignancourt en passant par St-Ouen. Entre 1h10 et 1h20.

Ce 30 octobre, vers 8h30, je ne sais pas encore que je ferai tout le trajet à vélo. En sortant du travail, je décide de changer d’itinéraire. Pour varier.

 

Je passe « devant » Notre Dame en reconstruction. Je m’arrête à l’entrée du tribunal de la cité. Il n’y a pas les barrières ni les forces de l’ordre que je vois chaque fois qu’a lieu le procès des attentats du 13 novembre 2015.

Un gendarme sort de la loge. Sa collègue, une jeune femme blonde, nous regarde.

Avec son accent du sud, le gendarme, la trentaine, m’explique comment faire pour assister, à partir du lundi, dans une salle devant un écran, à ce procès. Puis, je repars.

 

Paris, Le Chatelet, samedi 30 octobre 2021.

Je constate que Beyoncé, Basquiat, Jay-Z et la pub pour les bijoux Tiffanys sont partis ( Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Paris, au Châtelet ) et ont été remplacés par une pub pour les vêtements Moncler. Je ne reconnais pas l’actrice de gauche mais je sais l’avoir déja vue. Je sais aussi qu’un blouson de la marque Moncler coûte plus cher que le vélo sur lequel je suis. Ces publicités pour ces marques onéreuses ( Tiffanys, Moncler…..) sont peut-être surtout là pour toutes celles et tous ceux, qui, comme moi, spontanément, ne peuvent pas se les acheter à moins de fournir certains efforts. Entre les impôts et ces articles de luxe qui nous regardent, nos vies sont faites d’efforts. Et, il nous faut apprendre à trier entre un vélo qui peut nous transporter ; le plaisir de prendre son enfant en photo devant une fontaine; ou tout faire pour s’acheter un blouson Moncler ou un bijou Tiffanys. 

 

Paris, 30 octobre 2021.

Avant de démarrer leur footing, et leurs efforts, au moins un de ces deux hommes fait comme moi : il regarde la jeune femme blonde. Je l’ai ratée quelques secondes plus tôt alors qu’elle était derrière sa copine sur leur trottinette. Pas de bijoux Tiffanys, pas de blouson Moncler, je me console comme je peux avec cette photo. 

 

Paris, 30 octobre 2021.

 

Je suis presqu’arrivé à la gare St Lazare. Au feu, je vois ces affiches. Je trouve Sarkozy et Royal tellement ringards.  Que font-ils encore là ? C’est fini ! Ils appartiennent au passé. L’un et l’autre ont eu leurs chances. Le premier a été Maire de Neuilly, Ministre de l’Intérieur, Président de la République, justiciable…

La seconde a été Ministre, et, au second tour des élections présidentielles ( en 2007 !) avait perdu face à Sarkozy. Désir d’avenir. 

 

Je trouve ces affiches historiques et comiques. Je me dépêche de les prendre en photo avant leur disparition. Peut-être qu’un jour, regrettera-t’on un Nicolas Sarkozy et une Ségolène Royal…. 

 

Paris, près de la Gare St Lazare, ce 30 octobre 2021.

 

Voici notre époque. Une attente concentrée devant l’ouverture d’un magasin de l’enseigne Fnac. Une pub pour du Whisky. Une autre pour l’artiste Rashid Jones que je ne connaissais pas. Une, pour une machine à laver. Et, tout en haut, la promotion du nouvel album d’Ed Sheeran que je n’ai toujours pas pris le temps d’écouter mais dont je « connais » le succès depuis au moins deux ans. Comment ne pas finir essoré ? Ou esseulé ? 

 

Paris, près de la gare St Lazare, le 30 octobre 2021.

 

L’enseigne de la Fnac a ouvert. Mais je ne pouvais pas ne pas prendre cet homme de dos, en photo. Un homme dont le métier de livreur rime pour moi avec pénible labeur. Généralement, lorsque je croise l’un d’entre eux ou qu’il me dépasse sur son vélo, électrique ou mécanique, je le laisse passer. Peut-être que cette vie-là me fait-elle peur. Même si, si je n’avais pas le choix, je ferais sans aucun doute comme eux. Et, je ferais alors peur à quelqu’un d’autre sans doute.

 

Gare de Paris St Lazare, le 30 octobre 2021.

 

Une gare parisienne, pendant les vacances de la Toussaint. Un peu moins de monde que la veille mais c’est seulement le matin. Il n’y a rien de particulier. Tout le monde porte son masque. Et, moi, je vais prendre mon train pour Argenteuil…

 

Gare St Lazare, 30 octobre 2021.

 

Je me dis qu’il y a encore pas mal de monde qui part en vacances. Je ne comprends pas vraiment ce que fait là, cette ligne de démarcation. 

 

 

 » Cette femme, avec son bouquet de fleurs, ça apporte quelque chose. Prends-là en photo ! ». Alors, je la prends en photo, parmi ces voyageurs avec leurs bagages. Ensuite, je la vois retrouver son compagnon. Je me dis que c’est vraiment la Toussaint.

 

Gare St Lazare, 30 octobre 2021.

 

Je n’avais pas remarqué tout de suite que la police ferroviaire était présente. Je me dis alors que la police recherche peut-être des trafiquants.

 

Gare St Lazare, 30 octobre 2021.

 

Certaines voies ne sont pas disponibles. La mienne, l’est. La voie 11 ou 12. Ou 10. 

 

Gare St Lazare, 30 octobre 2021.

 

Un chien dans la gare, cela se prend en photo. Plus tard, ce sera peut-être plus rare. Même si j’aime bien l’attitude de la dame, de profil, sa main posée sur son bagage. Et ce que l’on aperçoit en contrebas. Avec les palmiers au milieu….

 

Gare St Lazare, 30 octobre 2021.

 

Arrivé près de ma voie, on me fait bien comprendre qu’il faut sortir de la gare ! Un bagage a été abandonné.

 

Gare de Paris St Lazare, 30 octobre 2021.

 

J’ai raté la photo du camion de déminage lorsqu’il est passé derrière nous. J’ai raté la photo de cette jeune femme aux jambes de girafe qui me tournait le dos. Apparemment, elle avait l’habitude de poser. Lorsque j’ai été prêt, elle avait bougé. Elle s’est éloignée, à l’écart. Comme si elle me fuyait. Puis, après avoir consulté son téléphone portable, elle a décampé en repassant à plusieurs mètres devant moi.

Par contre, je ne manque pas ce défenseur du Barça, moins vif, beaucoup plus tranquille. 

 

Gare de Paris St Lazare, 30 octobre 2021.

 

Lorsque c’est comme ça, il est impossible de savoir quand la circulation des trains va reprendre. Je décide très facilement de faire la suite du trajet à vélo. J’ai de l’eau. Une compote. Un vélo. Je suis bien habillé même en cas de pluie. Et, je ne suis pas pressé. Il se trouve que c’est ce jour-là, que, dans une brocante, je suis tombé sur cette canne-siège qui date d’un siècle. Elle vient de Manufrance m’a dit le vendeur. La première fois que j’ai vue une canne-siège, c’était sur une scène de théâtre au Figuier Blanc. Le comédien Denis Lavant en avait une. Après la représentation, il m’avait appris l’avoir trouvée par hasard dans une brocante, en province. Pour 5 euros. J’ai payé la mienne un peu plus chère. Mais c’est une pièce unique. Je ne la trouverai ni chez Tiffanys, ni dans les magasins Moncler. 

Ce matin encore, parmi d’autres pensées, je me demandais à nouveau ce qui faisait que je ne faisais plus de théâtre. Avant, j’avais « faim ». J’avais envie de jouer. Là, je n’ai même pas envie de jouer. Et, c’est comme ça depuis trois ou quatre ans. Et puis, dans cette petite brocante sur laquelle je suis tombé, en sortant du travail, je vois cette canne-siège.  J’ai réussi à la coincer contre mon sac à dos. Jusque-là, depuis que je suis parti, elle n’est pas tombée. Rouler jusqu’à Argenteuil avec cette canne-siège est un bon test pour vérifier à nouveau à quel point mon sac à dos, celui que j’avais acheté pour aller au travail, était le bon choix. 

 

Levallois, 30 octobre 2021.

A Levallois, j’aperçois cet homme, seul, dans la rue. La photo ne rend pas ce que je vois. Je prends deux autres photos, encore moins bonnes. Puis, l’homme part d’un pas décidé. Peut-être gêné d’avoir été photographié. Ou peut-être tout simplement pressé. 

 

Colombes, 30 octobre 2021.

 

C’est Colombes, ou Asnières, mais Gennevilliers n’est pas loin. Cet immeuble au fond a attiré mon regard. C’est un  projet architectural différent de celui de l’immeuble à droite, sur  la photo. 

 

Colombes, 30 octobre 2021.

 

Colombes, en sortant de la A86, avant le pont d’Argenteuil. 30 octobre 2021.

 

ça construit, ça construit. A la fois pour répondre à la demande de logements. Pour accroître l’attractivité de l’endroit avec le tramway qui ne devrait pas passer bien loin. Mais aussi en prévision des jeux olympiques de 2024. La piscine de Colombes, qui se trouve à dix minutes en voiture de là, et à peine plus à vélo, a été retenue pour être exclusivement réservée à l’entraînement des équipes de natation synchronisée. 

 

Argenteuil, 30 octobre 2021.

 

Nous sommes sur le pont d’Argenteuil. On aperçoit le club d’aviron, le Coma Argenteuil. Un très bon club d’aviron à ce que j’ai cru comprendre. Je suis déja allé me renseigner plusieurs fois. Mais je n’ai toujours pas pu faire une balade d’initiation. L’aviron est un sport « complet » et souvent présenté comme tel. Depuis des années, j’aimerais bien le pratiquer mais je n’ai pas la disponibilité nécessaire.

 

Argenteuil, 30 octobre 2021.

L’affiche se veut verte. Mais, pour moi, Argenteuil, est surtout une ville de béton. Même s’il y a le projet de récupérer les berges de Seine. Au bout, on aperçoit la salle des fêtes Jean Vilar. Salle « historique » que la mairie voudrait raser afin d’autoriser la construction d’un hôtel de luxe, d’un centre commercial, avec complexe de cinéma. Peut-être même une Fnac. Afin de rendre la ville plus attirante. Un certain nombre d’opposants à ce projet se sont exprimés. Il faut savoir qu’à moins de dix minutes à pied de là, se trouvent une librairie, la librairie Presse Papier très engagée, le centre culturel le Figuier Blanc ( soutenu par la mairie) qui comporte salle de spectacles et salles de cinéma ainsi que la cave Dimière où se déroulent aussi des concerts. Ainsi que des cours de musique qui dépendent du conservatoire d’Argenteuil. Le marché d’Héloïse, connu comme le marché  » d’Argenteuil », se trouve après la salle des fêtes Jean Vilar. Raser la salle des fêtes Jean Vilar signifierait aussi sans doute perdre un certain nombre de places de parking lors des jours du marché  » d’Argenteuil » ( le vendredi et le dimanche).

 

Argenteuil, 30 octobre 2021.

Cette station essence à l’entrée de la ville est supposée disparaitre un jour. Derrière les arbres, au fond, il y a le conservatoire d’Argenteuil. Originellement, ce bâtiment était celui de la mairie d’Argenteuil, déplacée depuis au bout de l’avenue Gabriel Péri. Ces fresques que l’on aperçoit sont sur un bâtiment qui fait également partie du conservatoire d’Argenteuil. Ces voitures que l’on voit, si elles tournent sur la gauche, vont prendre le pont d’Argenteuil qui peut les emmener vers Colombes ou vers la A 86. Vers St Denis ou vers la Défense et au delà. 

 

 

 

Argenteuil, 30 octobre 2021.

Je ne connais pas ces journalistes. Je me suis demandé quel journal pouvait bien tenir cette journaliste. Mais je n’ai pas réussi à déchiffrer. C’est cette injonction  » Soyons complices » avec cette image de pub qui m’a enjoint à prendre cette photo. Comment peut-on donner l’air ou l’intention d’être proche des gens alors qu’on ne les voit pas et qu’on ne les rencontre jamais ? 

 

Argenteuil, 30 octobre 2021.

 

Notre Dame, les bijoux Tiffanys et les blousons Moncler, c’est loin. 

 

Argenteuil, 30 octobre 2021.

 

La circulation des trains avait repris lorsque je suis arrivé à Argenteuil. Il semblerait qu’elle ait repris assez vite.

 

Le marché de la colonie, ce samedi 30 octobre 2021 à Argenteuil.

 

Le marché de la colonie est un petit marché de l’autre côté de la gare d’Argenteuil centre-ville. C’est un marché plutôt familial et intimiste, ouvert le samedi. Il est sûrement aussi un peu plus cher que le grand marché d’Argenteuil. Il y a deux ou trois ans maintenant, un marché bio avait également ouvert le vendredi soir. Un an plus tard, ou même avant, seul le marchand de fruits et de légumes continuait de revenir. 

 

Caché par l’homme au chapeau, Dominique M…, membre et militant de l’association Sous les Couvertures. Samedi 30 octobre, marché de la colonie, Argenteuil.

 

Ce samedi 30 octobre, l’ESAT la Montagne vendait des fleurs. A gauche, en entrant dans le marché, un stand de produits antillais où j’ai mes habitudes. 

 

J’ai mis plus d’une heure vingt depuis mon départ du travail pour rentrer chez moi. La canne-siège a tenu. J’ai roulé tranquillement. Je me suis arrêté plusieurs fois pour prendre des photos. Cependant, je n’ai croisé aucun embouteillage. 

 

Franck Unimon, samedi 6 novembre 2021. 

 

 

 

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La Profession infirmière

                                    La Profession infirmière

 

« Les deux tiers des soignants suspendus sont revenus au travail une fois vaccinés », a indiqué Mardi le Ministre de la Santé, Olivier Véran.

 

Nous sommes le mercredi 27 octobre 2021. Et, il est 23h19 alors que je commence la rédaction de cet article dont j’ai eu l’idée ce matin en me levant. Cet article était ma première idée. Deux autres sont arrivées ensuite. Mais, d’abord, j’ai tenu en priorité à écrire sur la quatrième idée. Sur le film d’animation Même les souris vont au paradis/ un film d’animation de Jan Bubenicek et Denisa Grimmova  vu samedi dernier lors du festival du cinéma tchèque. Car celui-ci est sorti aujourd’hui.

 

La journée est passée. J’ai pris du temps sur la rédaction de mon article consacré à Même les souris vont au paradis. Puis, ma compagne est partie chercher notre fille au centre de loisirs. Après son coucher, j’ai parcouru plusieurs journaux papier achetés le jour-même :

 

Les Echos ; Le Canard Enchainé ; Charlie Hebdo ; Le Parisien.

 

Et, me revoilà au dessus du clavier.

 

« L’admiration et le respect » :

 

Je n’ai pas encore parcouru L’Humanité et le New York Times du jour. J’ai délaissé le journal La Croix lors de l’achat des journaux. J’en ai eu pour un peu plus de 18 euros.  C’est un coût alors que plein d’informations circulent « gratuitement » et « librement » sur internet. Cette information selon laquelle «  les deux tiers des soignants suspendus sont revenus au travail une fois vaccinés », je l’avais lue incidemment sur le net alors que j’étais au travail. Hier, peut-être plutôt qu’avant hier. Et, j’avais aussitôt retenu cette information.

 

Parce-que je suis directement concerné en tant que soignant.

 

Je peux comprendre que la même information ait échappé à beaucoup d’autres gens qui, vaccinés ou non contre le Covid, en ont assez d’entendre parler de vaccins, de Covid, de passe sanitaire et de pandémie. D’autant qu’il convient de rétablir une vérité qui date de bien avant la pandémie du Covid :

 

Si beaucoup de personnes admirent souvent les personnels soignants- ce qui n’empêche pas par ailleurs d’insulter, de menacer, de dénoncer, d’agresser ou de cracher sur ces mêmes personnels soignants-  c’est aussi parce-que, dans la vie courante, la majorité des gens préfèrent aller au restaurant, dans une salle de concert ou au cinéma plutôt que dans un hôpital ou dans une clinique. Alors, savoir que des personnes a priori sensées et fréquentables optent comme lieu de travail constant, jusqu’à leur départ à la retraite ou jusqu’à leur mort pour l’hôpital et la clinique, cela force l’admiration ou le respect.

Je peux aussi comprendre que cette déclaration (  » les deux tiers des soignants suspendus sont revenus au travail une fois vaccinés » ) soit passée inaperçue pour beaucoup de gens car nous sommes en pleines vacances de la Toussaint depuis bientôt une semaine. Ceux qui le peuvent et qui le souhaitent sont partis en week-end prolongé ou en congés. D’autant que, depuis quelques mois, nous pouvons à nouveau ( depuis le 9 juin ? ) circuler à peu près librement dans toute la France et dans un certain nombre de pays en dehors dès lors que l’on est vacciné contre le Covid et/ou que l’on peut présenter son pass sanitaire valide. Et, plus simplement, la période des vacances est une période où, généralement, on a besoin de couper avec les « actualités ». Je ne suis pas en vacances. C’est peut-être aussi pour cette raison que je suis tombé aussi facilement sur cette déclaration/information d’abord sur le net puis dans un journal. 

 

Ce mercredi, je retrouve cette information-déclaration selon laquelle «  les deux tiers des soignants suspendus sont revenus au travail une fois vaccinés »  écrite noir sur blanc dans le journal Les Echos . Un article concis et discret. Je l’ai aussi pris en photo.

Le journal  » Les Echos » de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

 

Pourquoi payer des journaux alors que l’on peut retrouver certaines informations gratuitement sur internet ?

 

Au moins parce qu’en payant, je lis encore à peu près ce que je veux lire dans des journaux. Au lieu de subir des thématiques d’informations ou publicitaires que je recevrais ensuite systématiquement parce-que, sur internet, j’aurais lu tel ou tel article s’y rapportant. La gratuité sur internet, mais aussi ailleurs, est souvent intéressée. Que cet intérêt soit partagé ou non.

 

J’achète aussi des journaux parce qu’en choisissant les journaux que j’achète, j’ai accès à plus d’informations, dans différents domaines, que celles que j’obtiens et trouve sur internet ou dans les journaux gratuits mis à notre « disposition » dans les gares.  Je suis aussi un « traditionnel » pour lequel le contact physique avec le papier du journal et du livre est nécessaire pour un meilleur plaisir de lecture. Je tiens un blog à défaut de ne pas avoir de rubrique ( de chronique, plutôt) dans un journal papier; une expérience que j’ai connue il y a plusieurs années puis qui s’est interrompue pour raisons économiques et, sans doute, usure du rédacteur en chef.

 

Alors, 18 euros dans des journaux, c’est un coût. Mais la gratuité peut être une économie trompeuse.

 

« Les deux tiers des soignants suspendus sont revenus au travail une fois vaccinés »

 

Dans cinq ans peut-être, cette phrase toute seule sera énigmatique pour beaucoup de ses lecteurs. Aujourd’hui, nous savons encore qu’il est question du vaccin contre le Covid.

 

Cela m’a soulagé de relire cette phrase- que j’avais lue sur internet- dans le journal Les Echos tout à l’heure. Non par plaisir de reparler du Covid, de la pandémie, des vaccins anti-Covid, des soignants suspendus pour refus de cette vaccination mais aussi pour refuser le passe sanitaire.

Mais parce-que c’était, pour moi, une information officielle et vérifiable. Il y a sans doute des gens qui considèreront qu’il ne faut pas se fier aux journaux d’une façon générale ou du journal Les Echos. Moi, malgré mes réserves envers le pass sanitaire, malgré mon acceptation tardive de la vaccination anti-Covid, je me fie à cette information dans le journal Les Echos. Je peux donc continuer mon article en partant de cette information.

 

Lorsqu’hier ou avant hier, au travail,  j’ai lu ce «  Les deux tiers des soignants suspendus sont revenus au travail une fois vaccinés », je l’ai gardé pour moi. Pourtant, aussitôt, j’ai vu dans cette phrase un sentiment de satisfaction. Et de victoire politique plus que de victoire sanitaire.

Il y a, de toute façon, en région parisienne, un peu plus de 800 postes infirmiers vacants. Et le retour de ces soignants qui retrouvent leur poste après leur vaccination ne comblera pas cette pénurie. Une pénurie chronique et  bien antérieure à la pandémie du Covid. 

Page 6, du journal « Libération » de ce mercredi 27 octobre 2021. Le Ministre de la Santé, Olivier Véran, s’exprime.

 

 

Sans doute ai-je l’esprit mal tourné. Sans doute que le Ministre de la Santé, qui a prononcé cette phrase  (ce que je n’avais pas remarqué lorsque je l’avais lue sur internet) est-il fondamentalement sincère et avant tout réellement concerné par la Santé, y compris celle des soignants. Cependant, dans ce rapport de force entre le gouvernement et certains soignants- une minorité- à propos de cette vaccination anti-Covid dans le contexte de la pandémie du Covid, j’ai du mal à croire à une sincérité totalement désintéressée du gouvernement.

 

Ma défiance ne vient pas de nulle part. Elle vient de ce que je vois, de ce que j’entends, de ce que je comprends et de ce que je vis depuis une trentaine d’années dans la profession infirmière.

 

La profession infirmière

 

J’ai obtenu mon diplôme d’Etat d’infirmier en 1989 après trente trois mois d’études. Il y a plus de trente ans. Les soignants de la génération de ma mère (ma mère était aide-soignante) faisaient souvent pratiquement toute leur carrière dans un même service. Voire dans deux. J’ai connu cinq établissements employeurs différents en bientôt trente ans d’expérience en Santé Mentale. En psychiatrie et en pédopsychiatrie. Sans compter les hôpitaux et les cliniques où, avant d’être titulaire, il avait pu m’arriver d’être intérimaire ou vacataire pour une journée ou pour une nuit. Pendant quelques années, j’ai aussi donné des cours à des étudiantes et étudiants infirmiers dans cinq ou six écoles ou instituts de soins infirmiers. En région parisienne.

 

Mon esprit « mal tourné » à l’encontre de cette phrase du Ministre de la Santé actuel- qui n’existait pas à un tel niveau politique lorsque j’ai débuté- provient sûrement de ce décalage entre lui et moi. Le temps. Les différents établissements et services où je suis passé. Les collègues que j’ai connus et que je connais encore. Qu’ils soient restés en région parisienne ou soient partis en province. Des femmes. Des hommes. Des mères. Des pères. Des divorcé(es). Des marié(es).  Des veuves. Mes expériences. Tout cela s’intercale, à un moment ou à un autre, entre moi et  des phrases. Qu’elles viennent d’un homme politique, d’un directeur d’hôpital, d’un cadre ou d’un collègue.

 

 

J’ai dû participer à dix manifestations infirmières en plus de trente ans de diplôme. Je me suis syndiqué très tardivement. A plus de 45 ans. Je suis un adhérent syndiqué qui paie sa cotisation. Même si je sollicite certaines fois « mon » syndicat pour avoir certaines réponses, je ne suis pas un membre actif du syndicat même si cela m’a été proposé. Dans les services où j’ai travaillé et là où je travaille, je me perçois comme un élément modérateur. Affirmé. Mais modérateur. Je n’aime pas les embrouilles à deux balles. Je ne suis pas la personne la  mieux informée sur les  derniers ragots qui sont les combustibles du moment  dans un service.

 

 

Hier ou avant hier :

 

Hier ou avant hier, avec mes collègues infirmiers, nous avons discuté du métier. De la pénurie infirmière. Mes trois autres collègues infirmiers, mes aînés de plusieurs années, sont plus proches de la retraite que moi. A deux mois ou deux ans de le retraite. Une femme. Deux hommes. Je suis, moi, selon les calculs, selon les projets, selon ce que j’estime raisonnable, à 8 ou 10 ans de la retraite. Si je tiens. Si cela vaut le coup et le coût. Si je vais suffisamment bien. Si j’ai encore suffisamment envie de ce travail. Pour l’instant, là où je suis, j’ai envie de ce travail. 

 

 

La Revalorisation salariale

 

Un de mes collègues a affirmé sa certitude que la trop faible valorisation salariale expliquait la pénurie infirmière. Selon lui, si les infirmières et les infirmiers étaient mieux payés, beaucoup plus de personnes décideraient de faire des études d’infirmier.

 

Cette revendication est l’équivalente de la demande d’une augmentation du pouvoir d’achat que les gouvernements agitent régulièrement devant nous qui devons faire des efforts pour joindre les deux bouts.

 

Le métier d’infirmier fait en effet partie des métiers sous-payés. Régulièrement, des collègues rappellent que l’évolution de salaire des personnels infirmiers n’a pas suivi l’évolution du coût de la vie. Il y a près de vingt ans, maintenant, une collègue ( sans enfant), mon aînée de quelques années, m’avait raconté qu’elle avait bien perçu la réduction de son pouvoir d’achat avec les années. Une collègue et qui, alors, habitait à dix minutes en voiture de notre lieu de travail.

 

Je ne vais donc pas contester le fait que l’augmentation salariale du métier d’infirmier est nécessaire et plus que bienvenue. Ce à  quoi, on me répondra que nous avons eu une prime exceptionnelle pouvant aller jusqu’à 1500 euros ( pour celles et ceux qui l’ont eu) l’année dernière en juin ou juillet 2020. Pour récompenser nos efforts pendant les trois premiers mois de la pandémie du Covid et du confinement. Face au manque de matériel, au manque de personnel, aux heures de travail supplémentaires, à la contamination par le Covid….

 

Prime à laquelle s’est rajoutée le Plan Ségur, soit une augmentation de 183 euros sur le salaire. J’ai oublié si c’est une prime ou une modification du traitement indiciaire. Et, une autre augmentation, un peu plus conséquente, d’environ 300 ou 400 euros est prévue pour bientôt, à la fin de ce mois d’octobre, dans les lieux de soins. Dans les hôpitaux. Dans les cliniques ?

Je n’ai pas bien compris si cette augmentation concerne les infirmiers de catégorie A comme les infirmiers de catégorie B. Je suis en catégorie B, la catégorie « historique ». Une catégorie vouée à disparaître, considérée comme « active ». Alors que la catégorie A, créée plus récemment ( il y a environ 15 ans) classée comme « sédentaire » est en principe mieux payée mais aussi obligée de travailler plus longtemps que la B avant de pouvoir partir à la retraite avec une pension complète. Depuis une dizaine d’année, tous les nouveaux infirmiers diplômés sont d’emblée en catégorie A et ont, aussi, le niveau Licence. A mon « époque », le diplôme d’Etat d’infirmier, obtenu en trente trois mois, correspondait à un niveau BTS, ce qui équivaut à un niveau Bac + 2.

 

Les infirmiers de catégorie A ont fait 36 mois d’études, je crois.

Le Ministre de la Santé, Olivier Véran, dans le journal Libération de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

Attractivité du métier d’infirmier : Je ne crois pas à la revalorisation salariale

 

Selon moi, une augmentation salariale serait évidemment plus qu’appréciée par l’ensemble de la profession déjà en fonction. Mais, ai-je dit à mon collègue, je ne crois pas que le fait d’augmenter le salaire des infirmiers ferait venir beaucoup plus de monde à la profession.

 

J’ai dit quelque chose comme :

 

« Même si tu augmentes le salaire de 1000 euros, il y a plein de gens qui refuseront de faire ce métier. Ne serait-ce que parce qu’il y a beaucoup de gens qui n’ont pas envie de travailler dans le sang, le pipi et le caca ».

 

Mon collègue était très sûr de lui. Payer plus cher les infirmiers amènerait plus de nouvelles et de nouveaux collègues.

Puis, de lui-même, il nous raconte une de ses expériences, dans le service où il travaillait précédemment, où un bébé était mort dans ses bras. Et, où un autre avait fait un infarctus dans ses bras. J’ai alors repris mon raisonnement :

 

« Tu vois, il y a des gens, même si tu les paies 5000 euros par mois, ils ne voudront pas vivre ce genre de situation ».

 

J’ai ensuite continué d’amener ce que je pense du métier. Je n’ai même pas eu envie de débattre du sujet de la vocation évoquée par ce même collègue, devenu infirmier par vocation.

 

La Vocation :

 

J’ai déjà dit et écrit ce que je pense de ce mot. Je comprends que des collègues l’emploient pour eux. Pour ma part, ce mot m’est insupportable.

 

Le stade  de la  « vocation » est justement celui qui permet de déconsidérer le métier d’infirmier depuis des années voire depuis des générations. N’oublions pas que nous vivons dans une société matérialiste ou tout est prétexte à faire de l’argent et à en faire dépenser. Et où, travailler ou agir gratuitement, permet très facilement à quelqu’un de faire des économies ou du profit sur notre dos. 

 

Discours imaginaire que m’inspire la « vocation » :

 

« Untel a la vocation donc on peut le faire travailler comme un chien. Un verre d’eau, un peu de pain, cinq minutes pour sa pause déjeuner, le pipi et le lavage de main, et elle ou il repart. C’est vraiment bien, la vocation ! »

 

 

 

Extrait de l’article  » Hublo, et les heures sup décollent à l’hosto » du journal  » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 27 octobre 2021.

Bien-sûr, il est des institutions, il y a eu des institutions et des hiérarchies qui ont « respecté » l’idée de la « vocation ». Mais cela est fonction des services, des époques, des régions, des personnalités. Cela fait beaucoup de paramètres pour que soit respectée la « vocation ». Malheureusement, ce que j’ai le plus souvent vu, c’est que le personnel soignant qui supporte d’être compressé par des conditions de travail difficiles, de plus en plus difficiles, et qui reste fidèle au poste, sera de plus en plus compressé. Sa charge de travail continuera d’augmenter au lieu de s’alléger si ce personnel attend d’autrui

(ses collègues, sa hiérarchie ou son institution) que cette charge de travail s’allège d’elle-même.

 

A moins d’avoir des horaires de travail de bureau, les horaires de travail du personnel infirmier peuvent être très contraignantes. Il y a des personnes qui veulent être de repos tous les samedis et les dimanches, les jours fériés et dormir chez eux la nuit. Ou qui veulent pouvoir se lever les matins à 7h. A 7 heures du matin,  à l’hôpital, il y a des infirmiers qui terminent leur nuit de travail. Et d’autres qui ont déjà commencé leur journée de travail. On peut d’abord se dire qu’en commençant à 7 heures du matin ou un peu avant, que cela permet de terminer sa journée de travail plus tôt. C’est vrai. Mais la fatigue nous suit aussi avec les années.

 

Et puis, notre société a changé ainsi que la façon de s’impliquer dans le métier.

Haut de l’article précédent. Dans le journal  » Le Canard Enchaîné » de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

 

La société a changé ainsi que la façon de s’impliquer dans le métier :

 

Lorsque j’ai commencé à travailler comme infirmier par intérim ou en tant que vacataire, toute infirmière et tout infirmier que je croisais était titulaire de son poste quelque part. Peu importe la spécialité, que ce soit en soins somatiques ou en psychiatrie, de jour ou de nuit. Toutes les camarades et les camarades de ma promotion, des promotions précédentes et suivantes, aspiraient à avoir un poste de titulaire.

 

Depuis cinq ou dix ans, au moins, il est devenu fréquent de croiser des infirmières et des infirmiers diplômés depuis moins de cinq ans qui font uniquement de l’intérim et/ou des vacations. Ou, en psychiatrie adulte, de voir des infirmières et des infirmiers quitter assez rapidement- avant cinq ans d’exercice- les services d’hospitalisation psychiatriques  pour, par exemple, des postes dans des CMP ( centre médico-psychologiques). 

 « Avant », il était plus courant que les jeunes diplômés ou les personnes qui venaient d’obtenir un poste y restent plus de cinq ans.

 

Ce qui n’a pas changé :

 

Ce qui n’a pas changé, c’est la grande féminisation du métier. Cette féminisation explique selon moi, en partie, la raison pour laquelle, aussi, le métier d’infirmier est mal payé.

 

J’étais resté sur le chiffre de 78 pour cent de femmes dans la profession infirmière. Notre collègue infirmière a tenu à dire que, tout de même, le métier s’était masculinisé. J’ai admis que cela s’était partiellement produit. Sans doute dans certains services plutôt que dans d’autres. Mais que lorsque l’on regardait dans l’ensemble, la profession infirmière reste majoritairement féminine. En psychiatrie, par exemple, l’équipe infirmière avec laquelle j’ai débuté dans le service où j’ai été titularisé, au début des années 90, était parfaitement mixte et constituée de collègues qui avaient entre cinq et dix ans d’expérience professionnelle. Du personnel infirmier autant masculin que féminin sur une équipe de 14 ou 15 infirmiers.

 

Il y avait peut-être même 8 infirmiers pour 7 infirmières. Il faut aussi rappeler qu’à cette époque le diplôme d’infirmier psy (ISP) existait encore. Et, sans doute que ce diplôme attirait plus d’hommes que le diplôme d’Etat d’infirmier que j’ai passé.

Trois ans plus tard, dans le même service, plusieurs collègues masculins étaient partis. L’équipe s’était non seulement féminisée mais aussi rajeunie. Des collègues infirmières tout juste diplômées venaient remplacer des collègues soit masculins et expérimentés, ou des collègues féminins mais tout autant expérimentés.

 

C’était il y a plus de vingt ans, maintenant. Il n’y a qu’aujourd’hui, dans le service où je travaille depuis moins d’un an, donc plus de vingt ans plus tard,  où j’ai retrouvé une équipe, cette fois,  plus masculine que féminine.

 

Les conditions de travail dans bien des services n’ont pas changé. Car, lorsque l’on parle de « changement » d’une situation, c’est pour parler des améliorations.

 

Il y a sûrement eu des améliorations en matériel, en formation. Mais en conditions de travail des infirmiers, cela s’est plutôt dégradé. C’était déjà limite il y a vingt ou trente ans dans certains services. Aujourd’hui, c’est pire. Et, avant la pandémie du Covid.

 

 

Le choix des jeunes infirmiers diplômés en faveur de l’intérim s’explique pour moi de cette façon. On peut voir l’intérim comme le moyen de se faire une expérience dans différents établissements afin de bien arrêter son choix sur un service et un établissement à un moment donné. Cela arrive encore. Mais ce recours à l’intérim, souvent, lorsque j’en ai parlé avec des intérimaires venant travailler dans le service où j’étais en poste, était justifié par la possibilité de décider de son planning. Et, aussi, de pouvoir partir très vite d’un service si cela déplaisait ou était trop difficile.

 

Mais c’est mieux de donner quelques exemples de ce que ce métier peut provoquer comme engagement chez les professionnels qui l’exercent.

Je mets une partie de la première page du journal  » Le Parisien » de ce mercredi 27 octobre 2021 pour deux raisons. La première est pour la série « Germinal » qui bénéficie de très bonnes critiques. Avec, au premier plan, l’acteur qui avait un des rôles principaux dans la très bonne série policière  » Engrenages ». S’il vaut mieux, pour sa survie et sa santé, être infirmier que mineur, je me demande quels points communs on peut trouver malgré tout entre le travail de mineur et celui d’infirmier lorsque certaines conditions de travail deviennent particulièrement difficiles. Ensuite, il y a cette interview de Stéphane Bancel, patron de Moderna. Dans cette interview, on reparle du Covid et des vaccins contre le Covid. La fabrication du vaccin Moderna, son efficacité officiellement démontrée contre le Covid associée à la réussite économique de Stéphane Bancel lui confère une « autorité » officieuse pour donner son avis sur la vaccination pour les jeunes enfants, sujet hautement sensible. Peut-être Stéphane Bancel a-t’il raison. Mais pour qui se prend-il pour s’avancer de cette manière alors qu’il n’est pas Ministre de la Santé ?! Il a le droit de penser qu’il faut ou que l’on peut vacciner les jeunes enfants contre le Covid avec le Moderna. Par contre, ce n’est pas à lui de souffler au gouvernement ce qu’il doit décider ou faire en matière de vaccination infantile. Mais il se le permet ici, fort de son succès personnel et économique avec le vaccin Moderna. A lire son interview, Stéphane Bancel se rajoute à la longue liste de toutes celles et ceux qui sont très sûrs d’eux concernant la façon de s’y prendre avec le Covid et la pandémie. En lisant son interview, on apprend que, selon lui, si  » les gens font leur rappel, je pense qu’à partir de l’été 2022, ils retrouveront une vie complètement normale (…..) Les non-vaccinés, eux, courent toujours un risque ». Soit une autre façon de dire que tout est sous contrôle avec le vaccin Moderna. Mais, aussi, qu’il est possible de pratiquement tout contrôler dans la vie.

 

Le don de soi et le sens du Devoir :

 

Dans le métier d’infirmier, comme dans d’autres métiers, celle ou celui qui fera bien plus que ce qui lui est demandé aura le privilège de s’esquinter à ses risques et périls. S’il ou si elle a la chance d’avoir des collègues et une hiérarchie engagés à ses côtés, le professionnel trouvera des soutiens et des compensations. Cependant, en tant que soignant, confier sa santé à la chance alors que par ailleurs, celles et ceux qui décident des conditions dans lesquelles nous devons travailler, eux, s’en remettent à des chiffres pour évaluer notre travail, c’est très mal prendre soin de soi.

 

Les chiffres, certains chiffres, peuvent être des repères. Sauf que ce sont certains chiffres, plutôt que d’autres, qui sont retenus comme critères prioritaires. Et, ces chiffres choisis deviennent des empires irrévocables. Il est question de faire des économies. Alors, on ferme des lits. On remplace moins le personnel. Ailleurs, on établit que, finalement, il y a besoin de moins de personnel qu’il n’y en a. Et, comme le personnel soignant est un personnel capable de donner beaucoup de lui-même, et au delà de lui-même, en continuant de toucher le même salaire, le compte est bon pour celles et ceux qui décident quels chiffres il faut regarder en priorité pour gérer un service. Ailleurs, le personnel peut  accepter de toucher plus d’argent en étant moins nombreux. Ce qui n’est pas forcément mieux. Mais il est volontaire. Or, on le sait, le volontariat est un gage de « bonne santé » au travail. Jamais, bien-sûr, le fait de gagner de l’argent ou d’avoir besoin de gagner suffisamment ou sensiblement plus d’argent, au détriment de sa santé et de sa vie privée, n’oblige ou ne contraint qui que ce soit à être volontaire pour accepter de beaucoup ( trop) travailler. Ou de simplement continuer de travailler alors que des conditions de travail se dégradent. 

Il y a maintenant un mois bientôt, j’ai discuté avec un infirmier, un peu plus plus âgé que moi, qui, en plus de son poste de titulaire dans un hôpital semi-privé ou privé, fait des vacations à côté dans deux ou trois autres établissements. Sa femme, également infirmière, travaillait aussi beaucoup m’a-t’il appris même si moins que lui. Il faisait ça depuis des années, maintenant.

Pragmatique, celui-ci m’a expliqué :

 » J’ai besoin de gagner 5000 à 6000 euros par mois afin de conserver un certain mode de vie ». « Cela m’a permis de rembourser en moins de dix ans ( au lieu de 15 ou 16 ans) mon crédit immobilier. Maintenant, j’ai un grand appartement sur Paris ». 

Lui et sa femme, sans enfants, avaient acheté cet appartement il y a à peu près une dizaine d’années. Auparavant, ils logeaient tous les deux dans une location qu’ils avaient obtenu grâce à l’équivalent du 1 pour cent patronal. D’où un loyer plus « doux » que ceux pratiqués depuis à peu près une vingtaine d’années, maintenant. Au fait, j’ai lu dans le supplément gratuit du journal  » Les Echos » de ce mercredi 27 octobre 2021 que :

 » 743 000 personnes sont en attente d’un logement social en île-de-France ».

Le supplément gratuit du journal  » Les Echos » de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

 

Dans cet article intitulé 92 Des élus de gauche contre la crise du logement en Ile-de-France, on peut aussi lire que

 » Cette crise touche aussi les foyers issus de la classe moyenne, dont les revenus sont trop élevés pour espérer obtenir un logement social et trop faibles pour accéder à la propriété à Paris ou dans la petite couronne. 

C’est le cas notamment des fonctionnaires territoriaux, ou des infirmiers, qui ne peuvent pas toujours loger près de leur lieu de travail, explique Jacqueline Belhomme, maire de Malakoff ». 

 » Si l’on n’agit pas, ils seront 1 million à la fin du mandat municipal« , annonce Michel Leprêtre, président de l’intercommunalité Grand Orly Seine Bièvre ( Val-de-Marne). 

La première page du journal  » Les Echos » de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

C’est aussi en première page de ce numéro du journal Les Echos que l’on apprend le  » triomphe boursier de la voiture électrique Tesla » du PDG américain Elon Musk. Et qu’avec  » 1.OOO milliards de dollars de capitalisation boursière, Tesla vaut désormais davantage que tous les constructeurs traditionnels réunis. Et cent fois plus que le français Renault ( premier constructeur automobile français) ». A la page 18, le journal Les Echos nous raconte le parcours d’Elon Musk jusqu’à son succès en bourse depuis la cotation de l’entreprise Tesla en 2010. Il y a 11 ans. 

Dans un autre article, sur la même page du journal Les Echos, on peut lire Elon Musk, l’homme qui vaut plus que Nike à lui tout seul. Puis, juste en dessous :

 » Le patron de Tesla est désormais l’homme le plus riche de la planète, avec une fortune estimée à 289 milliards de dollars ». 

Le journal  » Les Echos » de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

En comparaison, avec ses 5000 à 6000 euros par mois, cet infirmier qui a pu, avec sa femme, en cumulant les heures de travail par-ci, par-là, en plus de son poste titulaire, se payer son grand appartement à Paris en moins de dix ans, apparaît d’un seul coup bien plus que microscopique. Pourtant, j’ai trouvé les choix de cet infirmier et de sa femme plutôt exemplaires. En termes d’anticipation et de réalisme. Lui qui avait pu me dire aussi que travailler autant, pour gagner aussi « bien » sa vie, avait aussi nécessité, nécessitait de sa part, des sacrifices. Mais qu’il ne les regrettait pas. Ce que je pouvais comprendre- sans tout à fait l’envier- puisque, devant moi, il était encore suffisamment bien portant. Et qu’il avait pu se payer, avec sa femme, l’appartement qu’il souhaitait. Mais aussi des croisières. Certains investissements immobiliers dans son pays d’origine. Des repas dans des restaurants. Quelques jours plus tard, pour fêter son anniversaire, il avait un repas prévu dans un restaurant en haut de la Tour Montparnasse. « Un très bon restaurant », m’avait-il dit. Je n’ai pas encore regardé les prix de ce restaurant. Mais j’imagine que ce restaurant est plus cher qu’un repas dans un restaurant kebab ou dans un Mac Do. 

Au début de ma carrière, et même avant l’obtention de mon diplôme d’infirmier lorsque mon niveau d’études (dès la fin de ma première année d’études), m’avait donné l’équivalence du diplôme d’aide soignant, j’avais commencé à rencontrer, lors de vacations effectuées dans des cliniques, des infirmières et des infirmiers titulaires et qui, en parallèle, travaillaient dans un autre établissement. Pour payer leurs impôts. Pour rembourser les crédits de leur maison.

C’était il y a plus de trente ans. J’avais 20 ou 21 ans. 

Le salaire d’une infirmière, aujourd’hui, au plus haut, après trente ans d’ancienneté, c’est souvent moins de 3000 euros tous les mois. Allez, disons 3500 euros par mois en poussant très fort. Si l’on ajoute les primes. Les éventuelles négociations de salaire. Si l’on travaille dans le privé, avec les week-end travaillés, les jours fériés travaillés. Selon les horaires que l’on fait. Et, encore, il est possible que des collègues me disent que je suis optimiste. Je touche moins de 3000 euros par mois après bientôt trente ans d’activité professionnelle . Sans les primes. J’habite dans une ville de banlieue, dans le Val d’Oise, à Argenteuil. Une ville située à 11 minutes de la gare de Paris St Lazare par le train direct. Et  qui n’est pas connue pour être la plus chère au mètre carré dès lors qu’il s’agit d’acheter dans l’immobilier. Y compris dans le Val d’Oise. 

 

Entre l’exemple de la réussite d’un Elon Musk; celle de ce collègue infirmier qui tourne tous les mois à 5000 ou 6000 euros avec son emploi fixe et ses vacations à côté; et moi avec mon salaire, moindre, on a déja trois mondes, trois modes de vie, très violemment différents. Et trois salaires aussi très violemment opposés. Pourtant, tous les trois, Elon Musk, ce collègue infirmier et moi, nous sommes travailleurs.

Mais la valeur ajoutée au travail que, chacun, nous produisons, est très différente.

Pourtant, que ces  secteurs dans lequel Elon Musk évolue, dans lequel Stéphane Bancel, PDG de Moderna, évolue, ou celui dans lequel, le collègue infirmier à 5000-6000 euros et moi, nous évoluons, tous ces secteurs ont leur utilité. Mais d’après certains chiffres, l’entreprise d’Elon Musk et celle que représente Stéphane Bancel ont beaucoup plus d’importance et beaucoup plus de valeur boursière et commerciale que celle  » l’hôpital, la clinique, un lieu de soins » dans laquelle ce collègue infirmier, moi et beaucoup d’autres évoluons. D’après certaines valeurs ( commerciales, boursières et autres), ce collègue infirmier et moi, dès lors que nous avons fait le choix de devenir et de rester infirmiers, nous avons décidé d’accepter de faire partie des ratés du monde et de la société.

 

Et, si ce collègue infirmier et moi, au regard de ces chiffres, sommes déja des personnes et des travailleurs dérisoires, il existe encore des milliers, des millions de personnes plutôt ( dans le milieu infirmier, hospitalier, en clinique, dans des services médico-sociaux ou dans d’autres sphères professionnelles rémunérées) qui sont encore bien plus défavorisées que nous. Et qui sont donc encore plus déconsidérées que nous. 

 

Aujourd’hui, et depuis des années, les mondes d’Elon Musk et de Stéphane Bancel sont supposés représenter les seuls mondes valables de la modernité et du futur. Ce collègue infirmier et moi, et beaucoup d’autres, avec ou sans notre blouse, sommes supposés représenter un monde ancien. Donc dépassé. Donc contournable. Donc dispensable. Il faut une pandémie, une crise ou une catastrophe extrême, spéciale ou épouvantable (des attentats, un tsunami, un génocide, une guerre, une catastrophe nucléaire, un tremblement de terre, une inondation exceptionnelle avec beaucoup de morts….) pour se rappeler que des professions et des métiers ( pas seulement soignants) anciens et traditionnels ont aussi leur importance dans une société qui se dit et se veut moderne, évoluée, libre et démocratique. 

 

Or, nous sommes dans une société pour laquelle être moderne, cela signifie être amnésique; avoir une mémoire partielle et sélective, briquer certains chiffres, administrer et s’agenouiller seulement devant une horreur plus grande, plus incontournable et plus durable que la nôtre. 

 

D’autres chiffres, néanmoins, restent des chiffres fantômes. Inexistants. Ils n’apparaissent jamais. Le métier d’infirmier fait partie des métiers apaisants, curatifs mais aussi préventifs et régulateurs d’une société. Combien de suicides évités, combien de meurtres et d’agressions évités parce-qu’ un patient a été bien reçu, a pu être bien soigné par des soignants suffisamment en forme, suffisamment nombreux, disponibles et attachés à leur métier ?

 

Ce genre de chiffres n’apparaît pas. Ils n’existent pas. Ce travail ne compte pas. On nous parle, à l’hôpital, d’écrire ce que nous faisons. Mais, d’une part, on ne peut pas tout écrire. On ne peut pas écrire et faire et vivre. D’autre part, pourquoi écrire à des personnes qui, de toutes façons, savent surtout voir et lire certains chiffres en particulier ?!

 

 

Je terminerai avec le chiffre deux.

 

Le journal  » Libération » de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

Le chiffre deux :

Il y a deux ou trois semaines, maintenant, j’ai participé à une formation. Son but était de présenter l’institution aux nouveaux arrivants qu’elle emploie. Nouveaux arrivants dont je fais partie. Cela m’a donné l’occasion de découvrir de nouveaux lieux mais aussi de rencontrer d’autres personnes employées également par l’institution.Dont Sue….mère de plusieurs enfants, qui doit avoir au moins deux enfants. Sue est agent administratif dans l’institution. Cependant, en discutant avec elle vers la fin de la formation, j’ai appris qu’elle avait été aide-soignante pendant près de 15 ans. Dans un service de gériatrie ou un EHPAD. En quelques minutes, elle m’a alors raconté comment les mercredis, au lieu d’être trois aides soignantes, elle se retrouvait toute seule pour faire les toilettes des patients. Les patients à soulever. L’épaule qui s’abîme. L’arrêt de travail. L’obligation de se faire opérer. Le chirurgien qui lui dit :

 

« Si vous reprenez le travail, je serai obligé de vous opérer l’autre épaule ».

Les démarches ensuite aux Prudhommes. Des démarches difficiles, longues, qui ne lui ont pas tout fait donné raison. La perte irréversible d’une partie de la mobilité de son épaule. 

 

Ce qu’il  y a de notable pour moi, en plus de la destruction de son corps et de son moral, c’est que cette histoire, je sais qu’elle a déjà existé il y a vingt ou trente ans. J’ai déjà fait des toilettes. J’ai porté et soulevé des patientes et des patients pour faire des toilettes dans un service de gériatrie. C’est beaucoup plus difficile à porter que les chiffres avec lesquels on nous tape dessus depuis des années.

 

Ensuite, il y a Dei…une ancienne collègue que j’ai connue il y a vingt ans dans un de mes précédents services. Dans un service de soins et d’accueil urgents en pédopsychiatrie. Dei habite et travaille maintenant dans le sud de la France. Son travail lui plait beaucoup. A seulement dix minutes en voiture de chez elle.

« De toute façon, j’ai toujours été dans des services près de chez moi » me dit-elle.

 

Dei… est infirmière dans un service gériatrie. Des journées de travail de 12 heures. Ce qu’elle aime beaucoup, c’est le « relationnel » avec les patients. Et transmettre aux autres collègues. Elle me dit que travailler en pédopsychiatrie lui a beaucoup appris. Je comprends.

Je sais aussi, depuis trente ans, que s’il y avait plus de personnel dans les services de gériatrie, ce serait très gratifiant d’y travailler pour le relationnel. Mais, classiquement, les services de gériatrie manquent de personnel depuis trente ans. Les jeunes infirmiers diplômés fuient les services de gériatrie.

 

 Lorsque Dei travaille, elle est responsable de….84 patients répartis sur trois services. Dei…m’explique, de bonne humeur, que dans chacun des services, il y a trois aides-soignantes. Divisons 84 par trois, cela donne quoi ? 28 patients par service.

Je n’ai pas poussé pour demander à Dei…si les patients sont suffisamment valides pour se déplacer ou pour se laver en toute autonomie. Déjà, pour moi, une infirmière toute seule pour 84 patients, pendant 12 heures, il y a quelque chose qui cloche. Mais c’est normal. Et ça, ça ne dérange pas nos grands vertébrés des chiffres.

Je ne connaissais pas ce chiffre de 84 patients pour une infirmière avant que Dei…ne me le donne. Malheureusement, ce chiffre comme celui de 3 aides soignantes pour 28 patients ne m’étonne pas, ne m’étonne plus. Avec ce que j’ai pu connaître ou entendre ailleurs. Alors que je devrais être étonné. Mais, même pour moi, ce chiffre est devenu « normal ». Ensuite, lorsque cela dérapera, si ça dérape, on nous parlera de maltraitance d’une soignante ou du personnel.

 

Je lui demande :  » Il y a toujours des kilos de médicaments à donner aux patients ? ». Dei semble alors réaliser :  » Ah, là, là. C’est vrai qu’il y a beaucoup de médicaments à donner… ». Trente ans sont passés pourtant depuis la dernière fois où j’ai travaillé dans un service de gériatrie. 

 

Sur ses 12 heures de travail, Dei…me dit sans amertume que, normalement, elles/ils ont droit à « deux heures de pause ». Mais que, vu le travail à faire, elles/ils ne peuvent jamais prendre ces deux heures de pause.

Où sont nos grands pratiquants du chiffre ? Qu’attendent-ils pour rapidement corriger ce genre de désordre ? Comment peuvent-ils accepter que ça continue ? Sans doute que ces chiffres-là ne leur ont pas été communiqués ou ne leur parlent pas. Sans doute aussi que ce que connaissent Dei…et ses collègues font partie des exceptions. Dans tous les autres services de gériatrie de France, c’est certainement beaucoup mieux.

 

Mieux ? Dei m’apprend que, lorsqu’elle reprend le travail après plusieurs jours de repos, qu’elle arrive à 6h30.( Au lieu de 7h30 qui est son horaire de début normal). Afin de pouvoir bien prendre le temps de lire les dossiers des patients. Je l’écoute. Je ne dis rien. Dei…est heureuse comme ça. Cela fait un peu plus de trois ans qu’elle travaille là.  Elle ne souffre pas. Et, tout le monde est content. Celles et ceux qui pelotent leurs chiffres en permanence et qui font une bonne affaire en étant dispensés de rémunérer tout ce travail abattu gratis par Dei et toutes les infirmières et les personnels soignants et médicaux-sociaux qui lui ressemblent et qui se comptent par….mince, je n’ai pas les chiffres. Donc, ça ne compte pas.

Dei m’apprend aussi que plusieurs de ses collègues ont préféré quitter le service. Plutôt que de devoir accepter de se faire vacciner contre le Covid. Elle ne sait pas où ces anciennes collègues sont parties travailler. Ni comment elles s’en sortent financièrement…. 

Ma compagne, également infirmière, a été suspendue il y a quelques semaines pour avoir maintenu son refus de la vaccination anti-Covid  ainsi que du pass sanitaire. Elle a touché son salaire du mois d’octobre tout à l’heure. Le gouvernement a appliqué ce qu’il avait annoncé cet été en cas de persistance du refus des soignants de se faire vacciner contre le Covid à compter du 15 octobre 2021. Ma compagne a touché pour ce mois d’octobre la somme de 246 euros.

La première page du journal L’Humanité de ce mercredi 27 octobre 2021 nous montre ( à Dieppe)  » des gilets jaunes déçus des mesures du gouvernement ( qui) relancent le mouvement« . Avec ce titre :

Pouvoir d’Achat  » Trois ans après, c’est pire ». En dernière page du journal L’Humanité, un article intitulé Catherine Corsini porte la parole des soignants raconte le passage à la rédaction de la réalisatrice dont le dernier film, La Fracturesorti ce mercredi, raconte, en passant par un service d’urgence hospitalier, les « violences policières » et la « lutte des classes ». 

Le journal  » L’Humanité » de ce mercredi 27 octobre 2021.

Le Journal L’Humanité

 

Après avoir évoqué Elon Musk , lequel incarne le fracas de la réussite sociale et économique, et du monde de la bourse et de l’entreprise,  cette image du journal l’Humanité nous ramène à un média, emblématique du Parti communiste français mais aussi d’un monde tous deux désuets, conquérants hiers ( autant qu’un Elon Musk aujourd’hui) mais qui feraient maintenant trainer leur extinction depuis très ( trop) longtemps.   Là aussi, le contraste est très violent entre la vie de ces gilets jaunes ( dont quelques témoignages dans le journal L’Humanité nous expliquent qu’ils doivent survivre chaque mois avec des sommes comprises entre 830 et 1200 euros par mois) et les triomphes financiers ( et autres) au lance-flammes d’un Elon Musk. Ou d’un Stéphane Bancel, PDG de Moderna. 

Devant cette première page de L’Humanité, comme les quelques autres fois où j’ai pu le lire, mes sentiments restent partagés. Je ne sais pas si le journal est vraiment sincère et aussi optimiste et combattif que je devrais l’être ou que j’aurais dû toujours l’être.

Je ne sais pas si  les causes qu’il embrasse sont des causes qui ressemblent à des causes largement perdues d’avance parce-que le journal lui-même a l’air de tenter le tout pour le tout pour survivre. Et qu’il n’a pas les moyens – auxquels il essaie encore de croire- pour véritablement résister et changer la donne d’une situation ou d’une cause. 

Je ne sais donc pas qui, ici, des gilets jaunes, qui avaient créé un mouvement ( qui avait surpris beaucoup  de « monde » au sein des partis politiques, des syndicats et les média) de contestation sociale, durable, très populaire et très influent il y a trois ans, ou du journal L’Humanité, a le plus besoin de l’autre ?

Le journal l’Humanité qui persiste dans une contrée, une croyance et un langage annexes dont beaucoup de monde a oublié ou rejeté l’usage et l’existence ?

Ou le mouvement des gilets jaunes qui, lui, s’était retrouvé privé de ses appels d’air par l’instauration des mesures gouvernementales de confinement, de couvre-feu, de restriction de déplacement géographique et d’interdictions de rassemblement pour cause, officiellement, d’urgence sanitaire en raison de la pandémie du Covid à partir du mois de mars 2020 ?   ( voir Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020)

Pourtant, bien des infirmières et des infirmiers pourraient se reconnaître dans cet article du journal de l’Humanité à propos des gilets jaunes comme dans ce titre :  » Même avec deux salaires, c’est difficile ».

Journal de l’Humanité de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

Mais, peut-être que plus que sa mise en page et son langage ringards, que ce qui est le plus reproché instinctivement à l’Humanité, c’est la défaite, la fuite ou la trahison d’une vraie gauche sociale, humanitaire et universelle en laquelle beaucoup trop d’entre nous ont fait l’erreur de croire.

Une faute que le journal L’Humanité porte plus que d’autres média sur ses colonnes. Telle la croix que le Christ a dû porter lui-même. A ceci près que le Christ, s’il a souffert sur le trajet de son supplice, s’il a agonisé,  a bien fini par partir. Même si, c’était pour, officiellement, revenir et ressusciter ensuite. Alors que le journal L’Humanité, lui, même crucifié, désavoué et désertifié, ne trépasse pas.

 

Le pass sanitaire 

 

Le pass sanitaire, lui, devait s’arrêter en novembre de cette année. Désormais, le gouvernement parle , pour cause de « vigilance sanitaire », d’une prolongation du pass sanitaire jusqu’en juin 2022. Ce qui impliquera, bien-sûr, de devoir rester à jour question vaccination anti-Covid. Et, donc, sans doute pour des millions de Français de recevoir une troisième injection de vaccin anti-Covid entre-temps. On a l’impression que depuis le premier confinement, le gouvernement passe régulièrement son temps à demander aux Français de faire plus d’efforts pour le mettre à l’aise, lui. Afin qu’il puisse garder une bonne marge de manoeuvre, confortable, afin de fournir de son côté assez peu d’efforts. Ou pour donner l’illusion et se donner l’illusion qu’il fait de grands efforts lorsqu’il fait quelques gestes. On dirait presque que le gouvernement souffre beaucoup plus que les Français de la pandémie du Covid et de toutes les mesures restrictives qui en ont découlé depuis l’année dernière. Et que c’est plus au chevet du gouvernement qu’il faudrait être qu’à celui des Français. 

 

Dans le journal Les Echos de ce mercredi 27 octobre 2021, à nouveau, le philosophe Gaspard Koenig, président du think tank GenerationLibre s’exprime sur le sujet de la longévité du pass sanitaire dans son article intitulé Vigilance sanitaire et privation de libertés. 

Le journal  » Les Echos » de ce mercredi 27 octobre 2021.

 

Dans cet article, Koenig écrit entre-autres :

 » (….) Pourtant, le gouvernement envisage le renforcement du passe, en le conditionnant à une troisième dose, en donnant aux directeurs d’école des pouvoirs de vérification ( charmante conception de l’instruction publique) ( ….) ».

 

 » (…..) Le ministre de la Santé, qui s’engageait encore en janvier dernier devant la Commission des lois à ne pas recourir au passe, explique aujourd’hui que celui-ci restera en vigueur tant que  » le Covid ne disparaît pas de nos vies ». Autant dire pour toujours. Car la « vigilance sanitaire » pourra indéfiniment être justifiée par un nouveau variant ou sous-variant, une reprise épidémique ici ou là, une énième dose de rappel, ou simplement la probabilité d’apparition d’un nouveau virus. Si l’on accepte ce raisonnement, on discutera bientôt de vigilance sécuritaire ou environnementale. On nous privera de liberté  » au cas où ». François Sureau évoque déja la « dérive autoritaire » de nos sociétés ( …..) ».

 

 » (…) Le plus grand danger est celui de l’accoutumance. Lassés de ces débats anxiogènes, la plupart de nos concitoyens se résignent. Nous nous habituons à demander une autorisation pour vivre notre vie et à nous fliquer les uns les autres. Le gouvernement trouve bien pratique de nous laisser un fil à la patte : pourquoi nous épargner une servitude que nous semblons rechercher ? (….) ». 

La « variation » infirmière

 

Bien-sûr, Sue, l’ancienne aide-soignante, et Dei et toutes celles et tous ceux qui ont travaillé ou qui travaillent dans des conditions à peu près équivalentes, si on leur présente un micro se sentiront souvent illégitimes pour donner leur avis. Ou seront mal à l’aise pour exprimer ce qu’un Ministre, un directeur d’hôpital, une psychologue ou un médecin pourra ou saura dire s’il a ou si elle a à s’exprimer à propos de son propre travail. Donc, là, aussi, ce qu’ont vécu ou vivent Sue et Dei au travail, dans un service de gériatrie ou dans un autre service à l’hôpital ou dans une clinique, ça ne compte pas. ça n’existe pas. Il n’y a pas de chiffres pour ça. On va me parler du nombre des arrêts de travail. Mais toutes les fois où Sue, avant de se démolir l’épaule, avait trop porté ou s’était retrouvée seule. Toutes les fois où Dei a accepté l’inacceptable qu’elle trouve tellement normal qu’elle ne m’en a pas parlé. Cela n’est pas comptabilisé. Cette comptabilité destructrice se décompte dans le corps et dans le moral des soignants.

 

La profession infirmière, une profession qui avance, éclairée par des chiffres qui lui tombent dessus, avec lesquels elle doit faire. Et se taire. Telle une femme battue qui va s’en prendre une si elle se met à parler et à penser. 

 

Franck Unimon, Jeudi 28 octobre 2021.

 

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Même les souris vont au paradis/ un film d’animation de Jan Bubenicek et Denisa Grimmova

Même les souris vont au paradis/ un film d’animation de Jan Bubenicek et Denisa Grimmova

 En salles à partir de ce mercredi 27 octobre 2021. (Je présente mes excuses aux deux réalisateurs pour avoir un peu « francisé » l’orthographe de leur nom de famille).

Parfois, ma fille me demande de chanter, de pratiquer certains jeux avec elle ou de lui raconter une histoire drôle. C’est à nouveau arrivé samedi dernier alors que nous marchions vers la gare. Je lui faisais la surprise de l’emmener voir le film d’animation tchèque Même les souris vont au paradis à Paris, au cinéma Les 3 Luxembourg. Celui-ci faisait partie de la programmation du festival du cinéma tchèque qui a eu lieu du 22 au 24 octobre. Jamila Ouzahir, l’attachée de presse avec laquelle je travaille régulièrement, m’avait fait parvenir des informations concernant ce festival du cinéma tchèque qui allait se tenir. Et, La directrice du festival, Markéta Hodouskova ( je présente à nouveau mes excuses pour le fait de franciser un peu son nom ) a bien voulu nous inviter, ma fille et moi, pour cette séance.

A droite, Markéta Hodouskova ( directrice du festival du cinéma tchèque). Au milieu, le producteur Vladimir Lhotak. A gauche, le producteur Alexandre Charlet. Au cinéma Les 3 Luxembourg, 67 rue Monsieur le Prince, Paris, 6ème. Samedi 23 octobre 2021.

Adultes, avec ou sans enfants, nous pouvons souvent nous concentrer beaucoup sur ce que nous préparons. Quel que soit le projet, nous évoluons alors au moins dans deux temporalités ou dans deux dimensions qu’il s’agit de faire coïncider. Un certain nombre d’actions et de fonctions qui contribuent à la réalisation effective de notre projet. Des actions et des fonctions si familières que nous les faisons souvent sans sourciller, de manière automatique dans l’ordre ou dans le désordre : marcher, faire la vaisselle, prendre un repas, se moucher, s’habiller, se doucher, récupérer nos clés d’appartement, fermer une porte, éteindre la lumière, se brosser les dents, partir.

Tout ça pour arriver à notre action principale, proprement dite qui, ici, consistait à être à l’heure pour la séance à 15h, en se rendant au bon cinéma.

 

Puis, comme c’est le cas dans toute cette organisation usuelle, mais aussi très théorique et individuelle, arrive souvent l’imprévu. Insolite, heureux, amusant ou désagréable. Cela peut être un événement que l’on observe à la périphérie, dont on est le témoin ou la victime.

Ce peut-être aussi un événement dont on est le papa. Car un véritable enfant, et qui se comporte comme tel, même si l’on a choisi de le  concevoir, qu’on l’a voulu et qu’on l’avait donc « prévu », c’est un cortège d’imprévus à lui tout seul. Les enfants nous font régulièrement entrer dans la 3D que l’on y soit prêt ou non. Que l’on aime improviser ou pas. 

Je considère donc que lorsque l’on vit avec un enfant, que lorsque l’on est avec un enfant, qu’il faut disposer d’au minimum trois cerveaux en activité ou qui disposent de la particularité de pouvoir, assez rapidement, nous faire décoller afin de pouvoir nous transporter jusqu’au lieu ou dans la dimension où l’action et l’émotion principale culminent. 

Me mettre à chanter…. je suis en train de penser au billet de train à acheter. A l’heure où nous aurons un train. Au temps du trajet. Au parcours que je visualise. A des calculs plus ou moins compliqués afin d’évaluer si nous serons à l’heure car ma fille a voulu , ce n’était pas prévu , aller à la médiathèque, je ne pouvais pas refuser. En descendant son vélo, ça aussi, ce n’était pas prévu, je ne pouvais pas refuser. Et, là, ma fille voudrait que je chante comme elle vient de le faire alors que nous marchons main dans la main vers la gare…

Je n’ai rien contre le fait de chanter même si, malheureusement, je chante encore très faux. Mais en entendant la requête de ma fille qui venait de m’interpréter une chanson, je me suis aussitôt retrouvé aphone. Cela me rappelle ma première thérapeute, qui, après que je lui aie raconté des moments sensibles et importants de ma vie me demandait :

« Et, qu’est-ce que tu ressens ? ». Ma voix restait alors sur place. Mon cerveau, lui, enregistrait bien sur son registre l’écho de la question. Puis, cet écho, tombait, inerte et abandonné, devant le tombeau qu’était instantanément devenu mon cerveau sans que je ne parvienne à lever le moindre petit doigt. Tandis qu’interdit, je me découvrais complètement infirme et momifié devant une question aussi simple. 

Adultes, nous sommes souvent récompensés lorsque nous avons un cerveau bien dressé.

Un enfant, un film d’animation, pour pouvoir bien se sentir avec lui ou devant lui, nécessite d’avoir encore en soi suffisamment de parties de notre cerveau non dressées.

Non, dans Même les souris vont au paradis, il n’y a pas de chant. Si vous le pensez maintenant, sans avoir vu le film, c’est parce-que je parle tellement de chant depuis le début de cet article, que, d’une certaine façon, et bien malgré moi,  j’ai presque « dressé » ou habitué votre cerveau à penser ou à croire qu’il est question de chants dans cette oeuvre. 

 

Le Cinéma les 3 Luxembourg, samedi 23 octobre 2021, Paris 6ème. Le producteur Alexandre Charlet.

 

Ceci est un paradoxe vivant : les deux expériences, « faire » un enfant, « faire un film d’animation»

( écrire un article ?),  pour qu’elles réussissent dans les grandes lignes, nécessitent tout de même au moins deux aptitudes contraires. Voire davantage.

Organiser, être dressé et dresser. Mais aussi pouvoir permettre, dans une grande confiance et avec un fort sentiment d’optimisme, l’expression de l’inverse. Le chaos, c’est peut-être lorsque l’une de ces deux actions l’emporte trop aveuglément, trop longuement et trop durement sur l’autre.

A gauche, Whizzy, face à elle, à droite, Whitbelly.

 

Samedi, après la projection de Même les souris vont au paradis, les enfants dans la salle ont aimé poser des questions aux deux producteurs présents. Même les souris vont au paradis est le résultat d’une coproduction composée de plusieurs cerveaux européens en provenance de la République tchèque, de la France, de la Belgique et de la Slovaquie. Mais j’ai aussi entendu parler d’une partie du travail qui avait été effectuée en Pologne.

 

Les producteurs Vladimir Lhotak ( tchèque) et Alexandre Charlet ( français) étaient présents, samedi. Deux hommes, deux adultes, deux professionnels, deux techniciens. Mais aussi, sans doute, deux grands enfants. Deux grands enfants qui ont pris la peine de prévenir, avant la projection :

« Certaines scènes peuvent faire peur dans Même les souris vont au paradis mais, à la fin, cela se termine bien ».

J’avais déjà eu l’occasion de croiser des réalisatrices et des réalisateurs de courts métrages d’animation. Et, je m’étais déjà demandé de quoi était fait leur ordinaire. Comment ceux-ci parvenaient-ils à vivre au quotidien en maintenant, vivante et active, en eux, une telle part d’enfance ?

Alexandre Charlet a spontanément répondu à cette question que je n’ai pas posée.J’étais peut-être redevenu parfaitement aphone sous l’effet de mon cerveau très bien dressé. D’ailleurs, après la séance, j’ai été incapable de dire autre chose que   » J’ai bien aimé ». Je n’avais rien d’autre à dire. Je suis resté là, quelques minutes, à côté des deux producteurs et de Markéta Hodouskova, à écouter.  J’ai été totalement incapable ( ou inapte) de saisir la proposition d’interviewer les deux producteurs. Proposition que Markéta Hodouskova m’a faite à deux reprises mais que j’ai décliné en étant assez embarrassé. Au point qu’elle s’est peut-être demandée qui était ce journaliste timoré que j’incarnais.

La technique des films d’animation, d’une façon générale, me livre à ma petitesse. Je ne suis pas technicien. Je ne prétends pas avoir ce genre de compétences. Je ne sais pas dessiner. Je suis épaté par les mondes mais aussi le coup d’oeil que peuvent proposer des dessinateurs « traditionnels ». Alors, des réalisateurs et des concepteurs de films d’animation….

J’ai besoin de croire dans les questions que je pose. Or, avec les films d’animation, on est souvent entre deux ou trois extrêmes : d’un côté, une très haute technicité et une très grande habilité. Au milieu, une très forte créativité. Et, à l’autre bout de la chaine, de l’émotion et de l’enfance en grandes quantités et sur de grandes surfaces : celles que l’on peut se permettre de voir et de retrouver en soi. 

Il y a sans doute des gens, qui, comme lorsqu’ils se rendent à l’opéra, y vont comme s’il s’agissait d’une expérience ordinaire qui consiste à manger des chips, des cacahuètes ou à appuyer sur une chasse d’eau dans les toilettes. Je crois vivre ce genre d’expérience, mais aussi mes relations dans la vraie vie en général, un petit peu différemment. Je les prends assez frontalement. Soit je me barricade , m’illusionne,  ou ne vois d’abord rien. Soit cela m’étreint tout de suite de près, et, ensuite, si je veux pouvoir écrire, j’ai d’abord besoin d’assimiler ce que j’ai vécu. Je n’ai pas l’aptitude mondaine-  oui, c’est une aptitude– de certaines personnes à parler de tout et de rien. Cela se voit tout de suite que je ne suis pas dans le sujet dont on discute ou que je ne suis pas raccord. 

Au cinéma les 3 Luxembourg, le producteur Alexandre Charlet, Paris 6ème. samedi 23 octobre 2021.

 

Le producteur français de Même les souris vont au paradis, Alexandre Charlet, la quarantaine, m’a touché lorsqu’il a dit être triste de voir que le film d’animation Le sommet des dieux réalisé par Patrick Imbert ( sorti en salles le 21 septembre 2021) était aussi peu vu. Une affiche de ce film d’animation était visible dans le cinéma en sortant de la salle. Cela m’a rappelé que j’avais lu de très bons échos à son propos et, aussi, que je ne l’avais pas vu. 

J’ai aussi été surpris lorsqu’Alexandre Charlet a dit, après la projection, avoir à nouveau eu les larmes aux yeux, lorsque, dans Même les souris vont au paradis, le renard Whitbelly se « jette » devant la trop arrogante et inconsciente Whizzy pour la protéger lors d’un certain passage. Car Alexandre Charlet a dû voir et détailler ce film un certain nombre de fois. En tant que producteur, technicien et en tant que personne. Donc, entendre qu’il continuait de ressentir une telle émotion devant ce passage était pour moi surprenant. 

 

J’ai déjà pleuré devant un film. Je n’ai pas pleuré devant Même les souris vont au paradis. De même que je ne suis pas parvenu à chanter en prenant le train avec ma fille pour la séance. Mon cerveau trop bien dressé l’a sans doute emporté, ce samedi.  Mais il m’a aussi permis, malgré ma fatigue, samedi -car j’étais fatigué- de nous faire arriver à l’heure à la séance de Même les souris vont au paradis.

 

J’ai aimé ce film d’animation qui parle de nos peurs, du courage, du sacrifice, du deuil, de la mémoire, de l’amour pour nos parents mais aussi pour nos enfants, de la loyauté, de l’amitié, de l’inconnu, de la mort, de la vie après la mort, de l’existence d’une seconde chance pour tenter de raccommoder nos erreurs et nos pensées passées. 

Je ne me suis pas endormi pendant la séance. J’ai vu ma fille pleurer silencieusement à deux reprises. J’ai mémorisé la première fois et ce qui se passait alors sur l’écran. J’ai aussi pris la main de ma fille dans la mienne. Plus tard, elle m’a confirmé avoir beaucoup aimé ce film d’animation.

Le producteur Alexandre Charlet explique ce que c’est que filmer en stop motion avant la projection de  » Même les souris vont au paradis ». Ce samedi 23 octobre 2021 au cinéma Les 3 Luxembourg, Paris 6ème. A droite, Markéta Hodouskova.

 

Même les souris vont au paradis a été réalisé principalement en stop motion. Le producteur Alexandre Charlet avait expliqué en quoi cela consistait avant le début de la projection. Le film d’animation comporte plus de 120 000 images a-t’il été répondu lors du débat qui a suivi.

 

 

Le résumé de Même les souris vont au paradis  dans le programme du festival commence ainsi :

 

« Après un malencontreux accident, une jeune souris au caractère bien trempé et un renardeau plutôt renfermé se retrouvent au paradis des animaux. Dans ce monde nouveau, ils doivent se débarrasser de leurs instincts naturels et suivre un parcours semé d’embûches vers une vie nouvelle ».

 

Le seul aspect qui me dérange dans l’histoire comme dans ce résumé, c’est le principe de se débarrasser «  de leurs instincts naturels ». J’ai déjà vu ce concept dans un autre film d’animation et j’ai du mal à y croire. Alors, je préfère remplacer les termes « instincts naturels » par le mot «préjugés». Cela me semble plus juste et plus réaliste. Parce-que c’est à cela que mon cerveau dressé d’adulte peut croire. Je ne vais quand même pas raconter à ma fille qu’elle peut devenir amie avec une hyène dans la société humaine ou dans la nature. Je vais plutôt essayer de lui apprendre à la reconnaître sous ses différents aspects et ses différentes intonations. Et, autant que possible, comment échapper à la hyène ou se défendre contre elle. 

A gauche, Markéta Hodouskova et le producteur tchèque, samedi 23 octobre 2021, au cinéma les 3 Luxembourg, Paris 6ème, lors du festival du cinéma tchèque.

 

Hormis ça, je suis bien sûr content d’ être venu. Cette année, je n’avais pas la disponibilité pour voir d’autres oeuvres qui ont été projetées lors de ce festival du cinéma tchèque.

Je suis aussi content d’avoir un peu entendu parler Tchèque après la projection. Même si je ne connais pas cette langue et ne suis jamais allé dans ces régions où l’on parle Tchèque.

Je recommande d’aller voir Même les souris vont au paradis que l’on soit un enfant ou un adulte. Et, cela, qu’on aille le découvrir avec ou sans enfants.

Adulte, on peut préférer aller le voir tout seul. Surtout que certains enfants sont capables de vous demander de chanter pendant la séance. Ou, d’autres, de vous regarder pleurer et de vous demander ensuite de manière très désagréable :

«  Mais qu’est-ce qui t’arrive ?! ».

 

Mais, entraîné par mon cerveau dressé pour composer cet article, j’avais déja oublié presque le principal dans cet article. J’avais demandé à ma fille de faire un dessin ou de m’écrire ce qu’elle avait pensé de Même les souris vont au paradis.Voici ce qu’elle avait écrit le lendemain  : 

«  C’est sympa de voir une souris qui est amie avec un renard. Mais c’est triste de voir Gros Croc tuer le père de Whizzy. Mais si j’étais Whitebelly, je saurais déjà qu’être attaché à Whizzy, je pense que ce ne serait pas pratique du tout. » ( Emmi).

Franck Unimon, ce mercredi 27 octobre 2021. ( avec la participation d’Emmi). 

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Pour les Poissons Rouges

Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Paris, au Châtelet

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

                          Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Chatelet, ce mois d’octobre 2021

C’est un petit peu une histoire de boulangerie. Non pas que je vous roule dans la farine. Mais parce qu’après une nuit de travail, il y a quelques jours, j’ai repris mon vélo pour bifurquer jusqu’à celle qui est ma boulangerie préférée. Mais aussi mon secret. Pour les croissants au beurre et les pains au chocolat. Je vous en dirai moins sur elle que « sur » Jay-Z et Beyoncé. Bien que je la connaisse davantage que ces deux-là. Je connais davantage l’image de Jay-Z et Beyoncé que ce qu’ils sont véritablement ou ont réalisé en tant qu’artistes, commerçants ou citoyens. C’est le propre des « stars» d’être beaucoup connues pour et par leur image à la suite d’un ou de plusieurs événements auxquels ils ont contribué ou participé. Par ailleurs, c’est sans doute souvent comme ça aussi :

 

On parle beaucoup mieux et plus longtemps de ce que l’on ne connaît pas. Ce que l’on connaît vraiment, c’est d’une telle évidence pour soi qu’on ne le mentionne que très rarement. Et puis, parler seulement de ce que l’on ne connaît pas permet de distraire celles et ceux qui nous regardent et nous écoutent tout en conservant nos secrets que ceux-ci voudraient pourtant peut-être bien connaître.

 

Après un passage dans « ma » boulangerie où tout est fait sur place, les pâtisseries originales, le pain avec de la farine de kamut, d’épeautre et les brioches, j’ai choisi de repasser devant le palais de la justice de l’île de la Cité. Nous avons un palais pour goûter les bonnes choses. Nous avons aussi des palais pour écouter, regarder, commenter, pleurer, endurer, juger et condamner.

Paris, 19 octobre 2021, au matin.

Pendant encore quelques semaines, tous les jours (même le samedi et le dimanche ?), quinze victimes des attentats islamistes du 13 novembre 2015 à Paris viendront témoigner.

Je suis déjà passé une première fois devant ce grand palais. Je suis ce matin-là repassé devant car j’ai le projet de venir assister au moins à une audience. Les tribunaux, comme mon travail d’infirmier en psychiatrie, sont ces endroits où l’envers des corps et des comportements nous montrent un autre monde que celui des jolies vitrines ou, parfois, des fortes poitrines qui nous attirent. Nous avons besoin de jolies vitrines. Du moins sommes-nous éduqués et entraînés pour rechercher pratiquement en exclusivité leur contact et leur proximité. Cela nous anime. Même si chaque fois que nous tombons un peu trop amoureuses et amoureux de nouvelles vitrines, nous nous éloignons toujours un peu plus de nos origines. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

J’avais passé la « frontière » le long de ces barrières de sécurité et des forces de police engagées et je me dirigeais vers Chatelet lorsque j’ai d’abord vu la grosse tête de Jay-Z. Je l’ai toujours trouvé moche. Le phénomène était amplifié avec les locks qu’il portait.

Jay-Z n’est pas le seul moche au monde et dans la vie qui, une fois qu’il a réussi, est devenu très beau et irrésistible. Cela fait au moins vingt ans que Jay-Z, maintenant, est devenu beau et irrésistible. Grâce à sa maestria dans le Rap. Aujourd’hui, on parle moins de lui qu’il y a dix ou quinze ans. Mais il fait partie de ces artistes bien implantés dans le décor. Avoir sa tête surdimensionnée sur une affiche gigantesque à Chatelet, en plein Paris, à quelques minutes à pied d’un tribunal où sont en train de se juger des attentats mondialement connus, n’est pas donné à n’importe qui ! Les personnages Vore et Tina/Reva du très bon film Border d’Ali Abassi ne bénéficieront jamais de tout cet éclairage public.

 

Même s’ils racontent une histoire qui a pu être celle de Jay-Z.

 

C’est de leur faute ! Ils n’avaient qu’à faire du Rap et à se sortir du lot !

 

Mais j’avais mal regardé. Sur l’affiche, Jay-Z n’est pas seul. A côté de lui, il y a Beyoncé. La belle Beyoncé. Sa femme ou sa compagne dans la vraie vie.

 

Une autre affiche, sur le côté, montre le couple autrement. Lui, Jay-Z, assis qui la regarde ou semble la regarder et elle, toute en formes, dans une longue robe noire près du corps, face à nous. Elle fait un peu « potiche », Beyoncé. Sauf que quelques indices nous dissuadent de le penser.

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

D’abord, Beyoncé est debout alors que lui, Jay-Z, est assis. Donc, elle le domine. Ensuite, en observant un peu mieux le « look » de Sieur Jay-Z mais aussi le fond de l’affiche, on comprend que nous sommes dans une reproduction d’un tableau du peintre Basquiat, d’origine haïtienne. Peintre mort avant ses trente ans et devenu célèbre. Madonna avait connu Basquiat et avait peut-être, ou sûrement, été un moment sa maitresse ou une de ses maitresses.

 

C’était il y a longtemps.

 

Avant que le Rap ne devienne ce qu’il est maintenant aux Etats-Unis et en France. Bien avant que le monde, et Chatelet, n’entendent parler de Jay-Z et de Beyoncé.

Basquiat, de son vivant, avait souffert du racisme. Les poches remplies du pétrole des billets de dollars, il s’attristait de ne pouvoir prendre simplement un taxi dans New-York. Les chauffeurs ne s’arrêtant pas parce qu’il était….noir comme le pétrole. 

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la Fondation Louis Vuitton.

 

 

Les locks portées par Jay-Z ont à voir avec celles que portaient Basquiat mais aussi avec celles portées par les Rastas. Si l’on parle des Rastas, alors, on parle du Reggae. De Bob Marley, bien-sûr, l’icône Reggae en occident et dans le monde (même Miles Davis avait joué un titre, My Man’s Gone now , en hommage à Bob Marley après la mort de celui-ci en 1981).

 

De Bob Marley, l’amateur fidèle de vitrines retient souvent qu’il était l’adepte d’un Peace & Love universel. Mais les titres de Bob Marley et le Reggae en général temporisent aussi des violences et des contestations.

 « Europeans stay in Europe and Africans rule Africa ! » avait pu chanter le groupe Black Uhuru dans son titre Wicked Act. Black Uhuru fut un court temps  supposé,  par la voix de Michaël Rose, pouvoir devenir ce qu’avait été Bob Marley. La référence du Reggae dans le monde. Mais le groupe n’a pas résisté à son succès. Et puis, une fois de plus, la musique a changé mais aussi la façon de l’écouter.

 

Le Reggae, mais aussi sa version Dub, est donc une musique qui a la particularité de mettre une bonne ambiance, détendue, faite de Ah-Ah-Ah, et de danse auto-berçante. Alors qu’elle chante souvent la tristesse, une mémoire traumatique, la colère et l’espoir. Le Rap, dans sa constitution et ses origines, lui devrait beaucoup.  Billie Eilish et Aurora ?  

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la fondation Louis Vuitton.

 

On est loin de se douter de ce qui compose le Reggae si on ne le sait pas. Ou si personne ne nous l’a raconté lorsque l’on peut voir, par exemple, un Tiken Jah Fakoly, « un ancien », danser sur sa musique.  Je me suis déjà  interrogé sur ce paradoxe qui consiste à danser et à créer une musique dansante pour parler de sujets graves. Mais c’est certainement seulement comme ça que ça peut « marcher » pour attirer et toucher un plus grand auditoire.

 

Danser et sourire

 

 

Presqu’autant que par la pauvreté, la faim, la douleur ou la peur, on devient infirme lorsque l’on devient inapte à danser, à rêver comme à sourire. Mais, au départ, on ne fait pas particulièrement attention à ça, lorsque l’on perd la faculté de danser, de rêver et de sourire ou que celle-ci diminue. Tant que l’on peut continuer à se déplacer de différentes façons et que l’on a à effectuer un certain nombre de tâches qui nous occultent. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

Ces deux grandes affiches de Jay-Z et de Beyoncé ne m’ont ni fait sourire ou danser. Du reste, elles ne sont pas là pour ça. J’ai fini par voir aussi que c’était une pub pour les bijoux Tiffany’s. Et, qui mieux que Beyoncé pouvait porter un collier de la joaillerie de luxe Tiffany’s ? Je n’imagine pas le même collier autour du cou de Jay-Z.

Jay-Z et Beyoncé font partie, depuis plusieurs années, des multimillionnaires. Moi, je fais partie des personnes qui ont régulièrement, depuis des années, un découvert bancaire. Aucun producteur, aucun artiste mais aussi aucune célébrité ou spécialiste de n’importe quel type n’a besoin de mes services. Ma vie et celle de Jay-Z et Beyoncé sont incomparables. Des bijoux de haute valeur, une réussite sociale, artistique et économique, sont des trophées de guerre pour celle ou celui qui, à l’origine, aurait dû se contenter de rester le témoin ou le spectateur des victoires sociales des autres. Avec cette pub, on est très loin du constat amer fait dans le film Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot – d’après l’ouvrage de Didier Eribon- où la plus grande partie des personnes issues d’un milieu social modeste et moyen sabordent d’elles-mêmes leurs aptitudes et leurs ambitions. Jay-Z et Beyoncé ont su inverser le processus. Et, sur cette affiche, plus grande que l’endroit où j’habite,  lorsque l’on lève la tête, on voit donc deux pilotes d’essai qui se sont rendus aux bons endroits, au bon moment, avec les bonnes cargaisons, les bonnes munitions et les bonnes intuitions. Celles qui permettent de s’installer, d’être acceptés, de durer, et d’être recherchés pour des facultés particulières : des qualités artistiques et/ou une célébrité maintenue.

 

Ma sœur a néanmoins souligné le paradoxe de la perruque blonde pour Beyoncé. Elle que tant de jeunes femmes noires prennent pour modèle. 

 

Une mesquinerie entre filles, aussi, peut-être. Je n’avais pas remarqué cette perruque blonde. J’ai alors essayé d’expliquer que cette perruque blonde est une mise en scène. La perruque blonde, cela permet d’imiter et de se moquer de la femme parfaite, souvent blonde, dans l’idéal esclavagiste et raciste au moins américain :

« Regardez-moi, une femme noire, une descendante d’esclave ! Je suis devenue plus que votre égale maintenant. Je peux même poser sur ma tête l’attribut de votre féminité dont je fais un postiche si je le veux ».

 

J’ai ajouté que cette robe moulante qui met en avant les  formes désirables de l’assurée Beyoncé peut aussi vouloir dire aux hommes qui la « voudraient » qu’elle leur est incessible. Elle tient toute seule bien que sous le regard de Jay-Z, qui, malgré tout son génie (vu que le peintre Basquiat est désormais considéré comme un génie. Une exposition de ses œuvres s’est d’ailleurs tenue il y a environ deux ans dans la fondation….Louis Vuitton , voir Basquiat   et aussi L’exposition )      est un peu à la renverse devant elle.

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la fondation Louis Vuitton.

 

Ma sœur n’a pas été très convaincue par mon analyse. Et, je ne vais pas me faire plus intelligent que je ne le suis. On peut projeter tout un tas d’intentions dans ce que l’on regarde et ce que l’on entend. On peut se raconter tout un monde qui n’existe pas, finalement. J’ai choisi le titre de cet article en mettant Jay-Z devant car si j’avais mis le prénom de Beyoncé au début, nous aurions buté un peu sur le son « B » de son prénom. ( J’avais d’abord intitulé cet article Jay-Z et Beyoncé…avant de finalement rajouter plusieurs plusieurs photos des oeuvres de Basquiat ainsi que son nom au titre). 

Alors qu’en mettant le son de Jay-Z, d’abord, ça glisse mieux. Je le précise en vue de répondre à d’éventuelles critiques « féministes » ultérieures de mon titre. Lorsque je serai « connu ».   

Bien-sûr, je n’ai pas pensé à tout ça, dehors, devant ces affiches. J’ai juste été happé par leur vision imprévue. On se rappelle qu’au début, tout ce que je voulais, c’était, après une nuit de travail, reprendre mon vélo, changer d’itinéraire afin de pouvoir retourner dans une boulangerie ; repasser devant le tribunal où se jugent les attentats du 13 novembre 2015. Puis, prendre mon train de banlieue afin de rentrer chez moi.  Je me suis trouvé subitement devant une image agrandie d’un rappeur que j’ai reconnu. Je me suis arrêté. J’ai pris des photos. Ensuite, le lendemain matin, je suis revenu pour reprendre en photo une de ces deux affiches sous un autre angle, le long de la Seine, car, la veille en retournant au travail par un trajet inhabituel, j’avais remarqué que l’on pouvait la voir différemment. Voici les faits. Peut-être que dans les jours qui viendront, je me ferais poser des rajouts pour avoir des locks ou adopterais-je une perruque blonde, ceci est une supposition. 

Paris, le 20 octobre 2021, le matin.

 

Franck Unimon, dimanche 24 octobre 2021.

 

 

Catégories
self-défense/ Arts Martiaux

Servir

Gare de Paris St-Lazare, septembre ou octobre 2021.

 

                                                          Servir

Le Cerveau humain

 

 

Au cours de mon article Trois Maitres + Un , je me suis escrimé à expliquer que je recherchais des Maitres qui pourraient me permettre de me bonifier. Et, que je n’étais pas un esclave recherchant son Maitre esclavagiste.

 

Si, en tant qu’homme à peau noire et de condition sociale moyenne et commune,  je préfère sans hésitation vivre aujourd’hui plutôt qu’il y a deux cents ans en France, en repensant un tout petit peu tout à l’heure à l’article Trois Maitres + Un , j’en suis arrivé à la conclusion que, quoique nous pensions, souhaitions et affirmions, nous servons des régiments de Maitres depuis le commencement de notre existence.

 

Et, cela a sans doute toujours été pour l’être humain. Quelle que soit sa couleur de peau, sa culture, ses rites, son ethnie ou sa géographie. Au point que, rapidement, on s’y perd parmi tous ses Maitres que l’on sert.

 

D’abord, en nommant mon précédent article Trois Maitres + Un, je me suis trompé. Officiellement, si je me réfère avec exactitude à des Maitres d’Arts martiaux que je suis allé rencontrer, ou avec lesquels j’ai pratiqué une séance sous leur responsabilité, c’est plutôt Quatre Maitres + Un que mon article aurait dû avoir pour titre.

 

Car j’avais oublié de mentionner Sifu Roger Itier qui est le premier Maitre que j’avais fait la démarche d’aller rencontrer. Avant Sensei Jean-Pierre Vignau.

 

Je n’oublie pas mon premier prof de Judo, Pascal Fleury, désormais Sensei. Sauf que, comme je l’ai expliqué, Pascal n’était pas Sensei quand j’ai débuté le judo, il y a trente ans, sous son égide. D’abord à l’université de Nanterre après mes études d’infirmier puis, très vite, sur sa suggestion, dans le club où il enseignait- et enseigne toujours- le judo à Paris, au gymnase Michel Lecomte, à la suite de sa « petite » sœur, la championne olympique de judo, Cathy Fleury.

 

 

Et, je vais aussi me servir de cet « oubli » de Sifu Roger Itier pour constituer mon article.

 

Le cerveau humain, notre cerveau, tel que nous l’utilisons généralement, peut se concentrer sur un nombre limité d’opérations. Des neurologistes pourront l’expliquer. Des magiciens ou des arnaqueurs, aussi. Pour ma part, c’est la lecture récente d’une interview d’un magicien, qui utilise aussi l’hypnose lors de ses spectacles, qui me l’a rappelé. Mais certains réalisateurs de cinéma savent aussi jouer avec les angles morts de notre regard et de notre cerveau pour mieux nous surprendre et nous «manipuler», avec notre consentement, pour nous divertir.

 

Dans mon article Trois Maitres + Un , j’ai oublié de citer Sifu Roger Itier parce qu’au delà d’un certain nombre d’informations, notre cerveau fait le tri pour se fixer sur celles que nos pensées et nos émotions distinguent comme prioritaires en fonction de la situation. Et, aussi, parce-que, d’un point de vue affectif, si je reconnais l’expertise de Sifu Roger Itier, sa très grande culture, sa maitrise pédagogique et sa très bonne qualité d’accueil, je me sens plus attiré par des arts martiaux « japonais ». Même si j’ai un peu appris que certains arts martiaux « japonais », tels que le karaté, doivent beaucoup à des arts martiaux chinois. Mais, aussi, simplement, que les arts martiaux, d’où qu’ils  « sortent », peuvent se compléter ou complètent l’éducation et la formation de ces mêmes Maitres d’Arts martiaux que j’ai pu citer ou que je peux regarder.

 

Je sais par exemple que Sensei Jean-Pierre Vignau, Sensei Léo Tamaki, Sensei Régis Soavi et sans doute Sifu Roger Itier ont tâté, pratiqué, de plusieurs arts martiaux et sports de combats, souvent en parallèle, pendant environ une dizaine d’années à chaque fois avant de « s’arrêter » à un moment donné sur un Art martial plus spécifiquement. Je ne connais pas suffisamment le parcours martial de Sensei Manon Soavi pour en parler. 

 

Le spectateur ou l’admirateur lambda, devant des Maitres d’arts martiaux ou devant des pratiquants émérites de sports de combats, va peut-être principalement retenir l’éclat physique ou sportif de la performance réalisée. Sauf que cette « performance » physique ou cette espèce d’alchimie martiale devient possible techniquement,tactiquement et d’un point de vue fonctionnel du fait  d’une pratique régulière et multipliée.

 

Grâce à cette pratique régulière multipliée, voire démultipliée, le cerveau de l’auteur ou de l’autrice de la « performance » a évolué au point de pouvoir se permettre des connexions et des créations de solutions psychomotrices quasi-instantanées. Lesquelles solutions quasi-instantanées sont adaptées à des situations de danger et d’impasse que le spectateur ou l’admirateur lambda, placé devant dans les mêmes situations, aurait peut-être autant de possibilités de réussir que nous n’en n’avons de gagner au loto lorsque nous y jouons pour la première fois.

 

Ces connexions et créations cérébrales quasi-instantanées « harmonisées » avec les aptitudes physiques et émotionnelles de leur autrice ou auteur ne sont pas des analyses d’ordre économique ou philosophique qui découlent de statistiques ou de modélisations préétablies. Mais bien des adaptations humaines en temps réel. Une situation se présente avec son lot de stimuli et d’informations diverses et pressantes, le pratiquant « élargi » par ses expériences- et son évolution qui en a résulté- réagit et s’adapte assez vite. La pratiquante ou le pratiquant « élargi » et qui s’est bonifié ne tergiverse pas pour prendre telle décision. Pour réaliser et s’engager dans telle action- adéquate- à tel moment. Elle ou il ne se dit pas : «  Oh, non, si je fais ça, je vais rater mon métro qui arrive à  telle heure » ; « Oh, non, je vais salir mon beau pantalon blanc tout neuf que j’ai pris beaucoup de temps  à repasser ».

 

Cette façon de s’adapter à des situations de plus en plus délicates, à mesure que l’expérience du pratiquant augmente, se transpose dans notre vie de tous les jours. Et dans tous les métiers où dans tous ces moments où nous avons certaines responsabilités. Une motarde régulière- et prudente– depuis une dizaine d’années aura certainement plus d’aptitudes à garder son sang froid et à prendre les bonnes décisions si un automobiliste déboite subitement devant elle comparativement à un jeune motard chien fou persuadé d’être un champion du monde de moto. D’un côté, vous aurez une personne compétente qui saura déjà respecter les bonnes distances et se rappeler qu’elle est mortelle. D’un autre côté, vous aurez un meurtrier ou un suicidaire qui s’ignore.

 

Avec cette illustration, il serait facile de résumer en se disant que ce jeune motard est l’esclave de son ego. S’il n’y avait que l’ego qui soit notre Maitre….

Car si nous avons des Maitres assez permanents tels que notre ego, nous avons aussi, je trouve, d’autres Maitres, seulement transitoires, mais néanmoins persistants dans notre existence.

Point de vue depuis la butte d’Orgemont, à Argenteuil, septembre 2021.

 

En emmenant ma fille à l’école, ce matin

 

Nous sommes un lundi. Comme beaucoup d’adultes, ce lundi matin, j’ai emmené ma fille à son école. La pandémie du Covid semble derrière nous. Même s’il reste encore bien des gestes (port du masque à certains endroits, rappels de l’obligation du pass sanitaire ou de la nécessité de la vaccination contre le Covid sur des écrans de la ville ou dans des spots d’informations dans les trains ou dans les gares…) l’ambiance générale, depuis fin aout, début septembre, consiste sans ambiguïté à « tourner la page ». Aujourd’hui, dans les journaux, il faut chercher – quand il y en a- des articles relatifs au Covid et aux vaccins ou traitements anti Covid. En France, dans les média, on ne parle pas trop non plus de la catastrophe sanitaire aux Antilles ou dans les Dom du fait du Covid parce-que la majorité des gens n’y sont pas vaccinés contre le Covid. En abordant à nouveau le sujet de la pandémie, alors que la majorité des gens l’a aujourd’hui délaissé, je « montre » que la pandémie du Covid est en partie restée Maitre de certains endroits de ma mémoire. Même si, hier, chez moi, je n’ai rien fait de délibéré pour, parmi plusieurs piles de journaux, retomber sur un ancien exemplaire du journal gratuit 20 Minutes daté du 9 juin 2021.

La première page du journal gratuit  » 20 minutes » du 9 juin 2021.

 

Dans cet exemplaire du journal gratuit 20 minutes, en première page, on faisait allusion de façon décontractée à la fin  fin du confinement. Plusieurs pages plus loin, le sujet portait sur la réouverture des terrasses et des restaurants dans l’article Une forme de libération pour les relations.  Et un ou deux autres articles traitaient aussi du Covid et de ses à côtés : les relations amoureuses (l’article Un vaccin pour avoir sa dose « d’amour et de sexe » ), une infirmière «  soupçonnée de fournir des certificats de vaccination…sans avoir vacciné ».

 

 

Un autre article, « Le télétravail entraîne un vrai changement de culture » abordait, lui, la stratégie suivie par certaines entreprises pour remédier au confinement de ses employés. La veille, le 8 juin, «  au cours d’un déplacement à Tain-l’Hermitage »  (dans la Drôme), le Président Emmanuel Macron s’était fait «  gifler par un homme présent dans la foule ». L’article La Classe politique encaisse les claques en parle.

 

C’était seulement il y a quatre mois. Cela m’a paru très très loin.

 

La perception du temps et des événements  par notre cerveau nous permet aussi d’évacuer plus facilement certaines expériences, ultra sensibles il y a quelques mois, anecdotiques quelques mois plus tard. C’est souvent pareil avec les histoires d’amour ou chargées d’affectivité et d’émotions particulières. Sauf lorsque l’issue a été trop douloureuse.

 

Le cerveau des personnes victimes d’un stress post-traumatique, telles que celles victimes des attentats du 13 novembre 2015 dont le jugement se poursuit à Paris, lui, continue de vivre et de revivre l’événement traumatique comme s’il était toujours présent et, aussi, comme s’il pouvait à nouveau se reproduire.  Pour certaines de ces victimes, leur cerveau a comme perdu de sa plus grande capacité à recevoir de nouvelles informations, plus apaisantes, de la vie et du monde. Le 9 juin 2021, pour beaucoup de personnes et moi, cela paraît déjà très loin. Le 13 novembre 2015, pour les personnes qui ont vécu ces attentats ou qui en ont été traumatisées, c’est encore tout « frais » ou encore « trop chaud ».

 

 

Comme il n’y a pas eu d’incident ou de surprise extraordinaire pour moi alors que j’ai emmené ma fille à son école, mon cerveau a déjà oublié une bonne partie de ce qui a pu se passer durant le trajet pour retenir certains aspects du réveil de ma fille, de ses préparatifs et de ce qui s’est passé ou dit jusqu’à l’école. Ma fille, bien-sûr, aura sûrement une mémoire différente de ce qui s’est passé. Et, elle m’en parlera peut-être un jour ou peut-être cette après-midi lorsque je retournerai la chercher.

 

Il est néanmoins un « événement » qui m’a marqué alors que je revenais de l’école.

Photo prise à Cergy-St-Christophe, début octobre 2021.

 

L’événement qui m’a marqué :

 

En revenant de l’école, j’ai cru faire une bonne affaire en déplaçant ma voiture afin de la rapprocher de chez nous, dans la rue. J’ai donc pris ma voiture, me suis retrouvé derrière une file d’autres véhicules qui attendaient au feu rouge. Puisque c’était l’heure de pointe où beaucoup de personnes partaient au travail. Alors que je reprendrai le travail demain, de nuit.  

Dans la rue, plus proche, où je croyais avoir vu deux bonnes places, en fait, il n’y avait pas de quoi se garer. Il y avait bien un espace vide les deux fois entre deux voitures. Lorsque j’avais aperçu ces deux espaces à une vingtaine de mètres au minimum en emmenant ma fille à l’école, j’avais cru qu’il y avait de quoi se garer. Ordinairement, je ne me trompe pas. Ce matin, je me suis trompé. J’ai donc dû repartir et me garer ailleurs. Presque aussi loin que là où j’avais garé ma voiture initialement. Puisqu’entre-temps, une automobiliste ou un automobiliste avait rangé sa voiture là où était encore la mienne avant que je ne décide de la déplacer. Ce genre de déconvenue arrive. Il y a pire. Même si j’aurais pu me contenter de laisser ma voiture là où elle était au départ, bien garée. Mais un peu loin de chez moi.

 

Avant de rentrer, je me suis décidé pour aller m’acheter des lames de rasoir. Je me suis rasé hier soir. Et, j’avais envie de prévoir. Lorsque j’éprouverai à nouveau le besoin de me raser, c’est agréable de savoir que l’on a ce qu’il faut sous la main. C’est ici que ça commence.

 

Des lames de rasoir, j’en achète depuis des années. Il n’y a pas de risque mortel à aller acheter des lames de rasoir. Il n’est pas encore nécessaire de pratiquer un art martial ou un sport de combat, ou de courir très vite, pour aller acheter des lames de rasoir au péril de sa vie.

Mais, ce matin, j’ai eu soudainement besoin de me demander :

 

« Et, si, un jour, il n’y a plus de lames de rasoir, je ferais comment ? ». Aussitôt, je me suis dit. Hé bien, je ferais sans doute sans. Je porterais davantage la barbe. Mais comme il y a les lames de rasoir que je recherche près de chez moi en attendant, j’y vais. C’est là où j’ai retrouvé un de mes très nombreux Maitres. Un supermarché.

 

Pendant que j’y étais pour m’acheter des lames de rasoir, j’en ai « profité », aussi, pour m’acheter un peu de chocolat.

 

J’en ai profité ? Qui en a véritablement le plus profité ?

 

Le supermarché est un Maitre qui, comme chaque Maitre, a ses particularités. Lui, ses particularités, c’est qu’il est  toujours au même endroit. Ou très facilement reconnaissable, comme ses « jumeaux », lorsque je vais dans un autre endroit, une autre ville. A certaines heures ouvrables.

Ce supermarché, près de chez moi, je l’ai aperçu un jour, comme une de ces places de parking vides ou que j’ai crues vides, près de chez moi. Mon cerveau l’a localisé et mémorisé. Et, dès que j’ai besoin de quelque chose en particulier que je sais pouvoir trouver chez lui, j’y vais. Aux heures ouvrables que j’ai aussi mémorisées. Elles sont souvent faciles à retenir pour mon cerveau.

 

On peut bien mettre une petite musique d’ambiance choisie, modifier la disposition des rayons, changer en partie le personnel (j’ai appris ce matin qu’un des vigiles sympathiques qui me demandait assez régulièrement «  Et, comment, elle va, la petite ? » est parti depuis au moins six mois, du jour au lendemain, et qu’il travaille maintenant à Paris), j’y retournerai. Je suis un client que l’on pourrait appeler « fidélisé » ou suffisamment fidélisé. 

 

Je « viens » moins souvent qu’auparavant. Parce qu’entre temps, j’ai commencé à fréquenter d’autres Maitres, un peu plus éloignés, qui me donnent le sentiment d’être moins chers et de me faire  économiser lorsque je réalise de « grandes courses ». Mais, aussi, peut-être, parce-que ma fille ayant grandi, je m’autorise plus facilement, aujourd’hui, à augmenter mes distances de déplacement lorsque je pars faire des courses.

 

Néanmoins, dès que je veux effectuer de petites courses rapides près de chez moi, surtout aux heures assez creuses, je retourne chez ce Maitre. Ainsi que chez un ou deux autres, dont un petit marché, pas très loin de chez moi. Et ça tourne comme ça.

Paris 20ème, octobre 2021.

 

« Mon but, c’est de décourager ! »

 

 

J’ai bien sûr plus d’estime personnelle pour les Maitres d’Arts martiaux que j’ai cités récemment que pour les supermarchés. Néanmoins, ma vie, telle que je l’ai choisie et telle que je la pratique depuis des années, depuis mon enfance, me rend mes Maitres supermarchés ou marchés indispensables. On parlera de la société de consommation, et dans ce domaine, mes Maitres supermarchés et marchés, en connaissent des rayons, c’est vrai.

 

Et, malgré les travers que ces Maitres entretiennent en moi, je ne me rêve pas encore vivant isolé à cinquante kilomètres de la première bourgade où je pourrais acheter un peu de pain et un peu de beurre. Car nous  avons tellement d’autres Maitres par ailleurs que nous avons adoptés avec les années dont certains ont déjà pris le relais de plusieurs de nos Maitres « traditionnels » ou « classiques ». La télévision, nos téléphones portables, nos ordinateurs, internet, nos employeurs. Certaines de nos relations et de nos habitudes. Notre ego.

 

Sensei Jean-Pierre Vignau m’avait dit, lors d’une de nos premières rencontres :

 

« Mon but, c’est de décourager ». Plusieurs mois plus tard, je continue de repenser à cette phrase de temps à autre. Pour moi, le but de Jean-Pierre est de décourager l’ego. Pourquoi viens-tu pratiquer ? Tes intentions sont elles sincères ? As-tu vraiment besoin de pratiquer avec moi ? Pourquoi ?! Si tes intentions sont profondes et que c’est le moment pour toi, tu tiendras. Autrement, tu partiras.

Jean-Pierre peut être décrit comme « un personnage » ou perçu comme un « malade mental » du fait de certaines de ses positions. Mais, jusqu’alors, Jean-Pierre m’a toujours bien accueilli. Je suis allé le rencontrer les deux premières fois chez lui. C’était en plein confinement. J’ai lu sa biographie ainsi que le dernier livre sorti à son propos.

 Si j’ai cru percevoir une première pointe d’animosité ou de contrariété chez lui, mais qu’il a vite réfrénée, c’était au téléphone il y a quelques semaines. Quand je venais de lui apprendre que je n’étais pas – alors- vacciné contre le Covid et que, de ce fait, je ne pouvais pas pour l’instant, prendre des cours avec lui. Le Jean-Pierre que je suis allé saluer la semaine dernière- j’étais alors doublement vacciné contre le Covid- après avoir passé du temps au Dojo Tenshin- Ecole Itsuo Tsuda était à nouveau un Jean-Pierre, disposé et simple. S’absentant de son cours quelques instants pour venir me saluer. Visiblement touché par ma visite. Paraissant aminci. Ce qu’il m’a confirmé, me répondant simplement :

 

« J’ai perdu cinq kilos car je voulais maigrir ».

 

Sensei Jean-Pierre Vignau a 75 ans peut-être un peu plus. Sensei Régis Soavi, 71. Souvent, je trouve, les Maitres d’Arts martiaux vivent vieux. Au delà de 80 ans. Néanmoins, le Temps est un de nos Maitres. Et, si nous avons tous des Maitres, il est des périodes dans notre vie où nous avons la possibilité de choisir de servir certains de nos Maitres plutôt que d’autres.

 

Servir

 

Choisir sa ou son Maitre, c’est, aussi savoir la servir ou le servir. Ce verbe, « Servir », est virulent dans une démocratie. Servir/Maitre, là, aussi, on a de quoi avoir peur. On peut penser à la servilité, à la servitude. Et, pourtant, nous servons tous quelqu’un ou quelque chose. Mais, là, aussi, il importe de savoir qui, quand et pourquoi.

 

J’aurai pris beaucoup de temps, deux ou trois mois, pour lire la biographie de l’ancien officier légionnaire parachutiste Helie de Saint Marc, écrite par un de ses neveux, l’historien Laurent Beccaria.

 

 

Beccaria, mon aîné de cinq ans, est né en 1963. Helie de Saint Marc, décédé aujourd’hui, était encore vivant lorsque Laurent Beccaria, historien de formation, lui a consacré cette biographie en 1988. Beccaria avait alors 25 ans lorsqu’il a confronté Helie de Saint Marc à plusieurs épisodes de sa vie. De Saint Marc, né en 1922, avait 66 ans en 1988. Il est décédé en 2013.

 

 Beccaria, pour la rédaction de cet ouvrage, avait aussi rencontré diverses personnes, dont des militaires de carrière, qui avaient connu Hélie de Saint Marc. A l’époque, où, à peine majeur, celui-ci était devenu résistant sous l’occupation nazie. Pendant sa déportation au camp de concentration à Buchenwald. Pendant la guerre d’Indochine. Pendant la guerre d’Algérie où Hélie de Saint Marc avait fait partie des officiers militaires qui, sur sollicitation du Général Challe,  avaient organisé le putsch contre le Général de Gaulle en Algérie en avril 1961 afin que celle-ci reste française.

Les intentions de Helie de Saint Marc (lesquelles intentions n’étaient pas partagées par d’autres « putschistes » qui, eux, voulaient surtout garder l’Algérie au bénéfice exclusif de la France et des Français) étaient de sauver les harkis de l’exécution qui les attendait en cas d’indépendance de l’Algérie. De donner plus de droits aux Algériens à égalité avec les Français. Ainsi que d’assurer la victoire militaire de l’armée française. Helie de Saint Marc fut ensuite jugé pour avoir participé à ce putsch, condamné, puis réhabilité dans ses droits dix à quinze ans après sa condamnation.

 

La vie et la carrière militaire d’un Helie de Saint Marc, qui a aussi écrit des livres plutôt reconnus pour leur valeur de témoignage comme pour leur valeur littéraire, sont faites d’un engagement et d’une loyauté qui dépassent largement ceux de l’individu lambda, qui, comme moi, tout à l’heure, est allé tranquillement s’acheter ses lames de rasoir dans un pays en paix.

 

Helie de Saint Marc avait choisi cette vie de militaire puis de légionnaire parachutiste. Avant cela, il avait été déporté, avait failli mourir deux ou trois fois pendant sa déportation à Buchenwald. Sans ce vécu de déporté, donné à la faim, à la maladie et à l’impuissance,  peut-être n’aurait-il pas eu, ensuite, cette volonté de s’engager comme il l’a fait dans l’armée. Ou en tant que militaire et légionnaire, il a ensuite tué. Ainsi que commandé dont des légionnaires de nationalité allemande, qui, quelques années plus tôt, au camp de Buchenwald, auraient pu faire partie de ses tortionnaires.

En tant que militaire, il s’est aussi lié avec des populations indigènes. Il a également été blessé. Il a vu mourir. Puis, sur ordre, en Indochine, Il a dû abandonner des personnes qui s’étaient engagées pour la France tout en sachant, comme d’autres, que toutes ces personnes qui s’étaient dévouées à la France, allaient être exécutées par les vainqueurs du conflit.

 

En Algérie, De Saint Marc a à nouveau commandé, sans doute tué et fait tuer. Vu à nouveau mourir. De Saint Marc était opposé à la torture. Et, s’il a connu ou croisé le lieutenant Le Pen, le père « de », leurs opinions politiques et humanitaires étaient différentes. Dans la biographie de Laurent Beccaria, témoignages à l’appui de militaires mais aussi de journalistes, De Saint Marc est décrit comme un « idéaliste » mais aussi comme le contraire d’un fanatique. 

 

Toutes les personnes qui, aujourd’hui, demain ou hier, en France ou ailleurs, militaires ou non, ressemblent à Helie de Saint Marc et qui sont prêtes à mourir pour servir un pays ou des valeurs sont à mon avis plus libres que l’individu que je suis qui a peur de se faire mal mais aussi de la mort.  

 

Pourtant, à mon niveau, comme chaque individu lambda, je sers aussi quelqu’un ou quelque chose. La loyauté et l’engagement, on les retrouve aussi chez toute personne impliquée et consciencieuse dès lors qu’elle va chercher à assumer une responsabilité qui lui est confiée. Un Maitre d’Art martial, un militaire, un pompier, un policier, un gendarme évoluent dans ces activités humaines où des femmes et des hommes engagent ou peuvent engager directement leur corps et leur vie en poussant la loyauté et l’engagement plus loin que l’individu lambda. Le terroriste et le fanatique, aussi.

 

 

D’où l’importance de savoir choisir ses Maitres lorsque l’on commence à servir. Mais pour pouvoir choisir ses Maitres, il faut déjà comprendre que nous avons besoin de Maitres. Or, comme l’a dit Sensei Jean-Pierre Vignau, «  avant de m’appeler Maitre, il faut déjà en avoir connu plusieurs ».

 

Connaître un Maitre, le fréquenter, et apprendre à se connaître, puisque c’est souvent pour cela que l’on va vers un Maitre, cela prend du temps. Cela ne se fait pas en quelques clics, quelques flirts et quelques sms. Donc, connaître plusieurs Maitres, plusieurs vies….

 

Servir, ensuite. Un militaire, un pompier, un policier ou un gendarme n’ont pas beaucoup de latitude pour ce qui est de décider de choisir qui elles ou ils vont servir. Que ce soit leurs supérieurs directs ou politiques. Elles et ils ont le choix entre obéir. Mourir. Vivre. Réussir. Echouer ou démissionner. L’employée ou l’employé lambda qui part tranquillement faire ses courses au supermarché….

 

 

Franck Unimon, lundi 18 octobre 2021.